Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision du Ministère de mettre fin à son emploi comme agent des pêches aux Îles de la Madeleine - l’employeur lui reprochait plusieurs infractions au Code de conduite, soit d’avoir transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du Ministère, d’avoir eu en sa possession et d’avoir consommé des drogues illicites, d’avoir fréquenté des personnes liées au braconnage ou au trafic de stupéfiants, d’avoir compromis la sécurité d’autres agents des pêches et d’avoir utilisé ses pouvoirs de manière inappropriée - l’employeur a commencé à avoir des soupçons à propos du fonctionnaire s’estimant lésé en 2006 lors d’une opération pour attraper un individu (M. C.) soupçonné de braconnage - selon l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est mis en évidence de façon à faire savoir à cet individu qu’il était observé - l’individu en question était ami avec le fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir aidé son ami et il a déclaré que sa radio ne fonctionnait pas bien et qu’il n’avait pas bien compris les instructions - en 2008 un agent de la Sureté du Québec (SQ) a contacté le Ministère pour dire qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire s’estimant lésé car il était soupçonné de partager de l’information avec les braconniers et les trafiquants de drogue - l’employeur a décidé qu’il était préférable d’attendre la suite des évènements pour ne pas <<brûler>> les informateurs - entre temps, l’employeur a changé sa façon d’opérer avec le fonctionnaire s’estimant lésé, partageant avec lui le moins d’information possible - en 2009, de nouveaux faits de la part de la SQ sont venus à l’attention de l’employeur et ce dernier a décidé de faire enquête - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans solde pendant l’enquête et il a été congédié rétroactivement à la date de sa suspension - le fonctionnaire a admis qu’il faisait pousser et consommait de la marijuana chez lui et que cela jetait un discrédit sur son employeur, mais il a affirmé qu’il ne consommait plus de cocaïne depuis son arrivée aux Îles - il a aussi admis que M. C. consommait de la marijuana chez lui et que ce dernier avait été reconnu coupable de possession de drogue - le fonctionnaire a aussi admis avoir prêté de l’argent à un trafiquant de drogue et d’avoir hébergé le fils d’un trafiquant de cocaïne - le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir donné de l’information privilégiée sur les opérations de l’employeur à ses connaissances ou amis et d’avoir mis en péril la sécurité des agents - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du Ministère, compromettant ainsi la sécurité de ses collègues et la collaboration entre le Ministère et la SQ et exerçant ses fonctions de manière inappropriée, et qu’il avait fait pousser et consommer de la marijuana - à propos de l’incident de 2006, bien que l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait effectivement alerté M. C. qu’il était observé par les agents des pêches, l’employeur avait un devoir d’agir avec célérité et il ne l’a pas fait et il était maintenant trop tard pour invoquer ce motif pour le licencier - cependant, l’arbitre de grief a accepté le témoignage de l’employeur voulant qu’en 2008 il ait attendu avant d’agir parce qu’il voulait être prudent et avoir toute l’information nécessaire avant d’agir - dans les circonstances, le délai d’agir n’était pas déraisonnable - un agent des pêches doit respecter la loi et se doit d’éviter de côtoyer des personnes reconnues comme braconniers ou trafiquants de drogue et de socialiser avec elles - l’employeur avait démontré selon la prépondérance des probabilités l’essentiel des allégations mentionnées dans la lettre de licenciement - les incidents prouvés étaient suffisamment graves en soi pour mériter le licenciement - de plus, le fonctionnaire s’estimant lésé ne semblait pas prendre au sérieux ses infractions - ses actions ont jeté un discrédit sur les opérations de l’employeur - le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé est irrémédiablement brisé et le licenciement est justifié. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-03-28
  • Dossier:  566-02-6662
  • Référence:  2014 CRTFP 40

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ANDRÉ NICOLAS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Pêches et des Océans)

défendeur

Répertorié
Nicolas c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
Linda Gobeil, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Martin Desmeules, avocat
Affaire entendue à Gaspé, (Québec), du 29 au 31 octobre et le 1 novembre 2013.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1  Le 20 avril 2010, le fonctionnaire s’estimant lésé, André Nicolas (le « fonctionnaire ») a déposé un grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Dans son grief, le fonctionnaire conteste la décision du ministère des Pêches et des Océans (l’« employeur ») de mettre fin à son emploi le 29 mars 2010. Au moment de son licenciement, M. Nicolas occupait le poste d’agent des pêches auprès de l’employeur. Dans sa lettre de licenciement du 29 mars 2010, l’employeur reproche notamment au fonctionnaire d’avoir :

[…]

avoir transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du Ministère;

avoir eu en votre possession et consommé des drogues illicites;

avoir fréquenté des narcotrafiquants [sic] ainsi que des pêcheurs faisant l’objet d’enquêtes menées par le MPO;

avoir compromis la sécurité d’autres agents des pêches; et

avoir utilisé vos pouvoirs d’agent des pêches de manière inappropriée.

[…]

2 Le grief de M. Nicolas se lit comme suit :

Je dépose un grief contre mon congédiement, j’invoque tous les articles de ma convention collective ainsi que toutes les autres lois et politiques applicables.

Je demande que mon congédiement soit retiré et que je retourne au travail. Je demande de ne pas subir de préjudice financiers ou morales [sic]. Je demande toutes autres mesures correctives applicables et réparations globales.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

3 M. Yves Richard a été le premier témoin de l’employeur. M. Yves Richard est le chef de la réglementation des pêches dans la région de Québec depuis 2011. De 2003 à 2010, M. Yves Richard était superviseur de terrain aux Îles de la Madeleine (les « Îles »). À ce titre, il était le superviseur de trois agents des pêches, dont le fonctionnaire. À cette époque, M. Yves Richard se rapportait à M. Jean Richard, le chef de secteur, également en poste aux Îles. M. Yves Richard a témoigné qu’entre 2006 et 2010, cinq agents des pêches, dont le fonctionnaire, se rapportaient directement à lui et à un autre superviseur, Albert Cyr.

4 Dans son témoignage, M. Yves Richard a expliqué que les fonctions d’un agent des pêches consistent principalement à effectuer des inspections et faire appliquer les lois et les règlements qui régissent les pêches en plus d’apporter son soutien à d’autres organismes comme la Sûreté du Québec (la « SQ ») et la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») (pièce E-1). M. Yves Richard a souligné qu’un des rôles d’un agent des pêches est de faire des enquêtes tant en vertu de la Loi sur les pêches qu’en vertu du Code criminel du Canada. Selon M. Yves Richard, un agent des pêchespeut exécuter des mandats de perquisition et effectuer des fouilles et des arrestations. Quant aux genres d’infractions qui peuvent faire l’objet d’une enquête de la part d’un agent des pêches, elles varient du débarquement de poisson non-déclaré, d’usage d’instrument de pêche non-conforme, de pêche en période et zone prohibées, de braconnage etc. Selon M. Yves Richard, les enquêtes se font souvent suite à une patrouille, à une plainte ou dénonciation.

5 M. Yves Richard a expliqué que les Îles sont un petit territoire où tout le monde se connaît, ce qui complique parfois le travail de l’agent des pêches. À cet égard, M. Yves Richard a souligné qu’un agent des pêches a souvent à travailler en étroite collaboration avec la SQ et la GRC.

6 M. Yves Richard a précisé, que depuis 1996, les agents des pêches ont le titre d’agent de la paix; ils sont armés pour assurer leur sécurité, car ils ont parfois affaire à des criminels violents. Par exemple, il peut arriver qu’un agent des pêches se trouve au beau milieu d’une transaction de drogue. M. Yves Richard a souligné que les agents des pêches avaient souvent affaire aux mêmes délinquants que les agents de la SQ et de la GRC. Il est fréquent qu’un individu fasse du braconnage ou autres activités illicites impliquant les pêches pour payer ses dettes de drogue.

7 Dans son témoignage, M. Yves Richard a insisté sur le fait que les agents des pêches, les agents de la SQ et les agents de la GRC partagent beaucoup d’information entre eux quant aux infractions commises ou potentielles qui relèvent de la Loi sur les pêches ou du Code criminel du Canada. M. Yves Richard a expliqué que parfois une infraction qui relève des agents des pêches peut mal tourner ce qui nécessite l’intervention immédiate de la SQ. M. Yves Richard a aussi témoigné que non seulement les agents des pêches collaborent étroitement avec la SQ ou la GRC sur des enquêtes mais que ces derniers se partagent également parfois des ressources comme motoneige, avion, etc.

8 Dans son témoignage, M. Yves Richard a expliqué que chaque navire doit être muni d’une « boite noire » allumée qui donne la position précise dudit navire. Ainsi, à partir de cette « boite noire » les agents des pêches peuvent connaître les déplacements du navire ce qui peut être utile en cas d’intervention d’urgence. Cette « boite noire » fournit l’emplacement et les mouvements précis d’un navire. Elle permet aussi aux agents des pêches de surveiller un navire qui aurait des déplacements suspects pouvant laisser croire qu’une infraction est sur le point d’être commise. Selon M. Yves Richard, ce système de « boite noire » est géré à partir de Terre-Neuve mais les agents des pêches, comme le fonctionnaire, ont accès aux données émises par ces « boites noires ». M. Yves Richard a témoigné qu’il arrivait que l’information tirée des « boites noires », soit jugée d’intérêt pour la SQ ou la GRC et soit partagée avec ces instances.

9 M. Yves Richard a témoigné que le travail d’un agent des pêches impliquait, à l’occasion, de faire de la surveillance et compte tenu qu’aux Îles tout le monde se connaît, l’agent des pêches doit faire preuve de discernement. À cet égard, M. Yves Richard a souligné que la gestion demandait à ses agents des pêches de ne pas se mettre dans une situation où ils auraient à intervenir auprès des membres de leur famille ou amis. Ainsi, M. Yves Richard a insisté sur le fait qu’aux Îles, il fallait garder une certaine distance avec les habitants et qu’un agent des pêches et sa famille devaient souvent se tenir à l’écart, surtout lorsqu’un agent des pêches se doit d’agir selon le Code de conduite ( le« Code ») (pièce E-8) et ce même en dehors des heures de travail (pièce E-1 pages 18 et 19). Pour M. Yves Richard, dans une petite communauté comme les Îles, les agents des pêches sont identifiés, même lorsqu’ils ne sont pas en uniforme et qu’ils sont en dehors de leurs heures de travail. Il est donc important qu’ils aient une éthique de vie convenable et qu’ils agissent conformément au Code quis’applique à eux et ce, même en dehors des heures de travail. (pièce E-9).

10 Dans son témoignage, M. Yves Richard a indiqué qu’un des éléments qui a été pris en considération pour licencier le fonctionnaire a été que ce dernier fréquentait, en même temps qu’il occupait un poste d’agent des pêches, des individus qui avaient des démêlés avec la justice que ce soit au niveau d’infractions reliées aux pêches ou aux stupéfiants.

11 À cet égard, M. Yves Richard a énuméré dans son témoignage une liste de noms de personnes qui, selon lui, étaient des connaissances ou amis que côtoyait le fonctionnaire lorsqu’il était agent des pêches. Il a précisé que compte tenu de ses fonctions, le fonctionnaire n’aurait pas dû fréquenter ces individus.

12 M. Yves Richard a témoigné que les personnes suivantes étaient des amis ou connaissances côtoyés par le fonctionnaire et que ces personnes étaient liées au braconnage ou au trafic de stupéfiants. Ainsi, M. Yves Richard a mentionné M. A. qui aurait été arrêté pour trafic de drogue et qui aurait un passé de braconnier. Pour ce qui est des frères B., M. Yves Richard a indiqué que ces derniers étaient connus pour être violents et qu’ils n’hésitaient pas à se battre. De plus, selon M. Yves Richard, de nombreuses plaintes pour braconnage ont été reçues à leur sujet. Ils ont aussi fait l’objet de surveillance par rapport au trafic de drogue. Quant à M. C., M. Yves Richard a affirmé que ce dernier a aussi été reconnu coupable de braconnage en 2007 et qu’il est soupçonné de faire du trafic de drogue aux Îles. M. Yves Richard a aussi affirmé que ce même M. C. avait fait l’objet d’une opération de surveillance en 2006 qui a été avortée à cause du fonctionnaire. M. Yves Richard a aussi mentionné M. D, un autre individu associé au monde de la drogue qui avait plusieurs condamnations à son actif en matière d’infractions reliées aux pêches. Selon M. Yves Richard, tous ces individus étaient de près ou de loin associés au monde du braconnage ou de la drogue et ils faisaient partie du cercle des amis ou de connaissances fréquentés par le fonctionnaire.

13  M. Yves Richard a affirmé que le fonctionnaire était arrivé aux Îles en 1997. M. Yves Richard a donc été son superviseur de 2003 jusqu’à son licenciement en mars 2010. M. Yves Richard a témoigné qu’en 2006 une opération était en cours pour attraper M. C. qui était soupçonné de braconnage. Toutefois, le jour de l’opération, M. C., qui faisait de la pêche en apnée, serait sorti de l’eau sans poisson. Selon M. Yves Richard, M. C. aurait été informé, une fois dans l’eau, que les agents des pêches le surveillaient et attendaient qu’il sorte de l’eau avec ses poissons pour lui donner une contravention. M. Yves Richard a expliqué que ce jour-là, il était au bureau mais qu’un de ses autres agents des pêches lui a raconté qu’au moment de l’opération, le fonctionnaire s’était mis bien en vue, sur le haut du cap de l’hôpital avec le camion bien identifié de l’employeur de façon à faire savoir à M. C. qu’il était observé et devait sortir de l’eau sans les poissons.

14 Selon M. Yves Richard, le fonctionnaire avait été averti d’attendre avant de se faire voir, ce qu’il n’a pas fait. Au contraire, le fonctionnaire serait allé se mettre bien en évidence sur le cap de l’hôpital de façon à alerter son ami M. C. Selon M. Yves Richard, quand le collègue du fonctionnaire a aperçu ce dernier bien en vue sur le haut du cap, il a essayé de communiquer par radio avec le fonctionnaire pour lui dire de s’enlever de là, toutefois, le fonctionnaire ne répondait pas et par la suite a prétendu que sa radio ne fonctionnait pas.

15  M. Yves Richard a témoigné que le fonctionnaire était ami avec M. C. et que souvent le fonctionnaire faisant monter M. C. dans sa voiture. M. Yves Richard a affirmé que suite à l’incident de 2006, les autres agents des pêches sont devenus méfiants à l’égard du fonctionnaire et ils croyaient que ce dernier donnait de l’information à ses amis et connaissances pour qu’ils évitent d’être attrapés par les agents des pêches lorsqu’ils braconnaient. M. Yves Richard a aussi indiqué avoir informé le fonctionnaire, le lendemain de l’incident de 2006, que s’il était mis devant une situation où s’il était en conflit d’intérêt parce qu’une opération impliquait un ami, le fonctionnaire devait prévenir son superviseur. Selon M. Yves Richard, contrairement à ce qu’a alors prétendu le fonctionnaire, la radio de ce dernier fonctionnait bien.

16 M. Yves Richard a témoigné qu’une semblable opération impliquant encore M. C. a eu lieu une autre fois en 2007 toutefois sans la participation du fonctionnaire qui avait été écarté. Selon M. Yves Richard, en 2007 les agents ont cette fois réussi à attraper M. C. en train de braconner. M. Yves Richard ayant estimé qu’il était préférable que le fonctionnaire ne soit pas mis au courant de cette opération en 2007 car lui et les autres agents des pêches étaient devenus méfiants envers le fonctionnaire.

17 M. Yves Richard a témoigné avoir été informé en mars 2008 par un autre superviseur, M. Cyr, qu’un agent de la SQ, Donald Bouchard, l’avait avisé qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire qui était soupçonné de partager de l’information avec les braconniers et les trafiquants de drogue, notamment les frères B. M. Yves Richard a affirmé avoir alors partagé cette information avec son supérieur, M. Jean Richard, qui était déjà au courant. En contre-interrogatoire, M. Yves Richard a convenu que si l’évaluation de rendement du fonctionnaire pour l’année 2008 ne mentionnait rien quant au partage illicite d’information, c’était parce M. Yves Richard et ses supérieurs trouvaient qu’ils ne maitrisaient pas suffisamment le dossier, que tout ça était très délicat et qu’il était alors préférable d’attendre la suite des événements (pièces E-2 et G-2). M. Yves Richard a précisé avoir malgré tout, souvent dans le passé, reproché au fonctionnaire de ne pas donner assez de contraventions et d’être trop complaisant envers les contrevenants. M. Yves Richard a aussi affirmé n’avoir pas pris de mesure contre le fonctionnaire sur la base de l’information de M. Cyr, car le dossier était dorénavant entre les mains de son supérieur M. Jean Richard. Pour M. Yves Richard, toute cette affaire était embêtante et l’employeur ne savait pas comment traiter de cette affaire. M. Yves Richard a témoigné que lui et ses supérieurs croyaient alors qu’en confrontant le fonctionnaire à ce stade, sans avoir toute l’information, il y avait un risque de compromettre le dossier et de « brûler » les informateurs. Selon M. Yves Richard, il a alors été convenu avec son supérieur, de maintenir le fonctionnaire en fonction, et d’attendre d’avoir plus de preuve contre le fonctionnaire avant d’agir contre lui. Dans son témoignage, M. Yves Richard a convenu que l’information fournie par la SQ était fiable et qu’il n’avait pas de raison d’en douter.

18 M. Yves Richard a affirmé qu’après mars 2008, sa façon d’opérer avec le fonctionnaire a changé et qu’il partageait avec lui le moins d’information possible. Par exemple, le fonctionnaire n’était plus copié sur les plaintes reçues, lorsque le fonctionnaire était à proximité, les autres agents des pêches fermaient les radios de façon à ce que le fonctionnaire n’entende pas ce qui était dit.

19 M. Yves Richard a témoigné qu’en 2009, il a reçu un appel de M. Jean Richard qui lui a dit que le dossier du fonctionnaire avait évolué, qu’il y avait de nouveaux faits et qu’une rencontre avec les agents de la SQ devait être cédulée.

20 En contre-interrogatoire, M. Yves Richard a confirmé n’avoir jamais vu le fonctionnaire consommer des drogues, ni l’avoir vu avec M. C.. M. Yves Richard a aussi expliqué que le fait de donner de l’information à des braconniers ou trafiquants de drogue peut s’avérer dangereux pour les autres agents des pêches puisque le risque d’embuscade est présent et que certains des braconniers et trafiquants de drogue sont des personnes violentes et imprévisibles.

21 M. Jean Richard a aussi témoigné pour l’employeur. M. Jean Richard est le chef de secteur, Conservation et protection, pour l’employeur depuis 2002. Au moment des faits en cause, il était le superviseur de M. Yves Richard et M. Cyr.

22 Tout comme M. Yves Richard avant lui, M. Jean Richard a insisté dans son témoignage sur l’étroite collaboration tant au niveau partage d’information que de partage de ressources qui existe entre les agents des pêches et les agents de la SQ et de la GRC. Comme chef de secteur, M. Jean Richard a expliqué qu’il représentait l’employeur notamment auprès de la SQ.

23  Dans son témoignage, tout comme M. Yves Richard avant lui, M. Jean Richard a énuméré les noms des mêmes amis et connaissances du fonctionnaire qui braconnaient ou qui étaient liés au trafic de stupéfiants en ajoutant un certain M. E. à la liste.

24 Selon M. Jean Richard, l’agent de la SQ, M. Bouchard, l’aurait informé en mars 2008 que le fonctionnaire avait informé M. E. qu’à l’automne 2007 les agents des pêches travaillaient sur un cas impliquant les frères B. et que M. D. était lui aussi l’objet de surveillance de la part de la SQ pour une affaire de stupéfiants. Selon M. Jean Richard, le fonctionnaire était alors au courant de l’opération de surveillance dont les frères B. faisaient l’objet. Quant à l’opération de la S.Q. visant M. E., le fonctionnaire aurait aussi été au courant car les agents des pêches en parlaient entre eux et de plus, le fonctionnaire avait accès au système ministériel des infractions où ce genre d’information était noté. M. Jean Richard a témoigné, qu’en 2007, après deux semaines de travail les opérations contre les frères B. et M.D. ont avortées car ceux-ci avaient déjà été prévenus que les agents des pêches les surveillaient. Pour M. Jean Richard, les gens se disaient entre eux que le fonctionnaire côtoyait des braconniers et des individus impliqués dans le commerce des stupéfiants. Selon M. Jean Richard, on pouvait donc conclure que le fonctionnaire était celui qui avait donné l’information.

25 M. Jean Richard a témoigné qu’après avoir reçu l’information de l’enquêteur de la SQ, M. Bouchard, en mars 2008, il a rencontré M. Yves Richard et M. Cyr et qu’il a aussi parlé à son supérieur John Chouinard qui était en poste à Québec. Selon M. Jean Richard, il a alors été convenu de ne pas parler au fonctionnaire et d’attendre pour voir ce qui allait se passer. M. Jean Richard a expliqué qu’il avait alors peur qu’en agissant trop vite, il allait « brûler » les sources d’information. Il a alors été décidé de cacher de l’information au fonctionnaire de manière à ce qu’il soit le moins possible au courant des activités. Par exemple, pas toute l’information concernant une opération de surveillance était inscrite dans le système ministériel d’information auquel le fonctionnaire avait accès.

26 Selon M. Jean Richard, cette façon de procéder de mars 2008 à juillet 2009 en cachant de l’information au fonctionnaire, en fermant les radios, ont affectés les activités de son unité. Il devenait difficile de travailler compte tenu du petit nombre d’agents des pêches. M. Jean Richard a témoigné avoir alors contacté le 9 juillet 2009 Jonathan Jauron de la SQ afin d’obtenir une mise à jour concernant le fonctionnaire (pièce E-3).

27 M. Jean Richard a témoigné avoir reçu une réponse de la SQ signée par M. Bouchard le 10 septembre 2009 où il fait état qu’en mai 2007 le fonctionnaire cachait à son domicile du matériel illicite pour le compte d’un trafiquant de drogue, du fait qu’il aurait donné de l’information privilégiée à des trafiquants et qu’il avait été vu en juin 2009 avec M. C. qui est un individu relié au trafic de cocaïne (pièce E-3).

28 Dans son témoignage, M. Jean Richard a affirmé avoir vu dans le passé le fonctionnaire en compagnie de M. C., il a aussi affirmé que bien qu’il n’ait jamais vu le fonctionnaire consommer de la drogue, il y avait beaucoup de commentaires à l’effet que le fonctionnaire en consommait. M. Jean Richard a toutefois admis n’avoir jamais soulevé cette question avec le fonctionnaire car il trouvait difficile de s’immiscer dans la vie privée des gens.

29 M. Jean Richard a témoigné avoir reçu de l’information de la SQ en octobre 2009 concernant d’autres activités illicites du fonctionnaire. Dans ce rapport, il est fait état qu’en septembre 2009 le fonctionnaire était un consommateur de drogue et que pour avertir les trafiquants, le fonctionnaire a eu recours à des codes pour prévenir les braconniers et trafiquants de ne pas aller de l’avant avec leurs plans (pièce E-6). M. Jean Richard a affirmé qu’à partir de ce moment, la pression était forte pour qu’une enquête de conduite soit menée impliquant le fonctionnaire. Cette enquête a débuté en octobre 2009.

30 En contre-interrogatoire, M. Jean Richard a maintenu qu’il peut être dangereux pour d’autres agents des pêches si un de leurs collègues fournit de l’information, car ceux-ci risquent de se faire embusquer par les trafiquants qui ont été averti. Questionné quant aux actions qui ont été prises contre le fonctionnaire afin de protéger les autres agents des pêches, M. Jean Richard a maintenu qu’avant octobre 2009, il en avait parlé à son supérieur M. Chouinard et qu’ils avaient alors décidé qu’il n’y avait pas encore assez d’information et qu’ils ne voulaient pas « brûler » leurs sources. M. Jean Richard a toutefois précisé que la décision avait été prise de ne pas entrer d’information quant à certaines opérations dans le système ministériel auquel le fonctionnaire avait accès. Quant à savoir pourquoi avoir attendu au moins un an après avoir reçu l’information de la SQ pour débuter une enquête, M. Jean Richard a maintenu sa version qu’ils n’avaient pas assez d’information à cette époque et qu’il ne fallait pas risquer de « brûler » les sources.

31 M. Bouchard a aussi témoigné pour l’employeur. M. Bouchard a été enquêteur pour la SQ aux Îles de 1990 à juillet 2013. Il a indiqué que 90 % de son travail aux Îles était consacré à la lutte contre les trafiquants de drogue. Il a expliqué que dans le cadre de son travail, il recevait souvent de l’information des gens qui avaient observé quelque chose sur le terrain. M. Bouchard a révélé que la drogue parvenait aux Îles soit par bateau, par avion et parfois même par autobus. À cet égard, M. Bouchard a révélé que le bateau de M. D. était souvent sous surveillance par la SQ.

32 M. Bouchard a lui aussi témoigné que la SQ et l’employeur entretenaient des liens étroits de collaboration, qu’ils échangeaient de l’information puisqu’ils avaient tous deux des « clients communs » et qu’occasionnellement, la SQ empruntait des ressources auprès de l’employeur comme son avion ce qui lui permettait de prendre des photos des navires suspects.

33 M. Bouchard a lui aussi énuméré une liste des connaissances et amis du fonctionnaire qui correspond à celle mentionnée dans les témoignages de MM. Yves et Jean Richard. M. Bouchard a réitéré que M. C. avait déjà été impliqué et condamné pour trafic de stupéfiants. M. Bouchard a aussi affirmé que les frères B. sont violents et ils ont été reconnu coupable pour infraction aux pêches, que M. E. a déjà été arrêté en 2008 et reconnu coupable de trafic de cocaïne. M. Bouchard a aussi ajouté le nom de M. F. à la liste des connaissances et amis du fonctionnaire. M. Bouchard a affirmé que M. F. avait déjà été arrêté en 1990 pour trafic de stupéfiants et qu’il avait été reconnu coupable.

34 M. Bouchard a témoigné qu’en mai 2007, une source codée l’a informé que le fonctionnaire cachait des stupéfiants chez lui pour le compte de M. F. M. Bouchard a expliqué que pour être qualifiée de source codée, la crédibilité de cette source était d’abord testée et que parfois cette source est payée pour les renseignements qu’elle fournit, parfois cette source codée préfère ne pas être payée. M. Bouchard a également affirmé ne jamais agir que sur la base d’une seule source codée, il corrobore toujours la version des faits par une autre source codée. M. Bouchard a indiqué que quatre différentes sources codées l’ont informé que le fonctionnaire était un consommateur de drogue mais qu’étant donné que le fonctionnaire n’en faisait pas le trafic, ça représentait peu d’intérêt pour M. Bouchard qui a témoigné avoir décidé de ne pas perquisitionner le domicile du fonctionnaire.

35 Dans son témoignage, M. Bouchard a affirmé avoir informé l’employeur normalement le lendemain après avoir reçu l’information. Il a aussi affirmé qu’en mars 2008 il avait avisé les représentants de l’employeur que le fonctionnaire « coulait » de l’information protégée lorsqu’une de ses sources codées lui avait appris que M. E. avait été mis au courant par le fonctionnaire que M. Bouchard avait rencontré les représentants de l’employeur pour préparer une intervention impliquant les frères B. ainsi que le bateau de pêche de M. D. Selon M. Bouchard, le fait que cette rencontre était maintenant connue du milieu des braconniers et des trafiquants a été une grosse déception. Selon M. Bouchard, le fait aussi que le fonctionnaire et M. E. étaient amis expliquerait pourquoi le fonctionnaire aurait donné cette information.

36 M. Chouinard a aussi témoigné pour l’employeur. M. Chouinard est le directeur Conservation et protection pour la région du Québec pour l’employeur depuis 2000. Il a expliqué qu’environ 70 personnes se rapportent à lui et qu’il était responsable des griefs et de l’application de la convention collective. Il a mentionné se rapporter à Patrick Vincent qui se rapporte au Directeur Général, Richard Nadeau.

37 M. Chouinard a témoigné connaître le fonctionnaire depuis 1974 et qu’il a travaillé indirectement avec lui. Selon lui, le fonctionnaire avait la réputation d’être un agent des pêches qui évitait de donner des infractions aux braconniers.

38 M. Chouinard a révélé qu’en 2006, il avait obtenu de l’information à l’effet qu’une opération avait été brûlée, car le fonctionnaire avait alerté le braconnier M. C. M. Chouinard a affirmé avoir été très préoccupé par cette information. Il a affirmé avoir alors demandé à M. Jean Richard de surveiller le tout et que si la situation se reproduit, il faudrait agir. Il a expliqué qu’il avait choisi de laisser aller les choses étant convaincu que si effectivement le fonctionnaire fournissait de l’information aux profits des braconniers ou autre trafiquants, la situation allait se reproduire. Selon M. Chouinard, « what goes around comes around ». M. Chouinard a indiqué qu’il trouvait qu’avec l’incident de 2006, il n’avait pas assez d’information et qu’il préférait être aux aguets. M. Chouinard a aussi indiqué qu’il avait alors jugé bon de ne pas parler de cette affaire avec le fonctionnaire car il craignait ainsi donner l’alerte et que si effectivement le fonctionnaire coulait de l’information, ce dernier choisirait alors de changer son motus opérande et il serait alors plus difficile d’intervenir.

39 M. Chouinard a indiqué avoir été informé par la SQ entre 2006 et 2008 qu’il y avait des fuites parmi leurs agents et qu’une opération de la SQ impliquant le bateau de M. D. avait été avorté, car le fonctionnaire avait préalablement révélé l’existence de cette opération à un trafiquant. M. Chouinard a avoué avoir été très préoccupé par la situation et de son impact sur la sécurité de ses agents des pêches.

40 M. Chouinard a témoigné avoir été avisé par la SQ, en 2009, que le fonctionnaire informait à l’avance les braconniers et les trafiquants des opérations de l’employeur et de la SQ. Il a affirmé être alors allé rencontrer M. Bouchard aux Îles en septembre 2009 pour valider certaines informations. M. Chouinard a indiqué qu’à ce moment, il a senti que la SQ commençait à prendre ses distances vis-à-vis l’employeur car la SQ craignait que de l’information soit donnée aux trafiquants via le fonctionnaire. M. Chouinard a par la suite décidé de mettre sur pied une enquête en vertu du Code. Jacinta Bernier et Marcel Picard, tous les deux à l’emploi de l’employeur, ainsi qu’une tierce partie du secteur privé, Guy Beauparlant du bureau des enquêtes civiles du Québec, ont été mandatés pour faire enquête. (pièces E7 à E-10).

41 Dans son témoignage, M. Chouinard a fait référence aux articles du Code de l’employeur qui aurait été enfreint par le fonctionnaire (pièce E-8). Selon M. Chouinard, l’article 15 du Code exige que les agents des pêches agissent de façon exemplaire et ce même en dehors de leurs heures de travail. Selon M. Chouinard, ceci est d’autant plus vrai dans un petit milieu comme les Îles. Selon M. Chouinard, le fonctionnaire n’a pas fait respecter la loi, il a transmis de l’information aux braconniers et trafiquants, il a fait avorter des opérations en 2006 et 2007, il a compromis la sécurité des autres agents des pêches et il consomme des drogues illégales.

42 M. Chouinard a témoigné que le fonctionnaire avait été suspendu sans solde pendant la durée de l’enquête qui a débuté le 26 octobre 2009 (pièce E-11).

43  M. Chouinard a témoigné qu’une fois le rapport d’enquête complété, il est allé aux Îles afin de rencontrer le fonctionnaire et sa représentante syndicale Carole Turbide afin de recueillir les commentaires du fonctionnaire. M. Chouinard a témoigné que bien que la décision de licencier le fonctionnaire ait été prise par M. Nadeau, il était lui-même convaincu que le fonctionnaire ne pouvait pas revenir dans son poste car le lien de confiance avec ce dernier était rompu à tout jamais, ainsi qu’avec les autres agents des pêches de même qu’avec les agents de la SQ (pièce E-12).

44 En contre-interrogatoire, M. Chouinard a admis qu’il croyait que l’information que leur donnait la SQ était bonne et qu’on pouvait s’y fier. Quant à l’information obtenue en mars 2008 de la SQ, il a témoigné qu’en mars 2008 l’information obtenue de la SQ n’était pas aussi détaillée et précise que celle rapportée dans le rapport de la SQ en date du 10 septembre 2009 (pièce E-3). M. Chouinard a expliqué qu’en mars 2008 il avait reçu un appel à l’effet qu’une fuite s’était produite mais qu’il n’avait pas eu les détails et que c’est pour cette raison qu’il a demandé à M. Jean Richard d’être vigilant et de continuer à être aux aguets. M. Chouinard a indiqué s’être fait reprocher dans le passé d’avoir agi trop vite avec des enquêtes de conduite. Il a donc préféré attendre pour plus d’information avant d’agir. Aux dire de M. Chouinard : « en 2008, le ciment commençait à prendre mais j’en avais pas assez ».

45 M. Chouinard a affirmé ne pas avoir eu d’autre information de la SQ en 2008. M. Chouinard a indiqué avoir été par la suite contacté en 2009 par M. Jean Richard. M. Chouinard a indiqué que lors de sa rencontre en juillet 2009 avec M. Bouchard, ce dernier lui a dit que le fonctionnaire utilisait des codes pour avertir les braconniers (pièce E-6). M. Chouinard a aussi relaté que lors de la rencontre disciplinaire avec le fonctionnaire, ce dernier a admis consommer des drogues et faire pousser de la marijuana. Selon M. Chouinard, ce dernier aurait aussi admis se tenir avec des braconniers et des trafiquants mais a nié leur avoir donné de l’information.

46 Mme Bernier a aussi témoigné pour l’employeur. Mme Bernier est directrice conservation et protection pour la région des maritimes depuis mars 2012. Avant, Mme Bernier occupait le poste de chef de politique et procédure auprès de l’employeur où elle a notamment eu à travailler à la révision du Code et à aider à faire des enquêtes en vertu de ce Code (pièce E-8). De 2006 à 2011, Mme Bernier a indiqué avoir fait 6 enquêtes en vertu du Code. Dans le passé, Mme Bernier a aussi été agente des pêches pour l’employeur.

47 Mme Bernier a reconnu avoir reçu le mandat d’enquêter sur cinq allégations contre le fonctionnaire en octobre 2009 (pièce E-11). Les allégations sont :

  • Transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du Ministère;
  • Eu en votre possession et consommé des drogues illicites;
  • Fréquenté des narcotrafiquants ainsi que des pêcheurs faisant l’objet d’enquêtes menées par le MPO;
  • Compromis la sécurité d’autres agents des pêches; et
  • Utilisé vos pouvoirs d’agent des pêches de manière inappropriée.

48 Mme Bernier a témoigné avoir rencontré le fonctionnaire dans le cadre de son enquête le 30 octobre 2009. Les autres membres du comité d’enquête étaient aussi présents de même que le fonctionnaire et sa représentante syndicale Mme Turbide. Mme Bernier a affirmé qu’à la fin de l’entrevue avec le fonctionnaire, elle a remis à ce dernier une copie des questions posées et des réponses du fonctionnaire pour que celui-ci puisse commenter avant de quitter (pièce E-13).

49 Mme Bernier a témoigné avoir d’abord fait une ébauche de rapport d’enquête (pièce E-14) et que le rapport final avec les conclusions du comité ont été envoyé à Richard Steele à Ottawa le 27 novembre 2009. Mme Bernier a indiqué que les commentaires du fonctionnaire quant au rapport d’enquête finale avaient été envoyés par le fonctionnaire à M. Steele (pièce E-16).

50 En contre-interrogatoire, Mme Bernier a affirmé que dans le cadre d’une enquête il n’est pas rare de remonter à des faits qui datent de trois ans, et bien que personne a vu directement le fonctionnaire donner de l’information à des braconniers ou trafiquants, le comité a quand même conclu, selon de la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire s’était rendu coupable des allégations mentionnées dans le mandat d’enquête.

51 M. Nadeau a été le dernier témoin de l’employeur dans cette affaire. M. Nadeau est présentement le Directeur général pour la région du Québec depuis 2008. M. Nadeau se rapporte directement à l’administrateur général en ce qui a trait aux relations de travail.

52 M. Nadeau a témoigné avoir été mis au courant à l’été 2007 par M. Chouinard que le fonctionnaire était soupçonné de divulguer de l’information aux braconniers et aux trafiquants. M. Nadeau a témoigné avoir reçu le rapport final du comité d’enquête et attendu la réponse du fonctionnaire audit rapport (pièces E-15 et E-16). M. Nadeau a indiqué avoir alors consulté MM. Chouinard et Steele à Ottawa avant de prendre la décision de licencier le fonctionnaire le 29 mars 2010 rétroactif à la date où le fonctionnaire a été suspendu sans solde pendant enquêté soit le 2 novembre 2009 (pièce E-12).

53 M. Nadeau a affirmé qu’il a décidé de licencier le fonctionnaire car le lien de confiance qui doit exister entre un employé et son employeur était brisé. Pour M. Nadeau, le fonctionnaire n’avait plus la crédibilité auprès de ses collègues et superviseurs et autres intervenants comme la SQ pour continuer à occuper le poste d’agent des pêches. M. Nadeau a affirmé avoir essayé de trouver un autre emploi au fonctionnaire auprès de l’employeur ou même auprès de la Garde-Côtière mais que compte tenu des circonstances et du fait que le fonctionnaire aurait eu à travailler avec des organismes comme la SQ et la GRC, il n’avait pas été en mesure de trouver un autre poste.

54 Dans sa décision, M. Nadeau a affirmé avoir tenu compte que le fonctionnaire avait admis avoir consommé de la drogue. Il a insisté sur le fait que la responsabilité des agents des pêches est très grande et qu’il faut comprendre le contexte particulier des Îles où les agents des pêches ont une très grande visibilité, tout le monde se connaît, que la pêche est une source de revenu très importante aux Îles et qu’en conséquence tous les fonctionnaires qui œuvrent dans le milieu des pêches doivent faire preuve d’intégrité et être considérés comme étant crédibles auprès de toute la population. Pour M. Nadeau, quelqu’un qui porte l’uniforme doit démontrer un comportement exemplaire; il y va de la crédibilité de l’organisation. À cet égard, M. Nadeau a souligné que depuis le départ à la fin octobre 2009 du fonctionnaire, les pêcheurs sont venus le voir pour affirmer que les choses allaient beaucoup mieux, que c’était une bonne chose que le fonctionnaire ait été licencié et que la confiance envers les agents des pêches était revenue.

B. Pour le fonctionnaire

55 Le fonctionnaire a témoigné avoir été à l’embauche de l’employeur pendant 25 ans dont 12 ans comme agent des pêches aux Îles soit de 1997 au 2 novembre 2009, date de sa suspension.

56 Le fonctionnaire a affirmé n’avoir jamais fait l’objet de mesure disciplinaire avant son licenciement. Le fonctionnaire a aussi souffert de surdité ce qui fait qu’il a dû effectuer des tâches administratives depuis la fin de mars 2009 jusqu’au jour de sa suspension pendant enquête. Le fonctionnaire a donné comme exemple de tâches administratives, des tâches impliquant le système de suivi des navires (système de « boîte noire ») et aussi de s’être alors occupé du système ministériel d’infractions.

57 Pendant son témoignage, le fonctionnaire a expliqué en détails le contenu de la déclaration qu’il a fourni aux enquêteurs le 30 octobre 2009 (pièce E-15).

58 Ainsi, quant à l’incident de 2006 où il est allégué que le fonctionnaire s’est mis bien en vue de façon à ce que le braconnier M. C. réalise que les agents des pêches le surveillait, le fonctionnaire a expliqué qu’il avait d’abord reçu un appel lui disant d’aller se poster sur le cap de l’hôpital car un plongeur était à l’eau. Le fonctionnaire a indiqué s’être rendu à l’endroit demandé, que sa radio fonctionnait mal et de plus, l’autre agent des pêches chuchotait ses instructions de façon à ne pas être entendu du plongeur. Le fonctionnaire a indiqué que lui et l’autre agent des pêches étaient à environ 200 à 300 pieds du plongeur. Il a affirmé que compte tenu du fait qu’il entendait mal et que sa radio était défectueuse, il n’a pas tout compris les instructions données par cet autre agent des pêches ce qui explique pourquoi il n’était peut- être pas au bon endroit. Le fonctionnaire a insisté sur le fait qu’il ne s’avait pas qu’il s’agissait de M. C. dans l’eau.

59  Le fonctionnaire a expliqué que tout de suite après cette opération manquée, il y avait eu une réunion au bureau où un collègue était fâché contre lui et lui avait reproché de s’être délibérément fait voir de M. C. afin d’alerter celui-ci que les agents des pêches le surveillaient. Le fonctionnaire a témoigné s’être aussi fâché et qu’il avait expliqué qu’il n’avait rien fait de répréhensible. Le fonctionnaire a aussi affirmé avoir informé M. Yves Richard le lendemain qu’il n’avait rien à se reprocher, que la radio fonctionnait mal et qu’il était sourd. Selon le fonctionnaire, M. Yves Richard a compris et l’incident était clos. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a admis qu’il n’aurait pas dû se placer en vue sur le monticule de l’hôpital et que bien qu’il ait eu des problèmes avec sa radio mobile, il ne se souvenait pas si la radio dans le camion de l’employeur fonctionnait.

60 Quant au braconnier M. C., le fonctionnaire a expliqué qu’il le connaissait depuis son arrivée aux Îles en 1997 ou 1998 et que M. C. avait dans le passé réparé sa voiture. Toutefois, comme M. C. n’a pas de voiture, il arrivait que le fonctionnaire le fasse monter dans sa voiture pour lui rendre service car M. C. n’avait pas les moyens d’avoir un véhicule. De plus, le fonctionnaire a admis que de temps en temps, M. C. se rendait chez le fonctionnaire pour prendre une bière et jouer aux dominos et ce, environ deux à trois fois par semaine et que ce fait est connu de tous. Le fonctionnaire a admis consommer de la marijuana chez lui car la marijuana le soulage suite à une blessure. Le fonctionnaire a aussi admis qu’il n’avait pas de certificat médical autorisant l’usage de la marijuana et qu’il faisait pousser chez lui la marijuana pour sa consommation personnelle à des fins curatives. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a affirmé qu’il était son propre producteur de marijuana et qu’il ne l’achetait pas aux Îles et qu’il ne consommait plus de cocaïne depuis son arrivée aux Îles, en 1997. Il a aussi admis qu’il arrivait que M. C. consomme aussi de la marijuana lorsqu’il était en visite chez le fonctionnaire. Le fonctionnaire a témoigné qu’il ne consomme pas de cocaïne mais qu’il avait déjà vu M. C. en consommer à l’hôtel. Le fonctionnaire a indiqué que l’hôtel était situé à côté du bureau de l’employeur aux Îles et que les braconniers, les trafiquants de drogue et les agents des pêches fréquentaient cet hôtel.

61 Dans son témoignage, le fonctionnaire a admis que M. C. était un braconnier et qu’il l’a avisé, à maintes reprises, que s’il le surprenait à braconner il allait lui « arracher la tête ». Il a toutefois souligné que le braconnage effectué par M. C. était de petite envergure et que M. C. avait souvent recours au braconnage pour mettre un repas sur la table. Il a témoigné n’avoir jamais parlé des opérations de l’employeur avec M. C.

62 Le fonctionnaire a aussi témoigné que les frères B. et M. E. étaient des connaissances et non des amis, qu’il les rencontrait occasionnellement à l’hôtel et qu’ils n’étaient jamais allés chez lui. Selon le fonctionnaire, M. E. et les frères B. ont la réputation d’être des vendeurs de cocaïne et que de plus les frères B. ont la réputation d’être des bagarreurs et d’être violents. Le fonctionnaire a relaté qu’entre 2006 et 2007, les frères B. et M. E. l’auraient approché à l’hôtel pour lui demander où ils pourraient aller braconner. Le fonctionnaire a témoigné avoir informé son superviseur de l’incident où les frères B. et M. E. l’avaient approché à l’hôtel et que tout ça avait fait rire son superviseur.

63 Le fonctionnaire a aussi témoigné que M. D. était une connaissance qu’il rencontrait parfois à l’hôtel mais que ce n’était pas un ami. Le fonctionnaire a indiqué que M. D. avait commis plusieurs infractions reliées au monde de la drogue dans le passé. Le fonctionnaire a affirmé ne pas connaître l’opération avortée impliquant la SQ en 2007 qui visait entre autre M. D. En conséquence, il ne pouvait être la source d’information auprès de M. E puisqu’il n’était pas lui-même au courant de cette opération.

64 Dans son témoignage, le fonctionnaire a aussi fait référence à M. F. qui était loin d’être un ami et qui aux dires du fonctionnaire était un vrai bandit. En contre interrogatoire, le fonctionnaire a précisé avoir prêté de l’argent à M. F. qui ne lui a jamais rendu. Le fonctionnaire a toutefois admis qu’avant que M. F. lui prenne son argent, ce dernier était un trafiquant de drogue qui venait chez lui.

65 Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait hébergé le fils de M. A. chez lui à la connaissance de tous en 2008 pendant que ce dernier était en probation. Le fonctionnaire a expliqué que le fils de M. A. avait déjà été condamné pour trafic de cocaïne dans le passé et qu’il aurait fait de la prison. Le fonctionnaire a affirmé avoir juste voulu aider le fils de M. A.

66 Dans son témoignage, le fonctionnaire a rejeté l’argument à l’effet que la sécurité des agents risquait d’être en péril si de l’information concernant les opérations de surveillance de l’employeur était connues. Pour le fonctionnaire, le pire qui pourrait se passer dans cette éventualité serait que les braconniers ou trafiquants de drogue vont changer leur plan et ne pas se présenter à l’endroit initialement prévu.

67 Le fonctionnaire a admis avoir eu accès au système ministériel de renseignements et que de l’information relative à la SQ pourrait se retrouver dans ce système toutefois le fonctionnaire a nié avoir partagé de l’information sur les opérations de l’employeur ou de la SQ avec ses connaissances ou amis. Le fonctionnaire a aussi convenu que le fait qu’il consomme de la marijuana jette un discrédit sur son employeur mais qu’il le fait quand même car ça le relaxe. Dans son témoignage, le fonctionnaire a insisté sur le fait que jamais personne ne lui a reproché ses fréquentations ni qu’il consommait de la marijuana.

68 Quant aux allégations contenues dans la pièce E-3 à savoir qu’il aurait caché de la drogue pour un trafiquant en mai 2007, et donné de l’information en mars 2008 aux braconniers et trafiquants dans le but de faire avorter une opération, le fonctionnaire a tout nié. Il a aussi nié avoir eu recours à des codes pour avertir les braconniers ou trafiquants des opérations à venir contrairement à ce qui est allégué à la pièce E-6.

69 Le fonctionnaire a conclu son témoignage en niant avoir transmis de l’information à des personnes de l’extérieur du ministère, d’avoir utilisé ses pouvoirs d’agent des pêches de façon inappropriée et d’avoir mis en jeu la sécurité de ses collègues. Le fonctionnaire a toutefois admis avoir eu en sa possession de la drogue et en avoir consommé. Il a également admis avoir fréquenté des trafiquants de drogues et des braconniers faisant l’objet d’enquête de la part de l’employeur et de la SQ. Il a précisé qu’il est maintenant bénéficiaire de sa pension comme ancien fonctionnaire depuis mai 2010 et qu’il travaille de 25 à 30 heures par semaine dans un supermarché.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

70 L’avocat de l’employeur a beaucoup insisté sur le fait que par ses fonctions, le fonctionnaire devait avoir une conduite irréprochable. Pour l’avocat de l’employeur, le fonctionnaire porte une arme et avait le pouvoir de faire des arrestations, par conséquent, il devait avoir une conduite exemplaire surtout dans un petit milieu et ce pendant et à l’extérieur de son travail (pièce E-8, page 3). Pour l’avocat de l’employeur, je dois aussi tenir compte dans cette affaire que le fonctionnaire est appelé par ses fonctions à être étroitement en contact avec d’autres instances comme la SQ et la GRC et qu’aux dires de M. Chouinard, la SQ commençait à vouloir se distancer de l’employeur dans ses opérations à cause du fonctionnaire. L’avocat de l’employeur a répété que le fonctionnaire avait pendant son travail accès au système ministériel des informations, ce qui lui donnait de l’information privilégiée sur les opérations que le fonctionnaire partageait ensuite avec les braconniers ou trafiquants de drogue.

71 Pour l’avocat de l’employeur, bien que les superviseurs du fonctionnaire avaient été mis au courant de l’incident de 2006 où le fonctionnaire s’est mis bien en vue devant le braconnier M. C., il est normal que ceux-ci n’aient pas parlé au fonctionnaire et pris action car les superviseurs n’étaient pas assez certains et ne voulaient pas « brûler » leur source. Relativement à l’incident de 2006, l’avocat de l’employeur a maintenu que les faits parlaient d’eux même et qu’il n’y avait pas d’autres explications à donner au comportement du fonctionnaire que ce dernier tentait d’avertir M. C. de la présence des agents des pêches. Quant à l’information reçue en mars 2008 par la SQ à l’effet que le fonctionnaire aurait donné de l’information à M. E. et aux frères B. ce qui aurait eu pour effet de faire échouer une opération de la SQ, l’avocat de l’employeur maintient que l’employeur était justifié de ne pas prendre action car l’information n’était pas complète et qu’encore une fois on ne voulait pas « brûler » les sources. L’avocat de l’employeur m’a référé au témoignage de M. Chouinard et a signalé qu’encore une fois, en mars 2008, l’employeur avait voulu donner une autre chance au fonctionnaire avant de mener une enquête de conduite. L’avocat de l’employeur a plaidé que c’est en 2009 quand l’employeur a réalisé que la situation n’était « plus gérable » et que la SQ a avisé que le fonctionnaire utilisait des codes pour communiquer avec les braconniers et trafiquants de drogue que l’employeur avait décidé d’aller de l’avant avec l’enquête de conduite (pièce E-6). L’avocat de l’employeur a revu le témoignage de M. Bouchard de la SQ et a insisté sur le fait que les sources codées de la SQ sont crédibles et que je devrais y donner foi et conclure, sur la base de la prépondérance de la preuve, que les infractions rapportées en 2009 par la SQ (pièces E-3 et E-6) ont bien été commises par le fonctionnaire.

72 Selon l’avocat de l’employeur, il a été démontré que le fonctionnaire avait des amis braconniers et trafiquants de drogue, que ces derniers le visitaient régulièrement chez lui, que le fonctionnaire les fréquentaient et qu’il leur donnait à l’occasion de l’information afin que ceux-ci ne soient pas pris dans leurs activités illégales soit par l’employeur soit par la SQ.

73 Quant à la consommation de drogue par le fonctionnaire, l’avocat de l’employeur a plaidé que le fonctionnaire avait admis consommer de la drogue ce qui est inadmissible pour un représentant de l’ordre comme le fonctionnaire. Il y va de la crédibilité de l’employeur. Ici encore l’avocat de l’employeur a maintenu que l’employeur n’avait pas agi avant 2009 puisque l’employeur n’avait pas de preuve avant de la consommation illégale du fonctionnaire et que les superviseurs du fonctionnaire n’ont jamais été témoin de la consommation de drogue par le fonctionnaire. Selon l’avocat de l’employeur, il revenait au fonctionnaire d’aller voir l’employeur pour demander de l’aide. L’employeur ne pouvait pas deviner que le fonctionnaire avait un problème de consommation.

74 Pour l’avocat de l’employeur, il est clair que les incidents reprochés au fonctionnaire en 2006 et 2008 sont arrivés et que celui-ci a donné de l’information privilégiée à des braconniers et trafiquants de drogue. L’avocat de l’employeur a maintenu que le fonctionnaire avait admis consommer des drogues illicites, ce qui mine la crédibilité de l’employeur parmi la population des Îles. Le fonctionnaire a aussi admis avoir fréquenté des braconniers et trafiquants bien qu’il essayait maintenant de minimiser ses liens avec certains trafiquants de drogue. Pour l’avocat de l’employeur, les agissements du fonctionnaire ont mis à risque la sécurité de ses collègues. L’avocat de l’employeur a conclu que le fonctionnaire a fait un usage inapproprié de ses pouvoirs d’agent des pêches en divulguant de l’information privilégiée.

75 Au soutien de ses arguments, l’avocat de l’employeur m’a référé à : Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107; Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10; R. c. Smith,[1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281.

B. Pour le fonctionnaire

76 Dans un premier temps, le représentant du fonctionnaire a indiqué que son client ne cherchait plus, comme mesure de redressement, à être réintégré dans ses fonctions.

77 Le représentant du fonctionnaire m’a quand même demandé d’accueillir le grief au motif principal que l’employeur avait manqué à son obligation d’équité procédurale en mettant beaucoup trop de temps entre la date où il a été mis au courant des allégations contre le fonctionnaire en mars 2008 et la date où le licenciement est survenu soit le 29 mars 2010. Le représentant du fonctionnaire a aussi plaidé que l’employeur n’avait pas fait la preuve que le fonctionnaire avait divulgué de l’information aux braconniers et trafiquants de drogue, qu’il avait mis la sécurité des autres agents des pêches en danger et qu’il avait utilisé ses pouvoirs d’agent des pêches de manière inappropriée.

78 Le représentant du fonctionnaire a fait valoir que l’essentiel de la preuve de l’employeur reposait sur de l’information venant de M. Bouchard de la SQ et que l’employeur avait qualifié cette information de crédible et fiable. Le représentant du fonctionnaire a rappelé que M. Bouchard avait témoigné avoir prévenu l’employeur de façon ponctuelle, dans les jours suivants lorsqu’il avait de l’information contre le fonctionnaire. Selon le représentant du fonctionnaire, il est donc logique de conclure sur la base des témoignages de MM. Yves et Jean Richard, et M. Bouchard que déjà en mars 2008, les représentants de l’employeur avaient été avisés des allégations contre le fonctionnaire. Qui plus est, selon le représentant du fonctionnaire, MM. Yves et Jean Richard ont aussi tous deux témoigné qu’en mars 2008 ils avaient été informés, par M. Bouchard de la SQ, que le fonctionnaire avait partagé de l’information avec M. E. et les frères B., ce qui a eu pour effet de faire avorter une opération de la SQ.

79 Pour le représentant du fonctionnaire, puisque M. Bouchard avait affirmé qu’il informait toujours l’employeur quelques jours après avoir été avisé par une source codée des allégations contre le fonctionnaire et que MM. Yves et Jean Richard, et M. Chouinard sont venus témoigner qu’ils se fiaient à l’information fournie par M. Bouchard de la SQ, on doit conclure que l’employeur avait assez d’information en juin 2007 mais sûrement en mars 2008 pour prendre action contre le fonctionnaire mais l’employeur a plutôt attendu près de 2 ans avant d’agir et mettre fin à l’emploi du fonctionnaire en avril 2010. Pour le représentant du fonctionnaire, l’argument de l’employeur à l’effet qu’il n’avait pas assez d’information pour agir en 2007 et mars 2008 ne peut être retenu. Le représentant du fonctionnaire a plaidé que le délai pour prendre des mesures disciplinaires commence à courir quand un employeur a en sa possession des faits et que si ces faits s’avèrent véridiques, ils justifieraient une mesure disciplinaire. À ce sujet le représentant du fonctionnaire me renvoie à Université d’Ottawa c. IUOE (1994), 42 L.A.C. (4e) 300.

80 Pour le représentant du fonctionnaire, il ne fait pas de doute de par leur témoignage que MM. Yves et Jean Richard, et M. Chouinard étaient au courant des allégations contre le fonctionnaire à tout le moins en mars 2008. Ils ont préféré ne pas agir et attendre jusqu’à la fin de mars 2010 pour prendre action. Pour le représentant du fonctionnaire, ce long délai cause un préjudice au fonctionnaire qui n’a jamais été confronté ou questionné en temps opportun par rapport aux événements du mois de mars 2008. De plus, le simple écoulement du temps cause préjudice au fonctionnaire qui ne peut ainsi se défendre adéquatement.

81 Au cas où je ne serais pas convaincue que les représentants de l’employeur étaient au courant des allégations contre le fonctionnaire en mars 2008, le représentant du fonctionnaire me demande de façon subsidiaire de conclure qu’à tout le moins, la preuve a démontré que les représentants de l’employeur étaient au courant en juin 2009, en juillet 2009, en septembre 2009 des allégations contre le fonctionnaire et qu’ils n’ont toujours pas agi. Pour le représentant du fonctionnaire, les représentants de l’employeur étaient tenus d’agir sans tarder, ce qu’ils n’ont pas fait. Finalement, le représentant du fonctionnaire a plaidé qu’un autre 6 mois s’est écoulé sans que l’employeur prenne action entre le début de l’enquête de conduite et le licenciement en mars 2010, ce qui est totalement inacceptable et hors norme considérant la jurisprudence. Voir Tobin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2011 CRFTP 76; Thibault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-26613 (19960909); Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2009 CRTFP 178; Ontario Public Service Employees Union c. Ontario Public Service Staff Union, [2011] O.L.A.A. No. 191; Lawrence c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-21341 (19910704).

82 Dans ses représentations, le représentant du fonctionnaire a admis que ce dernier avait consommé et possédé de la drogue à la maison et qu’il fréquentait des braconniers et trafiquants de drogue. Toutefois, selon le représentant du fonctionnaire, tout ça était fait à la vue de tous et jamais l’employeur a cru bon en parler au fonctionnaire; on ne l’a jamais averti. Ici encore, l’employeur était au courant mais a préféré ne pas agir. Le représentant du fonctionnaire me renvoie aux décisions Ville de Sorel-Tracy c. Syndicat des pompiers du Québec, section locale de Sorel, 2002 T.A. AZ-02142038 et Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2011 CRTFP 138où il a été décidé qu’on aurait dû avertir un employé avant de le sanctionner.

83  Le représentant du fonctionnaire maintient toutefois qu’il n’y a pas de preuve à l’effet que le fonctionnaire ait donné de l’information aux braconniers et trafiquants de drogue et que le fonctionnaire a utilisé ses pouvoirs d’agent des pêches de façon inappropriés. Pour le représentant du fonctionnaire, il revenait à l’employeur de faire cette preuve et je ne suis pas liée par les conclusions du rapport d’enquête tel que décidé dans Trenholm c. Personnel des Fonds non publics des Forces canadiennes,2006 CRTFP 66.Pour le représentant du fonctionnaire, la preuve de l’employeur repose sur du ouï-dire ce qui n’est pas suffisant pour mener à un licenciement. Voir Pugh c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 123.

84 Le représentant du fonctionnaire a conclu en me demandant d’accueillir le grief, d’annuler le licenciement et de donner 90 jours aux parties pour s’entendre à défaut de quoi je demeure saisie de cette affaire.

IV. Motifs

85 Dans un premier temps, je prends note de la décision du fonctionnaire de ne pas être réintégré dans ses fonctions.

86 Dans sa lettre de licenciement, l’employeur a fait référence à cinq motifs pour justifier le licenciement à savoir :

  • 1. Transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du Ministère;
  • 2. Eu en votre possession et consommé des drogues illicites;
  • 3. Fréquenté des narcotrafiquants ainsi que des pêcheurs faisant l’objet d’enquêtes menées par le MPO;
  • 4. Compromis la sécurité d’autres agents des pêches; et
  • 5. Utilisé vos pouvoirs d’agent des pêches de manière inappropriée.

87 Pour les fins de cette décision, j’ai décidé de regrouper les motifs de licenciement 1, 4 et 5 puisqu’à mon avis ils sont intimement reliés. Quant aux motifs 2 et 3, étant donné que les faits donnant lieu à ces allégations sont admis, je vais donc les traiter ensemble.

A. Transmis des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du ministère, compromis la sécurité d’autres agents des pêches et utilisés ses pouvoirs d’agent des pêches de manière inappropriées.

                                                   

88 Dans cette affaire, l’employeur a allégué que le fonctionnaire avait transmis des renseignements confidentiels et compromis la sécurité des autres agents et d’avoir utilisé ses pouvoirs d’agent des pêches de façon inappropriée en s’appuyant d’une part sur l’allégation qu’en 2006 le fonctionnaire aurait fait avorter une opération qui se déroulait sur le cap de l’hôpital et d’autre part sur les autres événements dont il est fait référence aux pièces E-3 et E-6.

89 Je vais reprendre l’essentiel de tous ces événements pour ensuite discuter de l’argument du représentant du fonctionnaire à l’effet que l’employeur a pris trop de temps avant de prendre des mesures disciplinaires.

Preuve quant aux événements.

90 Je vais donc d’abord traiter de l’incident survenu en 2006. Selon moi, sur la base de la prépondérance de la preuve, l’employeur a démontré que le fonctionnaire s’est arrangé en 2006 pour se faire voir pendant une opération visant le braconnier M. C. et ainsi a fait avorter l’opération contre ce dernier. À cet égard, lors de l’entrevue d’enquête et à l’audience, le fonctionnaire a admis être un ami de M. C. et que ce dernier allait régulièrement chez lui jouer aux cartes et aux dominos. Bien que le fonctionnaire a nié avoir, par son comportement, signalé à M. C. sa présence et celles de ses confrères sur le cap de l’hôpital, je dois mentionner que les explications du fonctionnaire ne m’ont pas convaincu. Je me demande en effet, comment le fonctionnaire, un agent des pêches d’expérience, puisse se mettre en pleine vue du braconnier, juste à côté du véhicule identifié comme un véhicule de l’employeur, si ce n’est que pour signaler sa présence et celles de ces collègues à son ami braconnier. De plus, l’affirmation du fonctionnaire à l’effet que la radio ne fonctionnait pas ne m’a pas également semblée crédible et cette version des faits a aussi clairement été contredite par M. Yves Richard qui a affirmé sans équivoque que la radio du fonctionnaire fonctionnait au moment de l’incident. Pareil comportement de la part d’un agent des pêches est tout simplement inacceptable.

91 L’employeur a aussi maintenu que le fonctionnaire, tel qu’indiqué à la pièce E-3, avait caché chez lui de la cocaïne pour le compte d’un trafiquant connu. Cette affirmation a été réfutée par le fonctionnaire et l’employeur n’a pas fourni d’élément de preuve à cet effet. Je considère donc que cette allégation n’a pas été prouvée.

92 L’employeur a aussi allégué que le fonctionnaire aurait divulgué de l’information aux trafiquants de drogue et braconniers en 2008 (pièce E-3). La preuve de l’employeur est à l’effet que le fonctionnaire aurait informé M. E. que des opérations de surveillance relatives au braconnage et à la drogue impliquant la SQ et qui visaient les frères B. et le bateau du trafiquant de drogue M. D. étaient en cours, ce qui a eu encore pour effet de faire avorter ces opérations. À cet égard, la preuve de l’employeur repose sur de l’information et le témoignage de l’agent M. Bouchard de la SQ. Ce dernier m’est apparu comme un témoin crédible et désintéressé. M. Bouchard a affirmé avoir prévenu l’employeur en mars 2008 que ses informateurs lui auraient révélé que le fonctionnaire était la personne qui avait averti M. E. qui à son tour avait prévenu les frères B. et M. D. que l’employeur et la SQ planifiaient des opérations qui les auraient incriminées. Selon M. Bouchard, l’information ainsi relayée aux trafiquants et aux braconniers a eu pour effet de faire échouer les opérations.

93 Dans son témoignage, M. Bouchard a expliqué la façon dont l’information fournie par les informateurs était vérifiée et contrevérifiée. Sur la base de la prépondérance de la preuve, j’ai décidé de donner foi à l’information recueillie par M. Bouchard et j’ai conclu que le fonctionnaire avait bien informé M. E. des opérations à venir de l’employeur et de la SQ avec pour résultat que ces opérations ont dû être annulées. Je tiens aussi à souligner qu’à certains moments dans son témoignage, le fonctionnaire a indiqué que M. E. était un ami, et qu’à d’autres moments il ait nié ce fait. Il est toutefois pas contesté que M. E. était à tout le moins une « connaissance » du fonctionnaire. M.E et le fonctionnaire se rencontraient de temps à autre et à un moment donné, de l’aveu même du fonctionnaire, M. E. et les frères B. l’avaient approché au bar la « Centrale » pour essayer de lui soutirer de l’information quant aux bons endroits pour aller braconner en paix. Cet élément, ajouté au fait que j’ai observé que le témoignage du fonctionnaire à l’audience était plutôt évasif et parfois contradictoire m’amène à conclure, sur la base de la prépondérance de la preuve, que le fonctionnaire a effectivement donné de l’information privilégiée à M. E. Je tiens à ajouter que le fonctionnaire n’aurait jamais dû se retrouver dans une situation où en présence de trafiquants et braconniers notoires, la question des « endroits idéals pour aller braconner » était soulevée ne serait-ce que pour plaisanter. Le fonctionnaire savait qu’il devait garder ses distances par rapports aux délinquants, ce qu’il n’a pas fait.

94 Quant à l’allégation que le fonctionnaire avait été vu en compagnie de M. C. en 2009 et dont il est fait mention dans la pièce E-3,cette allégation a été admise par le fonctionnaire, qui a même convenu que M. C. lui rendait souvent visite à son domicile pour disputer une partie de dominos, boire de la bière ou consommer de la marijuana.

95 L’employeur a aussi tenté de démontrer que le fonctionnaire « brûle des jobs en utilisant des codes tel que : la lune est pleine de [sic] soir, il fait beau » (pièce E-6). Le fonctionnaire a maintenu n’avoir jamais utilisé un tel code pour prévenir les contrevenants. Aucun autre élément de la preuve de l’employeur n’est venu corroborer cette affirmation. Sur la base de la prépondérance de la preuve, et bien que j’ai des doutes quant aux agissements du fonctionnaire, je dois conclure que l’employeur n’a pas démontré que le fonctionnaire utilisait des codes pour prévenir les contrevenants.

96 De plus, bien que le fonctionnaire ait admis consommé de la marijuana, l’employeur n’a pas non plus été en mesure de démontrer que tel qu’allégué à la pièce E-6, le fonctionnaire était un consommateur de cocaïne. Cette affirmation étant niée avec véhémence par le fonctionnaire qui a affirmé ne pas avoir consommé de cocaïne depuis son arrivée aux Îles.

97 Dans sa lettre de licenciement, l’employeur a aussi indiqué que le fonctionnaire avait par ses actions compromis la sécurité de ses collègues et utilisés ses pouvoirs d’agent des pêches de façon inappropriée. Je suis d’accord. Dans leurs témoignages, MM. Yves et Jean Richard ont expliqué que les braconniers et les trafiquants de drogue peuvent être agressifs lorsque confrontés et peuvent vouloir tendre un piège aux agents des pêches et de la SQ. Ainsi, si les braconniers et trafiquants de drogues ont de l’information quant aux allées et venues des agents des pêches ou de la SQ, ils peuvent, par exemple, embusquer les représentants de l’ordre et leur faire un mauvais parti. Il s’agit d’un risque réel et je comprends que l’employeur ne veuille pas prendre de chance à cet égard. Je conclue donc qu’en divulguant de l’information le fonctionnaire a aussi compromis la sécurité des autres agents. À ce sujet, je note que le fonctionnaire a nié dans son témoignage que ses actions pouvaient mettre en danger la sécurité de ses collègues. Cette attitude du fonctionnaire démontre encore selon moi que ce dernier ne comprend pas les conséquences de ses actes.

98 Quant à l’allégation de l’employeur à l’effet que le fonctionnaire s’est servi de ses pouvoirs d’agent des pêches de façon inappropriée, je me dois ici aussi de conclure que c’est effectivement le cas. En effet, la preuve a révélé que le fonctionnaire s’était servi d’informations privilégiées relatives aux opérations de l’employeur et de la SQ. Ces informations ont été obtenues à cause de ses fonctions et statut d’agent des pêches. Le fait de divulguer ces informations à des tiers est pour le moins un très mauvais usage des pouvoirs d’agent des pêches dont jouissaient le fonctionnaire. Qui plus est, en agissant de la sorte, la preuve a démontrer que le fonctionnaire a aussi mis en péril la collaboration entre l’employeur et la SQ. À cet égard, je retiens le témoignage de M. Nadeau a été à l’effet que depuis le départ du fonctionnaire, la confiance entre les deux organisations est revenue.

99 J’en viens donc à la conclusion que l’employeur, sur la base de la prépondérance de la preuve, a démontré que le fonctionnaire avait transmis, à tout le moins deux occasions, des renseignements confidentiels à des personnes à l’extérieur du ministère. Il s’agit d’infractions très graves venant d’un agent des pêches qui a pour rôle principal de faire respecter la loi. De plus, en agissant ainsi, le fonctionnaire a mis à risque la sécurité de ses collègues et n’a assurément pas exercé ses fonctions de manière appropriée. Je retiens cependant que l’employeur n’a pas démontré que le fonctionnaire cachait de la cocaïne chez lui, qu’il en consommait et qu’il utilisait des codes pour avertir ses amis.

L’employeur a-t-il trop attendu avant de licencier le fonctionnaire?

100 Dans sa plaidoirie, le représentant du fonctionnaire a maintenu que l’employeur avait manqué à son obligation d’équité procédurale en mettant trop de temps entre les infractions reprochées et le licenciement. Bien que le représentant du fonctionnaire ait insisté sur le fait que c’est à partir de 2008 que l’employeur aurait du agir, j’entend néanmoins revenir sur l’incident survenu en 2006 sur le cap de l’hôpital étant donné que je comprends que cet incident fait partie des motifs de licenciement.

101  Tel qu’indiqué plus haut, j’ai déjà conclu qu’en 2006 le fonctionnaire avait effectivement alerté M.C qu’il était observé par les agents des pêches et ainsi il a divulgué de l’information privilégiée. Les témoins de l’employeur ont indiqué ne pas avoir confronté le fonctionnaire avec cette allégation car ils jugeaient cette affaire délicate et préférait attendre avant de prendre action. Je dois dire que j’ai du mal à comprendre la justification de l’employeur de ne pas à tout le moins soulever cette affaire avec le fonctionnaire à la première opportunité. Il me semble que l’employeur avait alors toute l’information nécessaire pour agir. Bien que je crois quand même que le fonctionnaire savait pertinemment qu’il était tout à fait inacceptable d’informer un braconnier d’une opération en cours, je conclue quand même que les explications des témoins de l’employeur pour ne pas avoir agi ne peuvent être retenues et l’employeur ne peut, dans les circonstances, s’en remettre à un incident survenu en 2006 pour licencier le fonctionnaire en 2010. Le retard d’agir de l’employeur par rapport à l’indicent de 2006 est injustifié et inacceptable, d’autant plus que l’enquête menée plus tard par Mme Bernier n’a rien ajouté aux éléments de preuve dont disposait l’employeur en 2006. Bien que je comprenne qu’il ne soit pas facile de confronter un employé avec ce genre d’allégations, il n’en demeure pas moins que l’employeur se devait d’agir immédiatement lorsque les collègues du fonctionnaire ont rapporté que ce dernier avait clairement indiqué a M.C qu’il était surveillé. Il ne s’agit pas içi de faits rapportés par des tiers. Ce sont les collègues du fonctionnaire eux-mêmes qui ont rapporté les faits. Le fonctionnaire était en droit d’être informé des doutes de l’employeur dans un temps raisonnable suivant l’infraction. En toute justice pour le fonctionnaire, l’employeur avait un devoir d’agir avec célérité; il ne l’a pas fait. Il est maintenant trop tard pour invoquer ce motif pour licencier le fonctionnaire. Pour les fins de cette décision, je conclue donc que l’incident de 2006 ne peut être retenu contre le fonctionnaire.

102 Le représentant du fonctionnaire a plaidé que déjà en mars 2008 l’employeur avait été informé par la SQ des allégations contre le fonctionnaire et que l’employeur s’est décidé à agir et faire enquête seulement qu’en octobre 2009. Le représentant de l’employeur a souligné le fait que dans leurs témoignages, les témoins de l’employeur ont affirmé considérer crédible l’information fournie pas la SQ. Dans les circonstances, le représentant du fonctionnaire se demande pourquoi alors l’employeur n’a pas confronté le fonctionnaire aussitôt que l’employeur a été informé soit en mars 2008. Pour le représentant du fonctionnaire, l’employeur a alors choisi de ne rien faire et il était trop tard en octobre 2009 pour faire une enquête. Le représentant du fonctionnaire a aussi maintenu que non seulement le délai entre mars 2008 et le licenciement en mars 2010 est déraisonnable mais qu’il est aussi inacceptable pour l’employeur d’avoir pris 5 mois, soit du 26 octobre 2009 au 29 mars 2010, pour enquêter et prendre la décision de licencier le fonctionnaire. Dans les circonstances, le représentant du fonctionnaire estime que les délais encourus par l’employeur dans cette affaire sont injustifiés et qu’en conséquence, le licenciement devrait être annulé.

103 La preuve de l’employeur a été qu’en 2008 les allégations contre le fonctionnaire étaient qu’il avait informé M.E de certaines opérations impliquant les frères B et M.D., qu’il côtoyait et hébergeait des braconniers et trafiquants et qu’il consommait des substances illicites (pièce E-3). Je dois préciser que ce n’est qu’en 2008 que l’employeur a été avisé par la SQ de ces allégations. Selon moi, la façon d’adresser ces allégations de la part de l’employeur se distingue de l’incident de 2006. En 2008, et bien qu’effectivement les témoins de l’employeur ont qualifié de fiable l’information produite par la SQ, il n’en demeure pas moins que contrairement à 2006, l’employeur n’avait pas le contrôle sur la preuve disponible et devait s’en remettre à une tierce partie, si fiable soit elle, pour tirer ses conclusions. Dans les circonstances, je comprend que l’employeur ait voulu être prudent et ait voulu avoir toute l’information nécessaire avant d’agir.

104 Les représentants de l’employeur ont affirmé se fier à la SQ comme source d’information, ils ont aussi témoigné avoir décidé de faire preuve de prudence quant à cette information et décidé en mars 2008 d’attendre, tout en prenant des mesures de précaution avant d’agir et de confronter le fonctionnaire. J’accepte l’explication des témoins M. Jean Richard et M. Chouinard à l’effet que ce genre de situation demande du doigté et que parfois en voulant agir trop vite il y a risque d’empirer les choses. Je comprends aussi que l’employeur ait voulu s’assurer que les allégations étaient fondées et ait voulu les étoffer avec plus d’éléments de preuve. De plus, il appert non seulement des témoignages des représentants de l’employeur que ces derniers ne voulaient pas agir trop vite pour ne pas brûler leurs sources mais aussi, comme en a témoigné M. Chouinard, l’employeur considérait que les allégations contre le fonctionnaire étaient graves et ne voulait pas agir sur une impulsion.

105 Dans les circonstances, je ne trouve pas que le délai d’agir de l’employeur ait été déraisonnable quant aux allégations qui lui ont été communiquées en 2008.

106 Le représentant du fonctionnaire m’a référé à des décisions arbitrales où par exemple dans les affaires Ontario Public Service Employees Union et Université d’Ottawa, le fait pour l’employeur d’avoir pris 4 mois avant d’imposer une mesure disciplinaire avait été considéré par l’arbitre comme déraisonnable. Je conviens à la lecture des décisions citées par le représentant du fonctionnaire que dans certaines situations, le fait que l’employeur n’ait pas agi contre l’employé au premier signe de manquement peut constituer un vice d’équité procédurale qui puisse remettre en cause les actions de l’employeur. Il faut toutefois à mon avis garder à l’esprit que chaque situation est unique et mérite d’être évaluée en fonction des faits particuliers de l’affaire. Ainsi, dans cette affaire, que bien que l’employeur a eu de l’information qu’il considérait fiable de la part de la SQ en 2008, l’employeur a quand même voulu prendre le temps nécessaire pour confirmer ses doutes quant aux allégations qui pesaient contre le fonctionnaire. Il s’agissait depuis le début d’allégations graves qui mettaient en cause les sources bien sûr mais aussi toute la crédibilité du fonctionnaire. Je peux comprendre que dans un milieu plus fermé où il n’est pas toujours facile de faire rapidement la part entre ce qui est avéré et ce qui n’est encore que soupçon, que l’employeur ait choisi d’être prudent et ce faisant, ait voulu donner d’autres chances au fonctionnaire. Il n’est pas difficile d’imaginer que, dans un milieu où on a affaire à des braconniers et des trafiquants de drogue, prendre une décision précipitée pourrait effectivement avoir des conséquences non seulement sur les sources impliquées mais aussi sur le fonctionnaire lui-même.

B. Eu en sa possession et consommé des drogues illicites et avoir fréquenté des narcotrafiquants et des pêcheurs faisant l’objet d’enquête par l’employeur

107 Lors de l’enquête et à l’audience le fonctionnaire a candidement admis qu’il consommait de la marijuana à sa résidence depuis 40 ans et que ça le relaxait. Il a aussi admis avoir à l’occasion consommé de la marijuana à sa résidence avec son ami M. C. qui, je le rappelle, a déjà été reconnu coupable de braconnage et de possession de drogue.

108 Dans sa plaidoirie, le représentant du fonctionnaire a affirmé que bien que le fonctionnaire consomme de la marijuana chez lui, il n’y a pas de preuve que ce dernier en ait fait usage pendant les heures de travail et que de toute façon, avec toutes les rumeurs qui circulaient au sujet du fonctionnaire et sa consommation de drogue, l’employeur aurait dû savoir et intervenir plus tôt auprès du fonctionnaire. Pour le représentant du fonctionnaire, l’inaction de l’employeur à ce chapitre l’empêche maintenant de soulever ce motif pour licencier le fonctionnaire. Je ne suis pas d’accord. Selon moi, il est clair qu’un agent des pêches qui est tenu de faire respecter la loi, qui porte une arme, qui peut procéder à des arrestations pour délit en vertu de la Loi sur les pêches, qui travaille conjointement avec la SQ et la GRC et l’aide dans son mandat de combattre les trafiquants de drogue, se doit de respecter la loi et ne peut se dire aux dessus de celle-ci. Le fonctionnaire a admis dans son témoignage que ça faisait 40 ans qu’il consommait de la marijuana et ne semble pas comprendre que ces agissements jettent du discrédit sur toute l’organisation. Il y va de la réputation de l’employeur dans cette affaire. Comment peut-on s’attendre que l’employeur soit pris au sérieux auprès de la population pour qui l’industrie de la pêche est capital si un de ses agents a un comportement qui va totalement à l’encontre de ce pourquoi il a été embauché? Les actions du fonctionnaire sont tout à fait inacceptables. De plus, le Code à son paragraphe 15 est très clair quant à la conduite des agents en dehors des heures de travail (pièce E-8):

[…]

Généralités.

Les activités en-dehors des heures de travail des agents des pêches peuvent avoir une incidence sur le Ministère et le gouvernement du Canada. Pour s’assurer que le Ministère continue à se mériter la confiance et le respect du public, les agents des pêches doivent se conduire de façon à ne pas discréditer le Ministère. Les agents des pêches doivent observer la loi de façon stricte et ne pas exercer d’activités qui pourraient compromettre ou donner l’impression de compromettre l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs rapports avec d’autres organismes chargés de l’application de la loi, ou discréditer le Ministère.

[…]

109 Dans cette affaire, nul doute que le comportement du fonctionnaire qui fait usage de drogue illicite porte atteinte à la réputation de l’employeur et d’autres organismes chargés d’appliquer la loi, en l’occurrence ici la SQ. D’autant plus que les actions du fonctionnaire ont eu lieu dans une petite localité où tous se connaissent et que le fonctionnaire a non seulement consommé de la marijuana à maintes reprises en dehors de ses heures de travail, mais la preuve a démontré qu’il l’a fait avec M. C., qui a fait l’objet d’enquêtes et a déjà été condamné pour braconnage de même que de trafic de stupéfiants. Je ne suis pas d’accord avec l’argument du représentant du fonctionnaire à l’effet que ce dernier n’a jamais caché le fait qu’il utilisait des drogues et que l’employeur aurait dû intervenir avant. Le fonctionnaire était un employé d’expérience qui œuvrait dans un milieu difficile et où son rôle est de faire appliquer la loi. Ce n’était pas à l’employeur de lui rappeler que d’utiliser et cultiver des drogues illégales est non seulement contre la loi mais aussi va totalement à l’encontre de la raison même de son travail. À cet égard, le Code est très clair quant à la conduite attendue des fonctionnaires.

110  Le fonctionnaire a aussi admis avoir fréquenté des personnes ayant fait du braconnage ou associé au monde de la drogue. Lors de son témoignage, le fonctionnaire a toutefois cherché à minimiser l’importance de ces fréquentations en affirmant que dans certains cas, il agissait comme bon samaritain lorsqu’il recevait chez lui M. C. et lorsqu’il avait hébergé le fils de M. A. Selon le fonctionnaire, il avait agi ainsi en toute bonne foi pour apporter de l’aide à ces individus, et que de toute façon, il n’avait jamais révélé d’information sur les opérations à venir à quiconque. Bien que je ne doute pas de l’intention du fonctionnaire quant à ces individus, il n’en demeure pas moins qu’un agent des pêches qui doit faire respecter la loi, se doit d’éviter de côtoyer et socialiser avec des personnes reconnues comme braconniers ou trafiquants de drogue ou susceptibles de faire l’objet d’une enquête le lendemain de la part de l’employeur ou de la SQ. Qui plus est, un agent des pêches ne peut avoir sous son toit des personnes dont le passé peut, avec raison, soulever des questions quant à l’impartialité et la neutralité de cet agent des pêches. Encore une fois, le fonctionnaire n’avait peut-être pas de mauvaises intentions en recevant chez lui et en hébergeant des personnes liées au monde du braconnage et de la drogue; il aurait dû toutefois réaliser que ces agissements mineraient irrémédiablement sa confiance et sa crédibilité auprès de l’employeur.

V. Conclusion

111 Je conclus donc que l’employeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’essentiel des allégations mentionnées dans la lettre de licenciement du fonctionnaire. Bien que j’ai conclu que compte tenu du temps écoulé entre l’incident de 2006 et le licenciement ne puisse être retenu et que l’employeur n’a pas prouvé que le fonctionnaire avait fait usage de cocaïne et qu’il avait utilisé des codes pour avertir les délinquants, je conclus quand même que les autres incidents dont le fait d’avoir partagé de l’information privilégiée avec M.E., de consommer ouvertement des drogues illégales, de côtoyer et héberger des braconniers et trafiquants sont suffisamment graves en soi pour mériter le licenciement.

112 A mon avis, le comportement du fonctionnaire était tout à fait inacceptable compte tenu du fait que ce dernier était un agent des pêches qui a pour devoir principal de faire respecter la loi. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que le fonctionnaire a divulgué de l’information privilégiée à des braconniers et trafiquants de drogue en toute connaissance de cause. Par ses agissements, le fonctionnaire a aussi mis en jeu la sécurité des autres agents des pêches.

113 De plus, je constate que le fonctionnaire ne semble pas prendre au sérieux le fait que comme agent des pêches chargé de faire respecter la loi, il consomme des drogues illicites et recherche la compagnie d’individus qui font du braconnage ou qui ont des liens avec le monde de la drogue. Lors de l’audience, le fonctionnaire a semblé trouver sa conduite normale et n’a pas semblé réaliser le sérieux de ses infractions. De plus, bien qu’à l’audience il ait reconnu que ses agissements jetaient du discrédit sur l’employeur, je note que dans ses réponses à l’enquêteur Mme Bernier, il trouvait que : » le fait qu’un agent des pêches soit vu comme un consommateur de stupéfiants par le public n’apporte pas de discrédit sur le ministère puisque c’est du ouï-dire et il ajoute que ce n’est pas pire que celui qui est tout le temps soul et que le monde voit partir et conduire avec les véhicules du ministère » (pièce E-15 p.21) . Cette déclaration du fonctionnaire faite à Mme Bernier lors de l’enquête traduit bien selon moi la véritable pensée du fonctionnaire sur cette question.

114 A mon sens, il est clair que les actions du fonctionnaire ont jeté du discrédit sur les opérations de l’employeur à un point tel qu’à un moment donné la SQ a remis en question sa collaboration avec l’employeur.

115  Dans les circonstances, je suis d’accord que le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire est irrémédiablement brisé et que le licenciement dans les circonstances est justifié et ce même si l’employeur n’a pas été en mesure de prouver certains éléments ayant mené au licenciement ou que l’incident de 2006 ne puisse être considéré étant donné l’écoulement du temps. J’estime quand même que les autres infractions reprochées et prouvées sont assez graves pour mériter en soi le licenciement.

116 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

117 Le grief est rejeté.

Le 28 mars 2014.

Linda Gobeil,
arbitre de grief

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