Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que les défendeurs, qui occupaient tous des postes au sein de l’organisation de l’agent négociateur, s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail en partageant de la correspondance qu’il avait écrite avec un autre membre de l’unité de négociation, donnant ainsi lieu au dépôt d’une plainte de harcèlement contre lui par cet autre membre, et en adoptant un comportement empreint de partialité et de mauvaise foi dans leurs rapports avec lui - les défendeurs ont fait valoir que bien que leurs communications ne soient pas professionnelles, l’agent négociateur a néanmoins continué à défendre les droits du plaignant tout au long de la procédure de règlement des griefs et de l’arbitrage et que leur façon de communiquer entre eux n’était pas pertinente - la formation de la Commission a conclu que la <<représentation>> était plus vaste que la portée restreinte endossée par les défendeurs et qu’elle ne se limitait pas à la procédure de règlement des griefs - la représentation englobe toutes les questions qui vont de pair avec la portée du pouvoir du syndicat à titre d’agent négociateur exclusif - les défendeurs étaient des dirigeants de l’agent négociateur et agissaient en cette qualité au cours des événements qui ont donné lieu à la plainte - la campagne continue menée contre le plaignant par les trois défendeurs a miné sa crédibilité en milieu de travail et a donné lieu à la plainte de harcèlement dont il a fait l’objet - ils ont fait preuve de partialité à son endroit et n’ont pas agi de bonne foi - il n’était ni suffisant ni acceptable pour un agent négociateur de soutenir qu’il avait continué à représenter le plaignant - il ne s’agit pas d’une affaire qui touche les affaires syndicales internes - la formation de la Commission a ordonné le paiement de dommages et la publication de la décision. Plainte accueillie; instructions données.

Contenu de la décision

Date:  20140415

Dossier:  561-02-591

 

Référence:  2014 CRTFP 46

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

 

PSLRB noT(BW)

 

 

Devant une formation de la

Commission des relations de travail dans la fonction publique

 

ENTRE

 

ALBERT BENOIT

 

plaignant

 

et

 

Ron Trimble, Jeff Smith et Robert Clarke

 

défendeurs

Répertorié

Benoit c. Trimble

 

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :  Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour le plaignant :  Lui-même

Pour les défendeurs :  Andrea Tait, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Affaire entendue à Edmonton (Alberta),

les 25 et 26 février 2014.

(Traduction de la CRTFP).


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTFP)

I.  Plainte devant la Commission

[1]  Le plaignant, Albert Benoit, a allégué que les défendeurs, Ron Trimble, Jeff Smith et Rob Clarke (appelés ensemble les « défendeurs », et individuellement « Trimble », « Smith » et « Clarke »), se sont livrés à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en partageant de la correspondance qu’il a écrit avec un autre membre de l’unité de négociation, ce qui a donné lieu au dépôt d’une plainte de harcèlement contre lui. D’après le plaignant, la correspondance des défendeurs entre eux et avec d’autres membres de l’unité de négociation a établi la partialité et la mauvaise foi dans leurs rapports à titre de représentants de l’agent négociateur avec le plaignant en qualité de membre de l’unité de négociation, en violation de l’article 185 de la Loi.

II.  Résumé de la preuve

[2]  Le plaignant est un agent correctionnel à l’établissement Grande Cache (l’« établissement ») qui se trouve à Grande Cache, en Alberta. Il s’occupe surtout d’escorter les prisonniers qui ont des rendez-vous à l’extérieur de l’établissement. Il est membre de l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur » ou « UCCO-SACC-CSN »). Pendant toute la période pertinente, Smith et Trimble travaillaient également comme agents correctionnels à l’établissement, et chacun occupait un poste de direction au sein de la section locale de l’agent négociateur à cet établissement. Smith était le vice‑président de la section locale et Trimble en était le président. À ce moment-là, Clarke était le vice-président régional pour les Prairies de l’agent négociateur.

[3]  En mars 2012, le plaignant a envoyé un courriel à Penny Cooper, directrice adjointe des opérations à l’établissement, pour lui faire part de ses craintes. Il s’inquiétait du fait que l’on a vu une agente correctionnelle (« CXJ ») dans la zone sécurisée de l’établissement sans sa veste de protection contre les armes blanches et sa ceinture utilitaire. Le plaignant estimait que cette situation mettait en péril la sécurité en prison et sa sécurité personnelle (pièce 7). Mme Cooper a envoyé à Trimble, en sa qualité de président de la section locale de l’agent négociateur à l’établissement, une copie de sa réponse aux préoccupations du plaignant (pièce 1, onglet 1, à la page 2).

[4]  Après avoir reçu le courriel de Mme Cooper, Trimble l’a acheminé à Smith, qui était le vice-président de la section locale de l’agent négociateur et qui entretenait une relation intime avec CXJ. Lorsqu’il a transmis le courriel, il a ajouté ses propres commentaires, notamment : [traduction] « Mais c’est Albert […] Il est de retourrrrrr [sic]. »

[5]  Trimble l’a également acheminé à Clarke, qui a répondu ce qui suit : [traduction] « Incroyable! Il n’abandonnera pas au sujet de [CXJ]. Il ne sait pas de quoi il parle. Je l’informerai certes s’il communique avec moi, mais je suis convaincu qu’il ne le fera pas. »

[6]  Trimble a également acheminé sa réponse à Smith, qui a ensuite transmis toute la chaîne de courriels à CXJ. Celle-ci a ultérieurement déposé une plainte de harcèlement contre le plaignant relativement à l’échange initial de courriels entre le plaignant et Mme Cooper. Il s’agissait de la deuxième plainte de harcèlement déposée par CXJ contre le plaignant au cours de cette période. Cette plainte avait trait à deux questions, dont l’une était le courriel entre le plaignant et Mme Cooper. Ultérieurement, la deuxième plainte de harcèlement a été jugée sans fondement.

[7]  Quand le plaignant a pris connaissance de la deuxième plainte de harcèlement, il s’est adressé à Trimble pour savoir comment CXJ est entrée en possession du courriel cité dans sa plainte. Trimble a nié avoir eu connaissance de la façon dont CXJ a reçu le courriel; il a supposé que comme le plaignant n’était pas aimé en milieu de travail, n’importe quel gestionnaire aurait pu faire parvenir le courriel à CJX. Il a conseillé au plaignant de s’occuper d’abord de la plainte, puis de la façon dont CXJ a obtenu le courriel. Selon Trimble, les préoccupations soulevées par le plaignant auprès de la directrice adjointe des opérations relativement aux vêtements de CXJ n’équivalaient pas à du harcèlement.

[8]  Le plaignant a reçu un courriel de Kevin Grabowsky, le président de la section régionale des Prairies de l’agent négociateur, dans lequel M. Grabowsky conseillait au plaignant de poursuivre la question auprès du vice-président de la section locale ayant transmis le courriel dans le cadre d’une discussion avec Trimble et Smith dans l’espoir de régler la situation autrement qu’en poursuivant l’affaire en vertu de la constitution de l’agent négociateur (pièce 1, onglet 6). Comme le plaignant estimait que Trimble était un bon ami et un partenaire de chasse, le plaignant n’a pas remis en question cette suggestion. Le plaignant a découvert que la source de la divulgation du courriel était Trimble seulement après avoir reçu une réponse à sa demande d’accès à l’information.

[9]  La discussion proposée par M. Grabowsky ne s’est jamais produite. Lors d’une réunion générale de la section locale convoquée pour discuter de l’évolution des négociations de la convention collective en cours, Trimble a accueilli publiquement le plaignant de la façon suivante : [traduction] « Merci pour le putain de suivi concernant la demande d’AIPRP [demande d’accès à l’information]. » Le plaignant ne comprenait pas pourquoi Trimble était si hostile à son égard. Trimble a répété au plaignant que personne ne l’aimait ni n’aimait sa femme (également employée à l’établissement) et qu’ils devraient s’attendre au genre de traitement qu’ils recevaient. Trimble a comparé le plaignant à une autre agente correctionnelle qui avait quitté l’établissement parce qu’elle n’était pas aimée.

[10]  Le lendemain (soit le 29 juin 2012), le plaignant a reçu un courriel de Trimble (pièce 14), dont copie a été acheminée à Brennan Walker, un délégué syndical de la section locale, qui mentionnait notamment ce qui suit :

[Traduction]

Expéditeur : Trimble Ron (PRA)

C.c. : Walker Brennan (PRA) Transmission : le vendredi 29 juin 2012, 12 h 41

Destinataire : Benoit Albert (PRA)

Objet : Achemin. : Allégation de harcèlement

J’ai commencé à vous écrire hier soir après avoir lu votre courriel à Kevin, j’ai reçu quelques messages à ce moment-là, ce qui fait que je me répands un peu partout. Après notre réunion d’aujourd’hui, je sais que la situation a empiré, mais les choses sont ce qu’elles sont; en ce qui concerne la référence à [CXW], je voulais dire que toutes les personnes entendent lorsque vous parlez en mal contre le syndicat et Smith; vous avez droit à votre opinion comme nous tous, mais des membres viennent me voir pour me dire qu’ils ne veulent pas travailler avec vous en raison de tout ce qu’ils entendent, tout comme [CXW] qui se plaint constamment […] Je m’excuse du fait que vous avez pris les choses de la mauvaise façon, mais tout comme vous, j’ai droit à mon opinion.

Je ne suis pas certain de la raison pour laquelle je vous fais parvenir ce courriel, mais je voulais que vous sachiez ce que je pense des accusations portées contre vous.

Boomer

Expéditeur : Ron Trimble [envoyé à : rontrimble@[…].com]

Transmission : le vendredi 29 juin 2012, 7 h 55

Destinataire : Trimble Ron (PRA)

Objet : Allégation de harcèlement

Je vous écris, Albert, parce que si nous avions discuté en personne, vous auriez probablement tenté de teinter la conversation au moyen de vos mensonges et de vos demi-vérités comme vous pouvez le faire […] Vous êtes intimidant et l’avez toujours été, notamment lors des dernières élections […] Vous dites que vous avez l’impression que vous ne pouvez pas vous adresser à moi (me faire confiance), je vous ai parlé, vous n’entendez que ce que vous voulez bien entendre et vous écartez tout le reste, j’ai parlé à Darcy, Jessi, Brennan et Adam et je leur ai dit quoi dire et comment défendre les allégations contre vous s’ils sont le DS affecté à votre dossier.

[…]

Cependant, en ce qui concerne le volet des relations entre le syndicat et le personnel des divers éléments, il vous arrive de déployer des efforts particuliers pour tromper une personne si vous la détestez particulièrement. Je vous ai vu agir Al, ne tentez pas de me jeter de la poudre aux yeux. Comme vous le savez, le syndicat et le SCC ont une politique de lutte contre le harcèlement. La façon dont vous interagissez avec le personnel serait parfois considérée comme du harcèlement par la politique. Votre façon de faire serait-elle considérée comme du harcèlement par la plupart des gardiens de la vieille école? Non, c’est ainsi que l’on procédait la plupart du temps, mais comme j’ai mentionné, compte tenu de notre personnel et des équipes de gestion que nous avons, ça me fait mal au cœur de dire que c’est du passé. Je vous l’ai dit à de nombreuses reprises Al, vous le savez, alors ne dites pas que nous n’avons jamais discuté parce que nous l’avons fait. Par conséquent, en ce qui concerne votre déclaration, Albert, allez vous faire voir.

Donc, dans le cas de [CXJ], étiez-vous coupable par le passé, non, vous conduisiez une personne qui, selon vous, était faible (à tort ou à raison, c’est ainsi que les choses étaient faites) mais de nos jours, la réponse serait un oui très obscur, comme vous l’a appris votre dernière enquête et la façon dont ils vous ont déclaré coupable sur la base de probabilités qui n’étaient que de la foutaise, mais telle était la décision, ce qui fait qu’à l’heure actuelle, le processus est un processus de contestation, soit ce que vous faites. Personnellement, je suis d’avis que vous devriez gagner haut la main, car il s’agissait d’une décision très faible, mais on ne sait jamais avec le SCC. Êtes-vous coupable de harcèlement cette fois? Absolument pas. Entre vous et moi, tout à fait. Il s’agit d’un autre exemple d’efforts particuliers que vous avez déployé pour retourner la pareille à quelqu’un. Cependant, officiellement, vous avez indiqué à vos superviseurs vos préoccupations concernant la directive des représentants en SST du syndicat, vous ne les avez pas partagées avec aucun de ses collègues ou de vos collègues (officiellement), par conséquent, comment pourraient-ils accepter une plainte de sa part, ils auraient dû lui répondre par la négative. Je vous l’ai dit Albert, le jour où nous nous sommes vus à l’extérieur du magasin d’aubaines, donc je me répète, allez vous faire voir si vous dites que je ne vous aide pas. J’ai dit la même chose à Darcy, Adam, Jessi, Brent et Brennan au cas où vous feriez appel à l’un d’eux comme délégué syndical.

En ce qui concerne votre prétention selon laquelle un gardien a envoyé le courriel à Jeff à titre de vice-président, où avez‑vous obtenu ce renseignement Albert? Vous dites à tous et chacun qui vous écoute que c’est ce que je vous ai dit, et maintenant, vous voulez impliquer notre président national; comment un GC ose-t-il envoyer au vice-président un courriel que celui-ci a partagé avec sa femme que vous conduisez depuis plus d’un an […] Lorsque nous avons discuté, vous m’avez demandé comment elle a pu recevoir une copie du courriel; je vous ai dit que vous deviez savoir que vous n’êtes pas très aimé par la plupart des GC, ce qui fait que n’importe lequel d’entre eux a pu l’envoyer à Jeff pour le mettre au courant. Je vous ai dit que je spéculais, mais en réalité, je l’ignorais. Donc, ce que vous faites, c’est que vous entendez ce que vous voulez bien entendre et voilà. Votre demande d’AIPRP n’est même pas terminée, je viens d’envoyer la mienne hier (en passant, je vous en remercie), j’avais jusqu’au 28 pour la présenter, la vôtre n’a pas encore été tranchée, mais vous racontez à la ronde que c’est ainsi que les choses se sont passées. Peut-être avez-vous raison, peut‑être est-ce ainsi qu’il l’a obtenu la première fois, mais vous ne le savez pas encore, ce qui fait qu’au lieu de vous plaindre encore et encore à ce sujet, vous devriez foutrement attendre de connaître tous les faits […] 

 

[11]  À ce moment-là, le plaignant ne croyait pas encore que Trimble avait quoi que ce soit à voir avec la situation ayant donné lieu à la deuxième plainte de harcèlement déposée contre lui par CXJ. Le 17 août 2012, il a reçu les résultats de sa demande d’accès à l’information, qui révélait clairement la chaîne de distribution de la réponse par courriel de Mme Cooper et le courriel initial du plaignant. Dans la pièce 2, onglets 1 et 2, la chaîne de courriels est révélée, à l’exception de l’acheminement du courriel de Cooper à CXJ. Sur cette base, le plaignant a conclu que Smith l’a transmis à CXJ, tout en étant conscient du branle-bas de combat qui en découlerait.

[12]  Le plaignant a tenté de rencontrer Trimble au moins quatre fois pour discuter de la situation. Il a également tenté de rencontrer le président national de UCCO‑SACC‑CSN. Ce n’est que lorsqu’il a déposé cette plainte le 26 septembre 2012 que l’agent négociateur a manifesté de l’intérêt à l’égard de la situation à l’établissement. Une rencontre a été organisée avec M. Grabowsky et Pierre Mallette, le président national, pour discuter des préoccupations du plaignant relativement à Trimble. Trimble a refusé d’assister à la rencontre parce qu’il était en congé annuel.

[13]  Le plaignant n’était pas le seul agent correctionnel de l’établissement qui avait des inquiétudes au sujet de l’habillement de CXJ pendant qu’elle était dans la zone sécurisée de l’établissement. Les pièces 11 et 12 sont deux plaintes d’autres agents correctionnels faisant état de leurs inquiétudes à ce sujet. Une troisième plainte a été envoyée directement à Trimble (voir la pièce 13).

[14]  Après le dépôt de cette plainte, Trimble a continué à envoyer ce que le plaignant percevait comme des courriels brusques, agressifs et menaçants au sujet du plaignant. Le partenaire du plaignant qui exerce des fonctions d’escorte, John Mahon, a reçu un courriel (pièce 15) de Trimble le 26 février 2013 le menaçant d’une plainte de harcèlement dans les termes suivants :

[Traduction]

Expéditeur : Trimble Ron (PRA)

Transmission : le mardi 26 février 2013, à 11 h 10

Destinataire : Mahon John (PRA)

Objet : Avertissement

Hé John, j’ai appris que tu dis n’importe quoi à mon sujet devant d’autres membres du personnel pendant que tu es au travail. Je ne suis pas très étonné, car il est bien connu parmi les membres que tu n’es que l’enfant de quelqu’un et que tu fais et dis selon ce qu’on te demande, ce qui n’est pas un bon trait de caractère à avoir, mais c’est le propre des êtres faibles, je crois.

Si j’entends encore dire que tu fais de la médisance à mon sujet, je déposerai une plainte de harcèlement contre toi et tu devras répondre de ces accusations, et non ton Papa.

Si tu éprouves des inquiétudes, viens me voir si tu le peux.

Ron

 

[15]  Le « Papa » mentionné dans ce courriel est le plaignant, d’après le témoignage de ce dernier.

[16]  Le 23 avril 2013, le plaignant a acheminé une note de service (pièce 16) au directeur par intérim de l’établissement signalant l’utilisation inappropriée par Trimble du réseau électronique de l’établissement. La mention « (PRA) » qui figure après un nom dans le courriel auquel le plaignant faisait référence dans sa note de service indique que le courriel a été envoyé à partir d’un compte de courriel dans le réseau de l’établissement ou à un tel compte de courriel. Le 25 avril 2013, le plaignant a reçu un autre courriel de Trimble qui mentionne que le plaignant est le « rat » qui s’est plaint au sujet de Smith et d’un autre agent correctionnel qui se traînaient les pieds comme coordonnateurs de la fouille et qui s’est dit inquiet de la façon dont deux agents correctionnels ont échangé une arme et dont certains agents prenaient des pauses pour fumeurs en dehors des moments régulièrement prévus (pièce 17). Trimble a ensuite transmis un courriel à tous les membres de la section locale au sujet des pauses pour fumeurs, pour aviser les membres que la direction surveillait les pauses pour fumeurs et que la question avait été soulevée par un membre du personnel, et non par la direction (pièce 18).

[17]  Le plaignant a envoyé deux autres notes de service au directeur par intérim concernant l’utilisation des ressources électroniques de l’établissement par Trimble et le contenu de ses courriels (pièces 19 et 20). Plus particulièrement, le plaignant mentionne dans la pièce 20 que Trimble imprime ses courriels dans toutes les imprimantes POD de l’établissement :

[Traduction]

Paul,

À la suite de ma première note de service sur le même sujet datée du 23 avril 2013 et d’une deuxième note de service datée du 29 avril 2013, on m’a informé récemment que M. Trimble a non seulement envoyé le courriel qu’il m’a fait parvenir aux autres membres de UCCO, mais également qu’il a été imprimé dans les imprimantes POD de l’établissement […]

Comme M. Trimble ne travaille pas dans les unités, rien ne justifie logiquement cet envoi à toutes les imprimantes POD, outre que M. Trimble tente de m’humilier, de m’embarrasser, et de me harceler […]

 

[18]  Le plaignant a également déposé une plainte de harcèlement contre Trimble relativement aux courriels (pièces 14, 15, 17 et 18). Le Service correctionnel du Canada (l’employeur) a statué que les allégations relatives aux pièces 14 et 17 correspondaient à du harcèlement de Trimble à l’égard du plaignant (pièce 21). Peu après avoir été avisé qu’il faisait l’objet d’une plainte de harcèlement, Trimble a transmis un courriel à tous les membres de la section locale, sauf le plaignant. D’après Trimble, il demandait l’aide de ses membres pour se défendre contre la plainte (pièce 24). Darcy Leblanc, un délégué syndical, a envoyé un courriel (pièce 23) à tous les agents correctionnels de niveau 1 et 2 à l’établissement pour les informer que [traduction] « […] la section locale a appris que des gardiens étaient intimidés et/ou harcelés par d’autres gardiens non seulement au travail, mais aussi en dehors du travail ». Il ajoute ce qui suit :

[Traduction]

[…] La plupart d’entre vous devez vous rendre compte que UCCO est un syndicat national et que dans le cadre d’un transfert, le président de l’établissement destinataire demandera à Boomer [Trimble] et à moi ce à quoi il peut s’attendre et nous serons honnête avec lui tout comme il a été honnête avec nous les quelques fois que des gardes font des transferts à l’établissement Grande Cache. […]

 

[19]  Le plaignant a également fait l’objet de commentaires sur la page Facebook de l’établissement, où les agents correctionnels communiquent entre eux et discutent des événements qui surviennent à l’établissement. Trimble compte parmi ces participants et a formulé des commentaires contre le plaignant (pièce 26).

[20]  Le plaignant a conclu que la majeure partie du témoignage de Trimble indique un comportement nettement partial. Sa plainte visait également Smith et Clarke, parce qu’au moment du dépôt de la plainte, il n’était pas certain de leur degré d’implication.

[21]  En contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu qu’il avait déjà consulté des représentants de la section locale de l’agent négociateur sur des questions relatives à l’emploi. Toutefois, ces consultations ont pris fin lorsque son courriel (pièce 1, onglet 2) a été partagé avec CXJ. Le fait que les membres de l’exécutif de l’agent négociateur partagent des renseignements entre eux ne préoccupait pas le plaignant, mais il s’attend à ce que l’agent négociateur agisse dans ses intérêts lorsqu’il le fait et non de manière injuste et partiale. Trimble a transmis la note de service à Smith en sachant qu’il la partagerait avec CXJ, puis il a menti à ce sujet pendant trois à quatre mois. Les gestes de Trimble ont fait en sorte que CXJ a déposé une plainte de harcèlement contre le plaignant. Trimble savait que CXJ avait déjà déposé une plainte contre le plaignant et que certaines des allégations formulées contre lui avaient été maintenues.

[22]  Le plaignant sait que la constitution de l’agent négociateur prévoit certaines méthodes pour apaiser des préoccupations au sujet du comportement d’un représentant élu. Toutefois, compte tenu du nombre de nouveaux membres à l’établissement, il n’obtiendrait probablement pas le soutien des membres locaux pour faire destituer Trimble. Depuis, Smith a été transféré dans un autre établissement.

[23]  Le plaignant a déposé des griefs au sujet de la mesure disciplinaire prise en conséquence de la plainte de harcèlement initiale de CXJ. Il n’a pas indiqué clairement s’ils étaient encore actuels ou s’ils avaient été renvoyés à l’arbitrage, car il avait été informé que l’agent négociateur n’appuierait pas les griefs. Deux jours après que Trimble a été informé de l’audience disciplinaire de M. Benoit après la conclusion selon laquelle la première plainte de CXJ a été jugée partiellement fondée, le président, région des Prairies, M. Bloomfield, a téléphoné au plaignant à la maison pour lui dire que l’agent négociateur n’investirait plus d’argent dans ses griefs. Le plaignant pouvait se représenter lui-même si tel était son désir. Lorsqu’il a communiqué avec l’agent négociateur pour obtenir de l’aide au sujet de sa plainte, il a été informé que l’agent négociateur n’assurait pas de services de représentation pour les membres ayant déposé des plaintes pour pratique déloyale de travail contre lui.

[24]  Trimble a témoigné qu’il a été le président de la section locale de UCCO‑SACC‑CSN au cours des 10 dernières années. Auparavant, il avait été le vice‑président pendant deux ans et avait fait un mandat à titre de président de 1997 à 2001. Il a travaillé avec le plaignant pendant 26 ans. Lorsqu’il a reçu la copie du courriel de Mme Cooper en réponse aux inquiétudes du plaignant au sujet de CXJ, il l’a envoyé à son compte de courriel à la maison, d’où il l’a acheminé à Smith, le vice‑président de la section locale, et à Clarke, le vice-président de la région des Prairies. Une semaine plus tard, il l’a fait parvenir au reste de l’exécutif de la section locale. Il a envoyé le courriel à Smith parce qu’il avait pour pratique de le tenir au courant des activités et questions locales au cas où il devrait s’absenter et que quelqu’un devait s’en charger. Comme il craignait que le plaignant soulève la question d’un refus de travailler possible en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2), il lui semblait judicieux de tenir Smith et Clarke au courant.

[25]  Trimble a discuté de ce courriel et de la plainte de harcèlement qui en a découlé avec le plaignant à de nombreuses reprises. Ils en ont discuté pour la première fois dans un stationnement local après un rendez-vous chez le médecin. Le plaignant était fâché que CXJ ait reçu une copie de son courriel et voulait savoir comment elle l’avait obtenu. Trimble lui a dit qu’il l’ignorait et a formulé l’hypothèse qu’une personne à qui Mme Cooper a pu envoyer une copie a pu le transmettre à CJX. Le plaignant lui a dit que CXJ avait déposé une autre plainte de harcèlement contre lui en raison du courriel. Trimble lui a dit de régler la plainte de harcèlement, et lui a mentionné que le reste se réglerait tout seul. Peu importait le mode d’obtention du courriel par CXJ.

[26]  Trimble a témoigné qu’il a menti au plaignant pour le protéger. Il craignait que si le plaignant connaissait la source, il serait si en colère qu’il ne se conformerait pas aux recommandations de l’agent négociateur sur la façon de régler la plainte de harcèlement. Lors d’une réunion entre le plaignant, cinq délégués syndicaux et Trimble, le plaignant a quitté la rencontre. Il a ensuite demandé une réunion d’urgence avec l’exécutif, pour laquelle Trimble n’était pas disponible. Il n’était pas non plus disponible pour prendre part à une rencontre le 17 septembre 2012, alors qu’il devait participer à une réunion avec le président national de UCCO-SACC-CSN. Il prévoit son congé tous les ans avant le 1er mai, et il avait réservé ce jour-là pour la chasse.

[27]  Une fois que le plaignant a déposé cette plainte, Trimble, suivant les conseils des conseillers de l’agent négociateur, ne devait rien faire d’autre avec lui. Le 26 juin 2013, lors d’une assemblée générale, le plaignant a fait part de ses préoccupations au sujet du travail de gestion de Trimble à titre de président local et du traitement qu’il avait réservé au plaignant. Trimble a témoigné qu’il s’est excusé de ce qu’il a fait, mais ses excuses n’étaient pas sincères. Il devait le faire parce que la question a été soulevée à la réunion.

[28]  Trimble a décrit ses courriels comme non professionnels, mais ils avaient pour but de faire comprendre au plaignant comment il se sentait. Il n’a rien fait d’autre. Il n’a pas harcelé le plaignant ni ne l’a traité différemment des autres membres de l’agent négociateur. Il a convenu qu’il pouvait raisonnablement prévoir l’impact de la transmission du courriel de Mme Cooper à Smith. Il n’a pas transmis la pièce 13 (un courriel provenant d’un autre membre de la section locale), ce qui a soulevé une autre préoccupation relativement à l’état des vêtements de CXJ pendant qu’elle est dans les zones sécurisées, car cette pièce ne faisait pas mention d’un refus de travailler. Il n’avait jamais refusé d’apporter de l’aide au plaignant relativement à ses griefs.

[29]  Trimble a envoyé un courriel au plaignant au sujet de la maison de verre :

Expéditeur : Trimble, Ron (PRA)

Transmission : le jeudi 25 avril 2013, 16 h 5

Destinataire : Benoit, Albert (PRA)

Objet : Maison de verre

Certaines personnes aiment vraiment répandre leur travail de RAT, n’est-ce pas Al? C’est bien que je ne sois pas un RAT parce que si tel était le cas, je répandrais l’information factuelle suivante :

- Un agent supérieur CX 2 s’est adressé au DAO au cours d’une fouille en vertu de l’article 53 il y a quelques années et s’est plaint du fait que Smith et [CXR] se traînaient les pieds à titre de coordonnateurs de la fouille et prenaient constamment des pauses pour fumeurs plutôt que de faire leur travail. Le DAO a alors nommé un GC responsable le lendemain et a poussé dans le dos des agents afin qu’ils réalisent la fouille; quelques jours plus tard, un détenu s’est fait poignarder dans l’unité. Encore heureux que ce ne soit pas un agent!!! À titre d’information, ma source est le DAO.

- Un agent supérieur CX 2 s’est récemment adressé à l’AGC pour se plaindre que [CXC] et [CXP] ont échangé une arme de manière inappropriée et a exigé qu’il s’en occupe. À titre d’information, ma source est l’AGC.

- Un agent supérieur CX 2 s’est récemment adressé à l’AGC pour se plaindre d’agents qui prennent des pauses pour fumeurs en dehors des moments prévus et lui a dit qu’il devrait s’occuper d’eux. À titre d’information, ma source est l’AGC.

Comme vous pouvez le constater, c’est une bonne chose que je ne sois pas un RAT, car je me demande comment cet agent supérieur CX 2 ferait avaler ces renseignements à ses adeptes.

Par ailleurs, comme vous êtes l’un de nos agents les plus anciens, vous savez que la section locale tente d’infléchir le harcèlement, l’intimidation, et le manque de respect de collègues agents sur les lieux du travail que l’on a constaté au cours des dernières années. Je suis convaincu que vous, qui êtes un ancien gardien comme moi, aimeriez vous présenter au travail, faire votre boulot et retourner à la maison avec votre famille sans être trop tendu en raison de la façon dont certains de vos pairs traitent les autres membres. Nous tentons seulement de trouver la façon d’y mettre fin, comme vous en avez peut‑être entendu parler; les membres se font dire que si vous vous adressez au syndicat, vous êtes un rat. Comment corrigeons-nous cette situation Al, disons-nous à nos membres de s’adresser directement à la direction pour qu’ils ne soient pas étiquetés comme un rat? Nous tentons toujours d’élucider cette question; si vous avez des suggestions, veuillez nous les communiquer?

Je sais que vous aimez montrer mes courriels aux membres; par conséquent, je vous autorise à montrer ce courriel à qui vous voulez.

Boomer

 

[30]  La pièce 17, soit le courriel sur la « maison de verre », qui a été jugé du harcèlement, a été imprimé dans toutes les imprimantes de l’établissement par Trimble. Il imprime habituellement ses courriels dans toutes les imprimantes afin que les membres de l’unité de négociation puissent les lire.

[31]  Smith travaille présentement à l’établissement de Springhill en Nouvelle-Écosse. Il a déjà travaillé à l’établissement pendant plus de six ans. Au cours de cette période, il était actif au sein de la section locale de UCCO-SACC-CSN, ayant occupé les postes de délégué syndical et de vice-président de la section locale. Il a reçu de Trimble le courriel de la pièce 1, onglet 1, portant sur les préoccupations du plaignant au sujet de CXJ. Il n’était pas inhabituel pour Trimble de partager des courriels avec lui, car il assumait les tâches de président quand Trimble n’était pas disponible. Il a acheminé le courriel à CXJ, car elle était membre de l’agent négociateur et devait connaître les préoccupations exprimées. Lorsqu’il a reçu la demande d’accès à l’information, il a nié qu’il avait le courriel, car il l’avait supprimé.

[32]  À ce moment-là, Smith ne considérait pas qu’il y avait un conflit d’intérêts entre son rôle d’agent négociateur et sa relation avec CXJ dans cette affaire. Il ne l’a jamais représentée dans quelque grief que ce soit. Il lui a mentionné le courriel lorsqu’il l’a reçu et le lui a transmis à sa demande. Il ne s’inquiétait pas d’une violation de la confidentialité en acheminant le courriel à sa petite amie; il estimait qu’elle devrait savoir que le plaignant était allé voir la direction à son sujet. En contre-interrogatoire, il a convenu qu’en rétrospective, il pouvait y avoir un conflit d’intérêts.

[33]  Clarke est actuellement agent correctionnel à l’établissement Bowden d’Innisfall, en Alberta. Il a été vice-président régional pour la région des Prairies de UCCO‑SACC‑CSN de 2004 à 2013. Il a contribué à la présidence du comité régional des locaux et a présidé le comité régional mixte de santé et sécurité au travail, et il a apporté son aide aux membres.

[34]  Le plaignant a demandé l’aide de Clarke à la suite de la deuxième plainte de harcèlement de CXJ contre lui. À l’époque, le plaignant ignorait que Trimble était la source du courriel de Cooper utilisé par CXJ dans sa plainte de harcèlement contre le plaignant (pièce 1, onglet 1).

[35]  Le plaignant a consulté Clarke pour déterminer le processus de destitution d’un représentant élu. Il a fourni au plaignant la constitution de UCCO‑SACC-CSN (pièce 1, onglet 10), qui constitue le contrat de l’agent négociateur avec ses membres sur la façon dont ils se gouverneront. Conformément à la Politique sur le harcèlement de UCCO-SACC-CSN, les représentants de l’agent négociateur doivent éviter la perception de partialité lorsqu’ils traitent des plaintes membre contre membre (pièce 1, onglet 9). L’équité et la neutralité font partie des obligations de représentant de tous les membres. Son commentaire à Trimble dans la pièce 1, onglet 1, à savoir [traduction] « Incroyable! Il n’abandonnera pas au sujet de [CXJ] », constituait une observation désinvolte fondée sur son opinion personnelle et sur sa connaissance du plaignant. Clarke a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’un commentaire professionnel.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour le plaignant

[36]  En acheminant le courriel de la pièce 1, aux onglets 1 et 2, les défendeurs ont manqué à leur devoir de représenter équitablement chacun des membres de leur agent négociateur. Ils ont agi de mauvaise foi, sans égard à la conclusion concernant la plainte de harcèlement qui a résulté du partage du courriel. Sans ce courriel, CXJ n’aurait pas eu les motifs de déposer la deuxième plainte de harcèlement. Les attaques continues de Trimble en milieu de travail ont occasionné beaucoup de détresse au plaignant et ont fait de son lieu de travail un milieu très négatif et difficile. En raison de la conduite de Trimble, le plaignant a vécu un enfer de 16 mois pendant l’enquête sur la plainte de harcèlement. La campagne de Trimble contre le plaignant s’est poursuivie malgré le fait que Trimble a été déclaré coupable d’avoir harcelé le plaignant, et Trimble a été avisé de ne pas communiquer avec le plaignant en attendant l’issue de cette audience. Il est déraisonnable pour l’agent négociateur de s’attendre à ce que quiconque participe à une tentative visant à le destituer compte tenu du comportement qu’il a affiché. Étant donné le comportement de Trimble, les membres hésitent à se ranger derrière lui; il tentera alors de rallier des collègues contre eux.

[37]  Le plaignant ne cherche pas à obtenir une mesure disciplinaire contre les défendeurs. Il est dans l’intérêt de tous et toutes à la section locale que les défendeurs soient destitués des charges de leur agent négociateur. Le plaignant vise à obtenir des dommages raisonnables en compensation des dommages causés à sa réputation, du stress causé à lui et à sa famille, et en reconnaissance des efforts qu’il a déployés pour poursuivre cette audience.

B.  Pour les défendeurs

[38]  Il incombait au plaignant de prouver que les défendeurs sont coupables de perpétuer une pratique déloyale de travail. Il ne l’a pas fait. Ce qu’il a prouvé, c’est que Trimble a transmis un courriel qu’il a reçu de Mme Cooper à Smith et Clarke. Trimble niait initialement l’avoir fait, mais depuis, il s’est excusé de l’avoir fait.

[39]  L’article 187 de la Loi traite de la façon dont l’agent négociateur représente ses membres. Un agent négociateur possède le pouvoir discrétionnaire de déterminer la portée de la représentation qu’il assurera (Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509). Trimble a expliqué ses gestes et a fait preuve d’un bon jugement à l’époque. L’observation au sujet du refus de travailler prévu à l’article 127 ne peut être prise tout à fait isolément. Elle explique pourquoi Trimble a agi comme il l’a fait et démontre l’absence de malice à l’égard du plaignant. Le courriel à la pièce 1, onglets 1 et 2, a été partagé dans le cadre d’une pratique locale usuelle. Elle n’était pas arbitraire, mais s’inscrivait plutôt dans l’activité normale de l’agent négociateur. Un amalgame de connaissances personnelles et de connaissances institutionnelles a amené Trimble à agir comme il l’a fait. L’établissement est une petite communauté; la ligne est floue entre la vie sociale et la vie professionnelle, et certaines choses qui seraient réputées non professionnelles dans certains environnements sont acceptables.

[40]  Les réparations demandées par le plaignant portent seulement sur les opérations internes de l’agent négociateur, sur lesquelles la Commission n’a pas compétence.

IV.  Motifs

[41]  L’argumentation des défendeurs repose sur le fait que sans égard à l’absence reconnue de professionnalisme des défendeurs dans leur communication avec le plaignant, UCCO‑SACC-CSN a continué de poursuivre l’application des droits du plaignant dans le cadre des procédures de règlement et d’arbitrage des griefs. En application de Guilde de la marine marchande du Canada, les défendeurs soutenaient qu’ils possédaient un tel pouvoir, et leur façon de communiquer entre eux et l’identité des destinataires de courriels ne sont pas pertinentes à la question de la représentation équitable. Si j’accepte cet argument, je dois accepter que la portée du devoir de représentation de l’agent négociateur soit limitée à représenter les membres dans le processus de règlement des griefs.

[42]  Comment se définit la représentation? Le Canadian Oxford Dictionary, 2e édition, définit la représentation comme [traduction] « [l’]action ou l’occasion de représenter ou d’être représenté ». D’après le Black’s Law Dictionary, 8e édition, la représentation se définit comme suit : [traduction] « Action ou occasion de défendre autrui ou d’agir au nom d’autrui […] »

[43]  Le sens ordinaire du mot « représentation » indique clairement davantage que l’orientation restreinte retenue par les défendeurs et n’est pas limité à la procédure de règlement des griefs. Lorsqu’un agent négociateur est accrédité comme agent négociateur d’un groupe d’employés en particulier, l’ordonnance d’accréditation vise à englober toutes les questions qui coïncident avec la portée du pouvoir du syndicat à titre d’agent négociateur exclusif. (Voir Lopez v. Canadian Union of Public Employees, 1989 CanLII 3472 (OLRB)). Ces questions comprennent notamment les questions de représentation dans la procédure de règlement des griefs et le processus de négociation collective, ainsi que la représentation générale et les rapports avec les membres. En ce faisant, l’article 187 de la Loi exige ce qui suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[Je souligne]

[44]  Il ne fait aucun doute que le plaignant a établi que les trois défendeurs sont des dirigeants de l’agent négociateur et qu’ils ont agi en cette qualité au cours des événements qui ont donné lieu à cette plainte. De l’aveu même des trois défendeurs, leurs communications au sujet du plaignant n’étaient pas professionnelles. Le fait que Trimble a menti au plaignant concernant son rôle dans cette affaire révèle qu’il savait que ses gestes étaient inappropriés dans une certaine mesure. Selon moi, leur communication a démontré clairement, à divers degrés, de la partialité à l’égard du plaignant, notamment dans le cas de Trimble, dont la communication a largement excédé son objectif déclaré et est devenue agressive et harcelante. Son refus d’admettre la responsabilité de ses gestes, même s’il a reconnu avoir menti au plaignant, montre qu’il savait, dans une certaine mesure, que ses gestes étaient inappropriés. Je n’accepte pas son explication des motifs pour lesquels il a acheminé à Smith la réponse à la plainte du plaignant concernant les vêtements de CXJ. Il a témoigné qu’il a agi ainsi au cas où il ne serait pas disponible pour s’occuper des retombées qui pourraient découler de cette réponse; néanmoins, il a également témoigné qu’il prévoit un congé de son travail au printemps de chaque année pour s’assurer d’être en congé pendant la saison de la chasse. Je n’ai aucune raison de penser que cette situation aurait été différente. Il savait qu’il ne devait pas être absent de son travail. Les observations éditoriales qu’il a jointes au courriel transmis aux deux autres défendeurs révèlent ses intentions derrière la transmission et contredisent son argument selon lequel il ne faisait qu’exercer des activités syndicales régulières. Il importe de noter que le plaignant était tout à fait dans ses droits d’exprimer ses préoccupations s’il croyait qu’il existait une menace à sa santé et à sa sécurité en milieu de travail. Néanmoins, les défendeurs ont traité cette manifestation comme une nuisance.

[45]  Trimble a transmis le courriel en question à Smith, en sachant parfaitement que CXJ était la petite amie de Smith. Celui-ci a reconnu qu’en rétrospective, il était nettement en conflit d’intérêts dans l’affaire concernant la plainte relative aux vêtements de sa petite amie lorsqu’elle se trouvait dans la zone sécurisée, et néanmoins, il a choisi de lui transmettre le courriel. Il n’a pas fourni de justification acceptable; elle n’était membre ni de l’exécutif de l’agent négociateur ni du Comité mixte de santé et sécurité au travail de l’établissement. Il estimait que CXJ devrait savoir ce que le plaignant avait dit à son sujet. Il n’a pas partagé le courriel avec elle pour un motif légitime lié aux affaires du syndicat. Si l’employeur avait jugé approprié que CXJ soit mise au courant de la plainte, il lui en aurait fourni une copie ainsi qu’une copie de sa réponse; mais il ne l’a pas fait.

[46]  Trimble ne s’est pas contenté d’acheminer le courriel. Les pièces démontrent qu’il a mené une campagne continue pour discréditer le plaignant en milieu de travail et pour l’humilier de telle sorte que le plaignant a jugé approprié de déposer une plainte de harcèlement contre Trimble, jugée fondée par l’employeur. Néanmoins, il n’a pas changé de comportement.

[47]  Qu’il s’agisse ou non d’une affaire dans laquelle les connaissances personnelles et institutionnelles étaient combinées avec le rôle de Trimble en tant que président de la section locale de l’agent négociateur, comme l’a prétendu la représentante des défendeurs, il incombait à Trimble à titre de plus haut représentant élu de l’agent négociateur au sein de la section locale de se comporter de manière impartiale à l’égard de ses membres. Il ne l’a pas fait. Peu importe la taille de l’établissement Grande Cache, la combinaison mentionnée par la représentante des défendeurs est survenue seulement parce que Trimble distribuait dans l’établissement les renseignements personnels du membre. Les pièces démontrent en outre que Trimble n’a pas réservé ce comportement au plaignant et qu’il a agi de façon similaire lors de communications avec d’autres membres de sa section locale (voir la pièce 15).

[48]  Dans Beaulne c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 10, la Commission a traité une plainte alléguant que le défendeur avait agi de mauvaise foi en tentant de faire congédier le plaignant et que le défendeur a diffamé, harcelé, intimidé et humilié le plaignant à tel point que le comportement du défendeur a rendu le plaignant malade et transformé son lieu de travail en enfer. Au paragraphe 281 de la décision, l’arbitre de grief traite du devoir de représentation équitable dans les termes suivants :

281  Habituellement, le manquement au devoir de représentation équitable a trait au refus de l’agent négociateur de représenter un employé dans ses relations avec l’employeur, surtout lors de la présentation de griefs, ou sur la qualité de cette représentation […] À mon avis, cependant, le devoir de représentation équitable ne se limite pas à ces circonstances. Je suis d’avis que lorsqu’il y a conflit entre un membre de l’unité de négociation et un autre membre de cette même unité ou une personne qui n’en est pas membre, l’agent négociateur enfreint son devoir de représentation équitable lorsqu’un membre de l’exécutif de l’unité de négociation fait preuve de mauvaise foi en prenant parti en faveur d’une de ces personnes ou en tentant de nuire aux intérêts d’une de ces personnes sans raison valable. Dans le présent cas, la preuve démontre que M. Beauchamp, agissant en tant que président de l’unité de négociation, a fait preuve de mauvaise foi envers le plaignant en prenant parti en faveur de l’ex-amie du plaignant et en se servant de son poste au sein de l’organisation syndicale pour tenter de nuire à la réputation et aux intérêts du plaignant auprès de son employeur, et cela sans raison valable.

 

[49]  La plainte dans Beaulne a été rejetée parce qu’elle était hors délai. Ce problème ne se pose pas dans le cas devant moi. Tous les défendeurs ont témoigné, et aucun ne pouvait justifier adéquatement son comportement. Smith et Clarke ont tous deux reconnu que leur comportement était inacceptable. Malheureusement, tel n’était pas le cas de Trimble, qui croyait qu’il devait être complètement pardonné parce qu’il s’est excusé (il a par ailleurs reconnu que ses excuses n’étaient aucunement valables et sincères).

[50]  La campagne continue contre le plaignant menée par les trois défendeurs, quoique à divers degrés, a miné sa crédibilité en milieu de travail et a fait en sorte qu’il a fait l’objet d’une seconde plainte de harcèlement déposée par CXJ. Malgré la prétention de Trimble selon laquelle il a cessé de traiter avec le plaignant après le dépôt de cette plainte, les pièces établissent clairement qu’il a continué à formuler des observations et des remarques de dénigrement du plaignant dans des courriels ayant circulé dans toutes les imprimantes de l’établissement et sur Facebook. Manifestement, les défendeurs, et particulièrement Trimble, ont pris parti contre le plaignant, se sont montrés partiaux à son égard et n’agissaient pas de bonne foi comme représentants de l’agent négociateur.

[51]  Il n’est ni suffisant ni acceptable pour l’agent négociateur de faire valoir que malgré ces actions, le plaignant a continué d’être représenté dans la procédure de règlement des griefs. L’article 187 de la Loi exige que les représentants de l’agent négociateur n’agissent pas de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Il ne suffit pas que l’agent négociateur fasse valoir que si le plaignant était vraiment mécontent de ses représentants élus, l’agent négociateur disposait de mécanismes internes pour destituer les représentants. Comme l’a déclaré le plaignant, il fallait qu’une pétition circule parmi les membres de l’unité de négociation dans la section locale, soit la même section locale que celle où Trimble a continué à mener sa campagne pour discréditer le plaignant. Ainsi, la diffusion de la pétition avait peu de chances de réussite. C’est particulièrement vrai du fait que le plaignant a témoigné qu’il ignorait que ses griefs étaient actifs, et qu’il semble que l’un des griefs avait été renvoyé à l’arbitrage seulement après le dépôt de cette plainte (voir la pièce 1, onglet 7, et la pièce 2). Il est compréhensible que le plaignant ait cessé de poursuivre ses questions par l’entremise de l’agent négociateur compte tenu du traitement qu’il a subi aux échelons locaux et régionaux.

[52]  Les commissions des relations de travail, dont la présente Commission fait partie, ont constamment refusé d’élargir le devoir de représentation équitable à des questions décrites à juste titre comme des affaires syndicales internes parce que les droits de représentation qui touchent l’employeur ne sont pas en cause. Le présent cas ne peut être décrit comme impliquant des affaires syndicales internes. Il concerne carrément les droits de représentation du fonctionnaire s’estimant lésé relatifs à des questions qui touchent son emploi. En guise de preuve, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’à la suite de ces événements, et malgré le fait qu’un certain nombre de ses griefs et de ses plaintes n’étaient pas encore réglés, il a cessé de demander l’assistance de son agent négociateur. De plus, le plaignant ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce que s’il demande d’autre aide, elle proviendrait de l’agent négociateur.

[53]  Par conséquent, je conclus que dans les faits, les défendeurs ont manqué à leur devoir de représentation équitable du plaignant, et ce à divers degrés. Le défendeur Trimble a commis la plus flagrante de ces violations du fait de sa campagne continue contre le plaignant. Le défendeur Smith a agi de manière à se placer en situation de conflit d’intérêts entre les membres de la section locale et a pris part à la campagne de Trimble. Le comportement de Clarke est le moins injurieux de tous les défendeurs; toutefois, compte tenu de son poste comme membre de l’exécutif régional, il avait les moyens d’empêcher toute autre campagne contre le plaignant et a choisi de ne rien faire pour stopper Trimble. Pour ce motif, il fait partie de la campagne mise en place par Trimble et Smith et doit assumer sa part de responsabilité.

[54]  Pour déterminer la mesure de réparation, je dois accepter l’argument mis de l’avant par le représentant des défendeurs selon lequel je n’ai pas l’autorité de faire destituer les défendeurs de leurs charges de représentants élus, comme l’a demandé le plaignant. J’ai le pouvoir de prononcer une déclaration et de rendre toute autre ordonnance que je juge appropriée.

[55]  Dans les circonstances, je prononcerai une déclaration et imposerai des conditions à sa publication et à sa distribution. Ron Trimble, Jeff Smith et Robert Clarke ont fait preuve de partialité dans leur communication au sujet d’un membre de la section locale de UCCO-SACC-CSN à l’établissement Grande Cache, en violation de leur devoir de représentation équitable à l’égard des membres de l’agent négociateur, et ce à titre de membres de son exécutif local et régional.

[56]  Dans les circonstances, compte tenu des répercussions sur la réputation du plaignant en milieu de travail et de l’impact sur sa vie professionnelle, il convient d’accorder des dommages. Il importe en outre de souligner que les membres de l’agent négociateur qui agissent en tant que représentants officiels de celui-ci ont un devoir d’impartialité envers leurs collègues et envers les membres, que la personne soit populaire ou non en milieu de travail. Leur rôle consiste à promouvoir l’harmonie, et non à semer la discorde, parmi leurs membres.

[57]  Compte tenu du fait que les défendeurs agissaient comme représentants de l’agent négociateur, UCCO-SACC-CSN, et que leurs gestes sont intimement liés à leurs fonctions comme membres de l’exécutif de l’agent négociateur, comme en témoigne leur représentation par un conseiller de UCCO-SACC-CSN à l’audience, l’agent négociateur doit assumer une part de responsabilité de cette violation. Le comportement affiché par les défendeurs dans leur rôle de représentants syndicaux, notamment les gestes de Trimble, étaient malicieux, abusifs et despotiques. (Voir : Otto c. Brossard et al., 2012 CRTFP 15). Par conséquent, j’accorde au plaignant des dommages d’un montant de 2 000 $ devant être versé par l’agent négociateur.

[58]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[59]  Une copie de la présente décision doit être affichée sur tous les babillards de l’agent négociateur de l’établissement de Grande Cache dans les 30 jours suivant la présente décision, pendant une période de 12 mois.

[60]  Une copie de la présente décision doit être affichée sur le site Web de UCCO‑SACC-CSN dans les 30 jours suivant la présente décision, pendant une période de 3 mois.

[61]  Une copie de la présente décision doit être postée à chaque membre de la section locale de UCCO-SACC-CSN de l’établissement Grande Cache dans les 30 jours suivant la présente décision, accompagnée d’une lettre signée par le président national de UCCO-SACC-CSN informant le destinataire que cette Commission a statué que l’agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable envers l’un de ses membres.

[62]  Une copie de la présente décision doit être remise dans les 30 jours au directeur, au sous-directeur et à la directrice adjointe des opérations de l’établissement de Grande Cache, avec une lettre signée par le président national de UCCO-SACC-CSN, les avisant que la présente décision leur a été remise à titre d’information conformément à une ordonnance de cette Commission.

[63]  L’agent négociateur, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, doit verser des dommages de 2 000 $ au plaignant dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

[64]  Je demeure saisie de cette affaire pour traiter des questions découlant de cette ordonnance pendant les 90 jours qui suivent la date de la présente décision.

Le 15 avril 2014.

 

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

 

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