Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont déposé des plaintes parallèles contre leur agent négociateur dans lesquelles ils allèguent qu’il a commis une pratique déloyale de travail à leur égard et à l’égard des membres de leur section locale en omettant de défendre les droits associatifs et collectifs des membres après le licenciement du président de la section locale - M.King a prétendu déposer sa plainte à titre de représentant de la section locale et de membre, alors que Mme Bennett a simplement déposé la sienne à titre de membre - l'agent négociateur a suspendu M.King de son poste de président de la section locale avant que son grief portant sur son licenciement n’ait été entendu à l’arbitrage et ni l’un ni l’autre des plaignants n'étaient censés représenter la section locale à la date de leurs plaintes - M.King était le président de sa section locale lorsqu’il a été licencié parce qu’il avait fait de la publication et de la republication de déclarations sur le site Web de la section locale, lesquelles, selon l’employeur, constituaient des conseils à l’égard d’arrêts de travail illégaux ou les encourageaient - son agent négociateur a retenu les services d’un avocat chevronné qui l’a représenté, sans obtenir gain de cause, à l’arbitrage et devant la Cour fédérale - l’agent négociateur l’a informé qu’il était prêt à déposer une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada (CSC) - M.King a répondu qu’il avait retenu les services de son propre avocat pour le représenter et que les services de l’avocat de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) n’étaient plus requis et il a proposé que l’AFPC ne s’en mêle pas - l’agent négociateur l’a avisé qu’il s’agissait de sa décision, mais il a indiqué que ce serait à ses propres frais - la CSC a rejeté sa demande en vue d'interjeter appel, avec dépens - selon le plaignant, l’agent négociateur, ensuite, [traduction] <<[...] a omis [...] de faire ses représentations quant à la question des dépens auprès de l'employeur lorsque le plaignant a présenté une demande au sujet de la demande d'autorisation d'interjeter appel>> - les plaignants ont également allégué que l’agent négociateur aurait dû avoir déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre l'employeur pour avoir imposé une mesure disciplinaire à M.King - l’agent négociateur s’est opposé aux plaintes au motif qu’elles ont été déposées hors délai - la formation de la Commission a conclu que les plaintes étaient hors délai, car les faits ayant donné lieu à ces plaintes étaient connus ou auraient dû être connus en 2007 - M.King savait également longtemps avant qu’il ne dépose sa plainte que l'agent négociateur n'avait pas déposé de plainte de pratique déloyale de travail - en ce qui concerne les frais, l’agent négociateur avait été clair et l’argument selon lequel M.King ne comprenait pas la différence entre les frais juridiques et les dépens ne peut résister au poids des plaintes - M.King était au courant des questions relevant de la Charte qu’il souhaitait soulever et du fait que, si elles n’avaient pas été soulevées, il était hors délai pour les soulever - la Commission n’avait pas la compétence pour instruire les plaintes, lesquelles constituaient une tentative mal dissimulée de remettre en litige les questions mêmes qui ont été tranchées à l’encontre de M.King dans ses griefs. Objection accueillie; dossier fermé.

Contenu de la décision

Date:  20140811

Dossier:  561-02-682

 

Référence:  2014 CRTFP 75

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

 

PSLRB noT(BW)

 

 

Devant une formation de la

Commission des relations de travail dans la fonction publique

 

ENTRE

 

JOHN KING ET DIANNE BENNETT

 

plaignants

 

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

King c. Alliance de la Fonction publique du Canada

 

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :  Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour les plaigants: eux-mêmes

Pour la défenderesse :  Krista Devine, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés
les 22 avril, 9 mai et 2 juin 2014.

(Traduction de la CRTFP).


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTFP)

I.  Introduction

[1]   Le 22 avril 2014, Dianne Bennett et John King (les « plaignants ») ont déposé des plaintes distinctes, mais parallèles contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou l’« agent négociateur ») auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). Je parle de plaintes parallèles parce que la plainte de Mme Bennett renvoyait à un document en pièce jointe et s’y appuyait. La plainte de M. King allait dans le même sens que celle de Mme Bennett, mais elle était signée par les deux plaignants. Par ailleurs, la plainte de M. King s’appuyait sur le même document en pièce jointe, qui a été signé par M. King [traduction] « en sa qualité de représentant de la section locale 024 à tout moment pertinent », et de nouveau par M. King et Mme Bennett, en leur qualité de [traduction] « membres » (ce qui, je présume, signifiait [traduction] « membres de la section locale 024 »). Ce document était aussi joint à la plainte de M. King, qui était également signée par Mme Bennett. Compte tenu de la nature parallèle des deux plaintes, j’étais d’avis que celles-ci, même si elles sont techniquement distinctes, devaient être traitées ensemble, soit en une seule plainte portant le même numéro de la CRTFP. La jonction officielle des deux plaintes, ou l’affectation de deux numéros distincts de la Commission, n’a donc pas été jugée nécessaire.

[2]  Dans leurs plaintes, M. King et Mme Bennett ont allégué que l’agent négociateur avait commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), en vertu de l’alinéa 190(1)g). Voici l’essentiel de leurs plaintes :

a. l’agent négociateur ne s’est pas acquitté de ses obligations à leur égard;

b. l’agent négociateur ne s’est pas acquitté de ses obligations à l’égard des membres de la section locale 024.

 

[3]  L’agent négociateur a déposé une réponse aux plaintes. Dans sa réponse, il s’oppose à la compétence de la Commission d’instruire les plaintes au motif qu’elles ont été déposées hors délai. Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le « Conseil du Trésor ») a déposé une réponse non sollicitée le 8 mai 2014. Comme le Conseil du Trésor n’était pas une partie – et n’avait pas demandé le statut d’intervenant – j’aurais été enclin à ne pas tenir compte de la réponse. Toutefois, M. King a déposé une réplique à cette réponse. La réplique était datée du 26 mai. Par conséquent, j’ai examiné la réponse du Conseil du Trésor et la réplique de M. King simplement pour m’assurer que ma compréhension de la position de M. King sur la question de la compétence était complète.

II.  Documents examinés

[4]  Les faits sur lesquels ma décision se fonde sont tirés des documents suivants :

a. Les documents déposés auprès de la Commission, notamment :

 

i. les plaintes originales, déposées le 22 avril 2014,

ii. une lettre datée du 8 mai 2014 de Daniel Trépanier, analyste, Relations du travail, pour le compte du Conseil du Trésor,

iii. de la correspondance datée du 9 mai 2014 de Krista Devine, directrice de l’agent négociateur, Direction de la négociation collective,

iv. une lettre datée du 26 mai 2014 de M. King, en réponse à la lettre de M. Trépanier,

v. une lettre datée du 2 juin 2014 de M. King et Mme Bennett en réponse à la lettre de Mme Devine du 9 mai 2014;

 

b. les décisions suivantes (citées dans les documents déposés auprès de la Commission) impliquant M. King :

 

i. King c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 125;

ii. King c. Procureur général du Canada, 2012 CF 488;

iii. King c. Procureur général du Canada, 2013 CAF 131 (demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada rejetée; voir 2014 CanLII 3503).

 

III.  Contexte

[5]  M. King était agent des services frontaliers à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») à l’Aéroport international Pearson de Toronto, en Ontario. Il était également président de la section locale 024 de la Customs Excise Union Douanes Accise (CEUDA), un élément de l’agent négociateur.

[6]  M. King a d’abord été suspendu, puis il a été licencié en novembre 2007. La suspension et le licenciement étaient le résultat de la publication et de la republication de déclarations sur le site Web de la section locale 024. Les déclarations découlaient d’événements datant de 2006. Selon l’employeur, les déclarations en question constituaient des conseils à l’égard de ou encourageaient les arrêts de travail illégaux. M. King a contesté la suspension et le licenciement (les « griefs »).

[7]  Le 5 juin 2008, l’agent négociateur a suspendu M. King de son poste de président de la section locale 024. Néanmoins, l’agent négociateur a retenu les services d’Andrew Raven, un avocat spécialisé en droit du travail chevronné, bien connu et tenu en haute estime, pour représenter M. King au cours du processus d’audience.

[8]  Les griefs ont finalement été soumis à un arbitre de grief de la Commission en mai et juin 2010.

[9]  L’audience a duré six jours. D’autres observations écrites ont été déposées en septembre, octobre et novembre 2010. Selon M. King, les déclarations en question ne constituaient pas des conseils à l’égard de ou n’encourageaient pas un arrêt de travail illégal. Il a ajouté qu’il n’appartenait pas à l’employeur de régir les activités des employés alors qu’ils étaient engagés comme représentants de l’agent négociateur et que la tentative de l’employeur de réglementer sa conduite en sa qualité de représentant de l’agent négociateur constituait une ingérence injustifiable de l’employeur dans les activités de l’agent négociateur. Il a également fait valoir que les droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») étaient en cause, ce qui aurait dû avoir une incidence sur toute évaluation de ses activités.

[10]  Dans une décision datée du 29 novembre 2010, l’arbitre de grief de la Commission a rejeté les griefs et a maintenu la suspension et le licenciement.

[11]  Cette décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. M. Raven a continué à représenter M. King. La demande a été entendue le 27 janvier 2012. Pour les motifs datés du 26 avril 2012, la demande a été rejetée. Cette décision a été portée en appel. M. Raven a continué de représenter M. King. La Cour d’appel fédérale a instruit l’appel le 15 mai 2013 et l’a rejeté pour des motifs datés du 16 mai 2013.

[12]  Le 30 juillet 2013, M. King a fait parvenir un courriel à l’agent négociateur au sujet de [traduction] « [...] la décision de l’AFPC concernant la demande d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada et mon dossier ». L’agent négociateur a répliqué le même jour en laissant savoir qu’il présenterait [traduction] « [...] une demande d’autorisation à Andrew Raven à titre d’avocat au dossier, portant principalement sur des motifs susceptibles de convaincre le tribunal de l’existence d’une question d’importance nationale (le critère de présentation d’une demande d’autorisation à la Cour suprême du Canada) ».

[13]  Le 31 juillet 2013, M. King a informé l’agent négociateur qu’il avait [traduction] « [...] déjà retenu les services de [son] propre avocat indépendant » et que « les services d’Andrew Raven ou de tout autre avocat fourni par l’AFPC n’étaient plus requis ou voulus ». Il a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Tel qu’il a été recommandé par plus d’un représentant de l’AFPC au cours des derniers mois, j’exerce maintenant mon droit à titre de plaignant et j’aurai recours aux services d’un avocat que j’aurai déjà engagé; je serai investi de tous les droits de donner des instructions et des autorisations à titre de client.

Compte tenu de ce qui précède, je propose que l’AFPC ne s’ingère pas ni n’ait recours à Andrew Raven comme avocat au dossier.

J’apprécie l’appui de l’agent négociateur à d’autres égards et je tiendrai compte de toute contribution additionnelle fournie par l’avocat relativement à l’AFPC. Ceci dit, il importe de comprendre que je suis prêt à faire le nécessaire pour protéger mes droits à titre de personne accusée ou reconnue coupable, ce qui comprend notamment le droit d’être représenté par un avocat de mon choix et de voir ma plainte présentée d’une façon que j’aurai autorisée.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[14]  M. King a conclu son courriel en indiquant qu’il attendait avec intérêt [traduction] « [...] de recevoir les commentaires de l’[agent négociateur] à [ses] demandes présentées depuis le 17 mai, de même que son approbation de ce qui précède. »

[15]  Le 8 août 2013, l’agent négociateur a répliqué ce qui suit :

[Traduction]

Bien sûr, comme nous vous en avons avisé précédemment, vous gardez comme toujours le droit de retenir les services de votre propre avocat et de lui donner des instructions en ce qui concerne les demandes présentées à la Cour relativement à la décision de la CRTFP sur votre grief, et ce, à vos propres frais. Vous n’avez pas besoin de l’approbation de l’AFPC à cet égard, mais je puis certes vous confirmer que l’AFPC respecte votre droit de procéder de cette façon si tel est votre désir.

Conformément à vos souhaits manifestes, l’AFPC ne prendra aucune autre mesure à l’égard de la décision récente de la Cour d’appel fédérale.

 

[16]  La Cour suprême a rejeté la demande présentée par M. King en vue d’interjeter appel, avec dépens, le 30 janvier 2014.

[17]  Le 21 février 2014, l’agent négociateur, au dire des plaignants, [traduction] « [...] a omis […] de faire ses représentations quant à la question des dépens auprès de l’employeur lorsque le plaignant a présenté une demande au sujet de la demande d’autorisation d’interjeter appel. »

[18]  Les plaintes en litige ont alors été déposées à la Commission le 22 avril 2014, soit 51 jours après le rejet par la Cour suprême de la demande d’autorisation d’interjeter appel.

IV.  Plaintes

[19]  M. King a déposé sa plainte [traduction] « en sa qualité de représentant de la section locale 024 à tout moment pertinent » et comme [traduction] « membre » de la section locale; Mme Bennett a simplement déposé la sienne à titre de membre de la section locale. Je constate que ni l’un ni l’autre n’était censé représenter la section locale à la date de leurs plaintes respectives. Les deux plaintes se fondaient sur le même document en pièce jointe. Les trois premiers paragraphes de ce document résument leurs plaintes comme suit :

[Traduction]

Il s’agit d’une plainte concernant le manquement de l’[…] [agent négociateur] dans sa représentation de John King, représentant syndical et président de la section locale 024, et de John King et Dianne Bennett, membres de la section locale 024, qui constitue une violation en vertu de l’alinéa 190(1)g), des articles 185 et 187, du sous-alinéa 188e)(iii) et de l’alinéa 189(1)b) de la Loi […].

La présente affaire découle du licenciement d’un président de syndicat à la suite d’une allégation de pratique déloyale de travail en violation de la LRTFP concernant une déclaration syndicale de déclaration ou d’autorisation de mesure illégale. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») a posé son geste sans déposer de plainte de pratique déloyale de travail et sans que l’employeur s’en remette aux procédures de relations industrielles relatives à la déclaration de l’infraction.

Les plaignants, représentant et membres de la CEUDA à tous les moments pertinents, font valoir que l’AFPC a manqué à son devoir de représentation des droits collectifs et associatifs des membres de la section locale 024 lorsqu’elle n’a pas présenté de plainte pour pratique déloyale de travail à la Commission [...] conformément à la partie I de la Loi contre l’employeur, car l’employeur a brimé sans justification les droits de représentation d’un syndicat, et les droits associatifs plus larges de tous les membres, dont les plaignants, et le droit d’association permettant de communiquer et de s’exprimer à l’interne en ce qui concerne les questions très préoccupantes qui touchent la négociation collective, lorsque l’employeur a licencié le représentant de la section locale 024 John King à la suite d’une allégation de pratique déloyale de travail.

 

[20]  Certains faits pertinents, notamment les événements ayant mené au licenciement de M. King en 2007, étaient expliqués dans les plaintes. Toujours dans la plainte, il a été mentionné que l’agent négociateur avait décidé ou omis de décider de déposer une plainte de pratique déloyale de travail contre l’employeur en 2007. L’essence de la plainte de pratique déloyale de travail qui, au dire des plaignants, aurait dû être déposée, portait sur leur argument selon lequel la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire à M. King représentait une ingérence dans les activités de l’agent négociateur. De plus, la déclaration selon laquelle l’agent négociateur avait suspendu M. King de son poste de président de la section locale 024 le 5 juin 2008, qu’il avait informé M. King en novembre 2012 qu’il n’avait pas déposé de plainte de pratique déloyale de travail et que, quoi qu’il en soit, une telle plainte n’était pas nécessaire, était également incluse dans la plainte.

[21]  Les plaignants ont demandé un certain nombre de mesures de redressement dans leurs plaintes, notamment les suivantes :

a. Une déclaration établissant que [traduction] « […] les dispositions de l’article 213 de la [Loi] […] ont entraîné une violation des droits et des intérêts des plaignants conférés par la Charte; »

b. [Traduction] « [...] que, en guise de mesure de redressement pour [la] violation des droits de la Charte, le Conseil du Trésor soit tenu de réintégrer le représentant dans son ancien poste auprès de l’employeur; »

c. [Traduction] « [...] que, subsidiairement, l’AFPC offre au représentant des responsabilités et une rémunération similaires à titre de représentant de la section locale 024 et que l’AFPC restitue le salaire et les avantages sociaux perdus; »

d. [Traduction] « [...] qu’une ordonnance soit rendue au sujet d’un vote de représentation de la section locale 024 conformément à l’article 95 de la LRTFP. »

 

V.  Positions des parties

[22]  Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, l’agent négociateur et le Conseil du Trésor ont déjà formulé des réponses. Comme nous l’avons relevé plus tôt, la réponse du Conseil du Trésor a été prise en compte seulement dans le contexte global de la position de M. King selon laquelle il y avait compétence. Par conséquent, j’énonce sa position seulement pour mettre les arguments de M. King dans leur contexte.

A.  Réponse du Conseil du Trésor

[23]  Le représentant du Conseil du Trésor s’est opposé à l’une des mesures de redressement demandées par les plaignants, soit une ordonnance de réintégration de M. King. Le représentant a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour accorder une telle réparation, parce que le Conseil du Trésor n’était pas l’une des parties aux plaintes. Le représentant a également prétendu que le conflit entre l’employeur et M. King avait déjà été tranché au cours de l’instance devant la Commission, la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême. Je considère comme une observation l’argument selon lequel le principe de préclusion s’appliquerait pour empêcher M. King de remettre en litige les questions de sa suspension et de son licenciement.

B.  Réponse de l’agent négociateur

[24]  Le représentant de l’agent négociateur a souligné que les plaintes n’établissaient pas clairement de quelle façon les faits qui affectaient M. King étaient liés à Mme Bennett. Le représentant a soutenu que quoi qu’il en soit, les plaintes étaient hors délai. Une plainte faite en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi doit être déposée au plus tard 90 jours après la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des événements ayant donné lieu à la plainte (paragraphe 190(2)). Dans le présent cas, les événements en cause remontaient à 2007, voire à 2006.

[25]  Le représentant de l’agent négociateur a également souligné que lorsque M. King a décidé de retenir les services de son propre avocat en juillet 2013, l’agent négociateur l’avait informé en août 2013 qu’il devrait en acquitter les frais. Ceci étant, le refus en février 2014 de l’agent négociateur d’acquitter les frais liés à la demande d’autorisation n’aurait pas dû constituer une surprise pour lui.

[26]  Tout compte fait, le représentant de l’agent négociateur a soutenu que les plaintes avaient été présentées bien après les 90 jours indiqués au paragraphe 190(2) de la Loi pour de telles plaintes et qu’en conséquence, un arbitre de grief n’avait pas compétence pour les examiner.

C.  Répliques des plaignants

[27]  Les plaignants ont présenté des répliques au Conseil du Trésor et à l’agent négociateur. Compte tenu de que l’on peut tirer des répliques, voici, en somme, en quoi consiste la position des plaignants :

a. la compétence de la Commission en vertu de l’article 36 de la Loi a une portée assez vaste [traduction] « […] pour accorder la mesure de redressement demandée, mais exige également que la Commission traite toute question de violation de la Charte découlant des conflits dont elle est saisie »;

b. l’agent négociateur n’a pas :

 

[Traduction]

[...] représenté et défendu les droits associatifs et collectifs des membres [de la section locale 024] quand l’employeur s’est ingéré, sans confirmer une telle plainte à la Commission, dans les activités syndicales de la section locale au moyen d’une suspension de trente (30) jours et du licenciement ultérieur du représentant de la section locale 024 : John King;

c. les parties pertinentes aux plaintes sont [traduction] « [...] dans les faits, Mme Bennett et tout autre membre de la section locale 024 », et elles [traduction] « [...] ont été informées des motifs ayant donné lieu à cette plainte seulement une fois que la Cour suprême du Canada a refusé d’instruire la cause continue du licenciement de King »;

d. [Traduction] « tel qu’il est indiqué dans la réponse de l’AFPC, les droits associatifs et collectifs affectés par la représentation en question étaient inconnus jusqu’à ce que des sources extérieures à l’AFPC nous en informent après le 31 janvier 2014 »;

e. la responsabilité des dépens n’était pas la même que les frais rattachés aux services d’un avocat;

f. les plaignants n’ont connu leur responsabilité à l’égard des dépens qu’après le rejet de la demande d’autorisation.

 

[28]  Les plaignants ont terminé leurs répliques en demandant que l’affaire passe à l’étape de l’audience.

VI.  Analyse et décision

[29]  Les deux questions suivantes me sont soumises :

a. la question de savoir si une audience formelle est nécessaire,

b. la question de savoir si les plaintes sont interdites par le paragraphe 190(2) de la Loi parce qu’elles ont été déposées plus de 90 jours après la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des événements ayant donné lieu à la plainte.

 

A.  Devrait-il y avoir une audience?

[30]  Compte tenu du résumé détaillé des événements fourni par les plaignants dans les documents déposés auprès de la Commission, ainsi que des documents fournis en réplique par l’agent négociateur et les plaignants, j’étais convaincu qu’une audience n’était pas nécessaire pour rendre une décision au sujet de l’objection préliminaire de l’agent négociateur selon laquelle ces plaintes étaient hors délai.

[31]  Les objections à la compétence de la Commission en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi reposent souvent sur des faits dont la crédibilité n’est pas remise en question. Lorsque tel est le cas, il existe rarement une bonne raison de tenir une audience complète comportant des témoignages de vive voix (oraux). Selon moi, tel est le cas en l’espèce. Le document rattaché aux plaintes renferme 53 paragraphes répartis sur 11 pages. Il fournit des renseignements et des précisions sur les dates, les événements et les arguments des plaignants sur la question de savoir en quoi ces dates et ces événements constituent des violations des obligations de l’agent négociateur à l’égard de ses membres. L’agent négociateur n’a pas nié les faits; il a plutôt nié ma compétence en se fondant sur ces faits. Quant à eux, les plaignants ont fait valoir des arguments et des inférences tirés de ces faits. Il n’y a donc pas de raison de tenir une audience dans le but d’établir les faits sur lesquels l’agent négociateur s’est appuyé pour son argumentation que les plaintes étaient hors délai.

B.  Les plaintes sont-elles hors délai?

[32]  Je traiterai maintenant de l’objection préliminaire de l’agent négociateur.

[33]  Ces plaintes ont été faites en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi. Ce paragraphe permet à une personne de déposer une plainte selon laquelle « [...] l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185 ». L’article 185 définit « pratiques déloyales de travail » comme « tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) ou (2), les articles 187 ou 188, ou le paragraphe 189(1) ». En général, les paragraphes 186(1) et (2) interdisent à un employeur ou à ses gestionnaires d’intervenir auprès des agents négociateurs, que ce soit au niveau de leurs organisations ou de leurs activités. L’article 187 interdit aux agents négociateurs de représenter leurs membres de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. L’article 188 impose certaines restrictions à la façon dont les agents négociateurs mènent les campagnes des organisations et interagissent avec leurs membres ou d’autres employés. Enfin, le paragraphe 189(1) interdit à quiconque de chercher, par la menace, à obliger un fonctionnaire à devenir — ou à s’abstenir de devenir — un membre de l’agent négociateur.

[34]  Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit un délai de prescription relativement à de telles plaintes. Comme ce paragraphe doit, selon ses propres termes, être interprété dans son contexte, en voici la reproduction intégrale :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

a) l’employeur a contrevenu à l’article 56 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

c) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

d) l’employeur, l’agent négociateur ou l’administrateur général a contrevenu au paragraphe 110(3) (obligation de négocier de bonne foi);

e) l’employeur ou l’organisation syndicale a contrevenu aux articles 117 (obligation de mettre en application une convention) ou 157 (obligation de mettre en œuvre la décision arbitrale);

f) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu au paragraphe 125(1) (obligation de respecter les conditions d’emploi);

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

a) le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale et à laquelle il a pu facilement recourir;

b) l’organisation syndicale a

(i) soit statué sur le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

(ii) soit omis de statuer sur le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

c) la plainte est adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant était habilité à le faire aux termes des alinéas a) et b).

(4) La Commission peut, sur demande, statuer sur la plainte visée au paragraphe (3) bien que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un grief ou d’un appel si elle est convaincue :

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci;

b) soit que l’organisation syndicale n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

 

[35]  En l’espèce, les paragraphes 190(3) et 190(4) de la Loi ne restreignent ni ne limitent la portée du délai de présentation de 90 jours imposé par le paragraphe 190(2). Ceci dit, je constate que l’on ignore si M. King a lancé des procédures internes d’appel de la décision de l’agent négociateur et, dans l’affirmative, à quel moment il l’a fait (exigence du paragraphe 190(3)). Toutefois, s’il l’a fait, les faits énoncés dans le document joint aux plaintes établissent clairement que de telles procédures ont été lancées longtemps avant décembre 2013 (c’est-à-dire 90 jours avant le 22 avril 2014). Par ailleurs, s’il ne l’a pas fait (situation visée par le paragraphe 190(3)), il est tout aussi clair que — pour les mêmes motifs — M. King était au courant de la conduite de l’agent négociateur dont il s’est plaint bien avant décembre 2013.

[36]  Passons maintenant à l’exigence selon laquelle une plainte déposée en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi doit être déposée « [...] dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu » (paragraphe 190(2)). À mon avis, les faits invoqués par les plaignants appuient l’objection préliminaire de l’agent négociateur selon laquelle les plaintes sont hors délai.

[37]  Premièrement, les faits établissent clairement que M. King et les personnes qu’il est censé représenter dans ces plaintes (à savoir les membres de la section locale 024) ont eu ou auraient dû avoir connaissance en 2007 qu’il avait été suspendu puis licencié pour des gestes qu’il a posés dans le cadre de ses activités de président de l’organisation syndicale. Cette date excède manifestement la période de présentation de 90 jours prévue au paragraphe 190(2) de la Loi.

[38]  M. King savait en outre que l’agent négociateur n’avait pas déposé de plainte de pratique déloyale de travail à l’encontre de l’employeur à l’égard de sa décision de le suspendre puis de le licencier. Aucune plainte du genre n’a été déposée. M. King est demeuré président de la section locale jusqu’en juin 2008. Par conséquent, je suis convaincu que M. King (et les membres de sa section locale, qu’il est censé représenter) a eu ou aurait dû avoir connaissance du fait qu’aucune plainte n’avait été déposée au moins à cette date, ce qui correspond à plus de 90 jours après la décision de l’employeur de le suspendre puis de le licencier, laquelle décision a été contestée.

[39]  Deuxièmement, l’argument selon lequel M. King ne comprenait pas la différence entre les dettes de frais juridiques et les dépens ne peut résister au poids des plaintes que Mme Bennett et lui ont déposées. L’agent négociateur a indiqué en termes clairs que si M. King décidait de retenir les services de son propre avocat, ce serait à ses propres frais. Ce conseil a été formulé le 8 août 2013, soit davantage que les 90 jours précédant la date de la plainte. Qui plus est, l’objectif fondamental des plaintes – et la majeure partie, voire la totalité des faits et des violations allégués – remonte aux gestes posés ou omis par l’agent négociateur en 2007. M. King était manifestement au courant de ces gestes ou de ces omissions et, par renvoi, tel était également le cas des membres de la section locale au moment pertinent. Le fait de tenter de dissimuler l’essence de leur plainte en faisant référence à une question (la responsabilité des dépens) qui constituait le tout dernier événement d’une longue chronologie d’événements remontant à 2007 équivaudrait à mettre la charrue avant les bœufs.

[40]  Je signale en passant qu’il existe de bonnes raisons de principe pour la période de 90 jours imposée par le paragraphe 190(2) de la Loi, notamment en ce qui concerne les allégations selon lesquelles un agent négociateur a agi de manière « [...] arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi [...] » (article 187). Une objection soulevée en temps opportun pourrait permettre de corriger rapidement la conduite qui fait l’objet de la plainte et de s’assurer que tout comportement qui pourrait être préjudiciable aux droits des plaignants soit corrigé avant que ce préjudice se concrétise.

[41]  Troisièmement, l’argument selon lequel les droits de M. King fondés sur la Charte ont été ou auraient pu être violés n’explique pas pourquoi il a attendu jusqu’au dépôt de sa plainte pour le faire valoir. L’on s’attendrait à ce que les arguments concernant sa liberté d’expression ou d’association prévue par la Charte (ou celle des membres de la section locale) soient ou aient pu être invoqués au cours de l’audience initiale devant la Commission. De fait, des renvois à la Charte ont été formulés dans la décision de la Commission. Jusqu’à la comparution devant la Cour d’appel fédérale, l’avocat de M. King était un spécialiste des relations de travail chevronné et habile. Si un argument avait pu être invoqué, il l’aurait été; autrement, une bonne raison aurait justifié l’absence de cet argument. D’après M. King, si un tel argument n’a pas été invoqué alors qu’il aurait dû l’être, c’est à ce moment que la plainte aurait dû être déposée. La même objection s’applique aux membres de la section locale. Les décisions de la Commission sont des documents publics. Dans le cas de M. King, la décision a été publiée en novembre 2010. Si les arguments présentés à la Commission au cours de l’audience initiale étaient inadéquats de quelque façon que ce soit, il aurait alors fallu déposer une plainte à ce moment-là.

[42]  Pour ces motifs, je suis convaincu que les plaintes ont été déposées en dehors de la période de présentation de 90 jours imposée par le paragraphe 190(2) de la Loi pour de telles plaintes. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour les instruire.

[43]  Je devrais peut-être mentionner que les plaintes sont, à leur face même, une tentative mal dissimulée de remettre en litige les questions mêmes qui ont été tranchées à l’encontre de M. King dans ses griefs contre sa suspension et son licenciement. Le fait que l’une des mesures de redressement demandées soit sa réintégration est un indicateur de ce que semble être le véritable objectif des plaintes. La correspondance entre les faits et les questions en litige est telle que le principe de la préclusion interdirait à M. King de faire valoir que sa suspension et son licenciement étaient injustes, ce qui affaiblirait sa plainte au sujet du défaut de l’agent négociateur de déposer sa propre plainte de pratique déloyale de travail en 2007. Après tout, comme il a été conclu que l’employeur avait imposé une mesure disciplinaire puis licencié M. King pour un motif valable, il y aurait peu ou pas de place pour un argument selon lequel l’employeur s’était livré à une pratique déloyale de travail lorsqu’il a pris ces mesures.

[44]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII.  Ordonnance

[45]  J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 11 août 2014.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,

une formation de la

Commission des relations de travail

 dans la fonction publique

 

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