Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, une gestionnaire, a fait l’objet d’une plainte et d’une enquête en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LPFDAR) - l’employeur a étudié le rapport d’enquête et a imposé une mesure disciplinaire en rétrogradant la fonctionnaire s’estimant lésée à un poste sans responsabilité de gestion - au lieu d’accepter la rétrogradation, elle a démissionné et a déposé un grief dans lequel elle contestait le caractère injuste de la mesure disciplinaire et de la rétrogradation et elle faisait valoir que la rétrogradation était assimilable à un congédiement déguisé, que l’employeur avait violé l’entente conclue avec elle et qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite - l’employeur a soulevé une objection à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre et juger le grief au motif qu’il avait été déposé une fois que la fonctionnaire s’estimant lésée avait cessé d’être une employée - compte tenu des dispositions de la LPFDAR en matière de confidentialité, ainsi que du fait que la teneur du rapport d’enquête ne serait soulevée qu’à la deuxième phase de l’audience, l’arbitre de grief a ordonné la mise sous scellés du rapport et de la réponse de la fonctionnaire s’estimant lésée - l’employeur avait confirmé que, si la fonctionnaire s’estimant lésée prenait sa retraite avant l’imposition de la mesure disciplinaire, l’avis devant être affiché en vertu de la LPFDAR indiquerait simplement qu’elle avait pris sa retraite - à la suite de sa rétrogradation, la fonctionnaire s’estimant lésée a refusé d’occuper son nouveau poste et a avisé l’employeur qu’elle avait décidé de prendre sa retraite et qu’elle souhaitait accepter son offre - l’employeur l’a informée qu’il serait nécessaire d’établir un protocole d’entente dans le but d’annuler la mesure disciplinaire - la fonctionnaire s’estimant lésée s’est opposée à ce qu’une clause de confidentialité et une clause d’exonération soient incluses dans le protocole d’entente parce qu’il n’en avait jamais été question lors des discussions - l’arbitre de grief a conclu que la retraite de la fonctionnaire s’estimant lésée avait été volontaire et non forcée - elle n’avait pas été menacée, trompée ou soumise à une contrainte indue, le processus disciplinaire n’avait rien de nouveau pour elle, elle était représentée par un avocat compétent connaissant bien le domaine, aucune preuve médicale n’indiquait qu’elle avait été inapte à prendre la décision qu’elle avait prise et le poste auquel elle avait été rétrogradée n’était pas d’un échelon tellement inférieur au point de considérer qu’il s’agissait d’une rétrogradation forcée - il a jugé que la rétrogradation ne constituait pas un congédiement déguisé et, par conséquent, pas un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - si la position de la fonctionnaire s’estimant lésée devait être acceptée, il faudrait retirer le terme <<rétrogradation>> de la loi et priver ainsi l’employeur d’un pouvoir disciplinaire que le législateur visait manifestement à lui accorder, puisqu’il a prévu le licenciement et la rétrogradation - il a conclu, sans trancher la question, qu’on pouvait véritablement se demander si la doctrine du congédiement déguisé avait sa place dans le secteur public, mais, de toute façon, même si elle s’appliquait, en l’espèce, une rétrogradation avait été imposée - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’était pas revenu sur l’offre qu’il avait faite à la fonctionnaire s’estimant lésée - le protocole d’entente correspondait à l’offre faite avant que la mesure disciplinaire soit imposée - l’opposition de la fonctionnaire s’estimant lésée à la clause de confidentialité a été soulevée après le fait et elle n’était pas crédible - en ce qui concerne la clause d’exonération, il était évident qu’un protocole d’entente contiendrait une telle clause - le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était plus une employée lorsqu’elle a déposé son grief ne l’empêchait pas de contester au moyen d’un grief la décision de la rétrograder, et l’arbitre de grief était compétent à cet égard - il a conclu que ni lui ni la fonctionnaire s’estimant lésée n’étaient liés par les faits énoncés dans le rapport d’enquête - le législateur envisageait de toute évidence qu’un employé faisant l’objet d’une mesure disciplinaire en vertu de la LPFDAR puisse déposer un grief et que ce grief serait traité comme tout autre grief, à savoir que l’employeur doit démontrer un motif valable et que l’arbitre de grief doit assurer aux parties un degré élevé d’équité procédurale - même si le rapport contenait une preuve par ouï-dire, l’arbitre de grief était loisible d’en tenir compte, et il contenait de la preuve qui, de l’avis de l’arbitre de grief, pouvait être examinée sans crainte par un arbitre de grief - la fonctionnaire s’estimant lésée avait le droit de contester la décision de la rétrograder. Objection de l’employeur relative à la compétence rejetée et instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-03-19
  • Dossier:  566-02-7020
  • Référence:  2014 CRTFP 32

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHELLEY HASSARD

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Stephen Moreau, avocat, et Sharon Naipaul, avocate
Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate
Affaire entendue à Toronto (Ontario), du 19 au 22 août 2013. Arguments écrits supplémentaires déposés le 6 février 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Il s’agit d’un grief individuel présenté en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était autrefois directrice de l’Unité de surveillance renforcée du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») située sur la rue Keele, à Toronto. Ce poste de gestion était classifié au groupe et niveau WP-06. En 2011, certains actes commis par la fonctionnaire ont fait l’objet d’une enquête à la suite d’une plainte présentée en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, (L.C. 2005, ch. 46) (la « LPFDAR »), parfois appelée « loi sur la protection des dénonciateurs ». À l’issue de l’enquête, un rapport a été produit, lequel a ensuite été examiné par Lori MacDonald, qui occupait alors le poste de sous-directrice régionale intérimaire, Ontario, du SCC au bureau de Kingston. Mme MacDonald a déterminé qu’il fallait prendre des mesures disciplinaires. Le 14 octobre 2011, elle a rétrogradé la fonctionnaire au poste d’agente principale de projet pour la région de l’Ontario, poste classifié au groupe et niveau AS-06. Ce poste, qui ne faisait pas partie de la catégorie des postes de gestion, était situé dans un autre bureau du SCC à Toronto. Plutôt que d’accepter ce poste, la fonctionnaire est partie à la retraite le 21 octobre 2011. Le 16 novembre 2011, elle a présenté le grief dont je suis actuellement saisi.

2 Dans son grief, la fonctionnaire a notamment affirmé ce qui suit :

a) elle a injustement fait l’objet d’une mesure disciplinaire et été rétrogradée;

b) sa rétrogradation équivalait à un congédiement déguisé;

c) elle a été injustement traitée par le SCC, notamment dans le cadre de l’enquête;

d) le SCC a violé une entente qu’il avait conclue avec elle (pièce G1, onglet 35) :

[Traduction]

Contrat conclu, et offre présentée, à l’égard d’une option aux termes de laquelle la fonctionnaire pourrait prendre sa retraite, en échange de quoi aucune mesure disciplinaire ne serait imposée; toutefois, le Service correctionnel du Canada a ensuite manqué à ses obligations relatives à ce contrat et à cette offre et a tenté de faire en sorte que le départ à la retraite de la fonctionnaire soit conditionnel à sa signature d’une renonciation complète et finale de tous ses droits en vue d’obtenir le retrait de la mesure disciplinaire.

3 Au cours du déroulement de l’audience, la fonctionnaire a ajouté l’argument selon lequel son départ à la retraite, le ou vers le 21 octobre 2011, n’avait pas été volontaire, mais avait plutôt été imposé par son employeur, qui avait tout prévu afin de la contraindre à prendre sa retraite contre son gré.

4 En guise de réparation, la fonctionnaire demande ce qui suit (pièce G1, onglet 35) :

[Traduction]

a)  […] la réintégration à son poste initial de directrice, Unité de la surveillance renforcée, y compris le versement rétroactif du traitement et des avantages sociaux à partir de la date de la rétrogradation jusqu’à la date de la réintégration.

b)  Des dommages généraux, majorés et moraux pour le stress, la détresse émotionnelle et la perte de réputation subis.

c)  Le retrait et l’annulation de la mesure disciplinaire et le retrait de toutes les notes au dossier portant sur la mesure disciplinaire.

d)  Comme solution de rechange au retrait des notes portant sur la mesure disciplinaire, la réduction de la mesure disciplinaire imposée ou sa substitution par une sanction plus raisonnable, compte tenu de la longue expérience de travail de la fonctionnaire et de son dossier d’emploi sans tache.

e)  Toute autre mesure de réparation raisonnable pour régler ce grief et indemniser la fonctionnaire.

5 L’employeur est d’avis que le départ à la retraite de la fonctionnaire en octobre 2011 était volontaire, et non imposé. La fonctionnaire a présenté son grief après avoir pris sa retraite et, par conséquent, après avoir perdu son statut d’employée. Selon l’employeur, je n’ai pas compétence pour instruire un grief présenté par une personne ayant volontairement – c’est-à-dire au moyen d’un départ à la retraite – perdu son statut d’employé. À titre subsidiaire, s’il est déterminé que j’ai compétence à cet égard, l’employeur croit que le principe du congédiement déguisé ne s’applique pas dans les cas visant des fonctionnaires, qu’il était en droit de se fonder sur les constatations découlant du rapport d’enquête et que la mesure disciplinaire imposée était entièrement raisonnable.

6 En l’espèce, il y a deux questions préliminaires à trancher, soit l’une portant sur la disjonction, et l’autre, sur la preuve documentaire et, en particulier, l’ordonnance de mise sous scellés.

II. Disjonction

7 J’ai initialement été saisi de cette affaire les 21 et 22 février 2013, lorsqu’une demande préalable à l’audience a été présentée en vue de la disjonction de l’audience, afin que soit d’abord tranchée, entre autres, la question de la compétence, puis, s’il était avéré que j’avais compétence en la matière, que soit tranché le grief sur le fond. Pour les motifs précisés dans la décision 2013 CRTFP 29, j’ai décidé de scinder l’audience en deux étapes. Pendant la première étape, j’examinerai les éléments de preuve et l’argumentation portant sur les questions suivantes :

a) Est-ce que le principe du congédiement déguisé établi par la common law s’applique à un grief régi par la Loi de telle sorte que la rétrogradation de la fonctionnaire puisse être convertie en un licenciement au sens de la Loi?

b) Est-ce que la démission de la fonctionnaire a été forcée et, si tel est le cas, suis-je habilité à instruire le grief sur le fond?

c) Est-ce que la fonctionnaire est en droit d’aller au-delà du rapport, ou est-ce que cette dernière et moi-même sommes tenus d’accepter les conclusions de ce rapport à titre de conclusion de fait?

III. Documents exclus et ordonnance de mise sous scellés

8 La première étape de la procédure a débuté en août 2013. Au début de l’audience, la fonctionnaire (pièce G1) et l’employeur (pièce E2) ont présenté en preuve des recueils de pièces. L’avocate de l’employeur s’est opposée à la présentation de certains documents contenus dans des onglets de la pièce G1.

9 L’une des objections portait sur un document versé à l’onglet 6, soit une note de service datée du 26 septembre 2011 provenant de M. Moreau, l’avocat de la fonctionnaire. Cette note décrivait en détail une conversation entre M. Moreau et Mme MacDonald, mais elle constituait une preuve par ouï-dire. Cette pièce aurait en outre fait de M. Moreau un témoin dans une affaire pour laquelle il occupait également le rôle d’avocat. Étant donné que cette conversation concernait une question qui se situait au cœur du conflit opposant la fonctionnaire et l’employeur, il aurait été problématique que M. Moreau doive agir à la fois à titre de témoin et à titre d’avocat. Finalement, les parties ont accepté de retirer ce document de la pièce G1. La preuve relative à la conversation détaillée dans cette note de service a été abordée pendant l’audience et, tel qu’il est expliqué plus loin dans les présents motifs, elle a été traitée par voie de stipulation. Un autre document, contenu à l’onglet 34, a été retiré d’un commun accord. Je n’ai lu aucun de ces deux documents avant qu’ils soient retirés.

10 La pièce G1 contenait également une copie d’un rapport d’enquête préparé au sujet de la plainte relative à une dénonciation présentée en vertu de la LPFDAR (onglet 1), ainsi qu’une réponse détaillée à ce rapport, préparée et soumise par M. Moreau le 6 octobre 2011 (onglet 8). Les parties ont convenu qu’étant donné les dispositions relatives à la confidentialité contenues dans la LPFDAR, il conviendrait de rendre une ordonnance de mise sous scellés en ce qui a trait au rapport figurant à l’onglet 1. J’ai soulevé une préoccupation à cet égard étant donné que les observations de M. Moreau à l’onglet 8 faisaient largement référence à des passages tirés du rapport, de sorte que des questions semblables de confidentialité pourraient être soulevées pour cette pièce. Finalement, il a été convenu qu’il faudrait rendre une ordonnance de mise sous scellés quant aux onglets 1 et 8, d’une part en raison des dispositions sur la confidentialité de la LPFDAR, d’autre part en raison du contenu du rapport, lequel ne fera pas l’objet d’une question en litige avant que ne débute la deuxième étape de l’audience, advenant que l’objection de l’employeur quant à ma compétence soit rejetée.

IV. Audience

11 Outre les deux recueils de documents mentionnés précédemment, les parties ont également versé en preuve plusieurs pièces distinctes.

12 Pour le compte de la fonctionnaire, j’ai entendu le témoignage de cette dernière et celui de John Dixon.

13 M. Dixon est un homme d’affaires à la retraite et un bénévole du Centre correctionnel communautaire Keele (le « Centre Keele »). Il est engagé dans la collectivité et a fait la connaissance de Mme Hassard dans le cadre de ses activités bénévoles.

14 Pour le compte de l’employeur, j’ai entendu le témoignage de Christopher Staley, qui était pendant la période visée gestionnaire régional, Relations de travail, SCC, et celui de Lori MacDonald, qui était alors sous-directrice régionale intérimaire (Ontario), SCC.

15 Je tiens à souligner qu’en raison de conflits dans la mise au rôle, deux témoins ont été cités à témoigner à un moment différent de celui qui était prévu. M. Staley a été cité à comparaître pour le compte de l’employeur pendant l’instruction de la preuve de la fonctionnaire, tandis que M. Dixon a été appelé pour le compte de la fonctionnaire pendant l’instruction de la preuve de l’employeur. Si ces mesures n’avaient pas été prises, il aurait été fort probable que l’audience ne puisse pas se terminer à l’intérieur des quatre jours qui étaient alloués. Il convient donc de remercier les deux avocats et les parties pour leur collaboration.

16 Bien qu’il y ait eu quelques éléments de discorde entre les témoins, la majeure partie de leur témoignage portait essentiellement sur des faits qui n’étaient pas contestés. La plupart des propos qui ont été tenus avaient déjà été consignés dans plusieurs pièces de correspondance, notes de service et courriels versés en preuve. Dans l’ensemble, il semble y avoir consensus quant à la plupart des faits et du moment où ceux-ci se sont produits. Cela étant, je ne vois pas la nécessité de fournir ici un résumé détaillé du témoignage de chaque témoin. Je préfère plutôt énoncer mes constatations de fait et réserver mon analyse détaillée du témoignage des témoins aux aspects pour lesquels la preuve était fondamentalement différente.

A. Faits

17 La fonctionnaire a commencé à travailler dans le domaine correctionnel en 1975, année où elle a été embauchée par la Commission des libérations conditionnelles de l’époque à titre d’agente de libération conditionnelle. Elle a occupé ce poste pendant dix ans. Par la suite, elle a présenté sa candidature pour un poste intérimaire de coordonnatrice des services communautaires, et elle a été nommée à ce poste. À partir de ce moment-là, elle a fait partie de l’équipe de gestion du SCC. Elle a été en congé de maternité en 1990 et 1991, puis est revenue au travail comme directrice du nouveau bureau du SCC de Peel à Mississauga, en Ontario. Elle a ensuite occupé plusieurs postes de gestion différents au sein du SCC dans la région de Toronto.

18 La fonctionnaire a une fille, qui vit avec elle. Celle-ci est actuellement inscrite à un programme de maîtrise et envisage de poursuivre ses études au doctorat. Mme Hassard a toujours appuyé financièrement sa fille et continue de le faire.

19 Le 14 septembre 1999, la fonctionnaire s’est vu offrir le poste de directrice du Centre Keele, classifié au groupe et niveau WP-05, qu’elle a accepté. Elle bénéficiait alors de la protection salariale au groupe et niveau WP-05, conformément à la Directive sur le réaménagement des effectifs (pièce E2, onglet 4). Le Centre Keele accueille des délinquants à risque élevé, dont bon nombre de délinquants sexuels, et a comme mandat de favoriser leur réadaptation et leur réinsertion dans la collectivité.

20 Le ou vers le 24 juillet 2001, le poste de la fonctionnaire a fait l’objet d’une reclassification. Son titre est alors devenu celui de directrice, Unité de la surveillance renforcée, classifiée au groupe et niveau WP-06, au Centre Keele. Étant donné qu’elle remplissait les exigences linguistiques du poste, elle a eu droit à une prime annuelle de bilinguisme de 800 $ (pièce E2, onglet 5).

21 En 2005, compte tenu de son âge et de son nombre d’années de service, la fonctionnaire répondait aux critères de la « règle de 85 », ce qui signifie qu’elle pouvait, si elle le souhaitait, prendre sa retraite et avoir droit à sa pleine pension. Toutefois, à ce moment-là, elle a choisi de ne pas partir à la retraite car, selon son témoignage, elle ne pouvait pas se le permettre. Sa fille venait tout juste de terminer ses études secondaires et avait l’intention d’aller à l’université. La mère de la fonctionnaire était hospitalisée et avait besoin d’aide financière. De plus, la fonctionnaire aimait son travail et n’avait aucune intention de cesser de travailler. Elle a convenu avoir assisté à quelques séances de formation sur la retraite présentées par l’employeur à l’intention des employés qui avaient atteint l’âge de la retraite ou qui y seraient bientôt admissibles compte tenu de la règle de 85. Toutefois, elle a soutenu qu’elle y avait assisté uniquement à des fins d’information et de planification financière. Elle n’avait aucune intention de prendre sa retraite à ce moment-là, pas plus qu’en 2011 d’ailleurs.

22 Le 12 janvier 2011, une plainte a été déposée contre la fonctionnaire en vertu de la LPFDAR. Le plaignant a soutenu que celle-ci avait enfreint les Règles de conduite professionnelle du SCC pendant la période de janvier 2007 au 12 janvier 2011. La plainte a entraîné la délivrance d’un « ordre de convocation » ainsi que la création d’un « Comité d’enquête ». Aux termes de l’ordre de convocation, le Comité d’enquête devait mener une enquête au sujet de la plainte et faire ensuite rapport à Tim Leis, qui était l’agent supérieur de la divulgation pour le SCC, en application de la LPFDAR. Le Comité d’enquête était présidé par Carla Di Cesno, et John Sleziak a été nommé à titre d’enquêteur pour le compte du Comité.

23 La fonctionnaire a été informée du dépôt de la plainte, ce qui l’a, selon son témoignage, [traduction] « abasourdie ». Compte tenu de la nature de la plainte, il lui a été suggéré de déménager temporairement au bureau du SCC situé sur la rue Dundas, à Toronto. Elle a convenu qu’il s’agissait d’une bonne idée. Elle a également reçu comme directive de ne communiquer avec aucun des membres du personnel du bureau du Centre Keele pendant que l’enquête était en cours. À ce moment-là, elle croyait que l’enquête ne durerait que quelques semaines. Au final, l’enquête a duré six mois.

24 Cette période s’est révélée très stressante pour la fonctionnaire. Elle en est venue à croire que tous les membres du personnel du bureau de la rue Dundas seraient mis au courant de ce qui se passait au Centre Keele, de sorte qu’il lui était difficile d’accomplir ses tâches. Sa tension artérielle était plus élevée que jamais, et elle se sentait déprimée en raison des événements. Finalement, elle est partie en congé pour cause de stress en février 2011.

25 L’enquête a effectivement été stressante. La fonctionnaire a été interrogée cinq fois par le Comité d’enquête ou par l’enquêteur pendant la tenue de l’enquête. Elle a appris que certains employés s’étaient plaints de sa conduite, mais leur identité ne lui a pas été révélée. Certains interrogatoires ont duré presque une journée complète. Elle a affirmé avoir souvent été interrogée de façon agressive ou condescendante. Elle avait l’autorisation de se faire accompagner d’une personne de confiance pendant les interrogatoires, mais ni cette personne ni elle-même ne pouvaient poser de questions ni contester les renseignements que les sources anonymes avaient fournis au Comité d’enquête. À un certain moment, M. Dixon, qui faisait partie des personnes de confiance de la fonctionnaire, est intervenu pendant l’un des interrogatoires. La fonctionnaire a affirmé que l’enquêteur avait dit à ce dernier de se tenir tranquille et de [traduction] « se contenter d’écouter ». Il n’avait pas l’autorisation de poser de questions. M. Dixon a convenu que c’est ainsi que les événements s’étaient déroulés.

26 Le Comité d’enquête a fourni à la fonctionnaire un rapport provisoire le 29 avril 2011. Celle-ci disposait d’une heure pour l’examiner. Elle a ensuite demandé un délai d’une semaine pour préparer une réponse aux allégations et aux constatations figurant dans le rapport. Ce délai lui a été accordé. Elle a préparé une longue réponse, dont certaines portions semblent avoir été incluses dans le rapport final.

27 Le rapport final du Comité d’enquête comptait 109 pages. Il a d’abord été présenté à M. Leis, qui l’a ensuite transmis à Mme MacDonald vers la mi-août. Cette dernière, à titre de sous-directrice régionale intérimaire (Ontario) au sein du SCC, savait qu’une enquête était en cours, mais n’avait pas pris part au processus. Elle a affirmé qu’il lui avait fallu une semaine pour lire le rapport et en analyser le contenu. Elle en a ensuite fait parvenir une copie, accompagnée d’une lettre datée du 25 août 2011, à Mme Hassard. Elle a demandé à cette dernière de fournir ses commentaires au plus tard le 2 septembre. Elle l’a informée qu’une fois ses commentaires reçus, le personnel de son bureau communiquerait avec elle pour fixer la date d’une réunion disciplinaire. Elle a également signifié à Mme Hassard que celle-ci pouvait être accompagnée d’un représentant à la réunion (pièce E2, onglet 7).

28 Je prends ici le temps de préciser certaines nuances dans le choix des termes utilisés. Dans son témoignage, Mme MacDonald a précisé que les réunions disciplinaires avaient lieu avant que des décisions d’ordre disciplinaire soient prises, le cas échéant. Ces réunions visent à permettre à la personne qui fait l’objet d’une enquête de fournir des commentaires, des réponses ou des éléments de preuve supplémentaires qu’elle considère comme suffisamment pertinents pour être inclus dans le rapport et pris en considération dans toute décision que la direction pourrait prendre. Par opposition, l’audience disciplinaire a lieu une fois que la décision d’ordre disciplinaire a été prise. Son but est simplement de communiquer la décision à la personne faisant l’objet de l’enquête.

29 La fonctionnaire a demandé une prolongation du délai pour présenter sa réponse au rapport final, délai qui lui a été accordé. À un certain stade de la procédure, elle a retenu les services de M. Moreau, un avocat travaillant pour un cabinet bien connu spécialisé en droit du travail à Toronto. Le 16 septembre 2011, Mme MacDonald a reçu une demande de M. Moreau, qui se présentait comme l’avocat de Mme Hassard, [traduction] « […] quant à la lettre de Mme MacDonald datée du 25 août 2011 et à toutes les questions relatives à l’emploi de la fonctionnaire ». Il demandait que [traduction] « toutes les communications directes au sujet de cette affaire » lui soient adressées. Il soulignait la gravité des allégations formulées à l’encontre de Mme Hassard, la complexité du dossier et la quantité de documents à examiner. Il demandait donc un délai jusqu’au 7 octobre pour fournir une réponse. Il souhaitait également que Mme MacDonald réponde à cette demande au plus tard le 19 septembre (pièce G1, onglet 3).

30 Mme MacDonald a répondu, le 19 septembre, qu’elle accordait une autre prolongation jusqu’au 7 octobre (pièce G1, onglet 4). M. Moreau a répondu la journée même, en indiquant qu’il avait déjà commencé à préparer une réponse et en lui demandant si elle [traduction] « […] serait en mesure de discuter directement avec lui au cours des prochains jours au sujet de cette affaire » (pièce G1, onglet 5).

31 Mme MacDonald a affirmé que M. Moreau et elle-même avaient effectivement discuté au cours de la semaine suivante, soit le 26 septembre. À ce stade-ci du témoignage, l’avocate de l’employeur souhaitait examiner les propos qui avaient été tenus au cours de cette discussion. L’avocat de Mme Hassard s’y est toutefois opposé. Il a affirmé que le contenu de la conversation constituait une preuve par ouï-dire et était de toute façon protégé parce qu’il concernait des négociations ou des discussions sur le règlement du litige. Il a affirmé que les discussions étaient semblables à celles qui avaient eu lieu au cours des diverses étapes de la procédure de règlement des griefs et que, pour cette raison, elles devaient être protégées.

32 L’objection de M. Moreau posait une difficulté en ce sens que l’une des questions dont je suis directement saisi consiste à déterminer si une offre de règlement a été présentée par l’employeur et, le cas échéant, quel était le contenu de cette offre et quel en avait été l’issue, c’est-à-dire si elle avait été acceptée ou non. De plus, s’il y avait bel et bien eu une offre, il fallait déterminer si l’employeur était ensuite revenu sur cette offre au détriment de Mme Hassard. Il aurait été difficile, voire impossible pour moi, dans une optique d’équité envers les parties, de trancher une telle question si les discussions ayant mené à l’offre qui aurait, selon Mme Hassard, été présentée à cette dernière n’avaient pas été versées en preuve. L’autre difficulté, évidemment, était que cette preuve aurait exigé que M. Moreau témoigne au sujet de la discussion qui avait eu lieu entre lui et Mme MacDonald, ce qui l’aurait alors placé dans la position d’un témoin dans le cadre d’une affaire pour laquelle il assumait également le rôle d’avocat.

33 L’avocate de l’employeur a répondu à l’objection de M. Moreau en affirmant que la discussion entre Mme MacDonald et M. Moreau avait eu lieu trop tôt pour que s’applique le privilège de négociation relatif à l’entente. Toutefois, elle a reconnu que sa position pouvait placer M. Moreau dans une situation délicate et a affirmé qu’elle était prête à procéder par stipulation pour établir la teneur de la discussion.

34 Finalement, et par suite de la présentation d’autres observations et de discussions, l’avocat de Mme Hassard et l’avocate de l’employeur se sont entendus sur la teneur de la discussion qui a eu lieu entre Mme MacDonald et M. Moreau. Ils ont donc établi, par consentement, que des discussions sur le règlement du litige avaient eu lieu, que le départ à la retraite avait fait partie des nombreuses questions soulevées, qu’il avait également été question d’un règlement d’ensemble et qu’il avait été clairement établi qu’une audience disciplinaire aurait lieu, même si la date n’était pas encore déterminée à ce moment-là.

35 Le 6 octobre 2011, Mme MacDonald a reçu de la part de M. Moreau une réponse longue et détaillée au rapport d’enquête (pièce G1, onglet 8). Elle a affirmé avoir examiné ce document et l’avoir versé au dossier contenant tous les documents qu’elle avait déjà rassemblés au sujet de cette affaire.

B. Réunion disciplinaire du 7 octobre

36 La réunion disciplinaire a eu lieu le 7 octobre 2011. Étaient présents Mme MacDonald, M. Staley, Mme Hassard et son représentant, M. Dixon.

37 Mmes MacDonald et Hassard ont toutes deux confirmé que les discussions tenues au cours de cette réunion avaient porté sur les allégations contenues dans le rapport d’enquête. Mme MacDonald a posé des questions à Mme Hassard au sujet des allégations, et celle-ci a répondu. Mme MacDonald a également discuté des résultats de la vérification de sécurité qui avait eu lieu au sein de l’unité pendant que la fonctionnaire était en congé. Cette dernière avait été surprise et contrariée par cet aspect de la discussion, car la vérification n’avait rien à voir avec le rapport d’enquête et, de surcroît, elle avait été menée à l’automne, pendant son absence, et constituait donc une mesure sur laquelle elle n’avait aucune prise.

38 À la toute fin de la réunion, la question du départ à la retraite a été abordée. Étant donné qu’un des éléments centraux de l’argumentation de la fonctionnaire portait sur le fait que ce soit l’employeur, et non la fonctionnaire, qui avait d’abord soulevé la possibilité du départ à la retraite, il est nécessaire d’examiner les témoignages à cet égard de façon plus détaillée.

39 Mme Hassard a affirmé que Mme MacDonald avait laissé entendre que si elle souhaitait partir à la retraite, elle pouvait le faire, et ainsi mettre un terme à sa carrière au moyen d’un départ à la retraite plutôt que d’une mesure disciplinaire et ainsi [traduction] « garder la tête haute ». Mme Hassard a soutenu qu’elle avait répondu qu’elle estimait que l’enquête était pour elle [traduction] « source de honte » et qu’elle avait rendu l’environnement de travail malsain. La fonctionnaire a précisé que Mme MacDonald avait également dit que si elle prenait sa retraite, la divulgation publique publiée sur le site Web du SCC au sujet de l’enquête mentionnerait seulement qu’elle était partie à la retraite, et non qu’elle avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

40 Je prends ici le temps d’expliquer pourquoi, à un certain moment, la question de l’avis public devant être donné par rapport à l’enquête a été abordée. Aux termes de la LPFDAR, un avis public décrivant l’enquête, les constatations et les recommandations en découlant, de même que les mesures prises par la suite, doit être publié en ligne. Cet avis doit être suffisamment détaillé pour donner une certaine idée des actes répréhensibles reprochés et des mesures qui ont été prises par la suite, le cas échéant, mais suffisamment vague pour protéger la confidentialité des renseignements au sujet des informateurs et de la personne ayant fait l’objet de l’enquête. La fonctionnaire était préoccupée par  la divulgation publique des résultats de l’enquête. Le bureau régional de l’Ontario du SCC est petit et les membres du personnel et la direction se connaissent suffisamment pour que son identité puisse être devinée. Si l’avis public publié en ligne indiquait qu’elle avait pris sa retraite, plutôt que d’indiquer qu’elle avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire, les répercussions négatives sur sa réputation personnelle du fait d’avoir été visée par une enquête s’en trouveraient légèrement diminuées.

41 Pour ce qui est du témoignage présenté par les témoins, Mme MacDonald a pour sa part déclaré qu’à la toute fin de la réunion, elle avait demandé à Mme Hassard si elle avait d’autres commentaires à formuler. Cette dernière avait répondu qu’elle serait prête à prendre sa retraite. Mme MacDonald a affirmé qu’elle n’avait pas répondu à cette observation de Mme Hassard. Elle a ajouté, en contre-interrogatoire, qu’au moment où M. Dixon quittait la pièce, il s’était retourné vers elle et lui avait demandé à quel moment Mme Hassard devait prendre une décision par rapport à son départ à la retraite. Mme MacDonald a indiqué avoir répondu qu’il faudrait qu’elle prenne sa décision avant que des mesures disciplinaires soient imposées, faute de quoi il faudrait conclure une entente pour les annuler.

42 Dans son témoignage, M. Dixon a affirmé que vers la fin de la réunion, Mme MacDonald avait [traduction] « demandé sur un ton compatissant (ou dans des termes semblables) : Pourquoi ne pas partir à la retraite? ». Il a ajouté qu’à ce moment-là, la suite des événements semblait très claire. Il a indiqué qu’il avait trouvé que Mme MacDonald s’était comportée de façon [traduction] « professionnelle, juste et ferme ». Il se rappelait également que Mme Hassard n’avait pas accepté l’offre sur-le-champ, qu’elle avait plutôt répondu quelque chose comme [traduction] « Je vais y penser. » M. Dixon n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire.

43 Au moment de la réunion, Mme Hassard était en congé de maladie. Mme MacDonald a confirmé qu’elle n’avait pas discuté du retour au travail de la fonctionnaire. Mme MacDonald est ensuite retournée en voiture à Kingston avec M. Staley, mais elle avait la grippe à ce moment-là et, selon son témoignage, elle n’a pour ainsi dire pas discuté de la réunion avec M. Staley.

44 Les seules notes de compte rendu de la réunion versées en preuve sont celles de M. Staley. En ordre chronologique, elles comprennent les notes manuscrites qu’il a prises pendant la réunion (pièce E8), une note de service dactylographiée qui comprend la plupart (mais non la totalité) de ces notes et qui a été préparée environ une semaine après la réunion (pièce E2, onglet 8) ainsi qu’une transcription dactylographiée des notes manuscrites qu’il a préparée le 19 août 2012 (pièce E9), soit la veille de la présentation de son témoignage à l’audience. Beaucoup de temps a été consacré à l’interrogatoire principal et au contre-interrogatoire des témoins, en particulier M. Staley, concernant l’exactitude des notes et leur exhaustivité. Toutefois, l’élément central demeure la question de déterminer si le départ à la retraite a d’abord été abordé par la fonctionnaire ou par Mme MacDonald. J’aborderai ce point plus loin dans les présents motifs.

45 Le 8 octobre 2011, Mme Hassard a envoyé à Mme MacDonald un courriel qui avait été diffusé par un agent correctionnel en janvier 2011 et qui portait sur Mme Hassard. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de préciser le contenu de ce courriel, outre qu’il comprenait des commentaires négatifs au sujet de la fonctionnaire. Mme Hassard l’a acheminé à Mme MacDonald pour lui fournir un exemple de la mesure dans laquelle sa [traduction] « réputation avait été irrémédiablement entachée », selon ses propres termes. Elle a affirmé que si elle retournait au travail, d’autres membres du personnel (compte tenu du courriel) pourraient déclarer que le lieu de travail était [traduction] « non sécuritaire ». Mme Hassard a également affirmé ce qui suit dans son courriel (pièce G1, onglet 9) :

[Traduction]

[…] De plus, je ne veux pas faire partie d’une organisation dans laquelle des membres du personnel inexpérimentés, comme [l’agent correctionnel qui a envoyé le courriel], arrivent à déjouer toute surveillance de leur travail d’une telle façon, et où leur jugement professionnel est pris plus au sérieux que celui d’une personne comptant 36 années de service. Je ne répéterai pas ici les autres problèmes graves que j’ai vécus avec [l’agent correctionnel en question], étant donné que vous êtes déjà au courant. (Pièce G1, onglet 9).

46 Mme Hassard a mis M. Moreau en copie de ce courriel. M. Moreau a ensuite écrit à Mme MacDonald (avec sa cliente en copie conforme), en affirmant qu’il ne connaissait pas le contexte dans lequel sa cliente avait envoyé par courriel une copie du courriel de l’agent correctionnel. Il a fait remarquer que le courriel de l’agent correctionnel était effectivement incorrect sur le plan des faits et que ses affirmations n’avaient pas été examinées dans le cadre du rapport d’enquête. Il a conclu en indiquant ce qui suit (pièce G1, onglet 9) : [traduction] « Je prétends que le courriel de [l’agent correctionnel] est une raison d’être préoccupé au sujet du retour de Mme Hassard dans son ancien milieu de travail, et il s’agit là d’une question qui va au-delà de toutes les constatations ayant pu être formulées par le Comité d’enquête. »

47 Le 11 octobre 2011, Mme MacDonald a avisé Mme Hassard par écrit que l’audience disciplinaire aurait lieu le vendredi 14 octobre (pièce G1, onglet 10, et pièce E5). Mme Hassard a affirmé que, à la réception de la lettre, elle a compris que [traduction] « des mesures disciplinaires sérieuses seraient imposées ». Elle a expliqué qu’elle ne savait pas à quoi s’attendre, mais qu’elle avait compris que ce serait sérieux.

48 Peu de temps après avoir envoyé cette lettre, Mme MacDonald a reçu par courriel la demande suivante de M. Moreau : [traduction] « […] la réunion dont il est question dans la lettre aura-t-elle simplement pour objet d’informer Mme Hassard, de vive voix ou par écrit, des mesures disciplinaires imposées? Devra-t-elle y répondre? Peut-elle être accompagnée? » (pièce E5). Mme MacDonald a répondu le même jour : [traduction] « […] l’objet de la réunion est simplement d’imposer une mesure disciplinaire et oui, Mme Hassard peut être accompagnée ». Elle  a également ajouté qu’elle avait reçu sa lettre ainsi que les renseignements qui y étaient joints et qu’elle les examinerait dans le cadre de la détermination des mesures disciplinaires à imposer (pièce E5).

49 Le matin du 13 octobre, à 9 h 10, Mme Hassard a envoyé un courriel à Mme McDonald, rédigé comme suit (pièce E4) : [traduction] « Je sais que mon poste est désormais bloqué et que ma réputation a été irrémédiablement entachée au sein du SCC ainsi que par un procureur de la Couronne à qui on a rapporté les ragots et qui m’a calomniée dans une séance publique en proférant un mensonge qui sera facile à réfuter. Ce mensonge figure dans les transcriptions. Je serais prête à envisager la retraite s’il y avait moyen de régler de façon équitable toutes les questions en suspens. Je vous remercie et je vous suis reconnaissante de venir à Toronto une fois de plus pour assister à la réunion. »

50 Apparemment, aucune copie conforme de ce courriel n’a été envoyée à M. Moreau.Mme MacDonald a répondu en demandant à Mme Hassard si elle serait disponible à midi pour un appel téléphonique. Mme Hassard a répondu par l’affirmative et a transmis son numéro de téléphone cellulaire à 12 h 9. Mme MacDonald a alors téléphoné à Mme Hassard (pièce E4).

51 Mme MacDonald a indiqué qu’elles avaient eu [traduction] « une conversation sérieuse ». Elle a affirmé avoir expliqué à Mme Hassard qu’elle n’était pas en mesure de lui offrir d’indemnité, qu’il y aurait une audience disciplinaire et qu’il ne s’agissait pas d’un contexte dans lequel elle pourrait lui offrir une indemnité. Elle a indiqué à Mme Hassard que celle-ci pouvait prendre sa retraite ou encore se rendre à l’audience disciplinaire et voir quelle en serait l’issue. Elle a ajouté qu’il s’agissait de sa décision, mais qu’elle ne pourrait pas [traduction] « ménager la chèvre et le chou ». En effet, Mme Hassard ne pouvait pas simplement attendre de connaître la nature de la mesure disciplinaire, déterminer si celle-ci lui plaisait ou non, puis choisir rétroactivement de prendre sa retraite. Comme Mme MacDonald l’a expliqué en contre-interrogatoire, elle a tenu ces propos à Mme Hassard parce que cette dernière voulait savoir quelle serait la mesure disciplinaire avant de décider si elle prendrait sa retraite ou non.

52 La fonctionnaire a affirmé qu’au cours de cette conversation, Mme MacDonald avait répété l’offre selon laquelle si Mme Hassard prenait sa retraite, elle [traduction] « fermerait le dossier » plutôt que d’imposer une mesure disciplinaire et avait affirmé que le dossier du SCC serait déchiqueté et que les renseignements publiés sur le site Web indiqueraient que la fonctionnaire avait pris sa retraite plutôt que d’indiquer qu’elle avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Toute référence à une telle mesure aurait entaché la réputation de la fonctionnaire, étant donné que cette dernière était convaincue que même si son nom n’était pas mentionné, certaines personnes de l’organisation seraient en mesure de deviner qu’il s’agissait d’elle.

53 Le 13 octobre 2011, à 14 h 43, Mme Hassard a envoyé un courriel à Mme MacDonald portant l’objet [traduction] « Réunion de vendredi ». Dans ce courriel, elle lui demandait de confirmer que si elle prenait sa retraite la semaine suivante, elle recevrait 28 semaines de salaire, outre toute somme déjà reçue. Elle ajoutait que, le cas échéant, elle serait dans une meilleure position pour prendre sa décision (pièce G1, onglet 11).

54 Mme MacDonald a affirmé qu’elle croyait que ce courriel faisait référence à une discussion qu’elle avait déjà eue avec Mme Hassard. À ce moment-là, elle a indiqué à Mme Hassard que si celle-ci prenait sa retraite, elle recevrait tout ce à quoi ont droit les employés qui prennent leur retraite. L’une des indemnités prévues consistait en une allocation de retraite équivalant à 28 semaines de salaire. Au moment de cette discussion, Mme MacDonald ne savait pas (et Mme Hassard ne lui en avait rien dit) que Mme Hassard avait déjà reçu cette allocation (lorsque plusieurs employés avaient également choisi de la recevoir). À la suite de cette conversation, elle avait appris des responsables de la rémunération que Mme Hassard avait déjà reçu son allocation. Ainsi, lorsqu’elle a reçu la demande de Mme Hassard, elle a répondu ce qui suit : [traduction] « Non, ce n’est pas le cas. L’allocation de 28 semaines correspond à la somme à laquelle chaque employé a droit. Je vous avais dit que vous y auriez droit sans savoir que vous l’aviez déjà encaissée. Je ne peux pas vous offrir cette allocation deux fois. Est-ce bien ce dont vous parlez? » (pièce G1, onglet 11)

55 Mme Hassard a répondu de la façon suivante : [traduction] « Oui, il s’agit bien de cette allocation. Si vous m’offriez cette somme, je serais prête à prendre ma retraite. Il s’agit d’une situation unique » (pièce G1, onglet 12). Mme MacDonald a répondu ainsi : [traduction] « Non, je ne suis pas en mesure de vous offrir une indemnité supplémentaire, outre ce à quoi vous auriez droit au moment du départ à la retraite. Étant donné que vous avez déjà encaissé votre allocation, je ne peux vous l’offrir à nouveau. » (pièce G1, onglet 13)

56 La fonctionnaire a également expliqué qu’à cette époque, elle avait discuté avec M. Staley pour savoir si elle risquait de perdre sa pension si elle faisait l’objet d’une mesure disciplinaire. Elle a affirmé qu’il lui avait dit que c’était une possibilité. Toutefois, elle a également ajouté qu’elle n’en croyait rien, mais que, comme c’est ce qu’il lui avait dit, elle avait eu l’impression de faire l’objet de manipulation et d’intimidation.

57 M. Moreau a reçu en copie conforme des courriels échangés par Mme MacDonald et sa cliente. À un certain moment, il était intervenu dans la conversation, en envoyant le message suivant à Mme MacDonald (et à sa cliente) (pièce G1, onglet 14) :

[Traduction]

Vous disposez certes d’une certaine marge de manœuvre afin que ce conflit puisse se régler rapidement et à l’amiable, à la satisfaction des deux parties. Le fait d’accepter de verser à Shelley une allocation de 28 semaines, comme elle le propose, serait extrêmement généreux, comparativement à ce qui attend les deux parties si une mesure disciplinaire est imposée, sans compter les conséquences qui en découleraient.

58 Mme MacDonald a répondu de la façon suivante (pièce G1, onglet 15) :

[Traduction]

Stephen, ce qui est demandé, c’est une indemnité en remplacement d’une mesure disciplinaire? – Je ne peux offrir aucune indemnité. Si Shelley présente sa lettre de départ à la retraite aujourd’hui ou demain, avec une date d’entrée en vigueur la semaine prochaine, je suis prête à fermer le dossier. Sinon, je conserve mon intention d’être présente demain pour l’audience disciplinaire. Merci.

59 M. Moreau a répondu ainsi (pièce G1, onglet 16) :

[Traduction]

L’indemnité demandée n’est pas en remplacement de la mesure disciplinaire; je crois que c’est plutôt le départ à la retraite qui ferait office de « remplacement ». En fait, je tentais, à titre préventif, de faire en sorte qu’elle obtienne une indemnité de départ avant d’être licenciée ou de faire l’objet d’un congédiement déguisé. Si cette mesure était prise maintenant, les deux parties en sortiraient gagnantes.

60 Je souligne que ces courriels ont été échangés par Mmes MacDonald et Hassard et M. Moreau, soit par courriel direct ou par copie conforme. Ils ont tous été échangés le 13 octobre, soit la veille de l’audience disciplinaire, laquelle devait avoir lieu le vendredi 14 octobre, et portaient tous l’objet [traduction] « Réunion de vendredi ».

C. Audience disciplinaire du 14 octobre

61 L’audience disciplinaire a eu lieu le 14 octobre 2011. Y étaient présents Mme MacDonald, M. Staley, Mme Hassard et son représentant personnel, M. Dixon.

62 L’audience n’a pas duré longtemps. Mme MacDonald a remis deux lettres à Mme Hassard. La première, datée du 14 octobre, décrivait la mesure disciplinaire. Dans cette lettre, Mme MacDonald indiquait qu’elle souscrivait aux constatations du rapport et que le Code de discipline et le Code de valeurs et d’éthique avaient été enfreints. Elle indiquait également ce qui suit :

[Traduction]

Pour définir la mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en considération tous les faits, y compris votre nombre d’années de service, votre dossier d’emploi et vos observations personnelles. À l’égard des membres du groupe de la direction, les attentes sont plus élevées quant au respect des valeurs et des principes d’éthique du Service et à l’adoption de comportements qui font la promotion de ces valeurs et de ces principes d’éthique, puisqu’il faut gagner la confiance des cadres dirigeants. La rétrogradation est une mesure corrective visant à vous retirer un rôle dans le cadre duquel vous étiez responsable des délinquants et du personnel, et il s’agit pour vous d’une occasion de réévaluer vos rôles, responsabilités et obligations à titre d’employée du Service correctionnel du Canada.

63 Mme MacDonald a conclu la lettre en affirmant qu’elle rétrogradait Mme Hassard au poste d’agente principale de projet pour la région de l’Ontario (AS-06), à partir du 17 octobre 2011. Cette rétrogradation permettait toutefois à Mme Hassard de demeurer au service du SCC (pièce E2, onglet 9).

64 Mme MacDonald a ajouté qu’en vertu de la clause 18.24 de la convention collective, Mme Hassard avait le droit de formuler un grief à l’égard de la rétrogradation et que, si elle avait besoin d’aide, elle pouvait se prévaloir du Programme d’aide aux employés (le « PAE ») (pièce E2, onglet 9). La fonctionnaire  a reconnu dans son témoignage que Mme MacDonald lui avait dit qu’elle avait le droit de formuler un grief au sujet de la rétrogradation.

65 La seconde lettre remise à Mme Hassard faisait état de la rétrogradation et comprenait une copie d’un bref résumé des conditions d’emploi du poste auquel elle devait être rétrogradée. Ces renseignements indiquaient son lieu de travail (le Bureau du district central de l’Ontario du SCC, situé au 180, rue Dundas, à Toronto) et précisaient de qui elle relevait (administration centrale) ainsi que l’échelle salariale du poste. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une description de travail (pièce E2, onglet 9).

66 Mme MacDonald a affirmé que Mme Hassard avait des questions au sujet du poste auquel elle devait être rétrogradée. Elle avait tenté de répondre à certaines d’entre elles et lui avait dit qu’elle lui fournirait bientôt plus de détails.

67 Mme MacDonald a indiqué qu’à la toute fin de l’audience, elle avait dit à Mme Hassard qu’elle comprenait que cette dernière vivait une période difficile. Elle a ajouté que si Mme Hassard souhaitait envisager un départ à la retraite, elle pourrait toujours en tenir compte une fois la mesure disciplinaire imposée, sauf qu’à ce moment-là, la situation serait plus compliquée, car il faudrait annuler la décision disciplinaire et ses conséquences. Il faudrait alors conclure une entente pour retirer la mesure disciplinaire du dossier. Elle avait également dit à Mme Hassard qu’elle était prête à la laisser réfléchir à cette offre au cours de la semaine suivant le 14 octobre, mais que ce serait sa dernière chance. Mme MacDonald a insisté fermement sur le fait qu’elle n’avait pas demandé à Mme Hassard de prendre sa retraite et qu’elle n’avait pas le pouvoir d’agir ainsi. Elle avait plutôt fourni à la fonctionnaire le choix entre deux solutions possibles.

68 La fonctionnaire a reconnu que la question du départ à la retraite avait de nouveau été abordée à l’audience. Dans son témoignage, elle a affirmé que Mme MacDonald lui avait dit que si elle souhaitait envisager de partir à la retraite, elle lui laisserait jusqu’au vendredi suivant pour accepter l’offre. La fonctionnaire a ajouté qu’étant donné que Mme MacDonald prolongeait continuellement l’offre relative au départ à la retraite, elle estimait que cette offre était faite dans l’intérêt de l’organisation, et non dans le sien, et que c’était à l’avantage de Mme MacDonald de lui offrir cette possibilité. Mme MacDonald lui présentait cette possibilité comme une faveur, ce qui éveillait chez elle des soupçons.

69 La fonctionnaire a également expliqué qu’à un certain moment, Mme MacDonald avait affirmé qu’il faudrait conclure un protocole d’entente pour annuler la mesure disciplinaire, étant donné que celle-ci avait été imposée selon les règles administratives.

D. Événements postérieurs à l’audience disciplinaire du 14 octobre

70 Mme Hassard n’a pas accepté le nouveau poste auquel elle devait être rétrogradée à partir du lundi 17 octobre.

71 Cette journée-là, elle a plutôt envoyé un courriel à Mme MacDonald portant l’objet [traduction] « Précisions nécessaires ». Dans ce courriel, elle demandait des précisions sur différents aspects; elle voulait notamment savoir quel serait son salaire si elle acceptait le poste AS-06, si elle perdait la prime de bilinguisme et la prime de risque associées à son poste de directrice du Centre Keele, quelles seraient ses autres pertes si elle acceptait le nouveau poste, à quel syndicat elle appartiendrait et à combien s’élèveraient les cotisations syndicales normales, de qui elle relèverait au bureau du 180, rue Dundas à Toronto et quelle serait la nature de ses fonctions et responsabilités. Elle posait ces questions afin de déterminer avec qui elle travaillerait ou qui elle consulterait et quelle serait la nature de son rôle (pièce G1, onglet 17).

72 Mme MacDonald lui a répondu le jour même en précisant qu’elle assurerait un suivi et lui répondrait au plus tard le mercredi (pièce G1, onglet 18). Peu de temps après, M. Moreau a envoyé le courriel suivant à Mme MacDonald : [traduction] « Serait-il possible de reporter au vendredi 21 octobre le délai d’acceptation de votre offre concernant le départ à la retraite et les mesures disciplinaires éventuelles, étant donné les questions très importantes que Shelley se pose? Nous apprécions votre aide et votre compréhension à cet égard. » (pièce G1, onglet 19)

73 Mme MacDonald a répondu qu’elle acquiesçait à cette demande (pièce G1, onglet 19).

74 Le jeudi 20 octobre, Mme MacDonald a écrit à Mme Hassard pour lui fournir les réponses aux questions qu’elle avait posées le 17 octobre. Elle l’a également informé qu’une copie de la description de travail du poste AS-06, dans laquelle les fonctions du poste sont énumérées, lui serait envoyée séparément par M. Staley (pièce G1, onglet 20). Le jour même, M. Staley a envoyé une copie de la description de travail (pièce G1, onglet 20). Le titre de poste « agent principal de projet régional » a été modifié pour devenir « agent principal de projet pour la région de l’Ontario ». Le document indiquait qu’il s’agissait d’une description de travail générique. La fonction principale du poste consistait à [traduction] « […] réaliser des études et [à] préparer des documents ou des rapports à l’appui de la définition et de l’élaboration d’orientations stratégiques et de l’assurance de l’intégrité opérationnelle du bureau régional ainsi qu’à fournir des conseils, des analyses, des méthodes, de l’expertise et des services de gestion de projet connexes » (pièce G1, onglet 21).

75 Toujours la même journée, M. Moreau a demandé à Mme MacDonald quelles étaient globalement les différences entre les avantages sociaux des deux postes. Le 20 octobre, Mme MacDonald a répondu qu’il n’y avait aucune différence dans les avantages sociaux, outre le fait que la prestation supplémentaire de décès (fondée sur le double du salaire) était calculée en fonction du salaire à la date du décès (pièce G1, onglet 22).

76 Mme Hassard a alors posé des questions de suivi relativement aux réponses que Mme MacDonald lui avait fournies dans son courriel du 20 octobre (pièce G1, onglet 23) :

[Traduction]

Lori – pouvez-vous nous dire quels sont les avantages sociaux qui seraient perdus ou modifiés en raison de la rétrogradation? Je sais qu’il existe une indemnité particulière pour les gestionnaires, mais le nouveau poste n’est pas un poste de gestion, alors j’imagine que les avantages sociaux devraient changer aussi. Je crois qu’il s’agit de la dernière question, c’est-à-dire quels seraient les changements apportés aux avantages sociaux en raison de la rétrogradation?

77 Mme MacDonald a répondu le 20 octobre qu’il n’y aurait aucun changement aux avantages sociaux, c’est-à-dire que les prestations d’invalidité de longue durée, le régime de soins de santé de la fonction publique, le régime de soins dentaires et le régime d’assurance pour les cadres de gestion de la fonction publique (si la fonctionnaire y avait droit) demeureraient les mêmes. Elle a conclu en indiquant qu’elle espérait que les renseignements fournis seraient utiles (pièce G1, onglet 25).

78 Le vendredi 21 octobre, M. Moreau a envoyé une réponse relativement à la lettre de rétrogradation du 14 octobre. Il a affirmé que Mme Hassard l’avait informé qu’elle avait été rétrogradée en raison des constatations de l’enquête au sujet de la conduite inappropriée qui lui était reprochée, et que sa rétrogradation entrait en vigueur immédiatement. Il a affirmé avoir informé Mme Hassard qu’il s’agissait d’une rétrogradation de nature disciplinaire, puis il a expliqué longuement en quoi ce poste était [traduction] « radicalement différent » de celui qu’elle occupait à titre de directrice du Centre Keele. Il a fait remarquer que compte tenu de l’étendue de l’enquête et du fait que Mme Hassard était partie en congé, il n’y avait aucun doute que les membres du personnel étaient au courant de tout ce qui avait pu filtrer. Enfin, il a affirmé qu’à la lumière de ces faits, il avait fait savoir à Mme Hassard que sa rétrogradation équivalait à un congédiement déguisé et que sa mutation à un poste qui n’était pas un poste de gestion constituait clairement une punition et une mesure disciplinaire (pièce G1, onglet 26).

79 M. Moreau a poursuivi en affirmant ce qui suit (pièce G1, onglet 26) :

[Traduction]

Compte tenu des circonstances et de la destruction à long terme de la réputation de Mme Hassard, qui a subi une rétrogradation après presque un an d’enquête, nous avons informé Mme Hassard qu’elle devait considérer qu’elle avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. Elle ne peut tout simplement pas accepter le poste auquel vous l’avez rétrogradée.

Selon notre compréhension, Mme Hassard souffre actuellement de graves problèmes de santé. Son intention, lorsqu’elle sera en mesure de retourner travailler, est de chercher un emploi ailleurs. Toutefois, son absence prolongée du travail aura certainement des répercussions importantes sur sa capacité de trouver un autre emploi, particulièrement un emploi dont la rémunération est comparable.

Pour l’heure, par souci de courtoisie, nous tenons simplement à vous aviser de notre position et à vous faire savoir que nous explorons actuellement les diverses possibilités qui s’offrent à Mme Hassard. Nous vous écrirons à nouveau, en temps opportun, au sujet de la suite du processus.

80 Cette lettre a été envoyée par courriel à Mme Hassard. Comme elle était datée du 21 octobre, je tiens pour avéré qu’elle a été envoyée ce jour-là. Toujours le 21 octobre, à 14 h 49, Mme Hassard a envoyé à Mme MacDonald le courriel suivant, avec comme objet [traduction] « Départ à la retraite – directrice de l’Unité de la surveillance renforcée » (pièce G1, onglet 27) :

[Traduction]

Après y avoir longuement réfléchi, je vous écris pour vous informer que je prends immédiatement ma retraite. Veuillez me faire savoir avec qui je dois communiquer pour définir mes choix de pension et établir le versement des prestations de retraite.

Je vous suis reconnaissante des offres que vous m’avez présentées par téléphone la semaine dernière et en personne au cours de la réunion du 14 octobre, c’est-à-dire de fermer le dossier disciplinaire, de ne pas m’imposer de mesure disciplinaire et de publier, pour mettre fin au processus de divulgation, une mention anonyme indiquant que j’ai pris ma retraite, advenant que ce soit le cas. J’accepte votre offre et j’aimerais que vous me confirmiez que j’ai bien compris les diverses modalités et que vous vous conformerez à cette entente.

81 La fonctionnaire a affirmé que peu de temps après l’envoi de son courriel, Mme MacDonald lui avait téléphoné pour l’informer que son départ à la retraite n’entrerait pas en vigueur avant que celle-ci ne l’ait accepté. Mme MacDonald a ajouté qu’il fallait d’abord signer un protocole d’entente.

82 Pour sa part, Mme MacDonald a affirmé qu’elle avait été déroutée par la lettre. Elle avait alors téléphoné à Mme Hassard pour lui dire qu’elle ne pouvait pas accepter sa lettre de démission étant donné qu’elle n’était pas certaine de comprendre ce dont elle parlait; la fonctionnaire quittait-elle le poste AS-06 auquel elle avait été rétrogradée ou son ancien poste de directrice pour prendre sa retraite? Elle voulait ainsi s’assurer que tout était bien clair. Mme MacDonald a demandé au personnel des ressources humaines de préparer un protocole d’entente qui tiendrait compte de la mesure disciplinaire imposée, qui serait ensuite retirée du dossier, afin que [Mme Hassard] puisse quitter son ancien poste de directrice pour prendre sa retraite.

83 La fonctionnaire a expliqué que le 28 octobre, Mme MacDonald l’avait appelée pour l’informer que le personnel des ressources humaines travaillait à la préparation d’un protocole d’entente. Le dossier devait être examiné par les Services juridiques et il fallait annuler la mesure disciplinaire, le tout avant que Mme MacDonald puisse accepter le départ à la retraite de Mme Hassard. Elle a mentionné qu’il aurait été préférable que la fonctionnaire prenne sa retraite avant l’imposition de la mesure disciplinaire, étant donné qu’un protocole d’entente était maintenant requis et que la situation était maintenant plus compliquée puisqu’une mesure disciplinaire avait été imposée.

84 Le 31 octobre 2011, M. Staley a envoyé à Mme Hassard une copie du protocole d’entente, en mettant Mme MacDonald et l’avocat de Mme Hassard, M. Moreau, en copie conforme. Le protocole d’entente commençait par un préambule décrivant certains éléments du contexte et précisant que les parties souhaitaient régler toutes les questions liées à l’emploi de l’employée au sein du SCC ainsi que le processus relatif à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Le protocole d’entente exposait ensuite l’offre que l’employeur était disposé à faire (pièce E2, onglet 11) :

[Traduction]

a)  Accuser réception du départ à la retraite de l’employée en date du 21 octobre 2011, et l’accepter;

b)  Annuler la mesure disciplinaire imposée à l’employée le 14 octobre 2011 et déchiqueter toutes les copies existantes des documents connexes;

c)  Annuler la lettre d’offre présentée à l’employée le 14 octobre 2011 qui avait pour objet de la rétrograder  au poste d’agente principale de projet au bureau de l’Ontario (no 20959) à partir du 17 octobre 2011;

d)  Aviser l’équipe de la rémunération et de la dotation du SCC que la lettre d’offre susmentionnée a été annulée.

85 Au cours de l’interrogatoire principal, la fonctionnaire a affirmé avoir lu le protocole d’entente. Son avocat lui a demandé si l’offre différait de celle qu’elle croyait s’être vu présenter par Mme MacDonald. Elle a répondu que seuls deux aspects différaient : une clause de confidentialité et la clause de renonciation suivante qu’elle devait accepter à la demande de l’employeur (pièce E2, onglet 11) :

[Traduction]

[…] de toute poursuite, réclamation ou revendication passée, actuelle ou future, quels qu’en soient le type ou la nature, découlant de son emploi auprès de l’employeur et du processus de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, y étant liée ou y faisant suite.

86 Mme MacDonald a affirmé que Mme Hassard était [traduction] « plutôt contrariée » par le contenu du protocole d’entente et les modalités que l’employeur proposait afin d’annuler la mesure disciplinaire. Elle a expliqué que l’employeur avait pour pratique, lorsqu’une mesure disciplinaire devait être annulée, [traduction] « de faire signer une clause de renonciation afin de ne pas être poursuivi par l’employé par suite du processus ».

87 Pour sa part, la fonctionnaire a affirmé qu’elle s’opposait aux deux clauses, car ni la clause de confidentialité ni la clause de renonciation n’avaient été évoquées dans les discussions qu’elle avait eues avec Mme MacDonald. En particulier, selon son témoignage, que j’accepte, Mme MacDonald n’a jamais mentionné qu’il faudrait inclure ces clauses dans les discussions qui avaient eu lieu.

88 Le 2 novembre 2011, M. Moreau a écrit à Mme MacDonald pour le compte de sa cliente. Il a affirmé que Mme Hassard ne signerait pas le protocole d’entente, car celui-ci contenait une clause de renonciation complète et finale dont Mme Hassard entendait parler pour la première fois et qu’elle devait accepter dans l’intérêt de l’employeur. Il a ajouté que leur position était que Mme Hassard avait exercé son droit de prendre sa retraite sur la foi des offres qui lui avaient été faites, selon lesquelles elle ne devait faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire si elle agissait ainsi (pièce G1, onglet 30).

89 M. Moreau a ensuite exposé sa compréhension des discussions qui avaient eu lieu entre Mmes Hassard et MacDonald, de vive voix et par écrit, du 12 au 28 octobre. Dans la mesure où une partie de son compte rendu était fondée sur ce que sa cliente lui a décrit, il s’agissait de ouï-dire. Quant au reste de son compte rendu, il s’appuyait sur des communications écrites (courriels, télécopies ou pièces de correspondance) versées en preuve à l’audience.

90 Après avoir exposé sa compréhension ou son interprétation des événements, M. Moreau a abordé la question du protocole d’entente, en s’exprimant en ces termes :

[Traduction]

Ce protocole d’entente contient une clause indiquant qu’il s’agit d’un accord complet et final réglant toutes les revendications que Mme Hassard pourrait avoir. Ce protocole d’entente n’est donc pas conforme à l’offre que vous aviez présentée à Mme Hassard.

91 M. Moreau a ajouté ce qui suit (pièce G1, onglet 30) :

[Traduction]

Selon notre compréhension, vous êtes d’avis que Mme Hassard aurait dû prendre sa retraite le 14 octobre 2011 si elle souhaitait conserver ses droits; toutefois, il est clair, compte tenu de qui précède, que ce fait ne lui a jamais été communiqué et qu’il n’a jamais fait partie de l’offre qui lui a été présentée.

De toute évidence, les commentaires que vous avez formulés à l’intention de Mme Hassard le 13 octobre 2011 et par la suite faisaient état d’une offre que celle-ci aurait pu accepter. Vous lui avez donné un délai supplémentaire le 14 octobre 2011 pour réfléchir à cette offre, et vous lui avez finalement laissé jusqu’au 21 octobre 2011 pour l’accepter.

Il n’a jamais été question de différences entre l’offre qui était en vigueur jusqu’au 14 octobre 2011 ou au cours de la semaine suivante, jusqu’au 21 octobre 2011, et celle qui avait été présentée au départ. L’offre que vous aviez présentée indiquait que Mme Hassard ne se verrait imposer aucune mesure disciplinaire si elle prenait sa retraite; aucune autre condition n’était précisée. Il n’a jamais été question de grief ni de poursuite si la mesure disciplinaire était annulée.

Par conséquent, Mme Hassard ne signera pas le protocole d’entente, même si elle a bel et bien l’intention de prendre sa retraite. Nous vous demandons d’honorer votre engagement au sujet de la mesure disciplinaire. Nous tenons également à ajouter qu’étant donné que Mme Hassard est actuellement à la retraite, nous remettons en question votre pouvoir de lui imposer une mesure disciplinaire à ce stade-ci ainsi que la valeur qu’aurait cette mesure disciplinaire. Toute décision d’imposer une telle mesure à Mme Hassard, ce qui est contraire à l’entente et aux offres susmentionnées, pourra certainement faire l’objet d’un grief ou d’une plainte par notre cliente contre la conduite de son employeur.

92 Je tiens à souligner que dans cette lettre comptant deux pages et demie, il n’y a aucune mention de la clause de confidentialité ni de toute contestation à cet égard.

93 Le 8 novembre 2011, Mme MacDonald a répondu à la lettre de M. Moreau datée du 2 novembre. Dans cette lettre, elle a énoncé sa propre compréhension des discussions et des offres qui avaient été présentées ainsi que sa position à cet égard. Elle a affirmé avoir clairement indiqué dans ses discussions avec Mme Hassard que si celle-ci ne décidait pas de partir à la retraite avant que la décision disciplinaire soit prise, toute mesure prise par la suite devrait être définie et confirmée par un protocole d’entente conclu entre le SCC et Mme Hassard (pièce G1, onglet 31). Elle a également ajouté le commentaire suivant :

[Traduction]

[…] Si Mme Hassard accepte de signer le protocole d’entente, le Service correctionnel du Canada se conformera aux clauses qui y sont énoncées. Autrement dit, si le protocole d’entente tel qu’il a été rédigé n’est pas dûment signé, la mesure disciplinaire ne sera pas annulée. De plus, l’avis public concernant le processus de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles indiquera qu’une mesure disciplinaire a été imposée dans cette affaire.

94 Mme MacDonald a conclu en précisant que si Mme Hassard souhaitait prendre sa retraite, elle devrait fournir un document dûment signé indiquant que telle était son intention, à l’attention de Mme MacDonald, au plus tard le 11 novembre 2011 (pièce G1, onglet 31).

95 Après quelques faux pas qui n’ont pas d’incidence sur le règlement des questions en litige en l’espèce, Mme MacDonald a accepté la lettre de démission de la fonctionnaire, le 10 novembre 2011. La démission entrait en vigueur le 21 octobre 2011 (pièce G1, onglet 33).

96 Le 17 novembre 2011, Mme Hassard a déposé le grief qui fait l’objet des présents motifs.

E. Résumé des arguments

1. Pour la fonctionnaire

97 L’avocat de la fonctionnaire a segmenté son argumentation en trois parties :

a) exposé des faits;

b) recevabilité du rapport d’enquête comme élément de preuve s’il advenait que je détermine que j’ai compétence pour instruire le grief;

c) question de la compétence.

a. Exposé des faits

98 L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que, dans l’ensemble, il se dégageait un consensus au sujet des faits, ce dont je conviens. Bon nombre de ces faits ayant déjà été exposés dans les présents motifs, je n’aborderai ici que les faits sur lesquels l’avocat de la fonctionnaire a particulièrement insisté.

99 L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que l’enquête sur la dénonciation avait été démoralisante et qu’elle avait causé un stress personnel et émotionnel indu à Mme Hassard. Ce processus était nouveau pour elle, de sorte qu’elle n’avait aucune idée de ce qui l’attendait en janvier 2011 lorsque l’enquête a débuté. Ni elle ni son représentant n’étaient autorisés à poser des questions. Elle devait se contenter de répondre à des questions. L’identité de ses accusateurs est demeurée secrète. Son bureau a fait l’objet de fouilles. Lorsqu’elle a obtenu le rapport provisoire des enquêteurs, elle disposait au départ de seulement une heure pour y répondre. Elle a par la suite obtenu plus de temps pour le faire, mais après avoir soumis sa réponse le 24 mai, elle est restée dans l’expectative pendant plus de trois mois. Elle a été laissée dans l’ignorance jusqu’à ce qu’elle reçoive un appel de Mme MacDonald, aux environs du 24 août, qui lui apprenait que le rapport avait été produit et qu’elle le recevrait sous peu.

100 Il n’est donc pas surprenant qu’au cours de cette période, Mme Hassard ait eu l’impression de faire l’objet d’une chasse aux sorcières ou d’avoir été mise sur une liste noire. Les éléments de preuve présentés par Mme MacDonald appuient la conclusion selon laquelle à cette époque, Mme Hassard essuyait des critiques de toutes parts. Il ne s’agissait plus d’une personne dotée de logique ou d’objectivité.

101 C’est dans ce contexte que l’avocat de la fonctionnaire m’a enjoint de trancher la question du départ à la retraite, c’est-à-dire d’établir qui l’avait abordée en premier et si Mme Hassard avait bel et bien été forcée d’agir contre son gré. L’avocat a fait valoir que la preuve démontrait clairement que Mme Hassard n’avait pas l’intention de prendre sa retraite au moment où elle l’a fait. En 2011, le départ à la retraite n’était qu’une idée qui se profilait à l’horizon. Elle aurait pu partir en 2005 lorsqu’elle a atteint l’âge nécessaire compte tenu de son nombre d’années de service, conformément à la règle de 85, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle ne pouvait pas se le permettre. Elle avait décidé de subvenir aux besoins de sa fille pour permettre à celle-ci d’aller à l’université et d’obtenir un baccalauréat, puis une maîtrise et finalement, un doctorat. Compte tenu de ce fardeau financier, Mme Hassard ne pouvait pas absorber la perte de revenus qui aurait découlé de son départ à la retraite.

102 La question de déterminer qui avait soulevé en premier la possibilité du départ à la retraite était un élément central de l’argumentation de la fonctionnaire selon laquelle son départ à la retraite lui avait été imposé. L’avocat a reconnu que si l’idée du départ à la retraite était venue de Mme Hassard, il aurait été difficile de concevoir qu’elle ait agi sous la contrainte. Au contraire, si le départ à la retraite de Mme Hassard avait été suggéré par Mme MacDonald et qu’il s’agissait de son but et de son intention, le départ à la retraite pouvait être perçu comme ayant été forcé.

103 L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que la preuve démontrait clairement que  Mme MacDonald avait d’abord soulevé la possibilité du départ à la retraite de Mme Hassard. Mme MacDonald avait déjà lu une mention de la possibilité du départ à la retraite dans le rapport d’enquête. Cette idée avait donc déjà fait son chemin lorsqu’elle a parlé à Mme Hassard. Lorsque cette dernière lui a demandé quel serait l’objet de la réunion du 7 octobre, elle a répondu qu’il serait uniquement question des allégations contenues dans le rapport. Selon l’avocat, Mme Hassard a donc été induite en erreur par Mme MacDonald, qui a tenté de lui faire croire que seul le rapport serait abordé. Au contraire, une tout autre question, soit celle des dispositifs d’alarme personnels, a été soulevée et la fonctionnaire n’avait aucune prise sur cette question étant donné qu’elle était absente du travail à ce moment-là. Mme Hassard s’est sentie prise au dépourvu. C’est alors que Mme MacDonald a abordé la question du départ à la retraite, à la toute fin de la réunion. Par conséquent, Mme Hassard est sortie de la réunion en ayant l’impression que l’on avait tenté de la coincer. Dans l’état d’esprit dans lequel elle était, Mme Hassard a eu l’impression de n’avoir aucune autre possibilité que celle de prendre sa retraite.

104 L’avocat de la fonctionnaire a évoqué d’autres exemples de ce qui, à son avis, constituait des preuves de mauvaise foi de la part de l’employeur et une intention de sa part de contraindre Mme Hassard à prendre sa retraite. Premièrement, à la réunion du 7 octobre, Mme Hassard avait demandé à obtenir une description de travail, qui aurait dû pouvoir lui être facilement fournie par l’employeur. Celui-ci a plutôt mis trois jours avant de lui fournir une description de travail générique. Deuxièmement, Mme MacDonald a refusé d’accepter la lettre de départ à la retraite de Mme Hassard, datée du 21 octobre, à moins que Mme Hassard n’accepte de renoncer à ses droits. Troisièmement, le protocole d’entente contenait des éléments (le déchiquetage des dossiers) qui, selon l’avocat, étaient illégaux en vertu de la LPFDAR.

105 Par conséquent, l’avocat de la fonctionnaire a soutenu que puisque la fonctionnaire n’avait obtenu que des bribes d’information, elle devait examiner les possibilités qui s’offraient à elle. De plus, étant donné qu’elle s’était vu présenter une offre qui était illégale, je pouvais en conclure qu’elle avait été manipulée et contrainte à prendre sa retraite. Une preuve supplémentaire de cette conclusion pouvait être déduite de la conduite de Mme Hassard après sa démission. En effet, elle n’a pas attendu plusieurs mois ou années avant de regretter sa décision. Elle a plutôt formulé un grief six jours après l’acceptation officielle de sa lettre de départ à la retraite. Elle a donc déposé son grief sans tarder; il ne s’agissait pas d’un lointain regret après coup. L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que la conduite de Mme Hassard s’expliquait par le fait qu’elle avait décidé de quitter l’organisation pour préserver sa santé mentale et sa santé en général, mais qu’elle n’avait pas l’intention d’en rester là.

b. État  du rapport d’enquête

106 L’avocat a fait valoir que si je devais conclure que j’avais compétence pour instruire le grief présenté par Mme Hassard, l’employeur devrait certainement présenter son argumentation de la façon courante, en se fondant sur des éléments de preuve indépendants. Il ne pourrait pas simplement se fonder sur le rapport. En effet, la LPFDAR ne conférait au rapport aucun statut spécial, ni ne faisait abstraction du fait qu’il contenait une preuve par ouï-dire qui ne pouvait, à elle seule, établir le fondement d’une décision de nature disciplinaire.

107 L’avocat de la fonctionnaire a d’abord évoqué la situation dans laquelle se trouve un employeur, qu’il soit régi par une convention collective ou par la Loi, ou les deux, lorsqu’il doit justifier une décision d’ordre disciplinaire. En général, la règle en vigueur prévoit qu’il revient à l’employeur de démontrer ce qu’il avance, c’est-à-dire que la sanction imposée était juste, et de le faire en se fondant sur des preuves véritables et directes. Il ne peut se fonder sur des ouï-dire ou des insinuations (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, aux paragraphes 7:2 300 ([traduction] « Fardeau de la preuve »), 7:2 500 ([traduction] « Norme de preuve ») et 7:4 000 ([traduction] « Sanctions disciplinaires »)). Cette règle s’applique également aux audiences devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), dans la mesure où elle est tenue d’offrir à toutes les parties un haut degré d’équité procédurale; voir Canada (Procureur général) c. Timson, 2012 CF 719, aux paragraphes 14 et 15. Or, aucune de ces exigences ne peut être satisfaite si l’employeur se fonde uniquement sur une preuve par ouï-dire contenue dans un rapport d’enquête; voir Better Beef Ltd. c. United Food & Commercial Workers International Union, Local 175 (2003), 119 L.A.C. (4e) 361, à la page 368.

108 L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que le poids et la tradition de cette jurisprudence étaient tels qu’il faudrait une formulation claire et rigoureuse dans la LPFDAR pour la contredire, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence.

109 L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que l’objet de la LPFDAR était de protéger la personne qui dépose une plainte (communément appelée un « dénonciateur ») concernant un acte répréhensible au sens de l’article 8 de la LPFDAR. Toutefois, la LPFDAR ne nie pas expressément les droits autrement conférés à l’intimé. L’article 9 prévoit que le fonctionnaire qui commet un acte répréhensible « s’expose à des sanctions disciplinaires ». Selon l’interprétation qu’il convient de faire de ce passage, les normes prises doivent suivre les règles normales de l’équité procédurale. De fait, l’alinéa 11(1)a) prévoit expressément ce qui suit :

11.(1) L’administrateur général veille à ce que :

a) sous réserve de l’alinéa c) [qui porte sur la publication des résultats d’une enquête] et de toute autre loi fédérale applicable, de l’équité procédurale et de la justice naturelle, l’identité des personnes en cause dans le cadre d’une divulgation soit protégée, notamment celle du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible […][je souligne]

110 L’avocat de la fonctionnaire a poursuivi en indiquant que l’objet des rapports d’enquête aux termes de la LPFDAR était, conformément au paragraphe 26(1) de la LPFDAR, de porter « […] l’existence d’actes répréhensibles à l’attention des administrateurs généraux et de leur recommander des mesures correctives [je souligne] ». Or, la formulation d’une recommandation sur les mesures qui devraient être appliquées se distingue de la prise d’une décision qui doit être appliquée. En outre, l’alinéa 51a) de la LPFDAR prévoit expressément que celle-ci « […] ne porte pas atteinte a) au droit du fonctionnaire de présenter un grief individuel en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique […] ». Le fait d’interpréter la LPFDAR comme une loi qui autorise l’imposition de mesures disciplinaires uniquement en fonction des recommandations d’un rapport d’enquête reviendrait à restreindre le droit de présenter des griefs en vertu de la Loi.

111 L’avocat de la fonctionnaire a reconnu que si je devais conclure que je n’ai pas compétence pour instruire ce grief, je n’aurais pas à me pencher sur la question de la recevabilité de la preuve. Toutefois, compte tenu de l’importance de cette question, il a affirmé que je devrais néanmoins examiner et trancher cette question.

c. Compétence

112 L’avocat de Mme Hassard a fait valoir que ma compétence pouvait être établie de trois façons différentes.

113 Premièrement, je pourrais conclure que le mot « licenciement » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi englobe le concept de congédiement déguisé et que la rétrogradation de la fonctionnaire constituait en réalité, au sens de cette disposition, un licenciement.

114 Deuxièmement, en me fondant sur la jurisprudence de la Commission, je pourrais conclure qu’un départ à la retraite obtenu sous la contrainte n’est pas une décision qui a été prise librement.

115 Troisièmement (bien qu’il s’agisse en quelque sorte de la conséquence des deux premiers points), je pourrais conclure, à la lumière des faits, qu’il n’y a pas eu d’accord de volonté entre les parties. Mme Hassard n’a pas démissionné volontairement; elle y a plutôt été contrainte.

116 En ce qui a trait au premier point, l’avocat de la fonctionnaire s’est largement fondé sur la réflexion suivante concernant le terme anglais « termination » dans Alberta Union of Public Employees v. The Government of the Province of Alberta (2009), 206 L.A.C. (4e) 111, au paragraphe 28 :

[Traduction]

[28] En langage courant dans le domaine des relations industrielles, le terme « cessation d’emploi » est le terme le plus vaste pour décrire la fin d’une relation d’emploi pour un employé. Ce terme englobe le congédiement, à l’initiative de l’employeur, qui est plus ou moins synonyme de « licenciement ». Le congédiement peut être de nature disciplinaire (pour cause d’inconduite) ou non disciplinaire. La « cessation d’emploi », quant à elle, comprend également des mesures prises à l’initiative de l’employé, comme la démission ou le départ à la retraite. Cette notion comprend en outre les licenciements par l’employeur qui ne sont fondés sur aucune conduite répréhensible, comme la mise en disponibilité permanente en raison d’un manque de travail, le congédiement pour incapacité ou pour absence involontaire qui met fin à la relation d’emploi, ou la cessation d’emploi à la demande d’un agent négociateur en raison d’une clause sur la sécurité issue d’une convention collective […]

117 L’avocat a également cité l’arrêt de la Cour suprême du Canada  Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 RCS 846, au paragraphe 33, libellé comme suit :

33 […] le fait pour un employeur d’imposer unilatéralement une modification fondamentale ou substantielle au contrat de travail de son employé, laquelle contrevient aux termes du contrat, constitue un bris fondamental de ce contrat, entraînant sa résiliation et permettant à l’employé de considérer qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé […]

118 L’avocat de la fonctionnaire m’a également renvoyé à un passage de Rubel Bronze and Metal Co. v. Vos, [1918] 1 K.B. 315, également citée dans Farber au paragraphe 33, où il était indiqué que dans le cas d’un congédiement injustifié fondé sur la résiliation du contrat d’emploi par l’employeur, [traduction] « […] la question qu’il faut se poser est de savoir "si les actes et la conduite de la partie indiquent son intention de ne plus être liée par le contrat" ».

119 Ainsi, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir qu’il fallait interpréter le terme « licenciement » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi comme impliquant un changement fondamental – ou un bris fondamental – dans le contrat d’emploi qui démontre l’intention de l’employeur de ne plus être lié par ce contrat. L’avocat a affirmé que le législateur aurait pu utiliser le terme [traduction] « congédiement », mais qu’il n’en a rien fait. Il a plutôt choisi « licenciement » et ainsi devait avoir l’intention d’englober des notions comme le congédiement déguisé. À l’appui de cette affirmation, l’avocat a également renvoyé à la version française de l’alinéa 209(1)b), qui utilise le terme « licenciement » plutôt que « congédiement ». Le premier terme a le sens de [traduction] « renvoi; mise en disponibilité; cessation d’emploi; perte d’emploi », tandis que le deuxième a le sens de [traduction] « débauchage; renvoi; renvoi justifié »; voir Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail (2e éd., 1986).

120 L’avocat de la fonctionnaire a comparé ces définitions avec le libellé de l’alinéa 186(2)c) de la Loi, à la section 12 (« Pratiques déloyales »). Aux termes de cette disposition, il est interdit à l’employeur (entre autres) de chercher « par menace de congédiement » à obliger une personne à s’abstenir de déposer une plainte. Il convient de souligner que la version française comprend le libellé « par menace de congédiement », tandis que la version anglaise utilise « threat of dismissal ». L’avocat a avancé que cette comparaison démontrait que lorsque le législateur traite d’une situation où c’est l’employeur qui est à l’origine de la cessation d’emploi, il utilise le terme « congédiement » (« dismissal », comme il l’a fait à l’alinéa 186(2)c)). Au contraire, lorsqu’il s’agit d’une situation où la cessation d’emploi découle d’une mesure disciplinaire ou de toute autre raison, il utilise le terme plus vaste de « licenciement » (« termination »).

121 En d’autres termes, le législateur avait l’intention, en utilisant le terme « licenciement » ou « termination » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi, de donner compétence à l’arbitre de grief pour tenir compte non seulement du licenciement justifié, mais de tous les types de cessations d’emploi, qu’ils soient justifiés ou non. Toute conduite de la part d’un employeur démontrant son intention de ne plus être lié par un contrat d’emploi, conduite qui, en common law, équivaut à un congédiement déguisé, doit donc être englobée dans la portée du terme « licenciement ».

122 Tenu d’expliquer si son interprétation du terme « licenciement » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi faisait en sorte que le terme « rétrogradation » (également utilisé dans cette disposition) devenait redondant, l’avocat de la fonctionnaire a répondu par la négative. Il a affirmé qu’il s’agissait uniquement d’un exemple de chevauchement dans les significations des divers termes, ce qui, dans ce cas-ci, s’expliquait par la nécessité d’englober la rétrogradation, qui constituait en fait une cessation d’emploi dont l’employeur était l’instigateur. Pour illustrer son point, il a donné l’exemple d’une rétrogradation qui ferait en sorte qu’une personne occupant le poste de Mme Hassard à titre de directrice d’une maison de transition se retrouverait à un poste où elle devrait nettoyer les toilettes dans une prison. Une telle rétrogradation, selon lui, équivaudrait en réalité à un licenciement. Il a affirmé qu’il était impossible qu’un employé soit forcé à accepter un tel emploi à la suite d’une rétrogradation.

123 Sur le plan des faits, l’avocat de la fonctionnaire a indiqué que la rétrogradation était clairement de nature disciplinaire. En effet, celle-ci constituait un changement fondamental dans le statut d’emploi de la fonctionnaire, puisqu’elle avait pour effet de lui retirer toutes ses responsabilités de gestion. La fonctionnaire devait réintégrer un syndicat après en avoir été exclue pendant des années en raison de son poste de gestion. De plus, elle se retrouvait à travailler très près du bureau du syndicat, et donc de personnes qui assurément avaient porté plainte contre elle aux enquêteurs. Il s’agissait de fonctions qu’elle n’avait encore jamais assumées. Son salaire, autrefois d’environ 105 400 $ par année, passait à 88 200 $ par année, ce qui représentait une baisse d’environ 16 %. Pour Mme Hassard, le fait de retourner travailler dans un poste aussi différent, et dans ces circonstances, aurait été humiliant. Ainsi, elle ne pouvait tout simplement pas accepter ce poste, pas plus qu’elle n’était tenue d’accepter une rétrogradation aussi humiliante et un travail dans de telles conditions en attendant que la Commission instruise son grief.

124 L’avocat de la fonctionnaire a également fait valoir que la rétrogradation ne constituait pas une mesure disciplinaire progressive. En effet, aucun effort n’a été déployé pour tenter de favoriser la réintégration de la fonctionnaire ni pour lui offrir la formation nécessaire afin qu’elle puisse corriger les supposées lacunes pour lesquelles l’employeur lui imposait une mesure disciplinaire.

125 L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que dans une affaire de ce type, dans laquelle l’employeur a imposé une rétrogradation qui constitue un congédiement déguisé – en tentant de mettre fin au contrat d’emploi – il est impossible d’affirmer que le départ à la retraite de Mme Hassard était volontaire; il découlait plutôt d’un congédiement déguisé. En d’autres termes, le fait que Mme Hassard ait pris sa retraite après avoir été licenciée (au moyen d’un congédiement déguisé) ne faisait aucune différence; en effet, si elle a bel et bien fait l’objet d’un licenciement, en quoi les décisions qu’elle a prises par la suite pouvaient-elles avoir une incidence quelconque? Rien dans l’alinéa 209(1)b) de la Loi n’indique que si un employé prend sa retraite après avoir fait l’objet d’un licenciement (selon l’interprétation présentée par l’avocat), l’arbitre de grief perd toute compétence à cet égard.

126 L’avocat de la fonctionnaire a affirmé qu’il n’avait pu repérer qu’une seule affaire dans le cadre de laquelle la Commission avait tenté de définir le terme « licenciement » tel qu’il figure à l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Dans Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27, le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé nommé pour une période déterminée dont le contrat avait pris fin. Il a présenté un grief au motif que l’employeur n’avait pas renouvelé son contrat, faisant valoir qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. L’employeur a contesté la compétence de la Commission en affirmant que l’employé n’avait pas été licencié. Au paragraphe 12, la Commission a fait référence à Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.) et Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council c. MacIsaac, [1986] A.C.F. no 263 (C.A.)(QL), et a indiqué que « [l]a notion de congédiement implique une décision prise par un employeur de mettre fin unilatéralement à un contrat de travail qui, autrement, aurait continué à exister ». Étant donné que, conformément à l’entente conclue, un contrat relatif à un emploi pour une période déterminée ne continue pas d’exister après sa date de fin, il ne pouvait s’agir d’un licenciement. L’avocat de Mme Hassard a affirmé que cette conclusion était [traduction] « manifestement erronée ».

127 L’avocat de la fonctionnaire a également affirmé que les conclusions exposées dans Monteiro, McNab c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14343 (19840224), Charron c. Chambre des communes, 2002 CRTFP 90, Mangat c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 86, Rinke et Vanderwoude c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 143, Arsenault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23957 (19930722) et Bodner c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21332 (19910607), n’étaient pas convaincantes. Dans ces décisions, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence étant donné que tous les fonctionnaires s’estimant lésés avaient démissionné (ou, comme dans Monteiro, avaient vu leur contrat non renouvelé). L’avocat a fait valoir que dans toutes ces affaires, les fonctionnaires s’estimant lésés se représentaient eux-mêmes (ou, comme il l’a par la suite reconnu, étaient représentés par des représentants syndicaux). Par conséquent, ces fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient aucune chance d’avoir gain de cause étant donné que ni eux ni leurs représentants, qui n’étaient pas avocats, ne savaient comment lire ou interpréter des lois ou des textes de jurisprudence.

128 L’avocat de la fonctionnaire est ensuite revenu à son affirmation selon laquelle il pourrait être déterminé que j’avais compétence si je concluais que le départ à la retraite de Mme Hassard lui avait été imposé. L’avocat a souligné qu’il avait été question qu’une démission faite sous la contrainte pouvait correspondre à un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi dans des affaires comme McNab, Charron, Mangat et Rinke, mais que les faits entourant ces affaires n’appuyaient pas cet argument. Selon lui, ces décisions laissaient croire qu’il fallait qu’une pression ait été exercée par l’employeur sous la forme de menaces ou de fausses déclarations, de tromperie ou de contrainte pour qu’il soit déterminé que la démission n’était pas volontaire (et ainsi, établir la compétence de l’arbitre de grief); voir Halsbury’s Laws of Canada, HEM-286, HRE-102 et HO-146.

129 En l’espèce, l’avocat de la fonctionnaire a affirmé qu’il y avait amplement d’éléments de preuve pour établir que le départ à la retraite de Mme Hassard n’était pas volontaire, mais qu’il lui avait plutôt été imposé. Il a affirmé que je devais me demander ce qui avait bien pu pousser Mme Hassard à vouloir rapidement prendre sa retraite en octobre 2011, alors qu’elle n’avait aucune intention de le faire en 2010. Il a souligné qu’à cette époque, Mme Hassard était en congé de maladie en raison du contexte de stress découlant de l’enquête et du rapport connexe, ce que l’employeur savait fort bien. Il a avancé que dans un tel contexte de pression et de stress, Mme MacDonald avait lancé l’idée du départ à la retraite et l’avait entretenue avec des promesses qu’elle n’était pas en mesure de tenir. Elle a ensuite maintenu la pression sur Mme Hassard en exigeant d’elle des réponses rapides tout en lui fournissant peu d’information. Par conséquent, Mme Hassard s’est sentie manipulée et poussée à la retraite, sentiment qui a été exacerbé au cours de la réunion du 7 octobre en raison des questions qui lui ont été posées au sujet de la vérification de sécurité ayant eu lieu au Centre Keele pendant son absence, avec laquelle elle n’avait rien à voir et sur laquelle elle n’avait aucune prise à ce moment-là. Mme Hassard a alors eu l’impression que son départ était souhaité et que Mme MacDonald lui posait des questions au sujet de sa retraite parce que c’était la solution qu’elle préconisait. À ce sujet, l’avocat a souvent insisté sur le fait que le départ à la retraite avait d’abord été mentionné par Mme MacDonald. Il a reconnu que son argument au sujet de la contrainte reposait en grande partie sur le fait que l’employeur avait d’abord soulevé la possibilité du départ à la retraite. Il m’a enjoint d’accepter la preuve de Mme Hassard et de M. Dixon à cet égard plutôt que celle de Mme MacDonald ou de M. Staley.

130 L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que la promesse de l’employeur de fermer le dossier et de déchiqueter son contenu, tel qu’il était établi dans le protocole d’entente, était impossible à tenir parce qu’elle était en fait illégale. Il a cité des dispositions de la LPFDAR qui signifiaient, à son avis, que le dossier de l’employeur ne pouvait être détruit (les dispositions en question sont l’alinéa 11c), l’article 36 et le paragraphe 38(1)). Il a affirmé que l’offre de Mme MacDonald semblait alléchante, mais qu’elle était en fait illégale. Il y avait également la question de l’information devant figurer sur le site Web. Mme Hassard craignait que si elle n’acceptait pas l’offre de Mme MacDonald, les renseignements indiqueraient qu’elle avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire, plutôt que d’indiquer qu’elle était simplement partie à la retraite.

131 Cette explication mène à l’autre position de l’avocat de la fonctionnaire, la troisième, c’est-à-dire que le départ à la retraite de Mme Hassard n’était pas volontaire. La pression qui a été exercée sur Mme Hassard a fait en sorte que cette dernière, qui n’avait au départ aucune intention de prendre sa retraite, était devenue prête à tout pour se sortir de cette impasse. Elle s’est retrouvée dans cette position parce que l’employeur lui a fait des promesses trompeuses ou illégales, souhaitant clairement qu’elle parte. En effet, elle a été contrainte à prendre sa retraite. En d’autres termes, il n’y a eu aucun accord de volonté, ni pour l’employeur, ni pour Mme Hassard. Cela étant, la Commission a compétence pour instruire son grief.

2. Pour l’employeur

132 L’avocate de l’employeur a centré ses observations sur les trois questions suivantes, que j’avais établies dans mon ordonnance initiale :

a) Le principe du congédiement déguisé s’applique-t-il?

b) Le rapport d’enquête constitue-t-il une preuve recevable?

c) Le départ à la retraite de Mme Hassard lui a-t-il été imposé?

a. Congédiement déguisé

133 L’avocate de l’employeur n’a pas contesté les éléments du principe du congédiement déguisé. Elle a toutefois fait valoir qu’il s’agissait d’un principe de la common law qui avait été établi afin que puissent obtenir réparation les employés dont le mandat était modifié unilatéralement par l’employeur, à leur détriment. Le secteur public est toutefois différent, puisque les pouvoirs de l’employeur – et le contrat d’emploi – sont définis, circonscrits et régis par divers règlements, lois, conventions collectives et lignes directrices et politiques du Conseil du Trésor. Ainsi, il n’est pas nécessaire – ni pertinent d’ailleurs – d’avoir recours au principe du congédiement déguisé; voir, par exemple, Gaskin c. Agence de revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au paragraphe 69, et Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614.

134 L’avocate de l’employeur a soutenu que dans le cas des fonctionnaires, le licenciement (qu’il soit justifié ou non), la démission et le départ à la retraite étaient tous régis par des lois. Par exemple, les pouvoirs de l’employeur lorsqu’il s’agit de définir les modalités d’emploi dans la fonction publique ainsi que le licenciement sont prévus à l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques, (L.R.C. 1985, ch. F-11) (la « LGFP »). De la même façon, la démission d’un fonctionnaire est régie par l’article 63 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) (la « LEFP »), lequel est libellé comme suit :

63. Le fonctionnaire qui a l’intention de démissionner de la fonction publique en donne avis, par écrit, à l’administrateur général; il perd sa qualité de fonctionnaire à la date précisée par écrit par l’administrateur général au moment de l’acceptation indépendamment de la date de celle-ci.

135 L’avocate de l’employeur a fait valoir qu’étant donné qu’une personne acquérait le statut de fonctionnaire en vertu des dispositions d’une loi et cessait de l’être en vertu de cette même loi ou de la disposition sur la démission d’une autre loi, il n’existait aucune autre façon de perdre son statut de fonctionnaire.

136 L’avocate de l’employeur a reconnu que lorsqu’un gouvernement, à titre d’employeur, concluait un contrat d’emploi précis, il était possible qu’un changement fondamental à ce contrat puisse faire en sorte que s’applique le principe du congédiement déguisé; voir Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199. Or, le poste de Mme Hassard, qu’il s’agisse du poste WP-06 ou du poste AS-06, était représenté par une unité de négociation régie par une convention collective. Ses responsabilités de gestion – et elles seules – l’avaient exclue de l’unité de négociation, mais non des dispositions de la convention collective pertinente qui se serait appliquée autrement. Autrement dit, la fonctionnaire n’occupait pas – contrairement à la situation décrite dans Wells — un poste de gestion régi par un contrat d’emploi distinct et indépendant. S’il en avait été ainsi, il aurait pu être pertinent d’appliquer le principe du congédiement déguisé dans la mesure où la situation s’y prêtait. Or, en l’espèce, ses conditions d’emploi étaient établies par une convention collective et par des lois. À cet égard, l’avocate a renvoyé aux offres d’emploi pour des postes de durée indéterminée au Centre Keele des niveaux WP-05 (14 septembre 1999) et WP-06 (24 juillet 2001), qui indiquaient toutes deux que [traduction] « les modalités s’appliquant à la plupart des fonctionnaires sont maintenant déterminées en grande partie par les dispositions des conventions collectives » (pièce E2, onglets 4 et 5). Par conséquent, il n’existe aucun contrat d’emploi distinct et indépendant qui aurait pu être fondamentalement modifié par l’employeur.

b. État du rapport d’enquête

137 L’avocate de l’employeur a affirmé que si cette affaire se rendait à la deuxième étape (c’est-à-dire, si j’établissais que j’ai compétence pour instruire le grief), l’employeur était en droit de se fonder sur les constatations du rapport d’enquête. Elle a affirmé que la LPFDAR, de par son économie, prévoyait que des mesures disciplinaires pouvaient découler des constatations d’une enquête. La LPFDAR prévoit tout autant la protection de l’identité et de la confidentialité des divulgateurs. L’avocate a affirmé que, quoi qu’il en soit, toute préoccupation au sujet de la tenue de l’enquête devait être traitée séparément des conclusions du rapport et n’avait aucune incidence sur celles-ci, à plus forte raison que Mme Hassard avait approuvé les faits tels qu’ils étaient indiqués, mais non les conclusions qui en découlaient.

138 L’avocate de l’employeur a également affirmé que la position défendue par l’avocat de Mme Hassard obligerait l’employeur à justifier la mesure disciplinaire imposée en procédant à une nouvelle enquête, ce qui enfreindrait les dispositions sur la confidentialité de la LPFDAR. De plus, même si l’employeur procédait ainsi, il ne serait pas au bout de ses peines, car la fonctionnaire pourrait alors avancer que la mesure disciplinaire était fondée sur des preuves ou des faits différents de ceux qui étaient à l’origine de la première décision disciplinaire. L’employeur se retrouverait ainsi dans une situation sans issue. Il aurait alors deux choix : soit il se fonde sur le rapport (qui était à la base de la mesure disciplinaire) et il est débouté (puisqu’il s’agit de ouï-dire), soit il présente des éléments de preuve indépendants pour justifier la mesure disciplinaire et il est également débouté (puisque dans les faits, il ne s’est pas fondé sur cette preuve).

c. Le départ à la retraite a-t-il été imposé?

139 L’avocate de l’employeur a ensuite abordé la question qui représente à son avis le fond de l’affaire dont je suis saisi : Mme Hassard a-t-elle été forcée à prendre sa retraite?

140 L’avocate de l’employeur n’avait rien à redire sur le traitement de la contrainte dans la loi ni sur les répercussions sur les décisions ayant été prises sous la contrainte. Toutefois, elle s’inscrivait en faux contre la caractérisation de la preuve et des faits présentée par l’avocat de Mme Hassard.

141 L’avocate de l’employeur a d’abord abordé la question de la rétrogradation de la fonctionnaire. Elle a affirmé que l’interprétation qu’avait faite l’avocat de Mme Hassard quant à la signification du terme « licenciement » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi n’était pas convaincante, car elle ne tenait pas compte du terme « disciplinaire ». Elle a affirmé que l’alinéa 209(1)b) portait sur « […] une mesure disciplinaireentraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire [je souligne] ». En l’espèce, il s’agissait clairement d’une rétrogradation de nature disciplinaire, et non d’un licenciement de nature disciplinaire. Les rétrogradations sont fréquentes à la fonction publique. La rétrogradation dont il est ici question n’était ni arbitraire ni déraisonnable, et rien n’indiquait que la fonctionnaire aurait été confinée à tout jamais au poste auquel elle avait été rétrogradée. Ce poste lui avait été offert pour lui donner l’occasion de réévaluer son rôle à titre de gestionnaire. Il s’agissait en fait d’une mesure visant à favoriser sa réintégration. La comparaison de la description de travail du nouveau poste avec celle de l’ancien poste indiquait que la différence principale résidait dans le retrait des responsabilités de gestion auprès du personnel. Cette décision était donc raisonnable, compte tenu des constatations du rapport.

142 L’avocate de l’employeur a ensuite abordé la preuve qui indiquait, selon l’avocat de Mme Hassard, que celle-ci avait agi sous la contrainte. L’avocate de l’employeur a fait remarquer que peu importe qui avait soulevé en premier la question du départ à la retraite, Mme Hassard n’a jamais été forcée à partir à la retraite, pas plus qu’elle ne s’est fait dire qu’elle devait prendre sa retraite.

143 L’avocate de l’employeur a affirmé que la qualité de la preuve servant à démontrer l’existence d’une contrainte ou d’une influence indue était cruciale. Se reportant à Lawton c. Agence du revenu du Canada, 2012 CF 1074, aux paragraphes 43 à 46, l’avocate a fait valoir que la contrainte exigeait des menaces de mort ou de violence physique importante, la coercition, l’intimidation ou le recours à une pression illégitime, ou encore la capacité d’une personne de forcer l’autre à agir contre son gré. L’avocate a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve en ce sens dans l’affaire qui nous occupe.

144 La possibilité que Mme Hassard ait pu avoir peur de perdre sa pension si elle faisait l’objet d’une mesure disciplinaire n’est pas étayée par la preuve. En effet, M. Staley ne se rappelle aucune discussion à ce sujet. Et même si cette discussion avait eu lieu, la fonctionnaire n’a pas cru en cette éventualité. De plus, si elle nourrissait cette crainte, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’elle y fasse référence dans les nombreux courriels qu’elle a échangés avec Mme MacDonald. Or, tel n’a pas été le cas. Le fait que l’information contenue sur le site Web aurait pu faire mention de la mesure disciplinaire n’était pas une menace; c’était une simple affirmation de ce qu’il adviendrait si la mesure disciplinaire était bel et bien imposée.

145 La preuve présentée ne démontrait pas non plus que la volonté de Mme Hassard avait été subjuguée ou dominée par Mme MacDonald ni par personne d’autre. Mme Hassard occupait un poste de gestionnaire principale. À ce titre, elle connaissait le processus disciplinaire et y avait participé à plusieurs reprises par le passé. Elle était expérimentée et savait quelles questions poser et comment se défendre contre les allégations formulées à son endroit dans le rapport. Elle avait retenu les services d’un avocat expérimenté et reconnu, et ils avaient tous deux préparé une réponse solide aux conclusions du rapport. Rien n’indique que Mme Hassard souffrait d’incapacité mentale ni qu’elle avait évoqué devant Mme MacDonald les préoccupations d’ordre financier que semblait lui occasionner un éventuel départ à la retraite.

146 Par ailleurs, il était tout à fait raisonnable dans les circonstances que Mme MacDonald discute de la possibilité du départ à la retraite avec Mme Hassard. En outre, la question de déterminer qui a abordé ce sujet en premier est sans importance. À la connaissance de ses gestionnaires, Mme Hassard avait déjà assisté à des séances d’information sur la retraite. Elle avait également mentionné aux enquêteurs son intention de prendre sa retraite dans un futur rapproché, et elle avait droit à sa pleine pension. Compte tenu de ces faits et de la perspective d’une mesure disciplinaire qui aurait pu être embarrassante, il était tout à fait raisonnable que l’employeur discute du départ à la retraite comme d’une solution possible dans le cadre du processus disciplinaire.

147 L’avocate de l’employeur a affirmé que Mme MacDonald n’était aucunement tenue de dire à Mme Hassard avant la réunion disciplinaire quelle sanction lui serait imposée. Mme Hassard avait retenu les services d’un avocat qu’elle pouvait consulter, ce qu’elle a d’ailleurs manifestement fait.

148 L’avocate de l’employeur a affirmé qu’il était clair, à la lecture des courriels échangés après le 7 octobre, que Mme Hassard et son avocat avaient au départ tenté de négocier un [traduction] « règlement d’ensemble » avec Mme MacDonald. Or, cette tentative de négociation présuppose une intention et une compréhension de leur part qu’il en découlerait un licenciement – c’est-à-dire une cessation d’emploi –, étant donné qu’il s’agit là de l’objet d’un tel règlement. En d’autres termes, tant l’employeur que l’employée songeaient à la cessation d’emploi comme résultat possible de la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire après la réunion du 7 octobre. Cette intention est demeurée dans l’esprit de Mme Hassard une fois la mesure disciplinaire imposée le 14 octobre, dans la mesure où elle n’a pas formulé de grief au sujet de la rétrogradation (ce qu’elle était en droit de faire). Elle a plutôt décidé de prendre sa retraite. Par ailleurs, sa lettre de départ à la retraite ne fait aucune mention de la contrainte.

149 L’avocate de l’employeur a ensuite abordé la preuve présentée par l’avocat de Mme Hassard au sujet des signes de coercition. Premièrement, Mme Hassard n’était peut-être pas prête à prendre sa retraite, mais elle n’en a jamais rien dit à Mme MacDonald et elle n’a jamais non plus abordé la question de la contrainte financière qui découlerait de son départ à la retraite dans un contexte où sa fille était toujours aux études. Deuxièmement, quant à la prolongation des délais, les demandes présentées par Mme Hassard et son avocat ont toujours été accordées. Troisièmement, bien qu’il y ait effectivement une différence de salaire entre les deux postes, cette différence n’aurait eu aucune incidence sur la pension de la fonctionnaire, étant donné que celle-ci est calculée en fonction des cinq meilleures années d’un employé, et non des cinq dernières. Ainsi, Mme Hassard aurait pu accepter le poste auquel elle a été rétrogradée et, au moment de son départ à la retraite, elle aurait reçu la même pension. Quatrièmement, si l’acceptation du poste auquel elle avait été rétrogradée pouvait faire en sorte que son bureau se situe tout près de ceux du syndicat, il faut mentionner que ce poste avait été choisi en partie en raison du souhait de Mme Hassard de demeurer à Toronto. Cette dernière ne s’est pas opposée à ce bureau en particulier, elle a simplement rejeté la rétrogradation en général. Sixièmement, le fait qu’elle se soit vu remettre une description de poste générique n’avait aucune importance. Ce type de descriptions de poste est courant dans la fonction publique.

150 Ainsi, l’avocate de l’employeur a fait valoir que la seule conclusion raisonnable était que Mme Hassard, représentée par un avocat d’expérience, savait exactement ce qu’elle faisait lorsqu’elle a décidé de prendre sa retraite. Elle a choisi de son plein gré cette solution plutôt que d’accepter le poste auquel elle avait été rétrogradée. Sa lettre de démission démontrait une intention claire et non équivoque de mettre fin à la relation d’emploi; voir, par exemple, Grewal v. Khalsa Credit Union, 2011 BCSC 648, aux paragraphes 97 à 99.

151 En ce qui a trait aux décisions citées par l’avocat de Mme Hassard, l’avocate de l’employeur a soutenu que dans la plupart des cas, les fonctionnaires s’estimant lésés étaient en fait représentés. (Ce dernier avait affirmé qu’ils se représentaient tous eux-mêmes.) Elle a également souligné que dans McNab, le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé en probation qui avait été surpris en train de dormir au travail. Dans ce contexte, l’employeur était en droit de le renvoyer en cours de probation, mais il lui avait plutôt offert la possibilité de démissionner. Le fonctionnaire s’estimant lésé, qui était représenté, avait opté pour cette solution, mais avait par la suite formulé un grief à cet égard. Ces faits sont semblables à ceux de l’affaire dont je suis saisi et, dans cette affaire, la Commission avait déterminé que la démission était volontaire et qu’elle n’avait donc pas compétence pour trancher le litige. L’avocate a également fait valoir que le regret faisant suite à une démission – ou le stress de la démission – n’était pas en soi suffisant pour invalider la démission; voir Mangat, aux paragraphes 28 à 30 et 32.

152 L’avocate de l’employeur a conclu en affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de coercition suffisante pour invalider le départ à la retraite de Mme Hassard. Ainsi, selon elle, je n’ai pas compétence, à la fois parce que Mme Hassard a pris sa retraite et qu’elle n’a pas été licenciée au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. J’aurais eu compétence pour trancher un grief portant sur sa rétrogradation, mais ce n’est pas la question au sujet de laquelle Mme Hassard a choisi de formuler un grief. Elle a plutôt décidé de prendre sa retraite. Par conséquent, je devrais maintenir l’objection relative à la compétence.

3. Réplique de Mme Hassard

153 Dans sa réplique, l’avocat de la fonctionnaire a insisté sur son argument selon lequel Mme MacDonald avait présenté une offre qu’elle n’était, à son avis, pas en mesure de faire. Il a affirmé que la coercition pouvait découler d’une offre alléchante qui ne pouvait pas être faite sur le plan légal, du moins si cette offre avait pour but de forcer un départ à la retraite. L’offre décrite dans le protocole d’entente enfreignait les dispositions de la LPFDAR. Il s’agissait d’une offre abusive et présentée dans un but de manipulation. Mme MacDonald occupait un poste situé à deux niveaux au-dessus de celui de Mme Hassard. Elle disposait de tous les renseignements nécessaires pour permettre à Mme Hassard de décider si elle acceptait ou non la rétrogradation. L’avocat a affirmé que ces faits établissaient une présomption d’influence indue. Mme Hassard a rédigé sa lettre de départ à la retraite uniquement en raison d’une offre illégale et inappropriée qui lui a été faite par une personne de rang supérieur et dans une position d’autorité, qui a omis de lui fournir tous les renseignements nécessaires. Il ne s’agissait pas d’un départ à la retraite volontaire.

V. Analyse et décision

154 La fonctionnaire a présenté sa demande de départ à la retraite le 21 octobre 2011, demande qui a par la suite été acceptée par Mme MacDonald. Cette dernière a accepté cette demande en vertu de la seule disposition régissant ce type de questions, soit l’article 63 de la LEFP, lequel est libellé comme suit :

63.          Le fonctionnaire qui a l’intention de démissionner de la fonction publique en donne avis, par écrit, à l’administrateur général; il perd sa qualité de fonctionnaire à la date précisée par écrit par l’administrateur général au moment de l’acceptation indépendamment de la date de celle-ci.

155 Étant donné que le départ à la retraite de la fonctionnaire constituait une cessation d’emploi – en fait, un licenciement – aux termes de la LEFP, je n’aurais normalement pas compétence pour instruire tout grief à ce sujet, selon l’alinéa 211a) de la Loi, rédigé de la façon suivante :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a)  soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

156 Une application récente de cette interdiction se trouve dans Mutart c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90.

157 Toutefois, la fonctionnaire a affirmé que j’avais bel et bien compétence, du moins dans la mesure où la démission ou le départ à la retraite n’était pas volontaire ou dans la mesure où la situation découlait en réalité d’un licenciement, les deux cas de figure étant ici possibles.

158 Les arguments de la fonctionnaire portent principalement sur quatre questions. Les deux premières, soit la question de déterminer si le départ à la retraite de Mme Hassard était volontaire ou imposé et si sa rétrogradation constituait en fait un congédiement déguisé, relèvent de ma compétence. La troisième question, qui recoupe les deux premières, consiste à établir si l’employeur est revenu sur une offre qui, selon la fonctionnaire, lui avait été présentée par Mme MacDonald et avait été acceptée par la fonctionnaire. La quatrième question, soit celle qui consiste à établir si l’employeur peut se fonder sur le rapport d’enquête, porte sur la deuxième étape du processus qui s’enclenchera si je détermine que j’ai compétence en la matière. Je vais donc examiner les questions dans cet ordre.

A. Le départ à la retraite de Mme Hassard était-il volontaire ou imposé?

159 Au cours de l’examen de la preuve, tant orale que documentaire, j’ai accordé davantage de poids à la correspondance échangée à l’époque visée entre les parties. Le témoignage de Mme Hassard quant à sa compréhension des événements au moment où ils se sont produits n’était pas de la plus grande utilité, en partie parce que ce qui compte réellement dans une conversation ou une entente, ce sont les propos réellement échangés par les parties (éventuellement par écrit), et en partie parce que la preuve présentée au sujet de la compréhension passée est pour ainsi dire toujours de nature rétrospective et tend à être teintée par ce qui s’est produit après les événements pertinents. Il ne faut toutefois pas en conclure que j’ai négligé ou omis de tenir compte de cette preuve, mais uniquement en déduire que, de façon générale, j’y ai accordé moins de poids.

160 J’aborderai en premier lieu la première observation de la fonctionnaire selon laquelle au cours de ses discussions avec Mme MacDonald, c’est cette dernière qui a d’abord soulevé la question du départ à la retraite à titre de solution. Tout compte fait, je tiens pour avéré qu’à la réunion du 7 octobre, Mme MacDonald a soulevé initialement la question du départ à la retraite à titre de solution possible, ce qui ne signifie toutefois pas que Mme Hassard n’avait pas envisagé cette possibilité. Le fait est simplement qu’au cours de la réunion, Mme MacDonald a mentionné cette possibilité la première. J’en viens à cette conclusion en partie en raison de la preuve présentée par M. Dixon. Lorsqu’il a témoigné pour le compte de Mme Hassard, il ne l’a fait qu’en vertu d’une assignation à comparaître. Son objectivité est renforcée par le fait que son commentaire au sujet du professionnalisme de Mme MacDonald ne plaidait pas particulièrement en faveur de Mme Hassard. Toutefois, ce qui importe encore davantage, c’est qu’il me semble logique que ce soit Mme MacDonald qui ait soulevé en premier cette possibilité. C’est elle qui était chargée d’imposer une mesure disciplinaire. Compte tenu de ses discussions antérieures avec Mme Hassard, elle savait à quel point cette dernière avait trouvé le processus d’enquête pénible. Elle savait également que Mme Hassard avait accumulé les années de service et avait atteint l’âge requis pour prendre sa retraite et avoir droit à sa pleine pension. De plus, la question du départ à la retraite avait été soulevée dans une conversation entre M. Moreau et Mme MacDonald, le 26 septembre. Il me semble donc plus probable que le contraire qu’une gestionnaire [traduction] « professionnelle, ferme et juste » dans la position de Mme MacDonald ait suggéré le départ à la retraite comme façon de [traduction] « garder la tête haute », de préférence à la honte rattachée à la mesure disciplinaire et à la rétrogradation.

161 Cela dit, je ne suis pas convaincu que le fait que Mme MacDonald ait été la première à soulever la question du départ à la retraite ait créé une pression coercitive ayant forcé la fonctionnaire à agir contre son gré, ni qu’elle ait eu pour effet de lui imposer une pression indue. Après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, y compris le fait que ce soit Mme MacDonald qui ait d’abord soulevé la question, j’ai conclu que la décision de Mme Hassard de prendre sa retraite le 21 octobre avait été prise de façon volontaire et sans coercition de la part de l’employeur. Certes, la fonctionnaire aurait peut-être préféré ne pas prendre cette décision, et il s’agit probablement d’une décision qu’elle n’aurait pas eu à prendre sans l’enquête sur la divulgation et le rapport connexe. Or, son choix de prendre sa retraite pour ne pas avoir à subir une rétrogradation ne signifie pas que ce choix lui a été imposé.

162 J’en viens à cette conclusion pour plusieurs raisons.

163 Tout d’abord, il n’existe simplement aucune preuve de coercition, au sens juridique du terme. Ni la fonctionnaire ni un de ses proches n’a été menacé de violence physique. La fonctionnaire n’a pas été trompée quant aux faits pertinents, pas plus qu’elle n’a subi de contrainte indue. Le processus disciplinaire n’était pas nouveau ni éventuellement déroutant pour elle; elle le connaissait bien et y avait elle-même pris part par le passé à titre de gestionnaire. De plus, elle a été appuyée tout au long des procédures par un avocat compétent et expérimenté qui est demeuré en étroite communication avec elle et avec Mme MacDonald. Dans un tel contexte, il est impossible d’avancer que le libre arbitre de la fonctionnaire ait pu être entravé pour cause de peur, d’ignorance ou de manque de soutien.

164 Le fait que la décision de la fonctionnaire de partir à la retraite ait été prise au cours d’une période de stress intense ne signifie pas que cette décision a été prise sous la contrainte. Les processus disciplinaires sont toujours stressants pour les employés, et le niveau de stress augmente sans aucun doute de pair avec la gravité des mesures disciplinaires imposées. Toutefois, ce stress est un élément inévitable de tout processus disciplinaire. Il s’agit, de par sa nature, d’un fait neutre. Évidemment, si le stress est tel qu’il entraîne une dépression nerveuse ou un effondrement émotionnel, il peut alors être avancé que la personne n’est plus mentalement ou physiquement en mesure de prendre une décision éclairée. Toutefois, en l’espèce, aucune preuve n’a été présentée en ce sens. Aucun rapport médical n’a été versé en preuve. Aucune preuve, outre les brèves mentions de la fonctionnaire au sujet de son niveau de stress, de sa tension artérielle ou de son taux de cholestérol élevé (toutes des affections qui sont courantes au sein de l’ensemble de la population), n’indiquait que le stress qu’elle vivait ait pu nuire à sa capacité mentale ou physique de prendre des décisions rationnelles et logiques.

165 En fait, la preuve présentée indiquait plutôt le contraire. La fonctionnaire a préparé des réponses détaillées au rapport d’enquête. Elle a retenu les services d’un avocat compétent, et elle doit certainement l’avoir aidé à élaborer la réponse qu’il a présentée en son nom. Elle a également négocié avec Mme MacDonald. Aucun de ces éléments n’appuie une conclusion selon laquelle son esprit et sa volonté étaient confus ou ébranlés en raison de la peur, de l’ignorance ou de la contrainte indue.

166 Dans ses observations, M. Moreau a donné l’exemple d’une personne occupant le poste de la fonctionnaire qui serait rétrogradée à un poste de préposé au nettoyage dans une prison. Je reconnais que si une situation de cet ordre était survenue en l’espèce, il aurait pu être possible de déduire que le départ à la retraite en vue d’éviter une telle rétrogradation avait été imposé. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit ici. Le poste auquel Mme Hassard a été rétrogradée n’était certes pas aussi intéressant  sur le plan du salaire et des responsabilités, mais il n’était pas, à mon avis, inférieur à un point tel que celle-ci était contrainte de le refuser comme dans l’exemple suggéré par l’avocat. En fait, même la diminution de salaire aurait pu ne pas être aussi catastrophique que l’avait suggéré l’avocat, dans la mesure où ce qui importe pour le train de vie d’un employé, c’est le revenu net, et non le revenu brut. Sans connaître la situation fiscale de la fonctionnaire ni les déductions particulières qui s’appliquent à sa situation, il est impossible de savoir si la diminution du salaire brut correspond à une diminution aussi marquée du salaire net. Dans le même ordre d’idées, je souligne que ce changement de poste ne modifie pas les avantages sociaux auxquels elle avait droit, pas plus que son admissibilité à la pension, laquelle est fondée sur ses cinq meilleures années, et non sur ses cinq dernières années.

167 En outre, si je devais conclure que la simple menace de rétrograder un employé était en soi une menace suffisante pour équivaloir à la coercition, je retirerais ainsi à l’employeur son pouvoir de rétrograder un employé pour des motifs disciplinaires, pouvoir qui lui est conféré par l’article 12 de la LGFP et reconnu à l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Chaque rétrogradation – de même que son incidence sur la capacité de raisonnement de l’employé – doit être évaluée à la lumière des faits. Une rétrogradation comme celle dont il est question en l’espèce ne constituait pas, tel qu’il a été expliqué ci-dessus, une perspective terrible au point de devoir être considérée comme une contrainte vu ses répercussions sur la fonctionnaire. La rétrogradation n’a d’ailleurs pas eu un tel effet sur la fonctionnaire.

B. La rétrogradation constituait-elle un licenciement selon le principe du congédiement déguisé?

                                                                                               

168 J’examinerai maintenant l’observation connexe présentée au nom de la fonctionnaire selon laquelle la rétrogradation constituait un congédiement déguisé, et donc un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Essentiellement, la position de la fonctionnaire est que le terme « licenciement » à l’alinéa 209(1)b) est suffisamment vaste pour englober un cas de figure où l’employeur modifie la situation d’un employé d’une façon tellement négative et radicale (à la fois en ce qui concerne la description de travail et le salaire) qu’il est possible d’avancer que le contrat d’emploi a été fondamentalement modifié.

169 Cette position comporte plusieurs difficultés sur le plan des notions.

170 Premièrement, tout changement négatif dans un emploi ou un poste est généralement désigné comme une « rétrogradation », et non comme un « licenciement ». La rétrogradation présuppose le maintien de la relation d’emploi, mais dans le cadre d’un poste différent. Le licenciement quant à lui présuppose la fin de cette relation. L’alinéa 209(1)b) de la Loi reconnaît cette distinction dans la mesure où son libellé comprend à la fois le terme « licenciement » et le terme « rétrogradation ». Pour accepter la position de la fonctionnaire à cet égard, il faudrait en fait interpréter le terme « rétrogradation » à l’extérieur du contexte de la loi. Toutefois, le législateur a employé deux termes et non seulement un, et, ce faisant, il devait avoir l’intention de conférer à ces deux termes une signification et une application distinctes.

171 Deuxièmement, dans le même ordre d’idées, le fait de souscrire à la position de la fonctionnaire équivaudrait également à retirer à l’employeur un pouvoir d’ordre disciplinaire que le législateur avait clairement l’intention de lui conférer, soit le droit de rétrograder un employé pour des motifs disciplinaires. Ce droit lui est conféré par l’article 12 de la LGFP, telle qu’elle a été modifiée. Cet article est libellé de la façon suivante :

12.      (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique […]

(2) Sous réserve des conditions que fixe le gouverneur en conseil, chaque administrateur général d’un organisme distinct et chaque administrateur général désigné par le gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa 11(2)b) peut, à l’égard du secteur de l’administration publique fédérale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d)prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique.

(3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l’application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

[Je souligne]

172 Le législateur a pris soin de préciser à la fois le licenciement et la rétrogradation. Ainsi, il me semble d’autant plus improbable que le législateur ait cru ou souhaité que le terme « licenciement » puisse être utilisé en lieu et place du terme « rétrogradation » ou qu’une rétrogradation soit équivalente à un licenciement.

173 Troisièmement, il y a réellement lieu de se demander si le principe du congédiement déguisé a sa place dans le secteur public.

174 Ce principe, sous le régime de la common law, s’applique à des contrats d’emploi entre un employé et son employeur. Ces contrats comprennent généralement des modalités expresses et tacites et peuvent être résiliés au gré de l’employeur, la seule réserve étant qu’en l’absence de justification, celui-ci doit donner un avis approprié (ou une indemnité tenant lieu de préavis). Ces contrats régissent généralement un poste précis auquel des tâches, des responsabilités et un salaire précis sont associés. Ils comprennent rarement des modalités permettant à l’employeur de les modifier de façon unilatérale, voire n’en comprennent jamais. Par exemple, une réduction considérable des tâches et des responsabilités d’un employé pourrait être considérée comme un manquement fondamental au contrat existant. Ce manquement pourrait ainsi faire en sorte que l’employé estime qu’il a été licencié, c’est-à-dire qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il pourrait alors poursuivre l’employeur pour congédiement abusif.

175 Ce principe comporte des avantages pour les employés. Il empêche l’employeur de modifier unilatéralement les modalités d’un contrat d’emploi, sous peine qu’il soit établi que l’employeur a en fait congédié l’employé et qu’il soit tenu de verser des dommages donnant lieu de préavis. Ce principe protège également l’employé qui quitterait son emploi ainsi modifié et qui poursuivrait l’employeur pour congédiement abusif. Normalement, dans ce contexte, l’employé se verrait opposer l’argument qu’il a volontairement quitté son emploi. Ce principe permet à l’employé d’expliquer qu’il n’a pas quitté son emploi mais qu’il a en fait été renvoyé.

176 Voilà donc l’état de la situation dans le secteur privé. Toutefois, le contrat d’emploi dans le secteur public est très différent. Dans la plupart des cas, il est régi par des lois, des règlements et des conventions collectives, lesquels définissent les modalités d’emploi en détail et régissent ou limitent les droits et les obligations des employeurs autant que des employés. Certaines de ces modalités sont peu courantes dans le secteur privé. L’une des différences les plus importantes est probablement le fait que les mesures disciplinaires, qui peuvent aller jusqu’au licenciement, doivent dans de nombreux cas, sinon dans la plupart, être motivées. Par ailleurs, outre la possibilité d’imposer des mesures disciplinaires usuelles, qui vont des réprimandes verbales au licenciement, le législateur a conféré à l’employeur un pouvoir supplémentaire en matière disciplinaire, soit celui de rétrograder un employé pour un motif valable.

177 Bref, contrairement au secteur privé, dans le secteur public, le droit de l’employeur de procéder à une rétrogradation fait partie du contrat d’emploi. L’employé a effectivement accepté au moment de son entrée en fonction que l’employeur avait le droit de le rétrograder pour des motifs disciplinaires, dans la mesure où il avait des motifs valables de le faire. Ainsi, la rétrogradation ne peut être considérée comme un manquement fondamental, ni comme un manquement de quelque nature que ce soit, au contrat d’emploi.

178 Quatrièmement, cette observation découlant de la troisième, le législateur a également donné aux employés faisant l’objet d’une rétrogradation un recours, soit le droit de formuler un grief au sujet de la rétrogradation. Les employés visés par une rétrogradation de nature disciplinaire ont le droit de contester cette rétrogradation et peuvent également se prévaloir d’un droit qui n’existe pas dans le secteur privé, soit celui d’être réintégrés à leur ancien poste s’ils ont gain de cause. Le pouvoir de rétrograder un employé et les droits connexes de l’employé ont été abordés récemment dans Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 94. Par conséquent, le droit de formuler un grief au sujet de la rétrogradation limite largement, voire élimine complètement, la pertinence du principe du congédiement déguisé dans le secteur public, du moins dans les cas où il n’y a pas de contrat d’emploi individuel, comme dans Wells.

179 Cela étant dit, je ne suis pas prêt – et je n’estime pas non plus qu’il soit nécessaire de le faire – à régler définitivement la question d’établir si le principe du congédiement déguisé s’applique aux contrats d’emploi dans le secteur public. Je le mentionne parce que la question de déterminer si une mesure particulière prise par l’employeur constitue un licenciement ou une rétrogradation en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi est une question de droit qui dépend des faits. Il s’agit d’une question de fond, et non de forme. Ainsi, par exemple, la rétrogradation d’un gestionnaire principal à un poste de préposé au nettoyage dans une prison pourrait, du point de vue du droit, être considérée comme un licenciement plutôt que comme une rétrogradation au sens de l’alinéa 209(1)b). Toutefois, dans des circonstances normales, la réduction des responsabilités et du salaire par suite de la diminution de un ou de deux niveaux constitue, à mon avis, ce que tout le monde appellerait une rétrogradation. Il est donc clair, pour les motifs qui ont déjà été mentionnés quant à la question de la coercition, que la rétrogradation de la fonctionnaire ne constituait qu’une rétrogradation. Il ne s’agissait pas d’un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b).

C. L’employeur est-il revenu sur une offre que la fonctionnaire avait acceptée?

180 Tel qu’il a été mentionné au début des présents motifs, la fonctionnaire s’est plainte notamment que l’employeur avait violé une entente qu’il avait conclue avec elle (pièce G1, onglet 35) :

[Traduction]

Contrat conclu, et offre présentée, à l’égard d’une option aux termes de laquelle la fonctionnaire pourrait prendre sa retraite, en échange de quoi aucune mesure disciplinaire ne serait imposée; toutefois, le Service correctionnel du Canada a ensuite manqué à ses obligations relatives à ce contrat et à cette offre et a tenté de faire en sorte que le départ à la retraite de la fonctionnaire soit conditionnel à sa signature d’une renonciation complète et finale de tous ses droits en vue d’obtenir le retrait de la mesure disciplinaire.

181 Au cours de son contre-interrogatoire et de la présentation de ses observations finales, l’avocat de la fonctionnaire s’est concentré, d’une part, sur ce qu’il considère comme les aspects illégaux de l’offre présentée par Mme MacDonald et, d’autre part, sur ce qui constitue d’après lui un manquement aux promesses qu’elle avait faites. Quant à elle, la fonctionnaire s’est concentrée sur ce qu’elle considère comme une tentative par Mme MacDonald de revenir sur son offre ou d’ajouter en douce de nouvelles conditions à l’offre une fois que la fonctionnaire l’avait déjà acceptée, à savoir l’exigence de signer un protocole d’entente comprenant une clause de renonciation et de confidentialité. La fonctionnaire a laissé entendre dans son témoignage qu’elle avait été incitée à prendre sa retraite à la lumière de l’offre présentée par Mme MacDonald, qui consistait [traduction] « à fermer le dossier disciplinaire, à ne pas lui imposer de mesure disciplinaire et à publier sur le site Web, pour mettre fin au processus d’enquête, une conclusion ne révélant pas son identité qui indiquait qu’elle avait pris sa retraite, si elle prenait bel et bien sa retraite ». Elle a affirmé qu’elle avait accepté cette offre, mais que l’employeur était ensuite revenu sur celle-ci en l’obligeant à signer un protocole d’entente (et, en particulier, une clause de renonciation) et en refusant par la suite de retirer la mesure disciplinaire ou toute mention de celle-ci de son dossier et du site Web.

182 Je ne souscris pas à la position de la fonctionnaire à cet égard.

183 À la lumière de la preuve, je suis convaincu qu’avant d’imposer la mesure disciplinaire à la fonctionnaire, le 14 octobre, Mme MacDonald a présenté l’offre suivante :

a) si la fonctionnaire prenait sa retraite avant l’imposition d’une mesure disciplinaire, aucune mesure ne serait prise, il serait considéré qu’elle avait pris sa retraite alors qu’elle occupait son poste de directrice du Centre Keele et les renseignements sur le site Web mentionneraient uniquement qu’elle avait pris sa retraite, et non qu’une mesure disciplinaire lui avait été imposée;

b) si la fonctionnaire prenait sa retraite une fois la mesure disciplinaire imposée, Mme MacDonald serait prête à annuler la mesure disciplinaire, à faire comme si celle-ci n’avait jamais été prise et, pour ce faire, procéderait tel qu’il est indiqué dans la première option, la seule différence étant qu’il faudrait conclure une entente officielle pour annuler la décision disciplinaire.

184 Les seules personnes ayant été témoins des conversations au cours desquelles l’offre a été faite sont Mme MacDonald et la fonctionnaire. Aucune d’entre elles n’a reproduit ces conversations ou l’offre par écrit avant que la fonctionnaire n’envisage d’accepter l’offre le 21 octobre. Toutefois, les deux témoignages, jusqu’au moment de la discussion portant sur la nécessité d’établir un type d’entente si l’offre était acceptée après l’imposition d’une mesure disciplinaire, abondaient dans le même sens.

185 Il est également clair que le protocole d’entente officiel correspondait à l’offre présentée par Mme MacDonald. La rétrogradation devait être annulée, le dossier, déchiqueté, et la fonctionnaire devait pouvoir prendre sa retraite comme si aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée. Dans son témoignage, la fonctionnaire n’a pas affirmé que le protocole d’entente n’englobait pas l’offre présentée par Mme MacDonald, soit celle sur laquelle elle a déclaré s’être fondée lorsqu’elle a décidé de prendre sa retraite. Elle a eu l’occasion d’expliquer en quoi le protocole d’entente était différent de l’offre qui lui avait été présentée, et les seules différences qu’elle a pu mentionner étaient la clause de confidentialité et la clause de renonciation.

186 Manifestement, ce n’est qu’après les faits que la fonctionnaire s’est opposée à la clause de confidentialité. En effet, aucune objection à cet égard n’a été signalée par M. Moreau dans sa lettre du 21 octobre. Point plus important encore, son objection manque de crédibilité, compte tenu de ses préoccupations continues au sujet de la possibilité que les membres du personnel du SCC puissent l’identifier dans les renseignements en ligne sur l’enquête effectuée en vertu de la LFPDAR. Ainsi, au vu de ces préoccupations, il aurait été normal qu’elle s’attende à ce qu’une telle clause figure dans une entente officielle entre les parties, voire même qu’elle l’exige.

187 L’élément essentiel de l’objection de la fonctionnaire réside dans la clause de renonciation. Son objection tient au fait qu’elle croyait que l’employeur, dans le protocole d’entente, proposerait ce qui suit :

a) annuler la mesure disciplinaire et déchiqueter le dossier;

b) lui permettre de prendre sa retraite sans qu’il y ait mention de mesure disciplinaire à son dossier;

c) lui permettre de poursuivre son employeur pour congédiement déguisé, afin d’obtenir des dommages et d’être réintégrée à son ancien poste, comme s’il n’y avait jamais eu de mesure disciplinaire et qu’elle n’avait pas pris sa retraite.

188 À mon avis, la position de la fonctionnaire à cet égard n’est pas défendable et manque de crédibilité.

189 Tout d’abord, les deux témoins ayant assisté aux discussions se sont entendus pour dire que si la fonctionnaire acceptait l’offre après l’imposition de la mesure disciplinaire, c’est-à-dire une fois que l’employeur aurait pris une mesure ayant une incidence négative sur son emploi, les deux parties devraient conclure par écrit une entente pour annuler cette mesure.

190 Bien entendu, cette preuve soulève la question du type de document et, encore davantage, de son contenu.

191 Compte tenu des discussions et des pièces de correspondance échangées entre la fonctionnaire, son avocat, M. Moreau, et Mme MacDonald, j’ai l’impression qu’il aurait dû être évident, en date du 14 octobre, sinon avant, qu’un tel document comprendrait une clause de renonciation. La fonctionnaire avait retenu les services d’un avocat. Comme il a déjà été expliqué, son avocat avait discuté avec Mme MacDonald d’un règlement d’ensemble à la fin du mois de septembre. En date du 7 octobre, il était clair que des mesures disciplinaires sérieuses étaient à prévoir. Le 13 octobre, l’avocat de la fonctionnaire avait écrit à Mme MacDonald qu’un paiement équivalant à 28 semaines de paye était [traduction] « […] extrêmement généreux, comparativement à ce qui attend les deux parties si une mesure disciplinaire est imposée, sans compter les conséquences qui en découleraient ». Comme il l’a affirmé plus tard le même jour, il s’agissait [traduction] « […] d’une indemnité de départ avant que la fonctionnaire soit licenciée ou fasse l’objet d’un congédiement déguisé, qui ferait en sorte que les deux parties en sortiraient gagnantes ». En résumé, l’offre que Mme MacDonald avait présentée le ou vers le 13 octobre et qu’elle avait promis le 14 octobre de laisser en vigueur pendant une semaine avait été présentée dans le contexte de négociations visant le règlement de ce qui était implicitement, sinon ouvertement, à prévoir, c’est-à-dire une poursuite contre le « congédiement déguisé » de la fonctionnaire.

192 À mon avis, aucune partie ni aucun avocat n’auraient dû être surpris qu’une clause de renonciation figure dans un document visant à officialiser une offre qui avait été faite dans le contexte de négociations de cet ordre. En fait, ils auraient dû s’attendre à ce qu’il y ait une telle clause. C’est le règlement d’un conflit au sujet de l’imposition d’une mesure disciplinaire par l’employeur qui faisait l’objet de discussions et de négociations. Comme n’importe quel avocat digne de ce nom pourrait l’expliquer à son client, le règlement d’un conflit suppose généralement la renonciation à tous les droits acquis en ce qui a trait à ce conflit. Si une partie devait accepter le règlement d’un conflit sans qu’il y ait de renonciation, il conviendrait alors de se demander en quoi il est pertinent de régler le conflit.

193 Essentiellement, la fonctionnaire a soutenu qu’elle croyait, comme le dit l’adage, qu’elle pourrait avoir le beurre et l’argent du beurre. Elle souhaitait en effet que l’employeur lui fasse une faveur, c’est-à-dire qu’il annule la mesure disciplinaire qu’il avait imposée, mais également qu’il lui permette de le poursuivre pour la mesure disciplinaire qu’il avait annulée. Je ne peux croire que dans des circonstances normales, une personne objective penserait ou supposerait qu’un tel résultat soit envisageable. Cette suggestion est à mon avis tellement inusitée et extraordinaire que l’on se serait attendu à ce qu’elle soit expressément formulée pendant les discussions. Or, rien n’indique que la fonctionnaire ou son avocat ait dit à Mme MacDonald qu’une fois la mesure disciplinaire imposée, celle-ci devrait a) annuler sa décision, puis b) accepter qu’une poursuite soit intentée contre elle au sujet de cette décision, et pour cause : personne dans la position de Mme MacDonald n’aurait présenté l’offre qu’elle a faite en sachant qu’elle ferait ensuite l’objet d’une poursuite pour cette seule raison. Pourquoi annulerait-on une décision pour ensuite se faire poursuivre? Il est clair que dans un tel cas, n’importe quel employeur demanderait, en échange de l’annulation de la décision disciplinaire, une entente de la part de l’employé afin qu’aucune poursuite ne soit intentée, c’est-à-dire une renonciation.

194 Par conséquent, je suis d’avis que l’employeur n’est pas revenu sur l’offre qu’il avait présentée à la fonctionnaire. Le protocole d’entente qu’il a préparé établissait exactement ce qu’il avait convenu de faire dans l’éventualité où la fonctionnaire déciderait de prendre sa retraite une fois la mesure disciplinaire imposée. Ni la clause de confidentialité ni la clause de renonciation, qu’elles soient considérées ensemble ou de façon distincte, ne modifiaient l’offre de quelque façon que ce soit ni n’y ajoutaient de conditions. Les modalités étaient définies implicitement dans l’offre, compte tenu du contexte dans lequel celle-ci avait été présentée. Lorsque la fonctionnaire envisageait d’accepter l’offre de Mme MacDonald le 21 octobre (une offre qui n’avait pas encore été présentée par écrit à ce moment-là), elle tentait en fait d’accepter une offre différente, qui n’avait pas été faite. Ou, de façon subsidiaire, son refus par la suite d’accepter le protocole d’entente constituait une tentative de sa part (et non de la part de l’employeur) de conclure une nouvelle entente, soit une entente qui ne comprenait pas de clause de renonciation. Dans tous les cas, c’est la fonctionnaire, et non l’employeur, qui a omis de se conformer à l’offre qui avait été présentée ou de l’accepter.

D. Conclusion relative à la démission

195 Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis convaincu que Mme Hassard, volontairement et de son plein gré, et suivant les conseils d’un avocat expérimenté, a présenté sa démission et sa demande de départ à la retraite le 21 octobre 2011. Cette démission a été acceptée par l’employeur. Il n’y a eu aucune coercition en l’espèce, pas plus qu’il n’y a eu de manquement à quelque entente que ce soit relativement au départ à la retraite, étant donné que c’est Mme Hassard, et non l’employeur, qui s’est opposée aux modalités – expresses ou tacites – de l’offre présentée par Mme MacDonald. Enfin, en présentant sa démission de façon libre et volontaire, Mme Hassard a rompu le lien d’emploi avec l’employeur et a perdu son statut d’employée.

196 J’en suis maintenant à établir les répercussions de cette constatation sur la partie du grief ayant trait à la rétrogradation.

197 D’une part, il existe de nombreuses décisions rendues par la Commission et sa prédécesseure indiquant qu’elle n’a pas compétence dans les cas où un employé, se voyant offrir le choix entre une mesure disciplinaire allant jusqu’au licenciement et la démission volontaire, choisit la seconde possibilité : voir, par exemple, Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27; McNab c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-14343 (19840224); Charron c. Chambre des communes, 2002 CRTFP 90; Mangat c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 52; Rinke et Vanderwoude c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 143; Arsenault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-23957 (19930722) et Bodner c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-21332 (19910607), toutes des affaires citées par la fonctionnaire.

198 D’autre part, il y a la décision rendue par la Cour fédérale dans La Reine du chef du Canada c. J.G.I. Lavoie [1978] 1 CF 778 (C.A.). Selon l’interprétation qui est faite de cette décision, un ancien employé a le droit de formuler un grief contre son ancien employeur en ce qui a trait à une affaire s’étant produite pendant qu’il avait le statut d’employé : voir, par exemple, Glowinski c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2007 CRTFP 91; Crawley c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2013 CRTFP 135. Je dois dire, en toute déférence, que je ne suis pas convaincu que Lavoie signifie réellement ce qu’elle est réputée signifier, ou, si cette interprétation est effectivement la bonne, que la question a été correctement tranchée. Je ne suis pas non plus certain de comprendre en quoi cette interprétation cadre avec la série de décisions s’apparentant à Monteiro (supra), étant donné qu’à mon avis, il n’y a aucune différence substantielle entre une démission et un départ à la retraite, du moins dans la mesure où les deux sont volontaires, puisque les deux ont pour effet de rompre le lien d’emploi. Ainsi, si la Commission n’a pas compétence pour trancher un grief dans un contexte où le fonctionnaire s’estimant lésé a choisi de démissionner plutôt que de se voir imposer la mesure disciplinaire proposée par l’employeur en guise de solution, j’ai du mal à comprendre comment elle pourrait avoir compétence dans un contexte où un employé choisit de prendre sa retraite plutôt que de démissionner.

199 Quoi qu’il en soit, les deux parties, dans leurs observations écrites portant sur ce point et datées du 6 février 2014, se sont entendues pour affirmer que l’interprétation susmentionnée de Lavoie était la bonne. Je n’ai donc pas à contester cette position, à plus forte raison que cette interprétation a influé sur l’approche adoptée par les avocats en ce qui a trait à la question en litige. En conséquence, le fait que Mme Hassard avait perdu son statut d’employée lorsqu’elle a formulé son grief ne l’empêche pas en l’espèce de présenter un grief à l’encontre de la décision de lui imposer une rétrogradation, pas plus que cela ne m’empêche d’avoir compétence pour instruire ce grief.

200 Cette conclusion m’amène donc à examiner la prochaine question en litige, soit la recevabilité du rapport d’enquête.

E. Recevabilité du rapport d’enquête

201 J’examinerai maintenant la troisième question en litige à trancher, soit celle qui consiste à déterminer si la fonctionnaire peut aller au-delà du rapport d’enquête ou si elle est tenue d’accepter les constatations du rapport comme constatations de fait, tout comme je devrais le faire, à titre d’arbitre de grief.

202 Cette question sous-entend en réalité deux questions interdépendantes, mais distinctes. La première question consiste à déterminer si les constatations du rapport doivent être acceptées comme des faits avérés, de telle sorte que la fonctionnaire ne puisse les contester et qu’à titre d’arbitre de grief, je sois lié par elles. S’il est établi que ces faits n’ont pas force obligatoire, il en découle une deuxième question, qui concerne davantage la preuve. Cette question fondamentale consisterait à déterminer si l’employeur peut se fonder sur la preuve établie dans le rapport d’enquête pour étayer sa décision d’imposer une mesure disciplinaire à Mme Hassard, ou s’il doit au contraire étayer cette décision au moyen d’une preuve indépendante (c’est-à-dire au moyen d’une preuve autre que celle qui figure dans le rapport).

203 Pour ce qui est de la première question, je ne suis pas convaincu que les constatations de fait (ou « faits ») établies dans le rapport d’enquête lient de quelque façon que ce soit la fonctionnaire ou l’arbitre de grief. À cet égard, l’article 51 de la LPFDAR prévoit ce qui suit :

51.     Sous réserve des paragraphes 19.1(4) et 21.8(4), la présente loi ne porte pas atteinte :

a) au droit du fonctionnaire de présenter un grief individuel en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

b) au droit de l’arbitre de procéder à l’instruction d’une plainte sous le régime de l’article 242 du Code canadien du travail.

204 Lorsqu’il a adopté cette disposition, le législateur envisageait clairement qu’un employé faisant l’objet d’une mesure disciplinaire qui découle d’une enquête menée en vertu de la LPFDAR puisse présenter un grief auprès de la Commission. Le législateur s’est effectivement efforcé d’indiquer clairement que rien dans la LPFDAR ne pouvait empêcher la présentation d’un tel grief. Ainsi, le législateur acceptait qu’un grief découlant d’une mesure disciplinaire imposée à la suite d’une enquête menée en vertu de la LPFDAR soit traité de la même façon que tout autre grief présenté en vertu du paragraphe 208(1) de la LRTFP. Dans tous les cas, l’employeur doit établir qu’il avait un motif valable, et l’arbitre de grief doit assurer aux parties un haut degré d’équité procédurale (voir Timson, supra, au paragraphe 15). S’il fallait juger que les constatations figurant dans un rapport d’enquête – qui découle d’un processus fondé sur le témoignage de témoins anonymes à qui le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut poser aucune question et qui est mené par des personnes indépendantes de l’employeur – ont force obligatoire, les principes fondamentaux de l’équité procédurale s’en trouveraient enfreints.

205 Je suis donc convaincu que la fonctionnaire n’est pas liée par les constatations de fait présentées dans le rapport d’enquête, et que l’arbitre de grief n’est pas tenu d’accepter ces constatations et de considérer qu’elles ont force obligatoire.

206 Cette conclusion nous mène donc à la deuxième question, qui consiste à déterminer l’utilisation, le cas échéant, que l’employeur peut faire du rapport d’enquête.

207 Selon l’interprétation que je fais des observations à cet égard formulées pour le compte de la fonctionnaire, il y avait essentiellement une objection fondamentale relativement au rapport d’enquête, et donc à son utilisation par l’employeur, c’est-à-dire que le rapport était essentiellement constitué de ouï-dire, fondé lui-même sur une preuve par ouï-dire. En effet, le rapport et les conclusions qu’il comprend reposent sur une preuve provenant de témoins qui n’ont pas été identifiés, et que Mme Hassard n’a pas pu confronter et à qui elle n’a pas pu poser de questions. Ainsi, l’employeur ne peut pas se fonder sur la preuve contenue dans le rapport étant donné que celle-ci est constituée de ouï-dire.

208 À mon avis, cette observation renvoie à deux questions interdépendantes, mais distinctes :

  1. L’employeur a-t-il le droit de se fonder sur une preuve par ouï-dire pour justifier une décision de nature disciplinaire?
  2. En l’espèce, l’employeur peut-il se fonder, en tout ou en partie, sur le rapport d’enquête pour étayer sa décision d’imposer une mesure disciplinaire à Mme Hassard?

209 Pour ce qui est de la première question, il est vrai que si les arbitres de grief peuvent tenir compte de la preuve par ouï-dire, ils sont réticents à le faire lorsqu’il s’agit de la seule preuve présentée par l’employeur. Cette réticence est particulièrement marquée lorsque l’infraction reprochée et la sanction qui en découle sont graves : voir, par exemple, Charlebois c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) 2006 CRTFP 19, au paragraphe 111. L’employeur qui se fonde uniquement sur une preuve par ouï-dire pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire aussi grave que la rétrogradation ou le licenciement aura ensuite du mal à s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe : voir, par exemple, B.C. Rail Ltd. v. United Transportation Union, Locals 1778 v. 1923, (1984) 17 L.A.C. (3e) 402 (Munroe), aux pages 413-414; Company A v. UFCW-Can, Local 401, (2013) 232 L.A.C. (4e) 70 (Ponak). L’équité procédurale sous-entend qu’il est dangereux qu’un arbitre de grief se fonde sur une preuve par ouï-dire qui n’a été ni vérifiée ni corroborée.

210 Toutefois, et j’aborde ici le second point, il ne faut pas en déduire que la preuve par ouï-dire ne peut jamais faire partie d’une preuve utilisée par l’employeur pour étayer la décision d’imposer une mesure disciplinaire. Le poids à accorder à la preuve par ouï-dire varie d’une affaire à l’autre. Celui-ci dépend de facteurs comme la nécessité et la fiabilité (le seuil du critère de fiabilité par opposition à la fiabilité ultime), de même que de la gravité de l’infraction qui est reprochée. Le poids à accorder dépend également du témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé en réponse à la preuve présentée. Par exemple, l’arbitre de grief doit davantage faire preuve de circonspection lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé se contente de nier la preuve par ouï-dire qui est présentée contre lui, comparativement à un cas où le fonctionnaire s’estimant lésé admettrait certains faits, qualifierait la preuve par ouï-dire ou y ajouterait des éléments. Dans ce dernier cas, la preuve par ouï-dire sert autant à obtenir une preuve directe (celle du fonctionnaire s’estimant lésé) qu’une preuve sur laquelle il est possible de se fonder pour formuler des constatations de fait.

211 En l’espèce, la preuve par ouï-dire contenue dans le rapport d’enquête appartient davantage à la deuxième catégorie. Le rapport contient plus de 100 pages, dont de nombreux passages de la réponse de Mme Hassard aux allégations formulées contre elle. Bien qu’elle ait nié certains des incidents rapportés dans les déclarations reproduites dans le rapport, elle a également admis ou du moins reconnu certains autres, en tentant de les expliquer, de les qualifier, de les modifier ou de les justifier. Par conséquent, il est faux de dire que le rapport ne contient aucune preuve pouvant être sérieusement prise en considération par un arbitre de grief pour déterminer si l’employeur a réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il avait un motif valable.

212 Il n’en découle pas pour autant que Mme Hassard n’a pas le droit de formuler un grief au sujet de la décision de l’employeur de la rétrograder ni de contester la preuve figurant dans le rapport sur lequel l’employeur s’est fondé – du moins en partie – pour prendre sa décision. Cela ne signifie pas non plus que la fonctionnaire ne peut présenter de preuve ou formuler des observations qui auraient pour effet de contester le caractère raisonnable de la décision prise par l’employeur à la lumière de la preuve dont il disposait. La fonctionnaire est en droit de formuler un grief au sujet de la rétrogradation et d’exiger de l’employeur qu’il justifie à la fois sa décision de lui imposer une mesure disciplinaire et la sanction qu’il lui a infligée.

213 Toutefois, pour les mêmes raisons, il n’en découle pas non plus que l’employeur ne peut se fonder sur le rapport pour établir en partie qu’il avait un motif valable. Comme il a déjà été mentionné, le rapport est long et il contient une preuve directe provenant de Mme Hassard en réponse aux actes répréhensibles qui lui sont reprochés. Il contient donc une preuve sur laquelle l’employeur peut se fonder pour établir qu’il avait un motif valable.

214 Cette conclusion ne signifie pas que la décision de l’employeur était justifiée. Je ne formule aucune constatation à cet égard à ce stade-ci. J’affirme simplement que le rapport et la preuve qu’il contient ont un certain poids. Il reste maintenant à établir le poids qui doit leur être accordé, ainsi que celui qui doit être accordé aux autres éléments de preuve obtenus par l’employeur, soit les observations de Mme Hassard présentées à Mme MacDonald par son avocat le 6 octobre 2011, ou les affirmations qu’elle a faites à Mme MacDonald au cours de la réunion du 7 octobre. Il reste également à déterminer si l’employeur peut, à la lumière de la preuve fournie, justifier la mesure disciplinaire qu’il a imposée.

215 Je souligne que je n’ai entendu aucune observation sur la question de déterminer si Mme Hassard pouvait réclamer des dommages généraux, majorés et moraux pour le stress, la détresse émotionnelle et la perte de réputation subis s’il devait être conclu que sa rétrogradation n’était pas fondée sur un motif valable. Je ne tire donc aucune conclusion sur ce point à ce stade-ci. Cette question sera tranchée si Mme Hassard décide de poursuivre son grief lié à la rétrogradation.

216 Pour tous les motifs susmentionnés, je rends l’ordonnance suivante :

VI. Ordonnance

217 La fonctionnaire est autorisée à poursuivre son grief, mais uniquement la portion qui traite de la décision de l’employeur de lui imposer une mesure disciplinaire et de lui infliger une rétrogradation à titre de sanction.

218 L’ordonnance de mise sous scellés rendue en ce qui a trait au rapport d’enquête et à la réponse de Mme Hassard peut faire l’objet d’un nouvel examen si Mme Hassard décide de poursuivre la portion du grief portant sur la rétrogradation.

219 Je demeure saisi de ce grief si la fonctionnaire décide de poursuivre la procédure.

Le 19 mars 2014.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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