Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent correctionnel au sein du Service correctionnel du Canada (SCC) à l’établissement Matsqui, à Abbotsford (Colombie-Britannique) - l’employeur a été informé, par lettre datée du 24 mars 2006, que l’appelant avait été accusé d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans traitement le 3 avril 2006, en attendant les résultats d’une enquête disciplinaire sur l’inconduite alléguée- cette suspension a été annulée par un arbitre de grief (2007 CRTFP 70), et le fonctionnaire s’estimant lésé a été réintégré dans ses fonctions - cette décision a été annulée par la Cour fédérale (Basra c. Procureur général du Canada, 2008 CF 606), et le fonctionnaire s’estimant lésé a de nouveau été suspendu sans traitement le 2 juin 2008, en attendant l’issue de l’enquête disciplinaire et de la procédure criminelle - le fonctionnaire s’estimant lésé a finalement été reconnu coupable de l’infraction et condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour et à troisans de probation après sa libération, en plus de se voir imposer plusieurs conditions, parmi lesquelles une ordonnance d’interdiction d’avoir des armes en sa possession pendant troisans et l’obligation de se conformer pendant 20 ans aux dispositions de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels- il a été mis fin à son emploi - les griefs contestant sa suspension de juin 2008 puis son licenciement subséquent ont été renvoyés à l’arbitrage- l’arbitre de grief a rejeté les deuxgriefs - l’arbitre de grief a estimé que la suspension était de nature administrative et qu’elle était en outre indéniablement justifiable dans les circonstances, devant la gravité de l’inconduite alléguée et compte tenu de la nature des fonctions assumées par le fonctionnaire s’estimant lésé - elle a aussi conclu que l’administrateur général pouvait, à bon droit, rendre la date de prise d’effet du licenciement rétroactive à la date de la suspension (un an auparavant), de sorte que la suspension devenait théorique- l’arbitre de grief a conclu que le lien de confiance avait été irrémédiablement rompu à la suite de la condamnation du fonctionnaire s’estimant lésé pour agression sexuelle, une infraction criminelle très grave - qui plus est, il est ressorti de la preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait preuve de franchise pendant le déroulement de l’enquête criminelle, qu’il avait tenu des propos trompeurs et qu’il avait menti tout au long de la procédure - bien que le fonctionnaire s’estimant lésé se soit rendu coupable de l’inconduite en dehors du travail, cette inconduite était si grave qu’elle nuisait à sa capacité de s’acquitter des tâches et responsabilités d’un agent correctionnel qui s’occupe de détenus, qui est responsable de leur réadaptation et qui doit leur montrer l’exemple quant à la façon de se comporter en société - l’arbitre de grief a conclu que le critère élaboré dans Millhaven Fibres donnait raison à la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé, du fait que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé avait entaché la réputation de l’employeur, avait suscité la réticence d’autres personnes à travailler avec le fonctionnaire s’estimant lésé et avait mis ce dernier dans l’impossibilité de remplir les fonctions d’un agent de la paix. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-03-10
  • Dossier:  566-02-2304, 3031 et 3271
  • Référence:  2014 CRTFP 28

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BALKAR SINGH BASRA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
G. James Baugh, avocat
Pour le défendeur:
Christine Langill, avocate
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie­Britannique), du 11 au 14 décembre 2012 et du 28 au 31 mai 2013, et à Vancouver(Colombie­Britannique), les 18 et 19 septembre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Je suis saisie de trois griefs individuels renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) par Balkar Singh Basra, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »). Le premier grief de M. Basra (dossier de la CRTFP 566-02-2304) porte sur la suspension sans traitement qui lui a été imposée à compter du 2 juin 2008 dans l’attente de la conclusion d’une enquête sur sa conduite en dehors des heures de travail, au terme de laquelle il a été condamné pour agression sexuelle le 11 juillet 2008. Le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566-02-3031) concerne son licenciement du Service correctionnel du Canada, le 9 juin 2009. Bien que M. Basra ait initialement demandé à réintégrer son poste en guise de réparation dans le cadre du grief concernant son licenciement, son avocat m’a informée, au début de l’audience le 28 mai 2013, qu’il ne souhaitait plus réintégrer son poste, mais qu’il demandait plutôt une indemnisation avec effet rétroactif pour la totalité du salaire perdu depuis le 2 juin 2008. Enfin, dans son troisième grief (dossier de la CRTFP 566-02-3271), le fonctionnaire contestait la demande de l’employeur concernant la restitution de fonds qui lui avaient été versés [traduction] « par suite de la médiation ». Le fonctionnaire a retiré ce grief au début de la première séance d’audiences; ce dossier est donc fermé.

II. Questions préliminaires

2 Étant donné la nature des allégations pour lesquelles le fonctionnaire a subi un procès, et compte tenu de la nature de certaines pièces versées en preuve au cours de l’audience, l’avocate de l’administrateur général (Service correctionnel du Canada) a demandé que soit respectée l’ordonnance de non­publication du nom de la victime prononcée par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique. Plus précisément, l’avocate de l’employeur m’a demandé que soient mises sous scellés les transcriptions d’audience produites comme pièce 2 (onglets 1 et 2a) à 2f) inclusivement) ainsi que comme pièces 22 et 23.

3 Ce type de demande a été traité par l’arbitre de grief dans N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129. Dans cette affaire concernant deux griefs renvoyés à l’arbitrage, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé une ordonnance de non­publication, une audience à huis clos, le caviardage de toute preuve documentaire pouvant révéler son identité ainsi qu’une ordonnance de mise sous scellés. Un tribunal criminel avait prononcé une ordonnance de non­publication du nom de la fonctionnaire s’estimant lésée dans une affaire où celle-ci était également plaignante et témoin à charge. La fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que, puisqu’elle était la présumée victime d’une agression sexuelle avec violence, et étant donné que le tribunal avait rendu une ordonnance de non­publication de son nom, sa demande était justifiée. L’employeur a quant à lui affirmé que la fonctionnaire s’estimant lésée ne satisfaisait pas au critère établi dans Dagenais/Mentuck, ce qui l’empêchait de déroger au principe d’audience publique, lequel devait donc avoir préséance. L’arbitre de grief a conclu que la Charte canadienne des droits et libertés protège le principe d’audience publique, qui s’applique aux instances quasi judiciaires comme celle dont elle était saisie. La demande de la fonctionnaire s’estimant lésée se rapportait à ce principe, et le critère Dagenais/Mentuck devait être appliqué. L’arbitre de grief a jugé que la situation personnelle de la fonctionnaire s’estimant lésée ne justifiait pas une dérogation au principe d’audience publique. Toutefois, puisque le tribunal criminel avait rendu une ordonnance de non­publication du nom de la fonctionnaire s’estimant lésée, il était d’intérêt public que soit assurée une bonne administration de la justice et que l’arbitre de grief ne contrevienne pas à cette ordonnance en risquant de divulguer le nom de la fonctionnaire s’estimant lésée dans la liste d’audience publique et dans la décision. Les effets bénéfiques de l’ordonnance de l’arbitre de grief, selon laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée ne devait pas être nommée dans la liste d’audience publique ni dans la décision, l’emportaient sur les effets préjudiciables pour le droit du public à la publicité des débats judiciaires. Par ailleurs, la divulgation de certains documents a été ordonnée, sous réserve de restrictions, mais la demande d’audience à huis clos a été refusée.

4 En l’espèce, l’identité que l’avocate de l’employeur souhaite protéger n’est pas celle d’une personne ayant un rôle à jouer dans le cadre de l’audience, mais plutôt celle de la victime du crime pour lequel le fonctionnaire a été condamné. La Cour provinciale de la Colombie­Britannique et la Cour suprême de la Colombie­Britannique ont jugé pertinent de protéger l’identité de la victime et de rendre une ordonnance de non­publication à cet égard. Je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans la décision N. J.; si j’acceptais que la présente audienceexpose la victime au risque que représente la divulgation de son nom, en mentionnant celui­ci dans la décision ou en rendant publiques les pièces où son identité est révélée, je provoquerais des effets préjudiciables beaucoup plus importants que les avantages associés au droit du public à la publicité des débats judiciaires.

5 Par conséquent, conformément à l’ordonnance prononcée par la Cour provinciale de la Colombie­Britannique et la Cour suprême de la Colombie­Britannique, le nom de la victime ne sera pas publié dans la présente décision, et seule l’expression « la victime » sera utilisée. Toutes les pièces demandées feront l’objet d’une ordonnance de mise sous scellés.

6 Il a par ailleurs été question de la recevabilité de coupures de journaux que l’employeur avait versées en preuve à la pièce 1, plus précisément aux onglets 9D, G, I, J, K, L et M. L’avocat du fonctionnaire a demandé que ces coupures soient retirées de la pièce 1, au motif qu’aucun témoin n’y avait dûment fait référence. L’avocate de l’employeur a soutenu que dans leur témoignage, Morgan Andreassen et LeAnne Doyle en avaient fait mention de façon générique. Subsidiairement, l’employeur a affirmé que ces éléments étaient recevables aux termes de l’article 25 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C­5 (LPC), en tant que documents publics. Les coupures avaient été versées en preuve pour montrer que le procès et la condamnation du fonctionnaire étaient d’intérêt public, et non pas pour leur contenu en soi.

7 L’article 25 de la LPC est libellé ainsi :

Livres et documents

25. Quand un registre ou livre ou un autre document est d’une nature assez publique pour être admissible en preuve sur simple production par le fonctionnaire qui en a la garde, et s’il n’existe pas d’autre loi permettant d’en prouver le contenu au moyen de copie, une copie ou un extrait de ce livre ou document est admissible en preuve devant tout tribunal judiciaire, ou devant toute personne qui a, en vertu de la loi ou avec le consentement des parties, le pouvoir d’entendre, de recueillir ou d’examiner la preuve, s’il est prouvé que c’est une copie ou un extrait donné comme étant certifié conforme par le fonctionnaire à la garde de qui l’original a été confié.

8 Le fonctionnaire a affirmé que les copies fournies à l’onglet 9 de la pièce 1 n’avaient pas été certifiées et qu’aucun fonctionnaire qui en avait la garde avant l’audience ne pouvait en confirmer l’authenticité.

9 Le fait de refuser des extraits de journaux au motif qu’ils doivent être certifiés ou parce qu’aucune personne en ayant eu la garde et pouvant confirmer leur authenticité n’a comparu constitue une approche inhabituellement officielle du processus d’arbitrage, laquelle complique inutilement des procédures qui se veulent davantage informelles. Les témoins de l’employeur ont affirmé que les médias avaient couvert le procès du fonctionnaire, sa réintégration, sa présence dans le milieu de travail et le processus d’arbitrage dont il a fait l’objet, et les coupures de journaux présentées en l’espèce visent clairement à appuyer cette affirmation. Elles démontrent également que l’intérêt des médias était constant, comme en témoigne d’ailleurs le grand nombre de représentants des médias présents dans la salle d’audience tout au long des procédures.

10 Bien que les copies qui m’ont été présentées n’aient pas été certifiées, l’information dont je dispose est suffisante pour déterminer leur source et établir leur authenticité. Pour ces raisons, j’accepte les coupures de journaux en tant que preuve de leur existence et non de la véracité de leur contenu.

III. Résumé de la preuve

11    En novembre 2004, la victime a communiqué avec le répartiteur responsable du détachement de Surrey (Colombie­Britannique) de la Gendarmerie royale du Canada pour signaler qu’elle avait été violée par une personne qu’elle connaissait uniquement sous le nom de « Dion ». Elle a pu fournir à l’enquêteuse un numéro de téléphone cellulaire, qui s’est avéré être celui de M. Basra, le fonctionnaire. Au début de l’enquête, celui-ci ne s’est pas montré coopératif avec l’enquêteuse : il refusait de la rappeler et il ne se présentait pas aux rendez-vous ou les annulait.

12 L’enquêteuse a fini par appeler l’Établissement de Matsqui (l’« établissement »), où le fonctionnaire travaillait à titre d’agent correctionnel (CX­01). L’enquêteuse a expliqué qu’elle avait essayé de rencontrer le fonctionnaire, mais qu’il ne la rappelait pas et ne se présentait pas aux rendez­vous fixés. Peu après cet appel, le fonctionnaire a communiqué avec l’enquêteuse pour lui dire que son employeur lui avait demandé de se rendre à son bureau et de se montrer coopératif dans le cadre de l’enquête.

13 Le fonctionnaire a été reçu en entrevue le 18 novembre 2004, dans les locaux du détachement de Surrey. L’enquêteuse l’a décrit comme une personne arrogante, peu coopérative et évasive. Il a nié connaître la victime et avoir utilisé un nom autre que le sien. Toutefois, un mandat autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique et une ordonnance de présentation du registre des appels de son téléphone cellulaire ont été obtenus, menant à l’arrestation du fonctionnaire pour agression sexuelle. Le 17 mars 2006, il a été accusé d’agression sexuelle.

14 Une enquête préliminaire a été réalisée à Surrey le 12 avril 2007, à l’issue de laquelle le fonctionnaire a été cité à procès pour agression sexuelle, en contravention à l’article 271 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C­46 (le « Code criminel »). Au terme de son procès, tenu du 23 au 27 juin 2008, il a été reconnu coupable des accusations portées contre lui (voir R. v. B.S.B., 2008 BCSC 917). Le 24 octobre 2008 (R. v. B.S.B., 2008 BCSC 1526), il a été condamné à un emprisonnement de deux ans moins un jour au centre correctionnel régional Fraser ou dans tout autre établissement jugé approprié par la direction provinciale des services correctionnels, et à une période de probation de trois ans suivant sa libération, sous réserve de plusieurs conditions, y compris les suivantes : il ne devait fréquenter aucun site de réseautage ou de rencontres en ligne; il lui était interdit d’avoir en sa possession des armes à feu pour les trois années suivant sa sortie de prison, aux termes l’article 110 du Code criminel; il devait respecter une ordonnance l’obligeant à fournir un ou plusieurs échantillons de substances corporelles aux fins d’analyse génétique, conformément au Code criminel; et il devait se conformer pendant vingt ans aux prescriptions de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, ch. 10, conformément au paragraphe 490.012(1) du Code criminel.

15 Le fonctionnaire a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité à la Cour d’appel de la Colombie­Britannique. Celle­ci a toutefois rejeté l’appel et confirmé la déclaration de culpabilité (voir R. v. Basra, 2009 BCCA 520). Le fonctionnaire a également interjeté appel de sa peine et a demandé à être mis en liberté provisoirement en attendant que la décision soit rendue. Il a fait l’objet d’une ordonnance de mise en liberté sous réserve d’un engagement de 10 000 $, en attente de la décision en appel. Le 22 janvier 2010, la Cour d’appel de la Colombie­Britannique a rejeté son appel et a confirmé la peine imposée par le juge de première instance (voir R. v. B.S.B., 2010 BCCA 40).

16 Les répercussions du dépôt des accusations d’agression sexuelle et de la condamnation subséquente dans le milieu de travail ont été examinées par nombre d’arbitres et par la Cour fédérale du Canada. Bien que le fonctionnaire ait été initialement suspendu sans traitement pour la durée de l’enquête en 2006, un arbitre de grief a par la suite prononcé une ordonnance visant sa réintégration dans le milieu de travail, à un poste sans contact avec les détenus, au motif que l’enquête était anormalement longue et qu’elle était devenue de nature disciplinaire plutôt qu’administrative (voir Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70). Le fonctionnaire est retourné au travail dans l’aire d’admission et de libération de l’établissement en juin 2007. De juin 2007 à juin 2008, il a fait l’objet de plusieurs évaluations de la menace et des risques (EMR) visant à vérifier si sa présence dans l’établissement représentait un niveau inacceptable de risque pour sa sécurité ou pour celle de ses collègues ou de l’établissement. L’enquête de nature disciplinaire s’est poursuivie pendant toute cette période.

17 L’endroit où devait être affecté le fonctionnaire une fois l’ordonnance de réintégration rendue par l’arbitre de grief a été longuement étudié. Mme Doyle, qui était à l’époque sous­directrice par intérim de l’établissement, était chargée de planifier le retour sécuritaire du fonctionnaire, dans le but de lui fournir un milieu de travail sûr et un travail significatif. À cette fin, elle a beaucoup discuté avec le directeur, le fonctionnaire et son représentant syndical ainsi qu’avec le sous­directeur responsable des opérations. Conformément aux recommandations de Mme Doyle, le fonctionnaire a été affecté à un poste dans l’aire d’admission et de libération, où il était chargé de gérer les effets personnels des détenus à leur arrivée et à leur départ. Ce poste a été choisi parce que le fonctionnaire n’avait pas à circuler dans l’établissement et parce que ses contacts avec les détenus et le reste du personnel étaient limités.

18 Au départ, le fonctionnaire devait travailler à un projet spécial concernant le catalogage des effets personnels accumulés appartenant à des détenus. Tout au long de son affectation, un gestionnaire correctionnel devait le surveiller, relever tout problème, et évaluer, tous les 30 jours, la viabilité de son affectation. Le fonctionnaire devait travailler de 6 h à 14 h la semaine, et il ne pouvait pas faire d’heures supplémentaires sans approbation préalable. Ces modalités permettaient de savoir où et quand le fonctionnaire se trouvait dans l’établissement.

19 Mme Doyle n’a pas appuyé les suggestions visant à autoriser le fonctionnaire à effectuer des patrouilles motorisées, car il aurait alors été seul dans un véhicule et aurait donc fait l’objet d’une supervision moins étroite. Les membres du personnel lui ont directement fait part de leurs préoccupations quant à la présence du fonctionnaire dans le milieu de travail, évoquant la menace qu’il représentait pour leur sécurité, si les détenus devaient réagir à la présence d’un agent correctionnel qui avait été condamné pour agression sexuelle.

20 Le 6 septembre 2007, un journal local a communiqué avec l’établissement pour demander des renseignements sur la réintégration du fonctionnaire. L’article, qui devait initialement être publié le 7 septembre 2007, a été publié le 8 septembre 2007. L’agent négociateur du fonctionnaire a demandé à la direction de l’établissement d’empêcher la distribution du journal dans l’établissement, de peur que la diffusion des renseignements contenus dans l’article (y compris le nom et le lieu de travail du fonctionnaire) parmi les détenus soit à l’origine d’une menace pour sa sécurité. Cette demande a été refusée, car, selon la direction, elle équivalait à de la censure, et il s’agissait de renseignements publics que connaissaient déjà d’autres agents correctionnels et les membres de la famille de certains détenus. À la suite de la parution de cet article, certains détenus ont approché des membres du personnel, particulièrement des employés indo-canadiens, dans le but de savoir qui était le fonctionnaire. Selon Mme Doyle, les détenus ne cherchaient pas simplement qu’à s’informer : ils voulaient pouvoir identifier le fonctionnaire. Un autre article a été publié le 11 septembre 2007. Plusieurs autres articles de journaux ont été publiés depuis que l’affaire est devenue connue au sein de la collectivité (pièce 1, onglet 9).

21 Bobbi Sandhu, qui était directrice par intérim de l’établissement à l’époque, a approuvé la solution proposée par Mme Doyle concernant le poste auquel le fonctionnaire pourrait être réintégré. Aucun agent correctionnel ne peut être affecté de façon permanente à une patrouille motorisée, car le poste d’agent correctionnel est un poste avec roulement : chaque agent correctionnel exerce en alternance toutes les fonctions correspondant à son niveau dans l’établissement. Il est souvent arrivé que le poste de patrouille motorisée ait permis d’offrir des mesures d’adaptation pour des raisons de santé ou de religion. Toutefois, puisque le titulaire de ce poste doit avoir en sa possession des menottes, peut-être un vaporisateur de poivre, ainsi qu’un fusil et une arme de poing, il ne convenait pas d’offrir ce travail au fonctionnaire, compte tenu des accusations au criminel portées contre lui.

22 Durant le processus d’examen des différents postes auxquels pourrait être affecté le fonctionnaire, Mme Sandhu a rencontré ce dernier pour discuter de son affectation, avant qu’il ne soit placé dans l’aire d’admission et de libération. Durant la rencontre, elle a trouvé que son attitude était désinvolte et que son langage corporel trahissait une certaine indifférence à l’égard de la situation. Elle a décrit comme nonchalante son attitude au sujet des allégations formulées contre lui.

23 Mme Sandhu n’était pas à l’aise avec la décision de renvoyer le fonctionnaire dans le milieu de travail. Il avait entaché la réputation des agents correctionnels. Sa présence dans l’établissement augmentait grandement les risques pour sa sécurité et celle des autres employés. Les délinquants sexuels ne peuvent pas résider dans l’établissement en sécurité, compte tenu de l’intolérance dont font preuve les autres détenus à leur endroit. Le même genre d’intolérance pourrait être affiché envers un membre du personnel. Par conséquent, le risque que représentait la présence de M. Basra dans l’établissement pour sa propre sécurité et celle des autres employés était grand. Les détenus avaient deux raisons de ne pas l’aimer : il était un présumé délinquant sexuel, et il était en position d’autorité.

24 Selon Mme Sandhu, la direction de l’établissement croyait avoir de bonnes raisons de remettre en question le dévouement du fonctionnaire envers le Service correctionnel du Canada et la sécurité du public, et elle se questionnait sur sa fiabilité et sa loyauté en tant qu’employé. Tous les employés du Service correctionnel du Canada doivent être fiables et responsables. Or, le fonctionnaire avait démontré qu’il ne possédait pas ces qualités en causant de graves préjudices à une femme et en niant systématiquement ses actes. Il était consternant d’apprendre qu’un employé du Service correctionnel du Canada avait été déclaré coupable d’une telle violence envers une femme innocente.

25 Après avoir examiné toutes les solutions avancées (pièce 5) et tenu compte des menaces pour la sécurité de l’établissement, du personnel, des détenus et du fonctionnaire, le directeur, Glen Brown, a affecté celui-ci à l’aire d’admission et de libération. Les affectations au Village de guérison Kwìkwèxwelhp, à l’Établissement Ferndale et à l’Établissement pour femmes de la vallée du Fraser ont toutes été écartées, étant donné que, d’une part, les établissements de Kwìkwèxwelhp et de Ferndale comptaient un grand nombre d’Autochtones et que, d’autre part, l’établissement de la vallée du Fraser est un établissement pour femmes. Une EMR portant sur la couverture des médias a permis de conclure qu’il ne convenait pas d’affecter le fonctionnaire à l’un ou l’autre de ces établissements.

26 Malgré toutes ces craintes, les rapports indiquaient que le fonctionnaire travaillait bien dans l’aire d’admission et de libération, et qu’aucun problème d’importance avec le personnel ou les détenus n’avait été relevé durant cette période. Il est arrivé que ses fonctions soient élargies et qu’il puisse à l’occasion entrer en contact avec des détenus de l’Unité de détention provisoire. Toutefois, bien que la possibilité de procéder à un tel élargissement sur une base plus régulière ait été étudiée, elle ne s’est jamais concrétisée. Les EMR se sont donc poursuivies.

27 Tout au long de l’affectation du fonctionnaire dans l’aire d’admission et de libération, les détenus ont continué de questionner les agents correctionnels indo-canadiens et de chercher à connaître l’identité du fonctionnaire et à savoir où il se trouvait et ce qu’il faisait. Dans le cadre de ses fonctions restreintes, le fonctionnaire n’a pas suivi le plan de gestion des risques et a outrepassé les limites de ses fonctions au sein de l’aire d’admission et de libération.

28 Le 10 janvier 2008, M. Brown a affecté de nouveaux enquêteurs à l’enquête de nature disciplinaire, qui avait été demandée le 24 avril 2006. Afin de mieux comprendre les événements ultérieurs et les observations du fonctionnaire présentées plus loin dans ces motifs, il convient de noter qu’entre­temps, l’employeur avait présenté une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de l’arbitre de grief qui avait annulé en partie la suspension de 2006 et ordonné la réintégration du fonctionnaire. Le 28 mai 2008, la Cour fédérale (juge Pinard) a accueilli la demande, annulant ainsi la décision de l’arbitre de grief (2008 CF 606). Par suite de ce jugement, le fonctionnaire a de nouveau été suspendu le 2 juin 2008. Le 22 janvier 2010, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du fonctionnaire et a renvoyé la question de la suspension de 2006 à l’arbitre d’origine, en fournissant également certaines directives (Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24). En bout de ligne, l’arbitre de grief a réitéré son ordonnance initiale (2012 CRTFP 53). Ce bref récapitulatif des procédures judiciaires entourant le grief concernant la suspension de 2006 permet de mettre en contexte la suspension du 2 juin 2008 dont j’ai été saisie, ainsi que l’argument du fonctionnaire, qui me demande d’annuler la suspension de 2008.

29 Les motifs à l’origine de cette suspension ont été énoncés dans une lettre de M. Brown adressée au fonctionnaire (pièce 1, onglet 1). Dans cette lettre, le directeur indiquait avoir entrepris l’examen de la décision initiale de suspendre le fonctionnaire à compter du 3 avril 2006. Il y exprimait également ses préoccupations quant à la présence du fonctionnaire dans le lieu de travail. En effet, un nombre considérable de détenus avaient été victimes d’agressions sexuelles ou comptaient parmi leur famille un membre ayant été victime de tels actes. M. Brown craignait donc que la présence d’un délinquant sexuel confirmé ou présumé parmi le personnel nuise au processus de guérison de ces détenus. En outre, M. Brown soulignait que de nombreux détenus pouvaient se montrer très durs envers les personnes accusées d’agression sexuelle ou condamnées pour un tel crime, et qu’ils risquaient de vouloir eux-mêmes se faire justice. La présence du fonctionnaire aurait pu exacerber l’impression générale de vulnérabilité qu’auraient pu avoir les détenus. Par ailleurs, M. Brown faisait état de préoccupations importantes relativement aux rapports qu’entretenait le fonctionnaire avec les autres employés, et des menaces qu’ils pouvaient représenter pour la sécurité au sein de l’établissement. Enfin, il existait un important problème de confiance, en ce sens que l’infraction présumée reposait sur la tromperie, notamment dans la façon dont le crime avait été perpétré et en raison du fait que le fonctionnaire avait caché son identité au moment de commettre l’infraction, qu’il avait induit la police en erreur en niant connaître la victime et avoir eu un rapport sexuel avec elle, malgré la preuve matérielle indiquant le contraire, et qu’il avait fait l’objet d’une enquête pour l’infraction présumée pendant des mois sans en aviser son employeur.

30 M. Brown a soulevé des préoccupations concernant l’éventuelle affectation du fonctionnaire à un poste d’agent correctionnel, étant donné les conséquences qui en découleraient pour la réputation du Service correctionnel du Canada, et compte tenu de la façon dont les employés doivent collaborer pour répondre aux besoins des détenus et assurer la sécurité de l’établissement et du public. M. Brown ne pouvait faire confiance au fonctionnaire, puisque celui-ci avait usé de tromperie pour commettre son infraction et lui avait caché qu’il faisait l’objet d’une enquête. En somme, les préoccupations qui avaient initialement été soulevées lors de la suspension du fonctionnaire en 2006 s’appliquaient toujours, tout comme l’inquiétude relative à l’affectation du fonctionnaire à la patrouille motorisée, un poste pour lequel le titulaire doit être armé.

31 M. Brown ne pouvait avoir la conviction que le fonctionnaire agirait dans l’intérêt du Service correctionnel du Canada s’il était placé en position d’autorité. Il avait certaines réserves concernant la fiabilité et l’intégrité du fonctionnaire, et il se questionnait sur la façon dont il ferait usage de son autorité à l’égard des autres. Les postes de commandement et de contrôle centraux, entre autres, requièrent une interaction considérable avec les détenus, tout comme les postes associés au contrôle des unités résidentielles. M. Brown estimait qu’il était peu probable, compte tenu de la population présente à l’établissement, que quelque détenu que ce soit accepte de communiquer avec un agent correctionnel s’avérant être un délinquant sexuel. De façon générale, M. Brown doutait de la capacité du fonctionnaire à intervenir en tant qu’agent correctionnel à part entière. Le fonctionnaire a donc été suspendu sans traitement pour une deuxième fois.

32 Le 11 juillet 2008, le fonctionnaire a été reconnu coupable d’agression sexuelle et condamné à un emprisonnement de deux ans moins un jour, suivi d’une interdiction de possession d’armes à feu d’une durée de trois ans. Il lui a également été ordonné de s’enregistrer en tant que délinquant sexuel pour une période de vingt ans. Le fonctionnaire a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité à la Cour d’appel de la Colombie­Britannique, qui a toutefois rejeté l’appel à l’unanimité.

33 Le rapport d’enquête disciplinaire final, rédigé par Tyson O’Shea, gestionnaire correctionnel, Établissement de Mission, et M. Andreassen, sous-directeur des interventions à l’établissement, a été reçu le 26 février 2009. Il se concluait de la façon suivante (pièce 1, onglet 2, page 000829) :

[Traduction]

La conduite de M. BASRA à l’extérieur du travail a porté atteinte à la réputation du Service : il a menti à la police, à la victime et au tribunal. La conduite de M. BASRA devant la cour est décrite dans R. v. Basra [2008] B.C.J. n° 1319. En outre, dans l’importante couverture médiatique entourant l’affaire, M. BASRA a été identifié comme un agent correctionnel de l’établissement de Matsqui accusé et reconnu coupable d’agression sexuelle. Le comité conclut donc que M. BASRA est coupable d’inconduite aux termes de la règle 2 du Code de discipline.

Aucun renseignement ne permet de réfuter l’affirmation de M. BASRA selon laquelle il n’était pas au courant des accusations portées contre lui avant d’être suspendu sans traitement. Par conséquent, le comité conclut que, selon la prépondérance des probabilités, M. BASRA n’a pas omis d’aviser son superviseur qu’il avait été accusé d’une infraction criminelle avant de reprendre ses fonctions. La deuxième allégation de l’ordre de convocation n’est pas fondée.

34 La présentation du rapport final a été retardée parce que les enquêteurs attendaient que soit prononcée la peine avant de conclure leur rapport. Une copie a été remise au fonctionnaire le 24 mars 2009, et une audience disciplinaire a été fixée au 14 avril 2009.

35 M. Andreassen a affirmé que, durant son entrevue avec le fonctionnaire, l’attitude de celui-ci était confiante et distante, et qu’il s’était montré réticent à discuter des procédures au criminel dont il faisait l’objet. Le fonctionnaire a répondu à toutes les questions et ne s’est pas montré évasif. Il a reconnu qu’il était au courant des Règles de conduite professionnelle (pièce 1, onglet 6) et du Code de discipline (le « Code »; pièce 1, onglet 5) du Service correctionnel du Canada, et qu’il avait signé une déclaration selon laquelle il avait reçu les deux documents (pièce 1, onglet 7).

36 M. Andreassen a assisté personnellement aux audiences et a attendu que les transcriptions soient publiées, afin de vérifier l’exactitude des déclarations qu’il avait prises en note lors du procès. Plus particulièrement, il avait noté plusieurs commentaires du juge concernant la crédibilité du fonctionnaire, lesquels présentaient un intérêt pour l’enquête de nature disciplinaire. Les transcriptions ont été publiées en janvier 2009, et M. Andreassen les a examinées dans le cadre de son enquête, après quoi il a pu terminer son rapport. Tout au long du processus, le fonctionnaire n’a démontré aucun signe de remords. La publication du rapport a de nouveau été retardée lorsque le fonctionnaire a interjeté appel de sa condamnation et de la peine en découlant. Aucun échéancier précis n’a été fourni aux enquêteurs concernant l’achèvement de l’enquête; ils devaient simplement la terminer le plus rapidement possible. Personne ne souhaitait formuler de commentaire avant la conclusion du procès et des procédures d’appel subséquentes.

37 Les enquêteurs n’ont pas cherché à obtenir de renseignements sur les résultats obtenus par le fonctionnaire à son retour au travail une fois l’ordonnance rendue par la Commission, puisque cette information n’était pas pertinente au regard de l’ordre de convocation. Ils ont toutefois examiné le dossier professionnel du fonctionnaire, et ils ont pu consulter tous les documents voulus. Les enquêteurs n’ont reçu aucune consigne de la part du directeur quant à la façon de mener leur enquête.

38 M. Brown a décrit l’établissement comme un établissement pour hommes à sécurité moyenne n’accueillant pas de délinquants sexuels parmi la population générale de détenus. La culture veut que si un délinquant sexuel est intégré à la population générale, il est fort probable qu’il fera l’objet d’agressions par les autres détenus. En effet, certains détenus dont les valeurs en matière criminelle sont clairement définies se montrent parfois intolérants à l’égard des autres détenus qui bafouent ces valeurs.

39 Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et du Code criminel, les agents correctionnels ont le statut d’agent de la paix. Ils ont le pouvoir d’arrêter et de détenir des personnes et de faire usage de force à leur endroit, et ils sont tenus de le faire dans certaines circonstances. Selon la description de travail du poste d’agent correctionnel (pièce 1, onglet 10), l’agent correctionnel doit adopter un comportement social positif et agir comme un modèle. Le niveau de confiance que doivent inspirer les agents correctionnels est très élevé, compte tenu de la grande autorité qu’ils doivent exercer et des nombreuses responsabilités qu’ils doivent assumer à titre d’agents de la paix. En raison du degré d’autonomie dont ils jouissent dans leurs interactions avec les détenus, la direction doit pouvoir être convaincue que les agents correctionnels adoptent un comportement social positif. Le système correctionnel repose entièrement sur cette confiance.

40 Le fonctionnaire a accepté de respecter les Règles de conduite professionnelle et le Code du Service correctionnel du Canada (pièce 1, onglet 7). Les Règles de conduite établissent clairement qu’à titre d’employé du secteur correctionnel, tout agent correctionnel doit répondre aux normes élevées d’honnêteté et d’intégrité attendues des employés de ce secteur (pièce 1, onglet 6).

41 Selon l’onglet 3 de la pièce 1, le 9 juin 2009, M. Brown a informé le fonctionnaire de sa décision de le licencier (licenciement motivé, en vigueur à compter du 2 juin 2008, soit la date de la deuxième suspension). Le fonctionnaire avait irrévocablement brisé le lien de confiance entre l’employé et l’employeur. Au terme de l’enquête, il a été établi que le fonctionnaire avait usé de tromperie à l’endroit de la victime, qu’il avait induit la police en erreur et qu’il avait agressé sexuellement la victime; il s’agit là de comportements qui ne cadrent pas avec son rôle d’agent correctionnel et qui vont à l’encontre de la mission du Service correctionnel du Canada, qui consiste à aider et à contrôler les détenus. La capacité d’aider les détenus repose sur le sentiment de confiance; or, l’employeur ne pouvait plus faire confiance au fonctionnaire.

42 Par ses gestes, le fonctionnaire a fait preuve d’un manque de respect envers les victimes d’agression sexuelle et leur dignité. Il n’a pas rempli ses obligations selon lesquelles il devait afficher un comportement social positif et agir comme un modèle. En mentant à la police et en l’induisant en erreur, et en refusant d’assumer la responsabilité de ses actes, il n’a pas respecté la primauté du droit et ne s’est pas comporté conformément à l’éthique. Le fonctionnaire n’est donc pas en mesure de travailler à titre d’agent correctionnel. Il a porté atteinte à la réputation du Service correctionnel du Canada. Le public a de hautes attentes quant aux normes de conduite d’un agent de la paix : il s’attend à ce que le système de justice pénale le protège. Lorsqu’un agent correctionnel déroge à ces normes, il mine la confiance du public envers le système; il donne une mauvaise image du système et des gens qui en font partie. Les facteurs positifs, quels qu’ils aient pu être, ne contrebalançaient pas les effets négatifs. La seule solution viable consistait à licencier le fonctionnaire.

43 Michael Hanly, sous­commissaire adjoint, Opérations en établissement, région du Pacifique, a témoigné pour l’employeur. Il a affirmé que l’employeur et la population canadienne doivent avoir une confiance inébranlable envers les agents correctionnels. Les délinquants doivent par ailleurs savoir qu’ils peuvent compter sur le personnel pour protéger leurs droits et leur dignité. Les agents correctionnels doivent quant à eux savoir qu’ils peuvent compter sur leurs collègues pour les protéger, étant donné que leur sécurité dépend de l’intervention des autres agents. Le public s’attend à ce que les agents correctionnels, compte tenu du haut niveau d’autorité et de responsabilité dont ils jouissent, agissent au nom du public et dans l’intérêt de sa sécurité. Les agents correctionnels doivent respecter  la primauté du droit et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi pendant leur séjour de garde en milieu fermé.

44 Les délinquants sexuels sont traités avec un mépris bien particulier dans le milieu carcéral. Ils sont vus comme occupant l’échelon inférieur de l’échelle sociale; ce sont des indésirables qui doivent généralement être gardés en isolement protecteur, dans une certaine mesure. Souvent, leur espérance de vie n’excède pas quelques jours, voire quelques heures, selon l’établissement où ils sont détenus. Il arrive que des détenus qui ne sont pas des délinquants sexuels soient agressés parce qu’ils ont à tort été perçus comme tels. Une accusation de cette nature est bien suffisante, et le niveau de menace augmente si un détenu est inculpé. Une déclaration de culpabilité est la goutte qui fait déborder le vase. Un agent correctionnel reconnu coupable d’agression sexuelle constituerait une cible intéressante à de multiples égards pour un détenu cherchant à « monter en grade », car s’en prendre à une telle personne revient à s’en prendre à la fois à un membre du personnel et à un délinquant sexuel.

45 Ce risque s’en serait trouvé atténué si le fonctionnaire avait été affecté à la patrouille motorisée; toutefois, il n’aurait alors pas pu exécuter ses fonctions d’agent correctionnel. En outre, il aurait été très difficile d’expliquer pourquoi un délinquant sexuel condamné, qui s’était vu interdire de posséder ou d’utiliser des armes à feu, avait été affecté à un poste pour lequel il devait être muni d’un vaporisateur de poivre, de menottes, d’un fusil d’assaut et d’une arme de poing de 9 mm, et dans le cadre duquel il était autorisé à patrouiller le périmètre d’une prison à bord d’un véhicule. Des membres du grand public s’étaient d’ailleurs adressés à M. Hanly personnellement pour savoir pourquoi le Service correctionnel du Canada affecterait un délinquant sexuel condamné à un poste assorti de pouvoirs et de responsabilités au sein d’un établissement et au sein du Service correctionnel du Canada. La population ne se gêne pas pour faire connaître ses opinions.

46 Le délinquant sexuel ou l’individu accusé d’agression sexuelle n’est en sécurité nulle part dans un établissement carcéral. Chaque détenu qui s’y trouve a déjà été incarcéré dans un établissement provincial à un moment ou à un autre. Toutes les nouvelles condamnations découlent de renvois provinciaux. Les personnes qui purgent une peine de ressort fédéral ont habituellement déjà fait de la prison dans un établissement provincial. L’établissement compte de nombreux détenus qui ont déjà été incarcérés à Ford Mountain, où le fonctionnaire a purgé sa peine.

47 Plusieurs employés de l’établissement ont témoigné qu’ils craignaient que leur sécurité soit en péril si le fonctionnaire devait recommencer à y travailler en tant qu’agent correctionnel (Paul Taylor, Joanne Hewitt, Martia Roque, Janelle Marshall et Marni Cohen), tandis que deux autres employées ont témoigné en sa faveur, affirmant qu’elles ne se sentaient pas menacées par sa présence dans l’établissement (Kelly Dillabough et Sonja Schaufele). Malgré leurs opinions divergentes quant à la question de savoir si le fonctionnaire constituerait une menace en cas de retour au travail, ces employés étaient unanimes à penser que ses actes et sa condamnation pour agression sexuelle avaient embarrassé le Service correctionnel du Canada.

48 Les seuls témoins cités à comparaître pour le compte du fonctionnaire étaient Mmes Dillabough et Schaufele.

IV. Exposé sommaire de l’argumentation

A. Pour l’administrateur général

i. Licenciement

49 L’avocate de l’administrateur général a soutenu que le licenciement du fonctionnaire était justifié par les faits en l’espèce. La suspension est théorique étant donné le licenciement rétroactif et, puisqu’elle était de nature administrative, la Commission n’a pas la compétence pour se pencher sur la question. En outre, la suspension était justifiée dans les circonstances.

50 Onze témoins ont été cités à comparaître pour l’administrateur général; cinq d’entre eux étaient des collègues du fonctionnaire, qui ont tous affirmé que le comportement de celui-ci avait embarrassé le Service correctionnel du Canada et que le fait de l’avoir parmi eux mettrait en péril leur sécurité au travail. Ils ne pouvaient pas travailler avec lui dans certaines aires et craignaient que leur sécurité ne soit en péril s’il devait réintégrer ses fonctions. Ils ne pouvaient plus lui faire confiance. Le témoignage d’autres témoins faisant partie de la direction allait dans le même sens : ils se sont dits préoccupés par la présence du fonctionnaire dans le lieu de travail et par le risque qu’il faisait courir à ses collègues et à lui-même compte tenu de l’opinion qu’ont les détenus de toute personne accusée ou reconnue coupable d’agression sexuelle. Pour cette raison, des EMR ont été réalisées périodiquement, et il a été conclu que le fonctionnaire devrait être retiré du lieu de travail en raison de cette menace.

51 Les deux témoins pour le fonctionnaire ont également affirmé que le comportement de celui-ci avait embarrassé le Service correctionnel du Canada. Elles étaient également conscientes de la menace qui planait sur lui tant qu’il était dans la prison, comme en témoignent les déclarations qu’elles avaient faites à cet égard lors de l’audience de détermination de la peine, prônant une peine extra-carcérale ou une peine ne devant pas être purgée au sein de la population carcérale générale au motif que sa vie serait en danger s’il était envoyé dans un tel endroit. M. Hanly a corroboré cette crainte; il a parlé, dans son témoignage, de l’attitude des détenus à l’égard des délinquants sexuels.

52 Depuis sa rencontre avec la victime jusqu’à son incarcération, le fonctionnaire a eu un comportement trompeur et a fait obstruction à la procédure. Il s’est présenté sous un faux nom à la victime, ce qu’il a par la suite nié lorsque l’enquêteuse a porté la chose à son attention. Il a nié qu’il connaissait la victime. Il a refusé de coopérer à l’enquête de la police. Selon M. Hanly, ce comportement a détruit le lien de confiance essentiel entre l’employeur et un agent correctionnel.

53 À la pièce 12, soit la lettre d’offre signée par le fonctionnaire, il est clairement indiqué qu’en tant qu’agent correctionnel, il était considéré comme un agent de la paix. Il est attendu d’un agent de la paix qu’il respecte la loi et qu’il coopère à sa mise en application; or, le fonctionnaire a été arrêté en 2004 et accusé d’agression sexuelle. Le caporal Chahill, tel est maintenant son titre, soit l’enquêteuse à l’époque, a décrit les tentatives qu’elle avait faites pour joindre le fonctionnaire et le refus de celui-ci de la rappeler. Elle a également décrit la tromperie orchestrée par le fonctionnaire, qui avait utilisé un faux nom et nié avoir à quelque moment que ce soit rencontré la victime ou connaître quiconque portant ce prénom. Plutôt que de coopérer avec la police en fournissant un échantillon d’ADN, il a refusé de se soumettre à cette exigence tant qu’un mandat ne lui a pas été présenté à cet effet. Il n’a même pas avisé l’employeur de la situation qui avait cours. Le fait qu’il a continué à travailler comme agent correctionnel pendant 18 mois sans aviser l’employeur de l’accusation qui pesait contre lui est révélateur. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est prononcée sur ce manque d’honnêteté dans R. v. Basra, 2009 BCCA 520, aux paragraphes 12 et 20.

54 Le Code de discipline (pièce 1, onglet 5, paragraphe 6) contredit l’argument du fonctionnaire selon lequel il n’était pas obligé d’informer l’employeur de l’enquête en cours étant donné qu’il n’avait pas été mis en accusation. Il est clairement énoncé dans le Code que le comportement des employés en dehors des heures de travail doit faire honneur au Service correctionnel du Canada. Le fonctionnaire savait qu’il faisait l’objet d’une enquête et il n’a pas signalé l’accusation portée contre lui le 17 mars 2006. L’employeur a été avisé, au moyen d’une lettre datée du 24 mars 2006 et envoyée par l’avocat de la Couronne (pièce 10), que le fonctionnaire avait été accusé d’agression sexuelle, en contravention à l’article 271 du Code criminel.

55 Par la suite, le fonctionnaire a été suspendu sans traitement en avril 2006, le temps que soit menée une enquête de nature disciplinaire. Il a été réintégré dans ses fonctions par suite de la décision rendue par un arbitre de grief en 2007, laquelle a été cassée ultérieurement par la Cour fédérale, le 21 mai 2008. Après que l’arbitre de grief eut rendu sa décision en 2007, le fonctionnaire a été réintégré dans un poste où il n’avait aucun contact avec les détenus, dans l’aire d’admission et de libération de l’établissement, le 4 septembre 2007.

56 Les EMR ont été faites depuis la date de réintégration du fonctionnaire jusqu’à la date de la suspension sans traitement qui lui avait été imposée le 2 juin 2008, le temps que soit menée une enquête de nature disciplinaire, des suites de la décision rendue par la Cour fédérale le 21 mai 2008 annulant la décision de l’arbitre de grief. D’après la preuve présentée par M. Brown, directeur d’établissement, la décision d’imposer une autre suspension au fonctionnaire a été précipitée par la décision rendue par la Cour fédérale le 21 mai 2008, l’attention constante des médias, les demandes de ses collègues qui souhaitaient ne plus travailler dans son secteur, son manque de conformité quant à la portée des fonctions qui lui étaient assignées, les questions que posaient les détenus aux autres employés d’origine indo-canadienne sur leur identité, de même que les autres préoccupations soulevées dans les EMR réalisées alors qu’il était dans le lieu de travail (pièces 5, 6, 7 et 9). De l’avis de l’employeur, c’était le retour à la case départ, et une suspension était requise, tant pour la sécurité du fonctionnaire que pour celle de l’établissement.

57 En juin 2008, l’achèvement de l’enquête de nature disciplinaire a été confié à de nouveaux enquêteurs (pièce 11). Leur rapport a été présenté le 26 février 2009 (pièce 1, onglet 2), et une copie a été transmise au fonctionnaire. À la page 838, le rapport fait état de l’attention constante des médias qu’avait générée cette affaire. L’audience disciplinaire a eu lieu le 14 avril 2009.

58 Dans l’intervalle, le fonctionnaire a été reconnu coupable d’agression sexuelle le 11 juillet 2008, en contravention à l’article 271 du Code criminel. Après le prononcé de sa sentence le 7 novembre 2008, il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Il a été mis en liberté sur engagement le 21 novembre 2008, en attendant son appel. La Cour a rejeté son appel le 27 novembre 2009, à la suite de quoi le fonctionnaire a commencé à purger sa peine (pièce 2, onglet 5).

59 La Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est exprimée en ces termes (dans 2008 BCSC 917) en ce qui a trait à la tromperie orchestrée par le fonctionnaire relativement à la perpétration de ce crime et au cours de l’enquête de la police (pièce 2, onglet 3) :

[Traduction]

[…]

[45] Je dois dire que j’ai énormément de difficulté à croire ne serait-ce qu’une seule des déclarations faites par l’accusé dans son témoignage. Il a menti lorsqu’il a dit à l’agente Chahil qu’il ne connaissait pas Ka.; il a menti lorsqu’il a affirmé qu’il n’avait pas dit à Ka. qu’il s’appelait « Dion »; il a menti lorsqu’il a dit à Ka. qu’il s’était protégé pendant leur rapport sexuel; il a menti lorsqu’il a dit à la plaignante qu’il était à moitié Français; et il a menti lorsqu’il a dit à la plaignante qu’elle avait enlevé ses vêtements parce qu’elle avait vomi dessus. Par surcroît, je trouve complètement insensée la description qu’il a donnée pour expliquer comment il avait été séduit par Ka., étant donné les circonstances.

[…]

[70] En l’espèce, ce n’est pas seulement que je ne crois pas la déclaration selon laquelle l’accusé ne connaissait pas la plaignante, qu’il aurait faite à l’agente Chahil, mais il existe une preuve indépendante attestant que cette déclaration à l’agente Chahil était fabriquée de toutes pièces. Des éléments de preuve indépendante, à savoir de l’ADN de l’accusé retrouvé dans le vagin de Ka., indiquent qu’il a eu un rapport sexuel avec elle. D’autres éléments de preuve indépendante de Me. et Jo. indiquent que l’accusé connaissait Ka. À la lumière de ces éléments de preuve, la déclaration que l’accusé a faite à l’agente Chahil doit avoir été fabriquée de toutes pièces. Par conséquent, j’en viens à la conclusion que l’histoire fabriquée de toutes pièces qu’a racontée l’accusé à l’agente Chahil est inculpatoire.

[…]

[71] D’après les éléments de preuve présentés au procès, force est de conclure que les blessures subies par la plaignante […] ont été causées par l’accusé alors qu’il se trouvait avec elle. L’étendue de ces blessures, en particulier celles sur ses cuisses, ne témoigne certainement pas d’un rapport sexuel consentant avec la plaignante.

[…]

[72] Des éléments de preuve attestent que la plaignante a vomi tout le long du chemin entre la boîte de nuit et l’appartement de l’accusé, qu’elle a vomi à l’extérieur de la chambre de l’accusé et qu’elle a vomi, comme elle l’a constaté à son réveil, à côté du lit de l’accusé. Malgré tous ces éléments de preuve, l’accusé, dans un effort visant à expliquer que la plaignante avait bel et bien consenti à avoir un rapport sexuel, a déclaré que celle-ci l’avait embrassé passionnément après avoir été prise de vomissements violents. En me fondant sur la preuve indépendante attestant que la plaignante avait vomi, de même que sur l’expérience humaine et la logique, j’ai beaucoup de difficulté à croire cette déclaration de l’accusé.

[…]

[87] Comme je l’ai déjà dit, j’ai éprouvé beaucoup de difficulté à croire ne serait-ce qu’une seule des déclarations faites par l’accusé dans son témoignage. La preuve démontre qu’il a menti à répétition et que sa version des événements qui se seraient produits la nuit de l’infraction n’est pas vraisemblable, étant donné les circonstances.

[…]

[98] […] L’accusé affirme que le rapport sexuel était à l’initiative de la plaignante et que les actions de celle-ci l’ont amené à croire qu’elle était consentante. Cependant, il n’existe aucun élément de preuve vraisemblable à l’appui de cette affirmation; la preuve indique plutôt que l’accusé ne pouvait pas, en toute bonne foi, croire que Ka. était consentante […]

[…]

60 La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (dans 2009 BCCA 520) a également commenté la tromperie du fonctionnaire (pièce 2, onglet 5, paragraphe 20) :

[Traduction]

[20] Le juge a utilisé le fait que l’appelant a nié qu’il connaissait la plaignante comme motif de rejet de son témoignage, et puisque le juge a conclu que ce déni était un élément intentionnellement fabriqué de toutes pièces, il a tiré une conclusion de culpabilité. La principale plainte de l’appelant à cet égard porte sur le fait que le juge n’a pas tenu compte de son explication innocente dans le cadre de l’analyse de la crédibilité. Comme il a été mentionné précédemment, l’explication donnée pour ce déni était que l’appelant craignait que son poste d’agent correctionnel ne soit compromis si son employeur venait à apprendre qu’il faisait l’objet d’une enquête de la police. Il a dit qu’il avait nié connaître la plaignante dans l’espoir de voir la police tourner son attention vers un autre suspect, ce qui lui aurait permis d’éviter des ennuis éventuels au travail.

61 L’absence de remords chez le fonctionnaire a été abordée en ces termes par la Cour suprême de la Colombie-Britannique lorsqu’elle a prononcé sa sentence (2008 BCSC 1526; pièce 2, onglet 4, paragraphes 18 et 44) :

[Traduction]

[…]

[18] [M. Basra] est âgé de 30 ans et n’a jamais été condamné auparavant. Par suite de cette première condamnation, il a perdu son emploi de gardien de prison, et l’espoir qu’il avait de devenir un jour policier s’est envolé en fumée. Son attitude à l’égard de l’infraction commise a été décrite par l’agent de probation qui a préparé le rapport présentenciel, lequel est ainsi rédigé :

[Balkar] a l’impression que sa version de l’infraction n’est pas la même que celle qui figure dans le rapport de police et qui a été donnée par la victime, car de nombreux détails et allégations sont faux. [Balkar] a indiqué que le rapport sexuel entre la victime et lui s’était fait de manière consentante et n’était pas de nature criminelle. Il a dit que ce rapport sexuel avait eu lieu entre « deux adultes consentants » à ce moment-là. Il a affirmé qu’il n’était pas l’agresseur et qu’il croyait que la victime était la personne agressive qui avait voulu une telle activité sexuelle. Bien que [Balkar] reconnaisse que la victime se soit sentie persécutée dans cette situation, il n’a toutefois pas encore la pleine conscience de ce qu’il a fait.

[…] il était difficile d’évaluer son attitude envers la victime dans le contexte de l’agression sexuelle en raison de son déni, malgré les conclusions des cours de justice. [Balkar] continue à nier sa condamnation et affirme qu’il veut porter cette décision en appel.

[…]

[44] [M. Basra] n’a fait montre d’aucun remords en ce qui concerne cette infraction, ni d’aucune compassion ou empathie pour la victime […]

[…]

62 Avant de prendre la décision de licencier le fonctionnaire, l’employeur a examiné toutes ces décisions rendues par les cours de justice et a tenu compte des commentaires de celles-ci. En outre, l’employeur a pris en considération les facteurs atténuants et les facteurs aggravants. Il a établi que le fait de se montrer évasif et d’user de tromperie, de même que le défaut de reconnaître ses torts, démontraient une habitude bien ancrée de déni et de tromperie, ce qui ne cadrait pas avec le rôle d’agent correctionnel et minait le lien de confiance nécessaire entre l’employeur et ses employés. Le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve, documentaire ou testimoniale, qui aurait démenti cette affirmation et, de ce fait, l’arbitre de grief devrait tirer une conclusion défavorable.

63 La décision de l’employeur figure dans la lettre de licenciement du 9 juin 2009 (pièce 1, onglet 3). Les actes du fonctionnaire ont irrévocablement compromis le lien de confiance avec l’employeur et n’étaient pas conformes aux pouvoirs conférés à un agent de la paix, comme il est indiqué à la pièce 16. Le fonctionnaire n’est pas capable d’adopter le comportement social positif attendu d’un agent correctionnel. Dans le milieu carcéral, les agents correctionnels se fient les uns sur les autres pour assurer leur sécurité ainsi que celle des autres et de l’établissement. La confiance est un élément essentiel de cette relation, et le fonctionnaire a démontré, par ses gestes, qu’il n’est pas digne de la confiance des agents correctionnels. Sa capacité de travailler en équipe avec les autres agents correctionnels a été compromise par ce manque de confiance. Sa présence dans l’établissement soulève des préoccupations d’ordre opérationnel quant à sa sécurité et à celle de ses collègues en raison de l’attitude qu’ont les détenus envers les délinquants sexuels.

64 Les cas Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, aux paragraphes 71 et 91, Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10, aux paragraphes 119 et 120, Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 57, aux paragraphes 58 à 60, Boisvert et le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossiers de la CRTFP 166-02-25435 et 26200 (19970410), et McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, aux paragraphes 75 à 80, portent toutes sur un élément essentiel – la confiance – nécessaire à la relation employeur-employé qui existe entre le Service correctionnel du Canada et ses agents correctionnels. L’importance du lien de confiance entre l’employeur et l’employé est également reconnue dans la décision Flewwelling v. Canada (1985), 24 D.L.R. (4e) 274 (C.A.).

65 M. Brown a fait mention de la violence de l’infraction, ainsi que de la supercherie et des manipulations constantes du fonctionnaire. Les témoins qui ont comparu pour le fonctionnaire ont affirmé qu’elles avaient confiance en lui et que la confiance entre agents correctionnels était primordiale, mais elles n’en savaient pas plus que ce qu’il leur avait dit. Le droit de garder le silence ne donne pas le droit à la tromperie. Dans Simoneau, aux paragraphes 61 et 62, l’arbitre de grief s’est exprimé en ces termes en ce qui a trait à la tromperie constante du fonctionnaire dans ce cas :

[61] Il est clair que l’attitude de M. Simoneau lors de son arrestation a terni l’image du Service correctionnel du Canada […] En se servant de son statut d’agent correctionnel pour tenter de se tirer de ce mauvais pas, il a entaché la réputation de l’ensemble des agents correctionnels […]

[62] La gravité des gestes qui lui sont reprochés ajoutée à la perte de crédibilité causée par les modifications successives de sa version des faits ont irrémédiablement détruit le lien de confiance qui doit exister entre le Service correctionnel du Canada et M. Simoneau. Je suis en accord avec la présidente-suppléante Falardeau-Ramsay lorsqu’elle déclare, en sa décision dans la cause Courchesne (supra) :

La seule existence d’un doute sérieux quant à l’intégrité d’un employé dans le milieu carcéral est suffisant pour prévenir sa réinstallation tant la confiance est un facteur important lorsque la vie et la sécurité des individus est en danger.

66 Compte tenu des faits de l’espèce, à savoir que le fonctionnaire a commis une agression sexuelle violente et qu’il a menti à la police, l’arbitre de grief devrait appliquer les principes exposés en ces termes dans Yarmolinsky c. Agence des douanes et du revenu du Canada,2005 CRTFP 6, aux paragraphes 137 et 143 :

[137] À mon avis, l’agression sexuelle était, à elle seule, une raison suffisante pour mettre fin à son emploi. Le licenciement est d’autant plus justifié du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est comporté de manière malhonnête; il a menti au gendarme détective Stitt et a omis d’informer sans attendre son employeur.

[…]

[143] L’employeur a perdu toute confiance à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé. Il est en droit de se demander s’il s’agissait de la première agression que son employé commettait alors qu’il était en service commandé pour l’ADRC ou si c’était la première fois qu’une personne se décidait à porter plainte. On peut aussi se demander quel aurait été le résultat de la vérification si Mme « X » avait accepté ses avances sexuelles. […] Ces préoccupations sont justifiées. Mme Emmett a expliqué que l’ADRC n’avait pas de boule de cristal qui lui permettait de voir dans le futur pour s’assurer qu’il demeurera dans le droit chemin.

67 La lettre de licenciement (pièce 1, onglet 3) fait également référence aux répercussions des actes du fonctionnaire sur la réputation de l’employeur. L’attention constante de la part des médias constitue une preuve de l’atteinte à la réputation de l’employeur. Le mandat du Service correctionnel du Canada consiste à agir dans l’intérêt du public, et il est donc contraire à l’esprit de ce mandat qu’un criminel travaille comme agent correctionnel responsable de détenus. Selon les déclarations des collègues du fonctionnaire qui ont été cités à comparaître, y compris celles des deux personnes ayant témoigné en sa faveur, ils ont tous été embarrassés par cette situation.

68 L’agent négociateur du fonctionnaire a demandé à l’employeur d’intervenir et d’interdire la distribution des journaux annonçant la réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions en septembre 2007. L’employeur a jugé que cette option n’était pas viable, étant donné que les détenus ont le droit de recevoir leurs journaux et que les répercussions pouvant découler de la privation de ce droit n’étaient pas dans l’intérêt de l’établissement. La réalité est telle que, peu importe que les journaux aient été permis ou non dans l’établissement, les détenus avaient accès à l’information par la télévision ou la radio, et qu’ils auraient pu l’apprendre à la bibliothèque, lors d’un appel téléphonique ou par un visiteur.

69 L’employeur n’a pas besoin d’une preuve empirique pour évaluer l’atteinte à sa réputation (voir Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada),2011 CRTFP 76, aux paragraphes 105 à 109). Lors de l’évaluation des répercussions des activités du fonctionnaire sur la réputation de l’employeur, il faut faire preuve de bon sens et de discernement.

70 Le dossier de rendement du fonctionnaire indique que le rendement de celui-ci était satisfaisant. Le fait qu’il a reçu une mention élogieuse en 2002 (pièce 19) pour s’être acquitté comme il se doit de son devoir d’agent de la paix, conformément à la Directive du commissaire – Désignation des agents de la paix (pièce 16), ne constitue pas réellement une circonstance atténuante. Dans Tobin,au paragr. 163, la Commission a déclaré qu’un bon rendement ne change pas grand-chose.

71 Dans les circonstances propres à l’affaire qui nous occupe, d’importants facteurs aggravants doivent être pris en considération : la tromperie et les déclarations évasives du fonctionnaire, la perte de confiance, la gravité de l’infraction, l’absence de remords, et la conclusion défavorable devant être tirée du fait que le fonctionnaire n’a pas témoigné. Dans Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127, au paragr. 289, l’arbitre de grief s’est exprimé en ces termes en ce qui concerne les répercussions du refus de témoigner de la fonctionnaire s’estimant lésée :

289 J’ai mentionné à plusieurs reprises dans mes motifs de décision le fait que Mme Baptiste n’a pas témoigné lors de l’audience. Pour cette raison, je n’ai d’autre choix que d’évaluer la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi sans profiter d’une explication fournie directement par elle. Après avoir conclu qu’elle a commis une inconduite professionnelle grave lorsqu’elle a administré le mauvais médicament, qu’elle n’a pas signalé ni reconnu la situation et qu’elle a modifié de façon inappropriée le RSDC afin de corriger ces erreurs, je crois qu’il incombait à la fonctionnaire de me fournir une explication satisfaisante. Le fait qu’elle ne m’en ait pas fourni doit m’amener à tirer des conclusions défavorables non seulement à propos des faits au sujet desquels elle aurait pu exposer son propre point de vue, mais aussi à savoir si la décision de mettre fin à son emploi était raisonnable dans les circonstances.

72 Dans la présente affaire, le fonctionnaire a été condamné à un emprisonnement de deux ans moins un jour, suivi d’une période de probation de trois ans pendant laquelle il devait se conformer à une interdiction de possession d’armes à feu; il devait en outre fournir un échantillon d’ADN afin d’être enregistré comme délinquant sexuel, de sorte que son nom figure sur la liste des délinquants sexuels pendant vingt ans. Ces mesures témoignent de la gravité et de la violence de l’infraction pour laquelle il a été reconnu coupable. Suivant Tobin c. Canada (Procureur général),2009 CAF 254, aux paragraphes 65 et 66, un certificat reçu pour avoir accompli un bon travail ne l’emporte pas sur ces importants facteurs aggravants.

ii. Suspension sans traitement de 2008

73 La question de la suspension sans traitement imposée le 2 juin 2008 revêt un intérêt purement théorique étant donné que le licenciement est entré en vigueur de manière rétroactive à cette date. Même sans cette rétroactivité, la suspension constituait une mesure administrative prise par l’employeur qui était, dans les circonstances, raisonnable et justifiée. Les cas Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences),2011 CRTFP 43, et Bahniuk c. Agence du revenu du Canada,2012 CRTFP 107, portent toutes sur la notion du caractère théorique. Dans Brazeau, les raisons données pour justifier la suspension sans traitement allaient au-delà de la condamnation du fonctionnaire. Le facteur supplémentaire que constituait la condamnation, qui n’existait pas au moment où la suspension avait été imposée, n’excluait pas que le licenciement soit imposé rétroactivement (voir les paragraphes 145 à 154 de cette décision).

74 En l’espèce, l’employeur a toujours considéré le fonctionnaire comme un risque. Il n’a pas été réintégré dans ses fonctions parce que l’employeur avait changé d’avis à ce sujet, mais bien parce que ce dernier s’était conformé à l’ordonnance de l’arbitre de grief; en effet, l’employeur n’a jamais admis que la suspension était injustifiée. Il est indéniable que l’employeur n’acceptait pas la décision de l’arbitre de grief, car il a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Après que la Cour fédérale eut rendu sa décision annulant l’ordonnance de réintégration en mai 2008, l’employeur a de nouveau suspendu le fonctionnaire. Le licenciement était fondé en partie sur les faits, tels qu’ils existaient en juin 2008, ayant donné lieu à la suspension sans traitement. Il convient de déterminer le caractère théorique d’une question au moment de l’audience (voir Borowski c. Canada (procureur général),[1989] 1 R.C.S. 342); pour ce faire, il faut se demander si le « différend concret et tangible » subsiste, pour reprendre les termes utilisés dans Borowski.

75 Les arbitres de grief appliquent systématiquement le principe du caractère théorique, comme il est exposé dans LeBoeuf c. Conseil du Trésor (ministère des Transports) et Alliance de la Fonction publique du Canada,2007 CRTFP 27, dans laquelle l’arbitre de grief a appliqué le principe énoncé dans Borowski. La seule question en litige au moment de la présente audience était celle du licenciement. Subsidiairement, même si la question de la suspension n’était pas théorique en l’espèce, l’arbitre de grief n’aurait pas eu compétence pour trancher étant donné qu’il s’agissait d’une suspension de nature administrative.

76 Les faits ayant donné lieu à la suspension du fonctionnaire en juin 2008 différaient de ceux ayant donné lieu à la suspension initiale en 2006. L’établissement était exposé à un risque, le personnel s’était dit préoccupé par la présence du fonctionnaire, et la situation attirait beaucoup l’attention des médias. La suspension du fonctionnaire visait à atténuer ce risque. Il était raisonnable pour l’employeur de prendre une telle mesure (voir Boisvert).

77 Même si l’arbitre de grief concluait qu’il existe une question en litige relativement à la suspension et que celle-ci était de nature disciplinaire et non administrative, l’employeur avait tout de même le droit de licencier le fonctionnaire à compter de la date de la suspension. L’employeur peut prendre des mesures pour remédier à ses préoccupations. Il n’est pas tenu d’attendre; il suffit que le risque soit reconnu (voir Lapostolle, aux paragraphes 88 et 93, Richer, aux paragraphes 119 et 125, et Yarmolinsky,aux paragraphes 143 et 153). M. Brown, dont l’expérience des services correctionnels remonte à 1978, a estimé que la présence du fonctionnaire dans le lieu de travail constituait un risque. L’arbitre de grief devrait tenir compte de l’expérience des témoins dans son examen de l’existence du risque.

78 S’il était permis au fonctionnaire de continuer à travailler dans l’établissement, la réputation du Service correctionnel du Canada en souffrirait (voir Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada),2003 CRTFP 69, aux paragraphes 39, 40, 42, 43, 44 et 48).

79 En l’espèce, il est satisfait à tous les facteurs Millhaven visant à évaluer les répercussions de la conduite d’un employé hors du lieu de travail sur les relations employeur-employé (voir Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works v. Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), 1(A) Union-Management Cases 3-28). Conformément à l’Entente globale (pièce 3, onglet 39), l’employeur a le pouvoir de suspendre un agent correctionnel sans traitement. L’employeur a respecté les Lignes directrices concernant la discipline en vigueur au Service correctionnel du Canada (pièce 3, onglet 41), selon lesquelles la suspension doit être évaluée de manière continue par l’application des critères exposés dans Larsen (voir Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9). La situation telle qu’elle se présente devant l’arbitre de grief n’est plus la même que lorsque la Commission a été saisie de l’affaire pour la première fois, étant donné que le fonctionnaire est devenu un criminel condamné quelque 30 jours après avoir été suspendu.

80 L’administrateur général demande que les griefs soient rejetés. Même si cette décision était cassée, la seule question à trancher est le montant de la réparation auquel le fonctionnaire pourrait avoir droit. Pour ce faire, il faut une preuve des limitations et des détails relatifs au revenu. S’il s’avère que la suspension n’est pas théorique, aucun montant n’est dû. Tout retard est attribuable à la conduite du fonctionnaire. Toute réparation se limiterait à un mois, moins tout ce qu’il aurait gagné pendant cette période. Même si la suspension était annulée, la condamnation demeure, et il devrait en être de même pour le licenciement (voir Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79,2003 CSC 63).

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

81 La suspension sans traitement et le licenciement imposés au fonctionnaire constituaient tous deux des mesures disciplinaires. Par conséquent, le fardeau de justifier ces mesures incombait à l’employeur. En outre, l’employeur devait démontrer que la suspension sans traitement de 12 mois et le licenciement subséquent n’étaient pas excessifs dans les circonstances (voir Basra, 2010 CAF 24, au paragr. 29, Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 131, au paragr. 11, et Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2012 CRTFP 53, aux paragraphes 47 et 48).

82 Initialement, le fonctionnaire a été suspendu sans traitement pour une période indéterminée le 3 avril 2006. Une enquête de nature disciplinaire a été entreprise le 24 avril 2006 dans le but d’établir si le fonctionnaire avait été accusé d’agression sexuelle le 17 mars 2006 et s’il avait omis d’aviser son superviseur, avant de reprendre ses fonctions, qu’il était accusé d’avoir commis une infraction criminelle ou une autre infraction à la loi. Le 10 janvier 2008, l’enquête de nature disciplinaire n’était toujours pas terminée. Cette enquête, dont la responsabilité incombait à MM. Strijack et Farrell, a été confiée à MM. Andresassen et O’Shea (pièce 3, onglet 17). Le rapport d’enquête de MM. Strijack et Farrell devait être terminé au plus tard le 31 mai 2006 (pièce 3, onglet 3).

83 À l’époque où les suspensions d’avril 2006 et de juin 2008 ont été imposées, le Guide d’application – Sanctions disciplinaires de l’employeur (pièce 3, onglet 40, page 28, section E.1.a) prescrivait la prise de la mesure disciplinaire dans le mois suivant l’infraction. En outre, les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor en vigueur à ces deux dates exigeaient de ne pas tarder à prendre la mesure disciplinaire, car « […] un long délai entre le manquement à la discipline et la réaction de la direction tend à dissocier l’infraction de la mesure corrective. Un tel retard peut également être considéré comme une tolérance de l’infraction et affaiblir la position de la direction à l’arbitrage du grief » (pièce 3, onglet 41, page 642, section 4.c).

84 Un seul rapport disciplinaire a été produit; celui-ci est daté du 26 février 2009 (pièce 3, onglet 2A). Ce rapport survient donc 2 ans et 10 mois après la suspension initiale et le début de l’enquête, et environ 13 mois et demi après que M. Brown eut confié l’enquête à MM. Andreassen et O’Shea. Dans le rapport, il est indiqué clairement que, [traduction] « […] par suite de la décision de la Cour fédérale » rendue le 21 mai 2008 et cassant la décision rendue en juillet 2007 par la Commission, laquelle faisait droit au grief concernant la suspension initiale du fonctionnaire, [traduction] « […] le directeur a de nouveau suspendu sans traitement le fonctionnaire à compter du 8 juin 2008 » (pièce 1, onglet 2A, page 837).

85 Lors du contre-interrogatoire, M. Brown a reconnu que la décision rendue par la Cour fédérale le 21 mai 2008 avait fait en sorte qu’il réexamine la situation du fonctionnaire et qu’il le suspende de nouveau, et il a concédé dans le cadre de son contre-interrogatoire que les renvois à des éléments de preuve attestant que le fonctionnaire avait trompé la police, qui figuraient dans cette décision de la Cour fédérale, provenaient de la lettre du 24 mars 2006 reçue de M. Insley, avocat de la Couronne pour la Province de la Colombie-Britannique (pièce 10). Dans la lettre du 2 juin 2008 avisant le fonctionnaire de sa deuxième suspension, M. Brown soulève les mêmes questions et préoccupations qui ont motivé la prolongation de la suspension sans traitement du fonctionnaire en avril 2006, après l’expiration de la période de 30 jours prévue pour la prise d’une mesure disciplinaire au terme des Lignes directrices concernant la discipline appliquées par l’employeur.

86 D’avril à octobre 2006, l’employeur a procédé à un examen périodique de la suspension sans traitement imposée au fonctionnaire en avril 2006. Les motifs qu’il a invoqués pour prolonger cette suspension pour une période indéterminée étaient essentiellement les mêmes que ceux exposés dans la lettre de M. Brown datée du 2 juin 2008 visant à imposer de nouveau une suspension sans traitement à la suite de la décision rendue par la Cour fédérale le 21 mai 2008.

87 La prolongation de la suspension sans traitement imposée au fonctionnaire en avril 2006 était à l’origine justifiée par plusieurs motifs, notamment celui selon lequel il présentait [traduction] « […] un risque raisonnablement grave et réel pour le Service » (pièce 3, onglet 4). Ce n’était pas uniquement le Service correctionnel du Canada qui se trouvait exposé à ce risque, mais également les détenus, comme en témoigne une note datée de juin 2006 qui se trouve au dossier disciplinaire du fonctionnaire (pièce 3, onglet 5); dans cette note disciplinaire, il est indiqué que les renseignements reçus jusqu’alors au sujet de l’agression sexuelle donnaient à penser que le fonctionnaire [traduction] « […] ne pouvait pas s’occuper d’autres personnes – tout particulièrement celles sur qui il exerçait un ascendant ». De même, la note disciplinaire informant le fonctionnaire qu’il était suspendu de nouveau à compter du 2 juin 2008 fait état de préoccupations selon lesquelles sa présence dans l’établissement serait préjudiciable aux détenus ayant été victimes d’agressions sexuelles ou dont des membres de la famille avaient été victimes de tels actes. Plus précisément, il est écrit dans la note disciplinaire que [traduction] « les agents correctionnels exercent un pouvoir sur les détenus dans ce contexte » (pièce 1, onglet 1). Il est également fait mention de préoccupations relatives à la sécurité des autres membres du personnel et du fonctionnaire s’il était autorisé à reprendre le travail.

88 Les notes d’avril et de juin 2006 versées au dossier disciplinaire du fonctionnaire (pièce 3, onglets 4 et 5) font état du fait que la nature des accusations portées contre lui était telle qu’il ne serait pas en mesure d’exécuter ses fonctions. M. Brown a confirmé cet état de choses dans sa lettre du 27 juillet 2006, dans laquelle il a déclaré que la suspension sans traitement serait prolongée (pièce 3, onglet 6). Les lettres du directeur d’août, septembre et octobre 2006 (pièce 3, onglets 7, 8 et 10) portant sur la prolongation de la suspension sans traitement évoquent toutes des risques graves pour la sécurité auxquels serait exposé le Service correctionnel du Canada si le fonctionnaire était autorisé à reprendre le travail. En outre, ces lettres faisaient état des groupes à la fois vastes et variés avec lesquels le Service correctionnel du Canada interagit régulièrement, dont les délinquants, et indiquaient que, pour cette raison, permettre au fonctionnaire de reprendre le service actif aurait une incidence négative sur la sécurité et le bien-être de toutes les personnes concernées.

89 La note disciplinaire sur la suspension du 2 juin 2008 mentionne le pouvoir qu’ont les agents correctionnels sur les détenus vulnérables, l’effet négatif qu’aurait sur les détenus la présence du fonctionnaire dans l’établissement, le risque de représailles de la part des détenus, l’atteinte à l’intégrité du personnel des services correctionnels et la perte de crédibilité du fonctionnaire en tant que modèle, de même que les risques pour la sécurité des autres membres du personnel (pièce 1, onglet 1). Ce sont les mêmes facteurs que M. Brown avait invoqués dans son témoignage devant l’arbitre de grief chargé de la procédure initiale lors de l’audience tenue en octobre 2006 (Basra,2007 CRTFP 70, aux paragraphes 48, 49, 55 et 56).

90 Enfin, la note disciplinaire sur la suspension du 2 juin 2008 fait état de renseignements reçus de la Couronne à propos de l’accusation portée contre le fonctionnaire – le fait qu’il n’a pas révélé son identité, qu’il a trompé la police en niant connaître la victime ou avoir eu un rapport sexuel avec elle (contrairement à la preuve matérielle) et qu’il n’a pas avisé l’employeur de l’enquête dont il faisait l’objet (pièce 1, onglet 1). Les allégations voulant qu’il n’ait pas révélé son identité et qu’il ait trompé la police proviennent manifestement de la lettre de M. Insley datée du 24 mars 2006 (pièce 10), sur laquelle s’est fondé M. Brown dans sa note disciplinaire du 6 juin 2006 prolongeant la suspension sans traitement d’avril 2006. Malgré le fait que le fonctionnaire avait avoué connaître la victime et avoir eu un rapport sexuel avec elle au moment de l’enquête préliminaire, la note sur la suspension du 2 juin 2008 n’en fait pas mention. Pendant le contre-interrogatoire, M. Brown a admis qu’il avait examiné la transcription de l’audience préliminaire en mai ou en juin 2007, mais qu’il n’avait pas envisagé la possibilité de suspendre de nouveau le fonctionnaire entre le moment où il avait lu la transcription et celui où le fonctionnaire avait réintégré ses fonctions en septembre 2007.

91 Au moment de prendre des mesures en vue du retour au travail du fonctionnaire à la suite de la décision rendue par l’arbitre de grief en 2007 (Basra, 2007 CRTFP 70), M. Brown a invoqué les mêmes risques et préoccupations, y compris les allégations voulant que le fonctionnaire ait trompé la police.

92 Le 4 septembre 2007, le fonctionnaire a recommencé à travailler dans l’établissement, dans l’aire d’admission et de libération, où il a eu affaire directement à des agentes correctionnelles et à des détenus sans que ne surviennent d’incidents. Dans l’EMR de l’employeur du 12 septembre 2007, il est indiqué qu’au départ, le retour au travail du fonctionnaire est passé relativement inaperçu, mais que les choses ont changé après la publication d’un article dans le Vancouver Sun le 8 septembre 2007. L’employeur a refusé les demandes de l’agent négociateur du fonctionnaire, qui voulait que le journal ne soit pas distribué aux détenus. Après la publication de l’article, l’employeur a estimé que la réaction générale à cet égard avait été faible (pièce 5). Les risques découlant de la publication de l’article, que l’employeur avait cernés, n’ont pas suffi à justifier l’interdiction de la distribution du journal aux détenus. Le fonctionnaire s’est absenté du travail pour environ une semaine et est revenu le 17 septembre 2007.

93 L’employeur a réalisé une deuxième EMR le 29 octobre 2007. Le fonctionnaire a alors signalé qu’il avait l’impression que son retour au travail s’était bien passé et qu’il n’avait eu aucun problème. Il ne s’inquiétait pas pour sa sécurité, et il croyait pouvoir occuper n’importe quel poste dans l’établissement (pièce 6, pages 39 et 40). Il était recommandé dans l’EMR de le garder en poste dans l’aire d’admission et de libération, du lundi au vendredi, pendant le quart de jour. Sa tâche principale consistait à consigner les données sur les effets personnels des détenus, ce qui lui donnait accès à des renseignements confidentiels sur ceux-ci. Il avait également l’autorisation, dans certaines circonstances, de participer à la préparation des formalités nécessaires pour les détenus et d’escorter des détenus de l’Unité de détention temporaire entre l’unité et l’aire d’admission et de libération (pièce 6, page 37, et pièce 3, onglet 14). Dans le cadre de ses fonctions dans l’aire d’admission et de libération, le fonctionnaire a travaillé directement avec des agentes correctionnelles et des détenus sans que ne surviennent d’incidents.

94 Une troisième EMR a été faite le 20 décembre 2007. À ce moment-là, aucun problème ni préoccupation n’avait fait jour relativement à l’élargissement des fonctions du fonctionnaire proposé en octobre. Dans cette EMR, il était recommandé d’examiner la possibilité d’élargir ses fonctions une nouvelle fois, étant donné que son procès au criminel avait été reporté au 23 juin 2008 (pièce 7, dernière page, sans numérotation). Le 5 février 2008, le superviseur du fonctionnaire a indiqué qu’il avait l’intention de recommander au directeur que l’EMR soit mise à jour de manière à ce que le fonctionnaire soit autorisé à exécuter toutes les fonctions dans l’aire d’admission et de libération, y compris à escorter les prisonniers. Le superviseur a également fait observer qu’aucune préoccupation n’avait été soulevée quant à des problèmes de confiance, ce qu’a corroboré Mme Schaufele (pièce 3, onglet 18).

95 Dans la note disciplinaire sur la suspension du 2 juin 2008, M. Brown a admis qu’aucun problème de rendement important n’avait été observé après que le fonctionnaire eut recommencé à travailler dans l’aire d’admission et de libération (pièce 1, onglet 1, page 2). Certaines préoccupations ont été exposées dans l’EMR du 29 octobre 2007 parce que le fonctionnaire avait élargi ses fonctions de sa propre initiative (pièce 6, pages 37 et 39), mais il n’était pas suggéré que cela mettait en péril la sécurité de quiconque. L’employeur a reconnu que le fonctionnaire pouvait participer à la préparation des formalités nécessaires pour les détenus et les escorter entre l’Unité de détention temporaire et l’aire d’admission et de libération lorsque l’un des employés habituellement affectés à cette aire n’était pas en mesure de s’en charger. Il est indiqué dans les EMR de décembre 2007 et de février 2008 qu’un élargissement accru de ses fonctions devrait être envisagé.

96 Aucune des personnes ayant témoigné pour le compte de l’employeur n’a travaillé directement avec le fonctionnaire du 4 septembre 2007 au 2 juin 2008. Les deux collègues de sexe féminin qui travaillaient avec le fonctionnaire dans l’aire d’admission et de libération ont témoigné en sa faveur. Mme Dillabough a déclaré qu’à sa connaissance, aucun processus ni protocole spécial n’avait été mis en place lorsque le fonctionnaire avait repris le travail. Selon elle, il n’y avait pas eu d’augmentation des risques parce qu’elle travaillait avec lui. Elle avait déjà travaillé dans l’aire d’admission et de libération lorsque le fonctionnaire n’y était pas affecté et elle n’avait perçu aucune différence dans le niveau de sécurité lorsqu’il était présent. Elle a ajouté que les incidents constituant un risque pour les agents correctionnels sont rares.

97 Non seulement l’employeur n’a mis en place aucune procédure spéciale dans l’aire d’admission et de libération pendant que le fonctionnaire y travaillait, mais il n’a pas non plus discuté de la question de l’affectation de celui-ci à ces fonctions particulières avec Mme Dillabough avant de procéder à l’affectation. Elle n’a pas été questionnée dans le cadre des EMR, mais cela n’aurait rien changé parce qu’elle n’avait eu aucun problème à travailler avec lui.

98 Les détenus se comportaient normalement en présence du fonctionnaire lorsque celui-ci travaillait dans l’aire d’admission et de libération. Étant donné la nature du travail dans cette unité, les agents correctionnels qui y sont affectés jouent un rôle mineur dans la réadaptation des détenus.

99 Mme Schaufele a déclaré que le fonctionnaire travaillait fort, qu’il ne se plaignait pas et qu’il avait un effet calmant sur de nombreux détenus. Elle se sentait parfaitement en sécurité lorsqu’elle travaillait avec lui dans l’aire d’admission et de libération et elle n’avait rien à redire sur son comportement général. Ses interactions avec les détenus dans l’aire d’admission et de libération étaient empreintes de respect, et ceux-ci le lui rendaient bien. Aucun changement n’a été apporté à l’équipement et aux mesures de sécurité dans l’aire d’admission et de libération après que le fonctionnaire eut commencé à y travailler à son retour au travail. Le niveau de risque à cet endroit ne justifiait aucun changement.

100 D’après Mme Schaufele, les détenus n’ont pas fait de commentaire visant personnellement le fonctionnaire pendant que celui-ci travaillait dans l’aire d’admission et de libération. Aucun de ses collègues n’a soulevé de problème du fait de travailler avec lui. La seule personne qui a indiqué avoir un problème était Mme Cohen, la maître-chien qui venait parfois dans l’aire d’admission et de libération pour fouiller les effets des détenus. Mme Dillabough a affirmé que Mme Cohen ne voulait pas faire de fouilles dans l’aire d’admission et de libération tandis que le fonctionnaire y travaillait, alors elle les faisait au dépôt avant que les détenus n’arrivent dans l’aire d’admission et de libération. À l’époque, selon le témoignage de Mme Cohen, tout ce qu’elle savait au sujet de l’accusation qui pesait contre le fonctionnaire tenait en ce qu’elle avait lu dans le journal. Mme Cohen a également déclaré qu’il était plus facile de procéder à la fouille des effets personnels des détenus au dépôt que dans l’aire d’admission et de libération, car une fois là-bas, les détenus pouvaient surveiller leurs effets.

101 L’Entente globale conclue entre l’agent négociateur du fonctionnaire et l’employeur, qui est entrée en vigueur le 2 juin 2008, prévoit, à la section III-C sur la suspension durant l’enquête, que lorsqu’un employé est suspendu sans traitement jusqu’à ce que soit conclue l’enquête dont il fait l’objet et que soit prise une décision quant à sa situation, la direction locale doit s’informer de l’état d’avancement de l’enquête toutes les trois semaines et envisager la possibilité de réintégrer l’employé dans un délai raisonnable. L’employé doit être avisé par écrit de la décision de la direction et doit également recevoir les motifs de cette décision (pièce 3, onglet 39, page 23). La direction locale de l’établissement n’a pas réévalué la suspension du fonctionnaire toutes les trois semaines et ne lui a pas non plus fourni par écrit une décision dans laquelle étaient exposés les motifs applicables à la prolongation de sa suspension, ce qui n’est pas conforme à la procédure suivie par l’employeur lors de la suspension de 2006 (pièce 3, onglets 4 à 10).

102 Avant d’être suspendu, le fonctionnaire avait un bon dossier en tant qu’employé; son rendement était pleinement satisfaisant, et ses antécédents d’assiduité étaient supérieurs à la moyenne. Il avait reçu plusieurs mentions honorables et n’avait pas de dossier disciplinaire. Il avait travaillé pendant 18 mois, de septembre 2004 à avril 2006, sans avoir de problèmes de rendement. Après sa réintégration en septembre 2007, il a travaillé sans incident jusqu’en juin 2008. Il n’était pas considéré comme posant un risque assez grave pour la société, de sorte qu’il n’était pas nécessaire qu’il soit incarcéré en attendant son procès. Après son arrestation initiale, il a été mis en liberté sur remise d’une promesse de comparaître et de diverses autres promesses (pièce 21). Après sa condamnation, il a également été mis en liberté sur remise de promesses jusqu’à ce que sa peine soit prononcée en novembre 2008 (pièce 21).

103 La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait remarquer que le fonctionnaire avait respecté les promesses faites avant son procès et qu’il s’agissait là d’un facteur positif qui plaidait en faveur de sa libération sous caution en attendant la conclusion de ses appels. Le facteur déterminant dont a tenu compte la Cour d’appel pour le libérer sous caution était l’intérêt du public, qui sous-tendait deux facteurs : la protection et la sécurité du public et le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice (R. v. B.S.B., 2008 BCCA 483, aux paragr. 21 et 22). Pour établir que la libération sous caution du fonctionnaire en attente de la conclusion des procédures d’appel n’allait pas à l’encontre de l’intérêt du public, la Cour a fait valoir ce qui suit, outre la conduite du fonctionnaire dans le contexte de l’infraction (au paragraphe 23) :

[Traduction]

[…] rien dans la conduite actuelle ou passée du fonctionnaire n’indique que son incarcération est requise aux fins de la protection et de la sécurité du public. Les spécialistes qui l’ont évalué et conseillé ont indiqué qu’à leur avis, il ne posait pas de risque pour la collectivité et n’était pas susceptible de récidiver. Le fonctionnaire ne possède aucun dossier criminel et s’est conformé à toutes les modalités de sa libération en attente du prononcé de sa peine.

104 Le fonctionnaire a été incarcéré du 19 ou du 22 janvier 2010 au 7 mai 2011; il a donc purgé environ 15 mois et demi d’une peine d’emprisonnement de 24 mois. Aucun élément de preuve n’indique qu’il a enfreint les modalités de sa probation depuis sa libération.

i. Grief concernant le licenciement

105 Lorsque l’employeur a licencié le fonctionnaire le 9 juin 2009, il souhaitait rendre le licenciement rétroactif au 2 juin 2008 et il a affirmé à l’audience que ce licenciement rétroactif faisait en sorte que le grief portant sur la suspension était théorique. Or, il n’est indiqué nulle part dans la lettre de licenciement du 9 juin 2009 que l’employeur était d’avis que le grief portant sur la suspension était théorique. La première question à trancher consiste donc à établir si l’employeur avait le pouvoir, suivant la loi, d’imposer un licenciement rétroactif à une date remontant à plus de 12 mois avant que le fonctionnaire n’en soit informé. La lettre de licenciement du 9 juin 2009 indique que l’emploi de ce dernier a pris fin en date du 2 juin 2008, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP). L’alinéa 12(1)c) prévoit que l’administrateur général a le pouvoir d’établir des normes de discipline et de prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement. Il ne confère toutefois pas à l’employeur, de façon expresse ou implicite, le pouvoir d’imposer un licenciement rétroactif.

106 L’alinéa 12(1)c) de la LGFP prévoit la délégation à l’administrateur général du pouvoir de prescrire des mesures disciplinaires dans le cadre du processus disciplinaire, mais il ne prévoit pas la délégation du pouvoir d’imposer un licenciement rétroactif ou rétrospectif. Si ni cette loi ni aucun autre règlement n’autorisent les personnes investies de pouvoirs délégués à prendre des décisions rétroactives ou rétrospectives, la personne investie du pouvoir délégué ne peut imposer une décision ayant un effet rétroactif ou rétrospectif. En l’espèce, l’administrateur général n’avait pas le pouvoir, en vertu de l’alinéa 12(1)c), d’imposer un licenciement rétroactif ou rétrospectif au fonctionnaire, et n’a d’ailleurs toujours pas ce pouvoir (voir Shell Canada Ltée c. Canada (Procureur général), [1998] 3 CF 223 (1re inst.), aux paragraphes 35 à 37).

107 Aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la LGFP, le licenciement figure parmi les mesures disciplinaires que l’administrateur général peut imposer, compte tenu des pouvoirs qui lui ont été délégués. Étant donné que le licenciement du fonctionnaire constitue clairement une mesure disciplinaire, la présomption contre la rétroactivité s’applique. Si les lois rétrospectives et rétroactives sont considérées comme inéquitables ou injustes, il doit en aller de même des mesures disciplinaires qui sont imposées avec un effet rétroactif ou rétrospectif. En droit canadien, l’application rétrospective des lois est limitée par une présomption interprétative selon laquelle les lois ne s’appliquent que de façon prospective (voir Thow v. British Columbia (Securities Commission), 2009 BCCA 46, aux paragr. 10 à 13). Non seulement le fait de permettre à l’employeur d’imposer un licenciement de façon rétroactive donnerait à l’administrateur général des pouvoirs qui ne lui ont pas été conférés par la LGFP, mais cela serait également contraire à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP) ainsi qu’à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des agents correctionnels du Canada (CSN), dont la date d’expiration est le 31 mai 2010.

108 Aux termes du paragraphe 228(1) de la LRTFP, l’arbitre de grief doit donner à chaque partie au grief l’occasion de se faire entendre. En voulant antidater le licenciement du fonctionnaire au 2 juin 2008, soit 12 mois avant que celui-ci n’en soit informé, l’employeur a en fait tenté de le priver de son droit d’être entendu en ce qui a trait à son grief portant sur la suspension, ce qui est contraire à la LRTFP ainsi qu’à la présomption contre la rétroactivité.

109 Selon l’article 229 de la LRTFP, la décision d’un arbitre de grief ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective. Aux termes du paragraphe 20.02 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des agents correctionnels du Canada (CSN) (l’« agent négociateur »), le fonctionnaire a le droit de formuler un grief contre la suspension qui lui a été imposée en juin 2008. Ce droit n’est limité par aucune des deux exceptions énoncées dans ce paragraphe, soit l’existence d’une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou le fait que le grief porte sur des questions d’interprétation, ce qui nécessiterait le consentement de l’agent négociateur et la représentation par celui-ci. En outre, le paragraphe 20.23 confère au fonctionnaire le droit de renvoyer à l’arbitrage son grief concernant la suspension, conformément à la LRTFP et à son règlement d’application. Le fait de permettre à l’employeur de licencier rétroactivement le fonctionnaire, le privant ainsi des droits qui lui sont conférés par la loi et par la convention collective en ce qui a trait à la formulation d’un grief concernant sa suspension, serait contraire à la présomption contre la rétroactivité et aurait également pour effet de modifier la convention collective afin que celle-ci comprenne une troisième exception quant à la possibilité de présenter un grief et de renvoyer à l’arbitrage le grief concernant la suspension, si le licenciement a un effet rétroactif.

110 Dans York (City) and Canadian Union of Public Employees, Local 10, [1999] O.L.A.A. no 8 (QL), l’employeur a tenté d’antidater un licenciement de près de trois ans. L’arbitre a jugé que l’employeur ne pouvait pas antidater le licenciement sans avoir une autorisation expresse à cette fin (au paragr. 12). Dans Henderson v. the Province of Prince Edward Island (Regional Administrative Unit no 2, Ministry of Education) (1981), 29 L.A.C. (2e) 326, l’employeur souhaitait antidater de deux mois le licenciement d’un fonctionnaire s’estimant lésé. L’arbitre de grief a jugé que cette mesure était inappropriée. L’employeur avait consacré environ deux mois à l’examen du statut de fonctionnaire s’estimant lésé avant de prendre la décision de le licencier. L’arbitre de grief a conclu que, jusqu’à ce que la décision soit prise, le fonctionnaire s’estimant lésé demeurait un employé, de sorte que la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé de manière rétroactive ne pouvait être cautionnée. Il est énoncé au paragraphe 12(3) de la LGFP que les mesures disciplinaires doivent être motivées. Ainsi, l’employeur doit, en vertu de la loi, établir une justification pour la suspension et le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé. Étant donné qu’il doit établir que la suspension sans traitement était motivée, l’employeur ne peut pas se décharger du fardeau qui lui incombe, en vertu de la loi, d’établir une justification pour la suspension en tentant d’antidater le licenciement à la date de la suspension. Ce paragraphe de la LGFP,interprété conjointement avec les dispositions de la LRTFP et la convention collective, indique que les pouvoirs délégués à l’administrateur général lorsqu’il s’agit d’imposer des mesures disciplinaires n’englobent pas le pouvoir d’imposer un licenciement rétroactif (voir Day & Ross Ltd. v. Jumbo Motor Express Ltd. (1972),27 D.L.R. (3e) 115, aux pages 4 et 5).

111 Dans Roberts c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences),2009 CRTFP 108, le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé a été imposé rétroactivement à la date de sa suspension sans traitement, dans l’attente d’une enquête disciplinaire. L’administrateur général a soutenu que le grief portant sur la suspension était théorique, étant donné que le licenciement avait été antidaté au début de la suspension (voir les paragraphes 1 et 2). L’arbitre de grief a rejeté l’argument de l’administrateur général. Le fait que le licenciement ait été antidaté au début de la suspension ne changeait rien au fait qu’il y avait bel et bien eu une suspension qui avait duré environ un mois. Ainsi, même s’il est déterminé qu’un employeur était justifié de mettre fin à l’emploi d’un employé après la tenue d’une enquête de nature disciplinaire, l’arbitre de grief doit tout de même établir si la suspension pendant la tenue de l’enquête disciplinaire était justifiée (voir le paragraphe 30 de cette décision). De la même façon, dans Baptiste, l’arbitre de grief a rejeté le grief portant sur le licenciement présenté par la fonctionnaire s’estimant lésée, mais il a accueilli en partie son grief portant sur la suspension, même si celle-ci reposait sur les mêmes motifs sur lesquels l’employeur s’était fondé pour justifier le licenciement (voir les paragraphes 329 à 331).

112 En l’espèce, M. Basra a été suspendu de nouveau le 2 juin 2008, par suite de la décision de la Cour fédérale qui annulait la décision initiale de la Commission, laquelle faisait droit au grief portant sur la suspension sans traitement d’avril 2006. L’enquête de nature disciplinaire, qui a commencé en avril 2006, n’était toujours pas terminée le 2 juin 2008, date à laquelle le fonctionnaire a été suspendu de nouveau. En fait, ce n’est qu’à la fin de février 2009 que l’enquête s’est terminée. L’audience disciplinaire a eu lieu le 14 avril 2009, et la décision de licencier le fonctionnaire a été prise le 9 juin 2009, et non 12 mois plus tôt, avant que l’enquête ne soit terminée et que le fonctionnaire n’ait eu l’occasion de se faire entendre à ce sujet. Par conséquent, le licenciement devrait prendre effet à la date à laquelle a été prise la décision de licencier le fonctionnaire.

ii. Grief concernant la suspension

113 Comme pour le grief concernant le licenciement, l’employeur doit s’acquitter du fardeau qui lui incombe en vertu de la loi de justifier la suspension qu’il a imposée au fonctionnaire le 2 juin 2008. Au cours de l’audience, il était évident que l’employeur cherchait à aborder et à soulever à nouveau des questions que la Commission avait déjà tranchées au sujet de la suspension initiale d’avril 2006, notamment afin de remettre en question le fait qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire, constatation qui avait pourtant été confirmée par la Cour d’appel fédérale. L’employeur s’est fondé sur Burchill c. Canada (Procureur général),[1981] 1 C.F. 109 (C.A.), pour étayer ses affirmations selon lesquelles il devrait pouvoir soulever de nouveau ces questions, étant donné que l’agent négociateur n’avait pas fait valoir, dans le grief concernant la suspension, que l’employeur n’était pas autorisé à s’engager dans un tel abus de procédure. Toutefois, ce n’est pas ce qui ressort de Burchill.

114 Dans Burchill,la seule question soulevée par le fonctionnaire s’estimant lésé était celle de savoir s’il conservait le statut d’employé nommé pour une période indéterminée, même s’il avait accepté une nomination pour une durée déterminée ailleurs. Cette question ne pouvait pas être renvoyée à l’arbitrage. Après le rejet du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, M. Burchill a tenté de soumettre une question différente à l’arbitrage, c’est-à-dire la question de savoir si sa mise en disponibilité constituait en fait une mesure disciplinaire.

115 La démarche préconisée par l’arbitre de grief et la Cour d’appel dans Burchill ne s’applique pas au grief portant sur la suspension de M. Basra et ne peut être utilisée par l’employeur pour empêcher le fonctionnaire de s’opposer à sa tentative de soulever à nouveau des questions qui ont déjà été tranchées. En l’espèce, le fonctionnaire n’a pas tenté de présenter un nouveau grief en se fondant sur de nouveaux motifs. Son grief est demeuré le même. La suspension dont il a fait l’objet le 2 juin 2008 constituait une mesure disciplinaire, laquelle était injustifiée, excessive et non fondée, en fait et en droit. L’employeur a présenté une argumentation à l’audience qui était principalement fondée sur des faits dont la Commission avait déjà été saisie et des questions qu’elle avait déjà tranchées dans des procédures précédentes. Le fait de permettre à l’employeur d’empêcher le fonctionnaire de répondre à l’argumentation qu’il a présentée à l’audience constituerait un abus de procédure et empêcherait la tenue d’une audience équitable.

116 Selon les critères énoncés dans Burchill, la question consiste à savoir si l’objet du grief soumis à l’arbitrage est le même que celui du grief tel qu’il avait été formulé initialement. Pour établir si un fonctionnaire s’estimant lésé tente de présenter un grief différent dont l’objet n’est pas le même, la Commission doit examiner le contexte de la situation, le libellé du grief, la preuve des propos tenus pendant la procédure de règlement des griefs et la réponse ou la réplique de l’employeur au grief (voir McMullen c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 64, au paragr. 109). En s’opposant à ce que l’employeur se fonde sur des faits et des questions qui faisaient partie du grief initial présenté par le fonctionnaire au sujet de la suspension, ce dernier n’a pas modifié l’objet du grief portant sur la suspension de juin 2008. En effet, la suspension de juin 2008 demeure l’objet du grief tel qu’il était présenté dans le grief initial et dans le cadre des audiences ayant eu lieu devant l’arbitre de grief. Le fonctionnaire n’a pas tenté de formuler un grief ayant un autre objet.

117 La chronologie des événements est importante en l’espèce. Le fonctionnaire a présenté un grief portant sur la suspension dont il a fait l’objet en juin 2008 après que l’employeur l’eut suspendu de nouveau suivant l’annulation, par la Cour fédérale, de la décision rendue par la Commission en juillet 2007. Dans cette décision, il avait été fait droit au grief présenté par le fonctionnaire portant sur la suspension de 2006. Lorsque le grief portant sur la suspension de juin 2008 a été présenté, aucune décision définitive n’avait encore été rendue au sujet du grief portant sur la suspension d’avril 2006. La Cour fédérale avait ordonné que le grief sur la suspension d’avril 2006 soit instruit de nouveau par un autre arbitre de grief. La Cour d’appel fédérale a rejeté cette conclusion dans sa décision du 22 janvier 2010. Elle a plutôt renvoyé le grief portant sur la suspension d’avril 2006 à l’arbitre de grief qui avait initialement rendu la décision.

118 La réponse fournie par l’employeur en mars 2009 concernant le grief relatif à la suspension de juin 2008, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, indiquait expressément que l’employeur avait réévalué la question de la présence continue du fonctionnaire sur les lieux de travail par suite de l’annulation, par la Cour fédérale, de la décision initiale de la Commission en mai 2008 (pièce 3, onglet 25). Pour rejeter le grief concernant la suspension au dernier palier de la procédure, l’employeur s’est fondé sur le fait que les mêmes problèmes qui avaient mené à la suspension initiale en avril 2006 étaient toujours des sources de préoccupation et, par conséquent, il estimait que l’imposition d’une nouvelle suspension le 2 juin 2008 était justifiée. Cette réponse a été fournie au dernier palier de la procédure le 16 mars 2009, soit 10 mois avant que la Cour d’appel fédérale ne rende sa décision, plus de 1 an avant que la Commission ne rende la décision refusant la demande de l’employeur de rouvrir l’audience sur la preuve concernant le grief relatif à la suspension présenté initialement en avril 2006, et plus de 3 ans avant que la Commission n’accueille finalement le grief concernant la suspension imposée en avril 2006.

119 La décision définitive faisant droit au grief concernant la suspension imposée en avril 2006 a été rendue par la Commission le 1er mai 2012. L’employeur ne peut empêcher le fonctionnaire de se fonder sur la décision rendue par l’arbitre de grief le 1er mai 2012, laquelle accueillait le grief concernant la suspension imposée en avril 2006, ni de tenir compte des répercussions de l’audience portant sur le grief relatif à la suspension de juin 2008, étant donné que ce grief a été déposé des années avant que l’arbitre de grief ne rende sa décision définitive au sujet du grief d’avril 2006. Au moment où a débuté l’audience portant sur le grief concernant la suspension de juin 2008, en décembre 2012, l’employeur était tout à fait conscient non seulement que le fonctionnaire estimait que la suspension d’avril 2006 était de nature disciplinaire et qu’elle n’était pas justifiée, mais également que l’arbitre de grief avait confirmé cette position dans des décisions qui ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 233(1) de la LRTFP.

120 La position du fonctionnaire a été présentée clairement tout au long des procédures devant l’arbitre de grief et la Cour fédérale. L’employeur ne peut prétendre qu’il a été pris par surprise lorsque le fonctionnaire a affirmé, pendant l’audience portant sur le grief concernant la suspension imposée en juin 2008, que l’employeur tentait de soulever de nouveau des questions qui avaient été tranchées définitivement par l’arbitre de grief dans le cadre de procédures qui se sont finalement soldées par une conclusion en faveur du fonctionnaire, le 1er mai 2012 (voir Leclaire c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 82, aux paragraphes 24 à 26).

121 Les arbitres de grief doivent s’efforcer de statuer sur les griefs en se fondant sur les plaintes réelles soulevées dans le cadre de ceux-ci plutôt que sur des questions de forme ou de procédure. L’employeur n’a aucunement été induit en erreur en ce qui a trait à la nature du grief portant sur la suspension de juin 2008, c’est-à-dire que cette suspension constituait une mesure disciplinaire qui était injustifiée et excessive et qui n’était pas fondée en fait ni en droit.

122 Pour imposer une nouvelle suspension au fonctionnaire le 2 juin 2008, M. Brown, le directeur, s’est fondé sur les mêmes motifs que ceux qu’il avait invoqués pour prolonger la suspension d’avril 2006 jusqu’à la première décision de la Commission en juillet 2007. Ces motifs avaient été présentés à l’arbitre de grief à l’audience d’octobre 2006. Toute tentative de soulever à nouveau des questions déjà tranchées ne devrait pas être permise. Les principes de la chose jugée, de la préclusion et de l’abus de procédure interdisent de soulever à nouveau des questions déjà tranchées, y compris toute question n’ayant pas été soulevée ni tranchée dans une procédure antérieure, mais qui aurait dû l’être. La décision stratégique consistant à ne présenter que certains éléments de preuve à une procédure antérieure ne peut être compensée en tentant de soulever à nouveau la même question dans une procédure subséquente.

123 Il y a plusieurs raisons d’empêcher que soient soulevées à nouveau des questions déjà tranchées. L’une des plus importantes est le principe du caractère définitif et de l’uniformité des décisions. La Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit, dans Toronto (Ville), au paragraphe 51 :

[…] si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.

124 Il faut remplir trois critères pour que s’appliquent les principes interdisant de soulever à nouveau des questions déjà tranchées : la question en litige dans la procédure subséquente est une question qui devait relever de la compétence de l’arbitre de grief précédent, l’arbitrage précédent doit avoir été fondé sur le fond et la décision antérieure doit avoir été définitive (voir Ontario Power Generation Inc. v. Society of Energy Professionals, [2000] O.L.A.A. no 351 (QL)). Les questions que l’employeur cherche à soulever de nouveau relevaient clairement de la compétence de l’arbitre de grief ayant tranché le grief concernant la suspension d’avril 2006. Sa tentative de soulever à nouveau des questions qui ont déjà été tranchées ou auraient dû l’être par l’arbitre de grief dans le cadre du grief concernant la suspension d’avril 2006 constitue non seulement un abus de procédure, mais également une contestation indirecte de l’appel portant sur les conclusions définitives formulées par l’arbitre de grief en ce qui a trait à la nature de la suspension.

125 En droit du travail, il est bien établi qu’un employeur ne peut pas imposer plus d’une sanction pour la même infraction. Le fait que la suspension initialement imposée en juin 2008, à la suite de l’annulation par la Cour fédérale de la première décision de la Commission, constituait une mesure disciplinaire est une question qui a déjà été tranchée et confirmée par la Cour d’appel fédérale. La Cour fédérale a à tort annulé la décision de l’arbitre de grief selon laquelle la suspension imposée en avril 2006 est devenue une suspension de nature disciplinaire au début de mai 2006. Ainsi, l’employeur ne peut pas se fonder sur la décision de la Cour fédérale pour soulever à nouveau la question de savoir si la suspension qui a été imposée de nouveau en juin 2008 constituait également une mesure disciplinaire, pas plus qu’il ne peut soulever la question de savoir s’il était justifié de suspendre le fonctionnaire en attente des résultats de l’enquête de nature disciplinaire, laquelle a débuté en avril 2006 et ne s’est terminée qu’à la fin de février 2009. L’arbitre de grief ayant instruit le grief concernant la suspension imposée en avril 2006 avait également tranché cette question.

126 L’arbitre de grief a soutenu que la suspension était devenue une mesure disciplinaire lorsque la durée de l’enquête de nature disciplinaire a dépassé 30 jours. Il importe de préciser que l’employeur n’a pas lancé de nouvelle enquête de cette nature concernant le fonctionnaire en juin 2008, de sorte qu’il pourrait être avancé que la période de 30 jours visant à établir s’il convenait de prendre des mesures disciplinaires a recommencé à s’écouler à partir du 2 juin 2008.

127 Dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie,2004 CSC 55, au paragraphe 66, la Cour suprême du Canada a examiné le pouvoir conféré à l’employeur lorsqu’il s’agit d’imposer des suspensions sans traitement de nature administrative et a évalué si une suspension de nature administrative constituait une mesure disciplinaire. En se fondant sur des principes de droit du travail, la Cour, au paragraphe 67, a indiqué que, pour se prononcer sur le caractère raisonnable de la suspension, l’arbitre de grief devait examiner la situation qui existait au moment où la décision relative à la suspension a été prise, étant donné que la question à trancher consiste à savoir si la décision de suspendre l’employé était justifiée lorsqu’elle a été prise par l’employeur.

128 Si la question n’a pas déjà été tranchée dans des procédures antérieures, il revient à l’employeur d’établir que la suspension sans traitement était de nature administrative et non disciplinaire (voir Baptiste, au paragr. 325). Si l’employeur dispose d’éléments de preuve indiquant que le fonctionnaire a commis une inconduite et s’il se fonde sur cette preuve pour suspendre sans traitement le fonctionnaire, la suspension doit être considérée comme une suspension de nature disciplinaire. À la lumière de l’ensemble du contexte factuel, il est possible de conclure que la suspension de 12 mois sans traitement qui a été imposée de nouveau au fonctionnaire en juin 2008 avait un effet punitif. L’employeur a imposé cette sanction en réaction à un geste que le fonctionnaire était soupçonné d’avoir commis, plutôt qu’en raison de circonstances non liées à quelque infraction de sa part, ce qui aurait caractérisé une mesure administrative.

129 La lettre de suspension envoyée en juin 2008 fait expressément référence à l’agression sexuelle et mentionne qu’en commettant cette infraction qui lui est reprochée, le fonctionnaire aurait usé de tromperie et camouflé son identité, induit la police en erreur et omis d’aviser son employeur qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle. M. Brown a affirmé (pièce 1, onglet 1, page 2) qu’il estimait pour sa part, à titre d’employeur, que ces gestes posaient de [traduction] « sérieux problèmes de confiance » et que le manque d’ouverture dont avait fait preuve le fonctionnaire avait [traduction] « […] compromis le lien de confiance qui existait entre l’employeur et le fonctionnaire ». Ainsi, dans la lettre portant sur la suspension de juin 2008, l’employeur faisait référence à la preuve d’un comportement coupable de la part du fonctionnaire et indiquait avoir déjà conclu que celui-ci s’était rendu coupable d’inconduite. Ces faits sont suffisants pour conclure que la suspension de 12 mois sans traitement était de nature disciplinaire.

iii. Résumé

130 Le fonctionnaire a été licencié après un processus d’enquête disciplinaire ayant duré trois ans. Il n’a pas contesté le fait qu’il a été reconnu coupable en juillet 2008 et condamné en novembre 2008. Ce qu’il conteste, c’est le caractère justifié du licenciement, compte tenu du fait que la déclaration de culpabilité portait sur une conduite ayant eu lieu en septembre 2004, en dehors des heures de service. De septembre 2004 à avril 2006, le fonctionnaire a travaillé comme agent correctionnel. Du 4 septembre 2007 au 2 juin 2008, il a accompli ses fonctions dans l’aire d’admission et de libération, sans incident, après avoir réintégré son poste. À l’automne 2007, les fonctions du fonctionnaire dans l’aire d’admission et de libération ont été élargies et, en février 2008, son superviseur a recommandé un élargissement accru de celles-ci afin qu’elles englobent toutes les fonctions accomplies dans cette aire. Toutes les préoccupations concernant des réactions négatives de la part de détenus quant au retour du fonctionnaire dans le milieu de travail ne se sont jamais concrétisées, malgré la publication en septembre 2007 d’un article dans le Vancouver Sun au sujet de la décision de l’arbitre de grief qui avait ordonné sa réintégration. En mai 2013, le fonctionnaire a informé l’employeur qu’il ne cherchait plus à obtenir la réintégration dans ses fonctions à titre de réparation pour son licenciement. Il cherchait plutôt à obtenir les autres mesures de réparation énumérées dans son grief présenté le 15 juin 2009.

131 Dans Port Moody (City) v. C.U.P.E., Local 825 (1997), 63 L.A.C. (4e) 203, le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait depuis longtemps à titre d’ouvrier des services publics et avait été reconnu coupable de trois infractions criminelles commises à l’extérieur du travail, après quoi il avait été condamné à un an d’emprisonnement. La Ville a pris connaissance des accusations portées contre le fonctionnaire s’estimant lésé deux ans avant qu’il soit reconnu coupable. Entre-temps, il avait continué de travailler pour la Ville, dans le secteur des travaux publics. Après l’accusation du fonctionnaire s’estimant lésé, mais avait sa condamnation, certains de ses collègues de travail ont fait savoir à l’employeur qu’ils ne souhaitaient plus travailler avec lui en raison de la nature des accusations portées contre lui. Après que le fonctionnaire s’estimant lésé eut été reconnu coupable, certains employés étaient encore plus réticents à travailler avec lui. Le fonctionnaire s’estimant lésé a continué de travailler dans le secteur des travaux publics de la Ville en attendant l’issue de l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre de sa déclaration de culpabilité. Le fait que certains des collègues du fonctionnaire s’estimant lésé ne souhaitaient pas travailler avec lui ne justifiait pas pour autant qu’il soit licencié. Il doit y avoir un lien de causalité entre l’infraction criminelle commise par le fonctionnaire s’estimant lésé et les fonctions de son poste pour que le licenciement soit justifié.

132 En l’espèce, aucun élément de preuve objectif n’indique que le fonctionnaire présentait un risque pour ses collègues ou pour les détenus de sexe masculin qui fréquentaient l’établissement. Selon le Code de discipline de l’employeur, l’employé doit aviser son superviseur qu’il a été accusé d’une infraction criminelle ou d’une autre infraction à la loi uniquement avant de reprendre ses fonctions. Il n’a donc pas à informer l’employeur qu’il fait l’objet d’une enquête criminelle (pièce 1, onglet 5, alinéa 6e), et Blackburn c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel),2003 CRTFP 49,au paragr. 283). Il n’y a aucune exigence, aux termes du Code, selon laquelle il faut divulguer la possibilité qu’une accusation soit portée. L’obligation entre en vigueur au moment où l’agent correctionnel est accusé et sait que des accusations ont été portées contre lui (voir Basra,2007 CRTFP 70, aux paragraphes 106 et 109).

133 Selon l’alinéa 8d) du Code de discipline, commet une infraction l’employé qui commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité pouvant jeter le discrédit sur le Service correctionnel du Canada ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail (pièce 1, onglet 5). La question de savoir si l’infraction criminelle a jeté le discrédit sur l’employeur est une question « […] dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement » (voir Tobin c. Canada (Procureur général), au paragr. 62). L’infraction dont le fonctionnaire a été reconnu coupable a été commise 18 mois avant sa première suspension et plus de 4 ans et demi avant son licenciement. La seule couverture médiatique qui a soulevé des préoccupations était l’article du Vancouver Sun portant sur sa réintégration (pièce 1, onglet 9A). Le fonctionnaire n’était pas en service ni en uniforme lorsque l’agression a été commise, et aucune preuve n’indique qu’il a utilisé son poste d’agent correctionnel pour forcer, intimider ou menacer la victime. Si elle adopte une position fondée sur le bon sens, une personne raisonnable ne conclura pas que l’employeur devrait subir un discrédit au motif que l’un de ses employés a commis une agression sexuelle alors qu’il n’était pas en service ni en uniforme et qu’il ne relevait pas de sa supervision ni de son contrôle.

134 Pour ces motifs, le fonctionnaire demande que soit rendue une ordonnance selon laquelle sa suspension sans traitement était de nature disciplinaire et la date appropriée du licenciement était la date à laquelle la décision de le licencier a été prise. Il demande également que cette ordonnance prévoie à son endroit le versement de dommages-intérêts au lieu d’une réintégration, conformément à la décision de la Commission dans Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2011 CRTFP 137, aux paragraphes 89 à 101.

V. Motifs

135 Malgré les nombreux jours d’audience, les deux journées complètes consacrées à la présentation de l’argumentation par les avocats de chaque partie et les cinq volumes de jurisprudence fournis par les parties, il ne s’agit pas d’une affaire difficile à trancher. En termes simples, il faut répondre aux trois questions suivantes :

  1. Est-ce que le licenciement du fonctionnaire était justifié?
  2. Dans l’affirmative, quelle est la date de licenciement appropriée?
  3. Est-ce que les suspensions imposées au fonctionnaire avant et après sa déclaration de culpabilité étaient de nature disciplinaire?

136 La situation factuelle est tout aussi simple. Le fonctionnaire a été reconnu coupable d’une agression sexuelle, après quoi il s’est vu infliger une peine de deux ans moins un jour, de même qu’une période de probation et un certain nombre de sanctions en vertu du Code criminel. Lorsque les accusations ont été portées à l’attention de l’employeur, le fonctionnaire a été suspendu. Il a formulé un grief à l’encontre de cette suspension et a été réintégré suivant une ordonnance rendue par un membre de la Commission, qui agissait à titre d’arbitre de grief. L’employeur a soumis cette décision à un contrôle judiciaire et, après avoir été examinée par la Cour fédérale, elle a été annulée. Pendant que le processus de contrôle judiciaire était en cours, le fonctionnaire a été réintégré au sein de l’établissement, dans l’aire d’admission et de libération, où il a accompli des tâches restreintes. Son retour au travail dans l’aire d’admission et de libération a toutefois été retardé par la couverture médiatique continue dont faisaient l’objet cette affaire et son maintien en poste au Service correctionnel du Canada. En juin 2008, à la suite de la décision de la Cour fédérale et dans un contexte où le procès du fonctionnaire était imminent, l’employeur a décidé de le suspendre sans traitement, en attendant la fin du processus d’enquête de nature disciplinaire.

137 Le fonctionnaire a été reconnu coupable le 11 juillet 2008, et il a ensuite interjeté appel à la fois de sa déclaration de culpabilité et de sa peine devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Les deux appels ont été rejetés, et le fonctionnaire a purgé sa peine à Ford Mountain, un établissement carcéral où bon nombre de détenus de l’établissement, sinon tous, ont déjà été incarcérés.

138 Le rapport de l’enquête de nature disciplinaire a été présenté le 26 février 2009. L’audience disciplinaire a eu lieu le 14 avril 2009, après quoi le fonctionnaire a été avisé par une lettre datée du 9 juin 2009 (soit un an après sa suspension sans traitement) que son emploi prenait fin en date du 2 juin 2008, soit la date de la suspension sans traitement.

139 Je dois donc statuer sur deux griefs du fonctionnaire : l’un concernant la suspension de juin 2008 qui n’aurait pas été justifiée, et l’autre, le licenciement prononcé en juin 2009 avec effet rétroactif à juin 2008.

140 En mai 2012, l’arbitre de grief initial a rendu sa décision concernant la première suspension sans traitement imposée au fonctionnaire en 2006, suivant l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale qui lui avait renvoyé l’affaire aux fins de réexamen.

141 Les arguments du fonctionnaire portaient principalement sur le fait que la mesure disciplinaire en question était excessive, que l’infraction s’était produite alors qu’il n’était pas en service et qu’il existait d’autres postes d’agent correctionnel au sein de l’établissement dans lesquels il pourrait être réintégré et qui ne supposeraient aucun contact avec les détenus. En outre, il est d’avis qu’aucun motif ne justifiait sa suspension sans traitement de juin 2008, étant donné qu’il avait travaillé dans l’aire d’admission et de libération sans que ne surviennent d’incidents depuis sa réintégration en 2007. Enfin, il a fait valoir que l’administrateur général n’avait pas le pouvoir de licencier rétroactivement un employé, étant donné que ce faisant, il appliquait rétroactivement la LGFP.

142 L’administrateur général a fait valoir que la nature de l’infraction commise par le fonctionnaire et le comportement de celui-ci durant le processus d’enquête criminelle contrevenaient à ses Règles de conduite professionnelle et à son Code de discipline. Les mesures prises par l’employeur concordaient avec son mandat consistant à protéger l’établissement, les détenus dont il est responsable et les employés qui y travaillent. Les infractions commises par le fonctionnaire ont jeté l’opprobre sur le Service correctionnel du Canada et ont entaché sa réputation. Le fonctionnaire ne pouvait être réintégré dans aucun poste d’agent correctionnel en raison de sa déclaration de culpabilité et des restrictions qui lui avaient été imposées en vertu du Code criminel. L’administrateur général a choisi la date du licenciement conformément au pouvoir qui lui est conféré par les articles 7, 11 et 12 de la LGFP.

143 J’étudierai d’abord l’argument selon lequel le licenciement était excessif et injustifié. Bien que certains puissent être surpris par tout argument qui nierait que la conduite, la déclaration de culpabilité et les restrictions relatives à la probation du fonctionnaire ne justifient pas son licenciement à titre d’agent correctionnel, je ne peux me contenter de supposer que toute condamnation criminelle justifie le licenciement d’un employé. Les circonstances de l’infraction, l’incidence sur la capacité d’accomplir ses fonctions dans l’avenir et la réputation de l’employeur sont des facteurs qui doivent tous être pris en considération au moment d’évaluer si le licenciement était approprié dans les circonstances. Il est très clair pour moi que le fonctionnaire en l’espèce a non seulement violé les Règles de conduite professionnelle (pièce 1, onglet 6) et le Code de discipline(pièce 1, onglet 5) du Service correctionnel du Canada, mais il a également, par ses gestes, compromis sa capacité d’occuper un rôle d’agent de la paix. Comme dans Yarmolinsky, la conclusion de l’employeur est raisonnable lorsqu’il affirme que le lien de confiance a été brisé irrémédiablement, compte tenu de la nature de l’infraction, de la tromperie du fonctionnaire à la fois lorsqu’il a commis l’infraction et pendant l’enquête à ce sujet, ainsi que de son comportement tout au long des procédures.

144 De la même façon, je juge non fondé l’argument du fonctionnaire selon lequel une personne raisonnable qui adopterait une approche fondée sur le bon sens, tel qu’elle est décrite dans Tobin c. Canada (Procureur général), ne conclurait pas que l’employeur doit subir un discrédit au motif que l’un de ses employés a commis une agression sexuelle alors qu’il n’était pas en service ni en uniforme et qu’il ne relevait pas de la supervision ni du contrôle de l’employeur. Bien que je ne souscrive pas à cet argument à la lumière des faits dont je suis saisie, il peut y avoir d’autres circonstances où cette démarche fondée sur le bon sens ne mène pas à la conclusion que l’employeur est justifié de licencier un employé. Compte tenu de l’intérêt du public qui a été manifesté et de l’incongruité d’employer un délinquant sexuel à titre d’agent correctionnel, une démarche fondée sur le bon sens amène à conclure qu’un délinquant sexuel reconnu coupable n’est pas apte à assumer le rôle d’agent correctionnel, qui est responsable des détenus et de leur réinsertion sociale et doit leur servir de modèle quant à la façon de se comporter en société.

145 À mon avis, il ne fait aucun doute que, à la lumière des commentaires suivants, formulés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique à la pièce 2, onglet 5, paragraphe 20 (dans la décision 2009 BCCA 520, au paragr. 20), le fonctionnaire savait que sa conduite à l’extérieur du travail aurait une incidence directe sur son emploi au sein du Service correctionnel du Canada et qu’elle pourrait entraîner son licenciement :

[Traduction]

[20] […] Comme il a été mentionné précédemment, l’explication donnée pour ce déni était que l’appelant craignait que son poste d’agent correctionnel ne soit compromis si son employeur venait à apprendre qu’il faisait l’objet d’une enquête de la police […]

[Je souligne]

146 Le témoignage des nombreux témoins et les pièces présentées confirment que le fonctionnaire a été accusé d’agression sexuelle, crime pour lequel il a été reconnu coupable. Il y a eu de nombreux témoignages au sujet des répercussions d’avoir au sein de l’établissement un délinquant sexuel faisant l’objet d’accusations, à plus forte raison un délinquant sexuel condamné. De plus, l’employeur a un intérêt légitime dans la protection de sa réputation.

147 Le fait que le fonctionnaire a été réintégré dans un poste où il n’a aucun contact avec les détenus, dans l’aire d’admission et de libération, pendant une certaine période suivant sa suspension initiale en 2006 n’élimine en rien l’intérêt qu’a l’employeur de protéger sa réputation, ni les violations du Codede discipline de l’employeur, en particulier de l’article 6 (maintenant l’article 7) :

6. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes […]

Voici également un extrait de la règle 2 des Règles de conduite professionnelle :

[…]

Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres violations graves de la loi – en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération – ne présente [sic] pas le genre de comportement considéré comme acceptable dans le Service

[…]

148 Rien dans les éléments de preuve qui ont été présentés ne vient atténuer la mesure disciplinaire qui a été prise. Les témoins du fonctionnaire ont affirmé que ce dernier ne leur avait pas communiqué tous les faits relatifs aux allégations formulées à son encontre lorsqu’il leur a demandé de venir témoigner en son nom à titre de témoins de moralité et au cours de l’audience sur la détermination de la peine, dans le cadre de laquelle elles ont évoqué en son nom les risques qu’il encourrait s’il était incarcéré au sein de la population carcérale générale. De plus, les deux témoins du fonctionnaire ont affirmé que les gestes de ce dernier avaient mis le Service correctionnel du Canada dans l’embarras et avaient enfreint son Codede discipline et ses Règles de conduite professionnelle. Étant donné que le fonctionnaire n’a pas témoigné, je dois tirer mes conclusions sans avoir entendu ses observations, comme c’était le cas dans Baptiste. De plus, les éléments de preuve liés à des mentions élogieuses reçues de la part de l’employeur en début de carrière et au fait qu’il affichait une assiduité supérieure à la moyenne ne sont pas suffisants pour atténuer sa culpabilité dans les circonstances (voir Tobin c. Canada (Procureur général)).

149 Comme je l’ai déjà expliqué, n’est pas fondé l’argument selon lequel une personne raisonnable ne conclurait pas que l’employeur subit un discrédit au motif que l’un de ses employés a commis une agression sexuelle alors qu’il n’était pas en service ni en uniforme, et qu’il ne relevait pas de la supervision ni du contrôle de l’employeur. En effet, quelle personne raisonnable penserait que l’employeur n’est pas dans l’embarras si l’un de ses employés est reconnu coupable d’une infraction violente et grave dans laquelle il y a eu tromperie, compte tenu de la nature de ses activités?

150 La couverture médiatique, bien qu’il s’agisse d’un point à prendre en considération, n’est pas un facteur déterminant en l’espèce. La nature des activités de l’employeur et la confiance du public dans la capacité de l’employeur de remplir son mandat sont, en revanche, des éléments clés. Comment l’employeur pourrait-il avoir à son service dans un de ses établissements, à titre d’agent correctionnel, un criminel notoire qui a été incarcéré dans un établissement correctionnel et qui fait l’objet d’une probation et de plusieurs restrictions en vertu du Code criminel? Cette proposition frise le ridicule. Avec tout le respect que je dois à l’avocat du fonctionnaire, je ne crois pas que Tobin c. Canada (Procureur général) appuie cet argument.

151 J’ai lu avec intérêt les nombreuses décisions citées à l’appui de l’argumentation des deux parties. Bien que je n’aie pas fait référence à chacune d’entre elles, je les ai prises en considération pour tirer ma conclusion. Le fait que dans d’autres situations, par exemple dans Port Moody (City), des employés reconnus coupables d’infractions criminelles ont été réintégrés dans leur poste n’élimine en rien les préoccupations légitimes de l’employeur en ce qui a trait à la protection de sa réputation. Compte tenu de la tromperie dont a usé le fonctionnaire lorsqu’il a commis l’infraction et de son manque d’empressement à rapporter les accusations portées contre lui, l’employeur était justifié d’affirmer qu’il ne pouvait plus lui accorder sa confiance. Le fait qu’il a été réintégré avec succès dans un poste où il accomplissait des fonctions modifiées (contre la volonté de l’employeur) n’indique pas que l’employeur peut maintenant lui faire confiance. Ce fait indique simplement que, pendant la tenue de l’enquête et dans l’attente du procès, le fonctionnaire arrivait à bien fonctionner dans un environnement à accès restreint.

152 Étant donné que j’ai conclu que le licenciement était approprié en l’espèce, je dois aborder la question soulevée par le fonctionnaire quant au pouvoir de l’administrateur général d’imposer une date de licenciement rétroactive. Le fonctionnaire a affirmé que le fait de fixer une date de licenciement qui précède la date de l’audience disciplinaire équivalait à appliquer de façon rétroactive la LGFP. L’alinéa 12(1)c) de la LGFP autorise l’administrateur général à prescrire et à imposer des mesures disciplinaires, y compris le licenciement. Les articles 7 et 11.1 de la LGFP confèrent au Conseil du Trésor un vaste pouvoir illimité quant à l’établissement des grandes orientations applicables à l’administration publique fédérale, notamment pour assurer l’organisation de la fonction publique et pour déterminer et contrôler la gestion du personnel dans l’administration publique fédérale. Aux termes de l’alinéa 11.1(1)j) de la LGFP, ce pouvoir comprend la détermination des conditions de travail non prévues de façon expresse par cette disposition, aux fins de la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique. Ce pouvoir figure parmi les fonctions de gestion des ressources humaines qui sont déléguées aux administrateurs généraux pour leur ministère ou organisme. Ce pouvoir global n’est pas entravé de quelque façon que ce soit, à moins qu’une loi ou une convention collective n’impose de limites à cet égard (voir Public Service Alliance of Canada v. Canada (Canadian Grain Commission) (1986), 5 F.T.R. 51 (1re inst.), Peck c. Parcs Canada,2009 CF 686, Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration),2011 CAF 110).

153 Lorsqu’est prise la décision d’imposer le licenciement en guise de mesure disciplinaire, il faut déterminer la date à laquelle la relation d’emploi prend fin. Le fonctionnaire est d’avis que la date appropriée du licenciement, si j’en venais à conclure que le licenciement était justifié, est la date à laquelle l’audience disciplinaire a eu lieu, soit le 14 avril 2009, quelque 10 mois après l’entrée en vigueur de la suspension. Je ne partage pas cet avis. Dans la mesure où les faits sur lesquels le licenciement est fondé existaient à la date choisie du licenciement, l’administrateur général a le pouvoir de fixer la date d’entrée en vigueur du licenciement (voir Board of Education for the City of York v. C.U.P.E., Local 994, [1994] O.L.A.A. no 1313 (QL)).

154 Je partage l’opinion de l’avocate de l’administrateur général selon laquelle tous les critères énoncés dans Millhaven pour appuyer le licenciement en raison du comportement affiché à l’extérieur du travail ont été remplis. J’accepte les éléments de preuve présentés par les témoins de l’employeur indiquant que le comportement du fonctionnaire a nui à la réputation de l’employeur, l’a rendu inapte à travailler à titre d’agent de la paix, a fait en sorte que les autres sont réticents à travailler avec lui et a nui à la capacité de l’employeur de travailler de façon sûre et efficiente (voir Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works).

155 Le fonctionnaire a été licencié notamment parce qu’il avait été accusé d’agression sexuelle, qu’il était au courant des accusations portées contre lui avant que la Couronne n’en avise l’employeur, que ses gestes étaient inacceptables et avaient entaché la réputation de l’employeur et qu’il avait violé le Codede discipline et les Règles de conduite professionnellede l’employeur, tous des facteurs qui ont fait en sorte que le lien de confiance entre le fonctionnaire et l’employeur a été rompu (pièce 1, onglet 3). La lettre de suspension, datée du 2 juin 2008, énumère ces motifs, ce qui m’amène à conclure que la rupture de la relation entre l’employeur et l’employé existait déjà au moment de la suspension et qu’il s’agit donc d’une date appropriée pour mettre fin à cette relation. Le fait que sa condamnation ultérieure fasse également partie des motifs de son licenciement n’empêche aucunement l’antidatation de son licenciement (voir Brazeau).

156 Si je me trompe au sujet du caractère théorique de la suspension, je suis d’avis que l’administrateur général avait un juste motif de suspendre le fonctionnaire le 2 juin 2008, compte tenu de son procès imminent et des autres circonstances en raison desquelles l’employeur était préoccupé par sa présence continue sur les lieux de travail.

157 Il y a eu beaucoup de discussions et d’arguments au sujet des motifs de la suspension de juin 2008 et de la question de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle imposition de la suspension de 2006, question que la Commission avait déjà tranchée. La suspension de 2006 est, à mon avis, un faux problème. La question ici ne consiste pas à établir si l’employeur avait un juste motif de suspendre le fonctionnaire en 2006, étant donné que cette question a déjà été tranchée par un autre arbitre de grief. La question consiste plutôt à savoir si l’employeur avait un juste motif, en juin 2008, de relever le fonctionnaire des tâches restreintes qu’il accomplissait dans l’aire d’admission et de libération de l’établissement. Selon la réponse fournie par l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (pièce 3, onglet 25), les mêmes problèmes pour lesquels le fonctionnaire avait été suspendu en 2006 se sont poursuivis pendant toute la période où il a travaillé à l’aire d’admission et de libération après avoir été réintégré dans son poste. L’employeur a procédé à des EMR pendant toute la période où le fonctionnaire a été réintégré, ce qui, à mon avis, indique qu’il entretenait des préoccupations continues quant à sa présence sur le lieu de travail. La décision de la Cour fédérale qui a annulé la décision de l’arbitre de grief, lequel avait ordonné sa réintégration, a permis à l’employeur de prendre des mesures pour régler ces préoccupations constantes.

158 Dans Cabiakman, la Cour suprême du Canada a établi que, pour établir si une suspension était raisonnable, l’arbitre devait examiner la situation qui existait au moment où la décision de suspendre l’employé a été prise, étant donné que la question à trancher consiste à savoir si la décision de suspendre l’employé était justifiée au moment où elle a été prise. Pour trancher cette question, je remonte donc à la suspension ayant eu lieu en juin 2008. Je ne chercherai pas à établir si la suspension de 2006 était justifiée ou non, étant donné qu’il s’agit d’une question pour laquelle je n’ai pas la compétence. À ce moment-là, le fonctionnaire ne faisait pas l’objet d’une suspension, étant donné qu’il travaillait à l’aire d’admission et de libération depuis septembre 2007 et qu’il avait été indemnisé pour tout le salaire et tous les avantages sociaux perdus à partir de la date correspondant à 30 jours suivant sa suspension en 2006. Il ne s’agissait donc pas de la nouvelle imposition d’une suspension précédente; il s’agissait d’une suspension de novo.

159 Étant donné que le procès du fonctionnaire était imminent, que l’employeur entretenait des préoccupations constantes quant à sa présence sur le lieu de travail et que le fonctionnaire ne s’était pas conformé à certaines des conditions qui lui avaient été imposées au moment de sa réintégration, et également à la lumière de l’intérêt constant du public dans son procès et sa situation d’emploi, j’estime que l’employeur avait un juste motif de le suspendre sans traitement en attendant l’issue de l’enquête de nature disciplinaire. À mon avis, il s’agissait d’une suspension de nature administrative qui était conforme au pouvoir de l’employeur de suspendre des employés en vertu de l’article 20 de la convention collective conclue entre l’agent négociateur et l’employeur; voici un extrait de la section III-C de l’Entente globale conclue entre les deux parties :

III-C SUSPENSION DURANT L’ENQUÊTE (RÉFÉRENCE : ARTICLE 20)

Aux fins de l’application de cet article, le SCC respectera les critères suivants :

[…]

2. Dans les cas où le gestionnaire au niveau local est satisfait que le maintien de la présence de l’employé sur les lieux du travail pose un risque grave et immédiat envers le personnel, les détenus, le public ou la réputation du SCC, l’employé-e peut être suspendu sans traitement jusqu’à ce que l’enquête soit terminée et qu’une décision ait été rendue à son sujet.

[…]

[Je souligne]

160 De la même façon, si je me suis trompée en concluant que la suspension était de nature administrative, je suis toutefois convaincue que l’administrateur général, dans les circonstances, avait des motifs suffisants pour suspendre le fonctionnaire dans l’attente des résultats de l’enquête disciplinaire portant sur des allégations très sérieuses d’inconduite criminelle, sans compter sa condamnation criminelle subséquente en raison de son inconduite.

161 La durée de l’enquête disciplinaire est à mon avis un autre faux problème. Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait excédé la limite d’un mois énoncée dans Basra,2007 CRTFP 70. Le passage en question, au paragraphe 137, est le suivant :

[137] Quand le SCC prend la décision de suspendre un employé en attendant les résultats d’une enquête disciplinaire dans une situation où l’on a porté une accusation au criminel contre lui pour sa conduite en dehors de ses heures de travail, il se doit de s’empresser de mener son enquête à bien dans les meilleurs délais […]

Avec tout le respect que je dois à mon collègue, il n’est pas toujours possible de respecter la limite d’un mois décrite au paragraphe 136 de cette décision, notamment lorsque les accusations sont d’une telle nature, sans compter le manque de coopération du fonctionnaire aux fins de l’enquête de police et la durée des procédures menant au procès et de la procédure d’appel. J’admets que l’employeur ne doit pas indûment prolonger une suspension sans traitement en raison d’une enquête disciplinaire en cours, mais, à mon avis, si l’employeur démontre qu’il a fait preuve de diligence dans le déroulement de l’enquête disciplinaire, il faut lui accorder une certaine marge de manœuvre pour ce qui est de la durée de l’enquête, étant donné que la durée n’est pas toujours de son ressort. Il ne faut toutefois pas en conclure que l’employeur peut suspendre un employé sans traitement, en attendant les résultats d’une enquête, et le laisser patienter indéfiniment. Il est clair que si la déclaration de culpabilité et la peine n’avaient pas fait l’objet d’un appel, l’employeur aurait pris les mesures nécessaires pour mettre fin sans délai au processus disciplinaire.

162 Compte tenu des motifs invoqués par l’employeur en ce qui a trait à la suspension, que je considère comme entièrement justifiés, il n’est pas nécessaire de réexaminer périodiquement le caractère approprié de la suspension en l’espèce. Il est clair que la durée de la suspension dépendait de l’issue des procédures criminelles lancées par la Couronne contre le fonctionnaire et que les motifs énoncés dans la lettre de suspension du 2 juin 2008, qui sont directement liés à ces accusations et à leurs répercussions sur la capacité du fonctionnaire d’accomplir ses fonctions à titre d’agent correctionnel, ont continué de s’appliquer jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au sujet des accusations. Cette situation a été clairement communiquée au fonctionnaire et il l’a d’ailleurs comprise.

163 Dans le cas de la suspension sans traitement imposée le 2 juin 2008, il n’y a eu aucun retard indu. Un représentant de l’employeur était présent au procès du fonctionnaire et en a obtenu la transcription pour s’assurer que l’employeur dispose de tous les éléments de preuve afin de prendre sa décision, ce qui a entraîné un certain retard. La conclusion de l’enquête a ensuite été retardée par le fonctionnaire lorsqu’il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et de la peine qui lui était infligée. En outre, une fois la décision de première instance rendue, mais avant que la peine soit prononcée et que les appels aient été instruits, le fonctionnaire était un délinquant sexuel condamné, ce qui le rendait inapte à occuper le poste d’agent de la paix. Par ses propres gestes, il a fait en sorte qu’il soit impossible de l’employer comme agent correctionnel.

164 De nombreux arguments, outre ceux qui ont déjà été exposés, ont été avancés, comme le démontre le compte rendu exhaustif de l’argumentation présentée en ce qui a trait à cette décision. Les deux parties ont fourni une jurisprudence à l’appui de ces arguments. Compte tenu de la véritable nature de l’affaire dont je suis saisie, je n’ai pas abordé chacun de ces arguments de façon distincte; j’ai plutôt fait référence à ceux qui traitaient directement de la véritable nature du conflit opposant les parties.

165 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

166 Pour les motifs énoncés dans la présente décision, j’ordonne que la pièce 2, onglets 1 et 2a) jusqu’à l’onglet 2f) inclusivement, et les pièces 22 et 23 soient mises sous scellés.

167 Le grief présenté dans le dossier de la CRTFP 566-02-2304 concernant la suspension sans traitement du fonctionnaire est rejeté.

168 Le grief présenté dans le dossier de la CRTFP 566-02-3031 concernant le licenciement justifié du fonctionnaire est rejeté.

Le 10 mars 2014.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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