Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement qui a eu lieu quatre jours avant qu’il ne termine une période de trois ans d’emploi continu dans son poste de durée déterminée, ce qui lui aurait permis d’obtenir le statut d’employé nommé pour une période indéterminée - l’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été licencié en raison de contraintes financières et que le niveau de priorité de son poste avait été évalué sans aucune intention discriminatoire - le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il avait été victime de discrimination et que l’employeur n’avait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires à sa surdité - le grief a été accueilli en partie par un arbitre de grief de la Commission - les deux parties ont présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire - la Cour fédérale a accueilli les demandes et a renvoyé l’affaire à l’arbitre de grief pour qu’il rende une nouvelle décision sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé avait été victime de discrimination lors de son licenciement et si une mesure de réparation systémique devrait être ordonnée - les parties n’ont pas remis en question la compréhension de la preuve par l’arbitre de grief et n’ont présenté aucun autre élément de preuve lors de la nouvelle audience de l’affaire - l’arbitre de grief a conclu que la discrimination n’avait joué aucun rôle dans l’évaluation du poste du fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il avait été licencié pour des raisons financières - lorsque l’évaluation a été effectuée, le fonctionnaire s’estimant lésé entretenait de bonnes relations avec ses supérieurs; ils avaient manifesté l’intention de le garder et son poste est demeuré vacant après son départ - dans sa décision antérieure, l’arbitre de grief avait rejeté l’allégation de l’employeur selon laquelle il n’avait pas la compétence pour ordonner des mesures de réparation systémique, et la Cour fédérale a appuyé sa décision sur ce point - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner à l’employeur de réviser sa politique sur les mesures d’adaptation étant donné qu’aucun élément de preuve n’a démontré que la discrimination et le défaut de prendre des mesures d’adaptation découlaient de lacunes dans sa politique - toutefois, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur devrait offrir aux employés et aux gestionnaires de la BFC de Trenton un programme de formation et de sensibilisation au sujet de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes atteintes d’une déficience ou d’une invalidité, et a ordonné que l’employeur veille à ce que les gestionnaires qui supervisent des employés atteints d’une déficience ou d’une invalidité soient informés entièrement des ressources existantes. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-01-17
  • Dossier:  566-02-1858 et 1859
  • Référence:  2014 CRTFP 5

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEFFREY STRINGER

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
David Yazbeck, avocat
Pour l’employeur et défendeur:
Michel Girard, avocat
Affaire entendue à Kingston (Ontario), le 16 octobre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Questions devant l’arbitre de grief

1 Jeffrey Stringer, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a travaillé au ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») du 28 avril 2003 au 24 avril 2006 comme dessinateur à la base des Forces canadiennes (BFC) de Trenton, en Ontario.

2 Le fonctionnaire a été licencié par son employeur quatre jours avant qu’il ait terminé trois années d’emploi continu dans son poste de durée déterminée. Le fonctionnaire a présenté un grief pour contester cette décision. Il a aussi déclaré dans son grief que l’employeur avait agi de façon discriminatoire à son endroit et avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fonctionnaire a déposé un seul grief, mais l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») l’a renvoyé deux fois à l’arbitrage, en vertu de deux dispositions différentes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »). Le grief a été renvoyé à l’arbitrage une première fois pour violation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective conclue entre l’agent négociateur et le Conseil du Trésor à l’égard du groupe Services techniques et qui expirait le 21 juin 2007, puis une deuxième fois à titre de grief portant sur le licenciement du fonctionnaire, en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. Le fonctionnaire a informé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il soulevait une question liée à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), dans le cadre d’une demande d’arbitrage d’un grief.

3 Le 14 mars 2011, j’ai rendu la décision 2011 CRTFP 33, accueillant le grief en partie. L’ordonnance rendue à cet égard se lisait comme suit :

[…]

[94]    Le grief est accueilli en partie.

[95]    L’employeur a agi de façon discriminatoire contre le fonctionnaire à plusieurs occasions.

[96]    Les parties ont 60 jours pour s’entendre sur le redressement.

[97]    Si les parties ne s’entendent pas sur un redressement dans les 60 jours de la présente décision, une audience sera convoquée pour entendre leurs arguments.

[98]    La décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire n’était pas entachée de discrimination. Par conséquent, la partie du grief portant sur le licenciement du fonctionnaire est rejetée.

4 Les parties ne se sont pas entendues sur le redressement suggéré dans ma décision du 14 mars 2011. Une deuxième audience s’est tenue le 10 août 2011, et le 12 septembre 2011, j’ai rendu la décision 2011 CRTFP 110 sur les mesures de redressement à prévoir. Mon ordonnance se lisait comme suit :

[…]

[55]    L’employeur doit payer au fonctionnaire, dans un délai [sic] 60 jours, une somme de 10 000 $ à titre de préjudice moral, en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

[56]    L’employeur doit payer au fonctionnaire, dans un délai [sic] 60 jours, une somme de 17 500 $ à titre d’indemnité spéciale, en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[57]    L’employeur doit verser au fonctionnaire des intérêts sur les deux sommes précitées, sous la forme d’intérêt simple calculé suivant le taux d’intérêt moyen sur les obligations d’épargne du Canada pour la période d’avril 2006 à septembre 2011.

[58]    Je demeure saisi de l’affaire pour une période de 60 jours afin de régler toute question ayant trait à l’exécution de ma décision, le cas échéant.

[…]

5 Les deux parties ont soumis, à la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire portant sur différentes parties de ces deux décisions. Le fonctionnaire a contesté la conclusion à laquelle j’étais arrivé que son licenciement n’était pas motivé par de la discrimination en raison de son invalidité. Il a également contesté ma décision de ne pas prévoir des mesures de redressement systémiques en réponse à l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard. L’employeur a contesté la décision d’exiger qu’il verse des intérêts sur les sommes accordées à titre d’indemnité.

6 Dans Stringer c. Canada (Procureur général) et Canada (Procureur général) c. Stringer, 2013 CF 735, la Cour fédérale a accueilli les demandes. Le fonctionnaire en a appelé de la décision de la Cour fédérale concernant le versement d’intérêts sur les sommes accordées à titre d’indemnité, lequel appel est en instance. Par conséquent, je ne me pencherai pas sur cet aspect dans la présente décision et je me limiterai plutôt à un examen de mes constatations concernant la question de savoir si le licenciement du fonctionnaire était entaché de discrimination due à son invalidité et si des mesures de redressement systémiques devraient être prévues.

7 Pour ce qui est de ces deux questions, les extraits suivants de la décision de la Cour fédérale résument les constatations de cette dernière :

[…]

[68] Je suis d’accord avec l’observation du fonctionnaire selon laquelle les conclusions de l’arbitre quant aux contraintes financières de l’employeur, aussi manifestes puissent‑elles être, ne fournissent pas une réponse complète à l’accusation de licenciement discriminatoire. En effet, ces contraintes peuvent expliquer légitimement les licenciements dans leur ensemble, mais elles ne rendent pas vraiment compte du licenciement du fonctionnaire. Il faut vérifier s’il y avait une intention discriminatoire derrière la décision d’accorder une priorité peu élevée au poste occupé par le fonctionnaire; sinon, le besoin légitime de procéder à certains licenciements pourrait masquer un motif qui serait particulièrement illégitime.

[69] En l’espèce, le fonctionnaire a soutenu devant l’arbitre que le degré de priorité de son poste dans le contexte des contraintes fiscales avait été fixé en partie par M. Lord et le major Scherr, deux personnes qui avaient eu un rôle à jouer dans le défaut de fournir des mesures d’adaptation au fonctionnaire et qui avaient formulé des commentaires discriminatoires à son endroit. Le fonctionnaire a aussi soutenu qu’au moment de son licenciement, d’autres employés occupant des postes non prioritaires avaient été embauchés pour une période indéterminée à cause de considérations liées à l’équité en matière d’emploi, différence de traitement que l’employeur n’a pas expliquée.

[70] Dans les six paragraphes consacrés à la question du licenciement discriminatoire, l’arbitre n’a examiné aucune de ces allégations. En effet, il a simplement indiqué qu’il croyait le témoignage du lieutenant‑colonel Gould selon lequel le seul motif du licenciement du fonctionnaire était que le poste de ce dernier n’était pas prioritaire à la BFC Trenton.

[71] Cette conclusion fait abstraction du fait que la faible priorité accordée au poste du fonctionnaire n’avait pas été fixée uniquement par le lieutenant‑colonel Gould. En effet, dans un autre passage de ses motifs, l’arbitre expliquait que le major Scherr avait informé le lieutenant‑colonel Gould que le poste de fonctionnaire n’était pas prioritaire et que le lieutenant‑colonel Gould avait souscrit à cette opinion (décision sur le fond, au paragraphe 40). Par conséquent, en estimant que l’intention du lieutenant‑colonel Gould était dénuée de toute discrimination, l’arbitre n’a pas cherché à savoir si les renseignements sur lesquels le lieutenant‑colonel Gould s’était appuyé avaient été influencés par une attitude discriminatoire de son subordonné, qui avait joué un rôle dans le traitement discriminatoire antérieur du fonctionnaire et qui n’a pas témoigné dans la présente affaire.

[72] Je reconnais que le dossier présenté à l’arbitre dans la présente était étoffé et que les tribunaux ne sont pas tenus d’aborder chacun des arguments soulevés par les parties; cependant, le processus qui a débouché sur le licenciement du fonctionnaire est le différend factuel principal en cause dans la portion du grief que nous analysons actuellement. Le défaut d’analyser les allégations du fonctionnaire à cet égard constitue une omission qui revêt un caractère déraisonnable. Malgré la retenue qui s’impose dans les circonstances, il faut admettre que l’arbitre a commis une erreur en rendant sa décision uniquement en fonction de l’argument des contraintes financières et sans se prononcer sur les raisons pour lesquelles c’est le fonctionnaire qui a été victime de ces contraintes.

[…]

[121] […] l’arbitre souhaite de toute évidence que l’employeur apporte des changements structurels pour faire en sorte qu’il n’y ait plus à l’avenir d’autres défaillances en matière de mesures d’adaptation. Les motifs de l’arbitre donnent aussi une idée des changements qui, à son avis, entraîneraient ce résultat : plus d’appui de la part d’experts et de spécialistes du domaine accordé aux gestionnaires afin d’aider ces derniers à assumer leurs obligations en matière de mesures d’adaptation.

[122] Même s’il a traité de cette façon des questions touchant les mesures de réparation systémiques, l’arbitre a refusé de rendre une ordonnance à cet effet pour les raisons suivantes : 1) c’est le défaut de respecter la politique et non le contenu de la politique qui a entraîné le défaut de fournir des mesures d’adaptation et 2) l’intervention proposée ne serait pas suffisante pour éviter le type de discrimination dont le fonctionnaire avait été victime.

[123] En ce qui concerne la première raison, le fait que les politiques de l’employeur auraient pu empêcher la discrimination si elles avaient été correctement respectées n’empêchait pas l’arbitre de rendre une ordonnance prévoyant des mesures de réparation systémiques (voir Canada (Procureur général) c Green, [2000] 4 CF 629, [2000] ACF no 778, où le TCDP a ordonné la prise de mesures de réparation systémiques afin que les employeurs « [apprennent] à appliquer efficacement leurs propres directives » (au paragraphe 135); décision confirmée par la Cour). Étant donné que les conclusions de l’arbitre touchent clairement des questions d’intérêt public, comme les ressources auxquelles a accès le gestionnaire, ce raisonnement n’est pas très logique.

[124] En ce qui concerne la seconde raison, soit la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’imposition de mesures de réparation systémiques n’aurait pas empêché la discrimination dont le fonctionnaire avait été victime, elle contredit sa propre conclusion dans la décision sur le fond. En effet, l’arbitre a lié le défaut de fournir les mesures d’adaptation nécessaires au fonctionnaire à l’ignorance de M. Lord quant à la façon de fournir des mesures d’adaptation et d’utiliser les ressources existantes à cette fin. Je ne comprends tout simplement pas de quelle façon la formation des gestionnaires sur leurs obligations en matière de mesures d’adaptation n’aiderait pas à éviter que ces derniers ignorent leurs obligations en matière de mesures d’adaptation.

[…]

8 Ni la Cour fédérale, dans sa décision, ni les parties n’ont remis en question ma compréhension des éléments de preuve présentés par les parties. Ces éléments de preuve ont été résumés comme suit dans 2011 CRTFP 33, aux paragraphes 6 à 46 :

II. Résumé de la preuve

[6] Les parties ont présenté 48 documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné à l’audience. L’employeur a aussi fait témoigner Frederick Lord et le lieutenant‑colonel Darwin Gould. M. Lord a embauché le fonctionnaire et a été son gestionnaire pendant son séjour à la BFC de Trenton. De 2004 à 2006, le lieutenant-colonel Gould était un des commandants de la BFC de Trenton. Quelque 800 militaires et employés civils relevaient directement ou indirectement de lui. Le service dans lequel le fonctionnaire travaillait relevait ultimement du lieutenant-colonel Gould; c’est le lieutenant‑colonel Gould qui a pris la décision de le licencier.

[7] La plupart de la preuve présentée par les parties n’a pas été contredite, même si les parties auraient pu en tirer des conclusions différentes. Je vais résumer la preuve de façon thématique, en me concentrant surtout sur les événements et sur les éléments relatifs à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur et à la discrimination, de même qu’à la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire.

A. Contexte

[8] Le fonctionnaire est malentendant depuis sa naissance; il est également mal-parlant. Sa première langue est l’American Sign Language (ASL). Sa langue seconde est l’anglais, qu’il a appris à l’école. Même s’il peut fonctionner en anglais écrit, il a de la difficulté à comprendre certains termes anglais qui n’existent pas en ASL, un langage visuel qui a sa propre grammaire et syntaxe (ordre des mots) et qui se distingue du langage parlé.

[9] D’après la Société canadienne de l’ouïe (SCO), les interprètes professionnels en ASL qui maîtrisent la langue et la culture des malentendants aussi bien que celles des personnes qui entendent, font le pont entre ceux qui s’expriment en ASL et les locuteurs anglophones. La SCO déclare que l’employeur qui a des interactions avec un employé malentendant dont la première langue est l’ASL devrait avoir recours à un interprète compétent en ASL pour les entrevues, les réunions, les séances de formation, les rencontres disciplinaires et les évaluations de rendement. Un interprète qualifié en ASL peut interpréter l’esprit et l’intention de tout ce qui est communiqué par le geste et la parole. Le dactylangage, le sous-titrage en temps réel et les notes manuscrites sont utiles dans bien des situations, mais, selon la SCO, les courts messages écrits peuvent aboutir à des communications incomplètes.

[10] Le fonctionnaire a obtenu un diplôme de technicien en génie de la construction du Loyalist College en 1997. De 1998 à 2002, il a occupé plusieurs postes à Terre-Neuve, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Le 28 avril 2003, dans le cadre d’un programme d’équité en matière d’emploi, il a été embauché à contrat pour une période déterminée comme dessinateur à la BFC de Trenton. À l’époque, l’employeur n’avait pas atteint son pourcentage cible d’employés embauchés dans le cadre des programmes d’équité en matière d’emploi et savait parfaitement que le fonctionnaire était malentendant et mal-parlant.

[11] La plupart du temps, les communications entre le fonctionnaire et ses clients se faisaient par courriel. Les clients lui envoyaient leurs demandes directement ou indirectement par courriel. Le fonctionnaire leur demandait, au besoin, des précisions par courriel, il effectuait le travail et il informait les clients par courriel quand il avait terminé.

[12] À la date d’échéance, le premier contrat du fonctionnaire a été renouvelé pour une période déterminée, et ce, à huit reprises et sans interruption de service. Son dernier contrat devait expirer le 28 avril 2006, mais le fonctionnaire a été informé le 21 mars 2006 que son contrat prendrait fin le 24 avril 2006, l’empêchant alors d’atteindre trois années d’emploi continu.

[13] Comme dessinateur DD-03, le travail du fonctionnaire à la BFC de Trenton consistait à effectuer des inspections sur place, à prendre des mesures des bâtiments et des installations, à faire des dessins conformément aux critères de planification et aux normes de conception pour satisfaire aux exigences des projets, à contribuer à offrir les services de soutien des levés sur place, à aider le personnel chargé des applications de logiciels de conception et de dessin assistés par ordinateur (CDAO), à produire les ensembles de dessins demandés par les clients, à produire des plans et des copies grand format sur des imprimantes et des photocopieuses spéciales et à mettre à jour les dessins électroniques et manuels à l’aide d’applications CDAO.

[14] Quand le fonctionnaire a commencé à travailler à la BFC de Trenton, on n’a jamais discuté de ses besoins d’adaptation. Il était évident pour M. Lord que le fonctionnaire était malentendant, et le fonctionnaire savait que M. Lord était au courant. M. Lord n’a pas reçu d’instruction à cet égard et n’a pas été sensibilisé par les spécialistes de l’équité en matière d’emploi ou des ressources humaines de l’employeur aux besoins d’un employé malentendant.

B. Rendement du fonctionnaire

[15] Au quotidien, le fonctionnaire était supervisé par Evan Hendry, un DD-05 qui relevait de M. Lord. Le premier rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire a été produit le 5 mai 2004 et le second le 29 avril 2005.

[16] MM. Hendry et Lord ont évalué le rendement du fonctionnaire en mai 2004 pour sa première année d’emploi. Le fonctionnaire a satisfait à tous les critères liés à son rendement mais devait améliorer sa souplesse et son adaptabilité. La partie narrative de ce rapport d’évaluation du rendement comprend ce qui suit :

[Traduction]

M. Stringer a grandement amélioré ses aptitudes en dessin ADT CDAO. Il fait l’effort requis pour produire des dessins précis, structurés et complets. Ses aptitudes d’utilisation des instruments doivent s’améliorer, mais c’est essentiellement attribuable à la formation insuffisante qu’il a reçue jusqu’à présent. On peut se fier à M. Stringer pour répondre aux besoins de tous les clients, et il continue d’approfondir ses connaissances de nos imprimantes et de nos photocopieuses grand format.

[…]

M. Stringer continue d’améliorer ses connaissances et ses aptitudes en se servant d’ADT et de diverses autres techniques de CDAO. Il est méticuleux et a un grand souci du détail quand il met des dessins à jour. Il leur ajoute des détails, comme les occupants, l’utilisation de l’espace, les numéros des pièces et des mesures individuelles qui permettent au gestionnaire des biens immobiliers de maintenir l’exactitude des données RAIS. Il est très poli et courtois et il donne les renseignements pertinents aux clients internes et externes, comme en témoigne la lettre d’appréciation de huit membres du personnel AMS. Bien qu’il soit malentendant, il s’efforce de s’assurer que les communications dans les deux sens soient claires, concises et exactes. M. Stringer doit s’améliorer en sachant mieux s’adapter aux changements constants des priorités. Son poste exige beaucoup de souplesse et d’adaptation. Les changements des exigences doivent être traités avec professionnalisme et efficience. M. Stringer doit accroître sa confiance en lui-même en évitant de se laisser perturber par des commentaires qui ne devraient pas le viser ou n’avoir rien à voir avec ses responsabilités. Il doit savoir faire la différence entre une critique constructive et des commentaires de personnes qui ne sont pas conscientes des fonctions de son poste ni de la chaîne de commandement.

[17] MM. Hendry et Lord ont évalué le rendement du fonctionnaire en avril 2005, pour sa seconde année d’emploi. Le fonctionnaire a de nouveau satisfait à tous les critères liés à son rendement, mais il devait exprimer plus clairement des idées et de l’information par écrit. La partie narrative de ce rapport d’évaluation du rendement comprend ce qui suit :

[Traduction]

M. Stringer a travaillé diligemment et consciencieusement pendant la période visée par le rapport. Il s’efforce d’assurer l’exactitude de ce qu’il fait et de produire du travail professionnel. Bien qu’il soit malentendant, il est capable d’avoir des interactions efficientes avec ses pairs, ses superviseurs et ses clients. Il a une attitude engageante et s’entend bien avec tous ceux avec qui il a des contacts. Il continue à progresser dans son apprentissage des diverses disciplines du poste et, avec plus de formation, il a le potentiel d’accepter d’autres responsabilités.

[…]

Jeff a conscience qu’il doit limiter la mesure dans laquelle il interrompt les gens à leur lieu de travail lorsqu’il mesure un bâtiment. Ses dessins sont structurés, exacts et complets, et ils constituent de l’excellent travail de CDAO.

Ses aptitudes d’opérateur d’instruments se sont nettement améliorées cette année. L’ajout de la technologie de messages textes qu’on prévoit éliminera l’obstacle aux communications qui lui nuit actuellement.

Jeff a toujours une attitude amicale, courtoise et serviable avec les clients. Sa connaissance du sujet s’améliore et il est en mesure de répondre à la plupart des besoins des clients.

[…]

Jeff est conscient qu’il a besoin de formation pour maîtriser l’anglais écrit, mais cela n’a pas le moindrement affecté son rendement professionnel.

[18] M. Lord a témoigné que, lors de l’embauche du fonctionnaire, il n’était pas au courant des limites de celui-ci quant à ses aptitudes de rédaction de l’anglais. Entre novembre 2002 et avril 2003, de nombreux courriels ont été échangés entre le fonctionnaire et les représentants de l’employeur au sujet du processus d’embauche et de la date d’entrée en fonction de l’intéressé. Dans ces courriels, le fonctionnaire n’a pas démontré de faiblesses en anglais écrit; toutefois, sa conjointe révisait la plupart de ses courriels.

[19] En janvier 2006, M. Lord a décidé de faire évaluer les aptitudes en rédaction anglaise du fonctionnaire par le Loyalist College afin de lui offrir une formation adéquate. M. Lord a parlé de sa décision avec le fonctionnaire dans une rencontre qu’il a eue avec lui le 31 janvier 2006. Cette formation devait avoir lieu plus tard cette année-là, mais le fonctionnaire ne l’a jamais reçue parce qu’il a été licencié le 24 avril 2006.

[20] En 2008, le fonctionnaire a postulé à un poste de dessinateur à la BFC de Petawawa, en Ontario. Il n’a pas été embauché, en partie à cause de mauvaises références provenant de la BFC de Trenton. Le 4 mars 2009, Edna Yutronkie, une agente civile des ressources humaines de la BFC de Petawawa, lui a écrit un courriel dans lequel elle lui a expliqué pourquoi il n’avait pas obtenu le poste. Les extraits suivants du courriel de Mme Yutronkie portent expressément sur les références de la BFC de Trenton, également appelée « 8e Escadre » ([traduction] « M » signifie « Médiocre ») :

[Traduction]

[…]

Entregent – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il a de la difficulté à interagir et à travailler avec les collègues – La vérification des références au MPO a révélé qu’il était très amical et qu’il n’avait pas de problèmes dans ses rapports avec les autres […]

[…]

Fiabilité – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il quittait le travail avant l’heure et qu’il faisait du travail personnel pendant les heures de travail sans permission – La vérification des références au MPO a révélé qu’il était ponctuel […] La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il avait de la difficulté à composer avec le stress.

[…]

Jugement – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il est incapable de penser par lui-même – La vérification des références au MPO a révélé qu’il est capable d’identifier et d’évaluer les options possibles […]

[…]

 [21] C’est M. Lord qui a donné ces références pour la BFC de Trenton. Il a admis qu’elles n’étaient pas compatibles avec les deux rapports d’évaluation du rendement du fonctionnaire. Il a témoigné que les faiblesses du fonctionnaire étaient devenues plus évidentes dans sa dernière année d’emploi. Il se rappelait que le fonctionnaire lui avait déjà demandé sur quel bâtiment il devait travailler alors qu’il aurait dû le savoir sans avoir à le demander. M. Lord a déclaré que le fonctionnaire voulait peut-être savoir à quel bâtiment accorder la priorité. M. Lord se souvenait également d’avoir envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui rappeler l’horaire de travail, même s’il ne lui en avait jamais parlé. Après l’envoi de ce courriel, la situation quant à l’horaire de travail s’était améliorée.

C. Demandes d’interprètes en ASL

[22] Lorsqu’il avait besoin de services d’interprétation en ASL, l’employeur pouvait en obtenir du Bureau de la traduction, mais en payant lui-même les frais de déplacement. L’employeur pouvait également embaucher directement des interprètes en ASL locaux. Le tarif horaire de ces interprètes en ASL variait entre 40 $ et 50 $. Il y avait des interprètes en ASL compétents dans la région de Trenton.

[23] En novembre 2002, le fonctionnaire a assisté, à la BFC de Trenton, à une réunion au cours de laquelle on a parlé des modalités de son embauche. M. Lord était présent. Le fonctionnaire a demandé un interprète en ASL pour mieux comprendre certains des documents qui lui étaient présentés et pour être en mesure de poser facilement des questions. M. Lord a rejeté sa demande en déclarant au fonctionnaire qu’il avait intérêt à s’habituer à écrire. D’après le fonctionnaire, la plupart des documents qu’on lui avait présentés portaient sur l’équité en matière d’emploi. L’absence d’un interprète en ASL lui a causé des difficultés; il a dû signer les documents sans comprendre pleinement leur contenu.

[24]  Le fonctionnaire a également demandé un interprète en ASL afin d’être en mesure d’avoir une discussion exhaustive sur le contenu du rapport d’évaluation de son rendement de mai 2004. Sa demande a été rejetée sans explication. Il n’a pas voulu faire de vagues en contestant le rejet de sa demande; il ne voulait pas perdre son emploi. Le fonctionnaire a également demandé un interprète en ASL pour discuter du rapport de son évaluation de rendement d’avril 2005, et sa demande a été rejetée une fois de plus. En citant cette évaluation, le fonctionnaire a témoigné que des mots comme « diligemment », « consciencieusement », « s’efforce », « efficients », « concis », « contribution » et « potentiel » n’existent pas en ASL. Il avait besoin d’explications à propos du sens de ces mots.

[25] À l’audience, on a déposé des preuves démontrant que l’employeur avait fourni au fonctionnaire les services d’un interprète en ASL à diverses occasions :

  • formation sur la protection du dos : le 24 mai 2005, durée de 1 heure 45 minutes;
  • formation en lutte contre les incendies et Barbecue anniversaire du Génie militaire canadien : le 25 mai 2005, durée de 1 heure 45 minutes;
  • séminaire sur des logiciels à Toronto : le 31 mai 2005, durée de 4 heures 30 minutes;
  • formation sur la sensibilisation à l’éthique : le 30 juin 2005, durée de 3 heures;
  • formation sur le harcèlement : le 28 septembre 2005, durée de 2 heures 30 minutes;
  • présentation de primes de long service : le 15 décembre 2005, durée de 15 minutes;
  • rencontre avec le fonctionnaire : le 31 janvier 2006, durée de 2 heures;
  • séance mensuelle de février : le 22 février 2006, durée de 3 heures;
  • rencontre avec le fonctionnaire : le 22 mars 2006, durée non spécifiée;
  • rencontre avec un conseiller du service de la paie : le 6 avril 2006, durée de 6 heures.

[26] Il a été convenu qu’on offrirait au fonctionnaire des services d’interprétation en ASL pour des rencontres mensuelles avec lui à partir de février 2006. Ces rencontres avaient pour but de parler des préoccupations du fonctionnaire et de l’employeur et de préciser les exigences de son emploi. Ces rencontres pouvaient aussi inclure un exposé de cinq minutes sur la sécurité ou d’autres exposés ou discussions utiles. La rencontre de février a eu lieu, mais les autres, prévues pour le 15 mars, le 19 avril, le 17 mai et le 21 juin 2006, ont été annulées.

[27] Peu après avoir embauché le fonctionnaire, l’employeur lui a demandé d’assister à des réunions mensuelles portant sur la sécurité. Ces réunions duraient une quinzaine de minutes et donnaient aux employés de l’information et de la formation en matière de sécurité. En avril 2003, le fonctionnaire a demandé des services d’interprétation en ASL à ces réunions. L’employeur a rejeté sa demande, mais lui a donné accès à la documentation écrite et aux vidéos. Le fonctionnaire a témoigné qu’il y avait eu 14 de ces réunions en 2003 et en 2004; l’employeur ne lui a jamais fourni les services d’un interprète.

[28] Le 16 novembre 2005, M. Lord a informé le fonctionnaire et les autres employés qu’ils seraient tenus d’assister à une réunion au sujet d’un sondage sur le moral du personnel qui aurait lieu le 28 novembre 2005. Le fonctionnaire a demandé à M. Lord des services d’interprétation en ASL pour s’assurer de comprendre ce qui se dirait à la réunion. Lorsque le fonctionnaire est arrivé sur les lieux de la réunion et qu’il a constaté qu’il n’y avait pas de services d’interprétation en ASL, il a quitté la pièce et est retourné à son poste de travail. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était sorti de la pièce tranquillement. M. Lord, lui, a témoigné qu’il était [traduction] « rouge comme une tomate » et qu’il avait quitté la pièce d’un pas rageur.

D. Autres questions liées aux mesures d’adaptation

[29] M. Lord a témoigné qu’il n’était pas au courant, lors de l’embauche du fonctionnaire, de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation ni de ce qu’elles signifiaient. Il n’avait jamais lu la politique de l’employeur sur les mesures d’adaptation. Il ne savait pas comment obtenir les services d’un interprète en ASL, ni ce que cela supposait. Il n’y avait pas eu de discussions ni de communications exhaustives avec le fonctionnaire sur ses besoins d’adaptation au cours de ses premiers mois d’emploi, ce qui, admet M. Lord, aurait pu aider.

[30]  Le 4 juin 2003, M. Lord a envoyé un courriel aux employés qui auraient à communiquer avec le fonctionnaire et leur a demandé s’ils aimeraient recevoir de la formation en ASL. Il a déclaré que le fonctionnaire était malentendant, qu’il ne savait pas lire sur les lèvres et qu’il fallait écrire des notes et savoir s’exprimer un peu par signes pour communiquer avec lui. À l’été et à l’automne 2003, entre 8 et 10 collègues de travail du fonctionnaire ont assisté à des séances de formation en ASL, à raison d’une séance de deux heures par semaine pour une durée de 17 semaines. Le fonctionnaire n’a jamais demandé qu’on offre ces cours, mais il était reconnaissant envers son employeur pour ce geste. La formation, très élémentaire, était insuffisante pour pouvoir assurer des communications quotidiennes avec le fonctionnaire. Après la fin de ces séances, le fonctionnaire, ses collègues de travail et M. Lord ont donc continué à communiquer par écrit, soit sur papier, soit en échangeant des courriels.

[31] En avril ou en mai 2003, l’employeur a fourni un téléimprimeur au fonctionnaire pour l’aider à communiquer par téléphone avec ses collègues de travail et avec ses clients.

[32] Toujours en avril ou en mai 2003, l’employeur a fait installer une lumière stroboscopique à proximité du poste de travail du fonctionnaire pour s’assurer qu’il soit averti advenant le déclenchement de l’alarme d’incendie dans le bâtiment où il travaillait. L’employeur a également fait afficher une note pour informer les collègues du fonctionnaire qu’il était malentendant et qu’il aurait besoin d’aide si une alarme d’incendie se déclenchait.

[33]  L’employeur a fourni au fonctionnaire une carte d’identité qu’il pouvait présenter aux autres employés lorsqu’il entrait dans un bâtiment pour y prendre des mesures dans le cadre de son travail. Des renseignements sur l’état du fonctionnaire et sur ses fonctions à la BFC de Trenton figuraient sur cette carte.

[34] Vers la fin de 2005, M. Hendry a demandé que le fonctionnaire et lui-même soient équipés de Blackberries pour pouvoir communiquer plus facilement en échangeant des messages textes. M. Lord a témoigné que le personnel de la BFC de Trenton n’était pas équipé pour échanger des messages textes à l’époque. Le fournisseur de télécommunications a fait les changements nécessaires, et les Blackberries demandés ont été livrés en mars 2006. Le fonctionnaire s’est alors fait remettre un livret d’instructions pour savoir comment se servir de son Blackberry. Il a demandé un interprète en ASL pour l’aider à comprendre les instructions. M. Lord a refusé et lui a écrit ce qui suit : [traduction] « Lis le maudit manuel. »

[35] Le 16 janvier 2006, le fonctionnaire a demandé à M. Lord de le rencontrer pour parler de questions liées au travail. Il a précisé que la rencontre durerait de une à deux heures et qu’un interprète en ASL serait présent. Le 20 janvier 2006, M. Lord a demandé au fonctionnaire de lui fournir une liste détaillée des questions qui le préoccupaient en prévision de cette rencontre pour l’aider à y répondre. Le fonctionnaire a remis cette liste à M. Lord. La rencontre a eu lieu le 31 janvier 2006, entre le fonctionnaire, M. Lord, un représentant de l’agent négociateur, un représentant du service d’équité en matière d’emploi, un conseiller en ressources humaines et le major D.A. Scherr. C’est M. Lord qui en a rédigé le compte rendu, déposé en preuve à l’audience. Le major Scherr a déclaré que l’anglais était une exigence du poste du fonctionnaire et que celui-ci avait dit connaître la langue anglaise quand il a signé son premier contrat d’emploi. Le major Scherr a recommandé au fonctionnaire de prendre des cours d’anglais, en déclarant que l’employeur lui en rembourserait le coût. Le fonctionnaire a dit qu’il avait besoin, à l’occasion, de services d’interprétation en ASL, plus particulièrement pour communiquer de façon approfondie. L’employeur a accepté de répondre à ses besoins, en déclarant toutefois estimer que les adaptations d’équité en matière d’emploi [traduction] « ne devraient pas être des caprices ». Le major Scherr a informé le fonctionnaire qu’il lui fournirait des services d’interprétation en ASL pour une rencontre mensuelle qui pourrait servir à des communications plus approfondies avec lui. Il a déclaré que cette mesure ne devait pas être considérée [traduction] « comme une béquille » pour le fonctionnaire, qu’il devrait plutôt améliorer ses aptitudes en anglais.

[36] Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était senti blessé, insulté et victime de discrimination par les propos du représentant de l’employeur lors de cette rencontre du 31 janvier 2006. Ses aptitudes en anglais n’ont jamais nui à son travail et elles étaient soudainement devenues un problème pour l’employeur. Le fonctionnaire était convaincu qu’il n’avait pas été [traduction] « capricieux ». Il a simplement demandé un interprète en ASL et il a eu l’impression que l’employeur [traduction] « en avait assez ». Quand l’employeur a comparé le recours à l’interprétation en ASL à une béquille, le fonctionnaire a eu l’impression que le plancher [traduction] « s’était effondré sous ses pieds ».

[37] Le fonctionnaire a également témoigné qu’il s’était senti humilié ou personnellement rabaissé plusieurs fois au cours de son emploi quand l’employeur refusait de prendre des mesures d’adaptation pour lui, la plupart du temps en rejetant ses demandes d’interprétation en ASL quand il en avait besoin.

E. Reconduction au statut d’employé nommé pour une période indéterminée

[38] Le fonctionnaire a témoigné que M. Lord lui avait dit qu’il serait nommé pour une période indéterminée à l’expiration de son contrat le 28 avril 2006. Il a déclaré qu’on lui avait aussi dit qu’il n’aurait pas à se porter candidat à un concours et qu’il serait préférable qu’il attende simplement sa reconduction pour obtenir le statut d’employé nommé pour une période indéterminée. M. Lord a témoigné qu’il avait peut-être dit cela au fonctionnaire. C’est également lui qui a rédigé le compte rendu de la rencontre du 31 janvier 2006. Il a écrit ce qui suit à la question 20 de ce compte rendu :

[Traduction]

20. M. Stringer craint qu’on ne le garde pas à l’expiration de son contrat, le 28 avril. Le major Scherr déclare que le contrat n’a rien à voir, qu’il fera l’objet d’une reconduction après trois ans et qu’il aura une nomination pour une période indéterminée. M. Birney dit qu’il n’y a pas de stage probatoire à la reconduction et que ce n’est pas une question liée à la probation.

[39] Plusieurs documents déposés à l’audience montrent que l’employeur éprouvait des difficultés avec le budget de son enveloppe des traitements et salaires à la BFC de Trenton. Le compte rendu de la réunion du Comité des relations syndicales-patronales du 6 décembre 2005 révèle un déficit de 1,6 million de dollars en ce qui a trait au budget de cette enveloppe pour l’exercice 2005-2006 et précise qu’on prévoyait un autre déficit, de 1,2 million de dollars, pour l’exercice 2006-2007.

[40]  Le lieutenant-colonel Gould a décidé de résilier le contrat d’emploi du fonctionnaire. L’employeur n’avait pas assez de fonds dans son budget pour garder tous ses employés nommés pour une période déterminée et il devait établir des priorités. Le major Scherr a informé le lieutenant-colonel Gould que le poste du fonctionnaire n’était pas une grande priorité pour la BFC de Trenton. Le lieutenant-colonel Gould a souscrit à l’opinion du major Scherr et a donc décidé de résilier le contrat du fonctionnaire avant qu’il vienne à expiration. Il a témoigné que c’était la seule raison pour laquelle il avait décidé de résilier le contrat du fonctionnaire, en déclarant que rien d’autre n’avait influé sur sa décision. En contre-interrogatoire, le lieutenant-colonel Gould a déclaré que le contrat du fonctionnaire avait été raccourci de quelques jours pour faire en sorte qu’il ne devienne pas un employé nommé pour une période indéterminée. Il a également affirmé que, n’eût été des restrictions financières, le fonctionnaire aurait été nommé pour une période indéterminée. Après avoir décidé que le poste du fonctionnaire n’était pas prioritaire, l’employeur n’a pas essayé de lui trouver un autre poste.

[41] Le fonctionnaire a présenté des preuves que deux employés embauchés dans le cadre de l’équité en matière d’emploi avaient été nommés pour une période indéterminée à peu près au moment même où son contrat avait été résilié. Un de ces employés occupait un poste classifié AS-04 et l’autre un poste classifié CR-04.

[42] L’employeur a déposé en preuve une présentation envoyée par la BFC de Trenton au Quartier général du ministère de la Défense nationale (MDN) au sujet du déficit de son enveloppe salariale. Le lieutenant-colonel Gould a brièvement expliqué cette présentation. Le 2 juin 2005, on a attribué des points à des postes occasionnels et à durée déterminée en fonction de leur priorité. Le nombre de points variait entre 175 pour les postes les moins prioritaires et 750 pour les postes les plus prioritaires. Le poste du fonctionnaire s’est vu attribuer 350 points. Les parties n’ont présenté aucune preuve sur ce qui était arrivé aux occupants des postes auxquels on avait attribué 350 points ou moins.

[43] Le fonctionnaire a déposé en preuve une liste de postes vacants en 2006 à la BFC de Trenton. On peut y lire les noms des employés embauchés pour doter les postes vacants et les dates d’embauche. La liste comprend deux postes classifiés DD-04, mais n’indique pas si ces postes étaient dotés ou s’ils étaient vacants. Le fonctionnaire a déposé en preuve une seconde liste semblable à la première, mais avec des codes de différentes couleurs. Il s’est servi de ces codes de couleurs pour identifier les postes au sujet desquels il avait de la documentation et ceux qui relevaient du commandant de la BFC de Trenton.

[44]  Le fonctionnaire a présenté en preuve deux affiches de Service Canada annonçant des emplois. Il s’agissait dans les deux cas de travail chez Addeco, une agence de placement qui fournissait régulièrement du personnel à la BFC de Trenton. La première affiche annonçait un poste de dessinateur et contenait le résumé d’une description de travail très semblable à celui que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton. La date de clôture des demandes d’emploi était le 18 juillet 2007. La seconde affiche annonçait deux postes d’ingénieurs arpenteurs. La description sommaire du travail était partiellement comparable à celle du travail que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton, et la date de clôture des demandes d’emploi était le 25 octobre 2007. Le fonctionnaire a également déposé en preuve une affiche annonçant un poste de technologue des systèmes d’information géographique (SIG) classifié EG-03, lui aussi à la BFC de Trenton. Même si le document déposé à l’audience ne précisait pas de date de clôture des demandes, il avait été mis à jour le 9 juin 2008. Il y a quelques ressemblances entre ce travail et celui que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton, mais aussi d’importantes différences. Cela dit, le fonctionnaire a également déposé en preuve une liste de postes d’ingénieur civil annoncés ou affichés entre 2001 et 2009 aux Écoles d’architecture et de sciences de la construction du Loyalist College. Cette liste comprend un poste de dessinateur, un poste de technicien en SIG et un poste de technicien en GPS (système de positionnement global) à la BFC de Trenton.

[45] Pendant que le fonctionnaire travaillait comme dessinateur à la BFC de Trenton, l’employeur avait décidé d’embaucher deux autres dessinateurs d’Addeco pour faire le même travail que lui. La preuve documentaire présentée à l’audience m’incite à croire que le premier de ces employés avait travaillé d’octobre 2005 à février 2006 et que le second de février au début d’avril 2006.

[46] M. Lord a témoigné que personne n’avait été embauché pour remplacer le fonctionnaire après son licenciement en avril 2006. Son poste était resté vacant. Le travail qu’il faisait avant 2006 n’est pas disparu; il s’est simplement accumulé. Quand on a un besoin urgent de mettre à jour des mesures, des plans de bâtiments ou des dessins, le travail est fait par d’autres employés qui ont les aptitudes nécessaires.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

9 Le fonctionnaire a passé en revue la preuve déposée lors de l’audience de 2010 et a réitéré certains des arguments qu’il avait présentés à cette audience et à l’audience de 2011 portant sur les mesures de redressement.

10 Le fonctionnaire a allégué que la décision de l’employeur de mettre fin à son contrat d’emploi était empreinte de discrimination et basée sur une recommandation qui lui avait été faite par les deux gestionnaires qui avaient directement fait preuve de discrimination à son encontre. L’argument fourni par l’employeur que la décision était motivée par des contraintes financières était simplement un prétexte pour mettre fin à son emploi pour des raisons discriminatoires.

11 Le fonctionnaire a fait valoir que, dans la plupart des cas, il est difficile de prouver que de la discrimination est à l’origine de la cessation d’une relation de travail. En l’espèce, il n’y a aucune preuve directe que la décision prise par l’employeur de licencier le fonctionnaire était discriminatoire. Cependant, il y a des éléments de preuve directs que le major D.A. Scherr et Frederick Lord se sont livrés à de la discrimination directe contre le fonctionnaire et que la décision de le licencier reposait sur la recommandation du major Scherr et de M. Lord de ne pas accorder la priorité au poste occupé par le fonctionnaire au moment du classement, par ordre de priorité, des postes occupés par des employés nommés pour une période déterminée.

12 L’employeur a résilié le contrat du fonctionnaire quatre jours avant qu’il aurait obtenu le statut d’employé nommé pour une période indéterminée. À l’origine, il avait été engagé en tant que membre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi. Cependant, l’employeur n’a pas tenu compte de l’équité en matière d’emploi lorsqu’il a décidé de résilier son contrat.

13 Le fonctionnaire affichait un bon rendement dans le cadre de son emploi. Ses évaluations de rendement confirmaient qu’il avait satisfait à toutes les exigences du poste. Au début de 2006, l’employeur a commencé à être moins satisfait de certains aspects de son rendement, comme son manque de maîtrise de la langue anglaise et certains aspects mineurs de son travail. Ce changement d’attitude a coïncidé de manière significative avec l’intensification des efforts du fonctionnaire pour obtenir des mesures d’adaptation.

14 L’employeur a dit au fonctionnaire qu’il deviendrait un employé permanent et qu’il n’était pas nécessaire pour lui de se porter candidat à un concours pour obtenir un emploi permanent. Il serait plutôt reconduit de son emploi de durée déterminée à un emploi permanent une fois qu’il atteindrait trois ans d’emploi continu. En juillet 2005, même s’il était conscient de ses contraintes financières, l’employeur a prolongé le contrat d’emploi de durée déterminée pour lui permettre d’atteindre la limite de trois ans. Par la suite, l’employeur a écourté le contrat d’emploi du fonctionnaire de quatre jours, ce qui l’a empêché de devenir un employé permanent. Cette décision était entachée de discrimination.

15 Le fonctionnaire m’a aussi rappelé les mesures de redressement systémiques qu’il m’avait demandé de mettre en place pour éviter la répétition d’actes discriminatoires de cette nature à l’avenir, et un renforcement des pratiques en matière d’adaptation à la BFC de Trenton. Ces mesures de redressement devraient inclure ce qui suit :

  • qu’il soit ordonné à l’employeur de réviser ses politiques en matière d’adaptation, tant de manière générale que celles ayant trait en particulier aux personnes malentendantes;
  • que l’employeur établisse des mécanismes pour s’assurer que tous ses employés et gestionnaires de la BFC de Trenton reçoivent la formation, les conseils et l’aide qui s’imposent au sujet des mesures d’adaptation destinées en général à toutes les personnes atteintes d’une déficience ou d’une incapacité, et en particulier aux personnes malentendantes;
  • que l’employeur dispose d’experts chargés de former, de sensibiliser et d’éduquer les anciens gestionnaires du fonctionnaire ainsi que les personnes qui les succèdent et les autres gestionnaires, au sujet de leur obligation en matière d’adaptation;
  • que ces mesures soient présentées aux fins d’étude et d’approbation au fonctionnaire ainsi qu’à l’agent négociateur, et qu’elles soient élaborées en consultation avec la CCDP;
  • que ces mesures soient mises en place au plus tard dans un délai de six mois.

16 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 25; Association des sourds du Canada c. Canada, 2006 CF 971; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4; Milano c. Triple K Transport Ltd., 2003 TCDP 30; Richards c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 TCDP 24; Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] T.C.D.P. no 2; Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 1244; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (ministère de la Santé et du bien-être social), (1998), 146 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.); Chopra c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 787; Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10; Holden c. Compagnie des chemins de fer du Canada, [1990] A.C.F. no 419 (C.A.F.) (QL); Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495; Koeppel c. Canada (ministère de la Défense nationale), [1997] T.C.D.R. no 5 (QL); Larente c. Société Radio-Canada, 2002 TCDP 11; Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48; Norrena v. Primary Response Inc., 2013 HRTO 1175; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27; Singh c. Statistique Canada, [1998] T.C.D.P. no 7 (QL).

B. Pour l’employeur

17 L’employeur a également passé en revue certains des éléments de preuve déposés à l’audience de 2010 et les arguments qu’il a présentés à cette occasion et lors de l’audience de 2011 à propos des mesures de redressement.

18 L’employeur a fait valoir qu’il n’avait aucune intention discriminatoire derrière sa décision d’accorder une priorité inférieure au poste du fonctionnaire et de mettre fin à son emploi de durée déterminée. En prétendant le contraire, le fonctionnaire tient des propos purement hypothétiques. Selon l’employeur, si je me fonde sur les éléments de preuve qui m’ont été soumis, il est clair qu’ils n’appuient pas l’argument avancé par le fonctionnaire.

19 L’employeur faisait face à de sérieuses contraintes financières à l’époque et était obligé de réduire le nombre de ses employés. La preuve montre que le poste occupé par le fonctionnaire était un poste de faible priorité et c’est pour cela que l’employeur a décidé de mettre fin à son emploi. Cette décision a été prise par la haute direction et non pas par les gestionnaires dont il a été déterminé qu’ils avaient fait preuve de discrimination à l’encontre du fonctionnaire. Le fonctionnaire n’a jamais été remplacé après son départ.

20 Subsidiairement, l’employeur a soutenu que je n’avais pas la compétence pour ordonner le rétablissement du fonctionnaire dans son poste. Si j’arrivais à la conclusion que la décision de l’employeur était entachée de discrimination, la seule chose que je pourrais faire est d’ordonner à l’employeur de verser quatre jours de salaire au fonctionnaire, puisque son contrat d’emploi initial devait prendre fin quatre jours après son licenciement. Un arbitre de grief n’a pas le pouvoir de nommer un employé à un poste ou d’ordonner à l’employeur de nommer un employé.

21 L’employeur a soutenu que je n’avais pas la compétence en vertu du paragraphe 226(1) de la Loi de rendre une ordonnance prévoyant des mesures de redressement systémiques tel que demandé par le fonctionnaire. L’alinéa 226(1)h) de la Loi traite en particulier du pouvoir de l’arbitre de grief en ce qui a trait à la LCDP et restreint ce pouvoir à celui d’ordonner les mesures de redressement conformément aux dispositions de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la LCDP. Il a plaidé qu’il est évident que le législateur a voulu restreindre les pouvoirs des arbitres de grief à ces seules mesures. Subsidiairement, l’employeur a fait valoir que la preuve ne dénote pas un problème systémique. Selon lui, afin de respecter la décision rendue par la Cour fédérale, il serait suffisant pour l’arbitre de grief d’expliquer, de façon plus détaillée, pourquoi des mesures de redressement systémiques ne sont pas adéquates en l’espèce. De plus, il s’agissait d’un cas isolé qui est survenu il y a plusieurs années.

22 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Canada (Procureur général) c. Johnstone et Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CF 113; Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Canada (Procureur général) c. Cameron et Maheux, 2009 CF 618; Spencer c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1395; Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73; Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-02-19981 (19901207); Canada (Procureur général) c. Uzoaba et la Commission canadienne des droits de la personne, [1995] 2 C.F. 569 (1re inst.).

III. Motifs

A. La décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé était-elle entachée de discrimination? 

23 Dans 2013 CF 735, la Cour fédérale a annulé ma décision relative au licenciement du fonctionnaire et me l’a renvoyée pour que je la soumette à un nouvel examen. La Cour a déclaré qu’il faut vérifier s’il y avait une intention discriminatoire derrière la décision de licencier le fonctionnaire pour des raisons financières et d’accorder une priorité peu élevée au poste qu’il occupait. La Cour a conclu que je n’avais pas répondu aux arguments du fonctionnaire selon lesquels la recommandation d’accorder une priorité peu élevée à son poste était faite par les mêmes personnes, à savoir M. Lord et le major Scherr, qui avaient fait preuve de discrimination à son encontre et que d’autres employés occupant des postes non prioritaires avaient été embauchés pour une période indéterminée à cause de considérations liées à l’équité en matière d’emploi.

24 En ce qui concerne le deuxième de ces points, en toute déférence à la Cour, les éléments de preuve n’appuient pas l’affirmation que des employés occupant des postes non prioritaires avaient été embauchés pour une période indéterminée en raison de considérations liées à l’équité en matière d’emploi. J’ai examiné à fond la preuve présentée par les parties à l’audience portant sur le bien-fondé des griefs et je n’ai pas été en mesure de trouver une telle preuve. La preuve indique seulement que deux employés engagés à l’origine pour une durée déterminée, un au niveau CR-04 et un autre au niveau AS‑04, ont été nommés pour une période indéterminée à cause de considérations liées à l’équité en matière d’emploi, mais elle n’indique pas que ces postes étaient des postes non prioritaires ou qu’ils revêtaient une priorité moins élevée que le poste occupé par le fonctionnaire.

25 Pour ce qui est du premier de ces deux points, la Cour fait observer que je n’ai pas pris en considération le fait que la recommandation de ne pas accorder la priorité au poste du fonctionnaire avait été faite par les gestionnaires qui avaient eu un comportement discriminatoire à l’égard du fonctionnaire. Dans les quelques prochains paragraphes, je rectifierai cette omission.

26 Le 22 juillet 2005, le contrat d’emploi pour une période déterminée du fonctionnaire a été prolongé jusqu’au 28 avril 2006. Normalement, il aurait été reconduit au statut d’employé nommé pour une période indéterminée cette journée-là, puisqu’il aurait terminé trois années d’emploi continu. Or, le 21 mars 2006, le major Scherr a écrit au fonctionnaire qu’à cause de contraintes financières dans le budget des salaires, ses services ne seraient plus requis à compter du 24 avril 2006. Ainsi, le fonctionnaire n’a pas pu être nommé pour une période indéterminée. Même si la lettre était signée par le major Scherr, la preuve montre que la décision de ne pas engager le fonctionnaire pour une période indéterminée a été prise par le lieutenant‑colonel Gould.

27 Lorsqu’il a pris sa décision, le lieutenant-colonel Gould s’est fié, à un degré élevé, aux recommandations formulées par le major Scherr et M. Lord, qui étaient davantage au courant de l’importance des postes dans leurs sphères de responsabilité respectives. Les postes ont été classés à l’aide d’un système de points. Aucune preuve n’a été soumise à l’audience quant à la méthode précise utilisée pour attribuer les points aux postes. L’employeur a produit en preuve un document daté du 6 juin 2005 montrant l’attribution des points. Les points totaux attribués résultaient de la multiplication de deux valeurs : [traduction] « critères » et « gravité ». Aucune explication n’est fournie qui permet de comprendre le sens de ces concepts. Sous « critères », les scores vont de 15 à 50 et sous « gravité », de 5 à 15. Le poste du fonctionnaire a reçu 35 et 10 points, respectivement, ce qui donnait un total de 350 points. En ce qui concernant les autres postes évalués, les points allaient de 175 à 750 points.

28 Ce système d’attribution de points est un exercice assez subjectif qui aurait pu être influencé par une attitude négative ou discriminatoire à l’encontre du titulaire du poste, dans ce cas-ci, le fonctionnaire. Toutefois, mon analyse de la preuve n’appuie pas un tel scénario.

29 D’après la preuve, l’attribution des points s’est faite au début de juin 2005. À l’époque, la relation entre le fonctionnaire et ses supérieurs était assez positive. Le 29 avril 2005, un certain M. Hendry et M. Lord ont évalué de façon très positive le rendement du fonctionnaire. M. Lord, en tant qu’agent chargé de l’examen, a affirmé que le fonctionnaire avait travaillé diligemment et consciencieusement, qu’il avait produit du travail professionnel et que s’il suivait de la formation supplémentaire, il aurait le potentiel d’accepter d’autres responsabilités. M. Lord a écrit ces commentaires cinq semaines avant qu’on évalue le poste du fonctionnaire et qu’on lui attribue 350 points.

30 Tel que signalé plus haut, le contrat de durée déterminée du fonctionnaire a été renouvelé huit fois, sans interruption du service. Ce qui est particulièrement intéressant est que l’un des contrats d’emploi de durée déterminée du fonctionnaire devait expirer le 31 mars 2005. Le 7 avril 2005, il a été prolongé au 30 juin 2005, puis au 30 juillet 2005. Le 22 juillet 2005, il a été prolongé au 28 avril 2006. Ces décisions de prolonger l’emploi de durée déterminée du fonctionnaire ont été prises durant la même période où a été prise la décision d’attribuer 350 points à son poste. Je devrais rappeler au lecteur que si le dernier renouvellement du contrat avait eu lieu tel que prévu, le fonctionnaire serait devenu un employé nommé pour une durée indéterminée. Cela montre clairement que durant l’été 2005, l’intention de l’employeur était de garder le fonctionnaire parmi ses effectifs et de lui donner un emploi de durée indéterminée; sinon, son contrat n’aurait pas été prolongé jusqu’au 28 avril 2006. De plus, M. Lord avait dit au fonctionnaire qu’il serait reconduit au statut d’employé nommé pour une durée indéterminée après trois ans d’emploi. Le major Scherr lui a dit la même chose lors d’une réunion le 31 janvier 2006.

31 Après janvier 2006, la situation a changé. Le lieutenant-colonel Gould a témoigné qu’il n’avait pas suffisamment de fonds dans son budget pour garder tous les employés engagés pour une durée déterminée. La preuve montre que les postes avaient déjà été classés par ordre de priorité en juin 2005. Elle montre aussi qu’en février ou mars 2006, en utilisant la liste de juin 2005, on avait décidé que le poste occupé par le fonctionnaire ne revêtait pas une priorité élevée pour la BFC de Trenton. Le lieutenant-colonel Gould a précisé, durant son témoignage, que c’était la seule raison pour laquelle il avait mis fin au contrat du fonctionnaire et que rien d’autre n’avait contribué à sa décision. Dans ma décision de mars 2011, j’ai écrit que je le croyais. Après avoir analysé davantage la preuve, je continue de le croire.

32 La question demeure de savoir pourquoi on avait promis au fonctionnaire qu’on l’embaucherait pour une période de durée indéterminée. Il convient de noter qu’en juillet 2005, on a prolongé son contrat jusqu’au 28 avril 2006, ce qui lui aurait permis d’être engagé pour une durée indéterminée. Cette prolongation s’est faite après que l’on avait accordé 350 points à son poste, dans la liste des priorités. Étant donné qu’il n’y avait aucune preuve que des employés engagés pour une période déterminée dans des postes auxquels on avait attribué 350 points ou moins avaient obtenu une prolongation, il est possible que l’évaluation faite par l’employeur de sa situation financière ait changé durant l’été de 2005 et la fin de l’hiver de 2006. En d’autres termes, il est possible que l’intention durant l’été de 2005 était de garder les employés engagés pour une période déterminée dans les postes qui avaient été évalués comme méritant 350 points, mais qu’en février 2006, la situation financière avait changé et rendait cela impossible.

33 La preuve montre qu’après le licenciement du fonctionnaire, son poste est resté vacant. Le travail qu’il accomplissait s’est simplement accumulé ou a été accompli par d’autres employés selon le besoin lorsqu’il était nécessaire de mettre à jour des plans de bâtiments. Au moment où s’est tenue l’audience de 2010, le poste n’avait toujours pas été comblé. L’employeur a fait valoir à cette audience qu’en octobre 2013, on n’avait toujours pas doté le poste. Il en était ainsi six ans et demi après le licenciement du fonctionnaire. Le fonctionnaire n’a pas contesté l’affirmation de l’employeur sur ce point.

34 La preuve et l’ordre chronologique des événements m’amènent à croire que la discrimination n’a joué aucun rôle dans la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire. Je crois l’explication de l’employeur selon laquelle la décision de mettre fin au contrat du fonctionnaire était motivée par des raisons financières et n’était pas entachée de discrimination. Même si, à certains moments, M. Lord et le major Scherr se sont livrés à de la discrimination à l’encontre du fonctionnaire en refusant de lui fournir des services d’interprétation en American Sign Language (ASL) ou en tenant des propos ou écrivant des commentaires peu appropriés, la preuve ne montre pas que le niveau de priorité qu’ils ont attribué au poste du fonctionnaire en juin 2005 était influencé ou motivé par de la discrimination. Dans le même ordre d’idée, la décision du lieutenant-colonel Gould de licencier le fonctionnaire n’était pas empreinte de discrimination.

B. Faut-il ordonner la prise de mesures de redressement systémiques particulières?

35 Dans ma décision antérieure portant sur les mesures de redressement, j’ai conclu que j’avais la compétence d’ordonner des mesures de redressement systémiques, mais qu’à mon avis, ce n’était pas utile d’ordonner à l’employeur de mettre en place des mesures de redressement systémiques précises pour éviter la répétition d’actes discriminatoires de cette nature. La Cour fédérale n’était pas d’accord avec mon raisonnement sur lequel reposait mon choix de ne pas ordonner la mise en place de mesures de redressement systémiques précises.

36 Durant la présente audience, le fonctionnaire a réitéré les demandes de mesures de redressement systémiques qu’il avait faites à l’audience portant sur ces mesures. L’employeur a soutenu que je n’ai pas la compétence pour rendre une ordonnance prévoyant la mise en place de n’importe laquelle des mesures de redressement systémiques demandées par le fonctionnaire, car mes pouvoirs en vertu de la Loi se limitent à rendre une ordonnance prévoyant uniquement les mesures de redressement énoncées à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP.

37 Dans 2011 CRTFP 110, je me suis déjà prononcé sur l’argument de l’employeur selon lequel je n’ai pas la compétence pour rendre une ordonnance prévoyant la mise en place de mesures de redressement systémiques. J’ai rejeté cet argument. Sur ce point, j’ai écrit ce qui suit aux paragraphes 42 à 48 :

[42]    Je ne souscris pas à l’argument de l’employeur voulant que, dans le présent cas, mes pouvoirs se limiteraient à la seule imposition d’indemnités aux termes de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. L’acceptation d’un tel raisonnement signifierait que les pouvoirs d’un arbitre de grief d’ordonner des mesures de redressement seraient davantage restreints dans le cas d’un grief portant sur des enjeux liés aux droits de la personne que dans le cas d’un grief portant sur d’autres questions. Cela signifierait en outre qu’un fonctionnaire serait obligé de déposer à la fois un grief et une plainte en vertu de la LCDP afin d’obtenir une mesure corrective intégrale. Je ne crois pas que c’était là l’intention du législateur lorsqu’il a rédigé le libellé de l’alinéa 226(1)h) de la Loi.

[43]    En fait, il me semble plutôt que l’alinéa 226(1)h) de la Loi, tout comme l’alinéa 226(1)g) et le paragraphe 208(2), aient été inclus dans la Loi afin de préciser qu’un grief pouvait être déposé à l’égard d’un motif lié aux droits de la personne et pour ainsi mettre en relief la nouvelle compétence élargie des arbitres de grief à l’égard des questions liées aux droits de la personne, ce qui n’était pas prévu avant l’édiction de la  Loi en avril 2005. Le paragraphe 208(2) se lit comme suit :

208. (2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[44]    Dans son grief, le fonctionnaire a allégué que l’employeur avait violé la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective, laquelle se lit en partie comme suit :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[…]

[45]    La compétence d’entendre le présent grief et d’ordonner des mesures de redressement s’il est accueilli m’est conférée au premier chef en vertu des dispositions de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, ce grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective. Cette disposition se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […]

[46]    Après avoir entendu le grief à l’arbitrage, je dois tout d’abord rendre une décision sur le sort du grief, c’est-à-dire l’accueillir en entier, l’accueillir en partie ou le rejeter. Ce pouvoir ne m’est pas conféré en vertu du paragraphe 226(1) de la Loi ni des alinéas de ce paragraphe, mais découle plutôt du paragraphe 228(2), lequel prévoit que je dois trancher le grief par l’ordonnance que je juge indiquée.

[47]    Outre ce pouvoir fondamental qui m’est conféré de trancher le grief en rendant l’ordonnance indiquée, l’alinéa 226(1)g) de la Loi me confère le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LCDP ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi. L’alinéa 226(1)g) ne renvoie pas à une disposition particulière de la LCDP mais à cette dernière loi dans son ensemble, sauf ses dispositions en matière d’équité salariale. Si le législateur avait eu l’intention d’exclure de ma compétence d’autres dispositions de la LCDP, il en aurait fait mention expressément comme il l’a fait dans le cas des dispositions en matière d’équité salariale.

[48]    Mon interprétation est conforme aux décisions rendues par la Cour suprême du Canada, notamment dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Dans ces décisions, la Cour suprême a statué que, règle générale, les tribunaux en matière de droit du travail ont compétence à l’égard de tout différend entre les parties ayant trait à une convention collective ou dont l’essence même découle d’une convention collective. Ces décisions trouvent toute leur application aux faits en l’instance et viennent appuyer l’argument voulant que ma compétence ne soit pas restreinte, comme l’employeur l’a soutenu, à rendre une ordonnance uniquement conformément aux dispositions prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP. Si l’on devait en arriver à une conclusion autre, cela signifierait que le fonctionnaire se verrait obligé de se tourner vers le TCDP afin d’obtenir d’autres mesures correctives ou mesures de redressement.

38 L’employeur n’a présenté aucune information qui me convaincrait de rendre une décision différente de celle que j’ai rendue en 2011. Par ailleurs, la Cour fédérale a approuvé implicitement ma décision en ne faisant aucun commentaire à son sujet et en s’opposant à ma décision de ne pas ordonner la mise en place de mesures de redressement systémiques précises. Ce ne serait pas logique pour la Cour de statuer ainsi si elle pensait que je n’avais pas la compétence d’ordonner la mise en place de telles mesures de redressement systémiques.

39 La première mesure de redressement systémique que le fonctionnaire a demandée est que j’ordonne à l’employeur de réviser ses politiques en matière d’adaptation. Après avoir examiné la preuve et les arguments présentés par les parties, je ne considère toujours pas qu’il soit nécessaire pour moi d’émettre une telle ordonnance, étant donné qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que le manque de mesures d’adaptation prises par l’employeur ou sa discrimination résultait de lacunes dans ses politiques. Je maintiens que les manquements étaient plutôt attribuables au fait que M. Lord et le major Scherr ne se soient pas entièrement conformés à ces politiques.

40 Le fonctionnaire m’a également demandé d’ordonner       que l’employeur établisse des mécanismes pour s’assurer que tous ses employés et gestionnaires de la BFC de Trenton reçoivent la formation, les conseils et l’aide qui s’imposent au sujet des mesures d’adaptation destinées en général à toutes les personnes atteintes d’une déficience ou d’une incapacité, et en particulier aux personnes malentendantes. Il a aussi demandé que l’employeur dispose d’experts chargés de former et de sensibiliser les gestionnaires au sujet de leur obligation en matière d’adaptation. Finalement, il a demandé que ces mesures lui soient soumises à lui et à l’agent négociateur, pour examen et approbation, en consultation avec la CCDP.

41 Après avoir jeté un deuxième coup d’œil à la preuve et aux arguments qui m’ont été soumis, et en me conformant aux commentaires faits par la Cour fédérale, je souscris en principe aux demandes faites par le fonctionnaire. En ordonnant que des mesures précises soient mises en place, j’aiderais à éviter de la discrimination supplémentaire dans ce lieu de travail.

42 Plus précisément, j’ordonne à l’employeur de créer, tout en consultant à fond l’agent négociateur, un programme de formation et de sensibilisation pour l’ensemble des gestionnaires et employés civils portant sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les employés atteints d’une déficience ou d’une invalidité, y compris les employés malentendants. J’ordonne par ailleurs à l’employeur de veiller à ce que les gestionnaires qui supervisent des employés atteints ainsi d’une déficience ou d’une invalidité soient informés entièrement des ressources existantes auxquelles ils peuvent faire appel pour savoir comment prendre les mesures d’adaptation nécessaires à l’égard de ces employés. À mon avis, l’existence de telles mesures aurait grandement facilité la prise de mesures d’adaptation en réponse aux besoins du fonctionnaire et aiderait les employés actuels et futurs atteints d’une déficience ou d’une invalidité.

43 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

44 J’ordonne à l’employeur de créer, tout en consultant à fond les spécialistes de l’agent négociateur, un programme de formation et de sensibilisation s’adressant à tous les gestionnaires et employés à la BFC de Trenton portant sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les employés atteints d’une déficience ou d’une invalidité, y compris les employés malentendants.

45 J’ordonne à l’employeur de procéder à cette consultation dans les 60 jours qui suivent cette décision.

46 J’ordonne à l’employeur d’assurer cette formation avant la fin de 2014.

47 J’ordonne à l’employeur, dans les 60 jours et de façon continue à l’avenir, de s’assurer que les gestionnaires qui supervisent des employés atteints d’une déficience ou d’une invalidité sont informés entièrement des ressources existantes auxquelles ils peuvent faire appel pour savoir comment prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ces employés.

Le 17 janvier 2014.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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