Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de l’employeur de recouvrer un paiement qui lui a été versé en trop à la suite d’une erreur administrative - elle a déposé un grief et, lorsque l’employeur n’a pas répondu dans le délai convenu par les parties, en plus des délais prévus par la convention collective, elle a renvoyé son grief à l’arbitrage - l’employeur a répondu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs seulement après le renvoi à l’arbitrage - l’employeur a soulevé une objection préliminaire relativement au grief de la fonctionnaire s’estimant lésée, soulignant qu’un arbitre de grief de la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief parce qu’il avait été déposé après l’expiration du délai prévu par la convention collective - dans sa réponse, la fonctionnaire s’estimant lésée a souligné que l’objection de l’employeur allait à l’encontre du paragraphe95(2) du Règlement parce que l’employeur n’avait pas soulevé la question du respect des délais lors de la procédure de règlement des griefs - l’arbitre de grief a soulevé que la procédure de règlement des griefs et l’arbitrage étaient des procédures distinctes et que l’article95 du Règlement renvoyait à la procédure de règlement des griefs - l’employeur a soulevé l’objection seulement après le renvoi du grief à l’arbitrage et n’a pas respecté le paragraphe 95(2) du Règlement - comme l’employeur n’a pas répondu dans les délais impartis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, il était réputé avoir rejeté le grief sans motif et sans avoir soulevé d’objection préliminaire quant au respect des délais. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

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  • Date:  2014-04-08
  • Dossier:  566-02-8098
  • Référence:  2014 CRTFP 45

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JÖELLE BARBOT

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

employeur

Répertorié
Barbot c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
Linda Gobeil, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Bertrand Myre, Association canadienne des employés professionnels
Pour l'employeur:
Natalie Vogt,
Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés les 26 février 2013 , 4 et 20 mars 2013, et les 28 et 29 novembre 2013.

MOTIFS DE DÉCISION

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 11 février 2013, la fonctionnaire s’estimant lésée, Jöelle Barbot (la « fonctionnaire »), a renvoyé un grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi). Dans son grief daté du 18 septembre 2012, la fonctionnaire conteste la décision de l’Agence canadienne de développement international (l’ « employeur ») de lui faire rembourser une somme de plus de $ 50, 000. Selon l’employeur, suite à une erreur administrative, une somme de plus de $50,000, en lien avec la pension et les prestations d’assurance de la fonctionnaire, aurait été versée en trop. L’employeur cherche maintenant à récupérer ce montant, la fonctionnaire s’y oppose.

2 C’est à noter que le 26 juin 2013, l’Agence canadienne de développement international a fusionné avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour former le nouveau ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.

Résumé de l’argumentation

3 Dans une lettre datée du 26 février 2013, l’employeur a soulevé une objection préliminaire soutenant que je n’avais pas compétence pour entendre ce grief puisqu’il avait été déposé en dehors des délais prévus par la clause 40.12 de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels pour le groupe économique et services des sciences sociales (la « convention collective »). La clause 40.12 se lit comme suit :

[…]

40.12 Au premier (1er) palier de la procédure, le fonctionnaire peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 40.07, au plus tard le vingt cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[…]

4 L’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait été avisée du trop-payé par écrit le 15 mai 2012 et qu’elle a déposé son grief le 18 septembre 2012, donc au-delà des 25 jours prévus dans la convention collective. Par conséquent, son grief est en retard et doit être rejeté.

5 Dans une lettre datée du 4 mars 2013, le représentant de la fonctionnaire a contesté la position de l’employeur et a soumis que le paragraphe 95(2) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») précisait qu’une objection quant au non-respect d’un délai prévu dans la convention collective ne pouvait être soulevée que si le grief, tout au long de la procédure de règlement des griefs, avait été rejeté pour cause de retard. Or, selon le représentant de la fonctionnaire, cela n’a pas été le cas.

6 Le représentant de la fonctionnaire a indiqué que suite au dépôt du grief le 18 septembre 2012, l’employeur a demandé, compte tenu des montants en jeu, à ce que l’audition du grief se fasse le 30 novembre 2012 directement au dernier palier du processus de règlement des griefs. L’employeur a ensuite demandé, le 20 décembre 2012, une prolongation du délai pour produire sa réponse au grief ce qui a été accordé jusqu’au 30 janvier 2013. Le 31 janvier 2013 l’employeur a demandé une autre prolongation du délai jusqu’au 22 février 2013 pour produire sa réponse au grief. L’agent négociateur a accepté une prolongation jusqu’au 8 février 2013 à défaut de quoi l’employeur serait réputé avoir rejeté le grief permettant ainsi à l’agent négociateur de renvoyer le grief à l’arbitrage; ce qui fut fait le 11 février 2013. L’employeur a répondu au grief le 15 mars 2013. Le représentant de la fonctionnaire a maintenu que jusqu’au 15 mars 2013, l’employeur n’avait jamais soulevé le fait que le grief n’avait pas été déposé à l’intérieur des 25 jours tel que prescrit par la convention collective.

7 L’article 95 du Règlement se lit comme suit :

[…]

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

[…]

8 De plus, le représentant de la fonctionnaire soutient que bien que cette dernière ait reçu dans cette affaire un courriel le 15 mai 2012, le contenu du courriel démontre clairement que le litige n’était pas réglé, que des questions demeuraient en suspens démontrant ainsi qu’il s’agissait d’un grief de nature continue et que par conséquent il était alors prématuré de déposer un grief. Le représentant de la fonctionnaire m’a renvoyée à la décision Mc Williams et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58.

9 Le 20 mars 2013, l’employeur a répliqué qu’il ne devait pas être pénalisé pour ne pas avoir déposé une réponse à un grief, qu’il avait rencontré les conditions de l’article 95 du Règlement et qu’il était en droit de produire une réponse à un grief à tout moment avant l’audience du grief. Au soutien de ses prétentions, l’employeur m’a référé à la décision Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada) c. Angelis, 2010 CRTFP 5. La représentante de l’employeur a plaidé que la réponse de l’employeur au dernier palier a été émise le 15 mars 2013 et que cette réponse indiquait clairement que le grief de la fonctionnaire était en retard.

10 Quant à l’argument de la fonctionnaire à l’effet que le grief est de nature continue, le représentant de l’employeur a soumis que le grief porte sur une action précise et ponctuelle dans le temps et que le fait que les remboursements soient échelonnés sur une période de temps ne saurait rendre le grief « continu ».

11 Le 9 avril, le 7 juin et le 14 novembre 2013, la Commissiondes relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a invité les parties à soumettre toutes soumissions additionnelles avant de rendre une décision sur l’objection préliminaire de l’employeur.

12 Le 28 novembre 2013, l’employeur a avisé la Commission que la fonctionnaire avait été informée le 15 mai 2012 qu’elle devait un montant d’environ 60 000 $ en arrérage et que le 4 juillet 2012, à la connaissance de la fonctionnaire, les retenues sur sa paie avaient commencé. Ainsi, le grief de la fonctionnaire déposé le 18 septembre 2012 n’a pas été logé à l’intérieur des 25 jours prévus dans la convention collective. L’employeur a aussi maintenu que le grief de la fonctionnaire n’était pas de nature continue.

13 Pour sa part, le représentant de la fonctionnaire a réaffirmé le fait que conformément au paragraphe 95(2) du Règlement, l’employeur aurait dû soulever son objection au premier palier de grief « c’est-à-dire le premier palier pour lequel le délai de 25 jours pour le dépôt du grief n’a pas été prétendument respecté ». Pour le représentant de la fonctionnaire, l’employeur a attendu 6 mois avant de soulever son objection. C’est trop tard; l’objection devrait être rejetée.

Motifs

14 La présente décision porte strictement sur l’objection préliminaire de l’employeur à l’effet que le grief de la fonctionnaire doit être rejeté car il n’a pas été soumis dans les 25 jours tel que stipulé dans la convention collective.

15 Dans cette affaire, les faits ne semblent pas contestés. La fonctionnaire aurait été informée le 15 mai 2012 que, suite à une erreur administrative, l’employeur avait l’intention de récupérer certaines sommes. La fonctionnaire a déposé un grief contre cette décision le 18 septembre 2012; clairement au-delà des 25 jours prescrits par la convention collective.

16 Il appert toutefois que compte tenu des montants en jeu, l’employeur a décidé de référer le grief directement au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Après plusieurs tentatives infructueuses pour obtenir une réponse au grief, l’agent négociateur a signifié à l’employeur qu’à défaut d’obtenir une décision au plus tard le 8 février 2013, la réponse du grief serait réputée négative permettant ainsi à l’agent négociateur de référer le grief à l’arbitrage, ce qui a été fait le 11 février 2013.

17 Je me dois d’abord de préciser que bien que le renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1) de la Loi fasse partie du « processus de règlement des griefs », il n’en demeure pas moins que le renvoi à l’arbitrage ne constitue pas un palier de grief interne tel qu’entendu à l’article 95 du Règlement. Il s’agit de deux instances séparées. Ainsi, un fonctionnaire peut renvoyer un grief à l’arbitrage, sous réserve des modalités de l’article 209 de la Loi, lorsque l’employeur n’a pas répondu dans les délais impartis.

18 De plus, il est de plus important de noter dans cette affaire qu’en aucun cas, pendant toute la période entre le dépôt du grief et son renvoi à l’arbitrage, l’employeur a soulevé le fait que le grief était en retard lors de son dépôt le 18 septembre 2012. Ce n’est que le 15 mars 2013, soit après le renvoi à l’arbitrage, que l’employeur s’est objecté sur la base que le grief était en retard.

19 À mon avis, l’objection préliminaire de l’employeur doit être rejetée. Il n’est pas permissible ni raisonnable, compte tenu des faits dans cette affaire, d’attendre après que le grief de la fonctionnaire ait été renvoyé à l’arbitrage pour soulever son retard. Les courriels au dossier produits par le représentant de la fonctionnaire démontrent qu’entre le dépôt du grief et le renvoi à l’arbitrage, les parties ont échangé sur le mérite du grief. J’insiste toutefois sur le fait qu’en aucun cas, l’employeur a soulevé la question du retard.

20 Bien que je sois d’accord avec la décision Angelis qui maintient que l’employeur peut déposer sa réponse en tout temps avant l’arbitrage, à mon avis, ce n’est pas dont il s’agit ici. Il s’agit plutôt de savoir si, dans cette affaire, l’employeur est en droit de s’objecter à ma compétence sur la base que ce grief a été déposé en retard une fois que le grief a été renvoyé à l’arbitrage bien que la question du retard n’ait jamais été soulevée tout au long de la procédure interne de grief.

21 Il n’est pas contesté que l’employeur n’a pas répondu aux divers paliers de la procédure de griefs et ce n’est qu’une fois que le grief a été renvoyé à l’arbitrage que l’employeur a soulevé la question du retard. Tel que décidé dans Mc Williams, l’absence de réponse de l’employeur à l’intérieur de la procédure de grief, équivaut donc à un rejet du grief sans motif de la part de l’employeur. Ainsi, je retiens donc qu’en s’abstenant de répondre, l’employeur est réputé avoir rejeté le grief de la fonctionnaire sans avoir donné de raison ou sans avoir soulevé d’objection d’aucune sorte. L’alinéa (2) du Règlement 95 précise bien qu’une objection relative au dépôt tardif d’un grief ne peut être soulevé à l’arbitrage que si le grief a été rejeté pour ce motif aux divers paliers de la procédure de griefs :

[…]

2. L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

22 Or, tel que je viens de le mentionner, puisque l’employeur n’a pas répondu aux divers paliers de la procédure, il est réputé dans cette affaire avoir rejeté le grief sans motif ni sans avoir soulevé d’objection. Il ne peut donc maintenant prétendre, comme l’exige l’alinéa (2) du Règlement 95, avoir soulevé cette question du délai dans la procédure interne ce qui lui aurait ensuite permis aux termes de l’alinéa (1) du Règlement 95 de le soulever à l’arbitrage. L’employeur n’ayant pas rempli les conditions énoncées à l’alinéa (2) du Règlement 95, il ne peut donc soulever la question du retard une fois rendu à l’arbitrage.

23 J’ajouterai de plus que bien que la fonctionnaire avait l’obligation de déposer son grief dans les délais impartis de la convention collective l’employeur se devait aussi d’agir avec célérité. Les faits de cette affaire m’amènent à conclure que l’employeur n’a pas vraiment tenu compte du retard du grief puisqu’il ne l’a jamais soulevé même s’il a eu amplement le temps de le faire, soit cinq mois entre le dépôt du grief et le renvoi à l’arbitrage.

24 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

25 L’objection préliminaire de l’employeur est rejetée.

Le 8 avril 2014.

Linda Gobeil,
arbitre de grief

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