Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était en Angleterre au moment de l’éruption du volcan Eyjafjallaj&ouml;kull en Islande, qui a entraîné la fermeture de l’espace aérien européen - elle s’est présentée au travail avec un retard de cinq jours ouvrables - sa convention collective prévoyait que l’employeur ne devait pas refuser un congé payé discrétionnaire sans motif raisonnable <<[...] lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail [...]>> - elle a contesté au moyen d’un grief la décision de l’employeur de ne pas lui accorder cinq jours de congé payé - l’arbitre de grief a conclu que des circonstances n’étant pas directement imputables à la fonctionnaire s’estimant lésée l’avaient empêchée de se présenter au travail à temps - il a également conclu que la preuve n’étayait pas les hypothèses sur lesquelles l’employeur a fondé sa décision de ne pas accorder cinq jours de congé payé et que la décision est déraisonnable - la diligence dont a fait preuve la fonctionnaire s’estimant lésée lui a permis d’avoir un siège sur le premier vol de retour chez elle disponible. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-03-20
  • Dossier:  566-02-5798
  • Référence:  2014 CRTFP 37

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LORRAINE MARTIN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Anciens Combattants)

employeur

Répertorié
Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
John G. Jaworski, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 24 janvier 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Lorraine Martin, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a été à l’emploi du ministère des Anciens Combattants (« ACC ») au cours des neuf dernières années. Depuis 2008, elle travaillait au bureau de Halifax (Nouvelle-Écosse). Pendant la période en question, sa superviseure était Lisa Jessome.

2 En avril 2010, la fonctionnaire était en vacances en Angleterre lorsqu’une éruption volcanique (volcan Eyjafjallajökull, le « volcan ») s’est produite en Islande, ce qui a entraîné la fermeture d’une grande partie de l’espace aérien européen et a maintenu les aéronefs au sol du 15 avril au 21 avril 2010. En raison de la fermeture de l’espace aérien et du maintien au sol des aéronefs, le séjour de la fonctionnaire en Angleterre a été prolongé au-delà de la date prévue de son retour au travail, et elle a demandé cinq jours de congé payé en vertu de l’article 52 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration, ayant pour date d’expiration le 20 juin 2011 (la « convention collective »).

3 On a accordé à la fonctionnaire deux jours et demi de congé en application de la clause 52 de la convention collective, et elle a dû utiliser ses congés annuels pour les deux autres jours et demi. La fonctionnaire a déposé un grief contestant le refus de lui accorder les congés prévus à l’article 52 et a demandé, à titre de mesure de réparation, que je lui accorde deux jours et demi supplémentaires de congé (pour un total de 20,826 heures) en vertu de l’article 52 et que j’ordonne à l’employeur de lui rembourser ses crédits de congé annuel au même montant.

II. Résumé de la preuve

4 La fonctionnaire a témoigné qu’elle a quitté le Canada par Halifax, le 29 mars 2010, sur le vol 860 d’Air Canada en direction de l’aéroport Heathrow (« Heathrow ») de Londres, en Angleterre. Elle a déclaré qu’elle logeait à l’appartement d’un ami en Angleterre et qu’elle devait retourner à Halifax, le 20 avril 2010, par le vol 861 d’Air Canada partant de Heathrow.

A. 16 avril 2010

5 À la mi-avril 2010, le volcan est entré en éruption dispersant des cendres dans l’atmosphère. Le 16 avril 2010, la fonctionnaire a appris par les médias que l’espace aérien était fermé et les vols annulés dans une grande partie de l’Europe, dont l’Angleterre. La fonctionnaire a déclaré qu’elle surveillait les bulletins d’information londoniens et que cette journée-là les bulletins ne précisaient pas combien de temps le transport aérien serait perturbé. Il n’était cependant pas irréaliste de penser que l’espace aérien serait fermé pendant au moins une semaine.

6 La fonctionnaire a affirmé que, même si son vol de retour à Halifax n’était prévu que le 20 avril 2010, lorsqu’elle a écouté les reportages sur la durée de l’éruption et l’annulation des vols, elle s’est inquiétée de savoir comment elle pourrait rentrer chez elle. Face à l’incertitude entourant la durée de la fermeture de l’espace aérien et l’annulation des vols, la fonctionnaire a communiqué avec Air Canada, le 16 avril 2010, afin de savoir ce qu’elle devrait faire.

7 La fonctionnaire a expliqué sa situation en détail au représentant d’Air Canada, qui lui a dit que la meilleure solution serait de réserver un siège sur le vol de retour du mardi 27 avril 2010. La fonctionnaire a fait valoir que le représentant d’Air Canada lui a dit que le vol du 27 avril 2010 était le premier vol disponible après le 20 avril 2010. Le représentant lui a également expliqué que tous les passagers des vols annulés seraient automatiquement inscrits à une liste d’attente qui serait activée une fois que les vols reprendraient. La liste fonctionnerait par ordre chronologique de sorte que tous les passagers dont les vols avaient été annulés le 16 avril 2010 seraient les premiers à obtenir des sièges sur des vols pour le Canada, une fois que les vols reprendraient. Elle a affirmé que le représentant d’Air Canada lui avait assuré que le fait d’avoir réservé un siège pour le 27 avril n’aurait aucune incidence sur sa position dans la liste de l’attente. Si on arrivait à son nom dans la liste d’attente avant le 27 avril, elle serait autorisée à prendre un vol plus tôt.

8 La fonctionnaire a expliqué qu’elle a configuré son téléphone intelligent de sorte à recevoir les avis d’Air Canada sur la situation des vols et à être avisée de sa position dans la liste d’attente et de l’attribution, le cas échéant, d’un siège sur un vol avant le 27 avril 2010. La fonctionnaire a aussi expliqué qu’Air Canada a créé un lien spécial sur son site Web pour permettre aux passagers de vérifier leur position dans la liste.

9 Le 16 avril 2010, la fonctionnaire a communiqué par courriel avec sa superviseure, Mme Jessome. On m’a fourni les courriels qu’elles se sont échangés cette journée-là. Les courriels envoyés par la fonctionnaire indiquent l’heure de réception par MmeJessome en temps universel coordonné (UTC), alors que les courriels envoyés par Mme Jessome indiquent l’heure de l’Atlantique. J’utiliserai l’heure de l’Atlantique seulement.

10 Le premier courriel de l’échange a été envoyé par la fonctionnaire à Mme Jessome à 9 h 52. Dans son courriel, la fonctionnaire demande de prolonger son congé d’une semaine et de retourner au travail le 28 avril 2010. Il n’est nullement mention du volcan, de la fermeture de l’espace aérien ou de l’annulation des vols. Mme Jessome a répondu au courriel de la fonctionnaire à 10 h 30. Elle lui a dit qu’elle devait étudier la demande de la fonctionnaire parce que cette dernière devait remplacer un autre employé à son retour de Londres.

11 En réponse au courriel envoyé par Mme Jessome à 10 h 30, la fonctionnaire a écrit à 10 h 51 qu’elle avait déjà modifié son vol en raison de la fermeture de l’aéroport. La fonctionnaire a expliqué à Mme Jessome qu’elle avait agi ainsi parce que les vols d’Air Canada entrants ou sortants avaient été annulés.

12 À 10 h 57, la fonctionnaire a envoyé à Mme Jessome un courriel l’informant qu’elle avait consulté le site Web de l’aéroport le matin même et que l’on prévoyait toujours des annulations. À 10 h 58, Mme Jessome a écrit à la fonctionnaire en observant que, d’après les images, la situation semblait grave.

13 La fonctionnaire et Mme Jessome ont déclaré qu’elles ont communiqué uniquement par courriels et qu’elles ne se sont jamais vraiment parlé à ce sujet.

14 La fonctionnaire a affirmé qu’elle a communiqué avec British Airways, Virgin et United Airlines pour trouver un moyen de revenir au Canada avant le 27 avril 2010. Il n’y avait rien de disponible pour revenir à Halifax avant le vol d’Air Canada sur lequel elle avait réservé un siège.

B. 21 avril à juin 2010

15 La fonctionnaire a témoigné que, le 21 avril 2010, les bulletins d’information londoniens ont annoncé la reprise des vols. Selon la fonctionnaire, les bulletins d’information indiquaient qu’il ne fallait pas se rendre d’avance aux aéroports. La police surveillait les entrées des aéroports et elle laissait passer seulement les personnes ayant un vol à prendre dans les quatre prochaines heures.

16 La fonctionnaire a expliqué qu’au moment de la reprise des vols, elle a été avisée par Air Canada de sa position dans la liste d’attente. Elle a également confirmé en contre-interrogatoire qu’elle vérifiait tous les jours le site Web d’Air Canada après le 16 avril 2010.

17 Selon la fonctionnaire, le 21 avril 2010, Air Canada avait six vols quittant Heathrow pour Ottawa, Toronto, Montréal, Edmonton, Calgary et Vancouver. Il n’y avait aucun vol partant de Heathrow pour Halifax le 21 avril 2010. La fonctionnaire ne savait pas à quelle date, après le 21 avril 2010, avait décollé le premier vol d’Air Canada de Heathrow à Halifax.

18 La fonctionnaire a déclaré ne jamais avoir été avisée par Air Canada que la liste d’attente était arrivée à son nom avant son nouveau départ prévu le 27 avril 2010.  Par conséquent, elle a pris le vol 861 d’Air Canada ce jour-là en direction de Halifax. Elle est rentrée au travail le 28 avril 2010.

19 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a confirmé qu’elle n’a pas communiqué avec l’aéroport de Heathrow et qu’elle ne s’est pas rendue à l’aéroport avant son vol du 27 avril 2010.

20 Lorsque la fonctionnaire est rentrée au travail, elle a soumis des formulaires de congé et a demandé, en application de la clause 52.01a) de la convention collective, des congés payés au motif suivant : « […] des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e l’empêchent de se rendre au travail ». Le code utilisé pour ces demandes de congé est « 699 ».

C. 8 juin 2010

21 Le 8 juin 2010, après le retour de la fonctionnaire au Canada et à son travail, elle et Mme Jessome ont échangé des courriels relativement aux congés demandés par la fonctionnaire. Le premier courriel de la journée a été envoyé par Mme Jessome à 11 h 34. Elle informait la fonctionnaire qu’elle était disposée à accorder deux jours sur les cinq jours de congé associés au code 699 demandés, soit les 21 et 22 avril 2010. Son courriel (pièce E-1, onglet 2) se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai pris connaissance de votre demande de congés sous le code 699 pour la période d’avril. À ma connaissance, les vols ont repris le 22 avril. Par conséquent, en consultation avec les RH, je vous accorde deux jours de congé sous le code 699, soit les 21 et 22 avril. Les trois autres jours compteront comme des jours de vacances.

[…]

22 La fonctionnaire a répondu à Mme Jessome à 11 h 54 (pièce E-1, onglet 2) comme suit :

[Traduction]

Bonjour Lisa, oui les vols ont repris c’est pourquoi je n’ai pas quitté l’Angleterre tout de suite. Comme mon vol était initialement prévu le 20, quand Air Canada a repris ses vols le jeudi (22), il y avait les personnes des sept jours précédant à placer sur des vols (cinq jours de personnes ayant des sièges réservés sur des vols qui n’étaient pas partis, avant mon vol). J’étais sur une liste d’attente pour les vols disponibles dès la reprise des vols, mais il n’y en avait pas. Je ne suis pas satisfaite des deux jours de congé sous le code 699, cela me semble injuste.

[…]

23 Mme Jessome a répondu à la fonctionnaire à 15 h 35 (pièce E-1, onglet 2) comme suit :

Bonjour Lorraine, j’ai consulté de nouveau l’agent responsable, qui a consulté les RH sur la question. À bien y penser, vous m’avez envoyé un courriel le 16 avril pour demander de prolonger votre congé d’une semaine. J’ai répondu que je devais consulter d’abord Gordon, notamment parce que nous avions planifié du travail pour vous. À la suite de ma réponse, vous avez dit que vous aviez déjà réservé un autre siège sur le vol du 27 avril, sans mon approbation préalable.

Je maintiens que deux jours seront comptabilisés selon le code 699 et que les trois autres jours seront des congés annuels.

[…]

24 À 15 h 42, la fonctionnaire a répondu ce qui suit (pièce E-1, onglet 2) :

Les vols étaient déjà annulés (et Heathrow était fermé) le vendredi 16, lorsque je vous ai envoyé un courriel […] c’est pourquoi j’ai appelé Air Canada (pendant que j’attendais votre réponse). On m’a suggéré de réserver un siège sur un autre vol sans attendre. J’ai donc réservé un siège pour le 27 avril. On m’a aussi inscrite à une liste d’attente au cas où des vols seraient disponibles avant. Par conséquent, […] il n’est pas pertinent de savoir si j’ai obtenu l’approbation préalable ou non […] il n’y avait aucun vol que j’aurais pu prendre pour revenir. […] je ne comprends donc pas très bien où vous voulez en venir.

[…]

25 Mme Jessome a envoyé le courriel suivant à la fonctionnaire à 16 h 09  (pièce E-1, onglet 2) :

Bonjour, je suppose que pour moi vous avez décidé de réserver un siège sur un autre vol au lieu de faire la « file d’attente », ce qui vous aurait vraisemblablement permis de revenir plus vite. À la suite de mes consultations, nous approuverons deux jours selon le code 699 et trois jours de vacances.

[…]

26 Mme Jessome a déclaré qu’elle n’a pas communiqué avec Air Canada pour obtenir de l’information au sujet de l’éruption volcanique ou de la perturbation des vols. Elle a confirmé qu’elle avait eu connaissance de l’éruption volcanique et de l’interruption des vols en Europe. Elle n’a cependant pas donné plus de détails en ce qui a trait à ce qu’elle savait et du moment où elle l’avait su. Elle a affirmé que son frère, qui était également en Angleterre pendant cette période, est revenu à Terre-Neuve par Air Canada, le 22 avril 2010. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas quand, après la reprise des vols, le premier vol pour Halifax était parti de Heathrow.

27 Mme Jessome a expliqué qu’elle a approuvé deux jours et demi de congé au lieu de tous les congés demandés parce qu’elle estimait que, si la fonctionnaire était demeurée en file d’attente, elle aurait quitté Londres plus rapidement. Elle a fondé sa décision sur ses connaissances personnelles, ses connaissances professionnelles et les avis des Ressources humaines.

28 La pièce G-2 correspond à la réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs, en date du 15 septembre 2010 :

[Traduction]

[…]

[…] L’aéroport Heathrow a été fermé à compter du 14 avril 2010 à la suite de l’éruption volcanique en Islande. Vous avez appelé Air Canada le 16 avril 2010 pour réserver un siège sur le vol du 27 avril 2010 et vous avez configuré votre téléphone cellulaire avec l’aide d’Air Canada pour être avisée d’éventuels sièges disponibles. Comme Air Canada n’a pas communiqué avec vous pour vous offrir un autre siège, vous êtes revenue au Canada le 27 avril 2010 sur l’autre vol que vous aviez réservé.

[…]

Le critère décisif en l’espèce est de savoir si vous auriez pu faire autre chose que ce que vous avez fait pour atténuer la situation. La direction estime que votre retour tardif au Canada le 27 avril 2010 est attribuable au fait qu’il vous a fallu deux jours pour communiquer avec Air Canada afin de réserver un siège sur un autre vol. De plus, en informant votre gestionnaire que vous aviez l’intention de prendre des congés de vacances, vous n’avez pas ouvert la discussion à d’autres moyens pour utiliser votre temps pendant la période prolongée [par exemple, la superviseure aurait pu vous demander de faire de la recherche en ligne sur le site Web d’ACC ou de visiter le bureau des Anciens combattants à Londres pour établir des contacts]. Troisièmement, vous avez admis lors de l’audition du grief que vous étiez à quelque 15 minutes de Heathrow, pourtant vous n’avez jamais tenté dans la période du 20 au 26 avril de vous rendre à l’aéroport pour faire la file jusqu’à un guichet de vente de billets.

En laissant simplement votre numéro de téléphone cellulaire pour vous contacter au cas où un siège serait disponible, la réalité « loin des yeux, loin du cœur » faisait en sorte que la compagnie aérienne accorderait davantage d’importance aux personnes qui étaient plus actives et qui cherchaient par tous les moyens à obtenir un nouveau siège.

[…]

29 La pièce G-3 correspond à la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, en date du 16 juin 2011 :

[Traduction]

[…]

Même si je comprends que vous n’exerciez aucun contrôle sur les circonstances ayant mené à votre retour tardif, je ne vois aucune preuve que vous avez tenté d’atténuer ce retard. J’estime que la direction a agi de manière juste et raisonnable en approuvant des congés associés au code 699 pour la moitié des congés que vous avez dû prendre.

[…]

30 La fonctionnaire a fait valoir que personne ne lui a dit qu’elle devrait travailler pendant ces jours supplémentaires et personne ne lui a dit qu’elle pourrait travailler au bureau d’ACC à Londres ou faire du télétravail à partir de Londres.

31 Mme Jessome a déclaré qu’elle n’a jamais dit au décideur au premier palier de la procédure de règlement des griefs que la fonctionnaire avait attendu trop longtemps avant de réserver un siège sur un autre vol et qu’elle ne leur a jamais dit que la fonctionnaire n’était pas sur une liste d’attente.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

32 La fonctionnaire a donné un compte rendu de ses efforts pour revenir à la maison après l’interruption des vols en raison de l’éruption volcanique en avril 2010. Quatre jours avant son départ prévu (le 20 avril 2010) et après que l’espace aérien européen a été fermé en grande partie, elle a immédiatement communiqué avec Air Canada. On lui a dit qu’il pourrait y avoir beaucoup de retard si elle attendait avant de réserver un siège sur un autre vol. Elle a suivi le conseil et a fait une nouvelle réservation.

33 La réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs est consignée à la pièce G-2. On peut y lire que la fonctionnaire aurait dû faire davantage pour tenter de revenir plus tôt et qu’elle a attendu deux jours avant de réserver un siège sur un autre vol, ce qui était « trop long ». La pièce G-2 indique par erreur que l’espace aérien a été fermé le 14 avril 2010. La pièce G-2 laisse également entendre qu’en demandant des congés de vacances, la fonctionnaire n’a pas permis de discuter d’autres manières d’utiliser son temps pendant qu’elle était bloquée à Londres, en faisant valoir qu’elle aurait pu effectuer de la recherche en ligne ou travailler à partir du bureau d’ACC en Angleterre. Absolument rien dans la preuve ne démontre que la fonctionnaire a demandé des congés de vacances et que quelqu’un lui aurait proposé de se rendre au bureau d’ACC ou de faire du télétravail à partir de l’Angleterre.

34 La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a été consignée à la pièce G-3. Dans sa réponse, le sous-ministre adjoint a admis que le volcan et les retards de vols étaient des circonstances indépendantes de la volonté de la fonctionnaire. Cependant, il a également indiqué que rien dans la preuve ne démontrait que la fonctionnaire avait tenté d’atténuer le retard. Cela est inexact.

35 L’employeur a laissé entendre que la fonctionnaire aurait dû rester à l’aéroport. Des millions de personnes étaient bloquées en Europe; il est difficile de comprendre comment cela aurait permis à la fonctionnaire de rentrer plus tôt. Quatre jours avant son vol de retour prévu initialement (et la fin de ses congés annuels approuvés), la fonctionnaire a pris des mesures pour retourner chez elle. Rien dans la preuve soumise par l’employeur ne précise ce qu’elle aurait pu faire d’autre.

36 Selon l’affirmation de Mme Jessome, la fonctionnaire serait rentrée plus tôt si elle avait fait la file d’attente. Or, ce n’est pas ce qu’Air Canada a dit à la fonctionnaire. En réalité, la fonctionnaire a fait la file d’attente, ce qui ne lui a pas permis de prendre un vol plus tôt.

37 La fonctionnaire a invoqué le paragraphe 7:3120 « Leaves of absence » de la 4e édition de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration de Brown et Beatty, qui renvoie aux clauses des conventions collectives reconnaissant un certain pouvoir discrétionnaire à l’employeur pour ce qui est d’accorder ou de refuser des congés. Ce pouvoir discrétionnaire est tempéré par la réserve que l’employeur ne peut pas refuser d’accorder des congés sans motif raisonnable. Sur ce point, le paragraphe se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] même dans le cas d’une convention ne restreignant pas expressément la manière dont l’employeur exerce son pouvoir discrétionnaire, les arbitres concluent généralement que le congé devrait être accordé lorsque l’employé aurait pu fournir une justification raisonnable pour ce qui autrement aurait été considéré comme une absence non autorisée si le congé n’avait pas été demandé. Peu importe qu’une convention collective restreigne expressément ou non le pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’accorder ou de refuser des congés, la plupart du temps les arbitres exigent que le pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière raisonnable et seulement après avoir pris connaissance de l’ensemble des facteurs pertinents […]

[…]

[J’omets la note de bas de page]

38 Lorsqu’un employé a établi qu’il lui était impossible de se rendre au travail et qu’il n’exerçait aucun contrôle sur les circonstances, le fardeau passe à l’employeur qui doit établir pourquoi il n’a pas accordé le congé payé, en l’occurrence, les deux autres jours et demi. L’employeur doit détenir certains faits et avoir un fondement réaliste pour en venir à ses conclusions.

39 La fonctionnaire a invoqué Cloutier et al. c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21838 à 21840 (19920721). L’affaire Cloutier et al. met en cause exactement la même clause de la convention collective qu’en l’espèce et porte sur l’incapacité de trois employés à se rendre au travail en raison de mauvaises conditions routières causées par une tempête de neige. L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne CRTFP ») a conclu que, lorsque ce type de clause d’une convention collective est en cause, il faut étudier la situation particulière du fonctionnaire s’estimant lésé et exercer son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, après avoir pris en compte les faits.

40 La fonctionnaire m’a également renvoyé à Colp et Bunch c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-23215 et 23216 (19930803), qui concerne également une tempête de neige et des fonctionnaires s’estimant lésés demeurant loin de leur lieu de travail. L’ancienne CRTFP a statué que l’employeur ne peut pas invoquer en soi le fait que les employés demeurent loin de leur lieu de travail pour justifier le refus de leur accorder un congé spécial demandé.

41 La fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’a pas produit de preuve établissant qu’il s’est acquitté de son obligation de démontrer que sa décision était fondée sur un motif raisonnable. 

42 La fonctionnaire a également invoqué Newfoundland and Labrador Association of Public and Private Employees v. Nova Central School District, 2013 CanLII 48114 (N.L. L.A.).

B. Pour l'employeur

43 Trois éléments entrent en jeu au moment d’examiner l’article 52 de la convention collective :

  • La direction a un pouvoir discrétionnaire; l’article prévoit que l’employeur « peut » et non qu’il « doit » accorder un congé lorsqu’un employé n’est pas en mesure de se rendre au travail;
  • Il incombe à l’employé de démontrer que les circonstances l’empêchant de se rendre au travail étaient indépendantes de sa volonté;
  • Il incombe à l’employé de démontrer que la direction n’a pas agi de manière raisonnable en refusant d’accorder les congés.

44 L’employeur a invoqué Chutter c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-15160 (19870325); Sinclair c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14295 (19840507) et Strickland c. Conseil du Trésor (Commission de la capitale nationale), dossier de la CRTFP 166-02-14697 (19850215). Tous ces cas mettent en cause la clause d’une convention collective libellée exactement comme la clause 52.01a) de la convention collective et concernent des employés ayant été incapables de se rendre au travail en raison de tempêtes de neige. Ils appuient la prétention selon laquelle l’arbitre de grief doit être convaincu que l’employeur a agi de manière déraisonnable dans les circonstances.

45 L’employeur a aussi invoqué Dollar v. Treasury Board (Canada Employment and Immigration Commission) (1979), 21 L.A.C. (2e) 34 et Ryan et Ryan c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), dossiers de la CRTFP 166-02-11431 et 11432 (19820820), pour faire valoir le principe selon lequel, s’il est considéré que l’employeur a un motif raisonnable pour accorder des congés discrétionnaires, cela ne signifie pas qu’il n’a pas de motif raisonnable pour accorder seulement une partie des congés. 

46 L’employeur a soumis que les mesures ayant été prises témoignaient du caractère raisonnable. Il a fallu deux mois pour en arriver à la conclusion qu’il était raisonnable d’accorder deux jours et demi. La fonctionnaire a eu la possibilité de faire entendre sa version de l’histoire, et la gestionnaire a étudié le cas de la fonctionnaire.

47 L’employeur a déclaré que la fonctionnaire a fait plusieurs démarches, mais qu’elle n’a cependant pas communiqué avec Air Canada entre le 17 et le 22 avril 2010. Entre ces dates, elle a omis de communiquer avec la compagnie aérienne ou l’aéroport. L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire a choisi la solution la plus sûre et n’a donc pas fait d’autres démarches. Même si elle s’est inscrite à une liste d’attente, elle n’a pas pris de mesures proactives. Elle avait un siège garanti et elle a simplement attendu son vol. Elle aurait pu redoubler ses efforts, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a agi sans grande conviction et n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour revenir plus tôt.

48 L’employeur a invoqué Thibaudeau c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-10528 (19820826), qui établit le principe selon lequel les responsabilités personnelles d’un employé ne devraient pas être transférées à l’employeur. Selon l’employeur, le présent cas relève d’une décision personnelle et d’une tentative de transférer la responsabilité de cette décision à l’employeur. La fonctionnaire était en vacances outre-mer. Il existe un risque inhérent au transport aérien. L’employeur ne devrait pas avoir à assumer la responsabilité d’un employé qui se trouve outre-mer.

49 L’employeur a agi de bonne foi en accordant deux jours et demi de congé et n’a pas agi de façon déraisonnable en refusant d’accorder les deux autres jours et demi.

C. Réplique de la fonctionnaire s’estimant lésée

50 Bien que le congé soit discrétionnaire, du moment où l’employé s’est conformé aux conditions de la convention collective, le pouvoir discrétionnaire ne s’applique plus librement, il est restreint.

51 Il est absurde de suggérer que la fonctionnaire devrait assumer une part de risque parce qu’elle a choisi de passer ses vacances en Angleterre. Ce risque a déjà été négocié par l’agent négociateur et est tenu en compte dans l’article 52 de la convention collective.

52 Mme Jessome n’a même pas parlé à la fonctionnaire. La fonctionnaire n’a pas attendu que ses vacances soient terminées avant de prendre des mesures pour tenter de rentrer au pays. Elle a agi de manière proactive et immédiate lorsque l’espace aérien a été fermé. Elle a communiqué avec Air Canada et a suivi les conseils de la compagnie aérienne. Rien ne démontre que les choses auraient été différentes si elle avait appelé la compagnie tous les jours ou si elle s’était rendue à l’aéroport.

IV. Motifs

53 Une audience en arbitrage relativement à une allégation de violation d’une convention collective en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est une audience de novo, et le fardeau de la preuve incombe à la fonctionnaire.

54 Le litige porte sur la clause 52.01a) de la convention collective, qui prévoit ce qui suit :

52.01   L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a)   un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n'est pas refusé sans motif raisonnable;

55 La question initiale à laquelle il faut répondre dans les cas d’interprétation de clauses, comme la clause 52.01a) de la convention collective, est de savoir si certaines circonstances n’étant pas directement imputables à l’employée l’ont empêchée de se rendre au travail. Une fois que cela est établi, la question suivante est de savoir si l’employeur a refusé d’accorder les congés demandés sans motif raisonnable.

56 Les cas comme celui en l’espèce reposent sur des faits. Dans la jurisprudence m’ayant été soumise relativement à l’interprétation d’un libellé exactement pareil, ou semblable, à la clause 52.01a) de la convention collective, sept cas concernaient des situations liées à des tempêtes de neige et deux autres étaient liés à la maladie de membres de la famille.

57 La fonctionnaire a demandé cinq jours de congé pour couvrir la période entre son retour au travail prévu, le 21 avril 2010, et son retour réel, le 28 avril 2010. L’employeur a initialement décidé d’accorder deux jours de congé payé en vertu de la clause 52.01a) de la convention collective et de comptabiliser les trois autres jours comme des congés annuels (vacances). À un moment donné, une autre demi-journée a été autorisée en vertu de la clause 52.01a).

58 La fonctionnaire était en congés annuels autorisés par son employeur du 29 mars au 20 avril 2010. Elle devait retourner au travail le 21 avril 2010. Elle était à l’extérieur du pays, en Angleterre, pendant cette période. Elle a pris un vol direct d’Air Canada entre Halifax et Heathrow. En avril 2010, une éruption volcanique a entraîné la fermeture massive de l’espace aérien et a cloué les avions au sol dans la plus grande partie de l’Europe. Les derniers vols à atterrir à Heathrow et à en partir ont été le 15 avril 2010, et aucun vol n’est arrivé ou parti jusqu’au 21 avril 2010.

59 Je n’ai aucun doute sur le fait que la fonctionnaire ne pouvait pas quitter Londres sur son vol de retour prévu, parce qu’il devait être le 20 avril 2010 et que les vols étaient annulés. Par conséquent, elle ne pouvait pas se présenter au travail le 21 avril 2010 puisqu’elle était toujours à Londres. L’employeur a clairement accepté que la situation de la fonctionnaire correspondait à la clause 52.01a) de la convention collective et à la définition de « circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e », puisqu’il lui a initialement accordé deux jours de congé parce qu’elle ne pouvait pas, de toute évidence, se rendre au travail en raison de la fermeture de l’espace aérien et de l’annulation des vols à la suite de l’éruption volcanique. La seule question à laquelle il reste à répondre est de savoir si la décision de l’employeur de ne pas accorder les cinq jours de congé demandés était fondée sur un motif raisonnable.

60 Selon le témoignage non contesté de la fonctionnaire, elle a communiqué avec Air Canada le 16 avril 2010, immédiatement après avoir appris la fermeture de l’espace aérien et l’annulation massive des vols. Elle a alors parlé à un représentant d’Air Canada qui l’a aidée à revenir au Canada. Toujours selon son témoignage, le représentant d’Air Canada a dit à la fonctionnaire que, même si c’était le 16 avril 2010 et que son vol n’était prévu que le 20 avril 2010, il était préférable qu’elle réserve un siège sur le vol du 27 avril 2010 de Heathrow à Halifax. La fonctionnaire a également affirmé que le représentant lui a assuré que, même si elle avait modifié sa réservation du 20 au 27 avril 2010, son nom, ainsi que celui de tous les autres passagers dont les vols avaient été annulés, serait automatiquement inscrit à une liste d’attente. Il lui a aussi dit que la file d’attente fonctionnerait par ordre chronologique et que les voyageurs dont les vols avaient été annulés en premier seraient les premiers en ligne pour obtenir des sièges sur les vols de retour au Canada au moment de la reprise des vols.

61 La fonctionnaire a expliqué qu’elle a configuré son téléphone intelligent de sorte à recevoir des avis d’Air Canada lui indiquant sa position dans la file d’attente et qu’elle a consulté quotidiennement ces avis et l’information sur le site Web d’Air Canada. Selon le témoignage de la fonctionnaire, Air Canada a repris ses vols vers le Canada le 21 avril 2010, de manière restreinte. Elle a reçu un avis sur son téléphone intelligent lui confirmant sa position dans la file d’attente lorsqu’Air Canada a repris ses vols de Heathrow. Elle n’a jamais été avisée qu’un siège lui était attribué sur un vol avant celui du 27 avril 2010, vol sur lequel elle avait réservé un siège.

62 Mme Jessome a expliqué qu’elle n’a pas approuvé les autres congés payés en vertu de la clause 52.01a) de la convention collective parce qu’elle estimait que la fonctionnaire avait réservé un siège sur un autre vol trop tôt, soit le 16 avril 2010. Selon Mme Jessome, comme les avions atterrissaient encore à Heathrow le 15 avril 2010, il était trop tôt le 16 avril pour réserver un siège sur un autre vol. Selon son point de vue, si la fonctionnaire était demeurée en file d’attente, elle aurait obtenu un vol plus tôt. Elle a consulté les Ressources humaines et, en se basant sur ce qu’ils lui ont dit, ainsi que sur le fait que son frère avait obtenu un vol partant de Londres plus tôt que la fonctionnaire, elle a estimé que la fonctionnaire aurait pu prendre un vol avant.

63 L’échange de courriels du 8 juin 2010 entre la fonctionnaire et Mme Jessome se trouve sous l’onglet 2 de la pièce E-1. Les deux derniers courriels de Mme Jessome en disent long sur son raisonnement. À 15 h 35, elle a écrit ce qui suit :

[…] À bien y penser, vous m’avez envoyé un courriel le 16 avril pour demander de prolonger votre congé d’une semaine. J’ai répondu que je devais consulter d’abord Gordon, notamment parce que nous avions planifié du travail pour vous. À la suite de ma réponse, vous avez dit que vous aviez déjà réservé un autre siège sur le vol du 27 avril, sans mon approbation préalable.

[…]

64 À 16 h 09, Mme Jessome a écrit ce qui suit :

Bonjour, je suppose que pour moi vous avez décidé de réserver un siège sur un autre vol au lieu de faire la « file d’attente », ce qui vous aurait vraisemblablement permis de revenir plus vite […]

[…]

65 La décision de Mme Jessome était déraisonnable et n’avait aucun fondement factuel. Dans le courriel qu’elle a envoyé à 15 h 35, le 8 juin 2010, elle disait qu’avant d’approuver la prolongation du congé de la fonctionnaire, elle souhaitait consulter une personne du nom de Gordon, parce que Mme Jessome avait des plans pour la fonctionnaire. Mme Jessome a aussi fait valoir qu’avant de recevoir l’approbation de son congé prolongé, la fonctionnaire avait réservé un siège sur un autre vol. Il n’était pas pertinent de savoir si Mme Jessome avait approuvé ce type de congé. Le simple fait était que les avions ne décollaient pas de Londres. Avec le temps qui passait, il est devenu très évident que la fonctionnaire ne rentrerait pas au travail le 21 avril 2010, parce qu’aucun vol n’arrivait et aucun vol ne partait de Heathrow pour le Canada après le 15 avril 2010 et avant le 21 avril 2010. Pour dire les choses plus simplement, il était impossible pour la fonctionnaire de rentrer à Halifax.

66 Dans son courriel de 16 h 09, le 8 juin 2010, Mme Jessome a déclaré que le fait que la fonctionnaire a réservé un siège sur un autre vol au lieu de demeurer en file d’attente constituait un facteur déterminant. Elle estimait que, si la fonctionnaire avait choisi de faire la file d’attente, elle serait probablement revenue plus tôt. Non seulement ni a-t-il aucune preuve à cet effet, mais, en réalité, la preuve démontre le contraire. La fonctionnaire a réservé un siège sur un autre vol après avoir discuté avec un représentant d’Air Canada le premier jour (sur cinq) de la fermeture de Heathrow et de l’annulation des vols. Le représentant d’Air Canada lui a conseillé de réserver un siège sur le premier vol disponible, qui était, selon le représentant, le 27 avril 2010. La fonctionnaire obtenait ainsi la garantie d’avoir un siège, et c’est donc ce qu’elle a fait. De plus, la fonctionnaire a confirmé qu’elle a été automatiquement inscrite à la liste d’attente. La fonctionnaire a aussi soutenu qu’en aucun temps, avant le vol du 27 avril 2010, elle n’a reçu d’avis indiquant qu’un siège lui était attribué sur un autre vol. Il s’agit non seulement de ce que la fonctionnaire a déclaré devant moi, mais également de ce qu’elle a expliqué précisément à Mme Jessome, le 8 juin 2010, avant et après le courriel envoyé par Mme Jessome à 15 h 35.

À 11 h 54, la fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…] Comme mon vol était initialement prévu le 20, quand Air Canada a repris ses vols le jeudi (22), il y avait les personnes des sept jours précédant à placer sur des vols (cinq jours de personnes ayant des sièges réservés sur des vols qui n’étaient pas partis, avant mon vol). J’étais sur une liste d’attente pour les vols disponibles dès la reprise des vols, mais il n’y en avait pas […]

À 15 h 42, la fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Les vols étaient déjà annulés (et Heathrow était fermé) le vendredi 16, lorsque je vous ai envoyé un courriel […] c’est pourquoi j’ai appelé Air Canada (pendant que j’attendais votre réponse). On m’a suggéré de réserver un siège sur un autre vol sans attendre. J’ai donc réservé un siège pour le 27 avril. On m’a aussi inscrite à une liste d’attente au cas où des vols seraient disponibles avant. Par conséquent, […] il n’est pas pertinent de savoir si j’ai obtenu l’approbation préalable ou non […] il n’y avait aucun vol que j’aurais pu prendre pour revenir. […] je ne comprends donc pas très bien où vous voulez en venir.

[…]

67 Il n’y a absolument aucune preuve contredisant le témoignage de la fonctionnaire. Mme Jessome a admis qu’elle était au courant de l’éruption volcanique et de l’interruption du transport aérien. Elle a également admis qu’elle n’a jamais communiqué avec Air Canada ou reçu d’information d’Air Canada. La décision de Mme Jessome ne peut pas être maintenue parce qu’elle n’était pas fondée sur un motif raisonnable. Il n’y a tout simplement aucun fondement factuel pour l’étayer. D’après son témoignage et ses propres courriels, sa décision était fondée sur le fait que la fonctionnaire s’était retirée de la file d’attente. Or, la fonctionnaire est demeurée en file même si un autre siège lui avait été attribué sur le vol du 27 avril 2010. Selon la preuve dont je dispose, si la fonctionnaire n’avait pas fait une nouvelle réservation pour le vol du 27 avril 2010, elle serait partie après ce vol.

68 Il serait négligent de ma part de ne pas traiter de l’incohérence notable dans une autre partie des prétentions de l’employeur. Lors de son témoignage en interrogatoire principal devant moi, Mme Jessome a soutenu que la fonctionnaire avait agi trop rapidement en prenant une nouvelle réservation sur un autre vol. Pour reprendre ses mots, les avions atterrissaient toujours le 15 avril 2010, alors, à son avis, il était trop tôt le 16 avril 2010 pour tenter de réserver un siège sur un autre vol. Cette affirmation s’oppose directement au raisonnement que l’on trouve à la pièce G-2, la réponse au premier niveau de la procédure de règlement des griefs, dans laquelle le directeur de secteur déclare ceci :

[Traduction]

[…]

Le critère décisif en l’espèce est de savoir si vous auriez pu faire autre chose que ce que vous avez fait pour atténuer la situation. La direction estime que votre retour tardif au Canada le 27 avril 2010 est attribuable au fait qu’il vous a fallu deux jours pour communiquer avec Air Canada afin de réserver un siège sur un autre vol  […]

[…]

69 D’une part, la superviseure de la fonctionnaire lui a reproché d’avoir fait une nouvelle réservation trop tôt à la suite de l’annulation des vols, et d’autre part, le directeur de secteur lui a dit qu’elle avait trop attendu avant de faire une nouvelle réservation. Quelle est la bonne réponse? Selon moi, les deux points de vue sont erronés parce qu’ils sont fondés sur des hypothèses plutôt que sur des faits. Selon le témoignage de Mme Jessome devant moi, les derniers avions ont atterri à Heathrow le 15 avril 2010 avant la fermeture de l’aéroport. Le 16 avril 2010, la fonctionnaire a communiqué avec Air Canada et avec sa superviseure. Je ne connais pas la date exacte de l’éruption volcanique. Si l’éruption s’est produite le 15 avril 2010 et que la fermeture de l’aéroport a eu lieu le 16 avril 2010, comment la fonctionnaire aurait-elle pu attendre trop longtemps si son vol ne devait pas partir avant le 20 avril 2010? Mme Jessome a affirmé que la fonctionnaire a agi trop promptement, pourtant si la fonctionnaire n’avait pas agi lorsqu’elle l’a fait, la preuve dont je dispose porte à croire qu’elle serait revenue à une date ultérieure et non antérieure. Quant aux observations du directeur de secteur reproduites à la pièce G-2, rien dans la preuve n’indique que l’éruption volcanique s’est produite avant le 15 avril 2010. Par conséquent, comment la fonctionnaire aurait-elle pu prévoir l’éruption et la fermeture subséquente de l’espace aérien et l’annulation subséquente des vols?

70 Également en ce qui concerne la pièce G-2, le directeur de secteur a fait valoir que, comme la fonctionnaire a informé sa gestionnaire qu’elle prendrait des congés de vacances, elle n’a pas ouvert la discussion quant à d’autres façons d’utiliser son temps pendant la prolongation de son séjour, laissant ainsi croire que la fonctionnaire aurait pu faire de la recherche en ligne ou travailler à partir du bureau d’ACC au Royaume-Uni. Cette proposition n’a pas non plus de fondement factuel. La fonctionnaire et Mme Jessome ont toutes deux témoigné que le seul contact qu’elles ont eu pendant que la fonctionnaire était bloquée à Londres s’est fait par courriel. Dans son premier courriel, la fonctionnaire indiquait simplement qu’elle souhaitait prolonger son congé. Cependant, à partir de son deuxième courriel, il était évident qu’elle était bloquée à Londres. Comment aurait-elle pu savoir qu’elle pourrait effectuer du travail par Internet ou qu’elle pourrait avoir accès au bureau d’ACC à Londres? S’il s’agissait d’une option réaliste, la gestionnaire aurait pu l’envisager et, si cela était faisable, le proposer. Il n’y pas eu de discussion à cet égard.

71 Une autre proposition est faite dans la pièce G-2, proposition qu’a reprise l’employeur, à savoir que la fonctionnaire n’a pas agi, en quelque sorte, de manière à atténuer la situation parce qu’elle ne s’est pas rendue à Heathrow avant son départ prévu le 27 avril 2010. Cet argument est sans fondement. L’unique élément de preuve sur cette question m’a été fourni par la fonctionnaire qui affirmait que les bulletins d’information londoniens conseillaient de ne pas se rendre aux aéroports du secteur (notamment à Heathrow). Selon la preuve produite, les bulletins d’information conseillaient que seules les personnes ayant des sièges réservés sur des vols prévus dans les quatre prochaines heures seraient admises à l’aéroport. L’employeur n’a pas produit de preuve contraire à celle de la fonctionnaire et n’a pas précisé dans son argumentation en quoi le fait de se rendre à Heathrow aurait pu améliorer les chances de la fonctionnaire de partir avant. Le transport aérien international ne se compare pas au déplacement local par autobus. On ne peut pas simplement se rendre à l’aéroport, faire la file et attendre le prochain vol quelle que soit la destination, et tant qu’il reste des places, payer le billet et embarquer. Les sièges sur un avion sont réservés à l’avance. Il y avait peut-être quelques sièges de libres sur chaque vol, mais des milliers de passagers bloqués se disputaient un nombre limité de sièges. Il est évident qu’Air Canada avait un plan et que ce plan a été mis en œuvre; il constituait en une liste d’attente qui permettrait de communiquer par voie électronique avec les passagers pour les aviser du moment où ils devaient se rendre à l’aéroport.

72 En conclusion, l’employeur a prétendu qu’il était raisonnable d’accorder deux jours et demi parce que la fonctionnaire était, en quelque sorte, partiellement responsable du fait qu’elle a pris ses vacances outre-mer et qu’il existe un risque inhérent associé aux voyages. Bien que j’accepte qu’il existe un certain risque à voyager de manière générale et à voyager par avion, je rejette cet argument parce qu’il n’y a aucun fondement factuel pour étayer la proposition de répartir le risque. La clause 52.01a) de la convention collective vise sans contredit à traiter de situations où un employé ne peut pas se rendre au travail en raison d’obstacles sur lesquels il n’exerce aucun contrôle. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces cas sont fondés sur des faits, et dans les cas invoqués, sept concernaient des tempêtes de neige. Pour déterminer si une décision est fondée sur un motif raisonnable ou non, il faut généralement se demander si, à un moment donné, la circonstance ayant empêché l’employé de se rendre au travail a changé. Dans le cas d’une tempête de neige, cette question est habituellement de savoir quand les routes sont devenues praticables ou quand les autobus ont recommencé à circuler et si les circonstances sont demeurées les mêmes de telle sorte que l’employé ne pouvait pas se rendre au travail. En l’espèce, la fonctionnaire s’est présentée au travail le premier jour de travail après avoir pris le premier vol disponible pour Halifax.

73 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

74 Le grief est accueilli.

75 L’employeur remplacera les congés annuels (vacances) entre le 21 et le 27 avril 2010, inclusivement, par des congés payés prévus à la clause 52.01a) de la convention collective.

76 L’employeur remboursera les crédits de congé annuel (vacances) que la fonctionnaire a dû prendre entre le 21 et le 27 avril 2010, inclusivement.

77 Je demeure saisi de l’affaire pendant 60 jours afin de régler toute question que pourrait soulever le calcul des congés annuels (vacances) que l’employeur doit à la fonctionnaire.

Le 20 mars 2014.

Traduction de la CRTFP

John G. Jaworski,
arbitre de grief

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