Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé quatre griefs collectifs pour le compte de 12 employés - il contestait la décision de l’employeur de leur attribuer le quart de travail de soir plutôt que de leur faire terminer le travail souhaité en heures supplémentaires - la convention collective prévoit que le travail par poste doit être à l’horaire seulement lorsque c’est <<nécessaire>> - le travail d’enlignement des systèmes d’armes d’un navire devait être exécuté de nuit en raison de la sensibilité de l’équipement - en raison des mauvaises conditions météorologiques et de défaillances de l’équipement, l’employeur a été contraint de reporter plusieurs fois les quarts de soir, et le travail a finalement été achevé en heures supplémentaires - les fonctionnaires s’estimant lésés ont consacré leurs quarts de soir à exécuter du travail qui était habituellement effectué au cours de la journée - les fonctionnaires s’estimant lésés ont effectué leur travail de concert avec les ingénieurs qui ont été appelés en heures supplémentaires, car leur convention collective exigeait un préavis de 28jours avant un quart de soir - l’arbitre de grief a statué que le fait que le travail puisse être exécuté en heures supplémentaires ne rendait pas la mise à l’horaire du travail par quarts inutile, notamment si l’on tient compte de l’exigence de la convention collective selon laquelle l’employeur doit limiter le plus possible les heures supplémentaires - le fait que des facteurs indépendants de la volonté de l’employeur ont fait échec aux quarts de travail n’indique pas que la mise à l’horaire du travail par poste était inutile - l’employeur n’était pas tenu de démontrer l’urgence de justifier le recours à des quarts de soir - l’employeur avait exercé ses droits de gestion raisonnablement, de bonne foi et en conformité avec la convention collective. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-04-07
  • Dossier:  567-02-112 à 115
  • Référence:  2014 CRTFP 44

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CONSEIL DE L’EST DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL DES CHANTIERS MARITIMES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)


Affaire concernant des griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief
Pour l'agent négociateur:
Ronald A. Pink et Jillian Houlihan, avocats
Pour l'employeur:
Talitha A. Nabbali, avocate
Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse), les 5et 6 février 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage

1 Le 6 juin 2011, le Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (l’« agent négociateur ») a déposé quatre griefs collectifs distincts au nom de 12 employés du ministère de la Défense nationale (MDN) travaillant à l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott, à Halifax, en Nouvelle-Écosse (l’« IMF Cape Scott »). Les employés ont formulé un grief à l’encontre de la décision du MDN de les affecter à un poste de soirée, ce qui est à leur avis contraire aux clauses 5.01 et 15.07 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’agent négociateur pour l’unité de négociation du groupe Réparation des navires (est), convention collective qui expirait le 31 décembre 2011 (la « convention collective »). Ces dispositions sont libellées comme suit :

[…]

5.01  Le Conseil reconnaît et admet que l’Employeur a et doit continuer d’avoir exclusivement le droit et la responsabilité de diriger ses opérations dans tous leurs aspects et il est explicitement entendu que les droits et responsabilités de ce genre qui ne sont ni précisés ni modifiés d’une façon particulière par la présente convention appartiennent en exclusivité à l’Employeur.

L’exercice de tels droits ne doit pas être incompatible avec les dispositions explicites de la présente convention.

[…]

15.07  L’Employeur n’établit des horaires de travail par poste qu’en cas de nécessité. À l’occasion du travail par poste sur un projet, l’Employeur donne aux employés et au Conseil un préavis aussi long que possible avant le début du travail par poste.

[…]

2 Après avoir reçu les réponses fournies par l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, réponses dans lesquelles les griefs collectifs étaient rejetés, l’agent négociateur a renvoyé ces questions à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») aux fins d’arbitrage, le 20 février 2013.

II. Résumé de la preuve

3 En tout, quatre témoins ont été cités à comparaître par les parties au sujet des événements ayant mené à la présentation de ces griefs. L’agent négociateur a cité comme témoins Brian Lacey, technicien en mécanique, Jim Logan, technicien en électronique, et Brendon Cameron, également technicien en électronique. L’employeur a pour sa part cité comme témoin Ian Mitchell, gestionnaire des services techniques au sein de la division Armement naval de l’IMF Cape Scott.

4 Les fonctionnaires s’estimant lésés font partie du groupe Réparation des navires (est). Ils occupent habituellement un poste de jour, qui débute à 7 h 45 pour se terminer à 16 h 15. Le 21 avril 2011, le gestionnaire de la production de l’IMF Cape Scott a diffusé un avis informant le personnel visé de l’instauration d’un poste de soirée devant débuter à 15 h 45 le 26 avril 2011 et prendre fin à 0 h 15 le 30 avril 2011. Cet avis expliquait que le poste de soirée était nécessaire à la réalisation de travaux d’entretien sur le NCSM Iroquois, en particulier l’alignement des radars d’illumination d’objectif distinct (STIR) du navire et des radars et dispositifs de commande optroniques légers (LIROD) du navire, ainsi que de travaux d’entretien en atelier et d’autres travaux, selon les directives données par les superviseurs des services techniques.

5 Les STIR et les LIROD sont essentiellement des radars qui contrôlent les tirs d’artillerie du navire grâce au calcul de la poursuite, de la cible et de la trajectoire des missiles, de même que de la durée. L’alignement de ces radars doit avoir lieu deux fois par année, de façon à assurer l’homologation des armes des NCSM. L’alignement fait partie de plusieurs autres mesures de réparation et de mise à l’essai prévues qui sont régulièrement effectuées sur les navires, de façon à ce qu’ils soient prêts pour tout mandat ou mission, le cas échéant.

6 Tous les témoins ont confirmé que l’alignement des STIR et des LIROD devait s’effectuer de nuit en raison de la sensibilité de l’équipement, qui nécessite une position immobile. Essentiellement, le navire doit être immobile et l’environnement doit être calme, ce qui est plus susceptible de se produire la nuit. La pluie, le vent ou le brouillard épais peuvent facilement nuire au travail d’alignement, au point d’empêcher la poursuite des travaux. Dans des conditions météorologiques idéales, l’alignement des STIR et des LIROD, effectué par des techniciens en électricité et des techniciens en mécanique, chacun travaillant leur soirée à tour de rôle, prend normalement deux ou trois nuits. Il a également été confirmé que le travail d’alignement effectué par le groupe Réparation des navires (est) était en appui au groupe Génie, qui surveille l’alignement des armes et leur mise à l’essai.

7 Selon M. Lacey, il n’était pas nécessaire de prévoir un poste de soirée en avril 2011, puisque le travail aurait pu être effectué au moyen d’heures supplémentaires, comme il l’a toujours été par le passé. En contre-interrogatoire, M. Lacey s’est vu présenter quatre avis différents au sujet de postes de soirée. Ces avis, qui avaient été distribués les 8 mars, 7 avril, 11 juin et 15 octobre 2010, portaient sur l’alignement des STIR ou des LIROD sur trois navires différents. M. Lacey ne se souvenait pas d’avoir lu ou reçu ces avis; il ne se souvenait pas non plus qu’on lui ait demandé d’occuper l’un de ces postes. En fait, il ne se souvenait d’avoir été affecté à aucun poste de soirée, outre durant la semaine du 26 avril 2011.

8 Quant à sa participation au travail d’alignement prévu du 26 au 30 avril 2011, M. Lacey se rappelait avoir effectué certaines tâches la première nuit, alors que des ingénieurs étaient sur place, mais avoir eu à s’arrêter en raison d’une pluie très forte, qui avait perduré pour le reste des postes prévus. Les ingénieurs, qui devaient effectuer des heures supplémentaires, n’avaient pas été appelés en raison des mauvaises conditions météorologiques. Ainsi, l’alignement des STIR et des LIROD n’avait pas pu être effectué cette semaine-là. On n’avait pas demandé à M. Lacey d’occuper d’autres postes de soirée prévus en mai 2011.

9 M. Logan a remis en question la nécessité d’effectuer les travaux dans le cadre d’un poste de soirée étant donné que les ingénieurs travaillaient uniquement en service supplémentaire pour effectuer ces travaux et n’étaient pas appelés si les conditions météorologiques n’étaient pas clémentes. Il a affirmé que, par le passé, l’alignement des STIR et des LIROD était effectué en service supplémentaire par son unité de négociation et il se souvenait d’avoir vu les quatre avis qui avaient été diffusés en 2010 au sujet des postes de soirée.

10 M. Logan avait été affecté aux postes de soirée prévus du 26 au 30 avril 2011, de même qu’à ceux qui étaient prévus au cours de la semaine suivante et qui devaient se terminer à 0 h 15 le 7 mai 2011. Il avait également été affecté au poste de soirée débutant à 15 h 45 le 9 mai 2011 et se terminant à 0 h 15 le 10 mai 2011, ainsi qu’à celui débutant à 15 h 45 le 18 mai 2011 et se terminant à 0 h 15 le 19 mai 2011.

11 Selon M. Logan, les mauvaises conditions météorologiques les avaient empêchés, ses collègues et lui, d’effectuer le travail d’alignement prévu. Il avait plutôt travaillé à plusieurs petits projets qui ne se rapportaient aucunement ou presque à l’alignement des STIR et des LIROD, notamment en effectuant des tâches liées à l’inventaire et au reconditionnement, des tâches dévolues aux postes de jour et des modifications au manuel sur l’inventaire, un manuel exhaustif sur les opérations. En contre-interrogatoire, il a reconnu que l’homologation des armes était un processus global qui nécessitait beaucoup de travail d’arrière-plan avant l’alignement proprement dit. M. Logan se souvenait d’avoir pu commencer à travailler à l’alignement au cours du quatrième poste de soirée prévu (du 18 au 21 mai 2011), mais d’avoir dû arrêter en raison des conditions climatiques qui se détérioraient. Un autre employé, Brandon Cameron, avait été appelé pour effectuer des heures supplémentaires afin de travailler sur l’alignement après son dernier poste le 20 mai 2011. M. Cameron a affirmé que tout le travail d’alignement avait été terminé le 30 mai 2011 et que l’alignement des STIR et des LIROD avait été effectué au complet la même nuit, ce qui était normal. Tous les employés qui étaient présents cette nuit-là, dont lui, avaient effectué des heures supplémentaires. Bien qu’il n’ait été affecté à aucun des postes de soirée prévus dont il est question, il se souvenait d’avoir occupé des postes de soirée par le passé, à au moins six reprises.

12 M. Mitchell avait participé à la décision de prévoir des horaires de travail par poste en avril 2011. En fait, c’est lui qui avait recommandé la prise de cette mesure en soirée pour l’alignement des STIR et des LIROD au gestionnaire de la production responsable de cette décision. Selon M. Mitchell, le travail par poste était nécessaire en raison de la nature des tâches et du fait que celles-ci devaient être accomplies la nuit. M. Mitchell avait également pris en considération plusieurs autres facteurs au moment de formuler cette recommandation, notamment le fait que l’employeur était tenu, aux termes de la clause 15.09 de la convention collective, de donner un préavis d’au moins quatre heures aux employés devant faire des heures supplémentaires et de réduire au minimum les heures supplémentaires. Il avait également tenu compte du fait que la fatigue pouvait guetter les employés si ceux-ci devaient effectuer des heures supplémentaires jusqu’à 2 h ou 4 h, tout en ayant commencé leur poste de jour à 7 h 45, ainsi que du fait qu’il était plus facile de maintenir un équilibre entre le travail et la vie personnelle au moyen d’un horaire de travail par poste.

13 Il ne s’agissait pas de la première fois que M. Mitchell avait recours au travail par poste pour l’alignement des STIR et des LIROD. Il a indiqué avoir recommandé des postes de soirée pour ces travaux en 2010. Il a ajouté que deux postes de soirée distincts avaient été prévus pour l’alignement du NCSM Charlottetown en mars et en avril 2010, que quatre autres postes de soirée avaient été prévus pour l’alignement du NCSM St. John’s en juin 2010, et que, par la suite, quatre autres postes de soirée avaient été prévus pour l’alignement du NCSM Athabaskan en octobre 2010. M. Mitchell a admis en contre-interrogatoire que le premier de ces quatre postes avait fait l’objet d’une plainte de la part de l’agent négociateur en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). L’agent négociateur a d’ailleurs produit en preuve une plainte non signée et non datée à cet égard, mais aucun autre élément de preuve ni argument n’a été présenté par l’une ou l’autre des parties quant à son issue.

14 M. Mitchell a reconnu que le projet d’alignement du NCSM Iroquois en 2011 n’avait pas été un succès et qu’il n’avait jamais été prévu que le travail par poste se prolonge sur une période de quatre semaines. Selon lui, il en avait été ainsi en raison d’une combinaison de facteurs, soit les conditions météorologiques défavorables et imprévisibles et des défaillances de l’équipement. Dans ces circonstances, les seules mesures que pouvait prendre l’employeur, selon M. Mitchell, consistaient à occuper les employés en leur attribuant d’autres tâches d’entretien qui étaient requises par les superviseurs des services techniques.

15  M. Mitchell a également reconnu que des ingénieurs devaient être présents pour l’alignement des STIR et des LIROD et que ceux-ci accomplissaient normalement ce travail en service supplémentaire. De plus, il a ajouté que, dans la convention collective s’appliquant aux ingénieurs, qui est distincte de celle qui s’applique en l’espèce, il fallait donner un préavis de 28 jours avant de prévoir un poste de soirée, contrairement à la situation en l’espèce, où un préavis de seulement quelques jours devait être donné, conformément à la clause 15.08 de la convention collective. Il a enfin ajouté que les ingénieurs décidaient normalement s’ils allaient se présenter pour effectuer l’alignement à une heure tardive de la journée, soit généralement autour de 15 h.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

16 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que le libellé de l’expression « qu’en cas de nécessité » à la clause 15.07 de la convention collective signifie [traduction] « dans des circonstances extraordinaires » ou [traduction] « de façon exceptionnelle », ce qui, à leur avis, restreint le droit de gestion de l’employeur lorsqu’il s’agit de prévoir un horaire de travail par poste.

17 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont affirmé qu’étant donné que c’est en définitive la division de l’ingénierie qui est responsable du travail d’alignement et que les ingénieurs, eux, ne travaillent pas selon un horaire par poste de soirée, il n’y a aucune façon de savoir à l’avance s’ils seront présents lorsque des postes de soirée sont prévus. Or, leur présence est nécessaire au travail d’alignement et, de ce fait, les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis qu’il n’est pas du tout nécessaire que des postes de soirée soient prévus. À leur avis, s’il est inutile d’affecter les ingénieurs à des postes de soirée pour effectuer le travail requis, il est tout aussi inutile d’avoir cette exigence envers les techniciens.

18 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont ajouté que le fait que le travail d’alignement a finalement été effectué par des employés en service supplémentaire, après quatre semaines de postes de soirée prévus, indique que ceux-ci n’étaient tout simplement pas nécessaires au départ. Ils ont également affirmé que ce type de travail s’effectuait normalement en service supplémentaire avant 2010 et qu’il n’y avait pas eu de changement soudain qui aurait pu rendre les postes de soirée nécessaires. Ils ont également indiqué que l’employeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il y avait une urgence qui justifierait l’ajout de postes de soirée.

19 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont avancé que l’employeur savait que les conditions météorologiques n’étaient pas clémentes, ce qui pouvait éventuellement les empêcher d’effectuer le travail d’alignement, et qu’il n’aurait donc pas dû prévoir de postes de soirée.

20 Enfin, les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que le fait qu’ils aient finalement, pendant les postes de soirée, effectué des travaux qui auraient normalement été exécutés pendant leur poste régulier de jour prouvait à quel point il était inutile dès le départ de prévoir des postes de soirée.

21 Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont renvoyé à quatre causes : Power c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-17064 (19880225); United Electrical Workers Local 524 c. Canadian General Electric Co. Ltd. (1957),7 L.A.C. 304; Lefebvre c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-16101 et 16490 (19871023); Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 2. Toutefois, je constate que cette jurisprudence n’est pas tellement utile en l’espèce, comme je l’explique plus loin dans mes motifs.

Pour l’employeur

22 L’employeur a soutenu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas réussi à s’acquitter du fardeau qui leur incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait enfreint la clause 15.07 de la convention collective.

23 L’employeur a affirmé que, conformément à l’article 5 de la convention collective, il avait le droit de gestion exclusif de diriger ses opérations, y compris le droit d’effectuer des changements dans les postes. L’employeur est d’avis qu’il n’a pas exercé ce droit de façon contraire aux dispositions précitées de la convention collective lorsqu’il a prévu les postes de soirée en avril et en mai 2011, principalement parce que ceux-ci étaient alors nécessaires. Il a ajouté que ce droit n’avait pas à être restreint, à moins que le libellé de la convention collective ne l’indique expressément, ce qui, selon l’employeur, n’est pas le cas en l’espèce.

24 L’employeur a soutenu qu’étant donné que la preuve indique que les ingénieurs déterminaient normalement s’ils allaient se présenter pour l’alignement des STIR et des LIROD uniquement autour de 15 h, il lui aurait été impossible de donner à ses employés de jour le préavis de quatre heures exigé aux termes de la clause 15.09 de la convention collective, s’il avait décidé de prévoir des heures supplémentaires plutôt qu’un poste de soirée. Il a ajouté que l’instauration d’un poste de soirée était un moyen efficace et raisonnable d’atteindre l’objectif énoncé à la clause 15.09c) de la convention collective, c’est-à-dire de réduire au minimum les heures supplémentaires.

25 L’employeur a fait valoir que l’horaire de travail par poste de soirée était nécessaire dans les circonstances et que les facteurs ayant empêché l’accomplissement du travail prévu, c’est-à-dire les mauvaises conditions météorologiques et le fait que les ingénieurs ne se soient pas présentés pour cette raison, ainsi que la défaillance de l’équipement, lui étaient tous inconnus lorsqu’il a pris la décision de prévoir un poste de soirée.

26 À l’appui de son argumentation, l’employeur m’a renvoyé à Conseil de l’est des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2012 CRTFP 118; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; Cooper c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 38.

IV. Motifs

27 Les présentes affaires portent essentiellement sur la question de déterminer si, dans les circonstances, il était nécessaire de prévoir des postes de soirée pour les travaux d’alignement des STIR et des LIROD des NCSM. Pour trancher cette question, il faut tenir compte des circonstances qui ont mené à l’instauration du poste ou des postes de soirée en question, de même que des dispositions pertinentes de la convention collective.

28 Ces dispositions de la convention collective vont comme suit :

[…]

5.01   Le Conseil reconnaît et admet que l’Employeur a et doit continuer d’avoir exclusivement le droit et la responsabilité de diriger ses opérations dans tou s leurs aspects et il est explicitement entendu que les droits et responsabilités de ce genre qui ne sont ni précisés ni modifiés d’une façon particulière par la présente convention appartiennent en exclusivité à l’Employeur.

L’exercice de tels droits ne doit pas être incompatible avec les dispositions explicites de la présente convention.

15.07 L’Employeur n’établit des horaires de travail par poste qu’en cas de nécessité. À l’occasion du travail par poste sur un projet, l’Employeur donne aux employés et au Conseil un préavis aussi long que possible avant le début du travail par poste.

[…]

15.09 L’Employeur fait tout effort raisonnable pour

a) répartir équitablement les heures supplémentaires parmi les employés qualifiés disponibles;

b) donner un préavis d’au moins quatre (4) heures aux employés tenus de faire des heures supplémentaires;

c) de réduire au minimum les heures supplémentaires.

[…]

29 Il convient de souligner que l’agent négociateur n’a pas affirmé que l’employeur n’était pas en droit d’ajouter un poste de soirée en avril 2011 sur la foi de pratiques passées. De toute façon, la preuve n’indiquait pas l’existence d’une pratique passée qui aurait pu empêcher l’employeur d’agir ainsi.

30 Malgré le fait que l’agent négociateur a présenté en preuve une plainte qu’il aurait déposée en 2010 ou au début de 2011, je n’ai obtenu aucune preuve quant à l’issue de cette plainte. Je remarque toutefois qu’elle a été déposée à la suite de l’ajout d’un poste de soirée en mars 2010 et qu’elle porte sur une allégation selon laquelle il s’agit d’une violation de l’article 107 de la Loi (la disposition législative sur le gel). Le contexte en l’espèce est très différent. De plus, je n’ai obtenu aucune preuve de la façon dont l’alignement des STIR et des LIROD était effectué en 2012 et en 2013. C’est pour le moins surprenant étant donné que la seule réparation demandée par les fonctionnaires s’estimant lésés est une déclaration selon laquelle l’employeur a enfreint la clause 15.07 de la convention collective et ne devrait pas prévoir de postes de soirée pour les futurs travaux d’alignement. Je ne peux que supposer que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient rien à redire sur la façon dont l’employeur avait géré les travaux d’alignement en 2012 et en 2013.

31 Le fait que les travaux d’alignement doivent être exécutés la nuit, fait qui n’est pas contesté, exige de l’employeur qu’il envisage deux possibilités, soit le travail par poste, soit les heures supplémentaires, dans un contexte où il doit, conformément à la clause 15.08 de la convention collective, réduire au minimum les heures supplémentaires. Le fait que ces travaux puissent s’effectuer en service supplémentaire ne rend pas inutile l’instauration de postes, à plus forte raison si l’on tient compte de l’exigence de réduire au minimum les heures supplémentaires et du fait que l’employeur est souvent tenu d’avoir recours aux heures supplémentaires au cours de l’année pour des raisons opérationnelles.

32 Le fait qu’il n’y ait aucune garantie que les ingénieurs seront sur place pour superviser l’alignement, en partie parce qu’ils fonctionnent en service supplémentaire, et en partie parce qu’ils décident le jour même de se présenter ou non au travail en fonction des conditions météorologiques, ne signifie pas qu’il est inutile de prévoir des postes de soirée pour les employés du groupe Réparation des navires (est). Les ingénieurs sont assujettis à une convention collective différente et sont représentés par un autre agent négociateur. Dans un monde idéal, tous les employés fonctionneraient selon les mêmes règles et tous les intervenants s’entendraient sur une démarche normalisée. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et l’employeur doit s’efforcer d’interpréter et d’appliquer diverses conventions collectives et de traiter avec différents agents négociateurs.

33 Quant à la suggestion des fonctionnaires s’estimant lésés selon laquelle il était inutile de prévoir un poste de soirée, car l’employeur savait que les conditions météorologiques étaient mauvaises au cours de la période visée, je dois souligner qu’aucun élément de preuve le démontrant n’a été présenté pendant l’audience. Quoi qu’il en soit, les prévisions météorologiques sont bel et bien des prévisions de la façon dont l’atmosphère est susceptible d’évoluer dans un lieu donné et pour une période donnée. Plusieurs facteurs imprévisibles peuvent avoir une incidence sur l’exactitude des prévisions. Ce qu’il faut retenir, c’est que la plupart des pièces d’équipement sur les navires de guerre doivent faire l’objet de tests et de mises à l’essai et, dans certains cas, d’un alignement, que cet alignement doit s’effectuer de nuit et que les conditions météorologiques peuvent facilement changer, de façon favorable ou non. Il n’est tout simplement pas réaliste ni pragmatique d’avancer que les prévisions météorologiques devraient jouer un quelconque rôle lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est nécessaire ou non de prévoir des postes de soirée.

34 Mon rôle n’est pas d’évaluer la nécessité du travail qui a finalement été accompli pendant les postes de soirée en raison des mauvaises conditions météorologiques et de l’absence des ingénieurs qui en a découlé. Mon évaluation doit plutôt être axée sur la nécessité d’accomplir le travail qui était prévu. Le fait que la décision de l’employeur d’instaurer des postes de soirée n’ait pas donné les résultats escomptés en raison de facteurs indépendants de sa volonté, c’est-à-dire les mauvaises conditions météorologiques et la défaillance de l’équipement, n’est pas et ne devrait pas constituer un indicateur que le recours à l’horaire de travail par poste était inutile. Je suis convaincu que la décision de prévoir un poste de soirée pour l’exécution des travaux d’alignement des STIR et des LIROD sur le navire, mesure qui s’est par la suite prolongée sur une période de quatre semaines, n’a pas été prise de façon arbitraire ni dans l’intention d’obliger inutilement les employés à travailler par poste.

35 Je suis également convaincu que l’employeur n’était pas tenu de démontrer qu’il y avait urgence pour justifier l’ajout d’un poste de soirée. En effet, ce n’est pas ainsi que j’interprète le mot « nécessité ».

36 Tel qu’il a été indiqué plus tôt dans la présente décision, j’estime que les quatre causes citées par les fonctionnaires s’estimant lésés ne sont guère utiles, car elles ne s’appliquent pas directement au présent cas. Par exemple, United Electrical Workers Local 524 traite d’horaires s’appliquant à des employés effectuant des tâches continues. Les paragraphes qui ont été cités n’ont aucun lien avec les faits pertinents du cas devant moi.

37 Pour ce qui est du deuxième cas cité par les fonctionnaires s’estimant lésés, Power, le prédécesseur de la Commission a tranché la question qui consistait à déterminer si des politiques établies unilatéralement par l’employeur, seulement pour des motifs d’ordre financier, pouvaient être considérées comme des exigences opérationnelles valables. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont fourni aucune preuve de cette nature, et il n’a pas non plus été établi que la décision de l’employeur d’avoir recours au travail par poste était motivée par des raisons d’ordre financier. En fait, la preuve indique que l’employeur a dû engager des frais en raison des heures supplémentaires effectuées pendant les postes prévus. S’il avait voulu éviter les heures supplémentaires à tout prix, il aurait facilement pu prévoir un troisième poste de nuit, de 23 h 45 à 8 h 15, ce qu’il n’a toutefois pas fait.

38 Bien qu’aucun passage précis de Lefebvre n’ait été indiqué, cette affaire a trait à la décision de l’employeur de refuser deux demandes de congé pour des questions d’ordre opérationnel. Enfin, la décision de la Commission dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 se distingue facilement de l’affaire en l’espèce. Dans cette décision, il a été déterminé que le motif principal de l’employeur pour invoquer une disposition de la convention collective était de réduire ses dépenses alarmantes attribuables aux heures supplémentaires. Il a également été établi que l’employeur avait modifié le statut des employés ne faisant pas partie de l’exploitation afin qu’ils fassent partie de ce groupe, qu’il n’avait jamais modifié les heures normales de travail des employés pour des essais en mer de cette façon par le passé et, finalement, qu’il n’avait pas pris en considération les circonstances particulières s’appliquant aux essais en mer pour évaluer s’il était justifié de modifier les heures de travail normales des fonctionnaires s’estimant lésés.

39 Ici, il ne s’agit pas de la question de déterminer si l’employeur a tenu compte des circonstances des travaux d’alignement. Tout le monde était conscient de ces circonstances et du fait que le travail devait s’effectuer la nuit.

40 L’affaire en l’espèce ne porte pas non plus sur la question de déterminer ce que constitue une exigence opérationnelle. Il s’agit plutôt du concept plus vaste de ce qui est nécessaire ou non. L’exigence opérationnelle pourrait être la raison invoquée par l’employeur pour justifier la nécessité du travail par poste, mais il peut également y avoir plusieurs autres raisons valables, par exemple l’exigence selon laquelle le travail doit s’effectuer de nuit, dans une position immobile.

41 Bref, le fait que l’alignement des STIR et des LIROD doit s’effectuer de nuit peut faire en sorte qu’il soit nécessaire d’avoir recours à un horaire de travail par poste. S’il est vrai que le recours à des heures supplémentaires pourrait essentiellement faire en sorte que l’horaire de travail par poste devienne inutile, il pourrait facilement être avancé que cette approche est contraire à l’exigence de l’employeur de s’efforcer de réduire les heures supplémentaires au minimum, une exigence que les parties ont négociée et sur laquelle elles se sont entendues dans le contexte de la convention collective (clause 15.09).

42 La formulation « en cas de nécessité » à la clause 15.07 de la convention collective ne signifie pas que l’employeur perd son droit ou sa capacité de prévoir un horaire de travail par poste; elle signifie simplement que l’employeur peut exercer ce droit à l’intérieur de certains paramètres. En l’espèce, j’estime que l’employeur a exercé ses droits de gestion de façon raisonnable, de bonne foi et d’une manière qui est conforme au libellé de la disposition de la convention collective. Le fait que ces travaux auraient pu s’effectuer en service supplémentaire, et que c’est finalement ce qui s’est produit, ne limite pas à mon avis la capacité et le droit de l’employeur d’avoir recours à de tels postes de soirée dans l’avenir, et ils ne devraient pas non plus s’en trouver ainsi limités.

43 Après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve présentés par les parties, je conclus que l’employeur n’a pas violé la clause 15.07 ni aucune autre disposition de la convention collective lorsqu’il a instauré un poste de soirée en avril 2011 en vue de la réalisation des travaux d’alignement des STIR et des LIROD du NCSM Iroquois.

44 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 Les griefs collectifs sont rejetés. J’ordonne la fermeture des dossiers 567-02-112, 567-02-113, 567-02-114 et 567-02-115.

Le 7 avril 2014.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

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