Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient au centre d’appels de Toronto de leur employeur - l’employeur a lancé un projet pilote prévoyant l’ouverture de quelques centres d’appels les samedis - le projet pilote a tout d’abord visé les centres d’appels de Sudbury et de Montréal, puis ceux de St.John’s et de Vancouver, et enfin ceux de Shawinigan, de Winnipeg et d’Edmonton - la participation du centre d’appels de Toronto n’a commencé que le dernier samedi - les fonctionnaires s’estimant lésés se sont plaints de ne pas s’être fait offrir de travailler des heures supplémentaires les samedis pendant la durée du projet pilote - l’arbitre de grief a conclu que la décision de l’employeur de ne pas faire participer le centre d’appels de Toronto avant le dernier samedi du projet pilote ne découlait pas des besoins opérationnels - toutefois, l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour remettre en question l’exercice du pouvoir de l’employeur visant à organiser et contrôler ses centres d’appels et attribuer des fonctions - l’arbitre de grief a conclu que bien que les fonctionnaires s’estimant lésés auraient été disponibles et satisfaisaient aux exigences pour travailler des heures supplémentaires les samedis pendant la durée du projet pilote, ils n’étaient pas <<facilement disponibles>> pour se présenter à un centre d’appels autre que celui de Toronto - par conséquent, ils n’étaient pas en mesure de se faire offrir de travailler des heures supplémentaires les samedis dans le cadre du projet pilote avant que le centre d’appels de Toronto ne soit visé par le projet. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-02-21
  • Dossier:  566-02-2013 à 2017 et 2019 à 2047
  • Référence:  2014 CRTFP 22

Devant un arbitre de grief


ENTRE

TRAVIS LAHNALAMPI ET AL.

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Emploi et du Développement social)

employeur

Répertorié
Lahnalampi et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Jacek Janczur, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Lea Bou Karam, avocate
Affaire entendue à Toronto (Ontario), le 5 décembre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

Griefs

1 Chacun des 34 employés (les « fonctionnaires s’estimant lésés » ou « fonctionnaires », nommés en annexe de la présente décision) travaillant au centre d’appels de l’assurance­emploi (l’« AE ») du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences à Toronto, en Ontario, ont présenté et renvoyé à l’arbitrage un grief alléguant que le Conseil du Trésor (l’« employeur ») avait enfreint la convention collective conclue avec l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») en ce qui concerne l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employés). La convention collective venait à échéance le 20 juin 2007. (Le 12 décembre 2013, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences est devenu le ministère de l’Emploi et du Développement social.)

2 Plus précisément, il est allégué que l’employeur a enfreint la clause 28.05a) de la convention collective en omettant d’offrir certaines occasions de travail supplémentaire aux fonctionnaires en 2007, alors que l’employeur réalisait un projet pilote. La clause 28.05a) est ainsi libellé :

a) Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

La version anglaise de cette clause est quant à elle formulée comme suit :

(a) Subject to the operational requirements, the Employer shall make every reasonable effort to avoid excessive overtime and to offer overtime work on an equitable basis among readily available qualified employees.

3 Au début de l’audience, après avoir reçu les arguments des parties, j’ai décidé, malgré les objections de l’employeur, qu’en première instance la preuve et l’argumentation se limiteraient à la question suivante : « Les employés du centre d’appels de l’AE de Toronto avaient­ils le droit de travailler des heures supplémentaires pour le projet pilote? ». Il convient de noter que l’avocate de l’employeur a souligné, dans son exposé introductif, qu’aucun des fonctionnaires ne pourrait voir son grief accueilli sans présenter des éléments de preuve démontrant qu’ils étaient disponibles et qualifiés pour effectuer le travail lié au projet pilote. Seuls quelques­uns des fonctionnaires se trouvaient dans la salle d’audience à ce moment­là. Il était clair que l’arbitrage serait retardé et prolongé si chaque fonctionnaire devait témoigner au sujet de sa disponibilité et de ses compétences relativement au travail en question. Tel que l’a fait remarquer l’avocate de l’employeur dans son exposé introductif, cette preuve détaillée est inutile si les fonctionnaires n’avaient aucun droit d’être pris en compte pour travailler des heures supplémentaires, et ce, même s’ils étaient disponibles et qualifiés. Ainsi, dans un premier temps, il était logique que la question à trancher consiste à déterminer si les fonctionnaires avaient le droit d’être pris en compte pour travailler des heures supplémentaires, à supposer que ceux-ci étaient disponibles et qualifiés.

Faits

4 La preuve, dont la majeure partie n’a pas été contestée, a été présentée par deux des fonctionnaires, soit Travis Lahnalampi, qui était également un vice­président du syndicat local en 2007; Bruce Flannigan, qui était également président du syndicat local en 2007; ainsi que Line Lacombe Laurin, directrice principale du centre d’appel national de Service Canada à l’époque.

5 En 2007, 15 centres d’appels au Canada avaient la responsabilité de répondre aux demandes d’aide du public relativement au programme d’AE, au Régime de pensions du Canada et au Programme canadien de prêts aux étudiants. (Tous les centres d’appels n’offraient pas des services pour ces trois programmes.) À l’époque, le réseau de centres d’appels comptait environ 1 200 agents. Les membres du public qui avaient des questions sur l’AE pouvaient composer l’un des deux numéros sans frais pour parler à un agent et recevoir des services dans la langue officielle de leur choix. Les centres étaient ouverts du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 16 h 30 (exception faite de la Colombie­Britannique, où les heures d’ouverture étaient de 8 h à 16 h). Certains centres d’appels étaient unilingues, d’autres bilingues.

6 En 2006 (ou peut­être avant), des problèmes en ce qui concerne le déroulement du travail ont été relevés dans le réseau de centres d’appels : le nombre d’appels concernant le programme d’AE était beaucoup plus élevé le lundi et le vendredi étant donné que les prestataires d’AE devaient soumettre leurs demandes de prestations hebdomadaires le vendredi ou le samedi. L’équipe de gestion a donc décidé de mettre sur pied un projet pilote, de janvier à juin 2007. Dans le cadre de ce projet pilote, quelques centres d’appels étaient ouverts le samedi pour évaluer si cette mesure permettrait de répartir la charge de travail et d’améliorer les services au public. Il a été décidé que les centres d’appels de Sudbury, en Ontario, et de Montréal, au Québec, participeraient au projet pilote. Les employés travaillant le samedi étaient considérés comme effectuant des heures supplémentaires, et ils étaient rémunérés au taux de salaire majoré. Le projet pilote a été lancé le samedi 20 janvier 2007.

7 MM. Lahnalampi et Flannigan ont affirmé qu’ils avaient appris l’existence du projet pilote en communiquant avec des collègues du centre d’appels de Sudbury, à la fin du mois de janvier 2007. Ils ont rapidement soulevé la question auprès de la direction du centre d’appels de Toronto, lors d’une réunion du comité local consultatif patronal-syndical tenue le 2 février 2007. Ils souhaitaient savoir pourquoi les employés de Toronto n’avaient pas eu l’occasion de travailler des heures supplémentaires le samedi. D’après le procès­verbal de la réunion, la direction a indiqué qu’il en aurait coûté 800 $ pour ouvrir l’immeuble de Toronto le samedi, ce à quoi les représentants de l’agent négociateur ont répondu que le coût n’était pas un facteur pertinent dans la distribution des heures supplémentaires. L’équipe locale de direction n’a fourni aucune autre raison pour justifier la décision.

8 MM. Lahnalampi et Flannigan ont également affirmé que la direction contrôlait la distribution des appels effectués aux numéros sans frais et qu’elle les redirigeait vers les agents disponibles, où qu’ils soient au Canada.

9 Dans son témoignage, Mme Lacombe Laurin a reconnu que la technologie employée aurait permis d’aiguiller les appels vers n’importe quel centre d’appels du réseau. Elle a expliqué pourquoi la direction avait choisi les centres de Sudbury et de Montréal plutôt que celui de Toronto.

10 Premièrement, les centres d’appels de Sudbury et de Montréal offraient des services bilingues, tandis que celui de Toronto ne les offrait qu’en anglais. Seuls les agents bilingues s’étaient vu offrir l’occasion de travailler le samedi dans le cadre du projet pilote. Mme Lacombe Laurin a reconnu qu’il était possible que certains agents du centre d’appels de Toronto soient bilingues, elle doutait toutefois qu’ils soient qualifiés pour fournir des services dans les deux langues.

11 Deuxièmement, la direction a examiné les dispositions en matière de sécurité pour les différents centres d’appels. Pour accéder au centre d’appels de Toronto en dehors des heures normales de bureau, les employés devaient appeler un gestionnaire afin que celui autorise l’accès à l’immeuble, tandis qu’à Sudbury et à Montréal, un garde de sécurité sur place pouvait faire entrer les employés.

12 Troisièmement, le coût associé à l’ouverture du bureau de Toronto le samedi aurait été élevé, soit 800 $ par heure. Ce chiffre s’explique par le fait que le centre d’appels est situé dans un grand immeuble, et qu’il est impossible d’activer la ventilation, le chauffage et l’éclairage uniquement dans le secteur où se trouve le centre d’appels. Mme Lacombe Laurin n’a pas précisé ce qu’il en avait coûté d’ouvrir les centres d’appels de Sudbury et de Montréal le samedi, mais elle a soutenu que l’ouverture du centre de Toronto aurait coûté plus cher.

13 Quatrièmement, conformément aux pratiques de l’employeur, au moins 10 agents devaient être sur place en même temps dans un centre d’appels, puisqu’un superviseur et un conseiller en assurance de la qualité devaient être présents pour gérer la réception des appels. En outre, des dispositions devaient être prises pour permettre un accès sécuritaire. Il était donc peu pratique de demander à de petits groupes d’employés de travailler dans plusieurs centres d’appels.

14 Mme Lacombe Laurin a affirmé que, puisque les premiers résultats affichés par les centres d’appels de Sudbury et de Montréal étaient très encourageants, il a été décidé d’ouvrir le projet pilote à d’autres centres d’appels le samedi. Au départ, les centres de St. John’s, à Terre­Neuve, et de Vancouver, en Colombie­Britannique, ont été ouverts, puis se sont ajoutés ceux de Shawinigan, au Québec, de Winnipeg, au Manitoba, et d’Edmonton, en Alberta. Le 31 mars 2007, le centre d’appels de Toronto a été ajouté afin d’augmenter les services offerts en anglais le samedi.

15 Mme Lacombe Laurin a affirmé qu’au terme du projet pilote, en juin 2007, il a été déterminé que l’ouverture des bureaux le samedi améliorait considérablement le service. Il a donc été décidé que tous les centres d’appels de l’AE seraient ouverts le samedi, de façon permanente. Puisque l’employeur a intégré le samedi à l’horaire régulier des employés, le travail effectué les samedis n’entraîne plus de rémunération au taux de salaire majoré.

16 D’après les données fournies par l’employeur, les employés du centre d’appels de l’AE de Toronto n’avaient travaillé que très peu d’heures supplémentaires avant mars 2007. En mars 2007, 227,75 heures supplémentaires ont été travaillées le samedi. Pour l’exercice se terminant le 31 mars 2007, 417,25 heures supplémentaires ont été travaillées le samedi. En comparaison, les employés des centres d’appels de l’AE de Sudbury et de Montréal avaient quant à eux travaillé respectivement 1 640,5 et 1 339 heures supplémentaires le samedi au cours de l’exercice.

Dispositions législatives pertinentes

17 Les dispositions ci­après ont été invoquées :

[Articles 6 et 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), (la « LRTFP ») :]

6. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor conféré par l’alinéa 7(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[Alinéa 7(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques, (L.R.C. (1985), ch. F-11) (la « LGFP ») :]

7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

[…]

b) l’organisation de l’administration publique fédérale ou de tel de ses secteurs ainsi que la détermination et le contrôle des établissements qui en font partie.

Argumentation des parties

18 Le représentant des fonctionnaires a souligné que conformément à la clause 28.05a) de la convention collective, l’employeur était tenu de « s’efforce[r] autant que possible […] d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé­e­s qualifiés qui sont facilement disponibles ». Il a soutenu qu’aux fins de comparaison, il y avait lieu d’examiner l’exercice au complet, et qu’il ne devrait pas y avoir d’écart important entre les employés pour toute période de 28 jours ou pour l’exercice financier dans son ensemble. Bien qu’il ait été établi que l’obligation de l’employeur est [traduction] « [s]ous réserve des nécessités du service », l’arbitre de grief devait déterminer si les nécessités sur lesquelles s’appuyait l’employeur étaient raisonnables. Plus particulièrement, il n’était pas légitime ni raisonnable d’offrir le travail supplémentaire en fonction de facteurs liés au coût. Une distribution équitable n’est pas nécessairement synonyme de distribution égale. Il fallait comparer les données tant au sein de chaque unité de travail qu’entre les différentes unités de travail.

19 Selon le représentant des fonctionnaires, l’existence de nécessités du service qui auraient pu faire en sorte de dégager l’employeur de son obligation d’offrir le travail supplémentaire aux fonctionnaires n’a pas été démontrée. L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant le coût associé à l’ouverture des centres d’appels de Montréal et de Sudbury le samedi. Aucun motif valable ne permettait de justifier la décision de ne pas transférer d’appels en anglais au centre de Toronto durant la première phase du projet pilote, comme ce fut le cas à partir du 31 mars. La preuve fournie par l’employeur ne faisait état que d’une préférence, non d’une nécessité légitime du service, pour ce qui était de faire appel aux employés de Sudbury et de Montréal au début du projet. Les données indiquent que pour l’exercice se terminant le 31 mars 2007, les employés de Toronto accusaient un important retard en ce qui concerne les heures supplémentaires travaillées le samedi par rapport aux employés de Sudbury et de Montréal.

20 L’arbitre de grief devrait donc établir que les fonctionnaires avaient le droit de se voir offrir des heures supplémentaires dans le cadre du projet pilote en janvier, février et mars 2007.

21 En réponse à une question de l’arbitre de grief, le représentant des fonctionnaires a soutenu que, bien que la plupart des griefs aient été présentés les 22 et 23 février 2007, ils renvoient tous à des occasions manquées de travailler des heures supplémentaires en janvier, février et mars 2007. Premièrement, tous les fonctionnaires ont allégué, dans leur grief, que [traduction] « […] l’employeur aurait dû offrir à tous les employés des centres d’appels de l’assurance­emploi la possibilité de travailler des heures supplémentaires le samedi à compter du 20 janvier 2007 », ce qui comprend les occasions de travailler des heures supplémentaires tant avant qu’après la présentation des griefs. Deuxièmement, le représentant des fonctionnaires a soutenu que les griefs découlaient tous d’une même décision de l’employeur, soit celle de ne pas ouvrir le bureau de Toronto dans le cadre du projet pilote.

22 En réponse à une autre question de l’arbitre de grief, le représentant des fonctionnaires a allégué que la comparaison appropriée devrait être entre les fonctionnaires, d’une part, et les employés des bureaux de Montréal et de Sudbury, d’autre part. Il faut donc présumer que les employés qui n’ont pas présenté de grief, qu’ils travaillent au centre d’appels de Toronto ou ailleurs, n’ont pas de problème avec la façon dont les heures supplémentaires ont été distribuées, et il convient donc de ne pas les prendre en compte dans les comparaisons.

23 Dans ses arguments, le représentant des fonctionnaires m’a renvoyé à : Boujikian c. le Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27738 (19980615), Zelisko et Audia c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2003 CRTFP 67, Bunyan et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 85, Foote c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 142, Weeks c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 132, Mungham c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 106, et McCallum c. Agence du revenu du Canada, 2011 CRTFP 73.

24 L’avocate de l’employeur a indiqué que l’employeur possédait le droit exclusif d’organiser le milieu de travail. Ce droit est inscrit dans la législation, plus précisément aux articles 6 et 7 de la LRTFP et à l’article 7 de la LGFP. L’un des aspects de l’organisation du travail consiste à déterminer les heures d’ouverture des bureaux. En l’espèce, l’employeur a déterminé que les centres d’appels de Sudbury et de Montréal, mais pas celui de Toronto, seraient ouverts le samedi. Les heures supplémentaires visées par les griefs étaient le résultat direct de ce changement d’horaire. L’avocate a soutenu que la décision d’offrir des heures supplémentaires uniquement aux employés de Sudbury et de Montréal n’avait pas à être examinée par un arbitre de grief, pas plus que la décision d’ouvrir uniquement ces deux centres d’appels.

25 Selon l’avocate de l’employeur, il faut évaluer le caractère équitable de la distribution des possibilités d’heures supplémentaires sur une période raisonnable, idéalement un exercice financier complet, et la comparaison doit s’effectuer entre les employés dont la situation est similaire. Il incombe aux fonctionnaires de démontrer que la distribution n’était pas équitable.

26 L’avocate de l’employeur a soutenu que le concept de « nécessités du service », auquel la distribution des heures supplémentaires est assujettie, établit implicitement que les comparaisons entre employés doivent s’effectuer de façon distincte dans chacun des milieux de travail. Avant la présente affaire, il n’avait jamais été question que l’employeur doive comparer les heures supplémentaires offertes à tous les employés qualifiés travaillant à différents endroits au pays, voire dans différents ministères, ce que semblent demander les fonctionnaires. Il serait absurde d’imposer à l’employeur l’obligation de réaliser des comparaisons aussi laborieuses et à une aussi grande échelle avant d’offrir des heures supplémentaires. Il était implicite, dans Bunyan et al., citée par le représentant des fonctionnaires, que le caractère équitable de l’attribution des heures supplémentaires devait être évalué à l’échelle de chaque unité de travail.Chaque milieu de travail comporte ses propres exigences opérationnelles. En l’espèce, il était justifié pour l’employeur de limiter les occasions de travail supplémentaire aux centres d’appels de Sudbury et de Montréal, compte tenu de facteurs comme la nécessité d’offrir des services bilingues, la structure financière des différents centres d’appels, les fuseaux horaires et les dispositions en matière de sécurité.

27 Dans ses arguments, l’avocate de l’employeur m’a renvoyé à Canada (Procureur général) c. Bucholtz, 2011 CF 1259, Canada (Procureur général) c. McManaman, 2013 CF 1064, Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, Jenks et al. c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 27, et Weeks.

Motifs

28 La question que je dois trancher consiste à déterminer, en présumant que les fonctionnaires étaient disponibles et qualifiés pour travailler au projet pilote du 20 janvier au 24 mars 2007, s’ils avaient le droit de se voir offrir des heures supplémentaires en vertu de la clause 28.05a) de la convention collective.

29 La plupart des arguments présentés portent sur la relation entre le milieu de travail des fonctionnaires, à Toronto, et les centres d’appels de Sudbury et de Montréal. Les fonctionnaires ont fait valoir que le coût élevé rattaché à l’ouverture du centre d’appels de Toronto ne pouvait pas constituer une raison valable de refuser aux employés la possibilité de travailler des heures supplémentaires, étant donné que la jurisprudence a clairement établi que l’employeur ne pouvait pas tenir compte des coûts liés aux heures supplémentaires lorsqu’il s’agit de déterminer à quels employés le travail supplémentaire sera offert. Les fonctionnaires ont également fait valoir que grâce à la technologie utilisée par l’employeur, les appels entrants pouvaient facilement être transférés à tout agent de centre d’appels, peu importe où cet agent se situe au sein du réseau. L’employeur a répondu qu’il serait absurde de conclure, dans les circonstances, qu’un employé travaillant ailleurs qu’à Sudbury ou Montréal avait quelque droit que ce soit de travailler au projet pilote, ou qu’il pouvait s’y attendre d’une quelconque façon. Selon l’employeur, l’arbitre de grief peut éviter ce résultat absurde de deux façons : soit en concluant que les « nécessités du service » mentionnées à la clause 28.05a) de la convention collective empêchaient l’employeur d’offrir le travail supplémentaire ailleurs qu’à Montréal et Sudbury; soit en jugeant que la façon dont l’employeur désignait les employés à qui offrir de travailler des heures supplémentaires découlait, et y était inextricablement liée, de la façon dont il décidait quels centres d’appels seraient ouverts les samedis, une décision conforme aux droits de gestion confirmés dans la législation.

30 Je ne suis pas convaincu que les nécessités du service faisaient en sorte que l’employeur devait faire exécuter le travail à Sudbury et à Montréal, mais pas à Toronto. Je suis porté à être d’accord avec les fonctionnaires sur le fait que l’employeur avait une préférence pour les centres de Sudbury et de Montréal, et qu’il ne s’agissait pas d’une nécessité du service. Je ne remets cependant pas en doute la bonne foi de l’employeur : sa préférence à l’égard des centres de Sudbury et de Montréal n’avait rien d’arbitraire, compte tenu notamment de la capacité de l’effectif d’offrir des services bilingues, des coûts moindres associés à l’ouverture des centres le samedi et des dispositions de sécurité en place. Cette décision était indiscutablement justifiée sur le plan des affaires; toutefois, tous ces facteurs ne font pas de cette préférence une nécessité du service.

31 Néanmoins, selon moi, les articles 6 et 7 de la LRTFP m’empêchent effectivement de conclure que les fonctionnaires avaient le droit d’exiger de travailler au projet pilote, mais pas exactement pour les raisons avancées par l’avocate de l’employeur. À cet égard, je dois souligner que, bien qu’un arbitre de grief ne puisse obliger un employeur à exercer ses pouvoirs confirmés ni remettre en question l’exercice de ces pouvoirs, je suis convaincu que le travail supplémentaire découlant de l’exercice de ces pouvoirs est entièrement assujetti aux dispositions de la convention collective.

32 Cependant, les articles 6 et 7 de la LRTFP demeurent pertinents parce que la clause 28.05a) de la convention collective octroie aux employés qui sont « facilement disponibles », et uniquement à ces employés, le droit de se voir offrir des heures supplémentaires. Je suppose, aux fins de la présente décision concernant la question préliminaire, que les fonctionnaires étaient « disponibles » pour travailler les samedis visés, en ce sens que s’ils s’étaient vu offrir la possibilité de travailler des heures supplémentaires au centre d’appels de Toronto, ils auraient accepté. Toutefois, il faut également tenir compte du sens du mot « facilement » – voir International Woodworkers of America, Local 2-1000 c. G.W. Martin Lumber Ltd. (1972), 24 L.A.C. 352, dans laquelle l’arbitre de grief a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Il est reconnu que, dans l’interprétation d’un document, il faut donner un sens à chaque mot et qu’un mot ne doit pas être ignoré si un sens raisonnable peut lui être donné. Il a en outre été établi, à titre de bonne règle générale, que toute personne qui interprète un document juridique, qu’il soit public ou privé, ne doit pas être portée à attribuer à son libellé un caractère tautologique ou superflu, sans que ce soit nécessaire ou justifié.[…]

[…]

33 L’employeur avait décidé de ne pas ouvrir le centre d’appels de Toronto les samedis en question. Puisque cette décision s’inscrit dans les pouvoirs exclusifs et prévus de l’employeur en vertu des articles 6 et 7 de la LRTFP, je n’ai pas le pouvoir de déclarer que l’employeur aurait dû ouvrir ce bureau pour les fonctionnaires ni de remettre en question sa décision de ne pas le faire. Il n’y avait donc aucun bureau ouvert à Toronto dans lequel les fonctionnaires auraient pu travailler les jours visés. Selon moi, dans ce contexte, les mots « facilement disponibles » ne signifient pas simplement que les employés doivent être disponibles pour accomplir le travail demandé, mais également qu’il ne doit y avoir pratiquement rien, voire rien du tout, qui les empêche de réaliser le travail conformément aux exigences de l’employeur, advenant que le travail leur ait été attribué. Cette notion est, je crois, implicite dans la version française de la clause 28.05a) de la convention collective, qui utilise les termes « facilement disponibles » comme équivalent de « readily available » dans la version anglaise. Elle est également implicite, notamment, dans Kirkland and District Hospital v. Service Employees International Union, Local 204, [2004] O.L.A.A. no 71 (QL), dans laquelle la convention collective permettait à l’employeur de demander à un gestionnaire de conduire une ambulance si les employés réguliers n’étaient pas « facilement disponibles ». Voici ce que l’arbitre de grief a dit lorsqu’il a rejeté le grief :

[Traduction]

[…] De même, il faut considérer que la locution « facilement disponibles » doit être interprétée comme voulant dire […] « avoir à sa portée ». Autrement dit, si un employé régulier n’est pas à la centrale d’ambulance, il n’est pas facilement disponible pour exercer les fonctions qui lui sont normalement assignées. Il est inconcevable que les parties aient eu l’intention, au moyen de l’article 13.01, de créer une situation où une personne en état d’urgence serait obligée d’attendre qu’un membre de l’unité de négociation aille chercher une ambulance à la centrale, alors que le gestionnaire est déjà sur place avec les clefs de l’ambulance en main. […]

34 Étant donné qu’il n’y avait aucun lieu de travail pour les fonctionnaires à Toronto les jours en question, il m’est impossible de conclure que les fonctionnaires étaient « facilement disponibles » pour accomplir le travail. Ils auraient été « facilement disponibles », et auraient donc eu le droit de se voir offrir des heures supplémentaires, seulement si, à tout le moins, ils avaient eu accès à un endroit où ils pouvaient accomplir le travail. La clause 28.05a) de la convention collective ne peut pas être interprétée d’une façon qui aurait obligé l’employeur à ouvrir le centre d’appels de Toronto, puisque la décision d’ouvrir un bureau s’inscrit dans les pouvoirs exclusifs de l’employeur. Même si la clause 28.05a) leur avait octroyé le droit de se rendre aux centres d’appels de Montréal ou de Sudbury et d’y exécuter le travail (ce dont je doute), ils auraient eu à voyager pour se rendre à leur lieu de travail, ce qui en soi indique qu’ils n’étaient pas facilement disponibles pour accomplir le travail.

35 Il va donc de soi que les seuls employés qui étaient « facilement disponibles » pour effectuer le travail supplémentaire le samedi avant le 31 mars 2007 étaient ceux qui avaient un endroit où travailler, à savoir les employés des centres d’appels de Sudbury et de Montréal. Puisqu’ils ne faisaient pas partie de ce groupe d’employés, les fonctionnaires n’avaient pas le droit de se voir offrir les occasions de travail supplémentaire.

36 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

37 Les griefs sont rejetés.

Le 21 février 2014.

Traduction de la CRTFP

Michael Bendel,
arbitre de grief




Annexe                                                           (TRADUCTION DE LA CRTFP)

Dossiers de la CRTFP              Fonctionnaires s’estimant lésés

566-02-2013                           Lahnalampi, Travis

566-02-2014                           Marinucci, Gilda

566-02-2015                           McCarthy, Bev

566-02-2016                           Morden, Amber

566-02-2017                           Myint-Swe, Joycelyn

566-02-2019                           Raikundalia, Jay

566-02-2020                           Ray, Elizabeth

566-02-2021                           Reid, Cleopatra

566-02-2022                           Russell, Craig

566-02-2023                           Sahota, Harminder

566-02-2024                           Sciacca, Antonella

566-02-2025                           Shin, Brian

566-02-2026                           Stanley, Scott

566-02-2027                           Syropiatko, Beata

566-02-2028                           Visco, Mary

566-02-2029                           Walters, Suzanne

566-02-2030                           Watters, Tracey

566-02-2031                           Ali, Sharon

566-02-2032                           Awuku, Enid

566-02-2033                           Beeston, Latricia

566-02-2034                           Budgell, Barbara

566-02-2035                           Canale-Parola, Gennaro

566-02-2036                           Cooper, Kathy

566-02-2037                           Court, Amabel

566-02-2038                           Descotes, Roger

566-02-2039                           Fairclough, Omar

566-02-2040                           Flannigan, Bruce

566-02-2041                           Gagnon-Fitzgerald, Megan

566-02-2042                           Graham, Robert

566-02-2043                           Hercules, Simone

566-02-2044                           Jeganathan, Julian

566-02-2045                           Johnson, Diane

566-02-2046                           Jones, David

566-02-2047                           James, Clint

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