Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que le représentant de l’agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable - en2006, la plaignante a été victime de harcèlement, et le défendeur a été désigné pour la représenter devant l’employeur et la Commission canadienne des droits de la personne (la <<CCDP>>) - l’employeur a présenté ses excuses - les négociations ont donné lieu à une entente au sujet du lieu de travail de la plaignante, mais sa plainte devant la CCDP était toujours en instance - en2011, l’employeur a mis en place un programme de réaménagement des effectifs qui, selon la plaignante, était une mise en scène conçue pour se débarrasser d’elle - un collègue a fait valoir que le représentant de l’agent négociateur l’en avait informé, ce que le représentant a nié; les notes du représentant de l’agent négociateur portant sur les rencontres avec le collègue en question ne contiennent rien à ce sujet - la plaignante a déposé un grief alléguant que son licenciement n’était pas justifié et qu’il s’agissait de représailles à ses plaintes et griefs antérieurs - le défendeur l’a représentée et, à la suite du rejet de son grief lors de la procédure de règlement des griefs, le grief a été renvoyé à l’arbitrage afin d’être réglé dans le cadre d’une médiation - quand l’employeur a refusé de participer à la médiation, le grief a été retiré - la plaignante a aussi été informée que l’agent négociateur ne la représenterait pas devant la CCDP - elle s’est prévalue du processus d’appel interne de l’agent négociateur, sans succès, et a déposé la présente plainte - la formation de la Commission a conclu que le défendeur n’avait pas manqué à son devoir de représentation équitable - rien dans les éléments de preuve présentés n’a démontré que le défendeur n’appuyait pas le grief de la plaignante - le formation de la Commission a décidé que la preuve présentée par le collègue de la plaignante n’était pas raisonnable, selon la prépondérance des probabilités - les allégations relatives à la CCDP et au contenu d’un certain courriel ont été présentées au-delà de la limite de90jours applicable au dépôt d’une plainte - quoi qu&acute;il en soit, bien que le courriel ait révélé que le défendeur était frustré par la position inflexible de la plaignante en ce qui concerne sa réaffectation, il ne contient aucun élément à l’appui des affirmations de cette dernière selon lesquelles le défendeur n’avait pas été professionnel et avait agi à l’encontre de ses intérêts - en ce qui concerne le courriel envoyé à la CCDP, il ne s’agissait que d’une communication informant la CCDP que le défendeur avait recommandé à la plaignante d’accepter l’entente et établissant qu’il avait fait son travail - le défendeur n’a pas induit la CCDP en erreur - rien n’indique une collusion entre l’employeur et le défendeur. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-05-23
  • Dossier:  561-09-550
  • Référence:  2014 CRTFP 56

Devant une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

SUZHEN CHEN

plaignante

et

PIERRE OUELLET

défendeur

Répertorié
Chen c. Ouellet


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
George Filliter, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Elle-même
Pour le défendeur:
Martin Ranger, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 28 et 29 avril 2014; arguments écrits déposés les 14 et 23 mars et les 7, 15, 16 et 30 mai 2012, ainsi que le 27 août, le 26 septembre et le 7 octobre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte déposée devant la Commission

1 Le 27 février 2012, Suzhen Chen (la « plaignante ») a déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») contre Pierre Ouellet (le « défendeur »), un représentant de son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). Elle allègue dans sa plainte que le défendeur ne l’a pas représentée de manière équitable.

II. Sommaire de la procédure

2 Les parties ont entamé la procédure au moyen d’arguments écrits.

3 Le 23 mars 2012, la plaignante a présenté son argumentation, laquelle incluait sa réplique à la réponse du défendeur ainsi que les motifs justifiant sa demande pour la tenue d’une audience.

4 Le 23 avril 2012, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a demandé aux parties de lui présenter des arguments sur la question de la tenue d’une audience. La plaignante n’a pas présenté d’autres arguments écrits; le défendeur a déposé son argumentation le 7 mai 2012.

5 Le 15 mai 2012, la plaignante a soulevé que le défendeur, dans sa réponse du 7 mai 2012, avait fait de fausses déclarations et que cela justifiait la tenue d’une audience. Le défendeur a fortement contesté ces commentaires dans une lettre datée du 16 mai 2012.

6 La Commission a demandé à la plaignante d’indiquer quelles étaient les fausses déclarations faites par le défendeur. Le 30 mai 2012, la plaignante a envoyé une lettre à la Commission. Dans cette lettre, il est souligné que la plaignante n’a relevé qu’une seule erreur et que celle-ci portait sur les personnes présentes à une réunion qui a eu lieu le 11 janvier 2012.

7 Le défendeur a immédiatement répliqué en affirmant que la question de savoir qui avait assisté à cette réunion n’était pas pertinente. Ce qu’il était pertinent de savoir, c’était que la réunion avait bien eu lieu et qu’elle avait pour but de discuter de la procédure interne d’appel de l’agent négociateur. La plaignante s’est opposée à cette affirmation dans une lettre datée du 6 juin 2012.

8 Le 26 juin 2012, la Commission a écrit aux parties et a demandé à la plaignante de lui fournir les documents suivants au plus tard le 17 juillet 2012 :

[Traduction]

Après avoir pris connaissance des arguments déjà présentés par les parties, le commissaire saisi de cette affaire a demandé à recevoir d’autres arguments écrits de la part des deux parties en ce qui a trait à l’allégation de la plaignante selon laquelle le CNRC a abusé de la procédure relative au réaménagement des effectifs. Le commissaire a demandé que les arguments de la plaignante contiennent les éléments suivants :

1-       un exposé sommaire des faits qu’elle a l’intention de démontrer en ce qui a trait à son allégation,

2-       un exposé sommaire de la preuve qu’elle a l’intention de présenter, notamment un sommaire des témoignages des témoins qu’elle a l’intention de citer à comparaître,

3-       un exposé sommaire visant à expliquer en quoi ces faits constituent un manquement au devoir de représentation équitable du syndicat.

9 Le 4 juillet 2012, la plaignante a demandé une prorogation du délai pour présenter ses arguments. Dans une lettre datée du 12 juillet 2012, j’ai accepté de donner à la plaignante jusqu’au 13 août 2012 pour la présentation de ses arguments.

10 En plus de cette demande de prorogation, et malgré l’opposition du défendeur, j’ai accordé d’autres prorogations de délai à la plaignante. Initialement, le délai avait été fixé au 24 septembre 2012. Il a ensuite été prorogé au 24 octobre 2012 puis, à la suite d’une demande de la plaignante en ce sens, il a de nouveau été prorogé, et ce, au 30 août 2013.

11 La plaignante a présenté son argumentation écrite le 27 août 2013. Le défendeur a présenté son argumentation le 26 septembre 2013. La plaignante a ensuite déposé sa réplique finale le 7 octobre 2013.

12 En examinant les arguments reçus, j’ai constaté que la plaignante avait fourni une déclaration de Joan Boulanger au sujet d’une conversation qu’il avait eue avec le défendeur et dont le contenu semblait pertinent en l’espèce. Par conséquent, j’ai ordonné la tenue d’une audience dans le cadre de cette affaire pour permettre à la plaignante de citer M. Boulanger à témoigner, et au défendeur d’y répondre. Cette audience s’est tenue à Ottawa (Ontario), les 28 et 29 avril 2014.

III. Preuve des conversations tenues entre M. Boulanger et le défendeur

13 M. Boulanger était un collègue de la plaignante au Conseil national de recherches du Canada (l’« employeur »). En juin 2011, l’employeur a mis en place un programme de réaménagement des effectifs qui a eu une incidence sur M. Boulanger et la plaignante.

14 Comme il a déjà été mentionné, M. Boulanger a préparé une déclaration qu’il a signée le 22 juillet 2012 et qui portait sur deux réunions qu’il a eues avec le défendeur. Cette déclaration était jointe au mémoire présenté par la plaignante, et il est devenu évident que les propos qu’auraient tenus le défendeur lors de ces réunions, tels que M. Boulanger les a rapportés, pouvaient s’avérer pertinents dans le dossier dont je suis saisi. Par conséquent, j’ai ordonné la tenue d’une audience pour découvrir ce qui s’est véritablement passé lors de ces réunions.

15 La Commission a tenu une audience les 28 et 29 avril 2014. J’ai entendu les témoignages de M. Boulanger et du défendeur.

16 La déclaration de M. Boulanger a été déposée en preuve. Selon son témoignage, il est bien l’auteur de ce document, de même que d’un autre document dont il a fait mention dans son témoignage et qui n’a pas été déposé en preuve; il les a toutefois complétés après avoir consulté la plaignante.

17 Il est toutefois certain que M. Boulanger a rencontré le défendeur les 4 et 8 août 2011 pour discuter du réaménagement des effectifs. Qui plus est, même si la déclaration de M. Boulanger n’y fait pas allusion, il y a eu au moins deux, sinon trois, conversations téléphoniques entre le défendeur et lui à l’époque.

18 Je reconnais que M. Boulanger est un scientifique respecté, titulaire d’un doctorat en mécanique des fluides, qui lui a été décerné par une université de France en 2002.

19 L’essence du témoignage de M. Boulanger était que le défendeur lui avait dit qu’il avait été informé par le directeur général de l’employeur que l’objectif du réaménagement des effectifs était [traduction] « de se débarrasser de Suzhen Chen ».

20 En outre, M. Boulanger a conclu que ses conversations avec le défendeur lui avaient permis de [traduction] « […] découvrir que le syndicat avait choisi de prendre part aux représailles contre Mme Chen, plutôt que de lui venir en aide à titre de membre et que, par conséquent, le syndicat accordait du crédit à ce faux programme de réaménagement des effectifs dont il était, de l’avis de ce même syndicat, lui-même victime ».

21 Pierre Ouellet est un agent des relations de travail (ART) de l’agent négociateur. Il occupe ce poste depuis 2007. Il possède une expérience de près de 20 ans à ce titre, qu’il a acquise en occupant des postes similaires au sein d’autres syndicats.

22 Le défendeur a reconnu avoir rencontré M. Boulanger les 4 et 8 août 2011 et avoir eu deux ou trois conversations téléphoniques avec lui à cette même époque. Le souvenir du défendeur relativement à ces discussions est fondamentalement différent de celui de M. Boulanger. Le défendeur a déclaré d’emblée que le directeur général de l’employeur n’avait jamais laissé entendre que le réaménagement des effectifs visait à se débarrasser de la plaignante.

23 Le défendeur a également affirmé qu’il n’avait jamais laissé entendre à M. Boulanger que le réaménagement des effectifs était un prétexte pour se débarrasser de la plaignante.

24 À l’appui de son témoignage, le défendeur a produit les notes de ses deux conversations avec M. Boulanger. Il a souligné que les notes avaient été prises dans l’heure suivant ces réunions.

IV. Faits pertinents

25 La plaignante travaillait pour l’employeur. En 2006, elle a été victime de harcèlement.

26 Bien que l’employeur ait émis une excuse le 20 septembre 2006, la plaignante a continué à exprimer son insatisfaction quant à la réponse de l’employeur à son problème de harcèlement. Quoi qu’il en soit, elle toutefois accepté de travailler dans un autre laboratoire, soit le laboratoire des turbines à gaz (le « LTG »).

27 Le 19 décembre 2008, un membre de la direction a envoyé à d’autres membres de l’équipe un courriel interne au sujet de la plaignante. Voici un extrait de ce courriel :

[Traduction]

[…] Oui, c’est ce que nous avons offert! La formulation ne correspond pas à la terminologie exacte des ressources humaines, mais cela revient au même.

J’ai fait le tour de la question avec Pierre, son représentant de l’IPFPC. Il a été surpris de voir qu’elle avait apporté ce changement à la formulation qu’elle avait initialement utilisée dans sa lettre à votre intention. Il a toutefois indiqué qu’elle était inflexible et qu’elle n’accepterait pas d’affectation ([traduction]« mutation temporaire » ne peut que vouloir dire une affectation!). Pierre m’a dit que plus il discutait de la question avec elle, plus elle devenait incohérente et plus elle était à court d’arguments pour ne pas signer l’entente. La frustration de Pierre était évidente.

C’est à ce moment-là que je lui ai expliqué qu’il était très probable que la direction décide tout simplement qu’elle devrait exécuter le travail pour lequel elle a été mutée du LA, soit son travail avec Lelyong, pour le groupe de Lelyong, et que Benner fasse simplement faire son travail ailleurs. Je pense que c’est l’option à privilégier, surtout que Pierre m’a dit que si la direction caressait l’idée de voir Suzhen exécuter le travail de Benner au sein du groupe de Lelyong, elle avait l’intention de [traduction] « négocier » le plan de travail préparé par Mike. Je me suis montré ferme et je lui ai répondu que le plan de travail était non négociable parce que Benner avait ses propres échéances à respecter. Pierre a ajouté que c’est ce qu’il avait compris de la discussion tenue lors de notre réunion, mais que, pour une raison inconnue, Suzhen avait une autre idée en tête.

28 En novembre 2009, la plaignante a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »).

29 À force de négociations, une entente a été conclue. Pendant les négociations, le défendeur a envoyé à l’employeur un courriel dans lequel il affirme ce qui suit :

[Traduction]

Benoit,

C’était le système (encore…). Tout est de retour à la normale maintenant.

Je viens tout juste d’envoyer une copie de l’entente proposée à Suzhen. Je lui ai vivement conseillé d’accepter les modalités de celle-ci. Je lui ai demandé de m’appeler demain matin pour me faire savoir si l’entente lui convient ou non.

30 Le réaménagement des effectifs effectué en juin 2011 a entraîné la suppression de plusieurs postes, dont celui de la plaignante.

31 Le 8 juillet 2011, la plaignante a présenté un grief contre son employeur, alléguant avoir fait l’objet d’un licenciement qui n’était pas motivé en raison de ses [traduction] « plaintes et griefs passés ».

32 Une audience relative au grief a eu lieu le 28 juillet 2011. La plaignante était représentée par le défendeur. Le jour de l’audience, le défendeur a envoyé à l’employeur un courriel qui était ainsi rédigé :

[Traduction]

Je voulais seulement vous informer que je ferai l’essentiel de la présentation cet après-midi. Je lirai les notes que Suzhen a préparées. Si vous avez des questions à propos de ce que dira Jamie Eddy, n’hésitez pas à demander à Suzhen.

Ne m’en tenez pas rigueur; je ne fais que transmettre le message […]

33 L’employeur a rejeté le grief en août 2011.

34 Le défendeur a écrit à la plaignante le 1er septembre 2011 et il a accepté de renvoyer le grief à l’arbitrage. Voici un extrait de sa lettre à la plaignante :

[Traduction]

Veuillez apposer votre signature au bas de la deuxième page et me retourner le document dès que possible.

Veuillez prendre note que, bien que je recommande à la Commission d’instruire votre affaire dans l’intention d’arriver à un règlement lors de la médiation, la décision d’instruire l’affaire pourrait être réévaluée une fois que l’employeur aura communiqué tous les renseignements pertinents en l’espèce.

35 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 24 septembre 2011.

36 Le 29 novembre 2011, la CCDP a rédigé un rapport dans lequel elle présentait les conclusions de l’enquête et elle en a fourni copie à la plaignante.

37 L’employeur a fait savoir à l’agent négociateur qu’il ne participerait pas à la médiation, et M. Ouellet a retiré son appui au grief. Le 16 décembre 2011, il a expliqué sa décision à la plaignante en ces termes :

[Traduction]

Je vous écris à la suite de notre réunion du 9 décembre 2011 pour vous informer de ma décision de recommander l’abandon de votre représentation en ce qui concerne le grief que vous avez présenté le 8 juillet 2011 et qui a été renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 8 septembre 2011.

Comme nous en avons discuté lors de la réunion susmentionnée, et comme il vous a déjà été expliqué par écrit, j’ai examiné attentivement votre dossier et j’en suis venu à la conclusion que la décision du CNRC de mettre fin à votre emploi à l’IRA-CNRC, décision prise dans le cadre du réaménagement des effectifs de juin 2011, peut difficilement être interprétée comme une mesure de représailles à votre endroit motivée par vos plaintes et griefs passés. En tout, sept (7) AR et ACR occupant un poste pour une période indéterminée ont perdu leur emploi; vous en faites évidemment partie.

Le 1er septembre 2011, je vous ai envoyé un courriel dans lequel je vous informais de ce qui suit : « bien que je recommande à la Commission d’instruire votre affaire dans l’intention d’arriver à un règlement lors de la médiation, la décision d’instruire l’affaire pourrait être réévaluée une fois que l’employeur aura communiqué tous les renseignements pertinents en l’espèce ».

Suivant mon courriel du 1er septembre, nous avons reçu le 28 septembre une note de service du CNRC à l’intention de la Commission dans laquelle le CNRC indiquait qu’il ne souhaitait pas participer à la médiation. Cette information a été confirmée par la Commission le 4 octobre.

Récemment, j’ai aussi reçu la liste des 45 postes pour lesquels vous avez été évaluée alors que vous étiez sur la liste de priorité. Parmi ces 45 postes, 1 ne vous intéressait pas, 8 n’ont pas été dotés, et les 36 autres ne convenaient pas parce que vous n’avez pas passé l’étape de la présélection (en raison des critères relatifs aux exigences linguistiques dans 4 cas, aux études dans 13 cas, et à l’expérience dans 19 cas).

Dans le cadre de nos discussions, vous avez exprimé des doutes quant à la façon dont le CNRC a mis en œuvre la politique sur le réaménagement des effectifs. Je ne suis pas en total désaccord avec vous. Toutefois, comme je vous l’ai indiqué, nous avons contesté les décisions prises par le CNRC lors du réaménagement des effectifs en 2007, et nous avons connu un succès limité. Je vous renvoie à Powell c. Conseil national de recherches du Canada, 2010 CRTFP 25, que vous devriez consulter pour comprendre comment l’arbitre de grief a conclu que, malgré les problèmes relatifs à la mise en œuvre de la politique sur le réaménagement des effectifs, « [il ne savait] pas avec certitude si le résultat ultime aurait été différent pour le fonctionnaire si l’employeur l’avait informé en tout temps des postes disponibles ». Comme il est peu probable qu’un poste vous aurait été offert même si le CNRC vous avait adéquatement informée en tout temps des postes disponibles, et à la lumière du document reçu indiquant que vous avez été évaluée au regard des postes disponibles, je ne peux que conclure que le fait que le CNRC ne vous a pas tenue informée des postes disponibles n’a eu aucune incidence sur le résultat ultime.

J’ai aussi examiné attentivement vos plaintes et griefs passés visant des gestionnaires du CNRC et de l’IRA, et j’ai tenu compte de la plainte en instance que vous avez déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne. Il s’agissait de recours distincts qui ont été réglés au moyen des mécanismes adéquats. Je crois comprendre que la plainte que vous avez déposée devant la CCDP fait toujours l’objet d’une enquête à l’heure actuelle. L’Institut continuera de vous représenter si vous le désirez.

Lors de notre réunion du 9 décembre 2011, je vous ai remis une copie de la politique sur le règlement des différends dans le cadre des questions de relations de travail internes. Je vous rappelle que vous avez le droit de demander le réexamen de ma décision en vertu de cette politique. Si tel est votre désir, veuillez envoyer votre justification et tout document à l’appui à Joanne Harvey, Chef des services de représentation régionale, à jharvey@pipsc.ca. Veuillez présenter vos documents d’ici au vendredi 27 janvier 2012.

38 Le 11 janvier 2012, la plaignante a rencontré Joanne Harvey, représentante de l’agent négociateur. Après la rencontre, la plaignante a envoyé un courriel à Mme Harvey pour lui indiquer qu’elle croyait que M. Ouellet avait fait des déclarations fausses et incohérentes et que, par conséquent, elle n’avait plus confiance en lui. Elle a précisément demandé à Mme Harvey de ne communiquer aucun renseignement au défendeur.

39 La procédure d’appel interne a débuté le 13 janvier 2012, lorsque la plaignante a envoyé une lettre au défendeur, dans laquelle elle a soulevé cinq points. En résumé, la plaignante a fait valoir que l’agent négociateur n’avait aucun motif justifiant son [traduction] « changement de position » en ce qui concerne son allégation voulant que son licenciement constitue un acte de représailles. Elle a ajouté que le refus de l’employeur de participer à la médiation ne justifiait aucunement la décision de l’agent négociateur de retirer son appui. Elle a aussi mentionné que deux postes pour lesquels elle croyait être qualifiée ne figuraient pas dans la liste des postes à pourvoir. En outre, elle a soutenu que certains textes de jurisprudence qui avaient été cités et qu’elle jugeait non pertinents ne constituaient pas une raison valable pour que l’agent négociateur retire son appui. Enfin, elle a souligné que le défendeur avait accepté de soumettre la question à l’arbitrage.

40 Le 25 janvier 2012, la plaignante a envoyé une lettre à Mme Harvey. Dans cette lettre, la plaignante a décrit ce qui, selon elle, constituait la raison d’être de son grief. Elle a indiqué que l’employeur avait contrevenu à la politique de RE, qu’elle avait été licenciée alors qu’elle était blessée, et que son licenciement constituait un acte de représailles. Elle a ajouté que le défendeur avait eu tort de ne pas accepter son allégation voulant que son licenciement constitue un acte de représailles. En outre, elle a avancé que le fait que l’employeur ait refusé de participer à la médiation ne constituait pas un motif justifiant le changement de position de M. Ouellet de ne plus la représenter. Elle a aussi soutenu que la conclusion de l’employeur, selon laquelle elle ne possédait pas les qualifications nécessaires pour certains postes, était erronée. Encore une fois, elle a contesté certains textes de jurisprudence, et elle a finalement conclu en faisant valoir que M. Ouellet aurait dû l’aviser de sa décision avant de soumettre la question à l’arbitrage.

41 Le 2 février 2012, la plaignante a fait parvenir une autre lettre à Mme Harvey, à titre de supplément à la lettre précédente.

42 Le 9 février 2012, Mme Harvey a répondu à la plaignante de la manière suivante :

[Traduction]

Je réponds à votre lettre concernant votre demande de réexamen de la recommandation d’un ART de se retirer de la représentation d’un dossier devant la Commission, recommandation qui a été formulée le 23 décembre 2011.

En juin 2011, dans le cadre d’un RE à l’IRA-CNRC, le Conseil national de recherches vous a avisée que votre emploi prendrait fin le 3 août 2011. Le grief suivant a été présenté le 8 juillet 2011 :

Je conteste la décision du Conseil national de recherches de mettre fin à mon emploi, comme l’a annoncé l’Institut de recherche aérospatiale le 7 juin 2011. Je dépose un grief à l’encontre de cette décision, car j’estime qu’elle constitue un acte de représailles contre les plaintes et les griefs que j’ai présentés par le passé, ainsi que d’autres questions liées aux relations de travail.

L’employeur a rejeté votre grief le 15 août 2011. Afin de respecter le délai établi, le syndicat a soumis le grief à l’arbitrage le 2 septembre 2011. L’ART vous a avisée que cette démarche avait pour seul objet de soumettre la question à la médiation. Le 28 septembre 2011, l’employeur a refusé de participer à la médiation; en conséquence, l’ART a recommandé que nous cessions de vous représenter dans le cadre de ce grief et a renvoyé la question à l’arbitrage le 8 septembre 2011.

Dans votre demande de réexamen du 25 janvier 2012, vous avez énuméré les préoccupations suivantes : directives de travail, description de travail et période de présentation de candidature. En outre, vous faites valoir que l’ART a appuyé votre grief étant donné qu’il l’a signé, qu’il vous a représentée à l’audience du grief et qu’il a présenté le grief à la Commission. Enfin, vous avancez que le simple fait que l’employeur ait refusé de participer à la médiation ne devrait pas empêcher le syndicat de vous représenter devant la Commission.

J’estime qu’il n’y a aucune raison valable de soumettre cette question à l’arbitrage. Aucun élément de preuve important ne permet d’appuyer votre allégation selon laquelle l’exercice de RE était un [traduction] « prétexte » ou un acte de représailles parce que vous aviez présenté des griefs et des plaintes contre l’employeur. Par conséquent, j’approuve la recommandation formulée par l’ART le 23 décembre 2011.

Si vous contestez cette recommandation, vous avez le droit, en vertu de la politique sur le règlement des différends dans le cadre des questions de relations de travail internes de l’IPFPC (13 mai 1999), de présenter à notre avocate générale une demande visant le réexamen de ma recommandation. Le cas échéant, vous devrez présenter votre demande d’appel à Isabelle Roy, avocate générale, à l’adresse iroy@pipsc.ca, au plus tard le 16 février 2012, faute de quoi cette question sera considérée comme réglée, et la Commission en sera avisée.

43 La dernière étape de la procédure d’appel a été lancée le 15 février 2012, lorsque la plaignante a envoyé une lettre à Isabelle Roy, avocate générale de l’agent négociateur. Dans cette lettre, elle réitérait essentiellement ce qu’elle avait mentionné dans la communication précédente.

44 Après avoir reçu de la plaignante une copie du rapport de la CCDP, Mme Harvey lui a envoyé une lettre à ce sujet le 16 février 2012. Dans sa lettre, elle abordait précisément les préoccupations de la plaignante concernant le rapport de l’enquêteur de la CCDP, lequel soulignait notamment que le défendeur avait participé à une réunion et fait certaines déclarations.

45 La plaignante a fait valoir que M. Ouellet était à l’origine de cette fausse déclaration qui avait, au bout du compte, eu une incidence sur la conclusion que la CCDP avait tirée. Mme Harvey a nié les allégations de la plaignante, a analysé les conclusions de la CCDP, a constaté que la plaignante avait dissimulé pendant un an le rapport au défendeur et a confirmé à la plaignante que l’agent négociateur ne la représenterait plus relativement à sa plainte.

46 Dans sa lettre, Mme Harvey a souligné que la plaignante lui avait demandé de ne plus communiquer avec le défendeur parce qu’elle n’avait plus confiance en lui. Par conséquent, M. Ouellet n’était pas au fait des déclarations de l’enquêteur de la CCDP et ne pouvait pas les corriger.

47 Il est indiqué dans toutes les lettres d’appel présentées par la plaignante auprès de l’agent négociateur que ce dernier n’avait aucune raison valable de retirer son appui concernant le grief, et que l’employeur avait contrevenu à la politique de RE et pris des mesures de représailles contre elle parce qu’elle avait déjà présenté une plainte de harcèlement.  

48 Avant de recevoir la décision définitive de Mme Roy, la plaignante a présenté, le 27 février 2012, la plainte qui fait l’objet de la présente décision.  

49 Il est utile de reproduire en entier cette plainte, qui est exposée ci-après : 

[Traduction]

1. Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a mis fin à mon emploi le 3 août 2011. Bon nombre des pratiques du CNRC allaient à l’encontre de la politique de réaménagement des effectifs (RE). Le 8 juillet 2011, M. Ouellet, mon représentant syndical, a présenté en mon nom un grief à l’encontre de mes gestionnaires et a ensuite soumis la question (dossier 566-09-5859) à la Commission des relations de travail de la fonction publique (la Commission) le 2 septembre 2011, après que le CNRC eut rejeté mon grief.

Cependant, le 23 décembre 2011, M. Ouellet a décidé, sans motif valable, de retirer ma plainte. Dans sa lettre, il a indiqué clairement qu’il était prêt à continuer de me représenter dans cette affaire devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Toutefois, à ce moment-là, M. Ouellet avait déjà formulé à la CCDP bon nombre de commentaires faux et incohérents au profit de mon employeur.

Je crois que M. Ouellet ne m’a pas représentée équitablement tout au long de la procédure et qu’il a agi de façon arbitraire et de mauvaise foi. 

2. Mon employeur a conclu le dossier de harcèlement en 2006. Les allégations de harcèlement étaient fondées. Toutefois, au lieu que la personne à l’origine du harcèlement soit déplacée, c’est moi, la victime dans cette affaire, qui ai été mutée au Laboratoire de turbine à gaz en 2007. Depuis, M. Ouellet est mon représentant syndical. Malheureusement, j’ai encore une fois été victime de harcèlement de la part des gestionnaires de ce nouveau laboratoire.

Le 27 novembre 2009, j’ai dû présenter une plainte contre mes nouveaux gestionnaires devant la CCDP. M. Ouellet a consenti à me représenter dans le cadre de cette plainte. Il a aussi examiné et approuvé l’argumentation liée à ma plainte.

Cependant, à l’automne 2011, pendant le processus d’enquête, M. Ouellet a fourni de façon irresponsable de faux renseignements à l’enquêteur. En outre, certains des commentaires qu’il a formulés ne concordaient pas avec l’information et les conseils qu’il m’avait donnés. Nombre de ces commentaires étaient arbitraires et délibérément en faveur des défendeurs, et ils n’étaient aucunement fondés.

Qui plus est, après avoir formulé tous ces commentaires, il m’a tout de même informée le 23 décembre 2011 qu’il était prêt à continuer de me représenter dans le cadre de ma plainte devant la CCDP.

Je crois que M. Ouellet ne m’a pas représentée équitablement en ce qui concerne ma plainte devant la CCDP et qu’il a agi de mauvaise foi dans le but que ma plainte se termine par un échec.

[les passages en évidence le sont dans l’original]

50 Mme Roy a répondu à la demande d’appel de la plaignante le 9 mars 2012. Dans cette lettre, Mme Roy a exposé les raisons pour lesquelles le défendeur et l’agent négociateur n’appuyaient pas le grief de la plaignante, et elle a examiné le motif de l’agent négociateur pour ne pas appuyer la plaignante dans le cadre de sa plainte à la CCDP.  

51 L’agent négociateur a par la suite répondu à la plaignante le 14 mars 2012. L’avocat du défendeur a exposé le motif du grief et de la plainte devant la CCDP et il a contesté la plainte. À ce sujet, l’avocat du défendeur nous a renvoyé à la procédure d’appel interne à laquelle l’agent négociateur a eu recours pour accompagner la plaignante.

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

52 La plaignante s’est fortement appuyée sur le courriel que le défendeur a envoyé le jour de l’audience du grief, soit le 28 juillet 2011. Elle a soutenu que ce courriel laissait entendre à l’employeur que l’agent négociateur n’appuyait pas son grief.

53 Plus précisément, la plaignante a avancé que son employeur et le défendeur étaient de connivence, et que ce dernier avait manipulé la procédure de façon à lui nuire. Ainsi, la plaignante a fait valoir que M. Ouellet avait [traduction] « […] trahi la confiance qu’elle lui accordait à titre de représentant syndical », qu’il avait agi [traduction] « de mauvaise foi » et qu’il avait [traduction] « […] contrevenu à l’obligation du syndicat de représenter ses membres ».

54 En deuxième lieu, la plaignante a fait valoir que M. Ouellet avait [traduction] « […] délibérément agi en qualité d’agent du CNRC en manipulant la procédure au profit de ce dernier et [l’]avait empêchée de révéler le scandale à la Commission ». À l’appui de cet argument, la plaignante m’a renvoyé à la déclaration écrite de M. Boulanger, datée du 22 juillet 2012. La déclaration de M. Boulanger  est jointe à la demande.

55 En troisième lieu, la plaignante a affirmé que le défendeur [traduction] « […] [l’]avait délibérément mis[e] dans une position de négociation très difficile pendant le processus de médiation et avait déchargé le CNRC de son obligation de discuter des modalités ». Elle a également fait valoir que le défendeur avait agi de façon non professionnelle et avait [traduction] « […] éliminé toute possibilité pour le CNRC et [elle] de collaborer en vue de trouver une solution raisonnable ». À l’appui de cette allégation, la plaignante a fait référence au courriel échangé entre les membres de la direction, daté du 19 décembre 2008, et dont il est fait mention au paragraphe 34 de la présente décision.

56 La plaignante s’est aussi appuyée sur un courriel que le défendeur a envoyé à l’employeur le 18 février 2010. Elle a soutenu que les propos de M. Ouellet démontraient qu’il n’agissait pas dans le meilleur de ses intérêts.

57 Finalement et en quatrième lieu, la plaignante a déclaré que le défendeur ne l’avait pas représentée de façon équitable devant le CNRC et qu’il avait [traduction] « […] délibérément fourni de faux renseignements à l’enquêteur à l’appui du dossier du CNRC ». Elle a également mentionné que [traduction] « […] le défendeur et le CNRC avaient agi de connivence pour que la procédure de règlement de [sa] plainte devant le CNRC et de [son] grief lié au faux processus de RE échouent ».

58 La plaignante a étayé cette allégation en me renvoyant à une partie du rapport d’enquête du CNRC, dans lequel l’auteur a indiqué que le défendeur avait participé à une réunion le 13 janvier 2009, alors que ce n’était pas le cas; la réunion aurait eu lieu à un autre moment

59 En résumé, la plaignante reproche au défendeur ce qui suit :

  1. Il a agi pour le compte de l’employeur et non pour le sien au cours de la procédure de règlement de sa plainte contre le RE;
  2. Il a divulgué des renseignements qui n’auraient pas dû l’être pendant son processus de médiation avec l’employeur en 2008;
  3. Il a délibérément fourni de faux renseignements à l’enquêteur chargé de sa plainte liée aux droits de la personne;
  4. Il s’est servi de sa position à titre de représentant de l’agent négociateur pour l’empêcher de révéler que l’employeur avait utilisé le RE de façon abusive;
  5. Il savait que la direction de l’Institut de recherche aérospatiale (l’employeur) avait préparé un faux processus de RE, et il a contribué à le dissimuler;
  6. Il a comploté avec l’employeur en manipulant d’une manière inappropriée la procédure de règlement relative à ses griefs et à ses plaintes.

B. Pour le défendeur

60 Le défendeur a fait valoir que la plaignante avait choisi de travailler au Laboratoire des turbines à gaz, et qu’elle était au courant qu’elle aurait été licenciée si elle n’avait pas fait ce choix.    

61 En ce qui concerne la plainte présentée à la CCDP, le défendeur a reconnu que la plaignante avait eu des démêlés avec son superviseur. Il a toutefois souligné qu’à la suite d’une enquête, il avait été établi que sa plainte était sans fondement.

62 La plaignante faisait partie des 14 employés touchés par le réaménagement des effectifs. Aucun élément de preuve n’étaye l’allégation selon laquelle M. Ouellet a conspiré avec l’employeur.  

63 Quant aux allégations relatives au réaménagement des effectifs, le défendeur a affirmé que dans son courriel du 28 juillet 2011, il n’avait rien voulu insinuer; il informait simplement l’employeur du déroulement de la procédure de grief.   

64 De même, le défendeur a déclaré que le réaménagement des effectifs ne constituait pas un acte de représailles à l’endroit de la plaignante, et il a nié s’être fait l’agent de l’employeur. Il a affirmé au contraire avoir agi en tout temps au mieux des intérêts de la plaignante.   

65 En ce qui a trait à la déclaration du collègue de la plaignante, le défendeur a nié ces allégations et a souligné le fait que cette personne est un collègue qui a présenté ses observations personnelles.   

66 Pour ce qui est des communications entre M. Ouellet et l’employeur, le défendeur a affirmé qu’il s’agissait d’une preuve qu’il tentait d’obtenir la meilleure issue possible pour la plaignante. Par ailleurs, la plaignante devait le savoir, puisqu’elle avait été conseillée par M. Ouellet tout au long du processus. Selon le défendeur, après avoir représenté la plaignante, il a obtenu une offre favorable, qu’il a recommandée à la plaignante d’accepter.

67 La plaignante s’est prévalue du processus d’appel interne afin de contester la décision du défendeur de ne pas donner suite à son grief. Les motifs fournis à l’appui du rejet de son appel étaient complets, et le défendeur a fait valoir que rien ne démontrait qu’il y avait eu manquement au devoir de représentation équitable.  

68 Le défendeur a expliqué qu’il n’était pas tenu de représenter un membre devant la CCDP. Par conséquent, il a souligné que la seule question à trancher était celle de déterminer si la décision de retirer l’appui au grief de la plaignante constituait un manquement au devoir de représentation équitable.

69 Le défendeur m’a renvoyé à une décision de la Cour suprême du Canada qui, à son avis, appuie la proposition selon laquelle un syndicat est seulement tenu de démontrer qu’il a examiné les circonstances entourant le grief, examiné son bien-fondé et décidé en toute connaissance de cause s’il y a lieu de donner suite à l’affaire (Guilde de la marine marchande c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509).

VI. Analyse

70 La présente décision porte exclusivement sur la question de savoir si le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable. Elle ne touche pas aux actes des défendeurs précédant le moment où les délais prescrits par la Loi ont commencé à courir.  

71 L’article 190 de la Loi décrit le processus de plainte à la Commission :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

 (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

72 L’article 185 de la Loi confirme qu’une violation de l’article 187 par l’agent négociateur constitue un manquement à son devoir de représentation équitable.  

73 L’article 187 de la Loi est ainsi libellé :

74 Il n’est pas contesté qu’il incombe à la plaignante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable (Ouellet c. Luce St-Georges et l’Alliance de la Fonction publique Canada, 2009 CRTFP 107).

75 Dans une décision plus récente, la Commission a conclu que pour établir qu’il y a eu violation de l’article 187 de la Loi, le plaignant devait d’abord démontrer que l’action ou l’inaction présumée était « […] arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi » (Jackson c. Syndicat des douanes et de l’immigration et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 31).

76 Enfin, la portée du devoir de représentation équitable s’étend uniquement aux questions découlant de la Loi ou de la convention collective pertinente (Brown c. Syndicat des employés du Solliciteur général et Edmunds, 2013 CRTFP 48, et Elliot c. Guilde de la marine marchande du Canada et al., 2008 CRTFP 3).

77 Après avoir examiné l’ensemble des observations, j’estime que la plaignante n’a pas démontré que M. Ouellet avait manqué à son devoir de représentation équitable.  

78 Permettez-moi de préciser ma pensée.

79 Le premier argument de la plaignante est que, à son avis, le courriel envoyé par le défendeur à l’employeur le 28 juillet 2011, soit la date de l’audience du grief, [traduction] « était porteur d’un message ». Je ne peux souscrire à cette affirmation. À première vue, le défendeur ne faisait qu’indiquer ses attentes quant au déroulement du processus, dont une occasion pour l’employeur de questionner le plaignant directement.  

80 Malgré la position de la plaignante selon laquelle la conclusion, [traduction] « Ne tirez pas sur le messager! » envoyait un message à l’employeur, c’est-à-dire que l’agent négociateur n’appuyait son grief, je ne suis pas de cet avis. L’auteur regrette certainement d’avoir choisi ces mots mais, à première vue, ceux-ci ne démontrent rien. Au mieux, ils pourraient laisser entendre que le défendeur suggérait un processus qui ne plaisait pas à l’employeur. Il n’y a rien d’autre à en déduire.

81 Le deuxième argument de la plaignante est que le défendeur a manipulé le processus de réaménagement des effectifs avec l’employeur, probablement pour la retirer des effectifs. À l’appui de cette allégation, la plaignante a produit une déclaration de M. Boulanger datée du 22 juillet 2012.  

82 À cet égard, j’ai entendu un témoignage concernant cette déclaration et j’ai conclu, selon la prépondérance de la preuve et des probabilités, que celle-ci n’était pas raisonnable. J’aborderai de nouveau cette question plus loin dans cette décision.  

83 Le troisième argument de la plaignante est que le défendeur l’a mise dans une fâcheuse position pour négocier. L’examen approfondi de cet argument indique que celui-ci porte sur un processus qui a précédé le dépôt de la présente plainte de plus de 90 jours, ce qui constitue le délai maximal permis. Le processus de médiation auquel elle fait référence était lié à sa plainte à la CCDP et s’est déroulé bien avant le dépôt de la présente plainte. Par conséquent, ces événements n’entrent pas dans le délai prévu par la Loi.

84 La plaignante s’est appuyée sur le courriel du 19 décembre 2008. Il convient de souligner que ce courriel est antérieur à la présentation de la plainte et qu’il n’entre donc pas dans le délai prescrit par la Loi. Malgré cela, il est utile d’en analyser le contenu. Une grande partie a été caviardée, mais il s’agit d’un courriel de gestion interne faisant référence à une conversation avec le défendeur. L’auteur du courriel affirme que le défendeur était frustré par la position [traduction] « catégorique » adoptée par la plaignante en ce qui concerne son affectation. À mon avis, ce courriel n’étaye pas l’allégation de la plaignante selon laquelle le défendeur manquait de professionnalisme et allait à l’encontre de ses intérêts. Premièrement, le courriel expose uniquement les impressions d’un tiers, et pas nécessairement la vérité. Et même si le défendeur était véritablement frustré par la position de la plaignante, le courriel ne laisse aucunement entendre que cette frustration l’a poussé à agir à l’encontre de ses intérêts.   

85 La plaignante a allégué que le courriel du défendeur daté du 18 février 2010 démontrait qu’il n’agissait pas au meilleur de ses intérêts. Ce courriel porte sur le processus de médiation avec la CCDP, lequel est antérieur à l’exercice de réaménagement des effectifs et au grief, et n’est donc pas de mon ressort puisqu’il n’entre pas dans le délai prescrit par la Loi.   

86 Néanmoins, à la lecture de ce courriel, il ressort qu’il s’agit simplement d’une communication à l’intention de la CCDP visant à l’aviser que le défendeur a recommandé le règlement à la plaignante. Le courriel n’indique pas que le défendeur a agi de façon contraire aux intérêts de la plaignante; il démontre simplement qu’il a fait son devoir. Voici ce que le défendeur a écrit :

[Traduction]

[…]

Je viens tout juste d’envoyer une copie de l’entente proposée à Suzhen. Je lui ai vivement conseillé d’accepter les modalités de celle-ci. Je lui ai demandé de m’appeler demain matin pour me faire savoir si l’entente lui convient ou […]

87 Le dernier argument de la plaignante est que le défendeur a induit la CCDP en erreur. Elle a expressément mentionné une partie du rapport d’enquête indiquant que le défendeur avait assisté à une certaine réunion, alors qu’il n’était pas présent. Bien qu’encore une fois il s’agisse d’une question pour laquelle je n’ai pas compétence, car ces événements se sont produits à l’extérieur du délai prescrit, je ne peux accepter qu’un rapport provenant d’un tiers puisse être interprété comme une preuve qu’une personne ne dit pas la vérité.   

88 Par ailleurs, la plaignante n’a pas produit d’éléments de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle l’agent négociateur et le défendeur étaient de mèche avec l’employeur. Ce genre d’allégation, qui n’est étayé par aucun élément de preuve, est malheureux.

89 À la lumière de l’ensemble de la preuve, je juge que le défendeur, au nom de l’agent négociateur, s’est pleinement acquitté de son devoir. La plaignante est peut-être déçue de la décision de l’agent négociateur de cesser de la représenter, ou même en désaccord avec cette décision, mais j’estime qu’elle a été avisée de cette possibilité le 1er septembre 2011. En outre, le défendeur lui a envoyé un courriel dans lequel il a clairement indiqué que la décision de donner suite au grief allait être réévaluée après la divulgation des documents par l’employeur. De plus, le défendeur a avisé la plaignante que l’agent négociateur cesserait de la représenter en décembre 2011. Il s’agit du moment où commence à courir le délai relatif à sa plainte.  

90 Je dois donc entreprendre la difficile tâche d’examiner le témoignage de deux personnes qui semblent tout aussi crédibles l’une que l’autre.  

91 Dans cette affaire, je m’inspire des observations suivantes, tirées de la décision Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.) (citée et approuvée par la Cour d’appel de l’Ontario dans Phillips et al. v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. et al., [1971] 2 O.R. 637) :

[…]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est conforme aux probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit. Ce n’est qu’ainsi qu’un tribunal judiciaire peut évaluer de manière satisfaisante les déclarations de témoins à l’esprit alerte, sûrs d’eux-mêmes et expérimentés, ainsi que de ces personnes astucieuses qui s’y entendent en matière de demi-mensonge et s’appuient sur une longue et fructueuse expérience dans l’art de mettre en œuvre l’exagération habile et l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une auto-directive dangereuse.

[…]

92 Les tribunaux judiciaires et administratifs canadiens se fondent régulièrement sur le critère défini dans Faryna.

93 Je comprends que M. Boulanger croit en sa version des faits, mais je pense qu’il se trompe même s’il est de bonne foi. En examinant son témoignage selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu’une personne pratique et informée ne le considérerait pas comme raisonnable.

94 Comme l’a souligné l’avocat du défendeur, dans l’ensemble de leur expérience, ni le défendeur ni lui-même n’ont entendu parler d’une situation où un haut représentant d’un employeur aurait admis à l’agent négociateur qu’un plan avait été élaboré pour se débarrasser d’un employé. Si une telle situation se produisait, l’agent négociateur en ferait ses choux gras, et la plupart des représentants ne peuvent qu’en rêver.  

95 Par ailleurs, si je devais croire le témoignage de M. Boulanger, ce dernier n’a pas pris de mesure contre son agent négociateur malgré qu’il se soit prétendument fait dire que son licenciement dans le cadre du réaménagement des effectifs n’était qu’un stratagème concocté par l’employeur pour se défendre contre une plainte de la plaignante.  

96 En conclusion, j’estime que pendant la conversation entre M. Boulanger et le défendeur, ce dernier n’a pas formulé les commentaires que M. Boulanger lui attribue. Je conclus que, comme il est indiqué dans les notes du défendeur, la discussion portait sur les droits de M. Boulanger, et que le défendeur lui a donné des conseils à cette occasion.    

97 Le défendeur a expliqué encore plus en détail les motifs de sa décision dans sa communication du 23 décembre 2011. De toute évidence, la plaignante ne souscrivait pas à cette décision, et l’agent négociateur lui a suggéré d’avoir recours au processus d’appel interne qui, à première vue, est transparent. Dans ses réponses à la plaignante datées du 9 février et du 9 mars 2012, l’agent négociateur a présenté un motif raisonnable de ne plus appuyer son grief.

98 Les actes du défendeur ne peuvent en aucun cas être considérés comme arbitraires, discriminatoires ou fondés sur la mauvaise foi.  

99 Pour tous les motifs susmentionnés, la Commission rend l’ordonnance suivante :

VII. Ordonnance

100 La plainte est rejetée.

Le 23 mai 2014.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
une formation de la
Commission des relations de
travail dans la fonction
publique

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