Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a commencé à se questionner sur le rendement au travail du fonctionnaire s’estimant lésé relativement à sa productivité, sa présence au travail, sa rigueur et son comportement et lui avait remis une lettre exposant les attentes et avait discuté avec lui des problèmes - l’employeur a imposé une journée de suspension au fonctionnaire s’estimant lésé pour avoir pris un long dîner pendant la période de Noël - le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il avait sauté ses pauses pour pouvoir prendre un dîner plus long et qu’il avait été retardé parce que le restaurant était très occupé en raison du temps de l’année - l’employeur a commencé à s’inquiéter de l’utilisation que le fonctionnaire s’estimant lésé faisait d’Internet et à soupçonner qu’il utilisait Internet pour mener des activités commerciales externes pendant les heures de bureau - il a demandé à la section de la Sécurité de la technologie de l’information de faire enquête, et l’enquête a révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé faisait une utilisation anormalement élevée d’Internet - il visitait essentiellement des sites Web reliés à la vente de véhicules - le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’utilisation d’Internet était une distraction pendant qu’il était au travail, mais a nié qu’il utilisait le réseau à des fins personnelles dans le but de faire des gains financiers - l’enquête a aussi révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait acheminé des courriels contenant de l’information sur des concours de dotation de son adresse électronique au bureau à son adresse électronique personnelle - dans d’autres courriels, le fonctionnaire s’estimant lésé utilisait un langage inapproprié ou blasphématoire, ce qui est contraire à la politique de l’employeur sur l’utilisation du réseau électronique et à la politique du Conseil du Trésor sur le même sujet - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans salaire en attendant l’issue d’une enquête plus poussée - le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé un congé parental, mais l’employeur n’a pas répondu à sa demande, croyant qu’il voulait éviter de participer au processus d’enquête - sa demande relativement à une semaine de congé pour la naissance imminente de son enfant a été refusée - à la suite de l’enquête plus poussée, le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié rétroactivement à la date de sa suspension d’une durée indéfinie et sa cote de fiabilité a été révoquée - l’arbitre de grief a accueilli le grief contestant la suspension d’une journée jugeant qu’il n’y avait pas eu inconduite puisque le fonctionnaire s’estimant lésé avait peu de contrôle sur son retour tardif cette journée-là et qu’il était abusif d’infliger une suspension d’une journée en plus de réduire sa paie pour la période de retard - l’arbitre de grief a rejeté les griefs contestant sa suspension, son licenciement et la révocation de sa cote de fiabilité - il a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas agi de manière raisonnable et qu’il avait fait une utilisation abusive d’Internet, mais que la preuve n’étayait pas clairement l’allégation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé utilisait son réseau pour exercer des activités d’affaires ou commerciales - il a accepté l’explication du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il s’agissait d’un passe-temps, mais le fait qu’il s’adonnait à ces activités pendant les heures de travail était inacceptable - l’employeur n’avait pas toléré le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé puisqu’il ne connaissait pas la portée de l’utilisation - selon la prépondérance des probabilités, la preuve étayait l’allégation que le fonctionnaire s’estimant lésé avait acheminé des renseignements concernant des concours de dotation à son adresse électronique personnelle - l’employeur était alors justifié de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’il avait rompu le lien de confiance, avait fait preuve d’un manque d’intégrité et avait causé de l’embarras à l’employeur - il n’était pas possible d’appliquer des mesures disciplinaires progressives en l’espèce parce que la gravité de l’inconduite justifiait le licenciement - l’arbitre de grief a jugé que le grief contestant la suspension était théorique - la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé était une décision administrative n’étant pas du ressort de l’arbitre de grief - rien dans la preuve ne démontrait de la mauvaise foi, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait valoir qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée. Objections préliminaires de l’employeur relativement aux griefs contestant la révocation de la cote de fiabilité et la suspension d’une durée indéfinie accueillies - Grief contestant la suspension d’une journée accueilli - Grief contestant le licenciement rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-06-06
  • Dossier:  566-02-6703 à 6706
  • Référence:  2014 CRTFP 61

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARC GRAVELLE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Justice)

défendeur

Répertorié
Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief
Pour le demandeur:
David Yazbeck, avocat
Pour le défendeur:
Lesa Brown, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario), Du 25 février au 1er mars, du 21 au 25 octobre et le 23 décembre 2013; le 3 mars et le 11 avril 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1  Marc Gravelle, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») était adjoint aux ressources humaines (RH) au ministère de la Justice (le « défendeur » ou l’« employeur »). L’employeur a licencié le fonctionnaire le 6 juillet 2011. Il a également révoqué sa cote de fiabilité le 7 juillet 2011. Auparavant, l’employeur avait suspendu le fonctionnaire en attendant les résultats d’une enquête, avec entrée en vigueur le 8 février 2011. L’employeur lui a également imposé une suspension d’une journée le 26 janvier 2011. Le fonctionnaire a contesté ces quatre décisions de l’employeur.

2 Le poste d’adjoint aux RH du fonctionnaire était classifié au groupe et niveau CR-05. Il était assujetti à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2011).

II. Résumé de la preuve

3 L’audience a duré 13 jours, dont 12 jours durant lesquels les parties ont présenté des preuves. Comme l’indique le titre de la rubrique, il ne s’agit que d’un résumé de cette preuve. Le fonctionnaire a témoigné. L’employeur a cité comme témoins Denis Ouellette, Mélanie Stethem, Valerie Schubert, Denis Roussel, Michel Provencher, Ivan Sicard et Scott Hebner. Au moment pertinent, ils étaient tous des employés de l’employeur. Mme Schubert était directrice des services opérationnels aux clients et des services  à la haute gestion. Mme Stethem était gestionnaire des services à la clientèle et relevait de Mme Schubert. D’avril 2010 à septembre 2011, M. Ouellette était le superviseur de l’unité de cheminement rapide des RH et le superviseur direct du fonctionnaire; il relevait de Mme Stethem. M. Provencher était un conseiller principal des relations de travail. M. Roussel était chef de la sécurité de la technologie. M. Sicard était directeur de la sûreté et de la sécurité. M. Hebner était analyste principal de la sécurité et des urgences et il relevait de M. Sicard.

4 Les parties ont déposé en preuve plus de 120 documents, dont un rapport d’enquête de 392 pages dressé par M. Roussel.

5 Les preuves testimoniales et documentaires seront résumées en fonction des cinq catégories suivantes : le rendement et la présence au travail du fonctionnaire, l’utilisation par le fonctionnaire du réseau électronique de l’employeur, la décision de licencier le fonctionnaire, la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, et les événements concernant la suspension d’une journée du fonctionnaire.

A. Le rendement et la présence au travail du fonctionnaire

6 Bien que le licenciement du fonctionnaire ne soit pas lié à des problèmes de rendement, une partie de la preuve produite à l’audience portait sur le rendement du fonctionnaire.

7 De 2006 à janvier 2010, le fonctionnaire était adjoint aux RH et travaillait en collaboration avec des spécialistes des RH dans des dossiers de dotation. En janvier 2010, il a accepté une affectation d’un an à l’unité de cheminement rapide en dotation. Le personnel de cette unité s’occupait de dossiers de dotation simples, non-complexes. M. Ouellette, Mme Stethem et Mme Schubert ont témoigné ne pas avoir été tout à fait satisfaits du rendement du fonctionnaire, de sa présence et de sa ponctualité au travail alors qu’il était à l’unité de cheminement rapide. Le fonctionnaire a témoigné n’avoir eu que très peu de temps pour se familiariser avec son nouvel emploi, mais que tout allait bien au début. Le fonctionnaire a toutefois ajouté que la situation s’était détériorée après l’arrivée de Mme Stethem et de M. Ouellette.

8 Selon M. Ouellette, peu de temps après avoir commencé à superviser le fonctionnaire, il a commencé à recevoir des messages de clients affirmant qu’il y avait des erreurs dans le travail du fonctionnaire. Le fonctionnaire commettait plus d’erreurs que ses collègues. M. Ouellette a ajouté que le fonctionnaire était en retard dans son travail et qu’il avait dû retirer une partie du travail du fonctionnaire afin de le confier à un autre employé. Le travail du fonctionnaire devait être achevé en cinq jours; toutefois, M. Ouellette a constaté que le fonctionnaire avait tendance à commencer son travail le jour de la date d’échéance. M. Ouellette tenait Mme Stethem au courant de ses préoccupations à l’égard du fonctionnaire. Le fonctionnaire a souligné que M. Ouellette et Mme Stethem modifiaient sans cesse les procédures, créant ainsi de la confusion alors qu’il tentait de comprendre les attentes. Le fonctionnaire a de plus témoigné qu’à l’occasion, il ne disposait pas des outils requis pour accomplir son travail.

9 En décembre 2010, l’employeur a fourni au fonctionnaire une lettre détaillée exposant ses attentes. En outre, M. Ouellette et Mme Stethem, ensemble ou séparément, ont fréquemment rencontré le fonctionnaire entre avril et décembre 2010 pour discuter des préoccupations de l’employeur à son égard. Lors d’une rencontre qui a eu lieu le 8 décembre 2010, ils ont exigé que le fonctionnaire termine plusieurs dossiers déjà en retard, et ce, pour la fin de journée, le vendredi 10 décembre 2010. Le fonctionnaire n’a pas terminé les dossiers et a quitté pour la fin de semaine sans les aviser de l’état de son travail. Le 10 janvier 2011, Mme Schubert l’a réprimandé par écrit à ce sujet. Le même jour, elle lui a fait une autre réprimande écrite parce qu’il aurait supposément tenu des propos offensants à l’encontre de membres de la direction avant la réunion du 8 décembre 2010 et répandu des renseignements erronés après cette rencontre.

10 Le 24 novembre 2010, le fonctionnaire a demandé que son affectation à l’unité de cheminement rapide prenne fin. Le 1er décembre 2010, Mme Schubert a refusé la demande du fonctionnaire en raison des nécessités du service. Le fonctionnaire a témoigné que ces nécessités du service ne lui avaient jamais été expliquées.

11 En janvier 2011, M. Ouellette et le fonctionnaire se sont échangé leurs bureaux et leurs numéros de téléphone. Un jour, M. Ouellette a reçu un appel pour le fonctionnaire. Il a donné le nouveau numéro de téléphone du fonctionnaire à l’appelant. Peu après, le téléphone du fonctionnaire a sonné, et ce dernier a répondu. La conversation portait sur des réparations de voiture. M. Ouellette en a parlé à Mme Stethem. Il avait l’impression que le fonctionnaire était impliqué dans une entreprise de voitures de quelque sorte. À quelques occasions, il s’est rendu au poste de travail du fonctionnaire, et il voyait alors celui-ci consulter les sites Internet « Used Ottawa » ou « Kijiji ». Toutefois, ni M. Ouellette ni Mme Stethem n’ont soulevé ce problème auprès du fonctionnaire. Le fonctionnaire a témoigné que la seule remarque qui lui a été faite à ce sujet a été formulée par Mme Schubert, qui lui a dit à la fin d’une réunion, en janvier 2011, de ne pas utiliser son accès Internet ou son compte de courrier électronique pour ses affaires personnelles et de faire attention aux appels téléphoniques au sujet des voitures. Il a également témoigné qu’il se souvenait que l’appel téléphonique dont parlait M. Ouellette, avait été fait par son père et que ce dernier avait téléphoné pour discuter de certaines réparations de voiture.

12 Mme Stethem a été nommée à son poste en juillet 2010. Elle a constaté à plusieurs reprises que le fonctionnaire était absent. Elle n’était pas toujours satisfaite de ses explications justifiant ses absences. En septembre 2010, elle lui a remis des instructions écrites détaillées sur ses attentes quant à ses heures de travail et ses absences du travail. Cependant, elle n’a pas pris de mesure précise quant à l’utilisation d’Internet par le fonctionnaire ou sa possible entreprise de voitures.

B. L’utilisation par le fonctionnaire du réseau électronique de l’employeur

13 Mme Schubert a témoigné avoir pris la décision de demander à la section de la sécurité de la technologie de l’information (TI) d’examiner l’utilisation par le fonctionnaire du réseau de TI. Elle avait certaines préoccupations au sujet de la productivité et du rendement du fonctionnaire, et de l’appel téléphonique reçu par M. Ouellette concernant des pièces ou réparations de voiture. Elle croyait que le fonctionnaire utilisait le réseau de l’employeur pour des affaires personnelles, notamment pour s’occuper d’une entreprise externe. Certains superviseurs lui avaient signalé que le fonctionnaire passait beaucoup de temps sur Internet chaque jour. L’agent de sécurité du ministère a accueilli la demande de Mme Schubert.

14 Le 19 janvier 2011, M. Roussel a obtenu le mandat d’effectuer une enquête de TI au sujet du fonctionnaire. Dans son rapport final daté du 14 février 2011, M. Roussel a décrit l’[traduction] « incident » sur lequel il devait faire enquête dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

L’employé du ministère de la Justice du Canada « Marc Gravelle » a fait l’objet d’un rapport de la part de sa gestionnaire parce que cette dernière soupçonnait fortement qu’il s’occupait de ses affaires personnelles dans le but de réaliser un gain financier personnel à l’aide d’un ordinateur et au moyen de privilèges liés aux biens du réseau qui lui ont été confiés pour son emploi.

[]

15 Le 25 janvier 2011, M. Roussel a fait une copie de tout le compte de courriel du fonctionnaire. Le 28 janvier 2011, il a récupéré les copies de sauvegarde de septembre 2010 et d’octobre 2010 du compte de courriel de M. Gravelle. À 14 h 30, le même jour, M. Roussel a pris possession de l’ordinateur de travail du fonctionnaire et l’a remplacé par un ordinateur différent. À 17 h 6, M. Roussel a fait une autre copie de tout le compte de courriel du fonctionnaire. Le 5 février 2011, M. Roussel a fait une troisième copie de tout le compte de courriel du fonctionnaire.

16 M. Roussel a analysé toute l’information recueillie au sujet du fonctionnaire. Il a commencé l’analyse le 25 janvier 2011 et l’a achevée le 6 février 2011. Le 7 février 2011, il a présenté un rapport provisoire de son analyse à Mme Schubert et à M. Provencher. Il a produit son rapport final une semaine plus tard, soit le 14 février 2011.

17 Dans son rapport final, M. Roussel a écrit que le fonctionnaire faisait un usage anormalement élevé d’Internet comparativement aux autres employés. Du 1er septembre 2010 au 26 janvier 2011, le compte d’utilisateur du fonctionnaire [traduction] « […] a produit un total de plus de 445 208 consultations dans le réseau de production de la passerelle internet ». De ce nombre, 315 864 sont survenues pendant les heures de travail prévues du fonctionnaire, et le reste en dehors de ses heures de travail.

18 D’après le rapport de M. Roussel, la majeure partie de cette activité Internet consistait en l’utilisation de Google pour trouver et visiter des sites Web dans les catégories [traduction] « Magasinage », [traduction] « Automobile » ou [traduction] « Véhicules ». Ce sont les annonces classées sur les sites Internet « Google », « Kijiji » et « Used Ottawa » qui ont été les plus consultées. Selon l’analyse de M. Roussel, les principaux critères de recherche étaient les véhicules usagés, l’équipement à la pièce, les moteurs, les pièces de moteur et les accessoires, les outils, et tout élément intéressant qui se rapporte à la mécanique.

19 Le fonctionnaire a produit en preuve un document technique intitulé [traduction] « Gestion de l’utilisation d’Internet au moyen de paramètres fiables ». D’après ce document, il n’existe pas de définitions acceptées universellement des termes [traduction] « accès » et [traduction] « visite ». Un accès est une action liée au navigateur Web ou un affichage de données associé à une activité de visite d’un site Web. Il ne s’agit pas nécessairement de la visite d’un site Web. Le document donne l’exemple d’une visite d’une page Web simple, qui génère un accès, et d’une page plus complexe, qui produit 23 accès. M. Roussel était d’accord avec l’interprétation du document quant à la signification d’« accès ». Il a témoigné que même si le fonctionnaire enregistrait en moyenne davantage d’accès quotidiens que les employés des TI, qui utilisent beaucoup Internet, il ne pouvait dire combien de temps le fonctionnaire consacrait quotidiennement à Internet. Il pouvait seulement affirmer qu’il est probable qu’une personne qui enregistre plus d’accès passe plus de temps sur Internet. M. Roussel a également témoigné que si un employé quitte le travail sans fermer sa session et sans fermer un site Web, il se peut que des accès continuent d’être enregistrés dans les sites Web demeurés ouverts.

20 M. Roussel a examiné le compte de courriel du fonctionnaire à partir de l’été 2009. Il a conclu que le fonctionnaire se servait de son courriel du bureau pour contacter des vendeurs ou des acheteurs sur les sites Internet « Kijiji », « Used Ottawa » et « eBay ». M. Roussel a également découvert trois annonces de « Kijiji » dans les courriels supprimés du fonctionnaire. Il a été facile de trouver ces annonces sur le site Internet de « Kijiji ». Le fonctionnaire se servait du code postal du ministère de la Justice (K1A 0H8) pour les annonces, dont certaines ont été produites en preuve. Dans un courriel, il a invité un vendeur à le rencontrer à l’immeuble où il travaillait. Il a aussi communiqué régulièrement avec un autre employé concernant l’achat ou la vente de voitures et d’équipement et la réalisation de bénéfices. Entre août 2009 et janvier 2011, cet employé et le fonctionnaire ont échangé 2 633 courriels, dont plus de 300 les 19, 20 et 21 janvier 2011. Parmi ces 2 633 courriels, 394 comportaient le terme « Kijiji » dans le corps du message et 391 comprenaient les termes « Used Ottawa ». Mme Schubert a témoigné qu’elle ignorait combien de temps le fonctionnaire avait consacré à ses affaires personnelles pendant qu’il était au travail. Toutefois, elle savait que la productivité du fonctionnaire était très basse comparativement à celle des autres employés.

21 Le fonctionnaire a témoigné qu’il était bien connu dans sa division qu’il connaissait beaucoup les voitures, les autres véhicules à moteur et l’équipement mécanique. Les témoins de l’employeur n’ont pas contredit ce témoignage. Certains éléments de preuve ont également démontré que la directrice précédente du fonctionnaire l’avait même consulté au sujet d’un bateau que son mari avait mis en vente. Le fonctionnaire a en outre témoigné que son superviseur, son gestionnaire et des directeurs ont parfois discuté de problèmes de voiture avec lui au travail. Il a mentionné qu’il s’intéressait vivement aux voitures et aux autres véhicules à moteur. De fait, il travaille à temps plein chez un concessionnaire de voitures depuis le 21 mars 2011. Il a commencé comme « apprenti de niveau 1 », et il est maintenant mécanicien breveté et technicien automobile. Il a également reconnu qu’il consultait souvent Internet pour vérifier les annonces de voitures et qu’il échangeait fréquemment des courriels avec un collègue de travail au sujet des voitures ou des véhicules. Il a témoigné qu’il n’utilisait pas Internet pendant de longues périodes à la fois. Selon ses propres termes, il consultait Internet seulement « une minute ici et là ». Il a nié avoir dirigé une entreprise de voitures avec ce collègue alors qu’il était au travail. Il a témoigné qu’il s’agissait d’un passe-temps lui permettant de s’évader du travail et une forme de distraction et de passion pendant qu’il était au travail. Il a reconnu avoir annoncé quelques articles à vendre sur « Kijiji », mais il n’a pas admis en avoir fait un commerce.

22 Quand M. Roussel a vérifié le compte de courriel du fonctionnaire, il a constaté que la taille du fichier « mémoire personnelle » était passée de 829 MB à 127 MB entre octobre et novembre 2010. Elle a diminué considérablement une deuxième fois entre le 28 janvier et le 5 février 2011, passant de 94 MB à 28 MB. En informatique, un fichier de mémoire personnelle est un fichier en format ouvert exclusif utilisé pour stocker des copies des messages, le calendrier des actualités et d’autres éléments dans Microsoft Outlook. L’employeur a produit en preuve une lettre signée par Mme Schubert, datée du 28 janvier 2011 et envoyée au fonctionnaire pour l’informer qu’il lui était strictement interdit, ainsi qu’à toute autre partie, de modifier ou de détruire des fichiers associés à son compte de courriel. M. Roussel a témoigné qu’au cours de son enquête, il a découvert que le fonctionnaire n’avait pas supprimé ou modifié ces courriels, mais qu’il les avait plutôt archivés. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait l’impression que la directive du 28 janvier de Mme Schubert indiquait seulement qu’il ne pouvait pas supprimer de courriels. Il a également témoigné qu’il avait l’habitude d’archiver ses courriels mensuellement et que cette habitude expliquerait les réductions à la taille de son compte de courriel lorsque comparée sur plusieurs mois.

23 M. Roussel a écrit dans son rapport qu’il était convaincu, d’après la preuve qu’il a examinée, que le fonctionnaire s’était servi du réseau et de l’accès Internet de l’employeur [traduction] « […] à des fins personnelles dans le but de réaliser un gain financier personnel et qu’il a commis plusieurs autres infractions à la "Politique sur l’utilisation acceptable des réseaux électroniques" ». Il a conclu que le fonctionnaire [traduction] « […] menait des activités commerciales au moyen de son courriel du ministère de la Justice du Canada ».

24 Pendant son enquête sur le fonctionnaire, M. Roussel a également découvert que le fonctionnaire « recueillait et stockait des fichiers MP3 » sur le lecteur partagé de l’employeur dans un dossier à son nom et sous son contrôle. Celui-ci prenait 10.36 GB (11 253 634 962 octets) d’espace de stockage dans le réseau de l’employeur et contenait 2 236 fichiers de musique. M. Roussel a écrit dans son rapport que ces fichiers contrevenaient à la législation sur les droits d’auteur. Le fonctionnaire a témoigné qu’un ancien employé de la section de la rémunération et des avantages sociaux avait créé le dossier initial. Il a témoigné qu’on lui avait dit que cet employé avait été autorisé à créer ce dossier. Il a reconnu avoir mis des fichiers de musique dans le dossier, mais a ajouté que de nombreux autres employés avaient fait la même chose. Il a en outre expliqué que le dossier faisait partie d’un plus gros dossier qui était au nom de son ancien superviseur. Des preuves ont été produites à l’audience selon lesquelles deux conseillers principaux en relations de travail avaient demandé au fonctionnaire d’avoir accès à cette musique.

25 M. Roussel a également découvert des courriels que le fonctionnaire avait envoyés de son compte de courriel du travail à l’un de ses comptes de courriel personnels. Ces courriels comprenaient des renseignements sur des concours de dotation pour des postes classifiés AS-02 et AS-03 auxquels le fonctionnaire avait posé sa candidature. Le 19 novembre 2009, à 13 h 37, le fonctionnaire a envoyé un courriel auquel étaient joints les fichiers Word suivant : [traduction] « AS-02, Ébauche – Guide de notation AS-02 dotation […] » [traduction] « Ébauche – Guide de notation AS-02 dotation […] » et [traduction] « examen as-02 rh, échelle de notation ». Le même jour, à 13 h 50, il a envoyé le courriel suivant à son adresse de courriel personnelle :

1.) Ouvrir un document protégé en Word.

2.) Choisir l’option Enregistrer en tant que page Web (*.htm; *.html) et fermer Word.

3.) Ouvrir le document en HTML dans n’importe quel éditeur de texte.

4.) Chercher la balise <w:UnprotectPassword> d’une ligne qui ressemble à : <w:UnprotectPassword>ABCDEF01<w:UnprotectPassword>. Recueillir le mot de passe.

5.) Ouvrir les documents .doc originaux à l’aide de n’importe quel éditeur hexadécimal.

6.) Chercher les valeurs hexadécimales du mot de passe (en ordre inverse).

7.) Écraser les quatre octets doubles en les remplaçant par 0X00. Sauvegarder et fermer.

8.)  Ouvrir les documents en Word. Choisir Outils, Ôter la protection du document. Le mot de passe est vierge.

26 M. Roussel a mis cette procédure à l’essai; elle ne fonctionnait pas. Il a également découvert qu’entre le 26 novembre et le 17 décembre 2009, le fonctionnaire a envoyé de son compte de courriel de bureau à son compte de courriel personnel plusieurs courriels comportant notamment des pièces jointes intitulées : [traduction] « Ébauche – Guide de notation AS-03 – cheminement rapide », [traduction] « AS-03 Unité de cheminement rapide super […] », [traduction] « AS-02 Coordinateur dotation Sup […] », [traduction] « AS-02 Rapports commerciaux […] », [traduction] « Cheminement rapide - II – Document de travail […] », et [traduction] « AS-03 ECM Cheminement rapide.doc. » Le 17 décembre 2009, à 6 h 52, le fonctionnaire s’est également envoyé à lui-même les documents suivants, qui comprenaient certains documents déjà transmis : [traduction] « courriels éliminés préselection.doc », [traduction] « AS-03 ECM Cheminement rapide.doc », [traduction] « ébauche – Guide de notation AS-03 – cheminement rapide », [traduction] « Instructions Exam.doc. », [traduction] « Liste principale finale – AS-03.xls », « Tableau - préselction.doc », et [traduction] « Tableau présence – examen écrit »

27 Tous les documents joints aux courriels de novembre et de décembre ont été produits en preuve à l’audience. Mme Schubert a témoigné que les titres de certains d’entre eux faisaient référence à certains concours auxquels le fonctionnaire avait participé. Il n’aurait pas dû avoir accès à ces fichiers et les envoyer à son adresse de courriel personnelle. De plus, selon Mme Schubert, le courriel que le fonctionnaire s’est fait parvenir à 13 h 50, le 19 novembre 2009, avait pour but d’accéder illégalement à un document qu’il ne pouvait pas consulter autrement. D’après Mme Schubert, une telle consultation lui aurait conféré un avantage injuste dans le cadre du processus de concours. M. Provencher a témoigné avoir consulté ces documents, qui renfermaient des copies des examens, les réponses voulues et une liste de tous les candidats. Mme Schubert a également témoigné que le fonctionnaire n’avait pas fait l’examen pour le concours du poste classifié AS-03, qui a eu lieu le 17 décembre 2009. Mme Stethem a témoigné que le fonctionnaire avait postulé à ce concours et qu’il n’avait pas été sélectionné parce qu’il ne répondait pas à deux des critères de base du poste. Elle a ajouté avoir rencontré le fonctionnaire au cours de la semaine ayant précédé le 21 décembre 2009 pour lui expliquer pourquoi il avait été éliminé.

28 Le fonctionnaire a produit en preuve un document de l’employeur indiquant qu’il n’avait pas été sélectionné dans le cadre du processus de concours AS-03 le 9 décembre 2009. Il a également témoigné qu’il n’avait pas eu accès à son courriel après son départ. Il n’a pas pu vérifier si les documents que l’employeur l’avait accusé de s’être transféré à son adresse de courriel à domicile, dont ceux du 19 novembre 2009 (13 h 37) et du 17 décembre 2009 (6 h 52), étaient les courriels qui étaient dits avoir été transférés. À ce sujet, le fonctionnaire ne se souvenait pas d’avoir envoyé ces documents à son adresse de courriel à domicile. Il a témoigné avoir peut-être envoyé des modèles en blanc de formulaires à son adresse de courriel à domicile, mais que ce ne sont pas ceux qu’il est accusé d’avoir transmis. Il a témoigné n’avoir jamais vu ces documents remplis.

29 Après le témoignage du fonctionnaire, M. Roussel a de nouveau été cité à témoigner pour préciser s’il pouvait démontrer que le fonctionnaire avait envoyé à son adresse à domicile les documents que l’employeur dit qu’il a envoyés. M. Roussel a témoigné qu’après avoir utilisé le logiciel « EnCase », il était convaincu que les documents que le fonctionnaire était accusé d’avoir transmis à son adresse de courriel à domicile avaient effectivement été envoyés et qu’il ne s’agissait pas de formulaires en blanc ou de modèles comme le prétend le fonctionnaire. Les organismes d’application de la loi se servent du logiciel « EnCase » à des fins d’expertise judiciaire. À l’audience, M. Roussel a établi, à l’aide du logiciel « EnCase » et de l’information provenant des bandes de sauvegarde, que les documents confidentiels que le fonctionnaire a été accusé d’avoir transmis à son adresse de courriel à domicile avaient été envoyés de son compte de courriel de bureau les 19 novembre et 17 décembre 2009 respectivement. M. Roussel a effectué l’analyse à l’aide du logiciel « EnCase » au début de 2014 pour se préparer à l’audience du 3 mars 2014. Il a témoigné que tous ces courriels et leurs pièces jointes avaient été fournis au fonctionnaire sur un CD-ROM après le début de sa suspension pour une période indéterminée. M. Roussel a témoigné que le fonctionnaire aurait pu trouver cette information sur le CD-ROM en utilisant Microsoft Outlook pour lire le fichier en format « pst » et en utilisant Word ou Microsoft Excel pour lire les pièces jointes.

30 L’un des fichiers du 17 décembre 2009 incluait des renseignements personnels protégés sur les 108 candidats d’un processus de dotation. Ce fichier, comme les autres qui sont mentionnés au dernier paragraphe, a été envoyé à un serveur externe (« Yahoo ») non sécurisé. Mme Schubert a témoigné qu’elle a dû informer chacun des 108 candidats de cette violation de la sécurité. Elle a également signalé l’incident au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Elle a témoigné que l’incident avait été embarrassant pour l’employeur.

31 M. Roussel a également fait enquête sur plusieurs autres questions lorsqu’il a analysé les courriels du fonctionnaire. Il a notamment découvert que l’un des anciens collègues du fonctionnaire l’avait contacté en février, mars et avril 2010 parce que ce collègue avait posé sa candidature en vue d’un poste au ministère de la Justice et voulait être sélectionné dans le cadre du processus de sélection. Il a également demandé au fonctionnaire un numéro pour obtenir de la rétroaction sur sa demande. Le 14 avril 2010, le fonctionnaire a répondu à son ancien collègue et lui a donné le nom et le numéro de téléphone de la conseillère en RH chargée de ce processus. Son ancien collègue lui a demandé si elle était gentille. Le fonctionnaire a répondu qu’elle était [traduction] « très gentille, mais pas très brillante ».

32 M. Roussel a également découvert de nombreux courriels dans lesquels le fonctionnaire employait des termes inappropriés ou un langage blasphématoire. Le fonctionnaire a notamment écrit qu’il n’aimait pas son travail et s’est exprimé au sujet de ses finances personnelles. Le fonctionnaire a reconnu avoir utilisé des expressions inadéquates dans certaines de ses communications. J’ai revu bon nombre de ces courriels, et la plupart d’entre eux comprenaient du langage vulgaire et inacceptable. Je ne citerai pas ce langage vulgaire dans la présente décision.

33 L’employeur a produit en preuve sa politique sur l’utilisation du réseau électronique et la politique du Conseil du Trésor à ce sujet. D’après la politique de l’employeur, il est reconnu que les employés peuvent avoir recours à son réseau à des fins personnelles limitées; cependant, ils doivent agir raisonnablement et équitablement et engager des frais négligeables dans leur utilisation du système, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une ressource ministérielle. Dans son annexe B, la politique de l’employeur donne des exemples des activités inacceptables qui peuvent avoir lieu sur le réseau électronique, comme l’envoi de renseignements classifiés sur les réseaux non sécurisés ou de messages violents ou sexistes, et l’utilisation du réseau à des fins commerciales privées ou de gain personnel. L’employeur a également produit en preuve la bannière qui figure à l’écran d’ordinateur lorsqu’un employé accède à son réseau. En accédant au réseau, l’employé accepte les principes et les conditions de la politique de l’employeur sur l’utilisation de son réseau électronique. Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait jamais porté attention à ce message et qu’il n’avait jamais lu ce message ou la politique.

C. La décision de licencier le fonctionnaire

34 Mme Schubert a reçu une version provisoire du rapport de M. Roussel le 7 février 2011. Après l’avoir examiné, elle a suspendu le fonctionnaire sans salaire, avec effet le 8 février 2011, en attendant un complément d’enquête. Le fonctionnaire a témoigné que son dernier jour de travail était le 7 février 2011. Dans la lettre de suspension, Mme Schubert a écrit que le rapport de M. Roussel suffisait pour soulever des préoccupations importantes au sujet de l’usage inapproprié et excessif du réseau électronique de l’employeur. En outre, Mme Schubert a témoigné que le fonctionnaire avait modifié des centaines de courriels et de fichiers dans son compte de courriel après s’être fait officiellement dire, le 28 janvier 2011, de ne rien supprimer de ce compte. Elle a témoigné qu’elle ne pouvait plus lui faire confiance et qu’elle ne pouvait pas le laisser continuer à utiliser le réseau électronique de l’employeur. De plus, il était impossible de lui affecter quelque travail important que ce soit qui ne comportait pas un ordinateur et l’accès au réseau de l’employeur.

35 Au début de février 2011, le fonctionnaire a demandé un congé parental à compter du 1er mars 2011. M. Provencher a témoigné que le fonctionnaire avait auparavant demandé que son congé parental débute le 1er avril 2011. L’employeur a réagi à sa demande en affirmant que le fonctionnaire voulait éviter de prendre part au processus d’enquête en prenant un congé de 37 semaines. L’employeur n’a ni accepté ni refusé la demande du fonctionnaire, car il n’y a jamais répondu. Le nouveau-né du fonctionnaire est né le 23 février 2011. Le 28 janvier 2011, le fonctionnaire a demandé une semaine de congé pour la naissance à venir de son enfant. Mme Stethem a refusé sa demande.

36 Le 18 février 2011, Mme Schubert a fait parvenir une copie du rapport final de M. Roussel au fonctionnaire. Elle l’a avisé qu’il y aurait une réunion le 24 février 2011 pour obtenir ses commentaires sur les allégations formulées contre lui relativement à l’usage inapproprié et excessif du réseau électronique de l’employeur. Mme Schubert a témoigné que le fonctionnaire ne s’était pas présenté à la réunion. L’employeur a décidé de reporter la rencontre au 28 février 2011. Le fonctionnaire a informé les parties qu’il ne serait pas en mesure de s’y présenter et a demandé au représentant de son agent négociateur d’y assister pour lui. Il a témoigné qu’il ne pouvait y aller en raison de la pluie verglaçante qui tombait ce jour-là et qu’il ne pouvait conduire dans ces conditions pendant 45 minutes. Mme Schubert a témoigné n’avoir jamais eu l’occasion de discuter du rapport de M. Roussel avec le fonctionnaire, qui a témoigné qu’on ne lui avait jamais donné de véritable occasion de répliquer à l’enquête et au rapport de M. Roussel.

37 En se fondant sur le rapport de M. Roussel et sur d’autres faits, Mme Schubert, en consultation avec M. Provencher, a recommandé le licenciement du fonctionnaire pour inconduite. M. Provencher a rédigé une note d’information détaillée à Myles Kirvan, le sous-ministre, le 2 mai 2011, recommandant le licenciement du fonctionnaire. M. Kirvan a licencié le fonctionnaire le 6 juillet 2011.

38 Dans son témoignage, M. Provencher a expliqué sa note d’information détaillée à M. Kirvan. Il a résumé la preuve présentée à l’audience. Il a écrit que le fonctionnaire avait surchargé indûment le réseau de l’employeur en l’utilisant de manière abusive et inappropriée, qu’il avait divulgué des renseignements personnels qu’il n’était pas autorisé à communiquer, qu’il avait beaucoup de difficultés à suivre les règles qui lui étaient imposées, qu’il avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires, et qu’il avait enfreint la politique sur le réseau électronique de l’employeur et son [traduction] « Code de l’éthique et des valeurs » par ses gestes.

39 Même si la lettre de licenciement était datée du 6 juillet 2011, M. Kirvan a écrit que sa décision de licencier le fonctionnaire prenait effet rétroactivement à la fermeture des bureaux le 8 février 2011. Il a mentionné l’usage excessif et inapproprié du réseau électronique de l’employeur par le fonctionnaire pour exercer des activités commerciales. Il a également mentionné que le fonctionnaire avait acheminé à son adresse de courriel personnelle des renseignements de nature personnelle sur les candidats à un processus de dotation, ainsi que des documents concernant un autre processus de dotation auquel il participait. M. Kirvan a écrit qu’il avait étudié le rapport de M. Roussel et que la preuve recueillie étayait les conclusions de l’enquête. Il a conclu que la conduite du fonctionnaire allait à l’encontre de la politique sur le réseau électronique de l’employeur et de son [traduction] « Code de l’éthique et des valeurs ». Pour M. Kirvan, le comportement et les gestes du fonctionnaire révélaient un manque d’intégrité et de confiance et constituaient une inconduite grave. Pour ces motifs, il a décidé de licencier le fonctionnaire. Il a écrit que pour en arriver à cette décision, il avait étudié le dossier de rendement et le dossier disciplinaire du fonctionnaire.

40 M. Provencher a témoigné que les problèmes liés au mauvais rendement du fonctionnaire et à ses difficultés à se conformer aux directives ou aux procédures, de même que son utilisation du disque partagé pour stocker des fichiers MP3, n’ont joué aucun rôle dans la décision de l’employeur de le licencier.

D. La révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire

41 Le 28 février 2011, M. Provencher a notamment écrit à Jeff Laviolette du Conseil du Trésor que [traduction] « notre service de sécurité estime que cette infraction à la sécurité suffit pour révoquer la cote de sécurité de l’employé ». M. Provencher a témoigné qu’à l’époque, il a probablement reçu cette information de M. Sicard.

42 Le 16 mai 2011, Mme Schubert a écrit à M. Sicard au sujet de la révocation possible de la cote de fiabilité du fonctionnaire. Elle a écrit qu’à son avis, on ne pouvait plus lui faire confiance en milieu de travail. Elle a également écrit qu’il consacrait beaucoup de temps à ses affaires personnelles pendant qu’il était au travail, qu’il avait été réprimandé plusieurs fois, et qu’il avait porté atteinte à la vie privée en accédant à des documents électroniques renfermant des renseignements personnels sur plus de 100 employés et en les acheminant à son adresse de courriel personnelle. Après avoir écrit à M. Sicard, Mme Schubert a témoigné qu’elle n’était plus impliquée dans le processus menant à la révocation de la cote de sécurité du fonctionnaire. M. Provencher a également témoigné ne pas avoir pris part à ce processus, qui a été mené séparément du processus disciplinaire.

43 M. Sicard a reçu une copie du rapport de M. Roussel vers le moment de sa publication. Il s’inquiétait tout particulièrement de l’atteinte à la sécurité qui est survenue lorsque le fonctionnaire a envoyé des documents confidentiels à son adresse de courriel à domicile.

44 M. Sicard a expliqué que lorsqu’il reçoit de nouveaux renseignements sur des employés, il réévalue leur cote de fiabilité. Le 28 février 2011, M. Sicard a écrit au fonctionnaire pour l’informer que sa division évaluerait, dès maintenant, sa cote de fiabilité. Dans sa lettre, il a affirmé que le fonctionnaire aurait l’occasion d’expliquer les renseignements défavorables avant qu’une décision soit prise. Il a fourni au fonctionnaire un lien menant à un site Web, qui comprenait la politique complète du gouvernement sur la sécurité.

45 M. Sicard a recruté une société externe, Glencastle Security, pour mener l’enquête. Le 15 mars 2011, il a rencontré M. Provencher, M. Hebner et Darrell Booth, un enquêteur travaillant chez Glencastle. Les renseignements que l’employeur avait en sa possession au sujet du fonctionnaire, dont le rapport de M. Roussel, ont alors été partagés.

46 Le 26 avril 2011, M. Booth et M. Hebner ont rencontré le fonctionnaire au sujet de sa cote de fiabilité. M. Hebner a témoigné que son rôle était limité à mettre en garde le fonctionnaire sur la nature et l’impact de la cote de fiabilité. À la réunion, il a parcouru un document de l’employeur intitulé [traduction] « Avertissement concernant la révocation de la cote de fiabilité ». Ce document souligne que la cote de fiabilité est une condition d’emploi, que les conclusions de l’entrevue et de l’enquête seraient utilisées dans le cadre du processus décisionnel visant à déterminer si l’on révoque ou non la cote de fiabilité du fonctionnaire, et que le gouvernement doit veiller à ce que les employés soient fiables et dignes de foi.

47 M. Hebner était présent pendant toute l’entrevue du 26 avril 2011. Il a témoigné que M. Booth, à l’exception de son rôle consistant à mettre en garde le fonctionnaire, avait réalisé l’entrevue. Celle-ci a eu lieu dans une chambre d’hôtel à proximité de la résidence du fonctionnaire. D’après M. Hebner, l’entrevue a débuté à 18 h et a duré une heure. Le lendemain, M. Hebner a rédigé une note pour le dossier. Il a ensuite écrit que M. Booth avait informé le fonctionnaire qu’il avait le droit de se faire représenter. Le fonctionnaire a répondu qu’en raison du choix du moment de la réunion, il lui était impossible de se faire représenter, mais qu’il était à l’aise de procéder seul. M. Hebner a également écrit que le fonctionnaire était très poli et cordial pendant l’entrevue. Toutefois, selon M. Hebner, le fonctionnaire ne pouvait fournir de détail ou de réponse à certaines des questions posées par M. Booth. Il a également écrit que le fonctionnaire semblait répondre honnêtement dans certains cas, mais moins dans d’autres.

48 M. Booth n’a pas témoigné à l’audience. L’employeur désirait produire en preuve quatre rapports qu’il avait dressés à la suite d’entrevues qu’il avait menées pendant son enquête. L’avocat du fonctionnaire s’est opposé à ce que ces documents soient présentés en preuve parce que M. Booth n’avait pas été appelé à témoigner. J’ai accepté l’objection et j’ai refusé d’admettre en preuve les quatre rapports.

49 M. Sicard a témoigné qu’il avait examiné les rapports de M. Booth et les documents qu’il a consultés. Ces documents faisaient tous partie du rapport de M. Roussel. M. Sicard a témoigné que son examen l’avait amené à croire que le fonctionnaire avait notamment utilisé Internet pour ses affaires personnelles, qu’il avait eu recours à du langage vulgaire et inapproprié dans des courriels, et qu’il avait transmis des documents protégés renfermant des renseignements personnels concernant 108 personnes à son adresse de courriel personnelle non sécurisée.

50 Après avoir obtenu l’accord de M. Kirvan, M. Sicard a écrit au fonctionnaire le 7 juillet 2011 pour l’informer qu’il avait été décidé de révoquer sa cote de fiabilité. Pour l’essentiel, la lettre se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

En conséquence des préoccupations en matière de sécurité relevées initialement, combinées aux renseignements additionnels recueillis dans le cadre de l’enquête administrative ultérieure, cette évaluation de sécurité est maintenant complète. Sur la base d’un examen minutieux, conformément à la section 5 de la norme sur la sécurité personnelle intitulée « Révocations », il a été décidé de révoquer votre cote de fiabilité, en ce qui concerne les questions de conditions d’emploi; cette décision sera communiquée aux autorités en ressources humaines pertinentes.

[…]

51 M. Booth a interviewé Mme Schubert et Mme Stethem; il a rédigé un compte-rendu de ces entrevues. M. Sicard a reconnu en contre-interrogatoire que le fonctionnaire n’avait pas reçu de copies de ces rapports en vue de son entrevue du 26 avril 2011. Il a témoigné que les renseignements recueillis pendant ces deux entrevues n’avaient pas été utilisés dans la décision de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. M. Sicard a affirmé qu’il a plutôt fondé sa décision sur les renseignements contenus dans le rapport de M. Roussel. M. Sicard a témoigné que le fonctionnaire n’avait pas eu l’occasion de commenter le rapport rédigé par M. Booth après son entrevue.

52 Selon le fonctionnaire, pendant la réunion du 26 avril 2011, M. Booth lui a demandé de confirmer que des comptes de courriel lui appartenaient. M. Booth lui a également posé des questions sur la musique découverte sur un lecteur d’ordinateur à son nom ainsi que sur son usage d’Internet pour des motifs personnels. Après la réunion, le fonctionnaire a rédigé une note dans laquelle il mentionne que l’ordinateur saisi par l’employeur le 28 janvier 2011 n’était aucunement son ordinateur personnel et que de nombreux autres employés s’en étaient servis pendant qu’il était en congé en raison de son horaire comprimé ou en congé parental. Le fonctionnaire a également écrit dans cette note qu’il avait nié avoir déjà possédé certains des documents qui auraient été découverts dans son ordinateur. Le fonctionnaire a dit à M. Booth que les documents qui lui avaient été présentés pendant cette entrevue pourraient provenir de n’importe où, pas nécessairement de son ordinateur.

E. Les événements liés à la suspension d’une journée

53 Le 26 janvier 2011, l’employeur a imposé une suspension d’une journée au fonctionnaire parce qu’il avait pris un long dîner le 22 décembre 2010.

54 M. Ouellette était en formation le 22 décembre 2010. Toutefois, il a témoigné avoir vu le fonctionnaire revenir tardivement de son dîner ce jour-là. Mme Stethem a témoigné que M. Ouellette lui avait signalé que le fonctionnaire avait pris 1 heure et 45 minutes pour dîner ce jour-là. Mme Schubert a témoigné que Mme Stethem lui avait transmis ce renseignement le jour même. Quand le fonctionnaire est revenu de dîner, il n’a informé ni Mme Stethem ni M. Ouellette de son retour tardif.

55 Mme Stethem a témoigné que la période de dîner du fonctionnaire était de 30 minutes. La preuve écrite indiquait également qu’il disposait de 30 minutes pour dîner. Le fonctionnaire a témoigné qu’il disposait d’une heure pour le repas du midi, car la plupart du temps, il ne prenait pas ses deux pauses de 15 minutes. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il prenait parfois des pauses. Il a témoigné qu’il prenait habituellement 1 heure pour dîner, soit en combinant la période de dîner de 30 minutes et les deux pauses de 15 minutes. Il a dit que l’employeur faisait souvent cela et que la plupart des employés faisaient comme lui. Cette information n’a pas été contredite.

56 Mme Stethem ne se rappelait pas d’autres situations où le fonctionnaire aurait pris des périodes de dîner plus longues que la période autorisée. Toutefois, le fonctionnaire avait été officiellement avisé de respecter ses heures de travail. La paie du fonctionnaire a été réduite de 45 minutes pour la longue période de dîner qu’il a prise le 22 décembre 2010. C’est Mme Shubert qui a pris cette décision. Elle a témoigné que la réduction aurait dû être de 1 heure et 15 minutes parce que le fonctionnaire disposait de 30 minutes pour dîner. Le 10 janvier 2011, Mme Stethem a informé M. Provencher par courriel que le fonctionnaire avait pris 45 minutes supplémentaires pour dîner.

57 Le fonctionnaire a témoigné que ce n’est que le 7 janvier 2011, soit la date à laquelle il devait reprendre son poste d’attache dans une autre unité de travail, qu’il a entendu dire pour la première fois que l’employeur éprouvait certaines préoccupations concernant son dîner du 22 décembre 2010. Il a témoigné qu’il était censé dîner avec sa sœur le jour en question. Cependant, elle a annulé parce qu’elle était trop occupée. Vers 12 h ou 12 h 15, l’un de ses anciens collègues lui a téléphoné pour lui demander s’il voulait aller dîner. Il a accepté et quitté son bureau vers 12 h 15. Son ami et lui sont allés dans un restaurant assez proche du bureau. Le fonctionnaire a reconnu n’avoir informé personne qu’il sortait pour dîner. Il ne l’avait jamais fait auparavant. Il n’a pas non plus informé quiconque de son retour tardif de dîner ce jour-là. Il a témoigné s’être absenté pendant 90 minutes pour le dîner. Il a admis qu’il était en retard de 30 minutes parce que le service était très lent au restaurant en raison de la période de l’année, soit juste avant Noël. M. Provencher a témoigné que le fonctionnaire avait reconnu avoir agi de façon répréhensible seulement lorsque l’employeur l’a confronté au moyen de la preuve indiquant son geste répréhensible. À ce moment-là, le fonctionnaire a dit qu’il était désolé d’avoir été en retard le 22 décembre 2010.

58 Mme Schubert a témoigné que contrairement à ce qu’a dit le fonctionnaire à l’employeur dans le cadre de l’audience disciplinaire du 18 janvier 2011, le dîner avait été planifié par le fonctionnaire. Mme Schubert a affirmé que le fonctionnaire lui avait menti au sujet de son dîner du 22 décembre 2010. Dans le cadre de son enquête et à la demande de la division des relations de travail de l’employeur d’examiner la question, M. Roussel a découvert un échange de courriels datés du 22 décembre 2010 entre le fonctionnaire et sa sœur au sujet de leur projet d’aller dîner ce jour-là. Il a également découvert un courriel daté du 18 janvier 2011 du fonctionnaire à son représentant de l’agent négociateur expliquant que le 22 décembre 2010, il est allé dîner avec un ancien collègue de travail.

59 Mme Schubert a témoigné que l’incident du 22 décembre 2010 ainsi que la suspension d’une journée imposée au fonctionnaire n’étaient pas pertinents dans la décision de le licencier. M. Provencher a témoigné que le fonctionnaire n’avait jamais purgé la suspension d’une journée, parce qu’il avait déjà été suspendu indéfiniment avec effet le 8 février 2011.

Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

60 L’employeur a fait valoir que je n’avais pas compétence pour statuer sur le grief déposé à l’encontre de sa décision d’imposer une suspension administrative au fonctionnaire avec effet le 8 février 2011, en attendant l’issue de l’enquête en cours. Il s’agissait d’une suspension administrative, qui n’était pas visée par l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). L’employeur avait des réserves au sujet de la présence du fonctionnaire au travail parce qu’il avait modifié et détruit des fichiers de son compte de courriel, à l’encontre des instructions qui lui avaient été données par l’employeur le 18 janvier 2011. Le fonctionnaire n’était plus digne de confiance et a été renvoyé à la maison. Subsidiairement, l’employeur a fait valoir que le grief à l’encontre de la suspension administrative est théorique, car la date de licenciement était rétroactive au 8 février 2011.

61 L’employeur a également fait valoir que je n’avais pas compétence en ce qui concerne la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, car cette décision était de nature administrative et n’était pas visée par l’alinéa 209(1)b) de la Loi. L’employeur m’a rappelé avoir informé le fonctionnaire qu’une révision de sa cote de fiabilité serait effectuée. Il a été invité à assister à une réunion où on lui a donné l’occasion de s’expliquer. À la fin du processus d’examen, M. Sicard a décidé de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire parce qu’il n’était plus possible de lui faire confiance.

62 L’employeur a fait valoir que la suspension d’une journée était tout à fait justifiée. Au moment de la suspension, le rendement du fonctionnaire était surveillé de près. Il a été officiellement informé que l’on s’attendait à ce qu’il soit au travail 7,5 heures par jour et qu’il avait 30 minutes pour dîner. Le 22 décembre 2010, il a pris 1 heure et 45 minutes pour dîner, et il n’a pas avisé son superviseur ou son gestionnaire qu’il serait de retour tardivement. En outre, contrairement à ce qu’il a dit à l’audience, la preuve a démontré que le fonctionnaire savait d’avance qu’il avait un dîner prévu ce jour-là.

63 L’employeur avait un motif de licencier le fonctionnaire parce que ce dernier avait commis une inconduite grave. Comme l’indique la lettre de licenciement, il a fait usage du réseau électronique de l’employeur pour exercer des activités commerciales, et il a transmis des renseignements confidentiels sur un processus de dotation à son adresse de courriel à domicile.

64 L’employeur m’a rappelé sa politique sur l’usage par ses employés de l’accès à Internet et de son réseau électronique. Le fonctionnaire connaissait la politique et ne l’a pas respecté. Il savait que l’employeur pouvait surveiller son utilisation du réseau. Il savait également quel usage était admissible et quel usage ne l’était pas. Le fonctionnaire s’est servi du réseau pour ses affaires personnelles. Il l’a également utilisé pour envoyer ou recevoir des milliers de courriels personnels pendant ses heures de travail alors que sa productivité était très faible. Son travail n’exigeait pas qu’il utilise Internet, mais la preuve a démontré que son utilisation d’Internet était beaucoup plus élevée que celle des autres employés.

65 L’employeur a fait valoir que la preuve avait clairement démontré que le fonctionnaire avait envoyé de son adresse de courriel au bureau à son adresse de courriel à domicile une procédure de déverrouillage des fichiers protégés par un mot de passe. Il a également envoyé à son adresse de courriel à domicile, qui se trouve dans un serveur non sécurisé, des fichiers renfermant les noms de 108 candidats dans un processus de dotation, y compris leurs numéros d’identification personnelle et leurs adresses de courriel, ce qui allait à l’encontre de la politique de l’employeur et constituait une atteinte à la sécurité. De plus, ces courriels renfermaient des renseignements sur les questions et réponses d’un processus de dotation pour lequel le fonctionnaire était candidat.

66 Par ses gestes, le fonctionnaire a brisé le lien de confiance. Son potentiel de réadaptation est déficient. Il n’a pas reconnu la majeure partie de son inconduite. Il manque nettement de franchise.

67 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Basra c. Procureur général du Canada, 2010 CAF 24; Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28 (« Basra 2014 »); Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62; Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63; Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Andrews c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 100; Newman c. Administrateur général (Agence canadienne des services frontaliers), 2012 CRTFP 88; Ontario Power Generation v. Power Workers’ Union (2004), 125 L.A.C. (4e) 286; Telus Communications Inc. v. Telecommunications Workers Union (2005), 143 L.A.C. (4e) 299; Sheridan College Institute of Technology and Advanced Learning v. Ontario Public Service Employees Union, (2010), 201 L.A.C. (4e) 243; Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9.

B. Pour le fonctionnaire

68 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait aucun motif justifiant l’imposition d’une suspension d’une journée parce qu’il est revenu tardivement de son dîner le 22 décembre 2010. L’employeur ne l’a jamais confronté en lui soumettant certains de ses renseignements. Il a présumé qu’il avait menti au sujet de la personne avec qui il avait dîné. Le fonctionnaire a expliqué clairement le motif de son retard. Il n’avait pas le contrôle du temps qu’il a fallu pour se faire servir et pour recevoir sa facture au restaurant.

69 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait aucun motif de le licencier. La preuve n’étayait pas la thèse de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire avait fait un usage abusif du réseau, notamment en l’utilisant pour exploiter une entreprise personnelle. En outre, l’employeur ne respectait pas les principes des mesures disciplinaires progressives. Il est passé d’une suspension d’une journée au licenciement. Il voyait constamment le fonctionnaire sous un mauvais œil, et il avait l’intention de le licencier. À cette fin, il a fait usage du rapport d’enquête de M. Roussel, qui est truffé de lacunes.

70 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur savait qu’il était intéressé et qu’il connaissait les voitures et la mécanique. C’était bien connu dans son milieu de travail. Certains gestionnaires l’avaient entendu discuter par téléphone de sujets liés aux voitures ou aux pièces de voiture. D’autres l’avaient consulté à ce sujet. Si l’employeur avait des préoccupations sur cette question, il aurait dû le lui dire plutôt que de lancer une enquête sur son utilisation du réseau. L’employeur ne lui a jamais fait part de ses réserves quant à son utilisation du réseau ou au temps qu’il passait sur Internet pendant qu’il était au travail, même s’il savait que le fonctionnaire se servait du réseau à des fins non liées à son travail. Par conséquent, l’employeur excusait son comportement.

71 L’employeur a lancé une enquête sur l’utilisation par le fonctionnaire de son réseau de TI. Il n’a donné aucune directive précise à M. Roussel sur la protection de la vie privée du fonctionnaire. D’après la jurisprudence la plus récente, les employés ont une attente en matière de vie privée au sujet des renseignements personnels contenus dans les ordinateurs de travail dans lesquels un usage personnel est autorisé et raisonnablement prévu, notamment en ce qui concerne la navigation sur Internet et le stockage de renseignements personnels. La jurisprudence accepte également que les employés puissent utiliser raisonnablement les réseaux de leurs employeurs à des fins personnelles.

72 Dans la présente affaire, l’employeur ne possédait aucune preuve sur la quantité de temps que le fonctionnaire avait passé sur Internet ou à envoyer ou recevoir des courriels personnels pendant qu’il était au travail.

73 Le fonctionnaire a demandé un congé parental. L’employeur a refusé et a choisi de le suspendre pendant l’enquête. Mme Schubert a justifié sa décision en affirmant que l’employeur n’aurait pas été en mesure de faire enquête au sujet du fonctionnaire pendant qu’il était en congé. De plus, l’employeur a fondé sa décision sur le fait que le fonctionnaire avait détruit des courriels après s’être fait dire de ne pas le faire. La preuve a démontré que le fonctionnaire n’avait pas détruit des courriels, mais qu’il les avait plutôt archivés. En outre, l’employeur a décidé d’antidater le licenciement à février 2011. Ce faisant, il a tenté de priver le fonctionnaire de son droit de faire valoir la compétence sur le grief relatif à la suspension qu’il a déposé en février 2011.

74 Le fonctionnaire a fait valoir que, d’après la jurisprudence, j’ai compétence en ce qui concerne la décision de l’employeur de révoquer sa cote de fiabilité, notamment en ce qui concerne l’équité du processus et la mauvaise foi. L’employeur ne lui a pas donné pleinement l’occasion de s’exprimer sur la preuve qu’il avait à son sujet lorsqu’il a mené son enquête sur sa cote de fiabilité. Il n’a pas obtenu tous les renseignements que l’employeur possédait, y compris les résultats des entrevues menées par l’enquêteur avec Mme Stethem ou Mme Schubert, ce qui va à l’encontre de la politique de l’employeur, qui exige que les employés reçoivent tous les renseignements défavorables pour pouvoir en commenter la totalité. Le fonctionnaire a également fait valoir que la législation n’établit pas de distinction entre un examen de l’équité ou du caractère raisonnable et un examen sur le fond.

75 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Andrews; Unite Here Local 75 v. Fairmont Royal York Hotel, 2012 CanLII 3872 (ON LA); Health Employers’ Association of British Columbia v. Health Sciences Association of British Columbia (2011), 213 L.A.C. (4e) 390; Health Sciences Association of Saskatchewan v. Sunrise Regional Health Authority, 2012 CanLII 48715 (SK LA); McIntyre v. Hockin (1889), 16 O.A.R. 498; Miller c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-13697 (19830222); Frito-Lay Canada Ltd. v. Milk & Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers & Allied Employees, Local 647 (1975), 10 L.A.C. (2e) 234; Ontario (Ministry of Natural Resources) v. Ontario Public Service Employees Union (2005), 143 L.A.C. (4e) 14; Wm. Scott v. Co., [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL); Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 94; Amalgamated Transit Union, Local 508 v. Halifax Regional Municipality Metro Transit (2007), 158 L.A.C. (4e) 431; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62; Shaver; Ahmad c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique), [1974] 2 C.F. 644 (C.A.); Kampman c. Canada, [1993] A.C.F. no 66 (C.A.) (QL); Kampman c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 1 C.F. 306 (1re inst.); Kampman c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 2 C.F. 798 (C.A.); Kampman c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21656 et 21771 (19920110); Heustis c. La Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768; Deering c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-26518 (19960208); Gunderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-26327 et 26328 (19950912); O’Connell c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossiers de la CRTFP 166-02-27507, 27508 et 27519 (19970819); Copp c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 8; Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81; Sullivan c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2003 CRTFP 26; Braun; Nasrallah c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 12; Bergey c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) et Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80; Hillis c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 151; R. c. Cole, 2012 CSC 53; Health Employers’ Association of British Columbia v. Health Sciences Association of British Columbia, [2011] B.C.C.A.A.A. no 60 (QL); University of British Columbia (Re), 2007 CanLII 42407 (BC IPC); Parkland Regional Library, 2005 CanLII 78636 (AB OIPC); New Brunswick (Department of Education and Early Childhood Development) v. Canadian Union of Public Employees, Local 2745, 2014 NBQB 34. Il m’a également renvoyé au paragraphe 7:4422 de Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition.

Motifs

76 Je traiterai d’abord le licenciement du fonctionnaire, puis sa suspension pour une période indéterminée, la révocation de sa cote de fiabilité et sa suspension d’une journée. Pour des motifs que j’expliquerai ultérieurement, je rejette le grief sur le licenciement, le grief sur la suspension pour une période indéterminée ainsi que le grief sur la révocation de la cote de fiabilité, mais j’accueille le grief sur la suspension d’une journée.

77 Les parties m’ont renvoyé à quelque 40 décisions. Je les ai toutes étudiées avec soin. À quelques exceptions près, je ne me reporterai pas à ces décisions en particulier, même si je considère et respecte la logique juridique sur laquelle elles sont fondées.

A. Le licenciement

78 Le 6 juillet 2011, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il faisait l’objet d’un licenciement motivé. La lettre de licenciement a démontré que l’employeur avait fondé sa décision sur les motifs suivants :

  • l’usage excessif et inapproprié par le fonctionnaire du réseau électronique de l’employeur pour exercer des activités commerciales;
  • en deux occasions, le fonctionnaire a acheminé à son compte de courriel personnel des renseignements personnels au sujet des candidats à un processus de dotation, ainsi que des documents liés à un autre processus de dotation pour lequel il était candidat.

79 L’employeur a conclu que la conduite du fonctionnaire constituait une violation de sa politique sur les réseaux électroniques et de son [traduction] « Code de l’éthique et des valeurs » et que son comportement indiquait un manque d’intégrité et de confiance et constituait une inconduite grave. Sur cette base, il a décidé de le licencier. M. Kirvan a écrit dans la lettre de licenciement que pour en arriver à sa décision, il a pris en compte le dossier de rendement du fonctionnaire ainsi que son dossier disciplinaire, dont la suspension d’une journée. M. Provencher a témoigné que les problèmes liés au mauvais rendement du fonctionnaire n’avaient pas joué de rôle dans la décision de l’employeur de le licencier.

80 Je déterminerai d’abord, d’après la preuve produite à l’audience, si le fonctionnaire a fait ce dont il est accusé. Si tel est le cas, je déciderai s’il s’agissait d’un motif de licenciement suffisant.

81 La preuve a clairement démontré que le fonctionnaire utilisait abondamment Internet pendant qu’il était au travail, même si ses fonctions ne le nécessitaient pas. La preuve a de plus démontré qu’il s’était surtout servi d’Internet pour consulter des annonces de véhicules à moteur à vendre. La preuve a également établi qu’il avait échangé des centaines de courriels personnels portant sur l’achat et la vente de véhicules à moteur avec un autre employé. Le fonctionnaire n’a pas contesté cette preuve. Toutefois, il a nié qu’il dirigeait une entreprise de voitures à partir de son travail. Il a affirmé qu’il s’agissait plutôt d’un passe-temps pour s’évader de son travail.

82 La politique de l’employeur reconnaît que les employés peuvent utiliser son réseau électronique à des fins personnelles limitées et établit qu’ils doivent agir raisonnablement et équitablement, en gardant à l’esprit que le réseau est sa ressource. Même si aucune preuve n’a établi combien de temps le fonctionnaire consacrait quotidiennement à naviguer sur Internet ou à recevoir et envoyer des courriels personnels, la preuve a démontré que son usage personnel du réseau de l’employeur dépassait largement la limite. Je conclus plutôt que le fonctionnaire n’a pas agi raisonnablement en abusant de son accès Internet pour son usage personnel. La preuve a révélé qu’il enregistrait en moyenne davantage d’accès quotidiens que les employés des TI, qui utilisaient beaucoup Internet dans le cadre de leur travail. Cette preuve établit à tout le moins que le fonctionnaire utilisait beaucoup Internet pendant qu’il était au travail, et ce, même si son travail n’exigeait pas qu’il s’en serve. La preuve a en outre révélé qu’il utilisait régulièrement et souvent son courriel pour échanger avec un autre employé relativement à l’achat ou la vente de véhicules à moteur ou de pièces. En janvier 2011, le fonctionnaire et cet employé ont échangé plus de 300 courriels, ce qui ne peut être qualifié d’usage personnel limité ou raisonnable des ressources électroniques de l’employeur.

83 Le fonctionnaire a témoigné n’avoir jamais accordé d’attention au message apparaissant à son ordinateur lorsqu’il accédait au réseau de son employeur. Ce message indique qu’en accédant au réseau, les employés acceptent les principes et les conditions de la politique de l’employeur sur l’utilisation du réseau. Le fonctionnaire a affirmé n’avoir jamais lu cette politique. Ce n’est pas une excuse. Le fonctionnaire est réputé avoir lu ce message et cette politique et avoir accepté de la respecter.

84 La preuve n’appuyait pas clairement l’allégation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire utilisait son réseau pour exercer des activités d’affaires ou commerciales. J’ai plutôt tendance à croire l’explication du fonctionnaire selon laquelle les activités représentaient un passe-temps et non une entreprise. Aucune preuve directe n’a été produite à l’audience pour étayer des opérations commerciales ou d’affaires réalisées au travail ou par le réseau de l’employeur, ce qui ne signifie toutefois pas que les comportements ou les gestes du fonctionnaire étaient acceptables. Le fonctionnaire s’adonnait à son passe-temps pendant ses heures de travail à l’aide du réseau de l’employeur.

85 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur tolérait son comportement. Je ne suis pas d’accord, même si je crois que l’employeur savait, dans une certaine mesure, que le fonctionnaire perdait du temps sur Internet pour des activités non liées à son travail. La preuve a révélé que l’employeur n’avait pas pris de mesure disciplinaire contre lui pour son utilisation d’Internet parce qu’il ignorait, avant l’enquête, à quel point il en faisait un usage élevé. Cela ne signifie pas que l’employeur tolérait son comportement antérieur. Je conclus que l’employeur a eu connaissance de la fréquence et de l’intensité de son utilisation de son réseau seulement après avoir reçu le rapport de M. Roussel. Même si je conclus que l’employeur a pu avoir précédemment des indications de l’utilisation inappropriée de son réseau, la preuve n’appuyait pas la conclusion que l’employeur tolérait l’utilisation de son réseau par le fonctionnaire.

86 L’employeur a également licencié le fonctionnaire au motif qu’en deux occasions, le fonctionnaire a acheminé à son adresse de courriel personnelle des renseignements de nature personnelle sur les candidats qui participaient à processus de dotation et des documents liés à un autre processus de dotation auquel il participait. Compte tenu de la prépondérance des probabilités, la preuve a appuyé le fait que le fonctionnaire avait acheminé ces renseignements à son adresse de courriel personnelle au moyen de son adresse de courriel au travail.

87 La preuve a démontré que le fonctionnaire avait envoyé de son adresse de courriel au travail à son adresse de courriel personnelle des renseignements concernant deux concours de dotation auxquels il était candidat. Il avait accès à ces documents parce qu’il travaillait aux RH. Les titres de ces documents reflètent leur contenu avec exactitude. Le fonctionnaire a envoyé à son adresse de courriel personnelle des guides de notation provisoires, une échelle de notation, des directives relatives aux examens, des listes de candidats et les résultats d’un processus de présélection pour des concours de dotation auxquels il était candidat. Il s’est également fait parvenir à lui-même une procédure de déverrouillage de documents électroniques protégés.

88 Le fonctionnaire a témoigné qu’on ne lui avait pas donné accès à son adresse de courriel après son départ, qu’il ne pouvait vérifier le contenu des documents qu’il avait supposément envoyé et qu’il ne se souvenait pas d’avoir transmis ces documents à son adresse à domicile. J’accorde peu de valeur probante à ces explications, et elles ne sont pas du tout suffisantes comparativement à l’analyse technique effectuée par M. Roussel et son témoignage. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été soumis, je suis persuadé que le fonctionnaire a transmis ces documents à son adresse à domicile.

89 Tout bien considéré, je conclus que l’employeur avait un motif de licencier le fonctionnaire. Le fonctionnaire a rompu le lien de confiance nécessaire pour maintenir une relation employé-employeur. En sa qualité d’adjoint aux RH, il avait accès aux documents confidentiels en lien avec les processus concurrentiels. Il s’est servi de ce privilège à ses propres fins et a transmis des documents confidentiels à son adresse à domicile. Il s’agit d’un manque d’intégrité et d’une inconduite très grave. Il n’a pas donné d’explication pour justifier son comportement. Il a plutôt affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir envoyé ces documents à son adresse de courriel à domicile. La preuve présentée à l’audience m’a convaincue qu’il l’a fait. En outre, ses gestes ont placé l’employeur dans l’embarras, parce qu’il a dû signaler l’incident au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et informer les 108 employés que leurs renseignements personnels avaient été envoyés à un serveur externe non sécurisé. Tous ces éléments suffisent à justifier le licenciement.

90 Même si l’employeur n’a pas établi que le fonctionnaire s’était servi de son réseau pour exercer des activités de type commercial, il a démontré que, contrairement à sa politique, le fonctionnaire avait fait un usage excessif du réseau pour ses besoins personnels. Ce seul fait justifie de suspendre le fonctionnaire, mais non de le licencier. À ce stade, cette question importe peu, car la transmission par le fonctionnaire des documents de dotation à son adresse de courriel à domicile suffisait pour justifier son licenciement.

91 D’autres preuves ont été produites à l’audience au sujet de l’inconduite du fonctionnaire. Il a fourni des renseignements confidentiels à un ancien collègue de travail, soit le nom et le numéro de téléphone de l’agent chargé d’un concours. Il a également écrit des commentaires sexistes et inappropriés au sujet de cet agent. La preuve a également révélé qu’il avait écrit de nombreux courriels renfermant un langage vulgaire et inacceptable. Comme je l’ai écrit précédemment, cette question importe peu à ce stade, car l’envoi des documents de dotation était suffisant pour justifier son licenciement.

92 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas respecté les principes des mesures disciplinaires progressives parce qu’il était passé d’une suspension d’une journée à un licenciement. Les mesures disciplinaires progressives ne s’appliquent pas à cette affaire parce qu’il y a eu une inconduite très grave. Dans de tels cas, les employeurs peuvent licencier des employés qui n’ont pas de dossier disciplinaire ou qui ont un léger dossier disciplinaire, comme c’était le cas du fonctionnaire.

93 Le fonctionnaire a également soulevé certaines préoccupations au sujet de l’absence d’inquiétude de l’employeur pour la protection de sa vie privée, notamment parce qu’il n’a pas donné de directives précises à M. Roussel sur la protection de la vie privée du fonctionnaire quand M. Roussel a mené son enquête. Je me préoccupe également de cette question. De plus, en l’absence de telles directives, M. Roussel a inclus dans son rapport des renseignements personnels sur le fonctionnaire qui n’avaient rien à voir avec l’objet de l’enquête, soit de faire enquête sur la conduite par le fonctionnaire d’affaires personnelles au moyen du réseau de l’employeur. Je n’ai pas fait rapport de cette question, car elle n’était pas pertinente pour statuer sur les quatre griefs dont je suis saisi. Toutefois, ce manque de respect pour la vie privée du fonctionnaire n’atténue pas la gravité de son inconduite. À ce stade, je peux seulement recommander qu’à l’avenir, l’employeur tienne compte de la vie privée des employés lorsqu’il mène ce type d’enquête.

B. La suspension d’une durée indéterminée

94 L’employeur a suspendu le fonctionnaire pour une durée indéterminée avec effet le 8 février 2011. Dans la lettre de suspension, Mme Schubert a écrit que le rapport de M. Roussel était suffisant pour soulever des préoccupations importantes au sujet de l’utilisation inappropriée et excessive par le fonctionnaire du réseau électronique de l’employeur. Mme Schubert a témoigné que le fonctionnaire avait modifié des centaines de courriels et fichiers de son compte de courriel après avoir été informé officiellement le 28 janvier 2011 de ne rien supprimer de ce compte. Elle a témoigné qu’elle ne pouvait pas lui permettre de continuer à utiliser le réseau électronique de l’employeur et qu’il était impossible de lui attribuer du travail important qui ne comportait pas l’utilisation d’un ordinateur et l’accès au réseau de l’employeur.

95 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait l’impression que la directive du 28 janvier 2011 signifiait qu’il ne pouvait supprimer aucun courriel. Il a également témoigné qu’il avait comme habitude d’archiver ses courriels mensuellement. Il croyait que cette habitude expliquerait les réductions de la taille de son compte de courriel lorsque des comparaisons sont effectuées sur plusieurs mois. Le témoignage ou le rapport de M. Roussel ne contredit aucunement ce que le fonctionnaire a dit avoir fait. D’après M. Roussel, le fonctionnaire n’a ni supprimé ni modifié des courriels après le 28 janvier. Il les a plutôt archivés. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait pour habitude d’archiver ses courriels mensuellement, ce qu’il a fait entre le 28 janvier et le 5 février 2011.

96 Mme Schubert a affirmé avoir suspendu le fonctionnaire pour une période indéterminée parce qu’il avait supprimé un grand nombre de courriels de son compte. La preuve présentée a révélé que ce n’était pas le cas.

97 Le fonctionnaire a demandé un congé parental à compter du 1er mars 2011. L’employeur n’a jamais répondu à sa demande. Il croyait que le fonctionnaire voulait éviter de participer au processus d’enquête. Il a également demandé une semaine de congé annuel pour la naissance à venir de son enfant. Sa demande a été rejetée. Son enfant est né le 23 février 2011.

98 Le fonctionnaire a contesté la suspension pour une période indéterminée le 8 février 2011. Environ une semaine plus tard, l’employeur a reçu le rapport de M. Roussel. Sa décision de licencier le fonctionnaire cinq mois plus tard s’appuyait sur ce rapport.

99 L’employeur a fait valoir que ce grief était théorique, car il licenciait le fonctionnaire rétroactivement au 8 février 2011. Dans Basra 2014, l’arbitre de grief a accueilli la décision de l’employeur d’antidater le licenciement au début de la suspension en cours d’enquête. Elle a déclaré que l’employeur possédait ce pouvoir, car les faits sur lesquels le licenciement reposait existaient à la date à laquelle elle a choisi de donner effet au licenciement. Dans Brazeau, l’arbitre de grief a également accepté la décision de l’employeur d’antidater le licenciement. Elle était d’accord avec la décision de l’employeur selon laquelle le grief à l’encontre de la suspension était théorique. Dans Shaver, l’arbitre de grief a également conclu que le grief à l’encontre de la suspension en cours d’enquête était théorique, parce que l’employeur a décidé que le licenciement s’appliquait rétroactivement au premier jour de la suspension. L’arbitre de grief a noté que s’il n’y avait pas eu de motif valable d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire, il aurait eu le d’être dédommagée en entier, et ce, rétroactivement. Dans Bahniuk, l’arbitre de grief a également convenu de la décision de l’employeur selon laquelle le grief à l’encontre de la suspension était théorique. Il m’a renvoyé à Brazeau et Shaver.

100 L’employeur n’a fait aucun effort raisonnable pour obtenir le point de vue du fonctionnaire sur les raisons pour lesquelles son compte de courriel avait rétréci entre la fin de janvier et le début de février 2011. Il a simplement conclu que le fonctionnaire avait enfreint sa directive. L’employeur avait d’autres options pour retirer le fonctionnaire du lieu de travail. Il aurait pu accepter sa demande de congé. La réalité objective est que sa conjointe a accouché le 23 février 2011. Il ne l’a pas inventé. L’employeur aurait pu accepter ce congé après avoir obtenu un engagement écrit clair du fonctionnaire qu’il participerait au processus d’enquête pendant son congé, mais il n’a pas envisagé cette option.

101 Même si l’approche de l’employeur relativement à la suspension du 8 février 2011 est douteuse, la jurisprudence mentionnée précédemment m’amène à conclure que le grief sur la suspension est théorique parce que le licenciement a pris effet rétroactivement au premier jour de la suspension. En agissant comme il l’a fait, l’employeur a fait de la suspension en cours d’enquête et du licenciement une seule et unique mesure disciplinaire. Comme l’a déclaré l’arbitre de grief dans Shaver, j’ai le loisir d’annuler la suspension et le licenciement si je conclus qu’il n’existait pas de motif valable de prendre une mesure disciplinaire à l’encontre du fonctionnaire. J’aurais alors la capacité d’ordonner réparation rétroactivement au 8 février 2011. En ce sens, contrairement à ce qu’a prétendu le fonctionnaire, il n’est pas privé de son droit de faire valoir le grief à l’encontre de la suspension qu’il a déposé le 8 février 2011.

102 Je n’ai pas trouvé de jurisprudence sur la fonction publique fédérale à l’appui d’un argument selon lequel dans une affaire comme celle en l’espèce, l’employeur ne peut antidater le licenciement. Toutefois, cela ne signifie pas qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour examiner une telle suspension. De fait, les arbitres de grief possèdent ce pouvoir, car la période de suspension fait partie du licenciement.

C. La révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire

103 Selon la Loi, je n’ai pas compétence pour revoir une décision administrative rendue par l’employeur, par exemple la décision d’un employeur de révoquer la cote de fiabilité d’un employé. Je n’aurais pu avoir compétence sur cette question que si la révocation avait constitué une mesure disciplinaire déguisée. Par le passé, certains arbitres de grief se sont penchés sur la question de savoir si des employeurs ont agi suivant les règles d’équité procédurale au cours des processus d’enquête ayant mené à une telle révocation. Je dirais que cet examen serait pertinent seulement dans le contexte d’un argument portant sur des mesures disciplinaires déguisées. Dans les autres cas, je ne puis conclure qu’un arbitre de grief ait compétence pour examiner un processus administratif ayant mené à une décision sur laquelle il n’a pas compétence.

104 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur ne lui avait pas donné toutes les occasions de réagir à certains des renseignements qu’il avait à son sujet, plus précisément en ce qui concerne les résultats des entrevues menées par l’enquêteur avec Mme Stethem ou Mme Schubert. Le fonctionnaire a déclaré que c’était contraire à la politique de l’employeur. Toutefois, le fonctionnaire n’a pas présenté d’argument direct concernant le fait que cette omission avait eu lieu de mauvaise foi et qu’elle était liée de quelque manière que ce soit à une mesure disciplinaire. En outre, aucune preuve n’a été présentée appuyant l’allégation selon laquelle l’employeur désirait punir le fonctionnaire en omettant de le confronter aux résultats des entrevues de Mme Stethem et de Mme Schubert. Je ne vois pas de mauvaise foi dans cette omission. Compte tenu du fait que la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité était purement administrative et non disciplinaire, je conclus que je n’ai pas compétence pour l’examiner.

D. La suspension d’une journée

105 L’employeur a imposé une suspension d’une journée au fonctionnaire pour avoir pris un dîner prolongé le 22 décembre 2010. Selon M. Provencher, le fonctionnaire n’a jamais purgé cette suspension.

106 Le fonctionnaire a soutenu avoir pris une pause-dîner de 1,5 heure à l’extérieur de son bureau le 22 décembre 2010. Selon Mme Stethem, le fonctionnaire a été parti pendant 1,75 heure. Le fonctionnaire a affirmé qu’il disposait de 60 minutes pour dîner parce qu’il ne prenait pas de pauses-café. D’après l’employeur, le fonctionnaire avait 30 minutes pour dîner. En gardant ces chiffres à l’esprit, la version du fonctionnaire impliquerait qu’il était en retard de 30 minutes, et la version de l’employeur impliquerait que son retard était de 1,25 heure.

107 Par ailleurs, Mme Stethem a écrit à M. Provencher que le fonctionnaire avait pris 45 minutes supplémentaires pour dîner ce jour-là, et Mme Schubert a décidé de diminuer sa paie de 45 minutes en raison de son dîner prolongé du 22 décembre 2010. Le fonctionnaire n’a pas contesté le fait que sa paie a été réduite de 45 minutes plutôt que de 30 minutes, comme en fait foi son témoignage. Tous ces renseignements m’amènent à croire que le fonctionnaire était en retard de 45 minutes le 22 décembre 2010, et que l’employeur avait pour pratique de lui permettre de prendre habituellement une pause-repas d’une heure.

108 Peu importe la personne avec laquelle le fonctionnaire a dîné ce jour-là ou la question de savoir si le dîner avait été planifié. Je crois que l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle le service était très lent au restaurant par que le dîner avait eu lieu quelques jours avant Noël est vraie. C’est tout simplement logique. Dans ce contexte, j’en viens à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une inconduite de sa part. Il avait peu de contrôle sur son retour tardif de sa pause-repas d’une heure ce jour-là. L’employeur aurait pu demander au fonctionnaire de travailler 45 minutes de plus pour compenser le temps perdu. Il a choisi de diminuer sa paie. C’était son droit, mais je conclus qu’il était abusif d’infliger une suspension d’une journée en plus.

109 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

110 Le grief contestant le licenciement est rejeté.

111 Le grief contestant la suspension pour une période indéterminée est théorique.

112 Je n’ai pas compétence sur le grief portant sur la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

113 Le grief contestant la suspension d’une journée est accueilli.

114 J’ordonne la fermeture des dossiers de la CRTFP 566-02-6703 à 6706.

Le 6 juin 2014.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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