Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a été suspendu - il a ensuite demandé une prorogation du délai pour déposer un grief contestant la suspension - il a ultérieurement été mis fin à son emploi, notamment en raison d’un problème disciplinaire ayant entraîné la suspension - dans sa demande de prorogation du délai, le demandeur a allégué que le représentant syndical l’avait poussé à admettre quelque chose qu’il n’avait pas fait et qu’il y avait eu une entente entre le représentant des employés et l’employeur concernant la suspension - il a également allégué que ce représentant lui avait dit que, s’il déposait un grief, il serait congédié - en accordant la demande, l’arbitre de grief a déclaré qu’il ne pouvait pas, à la lumière de la preuve produite, conclure que l’on avait poussé le demandeur à admettre quelque chose qu’il n’avait pas fait et que, de toute façon, il s’agissait d’une question se rapportant au fond du grief - la preuve n’a pas démontré qu’une entente avait été conclue entre l’employeur et le représentant à l’époque ou que le représentant syndical avait dit au demandeur qu’il serait congédié s’il déposait un grief - quoi qu’il en soit, il était important de tenir compte de l’état d’esprit du demandeur, ainsi que de la façon dont son représentant a adressé ses préoccupations quant à la procédure de règlement de griefs - il a bel et bien été démontré en preuve que le demandeur croyait qu’il serait congédié s’il présentait un grief - le représentant n’a pas tenté de dissiper la confusion du demandeur et ne lui a pas fourni de renseignements lui permettant de prendre une décision éclairée au sujet des recours - les lacunes relevées quant à la représentation ainsi que l’inadvertance peuvent être des motifs justifiant une prorogation de délai - compte tenu de la mesure disciplinaire prise et du licenciement subséquent, l’un des principaux facteurs dont il a été tenu compte pour trancher cette demande a été l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice subi par l’employeur. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-02-20
  • Dossier:  568-02-243
  • Référence:  2014 CRTFP 19

Devant le président de la Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

TEVIN APENTENG

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE CANADA

intervenant

Répertorié
Apenteng c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant une demande de prorogation d’un délai visé à l’alinéa 61 b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


Devant:
David Olsen, président par intérim
Pour le demandeur:
Lui-même
Pour le défendeur:
Léa Bou Karam, avocat
Pour l’intervenant:
Martin Ranger, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario) le 24 septembre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant le président

1 Le 26 octobre 2011, le demandeur, M. Tevin Apenteng, a demandé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») de prolonger le délai qui lui était imparti pour déposer un grief contestant une suspension de 30 jours qui lui a été imposée le 2 juin 2011. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC »), l’employeur du demandeur, lui a imposé une suspension parce qu’il avait modifié une attestation médicale liée à l’état de santé de sa conjointe. Le demandeur a présenté cette attestation à son employeur aux fins d’un congé pour obligations familiales.

2 Le demandeur a allégué que l’agent des relations de travail de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut » ou l’« agent négociateur ») l’avait privé de son droit de contester une sanction pécuniaire injuste et inéquitable. Il a allégué que l’agent des relations de travail avait fait des pressions à son égard pour lui faire admettre quelque chose qu’il n’avait pas fait. Il a également soutenu que l’agent des relations de travail lui avait dit que s’il contestait la suspension de 30 jours, il serait congédié par la direction. Il a allégué que l’agent des relations de travail l’avait privé de son droit de recours en concluant une entente visant à refuser de l’appuyer et de signer tout grief qu’il pourrait présenter concernant sa suspension de 30 jours.

3 L’employeur a déclaré qu’aux termes de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et le groupe Systèmes d’ordinateurs de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, laquelle expirait le 21 décembre 2010 (la « convention collective »), un fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure au plus tard le 25e jour suivant la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

4 L’employeur a aussi déclaré qu’on avait remis à M. Apenteng une lettre disciplinaire dans laquelle il avait été informé de son droit de déposer un grief. On a mentionné l’allégation de M. Apenteng selon laquelle, le 9 août 2010, ce dernier a pris connaissance d’une décision de la Commission qui n’appuyait pas sa suspension de 30 jours. Toutefois, M. Apenteng n’a pas présenté de demande de prorogation du délai pour déposer un grief, pas plus qu’il n’a fourni de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant la prorogation du délai.

5 L’employeur a affirmé que les délais prescrits doivent être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Il a également fait valoir que les documents justificatifs comprenant les détails fournis par M. Apenteng relativement à la situation qui s’était produite entre lui-même et le représentant de son agent négociateur faisaient ressortir l’existence d’une discorde avec l’agent négociateur. L’employeur a fait valoir que l’ASFC n’avait aucun contrôle et n’était pas responsable de cette discorde. Par conséquent, l’employeur s’est opposé à l’octroi d’une prorogation du délai pour déposer un grief.

6 Le 16 août 2013, l’Institut a présenté une demande de statut d’intervenant à la Commission en vertu de l’article 14 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 (le « Règlement »). L’Institut a fait valoir qu’il avait un intérêt substantiel dans l’affaire en instance et qu’on devrait lui permettre d’intervenir afin de présenter des éléments de preuve et des arguments, selon le cas. L’employeur ne s’est pas prononcé au sujet de la demande de statut d’intervenant, et le demandeur ne s’y est pas opposé. Le 26 août 2013, la Commission a accédé à la demande d’obtention du statut d’intervenant de l’Institut.

7 Une audience concernant la demande de prorogation du délai a eu lieu le 24 septembre 2013.

II. Résumé de la preuve

A. Témoignage de M. Apenteng

8 Dans son témoignage, M. Apenteng a déclaré qu’il était un employé du groupe Systèmes d’ordinateurs, classifié au groupe et niveau CS-02, à l’ASFC. Il occupait cet emploi depuis avril 2002. Il a déclaré avoir pris un congé pour obligations familiales en avril 2011. Dans un courriel envoyé à son chef de projet, il a indiqué qu’il ne pourrait se présenter au travail pour cause de maladie dans la famille. Il a reçu un courriel de son directeur lui indiquant que, à son retour au travail, il serait tenu de produire une attestation médicale conformément aux dispositions de la convention collective. Lorsqu’il est retourné au travail, il a produit une attestation médicale concernant le traitement que recevait son épouse.

9 Ultérieurement, son directeur général l’a informé que l’attestation médicale était frauduleuse. M. Apenteng a été convoqué à une rencontre pour répondre à des questions à ce sujet. Il était accompagné de M. Robert Manny, un agent des relations de travail de l’Institut.

10 Après la rencontre, il s’est écoulé une ou deux semaines avant qu’il sache si des mesures disciplinaires seraient prises à son endroit. M. Manny lui a dit qu’il ne serait pas congédié, mais qu’il serait suspendu pour une période qui n’avait pas encore été déterminée. M. Apenteng a déclaré que M. Manny lui avait dit que s’il était suspendu, il ne devrait pas présenter de grief.

11 M. Apenteng s’est vu imposer une suspension de 30 jours pour avoir produit une attestation médicale frauduleuse. Il a précisé que, avant cet incident, son dossier disciplinaire était sans tache. On lui a dit que, comme il avait un dossier vierge, il n’écoperait que d’une suspension de 30 jours.

12 À l’issue de la rencontre où il a appris qu’il était suspendu pour 30 jours, M. Apenteng a déclaré à M. Manny que la mesure disciplinaire était sévère et injuste. Dans son témoignage, M. Apenteng a mentionné que M. Manny lui avait demandé d’attendre alors qu’il allait parler à M. Pierre Ferland, le directeur général, pour voir s’il pourrait obtenir une diminution de la sanction. Il a attendu pendant environ 15 minutes, puis M. Manny est revenu. Il a déclaré que M. Manny lui avait alors dit que M. Ferland avait indiqué qu’il n’était pas disposé à réduire la suspension de 30 jours et que s’il présentait un grief relativement à la suspension, il serait congédié. Il a également déclaré que M. Manny lui avait conseillé de simplement purger la suspension et de ne pas déposer de grief.

13 M. Apenteng a déclaré ne pas avoir apprécié ce conseil. Il a discuté âprement avec M. Manny au sujet du dépôt du grief. Il s’est senti menacé, comme s’il se trouvait entre l’arbre et l’écorce. Il a purgé sa suspension de 30 jours. À son retour au travail, il a commencé à parler à d’autres délégués syndicaux, qui lui ont dit qu’il avait le droit de déposer un grief.

14 M. Apenteng a déclaré avoir reçu, le 9 juin 2011, un courriel de Robert Manny. Le courriel se lisait comme suit :

[Traduction]


Conformément à notre entente d’hier, conclue en présence de Marc St-Amour, vous avez accepté de purger la suspension et de ne pas contester l’affaire. Je crois que c’est la meilleure chose que nous puissions faire et je vous encourage à accepter. Veuillez envoyer votre acceptation par retour de courriel. Merci et bonne chance.

15 M. Apenteng a déclaré ne pas avoir répondu. Le 15 juin 2011, il a reçu un courriel de M. Manny qui disait : [traduction] « J’ai besoin d’une réponse le plus vite possible, sinon je répondrai à l’employeur que nous n’avons pas d’entente. »

16 Peu après, le même jour, M. Apenteng a répondu à M. Manny par courriel, en indiquant ce qui suit :

[Traduction]

J’ai bien examiné la lettre de décision de Pierre Ferland, et il n’est dit nulle part qu’il me faut renoncer à mon droit d’en appeler de sa décision pour que ma suspension prenne effet, ni n’est-il fait mention de conditions à cet égard. En fait, la lettre mentionne plutôt que j’ai le droit d’en appeler de sa décision. Par conséquent, je ne renonce pas à mon droit d’appel, comme M. Ferland l’a indiqué dans sa lettre me signifiant ma suspension pour 30 jours ouvrables.

[…]

17 M. Apenteng a déclaré avoir reçu, peu de temps après cela, un courriel de M. Manny lui disant : [traduction] « Nous devons parler. »

18 Il semble que les deux hommes aient eu un entretien par la suite. M. Apenteng a déclaré que la discussion avait été une répétition de ce que M. Manny avait mis dans le courriel, à savoir qu’il ne devrait pas contester la suspension sous peine d’être congédié.

19 M. Apenteng a purgé sa suspension du 27 juin au 1er août 2011. Le 26 octobre 2011, il a écrit à la Commission pour demander une prorogation du délai pour déposer un grief.

20 Le 22 novembre 2011, M. Apenteng a été informé du fait qu’il faisait l’objet d’une enquête pour inconduite et qu’il serait suspendu sans traitement jusqu’en juillet 2012, date à laquelle il a été licencié.

21 M. Apenteng a conclu que la déclaration de l’employeur selon laquelle il serait congédié s’il sollicitait une prorogation du délai pour déposer un grief contestant sa suspension avait été faite sérieusement.

22 En contre-interrogatoire, on a demandé au demandeur s’il avait manifesté quelque remords lors de l’audience disciplinaire avec Pierre Ferland. M. Apenteng a déclaré que son épouse avait consulté le médecin, tel qu’il était indiqué dans l’attestation, et qu’il s’était occupé des enfants de la famille pendant le rendez-vous de son épouse. Il n’a pas menti sur le fait que son épouse était allée chez le médecin. Cependant, les dates de ses visites chez le médecin ont été changées. Son épouse lui avait fourni une attestation médicale aux fins d’un congé pour obligations familiales. Il a déclaré que, à la suite de pressions de la part de son superviseur, il a présenté l’attestation médicale avec les dates modifiées, même si, selon lui, une telle attestation médicale n’était pas requise aux termes de la convention collective. Il a déclaré avoir montré à M. Ferland l’original de l’attestation médicale lors de la rencontre.

23 M. Apenteng a reconnu que M. Ferland lui avait montré une lettre du médecin de son épouse dans laquelle il était demandé de ne pas tenir compte de l’attestation médicale qui avait été produite à l’employeur. La lettre se lisait ainsi :

[Traduction]

En ce qui concerne la lettre datée du 29 avril 2011 que Mme Apenteng vous a présentée, nos dossiers n’indiquent pas que cette lettre a été créée par notre cabinet. Le Dr David Lindsay n’a pas traité cette patiente au cours de la période du 17 au 29 avril 2011.

Veuillez ne pas tenir compte de la lettre, car nos bureaux ne sont pas responsables de ce document.

24 Il a reçu une lettre datée du 2 juin 2011, de M. Pierre Ferland, dans laquelle il était indiqué qu’il faisait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir produit une attestation médicale frauduleuse et que, par conséquent, il se voyait imposer une suspension sans traitement de 30 jours, qu’il lui fallait purger du 27 juin au 5 août. Il a reconnu qu’il était précisé dans la lettre qu’il pouvait présenter un grief pour contester cette décision dans les 25 jours suivant la date de réception de la lettre.

25 Lorsqu’il a dit à M. Manny qu’il voulait présenter un grief, ce dernier lui a dit de ne pas le faire. On a laissé entendre à M. Apenteng que M. Manny lui avait mentionné qu’il avait de la chance de n’avoir écopé que d’une suspension de 30 jours, alors qu’il aurait pu être congédié. M. Apenteng n’était pas d’accord et a répété que M. Manny lui avait dit que s’il contestait sa suspension, il serait congédié. Selon M. Apenteng, il n’a jamais déclaré que M. Ferland lui avait dit que s’il déposait un grief, il serait congédié. Il a précisé que c’était M. Manny qui lui avait dit cela.

26 M. Apenteng a reconnu avoir reçu, le 17 juin 2011, un courriel de M. Manny indiquant : [traduction] « Un rappel pour vous dire que vous avez jusqu’au 7 juillet 2011 si vous voulez contester par grief votre suspension datée du 2 juin 2011. »

27 Il n’a pas déposé de grief. Il a expliqué que M. Manny lui avait dit qu’il ne présenterait pas de grief pour lui. M. Manny a déclaré que M. Apenteng pouvait présenter lui-même le grief. M. Apenteng a mentionné qu’il ne savait pas exactement comment procéder pour déposer un grief, qu’il purgeait alors sa suspension et que M. Manny l’avait laissé à son propre sort.

28 M. Apenteng a reconnu que M. Peter Taticek, délégué syndical de l’ASFC, l’avait aidé auparavant. Il a été avancé que M. Taticek aurait pu l’aider. M. Apenteng a répondu que c’est à M. Manny qu’il avait affaire et que M. Taticek n’était pas dans le portrait. Il a déclaré qu’il n’avait pas sollicité d’aide pour déposer lui-même un grief, car il n’avait pas accès à d’autres agents des relations de travail.

29 Il a déclaré que ce n’est qu’après avoir purgé sa suspension, obtenu des renseignements additionnels et trouvé le courage de déposer un grief qu’il a présenté, en octobre 2011, une demande à la Commission en vue d’obtenir une prorogation de délai. Il a indiqué qu’il n’avait pas déposé de grief avant la date limite du 7 juillet, car il se sentait menacé. Il ne pensait pas qu’il pouvait présenter lui-même un grief. Toutefois, après avoir mené sa propre enquête, il était suffisamment renseigné pour présenter la demande.

B. Témoignage de M. Robert Manny

30 M. Manny a travaillé à l’Institut comme agent des relations de travail de décembre 2009 à juin 2012. Auparavant, il a travaillé pour un autre syndicat de 1984 à 2009; pendant les dix dernières années de cette période, il était représentant national de cet autre syndicat.

31 Ses fonctions d’agent des relations de travail à l’Institut exigeaient qu’il rencontre des membres, assiste à des réunions et dépose des griefs. Son portefeuille comprenait les fonctionnaires d’Énergie atomique du Canada ltée, d’Environnement Canada, de l’ASFC et, pendant un temps, du ministère des Finances. Il était le seul représentant syndical pour ces ministères et organismes. Son rôle consistait entre autres à représenter des employés faisant face à des mesures disciplinaires ou traversant le processus de règlement des griefs.

32 Il a eu affaire pour la première fois au demandeur, dans le cadre d’un incident où une personne avait parlé avec dureté à M. Apenteng. C’était soit M. Apenteng soit son délégué syndical qui l’avait appelé.

33 Il a tout d’abord été mêlé à l’affaire en l’espèce lorsque le délégué syndical, M. St-Amour, ou la direction, l’ont appelé au sujet d’un événement qui s’était produit et qui mettait en cause M. Apenteng et une attestation médicale. Il a assisté à une rencontre avec M. St-Amour, M. Apenteng, M. Pierre Ferland et Diane Tierney, une agente des relations de travail. Lors de la rencontre, ils ont été informés des sérieuses préoccupations relatives à l’une des attestations médicales de M. Apenteng.

34 M. Manny a informé la direction qu’il n’avait pas, à ce moment-là, encore parlé à M. Apenteng car il n’avait pas eu le temps de le consulter. Il a assisté à une autre rencontre avec M. St-Amour. Cette rencontre portait sur la question de savoir si l’attestation médicale était frauduleuse ou pas. Il a déclaré que la direction aurait à prouver que cette attestation était fausse. Il a appelé les membres de la direction et leur a demandé de démontrer que l’attestation médicale était frauduleuse, et ce, avant de procéder à une entrevue disciplinaire.

35 On a montré à M. Manny une lettre de l’agent des relations de travail du cabinet du Dr Lindsay qui disait que le médecin n’avait pas traité la patiente au cours de la période du 17 au 29 avril 2011 et de ne pas tenir compte de l’attestation médicale datée du 29 avril 2011, car le cabinet n’était pas responsable de ce document.

36 M. Manny a convoqué une rencontre avec M. Apenteng et M. St-Amour. M. Manny a montré l’attestation médicale à M. Apenteng. Ce dernier a déclaré ne pas avoir rédigé l’attestation, mais a reconnu que son épouse l’avait écrite et qu’il l’avait produite à la direction. M. Manny a conseillé à M. Apenteng de dire la vérité.

37 Ils ont pris part à une réunion de recherche de faits avec M. Ferland. M. Apenteng a dit à M. Ferland ce qui était arrivé. Après quoi, ils ont attendu que la mesure disciplinaire soit prise. M. Manny a informé M. Apenteng que la situation pourrait être grave et mener à son congédiement. Il effectuait ce type de travail depuis longtemps et savait d’expérience que l’utilisation abusive de congés de maladie dans un milieu hospitalier pouvait entraîner des poursuites pour vol. À sa connaissance, la modification d’une attestation médicale ou la production d’une fausse attestation médicale était un motif de renvoi.

38 MM. Manny, St-Amour et Apenteng ont par la suite pris part à une réunion avec M. Ferland lors de laquelle ce dernier a imposé la suspension de 30 jours.

39 On a demandé à M. Manny si M. Apenteng avait fourni une explication lors de cette réunion. Il a déclaré que M. Apenteng avait dit qu’il n’avait pas modifié l’attestation, mais qu’il l’avait soumise à l’employeur. Il a également précisé qu’on avait demandé à M. Apenteng pourquoi il avait produit cette attestation, ce à quoi il avait répondu qu’il avait des difficultés financières et fait allusion à un défaut de paiement. M. Ferland a déclaré qu’il tiendrait compte de cela.

40 On lui a demandé si M. Apenteng avait manifesté des remords. M. Manny a déclaré qu’il ne pouvait dire si M. Apenteng regrettait de s’être livré à l’inconduite ou de s’être fait prendre. On lui a demandé si M. Apenteng avait avoué quelque chose. Il a déclaré que M. Apenteng avait produit l’attestation médicale originale non modifiée. L’avis de mesure disciplinaire a été remis à M. Manny et à M. Apenteng. M. Manny a remercié M. Ferland de sa compassion. Il a expliqué qu’il tenait des propos comparables à l’issue de toutes les rencontres avec la direction au sujet de griefs, car il n’y a aucune raison d’irriter les décideurs parce qu’ils font leur travail.

41 M. Manny a parlé à M. Apenteng après la réunion. M. Apenteng n’était pas content. M. Manny lui a dit qu’il devrait s’estimer soulagé de ne pas avoir été congédié. Ils ont eu une discussion au sujet du dépôt d’un grief. M. Apenteng s’est enquis de l’étape suivante. M. Manny a dit à M. Apenteng qu’il pouvait déposer un grief et que, s’il le faisait, ce grief serait examiné par les services juridiques du syndicat pour déterminer s’il y a lieu ou non de le renvoyer à l’arbitrage.

42 M. Manny a fourni des précisions quant au libellé du courriel du 9 juin 2011 qu’il avait envoyé au demandeur. Il a fait valoir que l’allusion à une entente entre M. Apenteng et lui-même signifiait simplement que le demandeur ne voulait pas poursuivre avec la présentation d’un grief, rien de plus. Selon M. Manny, la suspension de 30 jours était le meilleur résultat que le syndicat pouvait obtenir, peu importe qu’il dépose un grief ou décide d’aller en arbitrage.

43 On a demandé à M. Manny si, après avoir reçu l’avis de mesure disciplinaire et parlé à M. Apenteng, il était retourné voir la direction pour discuter de la sévérité de la sanction. Il a répondu qu’il ne se souvenait pas être retourné voir la direction pour avoir cette discussion et, en réinterrogatoire, il a précisé qu’il ne s’en souvenait pas parce qu’il n’était effectivement pas retourné voir la direction.

44 On lui a demandé si M. Apenteng avait de nouveau communiqué avec lui après avoir été informé qu’il avait jusqu’au 7 juillet 2011 pour contester sa suspension. Il a répondu que non.

45 Il a identifié son courriel, daté du 15 juin 2011, adressé à M. Apenteng, qui disait : [traduction] « J’ai besoin d’une réponse le plus vite possible, sinon je répondrai à l’employeur que nous n’avons pas d’entente ». Dans son témoignage, il a déclaré qu’il n’avait aucune idée de ce dont il s’agissait. Il a indiqué que l’employeur n’avait jamais évoqué la possibilité de modifier la suspension et a déclaré que l’employeur ne pouvait pas aggraver la sanction du fait qu’il avait déjà infligé la mesure disciplinaire. Il a déclaré qu’il n’y avait aucune menace de la part de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire plus sévère.

46 Il a déclaré que M. Apenteng ne lui avait jamais clairement signifié son intention de contester la suspension. Il se souvient que, lorsque M. Apenteng est retourné travailler après avoir purgé sa suspension, il était irrité de ne pas figurer dans l’effectif. C’était la dernière fois que M. Manny lui avait parlé avant le 19 décembre 2011, alors que le superviseur de M. Apenteng lui a téléphoné au sujet d’une rencontre disciplinaire à laquelle il souhaitait qu’il participe. M. Apenteng lui a dit qu’il ne voulait pas se présenter à cette rencontre et qu’il ne voulait certainement pas qu’il l’y accompagne.

47 M. Manny a déclaré avoir conseillé à M. Apenteng de se présenter à la rencontre et lui avoir dit que M. Pierre Ouellette avait offert de le représenter.

48 On lui a demandé si M. Apenteng aurait pu déposer lui-même le grief. Il a répondu que M. Apenteng aurait pu solliciter l’assistance d’un délégué syndical et qu’il n’aurait pu l’empêcher de le faire. Il a nié avoir privé M. Apenteng de son droit de déposer un grief ou fait des pressions pour lui faire avouer quelque chose qu’il n’avait pas fait. Il a nié avoir dit à M. Apenteng qu’il serait congédié s’il contestait la suspension de 30 jours. Selon lui, M. Apenteng confondait les choses. M. Manny lui a bel et bien dit que la production d’une attestation médicale frauduleuse était un motif de congédiement.

49 En réponse à une question visant à déterminer s’il avait incité M. Apenteng à ne pas présenter de grief, M. Manny a répondu que l’idée qu’un grief soit présenté ne l’enthousiasmait pas. Si M. Apenteng lui avait demandé de déposer un grief, il l’aurait fait.

50 Il a nié avoir dit à M. Apenteng que M. Ferland paraîtrait mal s’il contestait la suspension. Il a confirmé qu’aucune menace ne lui avait été faite concernant M. Apenteng et la poursuite de son emploi si ce dernier déposait un grief. Il a nié avoir conclu quelque entente que ce soit pour refuser de soutenir tout grief qui aurait pu être soumis relativement à la suspension de 30 jours, déclarant avoir été un homme de syndicat pendant toute sa carrière.

51 En réponse aux questions de M. Apenteng, M. Manny s’est souvenu que, immédiatement après la rencontre où la mesure disciplinaire a été imposée, M. Apenteng lui avait exprimé son mécontentement face au caractère excessif de la mesure disciplinaire. M. Manny a déclaré qu’il ne se souvenait pas être retourné voir M. Ferland au sujet d’une réduction de la suspension après avoir supposément dit à M. Apenteng que s’il contestait la suspension de 30 jours, il serait congédié.En réinterrogatoire, il a déclaré que la raison pour laquelle il ne s’en souvenait pas, c’est parce que cela ne s’était pas produit. M. Manny a reconnu ne pas avoir informé M. Apenteng qu’il pouvait déposer lui-même un grief. Il a déclaré que M. Apenteng ne lui avait pas demandé de conseils sur la façon de déposer un grief.

52 À la question de M. Apenteng concernant la convention collective et la question de savoir si un employé doit produire une attestation médicale pour obtenir un congé de maladie pour obligations familiales, il a déclaré que la majorité des conventions collectives prévoyaient une telle situation. Il a admis qu’il ne connaissait pas les dispositions pertinentes de la convention collective sur ces questions au moment de l’incident.

C. Témoignage de Pierre Ferland

53 M. Ferland est le directeur général de la Direction générale des solutions, de l’information, des sciences et de la technologie de l’ASFC. Il occupe ce poste depuis février 2010. Son groupe est responsable de la conception de logiciels pour l’Agence et de la gestion de quelque 400 employés, qui sont tous des informaticiens et des ingénieurs.

54 Il a déclaré avoir signé la lettre disciplinaire du 2 juin 2011 adressée à M. Apenteng, dans laquelle il imposait une suspension sans traitement de 30 jours pour la production d’une attestation médicale frauduleuse.

55 On lui a demandé s’il avait tenu compte de circonstances atténuantes lors de la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée. Il a déclaré avoir tenu compte des regrets exprimés par M. Apenteng quant à l’inconduite ainsi que de l’absence d’antécédents disciplinaires à son dossier. Il a aussi pris en considération des facteurs aggravants, en l’occurrence la gravité de l’incident, la nature de l’inconduite et le fait que la production d’un faux document constitue une infraction grave au gouvernement. Lors de la rencontre durant laquelle il a imposé une suspension de 30 jours, M. Apenteng n’a rien dit et M. Manny l’a remercié de sa compassion. M. Manny n’est pas retourné le voir après la rencontre pour discuter de la sévérité de la mesure disciplinaire. Ce n’est qu’avec le conseiller en relations de travail qu’il a eu une discussion au sujet de l’ampleur de la sanction. Il n’a pas parlé à M. Apenteng ni à M. St-Amour à ce sujet.

56 Il a reconnu que, lorsque M. Apenteng est retourné au travail, après sa suspension, l’Agence avait oublié de le remettre sur l’effectif. Il ne se souvenait pas s’il était lui-même intervenu directement. Néanmoins, la situation a été corrigée le plus rapidement possible. Il n’a pas eu d’entretien avec M. Manny, M. St-Amour ou M. Apenteng au sujet d’un grief.

57 Il a été interrogé au sujet de l’allégation de M. Apenteng selon laquelle M. Manny lui aurait dit que s’il contestait la suspension il serait congédié. Il a été questionné à savoir s’il avait déjà fait des menaces de cette nature. Il a répondu que l’employeur ne congédiait pas les gens au motif qu’ils déposaient un grief.

58 Il a reconnu que, pendant une entrevue disciplinaire, il ne discute pas du droit de présenter un grief. Il y a une mention écrite, dans l’avis de mesure disciplinaire, qui fait état de ce droit. Par ailleurs, c’est au représentant de l’employé qu’il incombe de renseigner ce dernier sur les recours disponibles.

59 M. Ferland ne se souvenait pas que M. Manny soit retourné à son bureau après l’entrevue disciplinaire du 2 juin 2011, pour discuter de la sévérité de la mesure disciplinaire. On lui a demandé s’il savait de quoi il était question dans l’[traduction] « entente » conclue avec l’employeur et dont il était question dans le courriel de M. Manny à l’intention de M. Apenteng. M. Ferland a répondu qu’il n’en avait aucune idée et qu’il n’avait pas eu d’autre discussion avec M. Manny au sujet de la suspension de 30 jours après le 2 juin 2011.

60  Il s’est souvenu avoir eu, à l’automne, des discussions avec M. Manny au sujet d’autres questions concernant M. Apenteng. Après réflexion, il a convenu que les discussions avaient pu avoir lieu avec un autre agent des relations de travail de l’Institut.

61 Il a déclaré qu’il n’était pas au courant de l’allégation selon laquelle M. Manny avait dit à M. Apenteng qu’il serait congédié s’il contestait la suspension de 30 jours.

62 Il a admis qu’il pensait que la suspension de 30 jours qu’il avait imposée à M. Apenteng était sévère. Toutefois, le personnel des ressources humaines lui a dit que cette sanction était appropriée à la lumière de la jurisprudence. Il n’a pas vérifié si la convention collective exigeait la production d’une attestation médicale pour l’obtention d’un congé de maladie pour obligations familiales ou d’un congé pour cause de maladie dans la famille, car il n’estimait pas qu’une telle disposition aurait fait une différence dans une situation où quelqu’un a produit un formulaire frauduleux de congé de maladie.

III. Résumé de l'argumentation

A. Argumentation du demandeur

63 Le demandeur a mentionné trois décisions à l’appui de son grief. Dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, le requérant a consulté un avocat pour contester son licenciement. L’avocat lui a conseillé d’intenter des procédures judiciaires au civil pour renvoi injustifié. Ultérieurement, un autre avocat lui avait qu’il pouvait déposer un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique à titre de recours. Deux semaines plus tard, et quelque cinq mois après son licenciement, le requérant a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer un grief. Il a soutenu que le préjudice subi s’il n’obtenait pas cette prorogation serait plus grand que le préjudice subi par l’employeur. L’employeur a déclaré que ses témoins étaient en congé de longue durée, travaillaient dans d’autres régions ou n’étaient plus à son service et que, de toute façon, le poste du requérant avait été comblé entre-temps. La Commission a jugé que, dès le début, le requérant avait l’intention de contester son licenciement et que l’employeur aurait dû l’informer de son droit de déposer un grief. Tout préjudice subi par l’employeur ne serait pas aussi grave que l’injustice causée au requérant si sa demande de prorogation devait être rejetée. La Commission a également estimé que le temps écoulé avant que la demande de prorogation ne soit présentée n’était pas vraiment excessif dans les circonstances.

64 Dans Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 157, le demandeur a présenté une demande de prorogation du délai pour présenter un grief contestant une suspension de trois jours. Le demandeur a aussi demandé une prorogation du délai pour présenter deux griefs concernant des suspensions de un et de deux jours respectivement. Le demandeur a allégué que son état de santé l’avait empêché d’agir dans les délais prévus. La Commission a conclu que l’état de santé du demandeur constituait à tout le moins une preuve suffisante, à première vue, de son manquement relatif au dépôt des griefs dans les délais impartis et que la situation de fait expliquait de façon claire, logique et convaincante pourquoi le demandeur n’avait pas déposé les griefs dans les délais prévus. Le demandeur avait agi avec suffisamment de diligence pour faire valoir ses droits, il n’y avait par ailleurs aucun élément de surprise pour l’employeur et le retard de quatre mois pour demander la prorogation n’était pas excessif.

65 Finalement, le demandeur m’ renvoyé à Richard c. Agence du Revenu du Canada, 2005 CRTFP 180, dans laquelle la Commission a accueilli une demande de prorogation de délai pour permettre à la fonctionnaire s’estimant lésée de contester sa suspension pour une période indéterminée et son congédiement au terme d’une enquête interne établissant qu’elle se serait fait payer plus de 40 000 $ en remboursement de demandes fictives. La Commission a estimé qu’elle jouissait d’une grande latitude pour accueillir de telles demandes par souci d’équité. Elle s’est fiée à la présentation de raisons claires, convaincantes et impérieuses pour expliquer le retard de quelque six à huit mois et a tenu compte de la santé mentale précaire de la fonctionnaire s’estimant lésée ainsi que du fait que la capacité de l’employeur de faire valoir ses arguments demeurait intacte.

66 M. Apenteng a soutenu que ces trois décisions faisaient clairement ressortir que la Commission avait le pouvoir d’accorder des prorogations de délai par souci d’équité, que les faits de l’espèce n’étaient pas différents et que la demande devrait être accueillie.

B. Argumentation de l’employeur

67 L’employeur a fait valoir que le demandeur n’avait pas respecté les délais fixés dans la convention collective pour contester la suspension de 30 jours. Il a également fait valoir que les prorogations de délai ne devraient être accordées qu’à titre exceptionnel, mais ne constituent pas une règle.

68 Dans Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117, la Commission a accueilli une objection préliminaire au motif du respect du délai et a rejeté le grief. Dans ce cas, le grief a été déposé six jours après l’expiration du délai fixé dans la convention collective. La Commission a noté que le retard n’était pas excessif dans les circonstances, que la prorogation du délai ne causerait pas de préjudice à l’employeur et que le préjudice subi par le demandeur si le grief était rejeté serait supérieur à tout préjudice subi par la défenderesse. Cela dit, la Commission a jugé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable et a donc rejeté la demande. L’employeur m’a renvoyé au paragraphe 24 de cette décision, dans lequel il est mentionné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait expliqué que son grief n’avait pas été déposé dans les délais prescrits parce que son syndicat ne l’avait pas bien conseillé sur la marche évidente à suivre. Par conséquent, il s’est adressé à la Commission pour obtenir une prorogation de ce délai.

69 L’avocat a cité Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, au paragraphe 75, où la Commission résume les critères de base pour déterminer s’il y a lieu qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de proroger des délais. Ces critères se lisent ainsi :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

70 Selon les délais fixés dans la convention collective, un grief doit être présenté au plus tard 25 jours après la date à laquelle l’auteur du grief est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

71 La lettre disciplinaire imposant une suspension de 30 jours est datée du 2 juin 2011 et est explicite quant au fait qu’en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de la convention collective, un fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief pour contester la décision dans les 25 jours suivant la réception de ladite lettre. M. Manny a envoyé un courriel à M. Apenteng le 17 juin 2011 pour lui rappeler qu’il avait jusqu’au 7 juillet 2011 pour contester sa suspension datée du 2 juin 2011. M. Apenteng a présenté à la Commission, le 26 octobre 2011, une demande de prorogation du délai de présentation d’un grief quelque trois mois et demi après les circonstances ayant donné lieu au grief. L’avocat m’a renvoyé à Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 31, où la Commission a indiqué, au paragraphe 13, ce qui suit :« Bien que l’alinéa 61 b) du Règlement permette la prorogation de ce délai, une telle demande est accordée avec parcimonie afin de ne pas déstabiliser le régime de relations de travail créé par la Loi et l’entente des parties. »

72 L’avocat m’a renvoyé à Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, où la Commission, au paragraphe 45, cite un passage de Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, à propos du poids à accorder à chacun des critères énoncés dans Schenkman. Voici ce passage :

L’importance accordée à chacun des critères n’est pas nécessairement la même. Les faits du cas déterminent comment ils sont appliqués et quelle valeur probante est accordée à chacun. Chaque critère est examiné et apprécié en fonction du contexte factuel. Il arrive que des critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance.

73 L’avocat a également invoqué le paragraphe 46 de Grouchy, où la Commission dit notamment ce qui suit :

[…] En principe, les délais fixés par la Loi et par le Règlement sont exécutoires et doivent être respectés par toutes les parties. L’imposition de délais relativement courts s’accorde avec les principes voulant que les conflits de travail doivent être résolus rapidement et que les parties doivent être en droit de tenir pour acquis qu’un différend a pris fin dès que le délai prescrit est expiré. Les délais ne sont pas élastiques et leur prorogation doit demeurer une décision exceptionnelle qui survient seulement après que l’auteur de la décision a procédé à une évaluation prudente et rigoureuse des circonstances.

74 L’avocat m’a également renvoyé à Cowie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 14, où la Commission a déclaré que le retard devait être justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes avant toute chose. Au paragraphe 35 de cette décision, la Commission a notamment déclaré ce qui suit :

[…] il me semble que, de façon générale, le retard doit être justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, sans quoi les autres critères perdent leur pertinence. À quoi serviraient les délais dont les parties à la convention collective ont convenu si le président de la Commission pouvait les proroger à la suite d’une demande qui n’est pas solidement justifiée? Le fait d’accepter une demande de prorogation qui ne repose pas sur une justification solide du retard équivaudrait à ne pas respecter l’entente conclue entre les parties à la convention collective. Évidemment, ce n’est pas dans cet esprit qu’a été rédigé l’alinéa 61 b) du Règlement.

75 L’avocat a affirmé qu’il incombe au demandeur de démontrer que le facteur le plus important parmi les critères énoncés dans Schenkman est que le retard était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Cela doit être étayé par des éléments de preuve. Aucune raison n’a été invoquée pour justifier le retard. En fait, l’employeur a déclaré qu’il n’y avait eu aucune menace. M. Manny a témoigné qu’il n’était jamais allé parler à M. Ferland d’une réduction de la suspension de 30 jours, et aucune discussion sur des représailles n’a été tenue.

76 Il a également été soutenu que l’ignorance n’était pas un prétexte permettant à la Commission d’accorder une prorogation de délai, et qu’une erreur commise par l’agent des relations de travail du syndicat ne pouvait constituer une excuse pour M. Apenteng.

77 Les décisions Riche et Richard,citées par le demandeur, sont différentes de l’affaire en question en ce que, dans les deux cas, les demandeurs avaient invoqué des raisons médicales pour justifier leur défaut de déposer leur grief dans les délais prescrits.

78 Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Il savait qu’il lui restait 25 jours pour déposer un grief. Il aurait pu consulter d’autres représentants syndicaux et des collègues. Il a consulté d’autres représentants syndicaux après avoir purgé sa suspension, mais cela n’explique pas le délai écoulé entre juillet et octobre, moment auquel il a présenté sa demande à la Commission.

79 Dans Grouchy, la Commission a déclaré qu’un employé qui entame une procédure est responsable d’effectuer la recherche sur les règles qui régissent la procédure, de sorte que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse. La Commission a notamment fait valoir ce qui suit au paragraphe 51 :

[…] Je comprends qu’il [le fonctionnaire] avait cessé de se faire représenter par son agent négociateur durant la procédure de règlement des griefs, mais à mon sens cela ne l’empêchait pas de communiquer avec lui pour s’informer du délai applicable. J’estime qu’un employé qui entame une procédure doit faire le nécessaire pour s’informer des règles qui s’appliquent et qu’il ne peut pas invoquer l’ignorance des règles ou sa décision de ne pas consulter un spécialiste pour tenter d’obtenir une prorogation de délai.

80 Le défendeur a aussi soutenu que l’employeur subirait un préjudice si la demande était accueillie, étant donné que l’employeur a tenu compte de cette mesure disciplinaire lorsque, en fin de compte, il a licencié l’employé. Il a également argué que l’octroi d’une prorogation de délai déstabiliserait les relations de travail et qu’aucun préjudice ne devrait être causé à l’employeur si la Commission en venait à conclure que l’agent négociateur avait commis une erreur dans la représentation de l’employé.

81 Quant aux chances de succès du grief concernant la suspension de 30 jours, l’employeur a affirmé qu’elles étaient très faibles, puisque forger une attestation médicale constitue une grave inconduite. Dans McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, la Commission a notamment fait valoir ce qui suit, aux paragraphes 75 et 80 :« En contrefaisant la signature de son médecin sur les certificats médicaux, la fonctionnaire a commis un acte criminel; cela constituait déjà un motif suffisant pour mettre fin à son emploi. […] Il est bien connu en droit que […] et l’honnêteté sont les pierres angulaires d’une relation employeur-employé solide. »

C. Argumentation de l’intervenant

82 L’intervenant a déclaré avoir un intérêt substantiel à se défendre contre les allégations d’inconduite grave de la part du bureau des relations de travail. Il a aussi affirmé que M. Manny avait livré un témoignage très crédible. Il a nié qu’il avait conspiré avec l’employeur en vue de priver M. Apenteng du recours à la procédure de règlement des griefs visant à contester la suspension disciplinaire. M. Manny et M. Ferland ont tous deux témoigné qu’il n’y avait eu aucune discussion au sujet d’une modification de la sanction de 30 jours, et aucune preuve ne vient étayer l’allégation selon laquelle M. Apenteng allait être congédié par la direction s’il contestait la suspension de 30 jours. L’intervenant a aussi déclaré que M. Manny avait effectivement dit à M. Apenteng que la production d’une attestation médicale frauduleuse pouvait entraîner son licenciement.

83 Il a également déclaré que M. Manny avait recommandé au demandeur, le 7 juillet 2011, de contester sa suspension et que M. Apenteng n’avait jamais communiqué avec ce dernier pour déposer un grief. L’Institut n’a fait aucune erreur en ce qui concerne les conseils offerts. Il se peut que ces conseils n’aient pas trouvé grâce aux yeux de M. Apenteng. Quoi qu’il en soit, selon la prépondérance des probabilités, il n’y a aucune preuve de mauvaise foi de la part de l’Institut.

D. Réfutation du demandeur

84 En réplique, le demandeur a déclaré que les faits en l’espèce satisfont à tous les critères énoncés dans Schenkman. Les raisons pour lesquelles le demandeur a tardé à présenter sa demande se rapportent à sa crainte de perdre son emploi s’il déposait un grief. Le retard était de moins de quatre mois et ne représentait pas une période excessive lorsque l’on examine la jurisprudence où des prorogations de délai ont été accordées. Le demandeur, après avoir purgé sa suspension, a poursuivi le traitement de son grief en faisant preuve de diligence raisonnable. Au début, il ignorait qu’il pouvait lui-même déposer un grief.

IV. Motifs

85 Les demandes de prorogation de délai devraient être accordées avec parcimonie (Cloutier,au paragraphe 13). Au moment des événements ayant donné lieu à cette affaire, la convention collective s’appliquant au groupe Services d’ordinateurs (CS) exigeait la présentation d’un grief au premier palier de la procédure au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour suivant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a pris connaissance de l’action ou des circonstances ayant donné lieu au grief.

86 Le paragraphe 61 du Règlement accorde une certaine marge de manœuvre à la Commissionpour ce qui est de proroger un délai, que ce soit avant ou après son expiration, pour autant que cela soit par souci d’équité, et ce, indépendamment de ce que prescrit la convention collective. Cette disposition est libellée comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

87 Au paragraphe 75 de Dans Schenkman, au paragraphe 75, on définit cinq critères s’appliquant à la prorogation d’un délai, en vertu du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993. Ces critères sont aussi applicables en vertu de l’actuelle loi et de son règlement. Voici ces cinq critères :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

88 L’analyse repose sur des faits et est effectuée selon le principe sous-jacent de l’article 61 du Règlement, soit « par souci d’équité ». Il en découle qu’il n’y a pas, dans les critères énoncés dans Schenkman, de formules forfaitaires ou de seuils qui empêchent un décideur de déterminer s’il y a lieu, par souci d’équité, d’accorder une prorogation de délai.

89 On n’accorde pas toujours la mêmeimportance aux différents critères. C’est en fonction des circonstances de chaque cas que l’on détermine le poids à accorder à chaque critère (Grouchy, au paragraphe 45; voir aussi Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96, aux paragraphes 11, 12 et 15). Dans l’affaire en instance, l’un des critères clés est celui de l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur.

90 Dans son courriel adressé à la Commission le 26 octobre 2011, M. Apenteng a fait plusieurs allégations qui ont toutes trait à la conduite du représentant du demandeur de l’époque. Aucune des allégations ne vise la direction. M. Apenteng a allégué que M. Manny avait fait pression sur lui pour lui faire admettre quelque chose qu’il n’avait pas fait. La preuve qui m’a été présentée n’est pas suffisante pour me permettre d’en arriver à cette conclusion et, quoi qu’il en soit, cette allégation se rapporte au fond du grief comme tel.

91 M. Apenteng a également allégué qu’une [traduction] « entente » avait été conclue entre M. Manny et l’employeur. M. Manny et M. Ferland ont tous deux nié l’existence d’une entente. À mon avis, la preuve n’a pas démontré l’existence d’une entente entre l’employeur et le syndicat ou le représentant syndical d’alors.

92 Le demandeur a aussi allégué que M. Manny lui avait dit que s’il décidait de déposer un grief, il serait congédié. Je ne puis conclure que M. Manny ait réellement dit cela. M. Manny a nié avoir tenu de tels propos et a témoigné qu’il pensait que le demandeur était, selon ses termes, [traduction] « confus ». M. Manny a reconnu que le demandeur n’était pas content lorsqu’il lui a recommandé de ne pas contester la suspension. Il a également déclaré avoir dit à M. Apenteng qu’il devrait être soulagé de ne pas avoir été congédié. Il a ajouté que M. Apenteng s’était renseigné au sujet de la procédure de règlement des griefs après l’imposition de la suspension par l’employeur.

93 Il est néanmoins important de tenir compte de l’état d’esprit du demandeur, de se demander s’il craignait d’être congédié s’il présentait un grief et d’examiner les étapes que M. Manny a suivies pour aider le demandeur dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Il ressort de la preuve que M. Apenteng estimait que la mesure disciplinaire était sévère et qu’il nourrissait des préoccupations quant à une contestation de la suspension. Il a témoigné avoir demandé à M. Manny de négocier une réduction de la suspension, qu’il croyait ne pas avoir la possibilité de contester la suspension et, plus précisément, qu’il croyait être congédié s’il la contestait. En outre, les courriels envoyés par M. Manny peuvent être interprétés d’une façon qui corrobore le témoignage du demandeur selon lequel il pensait être congédié s’il déposait un grief. Les courriels de M. Manny donnent à penser qu’une certaine forme d’entente était intervenue, quoique le demandeur semble avoir interprété incorrectement la nature de cette entente. Le 9 juin 2011, M. Manny a écrit au demandeur : « [traduction] Conformément à notre entente […] vous avez convenu d’accepter la suspension et de ne pas contester l’affaire [je souligne], » en concluant que c’était la meilleure chose à faire. Lorsque M. Apenteng n’a pas répondu à ce courriel, la réponse de M. Manny peut, là encore, avoir été perçue comme appuyant une certaine forme d’entente lorsqu’il a écrit qu’il lui fallait une réponse le plus tôt possible ou alors il « [traduction] […] répondrai[t] à l’employeur que nous n’avons pas d’entente [je souligne]. » À la suite de cette communication, le courriel que M. Apenteng a envoyé le 15 juin montre sa compréhension erronée de son droit de contester l’affaire. Si l’on se reporte à la précédente correspondance émanant de l’employeur, on constate que M. Apenteng pose essentiellement à son représentant syndical la question de savoir pourquoi il ne pourrait pas déposer un grief. À la lumière du témoignage livré à l’audience et de la preuve documentaire, je retiens la preuve du demandeur quant à sa crainte de présenter un grief, laquelle repose sur une croyance sincère de sa part qu’il allait être congédié s’il contestait sa suspension.

94 Il importe aussi de se pencher sur la façon dont les préoccupations de M. Apenteng au sujet de la procédure de règlement des griefs ont été traitées par son représentant. M. Manny a témoigné que M. Apenteng n’avait jamais clairement signifié sa volonté de contester. Il est très difficile de comprendre comment il en est arrivé à une telle conclusion, à tout le moins au moment où le demandeur lui a envoyé le courriel du 15 juin 2011. Bien que M. Manny ait répondu par courriel au demandeur deux jours après le courriel du 15 juin 2011 pour lui dire qu’il avait un temps limité pour pouvoir déposer un grief, rien n’indique que M. Manny en ait profité pour apporter des précisions quant à la mauvaise compréhension que le demandeur avait de la procédure de règlement des griefs ou qu’il lui ait offert une quelconque assistance sur la façon de déposer un grief. Une telle omission est pour le moins surprenante lorsque l’on sait qu’à toutes les étapes ou presque le demandeur avait des questions et des préoccupations au sujet de la recommandation qu’on lui faisait de ne pas aller de l’avant avec la présentation d’un grief. M. Manny a reconnu qu’il ne se réjouissait pas à l’idée de voir le demandeur déposer un grief. Il a témoigné que M. Apenteng aurait pu solliciter l’assistance d’un délégué et qu’il (M. Manny) n’aurait [traduction] « pas pu empêcher cela. » Ses opinions ont pu être bien arrêtées quant à la recommandation que le demandeur aurait dû suivre, mais il avait quand même l’obligation de lui fournir les renseignements qu’il demandait. Le demandeur n’avait alors pas de dossier disciplinaire, et aucune preuve n’a été présentée pour indiquer que le demandeur comprenait quand ou comment déposer lui-même un grief. Qui plus est, M. Apenteng craignait les conséquences que pourrait avoir le dépôt d’un grief de sa part. Les conseils fournis par M. Manny n’ont rien fait pour aider M. Apenteng dans l’examen de ses options ni pour dissiper ses préoccupations au sujet de son droit de présenter un grief.

95 J’estime que le demandeur craignait réellement d’être licencié s’il contestait sa suspension par grief. Je conclus aussi que le représentant syndical a omis d’apporter des précisions au demandeur pour dissiper la confusion qu’avait ce dernier ou pour lui fournir les renseignements qu’il demandait en vue de prendre une décision éclairée au sujet de son recours et qu’il a effectivement empêché le demandeur de se prévaloir de ce recours.

96 En ce qui concerne l’allégation de M. Apenteng selon laquelle les actions du représentant syndical constituaient de la [traduction] « négligence grave », je considère que les questions en l’espèce ne constituent pas un tel degré d’insouciance ou d’omission caractérisée. Mais des lacunes dans la représentation et de l’inadvertance peuvent miner le recours et, sans pour autant constituer nécessairement de la négligence grave, peuvent être des motifs justifiant une prorogation de délai. Les arguments invoqués, notamment ceux ayant trait à l’ignorance de la loi et au libellé de la lettre disciplinaire, doivent être appréhendés dans le contexte de ce qui est arrivé à M. Apenteng lors du processus disciplinaire interne, de la crainte réelle qu’il avait d’être licencié s’il déposait un grief et de l’absence d’assistance de la part de son représentant sur la façon de déposer un grief.

97 L’un des critères déterminants dans cette demande est celui de l’équilibre entre l’injustice qui serait causée au demandeur et le préjudice que l’employeur subirait si l’on prorogeait le délai. Aucune preuve n’a été produite quant à un préjudice que subirait l’employeur. L’employeur a affirmé qu’une décision prorogeant le délai déstabiliserait les relations de travail, mais il n’a produit aucune preuve à l’appui de cette position, hormis le fait qu’il a, en fin de compte, licencié l’employé. C’est précisément en raison de ce licenciement subséquent, dû en partie à la suspension, que le préjudice subi par le demandeur est supérieur à celui de l’employeur. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut accorder une prorogation de délai dans toute affaire de mesure disciplinaire grave dans laquelle une prorogation de délai est demandée. Cela étant, à l’examen des critères énoncés dans Schenkman, c’est par souci d’équité qu’il faut le faire ici. Le demandeur n’avait jamais eu de tache disciplinaire à son dossier jusqu’à cet épisode, et il travaillait pour l’employeur depuis le début de 2002. En outre, il est important de mentionner que sa demande de prorogation de délai a été présentée avant qu’il soit avisé qu’il faisait l’objet d’une enquête pour inconduite et qu’on le suspende sans traitement.

98  L’employeur a aussi affirmé qu’il ne devrait pas subir de préjudice en raison de l’erreur de l’agent négociateur. Toutefois, les actions ou omissions d’un tiers peuvent justifier en partie l’octroi d’une prorogation de délai de présentation d’un grief (Grouchy, au paragraphe 57, et Guittard). En l’espèce, l’injustice causée au demandeur est supérieure au préjudice subi par l’employeur. Le demandeur faisait face à de sérieuses mesures disciplinaires, qui ont ultérieurement pesé dans la décision de le licencier. Dans cette affaire, l’équité envers le demandeur devrait l’emporter sur tout préjudice que l’employeur pourrait subir si le délai était prorogé (Riche, au paragraphe 41).

99 La durée du retard était de moins de quatre mois et n’était pas excessive si l’on examine les cas où des prorogations de délai ont été accordées. De plus, compte tenu des circonstances, le demandeur a fait preuve de diligence dans la poursuite du traitement de sa contestation. Le demandeur a été suspendu sans traitement jusqu’en août 2011. Il ne pensait pas qu’il lui était possible de déposer lui-même un grief. Il n’a pas présenté le grief dans le délai prescrit car il craignait les conséquences de cette décision. Toutefois, après avoir effectué ses propres recherches, il a acquis suffisamment de connaissances pour présenter la demande en octobre 2011. Chaque affaire devrait être soigneusement étudiée et tranchée en fonction de ses propres circonstances, dans une optique de justice pour toutes les parties (Richard, au paragraphe 61).

100 La situation en l’espèce est bien moins limpide que celle dans Salain, où le demandeur négociait une prolongation de son emploi à durée déterminée, mais a omis de présenter un grief durant les négociations. L’affaire en l’espèce met en cause un employé qui s’est vu imposer une mesure disciplinaire sévère, qui croyait n’avoir aucun soutien de la part de son représentant et qui craignait d’être licencié s’il remettait en cause la sanction disciplinaire imposée. Pour le demandeur, la marche à suivre n’aurait pas été aussi évidente qu’elle l’était dans Salain. J’accepte la preuve du demandeur selon laquelle ce n’est qu’après avoir purgé sa suspension, obtenu des renseignements additionnels et eu le courage de déposer un grief qu’il a présenté une demande de prorogation de délai à la Commission. Compte tenu de son évaluation de la situation, quelque inexacte qu’elle ait pu être, il lui aurait fallu du courage et un surcroît de conseils. Bien qu’il ne soit pas question d’état de santé dans la présente affaire, les principes sous-jacents demeurent les mêmes. Les circonstances constituent à tout le moins une preuve suffisante, à première vue, de l’incapacité du demandeur de déposer un grief (Richard et Riche).

101 L’employeur a affirmé que le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable du fait qu’il n’avait pas consulté d’autres représentants syndicaux. Le demandeur a bel et bien consulté l’agent négociateur et obtenu des conseils. Le représentant de l’agent négociateur était bien au courant des appréhensions du demandeur selon lesquelles il ne pouvait pas présenter un grief, et il n’a pas pris les dispositions nécessaires pour fournir au demandeur les renseignements qu’il lui fallait. Comme le demandeur avait déjà consulté un représentant de l’agent négociateur et qu’il travaillait avec lui, il n’avait aucune raison de s’adresser à un autre représentant. Au bénéfice du demandeur, mentionnons qu’après avoir purgé sa suspension il a sollicité l’assistance d’un autre représentant du syndicat, lequel lui a fourni de l’assistance pour qu’il puisse entamer la procédure de présentation de son grief.

102 L’employeur a soutenu que les chances de succès du grief concernant la suspension de 30 jours étaient très faibles, compte tenu de la conduite alléguée. Cependant, il ressort aussi de la preuve que le décideur du processus interne de discipline pensait que la sanction était sévère du point de vue de la durée de la suspension. Aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel il s’agirait d’un grief frivole ou vexatoire, de même qu’aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel une question compétence pourrait empêcher l’instruction de ce cas. Les conséquences d’un licenciement sont importantes, et l’on ne saurait invoquer ce facteur pour examiner prématurément le fond de l’affaire. Compte tenu des conséquences pour le demandeur, et par souci d’équité, cette affaire devrait être tranchée par un arbitre de grief.

103 En conclusion, il y a des raisons claires, logiques et convaincantes de proroger le délai en l’espèce, du fait que le demandeur craignait sincèrement d’être licencié s’il contestait sa suspension par grief et que les renseignements limités et les actions du représentant syndical l’ont activement dissuadé de déposer un grief. En ce qui concerne l’équilibre entre l’injustice causée et le préjudice subi, la balance penche en faveur du demandeur parce qu’il faisait face à de sérieuses sanctions disciplinaires, lesquelles ont ultérieurement pesé dans la décision de le licencier. En l’espèce, l’équité envers le demandeur devrait avoir préséance sur tout préjudice que l’employeur pourrait subir à la suite de l’octroi d’une prorogation. Le retard de présentation n’est pas significatif, et le demandeur a démontré qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable. Quant aux chances de succès, il est approprié, en l’occurrence, de permettre qu’elles soient déterminées par un arbitre de grief.

104 Les motifs qui suivent ne se rapportent qu’à mon exercice du pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation d’un grief et ne portent aucunement sur le fond du grief.

105 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

106 La demande de prorogation de délai est accueillie.

Le 20 février 2014.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
président par intérim

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