Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe déclarant que l’employeur avait violé les conditions de l’Appendice sur le réaménagement des effectifs de la convention collective à l’automne2011 en informant des membres de l’unité de négociation qui travaillaient comme conseillers en rémunération que l’ensemble des postes seraient transférés à deux endroits dans une période de 30mois, sans déclarer qu’il existait une situation de réaménagement des effectifs - l’employeur a fait valoir qu’il aurait été prématuré de déclarer une situation de réaménagement des effectifs à l’automne2011 parce que l’administrateur général n’avait pas encore déterminé quels employés ne seraient plus nécessaires et qu’il ne connaissait pas les noms des personnes touchées ni les endroits des transferts comme le prévoient les clauses pertinentes de l’appendice - l’employeur s’est opposé à ce que l’agent négociateur présente des éléments de preuve postérieurs à la date du grief, en faisant valoir qu’ils n’étaient pas pertinents et que l’agent négociateur modifiait essentiellement la nature du grief - l’agent négociateur a déclaré que la nature du grief demeurait la même et que la preuve était pertinente pour répondre à l’affirmation de l’employeur selon laquelle les conditions préalables nécessaires pour conclure à l’existence d’une situation de réaménagement des effectifs n’étaient pas réunies avant avril2012 - l’arbitre de grief a accepté la position de l’agent négociateur et a statué qu’il entendrait la preuve - d’octobre 2011 à mars2012, l’employeur a cherché à trouver des postes pour tous les employés touchés et, en avril2012, il a annoncé qu’il existait une situation de réaménagement des effectifs - l’arbitre de grief a conclu que les lieux de travail, les postes touchés et la date à laquelle ces postes seraient touchés étaient connus à l’automne2011 - même si l’employeur était bien intentionné dans sa manière de faire, les mesures qu’il a prises ne respectaient pas les exigences de la convention collective - les obligations de l’employeur à l’égard des employés ont commencé au moment où il a su que les mesures prises donneraient lieu à des pertes d’emploi. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-03-10
  • Dossier:  569-02-106
  • Référence:  2014 CRTFP 27

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Emploi et du Développement social)

employeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)


Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage


Devant:
William H. Kydd, arbitre de grief
Pour l’agent négociateur:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 15 et 16 novembre 2012. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief de principe renvoyé à l’arbitrage

1 Il s’agit en l’espèce de l’arbitrage d’un grief de principe présenté le 21 novembre 2011, par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou l’« agent négociateur ») contre le Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social) (l’« employeur »). Dans ce grief, l’agent négociateur a soutenu que l’employeur avait informé les membres de l’unité de négociation qui travaillaient à titre de conseillers en rémunération et en avantages sociaux que tous ces postes seraient transférés à Winnipeg et à Montréal dans les 30 mois. L’employeur a avisé les conseillers de commencer à chercher un autre poste, mais il a refusé de reconnaître qu’il s’agissait d’une situation de réaménagement des effectifs (RE). L’agent négociateur a soutenu qu’il s’agissait d’une situation de RE et que l’employeur avait violé les clauses 1.1.11 et 2.1 de l’Appendice sur le réaménagement sur les effectifs (l’« ARE »), soit l’Appendice D de la convention collective conclue entre l’AFPC et l’employeur pour le groupe Services des programmes et de l’administration, laquelle expire le 20 juin 2014.

2 À titre de mesures correctives, l’agent négociateur demande ce qui suit :

[Traduction]

I. une déclaration selon laquelle l’employeur a enfreint les dispositions de l’ARE;

II. une ordonnance prévoyant que l’employeur cesse d’enfreindre de façon continue la convention collective;

III. une ordonnance prévoyant que l’employeur fournisse immédiatement à l’AFPC tous les renseignements liés à la situation de RE et à ses répercussions sur les employés, y compris le nom et le lieu de travail des employés touchés;

IV. une ordonnance prévoyant que tous les employés touchés soient informés par écrit que leurs services pourraient ne plus être requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs;

V. une ordonnance prévoyant que l’employeur cesse toute activité liée aux postes en question jusqu’à ce que de véritables consultations aient eu lieu avec l’AFPC;

VI. une ordonnance prévoyant que l’employeur rencontre régulièrement les représentants de l’AFPC pour discuter de la situation de RE;

Toute autre mesure que l’AFPC pourrait demander et juger appropriée dans les circonstances.

3 Au début de l’audience, l’agent négociateur a affirmé que, bien que le grief initial réclamait six déclarations ou ordonnances différentes, la plupart de ces dernières n’étaient plus nécessaires. Il a ajouté qu’il cherchait uniquement à obtenir une déclaration selon laquelle l’employeur avait enfreint les dispositions de l’ARE.

4 Les clauses 1.1.11 et 2.1 de l’ARE sont libellées comme suit :

1.1.11 Les ministères ou les organisations informent et consultent les représentants de l’Alliance de façon exhaustive dans les cas de réaménagement des effectifs, le plus tôt possible après qu’une décision a été prise et tout au long du processus. Ils communiqueront aux représentants de l’Alliance le nom et le lieu de travail des employé-e-s touchés.

[…]

2.1 Ministère ou organisation

2.1.1 Tel que déjà mentionné à l’alinéa 1.1.11, les ministères ou les organisations informent et consultent les représentants de l’agent négociateur de façon exhaustive dans les cas de réaménagement des effectifs, le plus tôt possible après qu’une décision a été prise et tout au long du processus. Ils communiqueront à l’agent négociateur le nom et le lieu de travail des employé-e-s touchés.

2.1.2 Dans tous les cas de réaménagement des effectifs susceptibles de toucher au moins dix employé-e-s nommés pour une période indéterminée visés par le présent appendice, le ministère ou l’organisation responsable informe confidentiellement le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le plus tôt possible, et jamais moins de quatre (4) jours ouvrables avant l’annonce du réaménagement.

2.1.3 Avant d’aviser un employé potentiellement touché, les ministères ou les organisations doivent aviser le premier dirigeant de l’Alliance. Un tel avis doit être fait par écrit, de façon confidentielle et le plus rapidement possible et en aucun cas moins de deux (2) jours ouvrables avant qu’un employé soit avisé du réaménagement des effectifs.

2.1.4 Un tel avis doit indiquer le nom et le lieu de l’unité touchée ou des unités de travail touchées, la date prévue de l’annonce, le moment prévu du réaménagement des effectifs et le nombre, le groupe et le niveau des employés qui seront vraisemblablement touchés par la décision.

5 Le « réaménagement des effectifs » est défini de la façon suivante dans la section des définitions de l’Appendice D de la convention collective :

Réaménagement des effectifs – Situation qui se produit lorsqu’un administrateur général décide que les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d’une certaine date en raison d’un manque de travail, de la suppression d’une fonction, de la réinstallation d’une unité de travail à un endroit où l’employé-e ne veut pas être réinstallé ou du recours à un autre mode d’exécution.

II. Question préliminaire concernant la recevabilité d’éléments de preuve portant sur des événements postérieurs au dépôt du grief

6 Au début de l’audience, l’employeur a souligné qu’il s’opposait à ce que l’agent négociateur présente certains éléments de preuve sur un transfert de dossiers ayant eu lieu en janvier 2012. L’employeur a affirmé que cette preuve n’était pas pertinente étant donné qu’elle portait sur des événements postérieurs au dépôt du grief, lequel a été présenté le 21 novembre 2011.

7 L’employeur a expliqué que le grief portait sur des événements qui se sont déroulés le ou avant le 21 novembre 2011 et qu’en se fondant sur des événements qui ont eu lieu en janvier 2012, l’agent négociateur modifiait essentiellement la nature du grief. L’employeur m’a renvoyé à Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9, qui citait Burchill c. Procureur général du Canada, fixme1981] 1 C.F. 109 (C.A.). Dans Chase,il a été établi qu’un grief renvoyé à l’arbitrage ne pouvait pas différer de celui qui avait été abordé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

8 L’agent négociateur a répliqué qu’il s’agissait d’un grief en cours et que les transferts ayant eu lieu en janvier 2012 étaient pertinents à titre de preuve d’un manquement continu par l’employeur, et ce, jusqu’en avril 2012, de son obligation de reconnaître l’existence d’une situation de RE. Cette preuve était pertinente, car elle permettait de statuer sur la position de l’employeur voulant que les conditions nécessaires à l’établissement d’une situation de RE n’existaient pas avant avril 2012.

9 J’ai décidé de tenir compte de cette preuve. Il semble que la nature du grief consiste à déterminer si des conditions suffisantes étaient en place pour créer une situation de RE, telle que cette notion est définie dans la convention collective. Bien que le grief porte sur l’état de la situation au moment où il a été présenté, à mon avis, la preuve concernant les événements subséquents, par exemple lorsque les dossiers ont commencé à être transférés, est pertinente pour statuer sur la position de l’employeur voulant que les conditions nécessaires n’ont pas été réunies avant le mois d’avril.

III. Résumé de la preuve

10 Quatre personnes ont témoigné. L’agent négociateur a cité Steve McCuaig et Elenore Szakaly à témoigner. L’employeur a cité Cathy McLaughlin et David Stafford à témoigner. Au moment des faits, M. McCuaig était vice-président exécutif du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, et coprésident permanent du Comité de consultation patronale-syndicale sur les ressources humaines. Mme Szakaly a travaillé de 2008 à 2012 comme conseillère en rémunération et en avantages sociaux pour l’employeur au bureau d’Edmonton, en Alberta. Mme McLaughlin était directrice de la Rémunération et des avantages sociaux au sein de ce qui s’appelait auparavant Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), maintenant le ministère de l’Emploi et du Développement social. M. Stafford était gestionnaire de la rémunération par intérim pour les trois provinces de l’Ouest et la Nouvelle-Écosse, et il était le superviseur direct de Mme Szakaly.

11 Les employés dont il est question dans le grief travaillaient à titre de conseillers en rémunération et en avantages sociaux pour ce qui était autrefois RHDCC, dans 34 bureaux situés partout au Canada. D’autres ministères fédéraux disposaient également de leurs propres employés dans le domaine de la rémunération et des avantages sociaux.

12 Mme McLaughlin est devenue directrice de la Rémunération et des avantages sociaux le 1er avril 2008. Elle supervisait alors quelque 300 conseillers en rémunération et en avantages sociaux. Ceux-ci relevaient de 10 directeurs des Ressources humaines. Mme McLaughlin a expliqué qu’il y avait plusieurs structures différentes dans les 34 bureaux et que le Ministère avait reçu des centaines de plaintes. Lorsqu’elle a été nommée, elle a reçu le mandat de centraliser les services.

13 Mme McLaughlin a décrit l’année 2008 comme étant celle de la [traduction] « centralisation ». En 2009, un groupe de conseillers a été formé pour normaliser les processus de l’employeur, dans le but que le travail s’accomplisse d’une façon standard afin que peu importe où se trouve le travail, celui-ci peut facilement être transféré d’un bureau à l’autre. Le groupe s’est penché sur les processus et les types de structures en vigueur dans les autres ministères fédéraux. Après avoir mené des consultations et rencontré des chefs d’équipe, un plan, globalement inspiré de la restructuration de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a été proposé.

14 Selon Mme McLaughlin, en mai 2010, elle a présenté ce plan au sous-ministre adjoint et elle a obtenu l’approbation préliminaire pour ce plan. Elle a poursuivi en expliquant que de mai à octobre, elle avait accompli ses tâches quotidiennes tout en réfléchissant à la façon optimale de procéder à la transformation, dans le respect du budget. Aux fins de ce processus, elle a rencontré et consulté plus de 200 employés individuellement.

15 En août 2010, le premier ministre a annoncé que tous les services de la paie du gouvernement fédéral seraient regroupés à Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Cette annonce faisait état d’une transformation à l’échelle du gouvernement fédéral et devait se terminer au cours de l’exercice 2015-2016. Toutefois, les premiers ministères à être visés par cette initiative étaient ceux qui utilisaient un type de logiciel plus moderne que celui qui était utilisé dans le ministère de Mme McLaughlin. À l’époque, RHDCC utilisait le nouveau logiciel depuis peu et ne faisait donc pas partie des premières vagues du déménagement à Miramichi.

16 Le 21 septembre 2010, au cours d’une réunion du Comité de consultation patronale-syndicale sur les ressources humaines de RHDCC, il a été question de l’annonce du premier ministre. À l’époque, Sylvain Dufour, directeur général, Centres d’expertise de RHDCC, avait expliqué que selon une évaluation préliminaire effectuée par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), 45 % des employés touchés seraient bientôt admissibles à la retraite et qu’en conséquence, aucune perte d’emploi n’était prévue à la suite de la transformation. M. Dufour avait ajouté que TPSGC et les ministères disposaient de suffisamment de temps pour élaborer une stratégie exhaustive de ressources humaines en vue de réduire les répercussions de la transformation.

17 En octobre 2010, Mme McLaughlin a embauché un consultant, qui avait auparavant travaillé à l’ARC dans le cadre de sa transformation, pour l’aider à planifier la transformation de la structure interne de l’unité de la rémunération et des avantages sociaux de RHDCC.

18 Le 15 mars 2011, à une autre réunion du Comité de consultation patronale-syndicale sur les ressources humaines de RHDCC, M. Dufour a fait référence à une confusion entre la transformation interne de RHDCC et la [traduction] « transformation globale de la prestation des services de RH » touchant tous les ministères. Il a ajouté qu’il n’y aurait [traduction] « aucune fermeture de bureaux de rémunération et d’avantages sociaux ».

19 Toutefois, les plans de RHDCC ont ensuite changé. Mme McLaughlin a affirmé qu’en 2011, le Ministère disposait [traduction] « d’un plan suffisamment solide pour leur permettre de savoir ce qui fonctionnait bien et ce qui était problématique » et, pour régler les problèmes organisationnels, RHDCC avait ciblé deux bureaux où les services devaient être regroupés.

20 En mai ou au début de juin 2011, l’administrateur général a approuvé le regroupement de tous les bureaux responsables de la rémunération et des avantages sociaux de RHDCC afin qu’il n’en reste que deux, soit les bureaux de Winnipeg et de Montréal.

21 Le 26 septembre 2011, M. Dufour a invité M. McCuaig et Don Rogers, qui était alors le nouveau président de l’élément, à participer à une conférence téléphonique dans le but de fournir une mise à jour sur la situation actuelle et les prochaines étapes de la transformation des services de rémunération et d’avantages sociaux. Toutefois, ni M. McCuaig ni M. Rogers n’ont pu y assister.

22 Le 13 octobre 2011, le sous-ministre intérimaire de RHDCC a annoncé le regroupement des bureaux faisant passer leur nombre de 34 à 2. L’annonce contenait le passage suivant :

[Traduction]

[…]

Au cours des 30 prochains mois, les services de la rémunération et des avantages sociaux commenceront le travail de regroupement des dossiers des 34 bureaux existants pour n’en conserver que 2, soit les bureaux de Winnipeg et de Montréal. Il s’agit là d’une première étape dans la transition, à l’échelle de la fonction publique, vers le regroupement des services de traitement de la rémunération et des avantages sociaux aux bureaux de TPSGC à Miramichi, au Nouveau-Brunswick, d’ici à 2015, comme l’a annoncé le premier ministre en août 2009.

Après une analyse détaillée, les bureaux de Winnipeg et de Montréal ont été retenus pour le traitement de la charge de travail de la rémunération et des avantages sociaux. Cette décision a été prise en examinant la population bilingue, la disponibilité de la main-d’œuvre, la présence de RHDCC et du gouvernement du Canada, ainsi que des frais associés aux immeubles commerciaux, dans six grandes villes.

Le regroupement aura bien sûr une incidence sur le nombre d’employés nécessaires et sur l’endroit où ils travailleront; environ 194 postes (à l’exception des postes situés à Winnipeg et à Montréal) – seront touchés par ces changements au cours des 30 prochains mois.

Conformément aux principes de notre Stratégie de gestion de l’effectif [renvoi au site Web], nous gérerons les répercussions de cette transformation sur l’effectif au moyen de l’attrition, des réaffectations, des placements et de la formation.

[…]

Pendant la transformation, je sais que ces changements seront particulièrement difficiles pour ceux qui sont directement touchés, mais je tiens à rappeler la priorité du Ministère, qui constitue également notre engagement principal, c’est-à-dire le maintien d’emploi pour tous les employés nommés pour une période indéterminée […]

23 En contre-interrogatoire, Mme McLaughlin a dû expliquer pourquoi l’employeur n’avait pas annoncé un RE à ce moment-là. Elle a répondu qu’il y avait eu des discussions internes à ce sujet, mais que l’employeur n’avait pas annoncé de situation de RE en octobre pour deux raisons : premièrement, il devait d’abord fixer une date à laquelle les dossiers seraient transférés et, deuxièmement, il souhaitait d’abord doter les postes au bureau de Winnipeg et créer un bureau de projet. Elle savait en quoi consistait le RE. Elle a ajouté que la phrase [traduction] « […] communiqueront aux représentants de l’Alliance le nom et le lieu de travail des employé-e-s touchés » avait été interprétée comme signifiant que le nom et le lieu de travail des employés touchés devaient être connus avant que ne soit déclarée une situation de RE. Elle a ajouté qu’à l’époque, le Ministère avait déjà eu beaucoup de succès dans le placement des employés, mais elle a reconnu qu’il était alors clair que le regroupement entraînerait certaines pertes d’emploi.

24 Mme Szakaly travaillait à titre de conseillère en rémunération et en avantages sociaux au bureau de l’employeur, à Edmonton. Ce bureau comptait entre 10 et 12 conseillers. Elle savait que le regroupement à Miramichi devait avoir lieu dans les 30 mois suivant l’annonce. Elle a expliqué que le 9 novembre 2011, elle avait participé à une téléconférence au cours de laquelle les conseillers d’Edmonton avaient appris que les dossiers seraient retirés de leur bureau au plus tard le 13 février 2012. Elle a affirmé que les conseillers avaient été surpris de cette annonce. Lorsqu’un des conseillers a demandé pourquoi il n’y avait aucun représentant de l’agent négociateur sur place, on lui a répondu que ce n’était pas nécessaire. Elle avait compris que le bureau fermerait le 13 février et a affirmé qu’il n’avait pas été question qu’il y aurait encore du travail pour eux une fois que les dossiers leur seraient retirés. Ainsi, Mme Szakaly a entamé une recherche d’emploi en janvier 2012, et elle a commencé à travailler pour un autre organisme fédéral à titre de conseillère en rémunération et en avantages sociaux le 13 février 2012.

25 Mme Szakaly relevait de M. Stafford, qui occupait le poste de gestionnaire de la rémunération par intérim pour les trois provinces situées les plus à l’Ouest et la Nouvelle-Écosse. Celui-ci a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir été interrogé au sujet de la représentation par un agent négociateur à la réunion. Il a toutefois affirmé qu’il se rappelait que la question suivante lui avait été posée : [traduction] « Il n’y a plus de travail. Qu’allons-nous faire? » Il a répondu qu’il subsistait du travail dans la région et que ce travail serait réparti entre les divers bureaux afin d’équilibrer la charge de travail. Il a affirmé que tous les employés touchés de ce bureau souhaitaient demeurer à Edmonton. Au moment de l’audience, seulement un employé nommé pour une période indéterminée et un employé nommé pour une durée déterminée n’avaient pas trouvé de nouveau poste. Ils effectuaient alors du travail provenant d’autres bureaux.

26 À l’annonce du regroupement du travail dans les deux bureaux, l’agent négociateur a essayé de convaincre l’employeur d’abandonner l’idée du déménagement à Winnipeg et à Montréal au motif qu’il s’agissait d’une mesure inutile et néfaste, étant donné que peu de temps après, tout le travail devait être regroupé à Miramichi. Le déménagement à Winnipeg et à Montréal signifiait donc que la situation de RE devait bientôt se répéter. L’employeur a répondu qu’il devait faire un regroupement provisoire afin d’instaurer des systèmes modernes et des processus automatisés avant que les dossiers soient transférés à Miramichi.

27 Le 21 novembre 2011, l’agent négociateur a déposé le grief de principe en l’espèce.

28 D’octobre 2011 à mars 2012, l’employeur a continué de tenter de trouver un poste pour tous les employés du domaine de la rémunération et des avantages sociaux qui étaient touchés par le regroupement dans les bureaux de Winnipeg et de Montréal. Le 20 mars 2012, Mme McLaughlin a envoyé un courriel portant sur les efforts déployés en ce sens, dont voici un extrait :

[Traduction]

Au moment de l’annonce, le Ministère s’est engagé à ce qu’il n’y ait aucune perte d’emploi involontaire pour les employés nommés pour une période indéterminée à la suite de la transformation.

Nous avons le plaisir de vous annoncer que depuis octobre 2011, nous travaillons en collaboration avec les employés pour respecter cet engagement et, jusqu’à maintenant, nous avons obtenu un taux de placement remarquable.

Des 177 employés touchés du secteur de la rémunération et des avantages sociaux qui sont nommés pour une période indéterminée, 55 ont soit trouvé un poste permanent, soit obtenu une affectation ou un détachement avec possibilité de placement permanent. Ainsi, à ce jour :

  • 3 employés ont été relocalisés au nouveau CSRAS de Winnipeg;
  • 27 employés ont accepté une mutation au sein de RHDCC;
  • 14 employés ont accepté une mutation dans un autre ministère;
  • 11 employés ont accepté une affectation ou un détachement avec possibilité de placement permanent.

De plus, 14 autres employés sont partis ou partiront par attrition. À ce jour :

  • 4 employés sont partis à la retraite;
  • 2 employés ont remis leur démission;
  • 8 employés prendront leur retraite d’ici à juin 2013.

Nous continuons de travailler en collaboration avec les employés pour trouver des débouchés au personnel restant.

Jusqu’à maintenant, quels dossiers ont été transférés?

Le 13 février 2012, 2 699 dossiers provenant des bureaux situés en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut ont été transférés au nouveau CSRAS de Winnipeg. Ce nouveau bureau comprend actuellement 40 employés nommés pour une période indéterminée et 2 employés nommés pour une période déterminée.

C’est la région de l’Ouest qui a été choisie pour commencer la vague de transfert des dossiers étant donné que nous avons eu du succès à sécuriser des emplois pour le personnel dans cette région. En effet, d’autres emplois ont été trouvés pour tous les employés nommés pour une période indéterminée touchés par la première vague de transfert de dossiers et, dans la plupart des cas, les offres ont été acceptées.

Quelles sont les prochaines étapes?

Compte tenu du succès qu’ont connu les employés pour trouver un autre emploi au cours de la période de transformation, il a fallu rééquilibrer la charge de travail à l’échelle nationale.

Pour ce faire, nous avons prévu deux vagues de transfert, soit en mars et en mai, en ce qui concerne les dossiers qui proviennent des bureaux situés en Ontario, dans les provinces de l’Atlantique et à l’administration centrale :

  • Le 28 mars 2012, 1 550 dossiers de paie seront transférés au CSRAS de Winnipeg à partir de divers bureaux situés en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique.
  • Le 23 mai 2012, 1 997 dossiers de paie de l’administration centrale seront transférés au CSRAS de Winnipeg.

Je maintiens mon engagement de vous tenir informés au fur et à mesure que le projet de transformation évoluera. Je vous communiquerai toutes les dates des transferts futurs, dès que ces dates seront confirmées. Entre-temps, pour obtenir des mises à jour et des réponses aux questions les plus fréquemment posées, veuillez visiter le site Web du Centre de services en rémunération et en avantages sociaux [site Web].

29 L’agent négociateur a affirmé qu’il était reconnaissant de recevoir ces renseignements et, selon les éléments de preuve, il a été régulièrement informé des placements à partir de ce moment-là.

30 Le 10 avril 2012, l’employeur a envoyé au président national et président-directeur général de l’agent négociateur de l’époque une lettre pour l’informer d’une [traduction] « […] situation de réaménagement des effectifs imminente à Ressources humaines et Développement des compétences Canada découlant de la mise en œuvre du projet de transformation de la rémunération et des avantages sociaux dans le cadre de l’examen stratégique ayant eu lieu au sein de la Direction générale des services de ressources humaines ». L’employeur a indiqué qu’il joignait à la lettre une liste d’employés qui étaient touchés par la réinstallation de l’unité de travail en précisant leur lieu de travail et leurs groupe et niveau, [traduction] « […] conformément aux exigences relatives à l’avis officiel qui sont prévues dans l’Appendice sur le réaménagement des effectifs de la convention collective en vigueur pour le groupe Services des programmes et de l’administration ». L’employeur a également indiqué que le Ministère avait l’intention, au cours de la semaine, d’aviser les employés par écrit de la réinstallation de leur unité de travail. La liste jointe à la lettre contenait le nom de 114 employés.

31 Le 12 avril 2012, des lettres ont été envoyées à tous les employés dont le poste faisait l’objet d’une réinstallation à Winnipeg ou à Montréal. Des exemples de lettres ont été versés en preuve, soit des lettres adressées respectivement à un employé qui occupait un poste situé à Gatineau, au Québec, et à un autre qui travaillait à New Glasgow, en Nouvelle-Écosse. Chacune de ces lettres informait le destinataire que son poste serait transféré à Winnipeg durant la période du 16 janvier au 30 juin 2013. La lettre indiquait également que, conformément à la Partie III de l'ARE, chaque personne était informée du déménagement et se voyait offrir la possibilité de décider si elle souhaitait être réinstallée pour conserver son poste. La lettre indiquait en outre que les frais de réinstallation seraient assumés par le Ministère et que si la personne décidait de ne pas déménager, elle serait alors considérée comme étant en situation de RE. La lettre poursuivait avec le passage suivant : [traduction] « Vous devez m’informer par écrit, au plus tard le 12 octobre 2012, de votre intention de déménager ou non dans le nouveau lieu de travail. Veuillez nous faire part de votre décision en remplissant le document et en retournant une copie dûment signée à […] ».

32 La lettre expliquait également qu’un système ministériel de gestion des postes vacants avait été instauré pour aider l’employeur à trouver des possibilités d’emploi pour les employés et que les employés devaient remplir un formulaire de consentement afin que leurs renseignements personnels puissent être saisis dans ce système. Il y avait aussi des renseignements sur les ressources à consulter concernant plusieurs services disponibles, comme des services-conseils sur le RE, des services d’orientation professionnelle et un programme d’aide aux employés.

33 Mme McLaughlin a fait valoir que parmi les 177 employés touchés par l’annonce du 13 octobre, seuls 114 d’entre eux devaient recevoir un avis de RE. Je constate que 2 de ces 114 employés travaillaient au bureau d’Edmonton. Mme McLaughlin a ajouté qu’après le 10 avril 2012, d’autres placements avaient été trouvés. Par exemple, du travail avait été trouvé pour tous les employés des bureaux des provinces maritimes.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

34 La principale question consiste à déterminer s’il existait une situation de RE d’octobre 2011 à avril 2012.

35 Les clauses 1.1.11 et 2.1.1 de l’ARE exigent tous deux que l’employeur informe et consulte les représentants de l’agent négociateur de façon exhaustive dans les cas de réaménagement des effectifs, et ce, le plus tôt possible après la prise de la décision visant la création d’une situation de RE. La clause 2.1.3 exige de l’employeur qu’il informe l’agent négociateur plusieurs jours avant d’aviser les employés du RE.

36 Le « réaménagement des effectifs » se définit comme une situation qui se produit lorsqu’un administrateur général décide que les services d’un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d’une certaine date en raison, dans ce cas-ci, de la suppression d’une fonction ou de la réinstallation d’une unité de travail à un endroit où l’employé ne veut pas être réinstallé.

37 À l’appui de son interprétation, l’agent négociateur s’est fondé sur la décision rendue par l’ancienne Commission des relations de travail dans la Fonction publique (l’« ancienne Commission ») dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 23, dans le cadre de laquelle six systèmes informatiques différents utilisés pour le traitement des déclarations T3 devaient être fusionnés, ce qui a donné lieu à une réduction prévue du nombre d’employés pour accomplir le travail. Selon un document produit en 2000, il est mentionné qu’une des unités touchées nécessiterait 16 employés nommés pour une période indéterminée de moins en 2002, et encore 4 de moins en 2003. Plutôt que de déclarer une situation de RE, l’employeur s’est lancé dans un processus visant à réduire le nombre d’employés occupant les postes touchés en les mutant de ces postes à d’autres types de postes. Un témoin de l’employeur a expliqué que la direction estimait que le fait de recourir à la politique sur le RE équivalait à un échec. La direction disait aux employés que l’employeur ne pouvait leur garantir un emploi et qu’ils auraient à se conformer à des règles rigoureuses. Si la politique sur le RE avait été utilisée, il aurait fallu procéder à une sélection en ordre inverse du mérite afin de déterminer quels employés méritaient le moins de conserver leur emploi. Ensuite, les employés auraient pu recevoir ou non une offre d’emploi. Si une offre d’emploi raisonnable leur avait été faite, ils auraient été tenus de l’accepter, étant donné que la politique exige de l’employeur qu’il fasse une seule offre d’emploi raisonnable. Au contraire, selon la stratégie de placement utilisée, les employés pouvaient essayer autant d’emplois qu’ils le souhaitaient. Le comité patronal-syndical de placement avait adopté cette approche en raison du succès qu’il avait observé quant au placement d’employés dans des secteurs où il leur était possible d’être en meilleure position et de postuler à des postes de plus haut niveau, selon le cas. L’employeur a donc utilisé la même justification dans cette affaire. L’ancienne Commission a rejeté cet argument et jugé que l’employeur avait enfreint la même clause que dans la présente affaire, c’est-à-dire la clause 1.11.1 de la convention collective actuelle. L’ancienne Commission avait statué qu’il y avait bel et bien une situation de RE et que la convention collective « [n’envisageait] pas, dans un cas de réaménagement des effectifs, de phase […] au cours de laquelle l’employeur [pouvait] agir à son gré avec qui il [voulait] ».

38 Le courriel du 13 octobre ciblait 32 postes qui devaient être éliminés au cours des 30 mois suivants. Ces postes étaient identifiés avec suffisamment de précision, et 34 bureaux devaient être regroupés pour n’en former que 2.

39 L’agent négociateur a reconnu qu’après le 13 octobre, l’employeur avait agi dans l’esprit des dispositions sur le RE en tentant de trouver un emploi aux employés touchés et en informant continuellement l’agent négociateur des progrès accomplis. Toutefois, il a soutenu que le fait de déclarer une situation de RE demeurait le seul moyen de s’assurer que les employés pourraient être protégés par la convention collective.

40 L’agent négociateur m’a renvoyé à Agence des douanes et du revenu du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 41.

B. Pour l’employeur

41 La question en litige porte sur l’état de la situation le 21 novembre 2011, soit à la date où le grief a été déposé. L’obligation d’informer et de consulter l’agent négociateur ne s’était pas encore présentée au moment où le grief a été déposé.

42 L’objectif de l’interprétation du libellé d’une convention collective consiste à découvrir l’intention des parties. Cette intention doit découler de l’instrument écrit, mais il faut garder en tête le contexte des relations patronales-syndicales entourant la convention collective. Il existe un principe fondamental selon lequel une convention collective doit être interprétée dans son ensemble. Ainsi, selon l’ensemble de l’ARE et de certaines autres dispositions de la convention collective, notamment celles sur les droits de la direction, l’intention prépondérante de la convention collective est de faire en sorte que toutes les mesures possibles soient prises pour assurer le maintien en poste des employés dont les postes sont éliminés. La notion de maintien d’emploi est souvent répétée.

43 L’article 23 de la convention collective est libellé comme suit :

SÉCURITÉ D’EMPLOI

23.01 Sous réserve du consentement et de la capacité de chaque employé-e d’accepter une réinstallation et un recyclage, l’Employeur fera tout ce qui est raisonnablement possible pour que toute réduction de l’effectif soit réalisée au moyen de l’attrition.

44 L’ARE contient le passage suivant, sous la rubrique « Objectifs » :

L’Employeur a pour politique d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employé-e-s nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employé-e-s d’autres possibilités d’emploi. On ne doit toutefois pas considérer que le présent appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d’emploi.

À cette fin, les employé-e-s nommés pour une période indéterminée et dont les services ne seront plus requis en raison d’un réaménagement des effectifs et pour lesquels l’administrateur général sait ou peut prévoir la disponibilité d’emploi se verront garantir qu’une offre d’emploi raisonnable dans l’administration publique centrale leur sera faite. Les employé-e-s pour lesquels l’administrateur général ne peut fournir de garantie pourront bénéficier des arrangements d’emploi, ou formules de transition (parties VI et VII).

45 La Partie I de l’ARE, intitulée « Rôles et responsabilités », débute ainsi :

1.1.1 Étant donné que les employé-e-s nommés pour une période indéterminée qui sont touchés par un réaménagement des effectifs ne sont pas eux-mêmes responsables de cette situation, il incombe aux ministères ou aux organisations de veiller à ce qu’ils ou elles soient traités équitablement et à ce qu’on leur offre toutes les possibilités raisonnables de poursuivre leur carrière dans la fonction publique, dans la mesure du possible.

46 Dans ses arguments, l’agent négociateur ne s’est pas reporté à l’exigence la plus importante figurant dans la section des définitions de l’ARE, soit « […] lorsqu’un administrateur général décide que les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis […] ».

47 La dernière partie de la définition précise que la situation doit être causée par l’un des facteurs qui y sont énumérés. En l’espèce, la situation applicable est « […] la réinstallation d’une unité de travail à un endroit où l’employé-e ne veut pas être réinstallé […] ».

48 La disposition suivante de la Partie III de l’ARE est également pertinente en l’espèce :

[…]

Réinstallation d’une unité de travail

[…]

3.1.1 Dans les cas où une unité de travail est réinstallée, les ministères ou les organisations offrent à tous les employé-e-s dont le poste sera transféré par avis écrit le choix d’être réinstallés avec ladite unité ou d’être considérés employé-e-s visés par une situation de réaménagement des effectifs.

3.1.2 Après avoir reçu un avis par écrit à cet effet, les employé-e-s disposent d’une période de six (6) mois pour préciser leur intention d’être réinstallés avec l’unité. Si l’intention de l’employé-e est de ne pas être réinstallé avec l’unité, l’administrateur général peut soit garantir une offre d’emploi raisonnable à l’employé-e ou lui offrir les options présentées à la section 6.3 du présent appendice.

[…]

49 Je constate que les possibilités dont il est fait mention au paragraphe 6.3 de l’ARE sont « [u]ne priorité d’employé-e excédentaire d’une durée de douze mois [ou éventuellement d’une durée plus longue] pour trouver une offre d’emploi raisonnable », le versement d’un montant forfaitaire qui constitue une « mesure de soutien à la transition » ou une indemnité d’études n’excédant pas 10 000 $. Si aucune offre d’emploi raisonnable n’est présentée à l’employé pendant la période de validité de son droit de priorité de fonctionnaire excédentaire, il conserve la possibilité de se prévaloir d’une mesure de soutien à la transition ou encore d’obtenir une indemnité d’études.

50 L’employeur a fait valoir que la définition du RE suppose que les services de l’employé ne seront plus requis au-delà d’une date précise. Lorsque cette date est connue, l’employé doit décider s’il souhaite être réinstallé ou non. S’il décide de ne pas être réinstallé, l’administrateur général détermine si un autre emploi peut lui être offert.

51 En l’espèce, la définition exigeait que soit clairement fixée la date à laquelle les postes devaient être transférés à Winnipeg. Or, au départ, ce fait n’était pas connu. Il n’existait aucun plan des activités assorti d’une date précise. Il y avait plutôt des efforts qui étaient déployés afin de travailler en vue d’obtenir un consensus. Même si les bureaux de Winnipeg et de Montréal avaient été ciblés comme les deux bureaux où tous les dossiers seraient regroupés, au départ, il n’y avait pas suffisamment de ressources à Winnipeg, et il fallait décider quels dossiers y seraient traités et quels employés devaient être embauchés pour ce faire.

52 La preuve présentée par Mme McLaughlin indique qu’aucune déclaration n’a été faite avant avril 2012 parce qu’avant cette date, il n’y avait aucun plan clairement défini. L’employeur devait structurer le bureau de Winnipeg et dépendait pour ce faire du budget fédéral. Mme McLaughlin croyait toutefois qu’il serait possible de trouver un emploi pour la plupart des employés touchés qui ne souhaitaient pas être réinstallés. Toutefois, lorsque le budget a été annoncé, elle a compris que certains employés devraient être avisés que leurs services ne seraient plus requis.

53 Les circonstances de fait entourant Agence des douanes et du revenu du Canada, sur laquelle s’est fondé l’agent négociateur, sont très différentes. Dans cette affaire, il n’y avait pas de réinstallation, mais plutôt une automatisation du travail, et les employés touchés n’avaient pas la possibilité de déménager pour conserver leur poste.

54 En l’espèce, il était clair que la réinstallation des postes aurait une incidence sur les titulaires de ces postes. Toutefois, la nature de l’incidence est importante, c’est-à-dire la perte d’emplois. Pour qu’une situation de RE existe, les employés et les postes touchés doivent être connus avec précision. La clause 2.1.1 de l’ARE exige d’ailleurs que l’agent négociateur soit avisé du nom et du lieu de travail des employés touchés le plus tôt possible après qu’une décision a été prise. En octobre 2011, l’employeur ne disposait pas de cette information. Comment l’employeur aurait-il pu savoir qui accepterait de déménager et qui refuserait? Si l’objectif était le maintien en poste, pourquoi l’employeur aurait-il dû déclarer une situation de RE?

55 Dans Agence du revenu du Canada (confirmée par 2008 CF 485), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») avait jugé, aux fins de l’interprétation du libellé d’une formulation identique, que la définition du terme « réaménagement des effectifs » supposait une « certitude » de la part du décideur que les services d’un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seraient plus requis au-delà d’une date précise.

56 En l’espèce, une telle certitude n’existait pas à l’automne 2011.

57 Subsidiairement, l’employeur a affirmé que l’agent négociateur était tenu informé de l’évolution de la situation. M. McCuaig avait répondu au courriel de l’employeur du 20 mars 2012 en disant qu’il était satisfait des renseignements fournis. Dans son témoignage, il a affirmé que l’employeur semblait s’être conformé à l’esprit de l’ARE.

58 L’employeur m’a renvoyé à la jurisprudence suivante : Chase; Laughlin Walker c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 62; Canadian Union of Public Employees (Local 34) v. Saskatoon School Division no 13 (2003), 120 L.A.C. (4e) 150; Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration (4e éd.), aux paragr. 2:3240, 4:2100, 4:2110, 4:2120, 4:2130, 4:2140 et 4:2150; Khurana c. Conseil du Trésor (Anciens Combattants Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-24750 à 24752 et 25270 (19941107); Moore c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2006 CRTFP 31; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2008 CF 485; Agence du revenu du Canada; Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada (4e éd.), aux paragr. 2.1 à 2.26; et Thomas c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 49.

C. Réplique de l’agent négociateur

59 L’agent négociateur a convenu que l’intention exprimée dans l’ensemble de la convention collective était de viser le maintien d’emploi. L’agent négociateur n’a pas affirmé que les employés devaient immédiatement être déclarés excédentaires.

60 L’ARE définit un « employé-e touché » comme un « [e]mployé-e nommé pour une période indéterminée qui a été avisé par écrit que ses services pourraient ne plus être requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs ». L’utilisation du terme « pourraient » indique une possibilité, et non une certitude. Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’une décision définitive de ne plus avoir recours aux services d’un employé soit prise. Lorsqu’une situation de RE est créée, l’employeur a des obligations quant à la réaffectation ou au recyclage des employés touchés.

61 Les clauses 1.1.5 et 1.1.15 de l’ARE sont formulés de la façon suivante :

1.1.5 Les ministères ou les organisations établissent des systèmes facilitant la réaffectation ou le recyclage de leurs employé-e-s touchés et excédentaires et de leurs personnes mises en disponibilité.

[…]

1.1.15 Les ministères ou les organisations doivent conseiller et renseigner leurs employé-e-s touchés au sujet des possibilités de poursuivre leur carrière au sein de la fonction publique.

62 L’article 23 de la convention collective, intitulée « Sécurité d’emploi », comprend le passage suivant au paragraphe 23.01 :

23.01 Sous réserve du consentement et de la capacité de chaque employé-e d’accepter une réinstallation et un recyclage, l’Employeur fera tout ce qui est raisonnablement possible pour que toute réduction de l’effectif soit réalisée au moyen de l’attrition.

63 L’ARE, à la section intitulée « Généralités » et à la sous-section « Convention collective », indique ce qui suit :

Nonobstant l’article sur la sécurité d’emploi, en cas de contradiction entre le présent appendice sur le réaménagement des effectifs et cet article, c’est le présent appendice qui a la prépondérance.

64 L’agent négociateur a soutenu qu’il ne serait pas en mesure d’assurer la protection de ces droits à moins que l’ARE ne s’applique. En l’espèce, l’employeur savait le 13 octobre 2011 que les 34 bureaux existants seraient regroupés au cours des 30 prochains mois pour ne former que 2 bureaux. Par conséquent, il savait que les employés de tous les bureaux, sauf ceux de Winnipeg et de Montréal, seraient touchés, étant donné que leurs services pouvaient ne plus être requis.

V. Motifs

65 Il est reconnu que l’un des objectifs des diverses dispositions de la convention collective et de l’ARE, dont il a été question plus tôt dans la présente décision, consiste à assurer le maintien d’emploi, dans la mesure du possible, des employés dont le poste a été réinstallé et qui ne souhaitent pas déménager dans le nouveau lieu de travail.

66 L’agent négociateur a affirmé que l’avis écrit au sujet de la situation de RE aurait dû être donné aux alentours du 13 octobre 2011, moment où l’annonce a été faite au sujet des 34 bureaux qui seraient regroupés pour former 2 bureaux, à Winnipeg et à Montréal. Aux termes de la clause 2.1.3 de l’ARE, l’employeur devait en informer l’agent négociateur plusieurs jours avant d’aviser les employés de la situation de RE.

67 L’employeur a affirmé qu’il aurait été prématuré de le faire parce que l’administrateur général n’avait pas encore décidé quels employés verraient leur poste supprimé. Mme McLaughlin a affirmé que c’était parce que l’employeur espérait qu’un nombre important d’employés ne souhaitant pas être réinstallés à Winnipeg ou à Montréal pourraient trouver un autre poste au sein du gouvernement fédéral. Toutefois, même une fois l’avis écrit au sujet de la situation de RE envoyé par l’employeur, des efforts fructueux ont continué d’être déployés pour trouver un poste aux employés touchés au sein du gouvernement fédéral. Par exemple, du travail a été trouvé pour tous les employés touchés des provinces maritimes qui ne souhaitaient pas déménager à Montréal ou à Winnipeg.

68 La question en litige consiste donc simplement à déterminer si, le 13 octobre 2011 ou aux alentours de cette date, l’employeur aurait été tenu de donner un avis écrit de la situation de RE. L’employeur a affirmé qu’il n’aurait pas pu se conformer, à l’époque, aux clauses 1.1.11 ou 2.1.1 de l’ARE, car le 13 octobre 2011, il ne connaissait pas le nom et le lieu de travail des employés touchés, au sens de ces deux clauses. À l’appui de cette conclusion, l’employeur s’est fondé sur Agence du revenu du Canada. Dans cette affaire, la Commission a statué ce qui suit au paragraphe 51 :

51 […] Afin de déterminer le moment auquel un employé doit être informé par écrit qu’il est touché, il faut d’abord examiner la définition de « réaménagement des effectifs ». Une situation de RE se produit lorsque le Commissaire décide que les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d’une certaine date. Cette définition exige de la certitude de la part du commissaire. Il doit d’abord être certain que les services ne seront plus requis (et non que ces services peuvent ne plus être requis) et, deuxièmement, que ces services ne seront plus requis après une certaine date […]

69 La Commission a obtenu de l’appui quant à sa conclusion qu’il y avait une [traduction] « exigence de certitude » de la disposition exigeant de l’ARC qu’elle fournisse à l’AFPC le nom et le lieu de travail des employés touchés. La Commission a affirmé ce qui suit : « Cette exigence présuppose que l’ARC a défini à la fois les postes et le lieu de travail des employés qui seront touchés. »

70 Toutefois, les faits dans Agence du revenu du Canada sont très différents de ceux en l’espèce. L’ARC devait retrancher 110 millions de dollars de son budget. Elle a réagi en annonçant une réduction des frais devant être réalisée, sur plusieurs années, par la réduction graduelle des services offerts au comptoir pour les paiements en espèces et les demandes de renseignements. Les employés avaient accès à une foire aux questions où figurait une déclaration selon laquelle environ 200 postes d’équivalents temps plein seraient éliminés dans les services de comptoir de renseignements et moins de 100 seraient éliminés dans les comptoirs pour paiements en espèces avant la fin de l’exercice 2007-2008. L’employeur avait également déclaré qu’il s’engageait à utiliser l’attrition, et les possibilités d’emploi et de recyclage, dans la mesure du possible, pour réduire les répercussions de ces changements sur les employés en poste. Selon la preuve, il y avait plus de 1 000 employés qui travaillaient aux comptoirs pour paiements en espèces et aux comptoirs de renseignements. La description de travail générique pour les postes des comptoirs de renseignements donnait aux employés la souplesse nécessaire pour occuper d’autres types de postes dans le domaine des services. Environ 2 500 employés (équivalents temps plein) avaient des fonctions liées aux services offerts au comptoir dans leur description de travail.

71 L’agent négociateur a déposé un grief de principe au motif que l’ARE aurait été enfreint. Il y affirmait que les employés dont la description de tâches comportait des fonctions de caissier et des fonctions aux comptoirs de renseignements auraient dû obtenir le statut d’employé touché dès la date de l’annonce. La Commission a rejeté le grief dans Agence du revenu du Canada, en affirmant ce qui suit :

[…]

52 À mon avis, le texte de l’Appendice sur le RE à la convention collective appuie l’interprétation selon laquelle, avant que ne deviennent applicables les dispositions portant sur l’avis de RE, l’ARC doit avoir pris une décision suffisamment précise pour déterminer les lieux de travail, les postes qui seront touchés et la date à laquelle ces postes seront touchés.

[…]

72 Dans cette affaire, l’employeur n’avait pas encore tout à fait déterminé quels postes seraient touchés. En l’espèce, la situation est très différente, car tous les postes touchés étaient connus le 13 octobre. Le lieu de travail, les postes touchés et la date à laquelle les postes seraient touchés étaient tous connus. Tous les postes de conseiller en rémunération et en avantages sociaux situés dans des bureaux autres que Winnipeg et Montréal devaient être éliminés au cours des 30 mois suivants. Selon les éléments de preuve, il est clair que la décision avait été prise et autorisée par la personne compétente. Ce qui n’était pas encore clair, c’était la quantité de travail qui serait confiée à Winnipeg et les exigences en matière de dotation du bureau de Winnipeg. Il y avait toutefois une certitude étant donné que la décision avait été prise d’éliminer 32 bureaux.

73 La clause 1.1.11 de l’ARE indique que l’employeur DOIT aviser et consulter l’agent négociateur le plus tôt possible lorsque survient une situation de RE. La définition du RE est donc un élément central à prendre en considération pour statuer sur la présente affaire. Cette définition indique que survient une situation de RE lorsque l’administrateur général détermine que les services des employés NE SERONT plus requis au-delà d’une certaine date.

74 À la lumière des éléments de preuve, je juge, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur savait, en octobre 2011, que les services de nombreux employés ne seraient plus requis, car bon nombre des employés qui travaillaient dans les 32 bureaux ne souhaitaient pas déménager. Clairement, l’employeur ne pouvait pas penser qu’il n’y aurait aucune perte d’emploi découlant de sa décision de fermer 32 bureaux au moment où il l’a prise. Une fois sa décision prise, au début de l’été 2011, l’employeur disposait de trois ou quatre mois pour établir ses plans avant de faire son annonce en octobre. Même s’il ne savait pas, en mai ou en juin, qu’il y aurait des pertes d’emploi, il en était sûrement venu à cette conclusion à l’automne 2011. Il est impossible que l’employeur se soit raisonnablement attendu à ce que tous les employés travaillant dans les 32 bureaux acceptent de déménager à Winnipeg ou à Montréal. D’ailleurs, selon la preuve présentée par M. Stafford au paragraphe 25, tous les employés du bureau d’Edmonton souhaitaient demeurer sur place, et aucun d’entre eux ne voulait être réinstallé.

75 L’employeur a affirmé qu’aucune date précise n’avait encore été déterminée en octobre 2011. Toutefois, au paragraphe 22 de l’annonce du sous-ministre intérimaire, il est indiqué un horizon de 30 mois pour le processus de regroupement. Il me semble que cette indication est suffisante aux fins de l’ARE.

76 À la lumière de la preuve, je conclus que l’employeur était bien intentionné et qu’il a effectivement tenté d’éviter aux employés la portion la plus stressante du processus de RE en procédant comme il l’a fait. Toutefois, de telles intentions ne respectent pas toujours les exigences des conventions collectives, et c’est effectivement ce qui s’est produit en l’espèce. La convention collective exige simplement que les services des employés ne soient plus requis au-delà d’une date précise.

77 La clause 1.1.11 définit assez largement la mesure dans laquelle une telle décision doit être précise. L’agent négociateur soutient qu’il n’est pas nécessaire que le nom des employés soit connu, tandis que l’employeur soutient l’inverse. Il est alors pertinent de se reporter aux autres dispositions de l’ARE afin de mieux comprendre la définition de « réaménagement des effectifs » dans la section des définitions. En particulier, la clause 2.1.1 indique que l’employeur, dans le cadre de ses responsabilités dans un contexte de RE, doit communiquer le nom et le lieu de travail des employés touchés soit, selon la section des définitions de l’ARE, un employé dont les services pourraient ne plus être requis. Je souscris donc à la position de l’agent négociateur selon laquelle les obligations de l’employeur à l’égard des employés débutaient au moment où il avait déterminé que ses mesures pourraient occasionner des pertes d’emploi.

78 J’estime qu’il y avait suffisamment de certitude pour déclarer l’existence d’une situation de RE le 13 octobre 2011, ou aux alentours de cette date, et que, à cette époque, un avis aurait dû être donné aux employés des bureaux concernés, outre ceux de Winnipeg et de Montréal.

79 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

80 Je déclare que l’employeur a enfreint les dispositions de l’ARE le 11 octobre 2011 ou aux alentours de cette date lorsqu’il a omis d’informer et de consulter les représentants de l’agent négociateur au sujet de la situation de RE, conformément à l’ARE, et lorsqu’il a omis de transmettre à l’agent négociateur le nom et le lieu de travail des employés touchés.

Le 10 mars 2014.

Traduction de la CRTFP

William H. Kydd,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.