Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent correctionnel, a déposé un grief à l’égard d’une sanction pécuniaire de 760$ qui lui a été imposée pour une inconduite grave liée à un recours à une force inappropriée à l'encontre d'un détenu - suivant l’agression d’un autre détenu, les agents correctionnels ont pris la décision de limiter le détenu <<M>> à sa cellule - le fonctionnaire s’estimant lésé et son partenaire se sont approchés du détenu M et lui ont ordonné de retourner à sa cellule - le détenu a refusé, malgré plusieurs demandes claires, et le fonctionnaire s’estimant lésé, croyant qu’il ne collaborerait pas, a saisi physiquement le détenu par derrière et l’a escorté à sa cellule - le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite signalé l’incident lié au recours à la force et a tenté de joindre son gestionnaire correctionnel, mais n’a pas été en mesure de communiquer avec lui - l’enquêteuse a passé en revue seulement une partie des vidéoclips de l’incident, qui n'avait pas d'audio - elle a interviewé seulement quelques-unes des personnes qui avaient été témoins de l’incident et n’a pas interviewé les infirmiers ou les détenus concernés - l’employeur croyait que le fonctionnaire s’estimant lésé n'avait pas laissé suffisamment de temps au détenu pour obtempérer et qu’il commençait à le faire lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a eu recours à la force - le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà reçu une réprimande écrite relativement à un incident similaire - le fardeau de la preuve incombait à l’employeur d’établir que la mesure disciplinaire était justifiée et que la sanction était raisonnable - l’arbitre de grief a rejeté l’affirmation du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle une norme de preuve supérieure ou intermédiaire était requise - l’arbitre de grief est arrivé à la conclusion que la preuve vidéo n’était pas fiable et a privilégié la preuve directe de ceux présents à l’incident - la personne qui a extrait la preuve vidéo des signaux de la caméra n’a pas témoigné - l’employeur a passé en revue uniquement les séquences extraites - d’autres caméras avaient une vue non obstruée de l’incident, et il n’y avait aucun élément de preuve pour expliquer si la séquence avait été éditée ou pour expliquer pourquoi l’heure de l’enregistrement variait selon la caméra d’où la séquence était extraite - en outre, elle n'était pas fiable, car il n’y avait pas d’audio dans un cas qui portait sur le contexte - sans l’audio, les images enregistrées pouvaient faire l'objet de différentes interprétations - la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle le détenu obtempérait à l’ordre reçu n’était pas appuyée par la preuve vidéo - l’arbitre de grief est arrivé à la conclusion que l’employeur avait pris des mesures en fonction d’une enquête défaillante - l’arbitre de grief a tranché que le détenu n’avait pas collaboré physiquement et qu’il n’y avait pas de preuve qui laissait supposer que le fonctionnaire s’estimant lésé était tenu d’attendre avant d’agir comme il l’a fait - les agents correctionnels ont le pouvoir discrétionnaire de choisir une gamme d’interventions appropriées selon les circonstances - le fonctionnaire s’estimant lésé a jugé que d’autres moyens d’intervention n’étaient pas appropriés - la décision d'avoir recours à un contrôle physique n’était pas inutile ou un recours à la force inappropriée et ne pouvait pas être considéré comme une inconduite grave - l'employeur n'avait pas démontré au moyen d'une preuve claire, cohérente et convaincante qu’une mesure disciplinaire était justifiée et ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-09-19
  • Dossier:  566-02-7434 et 7435
  • Référence:  2014 CRTFP 84

Devant un arbitre de grief


ENTRE

STUART KING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN)
Pour le défendeur:
Talitha Nabbali, avocate
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique), les 8 au 11 avril 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Stuart King, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent correctionnel, classé au niveau CX-02, employé au Centre régional de traitement à l’Établissement du Pacifique (l’« établissement ») de Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou SCC). Le 16 avril 2012, il a été réaffecté à un poste dans le cadre duquel il n’a aucun contact avec les détenus en attendant le résultat d’une enquête disciplinaire concernant des allégations selon lesquelles il a utilisé une force excessive à l’égard d’un détenu. Le 18 mai 2012, à la suite de l’enquête disciplinaire, l’employeur a imposé une sanction pécuniaire de 760 $, somme équivalente à la rémunération de quatre jours, au motif que le fonctionnaire avait fait preuve d’une inconduite grave et avait contrevenu aux Règles de conduite professionnelle ou au Code de discipline de SCC lorsqu’il a utilisé une force inappropriée à l’égard d’un détenu.

2 Le fonctionnaire a déposé deux griefs le 6 juin 2012 dans lesquels il conteste les mesures prises par l’employeur. Dans le premier grief, numéro de dossier de la CRTFP 566-02-7434, il s’est opposé à la décision de l’employeur de le réaffecter à un autre poste en attendant le résultat d’une enquête disciplinaire. Dans le deuxième grief, numéro de dossier de la CRTFP 566-02-7435, il a contesté la sanction pécuniaire.

3 Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 17 août 2012. Le 4 avril 2014, l’employeur les a rejetés au niveau final du processus de règlement des griefs.

4 Le fonctionnaire a retiré le grief dans le numéro de dossier de la CRTFP 566-02-7434, concernant sa réaffectation, à l’audience d’arbitrage.

II. Résumé de la preuve

5 L’employeur a appelé Terry Hackett, Steven Cerant et Corrine Justason à témoigner et il a produit 20 documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné et a appelé Edgar Vianzon, Phil Johnson, Alan Scott et Tuan Nuyen à témoigner. Il a produit 11 documents en preuve.

6 Les parties ont demandé que les deux détenus concernés par l’incident en question ne soient indiqués que par leurs initiales. Les détenus n’ont pas témoigné et ne sont pas touchés par la décision. Par conséquent, j’ai accepté la demande. À mon avis, les noms ne sont pas pertinents à la question dont je suis saisie et il n’y a aucun principe juridique suprême qui suspend leur droit à la vie privée. En conséquence, les détenus seront identifiés comme « M » et « N » lorsqu’il est nécessaire de les identifier expressément.

7 À l’époque pertinente, le fonctionnaire travaillait au Centre régional de traitement, également connu comme l’Unité de réadaptation ou Delta. M. Hackett, qui était le directeur à l’établissement pendant la période pertinente, a expliqué que l’Unité de réadaptation loge les contrevenants aux faibles performances et qui éprouvent des problèmes cognitifs. Il a indiqué que les contrevenants dans cette unité reçoivent un soutien supplémentaire et qu’ils pourraient être exposés à un risque s’ils étaient logés avec la population carcérale générale.

8 Le 13 avril 2012, le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon exerçaient leurs fonctions dans l’Unité de réadaptation pendant la période de repas vers 16 h et ils étaient à proximité de l’unité de bloc de régulation, qui a une vue de la salle à manger commune. M. Vianzon, qui est un CX-01 et qui est membre de l’équipe d’intervention d’urgence depuis 10 ans, a témoigné qu’il avait été affecté à travailler au bloc de régulation et qu’il était responsable de superviser les détenus, de contrôler les portes des cellules et de surveiller les rangées. Il a indiqué que, pendant le service de repas, il a constaté un mouvement rapide. Il lui a paru que le détenu M avait agressé le détenu N. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait vu que les répercussions de l’agression. Il a expliqué qu’il avait vu que le détenu N a fait un mouvement brusque après avoir été poussé. Il a affirmé que les deux détenus se faisaient face l’un à l’autre et il lui a paru, à l’origine, que la confrontation entre les deux pouvait s’intensifier.

9 Deux infirmiers psychiatriques étaient de service à ce moment-là. Ils ont été témoins de l’incident entre les détenus. Le fonctionnaire et son partenaire, M. Scott, qui est un CX-02, ont témoigné qu’un infirmier les a informés de l’incident. Selon le témoignage de M. Scott, l’infirmier lui a dit que le détenu M avait agressé le détenu N en le faisant tomber par terre de sa chaise.

10 Le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon ont eu une brève discussion au bloc de régulation au sujet de la façon de traiter la situation entre les détenus. Le fonctionnaire a témoigné que la conversation avait duré environ 30 secondes. Ils ont décidé qu’il n’était pas nécessaire d’appeler à l’aide d’autres collègues. M. Vianzon a expliqué qu’il semblait s’agir d’un incident isolé. Le fonctionnaire a affirmé qu’ils croyaient que la présence accrue de membres du personnel n’était pas nécessaire, puisque l’incident était terminé. Il a indiqué que le fait d’appeler à l’aide d’autres collègues aurait perturbé l’heure du repas à l’échelle de l’établissement, car tous les détenus auraient été confinés dans leur cellule. Il a fait valoir qu’un appel à l’aide est habituellement fait uniquement dans un cas d’urgence de haut niveau. Dans ce cas, l’incident était terminé, le détenu N s’était éloigné et le détenu M était retourné à sa table.

11 Toutefois, les agents correctionnels ont décidé que le détenu M devait être confiné dans sa cellule. Le fonctionnaire a témoigné que, selon la procédure uniformisée, un détenu qui commet une agression doit être enfermé dans sa cellule. Ayant déterminé que le détenu M devait être confiné dans sa cellule, le fonctionnaire et M. Scott se sont rendus à la table où il mangeait et lui a ordonné de retourner à sa cellule. Le fonctionnaire a témoigné qu’il ne s’agissait pas de la première fois que le détenu M commettait une agression, par conséquent, il comprenait la routine. Néanmoins, le détenu a refusé d’obéir à l’ordre de retourner à sa cellule malgré au moins trois demandes claires.

12 Selon le témoignage du fonctionnaire, celui-ci et M. Scott ont essayé de convaincre le détenu M de retourner à sa cellule en lui disant qu’il pouvait apporter son plateau avec lui. Le fonctionnaire a ramassé le plateau et lui a dit qu’il l’apporterait. Toutefois, le détenu a refusé d’aller à sa cellule.

13 Le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon, qui observait du bloc de régulation, ont témoigné que le détenu M était peu coopératif. Selon le témoignage du fonctionnaire et de M. Scott, le détenu faisait preuve de violence verbale et il leur a dit, plusieurs fois, [traduction] « Allez vous faire foutre ». Le détenu s’est mis debout, mais, même à ce moment, le fonctionnaire et M. Scott ont tous les deux témoigné qu’il ne donnait aucune indication qu’il avait l’intention d’obéir à l’ordre de retourner à sa cellule. M. Scott a témoigné que le détenu avait continué de leur adresser des injures et de résister en leur disant [traduction] « Qu’est-ce que vous allez faire? ». En contre-interrogatoire, M. Scott a répété son opinion selon laquelle il ne s’agissait pas d’un cas où le détenu avait l’intention de coopérer. Il a indiqué qu’il a vécu des situations où les détenus coopéraient même s’ils continuaient de se disputer avec les agents, mais c’était différent avec le détenu M. Il a affirmé que le détenu ne s’est pas présenté de manière coopérative. Lorsqu’on lui a demandé si le fonctionnaire l’a consulté quant à savoir s’il devait utiliser un contrôle physique, il a indiqué que ça ne fonctionnait pas comme cela. La progression de l’intervention du fonctionnaire découlait du comportement du détenu. M. Vianzon a également indiqué en contre-interrogatoire que, malgré les nombreux ordres de retourner à sa cellule, le détenu a démontré clairement qu’il n’allait pas coopérer.

14 Selon le témoignage du fonctionnaire, lorsqu’il est devenu évident que le détenu M n’irait pas volontairement, il l’a emmené à sa cellule. Il a décrit ses actes dans le rapport d’observation qu’il a produit le jour de l’incident (pièce G-9) et dans une déclaration plus détaillée qu’il a présentée le 25 avril 2012 (pièce E-19). Dans les deux déclarations, il a indiqué qu’il a accompagné le détenu jusqu’à sa cellule en tenant le haut et le bas de son chandail et en le guidant jusqu’à la cellule. Dans la déclaration en date du 25 avril (pièce E-19), il a indiqué que, lorsqu’ils ont atteint la porte de la cellule, laquelle était partiellement ouverte, il a demandé au détenu de l’ouvrir. Ce dernier a refusé et le fonctionnaire a donc poussé la porte avec son bras et son épaule gauches afin qu’elle s’ouvre. Il a affirmé que le détenu n’a pas touché la porte. Il a également indiqué que le détenu a continué sa violence verbale tout au long de l’incident.

15 Le fonctionnaire a déclaré dans son témoignage qu’il croyait qu’il était nécessaire d’agir assez rapidement à l’égard du détenu M, car il s’agissait de la période de repas et les détenus étaient dans les environs. Il a indiqué qu’il ne voulait pas que la situation dégénère. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a témoigné qu’il avait utilisé ce qu’il a décrit comme la [traduction] « mesure de sécurité active ». Il a indiqué que M. Scott et lui avaient suivi le « Modèle de gestion de situations » (MGS), à l’aide d’abord de ce qu’il décrit comme la « présence des membres du personnel » et ensuite les négociations, comme l’offre d’apporter le plateau du détenu, d’essayer de le convaincre de s’enfermer. Il a indiqué qu’une fois qu’il était évident que le détenu n’obéirait pas aux ordres verbaux, le fonctionnaire est passé au contrôle physique. Même s’il a reconnu que l’interaction avec le détenu s’est déroulée assez rapidement, il a indiqué qu’il est important de comprendre que les agents correctionnels doivent répondre rapidement parce que la situation peut rapidement devenir incontrôlable. Il a indiqué qu’il ne se sentait pas menacé au cours de la situation, car M. Scott et lui avaient maîtrisé la situation.

16 Le fonctionnaire a témoigné que, même s’il avait pu utiliser une contrainte physique, il ne croyait pas qu’il s’agissait d’une option viable, car il est difficile d’utiliser des menottes, par exemple, sur un détenu non coopératif. Il a indiqué que, quoi qu’il en soit, l’utilisation d’une contrainte aurait également nécessité un certain contrôle physique. Il a affirmé qu’il croyait que, compte tenu des circonstances, il pouvait accompagner le détenu M à sa cellule de façon plus efficace à l’aide d’un contrôle physique. En outre, il a fait valoir que cela a fonctionné, puisque le détenu a été confiné dans sa cellule sans perturber l’unité. En contre-interrogatoire, on lui a demandé d’expliquer la raison pour laquelle il n’a pas utilisé l’oléorésine de Capsicum (OC) ou le vaporisateur de poivre. Il a expliqué qu’il aurait été dangereux d’utiliser un tel vaporisateur en présence des autres détenus.

17 Une fois que le détenu M était dans sa cellule, il était [traduction] « confiné dans sa cellule », ce qui signifie qu’il ne pouvait pas quitter sa cellule parce que la porte était verrouillée. M. Vianzon a témoigné qu’il avait imposé au détenu la restriction relative à la cellule à 16 h et qu’il avait indiqué ce fait dans son écriture dans le journal de l’unité de ce jour-là (pièce G-8). Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait discuté avec M. Vianzon de la décision d’imposer au détenu M la restriction avant que lui et M. Scott n’aient approché le détenu. Toutefois, il a indiqué que M. Vianzon l’aurait fait sans en discuter, car il est un agent chevronné.

18 Le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon ont tous été interrogés dans le cadre du contre-interrogatoire quant à la question de savoir la durée de l’interaction entre le détenu M, le fonctionnaire et M. Scott. M. Vianzon a indiqué qu’il croyait qu’elle a duré entre 30 secondes et une minute et M. Scott et le fonctionnaire ont tous les deux affirmé qu’ils croyaient qu’elle a duré moins de 30 secondes. En contre-interrogatoire, M. Scott a convenu qu’elle a peut-être duré entre 15 et 20 secondes.

19 Après l’incident, le fonctionnaire est retourné à son poste, en vérifiant d’abord avec l’infirmier pour s’assurer qu’un infirmier avait examiné le détenu N. Il a ensuite rédigé un rapport d’observation (pièce G-9). M. Scott en a rédigé un aussi (pièce G-11). Le fonctionnaire a également rédigé un rapport d’observation concernant le détenu N, lequel a été présenté au gestionnaire correctionnel (pièce G-10). M. Vianzon a témoigné qu’il a rédigé un rapport le 13 avril 2012 et qu’il l’a laissé sur le bureau, mais qu’il l’avait égaré. On lui a demandé d’en rédiger un autre lorsqu’il est revenu de ses jours de congé prévus. Le deuxième rapport a été produit à titre de pièce G-7.

20 Le fonctionnaire a témoigné qu’en plus de rédiger son rapport d’observation, il a appelé le bureau du gestionnaire correctionnel deux fois avant qu’il n’ait pu joindre M. Cerant, le gestionnaire correctionnel, par téléphone à 18 h 50. Il a indiqué que les deux fois qu’il a appelé, la ligne était occupée et qu’il ne pouvait pas laisser un message, car il n’y avait aucune messagerie vocale. Il a réussi à joindre M. Cerant.

21 Cinq séquences vidéo de surveillance ont été produites en preuve (pièce E-18) au cours du témoignage de Mme Justason qui les a examinés dans le cadre de son enquête de l’incident. Les séquences vidéo sont en noir et blanc, n’ont aucun audio et ont été prises à l’aide de caméras installées à différents endroits dans l’unité. La séquence vidéo no 156 montre l’agression initiale entre le détenu M et le détenu N dans le coin gauche supérieur du vidéo. La séquence vidéo no 158 montre le fonctionnaire qui accompagne le détenu M le long du couloir jusqu’à sa cellule avec M. Scott qui le suit. L’image montre que le fonctionnaire a une main sur l’arrière du chandail du détenu près du collet et l’autre bras autour de la poitrine du détenu. La séquence vidéo no 160 montre le fonctionnaire et M. Scott qui discutent avec le détenu M à la table, mais l’image est bloquée par un escalier. Il montre également le fonctionnaire et M. Scott qui accompagnent le détenu jusqu’à sa cellule. La séquence vidéo no 162 montre le fonctionnaire qui force le détenu M à marcher dans le couloir jusqu’à sa cellule. Toutes les séquences vidéo, sauf no 162, montrent les autres détenus assis à proximité du détenu M et debout près du serveur ou du guichet de médicaments.

22 La dernière séquence vidéo produite en preuve, no 176 (pièce E-18), offre la seule image qui n’est pas bloquée en grande partie de l’interaction entre le détenu M et le fonctionnaire et M. Scott à la table. D’après la séquence vidéo, il est évident que les deux agents correctionnels et le détenu tiennent une discussion au cours de laquelle le fonctionnaire ramasse le plateau du détenu. La vidéo montre le détenu debout. On peut voir le fonctionnaire qui pointe. Le détenu tourne légèrement son corps. Le fonctionnaire dépose le plateau, prend le bras du détenu et l’arrière de son chandail et le tourne dans la direction vers laquelle ils commencent à marcher. Il est impossible de voir la partie inférieure des jambes du détenu pendant qu’il parle avec les agents correctionnels à la table ou lorsqu’il s’est levé, parce la partie inférieure de l’image est bloquée par une table où un autre détenu est assis.

23 Le 13 avril 2012, M. Cerant était le gestionnaire correctionnel intérimaire. Il travaillait le quart de nuit et il était l’agent responsable de l’établissement. Il a témoigné que le fonctionnaire avait signalé l’incident de recours à la force. Son écriture dans le journal a été présentée en preuve à titre de pièce E-1 et elle indique que le fonctionnaire l’a appelé à 18 h 50.

24 En contre-interrogatoire, M. Cerant a confirmé que le poste du bureau du gestionnaire correctionnel est 7706 et qu’il n’y a aucune messagerie vocale. Il a témoigné qu’après avoir reçu l’avis de recours à la force du fonctionnaire, sa partenaire est allée à l’Unité de réadaptation pour y mener une enquête. Lorsqu’elle est revenue, ils ont regardé les séquences vidéo.

25 M. Cerant a témoigné que les caméras étaient situées à divers endroits dans l’établissement. Le fil de vidéo est un système informatique. Les écrans et le matériel dans le bureau du gestionnaire correctionnel sont utilisés pour examiner les séquences de vidéo, lesquelles sont également enregistrées sur des DVD. M. Cerant n’a pas visionné les cinq séquences vidéo produites en preuve (pièce E-18). Il a témoigné qu’il a examiné les séquences vidéo nos 158 et 176. Il ne se souvenait pas d’avoir visionné les autres. En contre-interrogatoire, M. Cerant a affirmé qu’il savait combien de caméras qu’il y avait dans l’Unité de réadaptation. Il a indiqué qu’il y avait plus de caméras que celles desquelles les séquences vidéo ont été prises. Il a confirmé qu’il n’avait pas examiné la séquence de toute autre caméra.

26 M. Cerant a témoigné qu’après qu’il a examiné la séquence vidéo, il a préparé un « Rapport sur le recours à la force » (pièce E-2). Il a rempli sa partie du rapport et l’a acheminé vers le haut de la chaîne hiérarchique. Il a également examiné la séquence vidéo avec le fonctionnaire afin qu’il lui explique les événements. M. Cerant a témoigné qu’il se préoccupait principalement de la technique utilisée par le fonctionnaire pour accompagner le détenu à sa cellule, qu’il a décrite comme inhabituelle. M. Cerant a également rédigé un rapport d’observation (pièce E-3) le 16 avril 2012, à la demande de la directrice adjointe des Opérations.

27 En contre-interrogatoire, M. Cerant a indiqué qu’il connaissait le MGS, qui fait partie de la Directive du commissaire 567 – Gestion des incidents de sécurité (pièce G-1). Il a indiqué qu’un détenu qui « résiste verbalement », conformément à ce qui est établi dans le MGS, est un détenu qui fait preuve de violence verbale. Un détenu qui est « physiquement non coopératif » est un détenu qui refuse de suivre les instructions ou des ordres légitimes. Il a expliqué que le MGS n’indique pas le nombre de fois qu’un ordre doit être donné ou combien de temps un agent correctionnel doit attendre avant de prendre une mesure. Il a indiqué que le MGS est un guide que les agents doivent suivre. Il établit les options relatives au recours à la force à l’égard des détenus qui sont physiquement non coopératifs, à savoir une intervention verbale, une négociation, l’OC ou le vaporisateur de poivre, et le contrôle physique. Il a expliqué que le modèle n’est pas linéaire et qu’il accorde un pouvoir discrétionnaire aux agents correctionnels parce chaque situation est différente.

28 Les agents sont tenus de tout faire pour isoler, maîtriser et contrôler une situation. M. Cerant a expliqué que la première étape est d’isoler une situation afin d’empêcher qu’elle ne s’étende à l’échelle de l’établissement. Afin de maîtriser une situation, les agents doivent s’assurer que la situation ne s’étend pas plus loin qu’une petite zone géographique. Les concepts de « isoler » et de « maîtriser » pourraient comprendre le fait d’ordonner à un détenu de retourner à sa cellule et de l’enfermer. En ce qui concerne un détenu qui agresse un autre détenu, il serait approprié de demander à l’agresseur de s’enfermer. La décision quant au choix du moment d’informer le Poste principal de contrôle des communications (PPCC) et d’appeler à l’aide relève de la discrétion et du jugement de l’agent parce que cela dépend de la situation.

29 M. Cerant a indiqué que les agents ne répondent pas nécessairement de manière identique aux incidents. Les personnes réagissent de manière différente aux situations. Deux agents faisant face à la même situation pourraient y intervenir de manière différente, mais cela ne signifie pas que l’une des deux interventions est mauvaise ou que l’autre est meilleure. Il a reconnu que les déclarations des détenus sont pertinentes pour évaluer une situation. Le ton de voix et les mots utilisés sont importants pour déterminer si l’on doit avoir recours à la force.

30 M. Cerant a témoigné que son rapport d’observation (pièce E-3) constitue une déclaration exacte de ses observations. En contre-interrogatoire, il a reconnu que le rapport ne faisait aucun renvoi au fait que le détenu avait renversé du lait et il a affirmé n’avoir aucun souvenir de lait renversé. Il a affirmé que, si son partenaire avait indiqué un élément important, il l’aurait signalé.

31 M. Johnson est un infirmier à l’Unité de réadaptation. Il était en fonction le jour de l’incident pertinent. Il a témoigné qu’il a fait une évaluation à la suite d’un recours à la force du détenu M et qu’il n’a constaté aucune blessure. Il n’a pas produit de rapport sur la « classification des blessures » parce qu’il n’y avait aucune blessure à signaler.

32 M. Hackett était le directeur de l’établissement pendant la période pertinente. Il a témoigné qu’il a pris connaissance du recours à la force par le fonctionnaire le lundi 16 avril 2012. Il a expliqué que le gestionnaire correctionnel en a informé Carole Chen, la directrice adjointe des Opérations. Elle l’a porté à son attention. En contre-interrogatoire, M. Hackett a reconnu qu’il y a de nombreuses caméras dans l’Unité de réadaptation et que, plus particulièrement, il y en a une au-dessus du coin cuisine. Il n’a examiné aucune séquence vidéo de cette caméra. La seule séquence vidéo qu’il a examinée était celle produite en preuve à titre de pièce E-18. Il a indiqué que les séquences vidéo qu’il a examinées étaient celles que le gestionnaire correctionnel des opérations a extraites et a déterminées être pertinentes. Cette personne n’a pas témoigné.

33 Selon les préoccupations soulevées par les gestionnaires correctionnels et la directrice adjointe des Opérations, en plus de son propre examen des séquences vidéo (pièce E-18), il croyait que le recours à la force par le fonctionnaire justifiait un examen accéléré concernant des cas d’intervention nécessitant un recours à la force. Il a consigné ses préoccupations dans le cadre d’un échange de courriels (pièce E-4). La Directive du commissaire 567-1 – Recours à la force (pièce E-5) exigeait qu’il en informe les administrations centrales et régionales afin qu’elles réalisent un examen accéléré concernant les cas d’intervention nécessitant un recours à la force. Elle exige également que l’examen soit achevé dans un délai de 20 jours, comportant un examen effectué par l’établissement à de nombreux niveaux. Le rapport sur le recours à la force (pièce E-2) illustre les nombreux niveaux d’examen, en commençant par le rapport initial de l’agent qui a eu recours à la force. M. Hackett a témoigné qu’il s’agissait de la première fois qu’il avait recours au processus aux fins d’un examen accéléré concernant les cas d’intervention nécessitant un recours à la force.

34 M. Hackett a témoigné que l’examen concernant les cas d’intervention nécessitant un recours à la force est de nature administrative et qu’il permet uniquement de déterminer les violations de la politique. Par conséquent, en plus d’amorcer l’examen concernant les cas d’intervention nécessitant un recours à la force, il a également amorcé une enquête disciplinaire qui visait à déterminer la culpabilité. Entre-temps, il a réaffecté le fonctionnaire à un poste au Centre de gestion du matériel (pièce E-6), où il n’aurait aucun contact avec les détenus. M. Hackett a expliqué qu’il avait suffisamment de préoccupations quant au recours à la force par le fonctionnaire dans les circonstances visées par l’examen qu’il croyait qu’il devait s’assurer que le fonctionnaire n’ait aucun contact avec les détenus, surtout en raison du fait qu’il pourrait être nécessaire qu’un agent correctionnel ait recours à la force en tout temps.

35 M. Hackett a nommé Mme Justason, une enquêteuse régionale de SCC, pour mener l’enquête disciplinaire (pièce E7). Elle a été priée d’établir les faits liés à l’allégation selon laquelle le fonctionnaire a eu recours à une force inappropriée à l’égard du détenu M le 13 avril 2012. En contre-interrogatoire, il a expliqué qu’il a consulté les administrations centrales et régionales au sujet de l’affectation d’un enquêteur et, plus particulièrement de l’affectation de Mme Justason (pièce G-3). Il a affirmé qu’il a confirmé qu’elle était une enquêteuse principale, chevronnée et qualifiée. Il lui a également parlé avant de la nommer afin de s’assurer qu’elle était disponible. Il a reconnu qu’il la connaissait également parce qu’ils avaient suivi leur formation à titre d’agent correctionnel ensemble en 1995. Le fonctionnaire a été informé de la nomination de l’enquêteuse (pièce E-8).

36 Mme Justason a témoigné que, pendant la période pertinente, elle faisait partie de l’équipe d’enquête régionale. Elle a été nommée à l’équipe en 2010 et a suivi une formation en enquête au niveau national. L’équipe d’enquête régionale a mené des enquêtes disciplinaires, ainsi que des enquêtes d’agressions contre les détenus et des surdoses de drogues. Au moment de l’enquête de la question en litige, elle estimait qu’elle avait effectué environ 20 enquêtes disciplinaires. Elle a affirmé que son approche à ces enquêtes consiste d’abord à savoir si le comportement en question a réellement eu lieu et, dans l’affirmative, si ce comportement a contrevenu aux Règles de conduite professionnelle (pièce E-11) ou au Code de discipline (pièce E-12) de SCC. En raison des problèmes liés à cette question, elle a également consulté la Directive du commissaire 567-1 – Recours à la force (pièce E-5).

37 Dans le cadre de la rédaction de son rapport d’enquête (pièce E-9), Mme Justason s’est présentée à l’établissement afin d’obtenir les documents et les rapports nécessaires. Il convient de noter que les documents et les rapports qu’elle a consultés n’étaient pas joints à la copie de son rapport d’enquête produit en preuve. Elle a témoigné que le représentant syndical du fonctionnaire avait demandé les registres des appels relativement aux postes téléphoniques du bureau du gestionnaire correctionnel (pièce E-17) et qu’elle en avait donné une copie de ces dossiers. Elle a également examiné plusieurs fois chaque séquence vidéo (pièce E-18).

38 Selon le témoignage de Mme Justason, en plus d’avoir examiné les séquences vidéo, elle estimait qu’il était nécessaire d’interroger les personnes concernées par la situation. Elle a indiqué qu’avant que la vidéo ne soit disponible, les entrevues constituaient les seuls outils dont disposaient les enquêteurs et qu’elles représentaient la meilleure façon de déterminer le contexte. Par conséquent, elle a interrogé le fonctionnaire, M. Scott, M. Vianzon, Christina Photonopoulos, qui était la partenaire de M. Cerant, M. Cerant et Victoria Hammond, une infirmière et la chef d’équipe de soins cliniques de l’Unité de réadaptation. Il convient de noter que ni ses notes d’entrevue ni les enregistrements sonores de ses entrevues de ces personnes, y compris celle du fonctionnaire, n’étaient joints à la copie du rapport d’enquête produit en preuve. Mme Justason a témoigné qu’elle a également examiné les rapports d’observation rédigés par les agents concernés, ainsi que la déclaration du fonctionnaire en date du 25 avril 2012 (pièce E-19).

39 Mme Justason a indiqué que, dans le cadre de l’élaboration de son récit des faits, elle a conclu que le fonctionnaire et M. Scott ont pris connaissance de l’agression contre le détenu N par l’entremise de la personne qui a répondu à l’appel au bloc de régulation. Elle a affirmé qu’elle croyait que le fonctionnaire et M. Scott ont omis de prendre le temps nécessaire pour obtenir tout renseignement de base. Ils se sont approchés du détenu M à sa table et ils ont engagé avec lui une conversation qui a duré 17 secondes. À ce point, le détenu s’est levé avec sa tasse dans une main et un ustensile en plastique dans l’autre. Le fonctionnaire a propulsé le détenu le long de la rangée jusqu’à sa cellule en utilisant le corps du détenu pour ouvrir la porte de la cellule. Mme Justason a indiqué que la porte n’était pas verrouillée lorsque les agents ont laissé le détenu dans sa cellule. Elle a affirmé qu’il aurait fallu que les agents retournent au bloc de régulation pour verrouiller la porte parce qu’elle ne se verrouillait pas automatiquement lorsqu’elle est fermée. Les agents n’ont pas informé immédiatement le gestionnaire correctionnel du recours à la force et ils n’ont pas vérifié le bien-être du détenu N qui avait été la victime de l’agression.

40 Mme Justason a indiqué qu’elle croyait que l’omission des agents d’obtenir des renseignements de base était pertinente parce que le MGS exige une évaluation initiale de la situation en vue d’empêcher que les agents n’abordent une situation à l’aveuglette, ce qui pourrait être très dangereux. Elle a fait valoir que le fonctionnaire et M. Scott lui ont tous les deux dit qu’ils n’ont pas arrêté pour enquêter avant d’agir parce qu’ils voulaient isoler le détenu M de la situation. Elle se préoccupait du fait que si leur évaluation était exacte, le fonctionnaire était à proximité du détenu M et il tenait son plateau; par conséquent, il n’aurait pas été en mesure de se défendre en cas de problème.

41 Mme Justason croyait également qu’une période de 17 secondes était trop courte pour obtenir les renseignements nécessaires en vue d’y répondre de façon appropriée. Elle a indiqué qu’au cours de son entrevue avec le fonctionnaire, il semblait ne pas être au courant d’un certain nombre de faits, y compris la rapidité de son intervention et le fait que le détenu M tenait une tasse et un ustensile. À son avis, le fonctionnaire n’a pas pris assez de temps pour obtenir des renseignements avant d’intervenir. Elle a conclu que ni le fonctionnaire ni M. Scott n’ont tenté de s’informer quant à l’identité de l’autre détenu concerné par l’agression, s’il était blessé ou si une arme avait été utilisée. Elle a soutenu que ni le fonctionnaire ni M. Scott n’a indiqué ces renseignements dans leur rapport d’observation et que le fonctionnaire lui a avoué qu’il ne les avait pas obtenus avant d’intervenir. Elle a indiqué que les autres détenus étaient dans la rangée, mais que le fonctionnaire n’a pas arrêté pour songer à la question de savoir si le fait d’engager le détenu M inciterait une réaction de ces derniers.

42 Mme Justason a témoigné qu’une fois qu’elle a recueilli tous les renseignements disponibles, elle a analysé la situation pour déterminer si le contrôle physique exercé par le fonctionnaire à l’endroit du détenu M était approprié dans les circonstances. Elle a soutenu que les options pour recourir à la force prévue dans le MGS ne sont pas linéaires, car chaque personne analyse et répond différemment aux événements. Le MGS constitue une représentation graphique des interventions appropriées aux différents comportements. À son avis, le comportement du détenu relevait de la catégorie « résiste verbalement ». Il était effronté et résistait verbalement, mais il obéissait physiquement à l’ordre des agents. Il s’est levé, a ramassé ses affaires et s’est tourné vers sa cellule.

43 Mme Justason a témoigné qu’au cours de leurs entrevues avec elle, M. Scott et le fonctionnaire ont reconnu que le détenu M obéissait et qu’il ne résistait que verbalement à l’ordre. Elle a indiqué que, compte tenu de ce fait, les agents auraient dû tenter la résolution de conflits ou une intervention verbale plutôt qu’un contrôle physique, ce qui n’était pas nécessaire et, par conséquent, est contraire à la politique et excessif. Elle a affirmé qu’elle n’acceptait pas l’explication du fonctionnaire relative au contrôle physique, laquelle elle décrite à la page 14 de son rapport, parce qu’elle croit que l’explication comporte des incohérences. Plus particulièrement, elle croyait que le fait qu’il n’a pris aucune mesure pour s’assurer que le détenu N, la victime de l’agression, est traité indiquait qu’il n’avait aucun motif réel de croire que la force était nécessaire.

44 Une fois que Mme Justason a achevé son analyse, elle a rédigé son rapport et elle est parvenue à trois constatations. En premier lieu, elle a conclu que la force n’était pas nécessaire. En deuxième lieu, elle a conclu que la force était inappropriée et excessive. En troisième lieu, elle a conclu que le contrôle physique exercé par le fonctionnaire à l’endroit du détenu M était inapproprié et n’était pas conforme à sa formation. Elle a affirmé qu’elle avait consulté les relations de travail alors que son rapport était encore une ébauche. Une fois qu’elle l’a achevé le 30 avril 2012, elle l’a acheminé à M. Hackett et son rôle a pris fin.

45 En contre-interrogatoire, Mme Justason a reconnu qu’elle n’avait pas interrogé les infirmiers en fonction au moment de l’incident et qu’elle n’avait pas interrogé ni le détenu N ni le détenu M, ni aucun autre détenu qui se trouvait à proximité au moment de l’incident. Elle ne se souvenait pas du nombre de rapports d’observation qu’elle avait examinés dans le cadre de la rédaction de son rapport et elle a reconnu que le rapport ne comporte aucune énumération de ces derniers.

46 Mme Justason a également reconnu en contre-interrogatoire qu’elle n’a pas demandé d’obtenir la séquence vidéo des autres caméras de surveillance dans l’Unité de réadaptation. Elle a indiqué qu’elle croyait que la séquence qu’elle a examinée était la seule séquence vidéo prise et qu’elle n’était pas au courant d’autres caméras dans l’Unité. Les séquences vidéo nos 158 et 176 lui ont été montrées au cours de son contre-interrogatoire et les objets que les autres témoins ont indiqués être des caméras au-dessus de la dépense et du guichet de médicaments lui ont aussi été indiqués. Malgré ce fait, elle n’a pas reconnu qu’il s’agissait de caméras.

47 Mme Justason a déclaré qu’elle a examiné plusieurs fois les séquences vidéo, mais elle ne pouvait pas indiquer le logiciel qu’elle a utilisé pour les visionner ni le nombre d’images par seconde enregistrées par les caméras. Elle a déterminé la durée de l’incident selon le temps enregistré par les caméras. Elle a convenu qu’il était possible que la durée ait été enregistrée incorrectement. Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé entre l’agression contre le détenu N et l’intervention des agents auprès du détenu M.

48 Mme Justason a été interrogée au sujet de sa conclusion selon laquelle le détenu M obéissait à l’ordre que lui avait donné les agents, soit de retourner à sa cellule. Plus particulièrement, elle a été interrogée au sujet d’une déclaration faite à la page 8 de son rapport (pièce E-9) selon laquelle les pieds du détenu étaient parallèles et qu’il se tournait en direction de sa cellule. Lorsqu’elle a été interrogée quant à savoir quelle séquence vidéo lui permettait de voir ses pieds, elle a indiqué la séquence vidéo no 176. Toutefois, après avoir examiné de nouveau cette séquence vidéo, elle a reconnu qu’il était impossible de voir ses pieds. Néanmoins, elle a déclaré qu’il se tournait et que son mouvement suggérait l’obéissance. Lorsqu’on lui a demandé s’il était possible que le détenu se soit tourné en direction de la dépense, elle a indiqué qu’elle n’avait aucun motif de croire cela et que ni le fonctionnaire, ni M. Scott ne lui ont suggéré ce fait.

49 Mme Justason a reconnu que l’ordre donné au détenu M de retourner à sa cellule constituait un ordre légitime et elle a répété sa conclusion selon laquelle le détenu M n’a pas refusé d’obéir à cet ordre. Elle n’a pas convenu que sa constatation était contraire aux déclarations données par le fonctionnaire et M. Scott. Elle a indiqué que M. Scott lui avait dit que le détenu [traduction] « n’avait pas adopté une position de bagarre », même si elle a reconnu que l’adoption de cette position n’est pas nécessaire pour refuser d’obéir à un ordre. Elle a reconnu que le fonctionnaire lui avait dit qu’il avait conclu que le détenu n’obéirait pas à l’ordre de retourner à sa cellule, car il ne se dirigeait pas vers sa cellule, mais elle ne s’est pas opposée à cette évaluation.

50 Mme Justason ne pouvait pas se souvenir de qui lui avait dit que le détenu M n’avait pas été confiné dans sa cellule après qu’il a été enfermé dans sa cellule. Elle a indiqué qu’elle ne pouvait que dire qu’elle avait été informée qu’il pouvait encore sortir de sa cellule après que les agents l’ont accompagné.

51 En contre-interrogatoire, Mme Justason a été interrogée au sujet de sa constatation figurant à la page 10 de son rapport (pièce E-9) selon laquelle le fonctionnaire n’avait pas signalé le recours à la force avant trois heures après son incidence. Plus particulièrement, elle a été interrogée relativement à sa déclaration selon laquelle un examen des registres des appels effectués des bureaux au bloc de régulation à l’Unité de réadaptation au bureau du gestionnaire correctionnel indiquait que le fonctionnaire avait appelé le bureau à 18 h 45. Lorsqu’on lui a demandé d’examiner le registre des appels (pièce E-17), elle a reconnu que deux appels avaient été faits antérieurement au bureau du gestionnaire correctionnel de l’Unité de réadaptation, l’un à 16 h 23 et l’autre à 16 h 29.

52 Mme Justason a été interrogée au sujet de son observation figurant à la page 13 de son rapport (pièce E-9) où elle a indiqué que le fonctionnaire et M. Scott avaient omis d’informer le PPCC de la situation. Elle a affirmé qu’elle s’était fiée au témoignage des agents correctionnels relativement à la pratique d’appeler à l’aide et qu’elle a examiné les ordres de poste. Elle n’était pas au courant du fait que le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon avaient décidé que l’appel à l’aide n’était pas nécessaire et elle n’avait aucune idée d’où, dans l’établissement, l’aide serait venue s’ils l’avaient demandée.

53 Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de sa constatation selon laquelle le fonctionnaire n’a pas vérifié le bien-être du détenu N, Mme Justason a affirmé que sa conclusion était fondée sur ce qui lui avait été dit. Elle a fait valoir que le fonctionnaire ne lui avait pas dit que, lorsqu’il était retourné au bloc de régulation, un infirmer avait déjà examiné le détenu N.

54 Mme Justason a été interrogée au sujet de sa conclusion selon laquelle le fonctionnaire aurait dû connaître les politiques applicables et les directives du commissaire, mais qu’il ne les connaissait pas. On lui a demandé d’indiquer le nombre de politiques en vigueur et elle a répondu qu’elle ne le savait pas. Toutefois, elle a affirmé que les agents correctionnels doivent connaître le contenu de toutes les politiques applicables, même s’ils ne savent pas nécessairement le nombre de politiques en vigueur.

55 M. Hackett a témoigné qu’il a examiné le rapport de Mme Justason dès qu’il l’a reçu. Il a compris, d’après ce rapport, qu’elle croyait que le recours à la force par le fonctionnaire n’était pas nécessaire et la méthode de force utilisée n’était pas nécessaire. Il a accepté le rapport, ainsi que les faits qu’il comporte. Par conséquent, il a visé une audience disciplinaire avec le fonctionnaire qui aurait eu l’occasion, à ce moment-là, de répondre au rapport.

56 L’audience disciplinaire a eu lieu le 11 mai 2012. M. Hackett a témoigné qu’il avait examiné les constatations de l’enquêteuse et qu’il avait ensuite donné l’occasion au fonctionnaire d’expliquer ses actes. M. Hackett a commencé à avoir des préoccupations lorsqu’il lui est devenu évident que le fonctionnaire ne comprenait pas bien le MGS et les options relatives au recours à la force. Plus particulièrement, M. Hackett a indiqué que 17 secondes seulement s’étaient écoulées entre le début de la discussion avec le détenu M et le recours à la force. Le détenu M se tournait en direction de sa cellule lorsque le fonctionnaire a eu recours à la force. M. Hackett voulait comprendre la raison pour laquelle le fonctionnaire a réagi de cette façon plutôt que d’utiliser le dialogue ou d’autres techniques, conformément à ce qui est indiqué dans le MGS. Le fonctionnaire ne pouvait pas répondre à ses préoccupations. Selon son témoignage, M. Hackett et le fonctionnaire ont eu une bonne discussion au sujet de la situation et de la voie à suivre. Il a indiqué que le fonctionnaire a reconnu qu’il avait des œillères et qu’il se peut qu’il n’ait pas agi conformément au MGS.

57 M. Hackett a témoigné qu’il avait conclu au cours de l’audience disciplinaire que le fonctionnaire avait contrevenu à la Directive du commissaire 567 – Gestion des incidents de sécurité (pièce G-1), et, plus particulièrement, aux paragraphes 32 et 34, ainsi qu’à l’annexe A, soit le MGS. M. Hackett a affirmé qu’il avait déterminé que le recours à la force n’était pas nécessaire parce que, même si le détenu M faisait preuve de violence verbale, il commençait à obéir et s’était tourné en direction de sa cellule, conformément à l’ordre qui lui avait été donné.

58 M. Hackett a également conclu que le fonctionnaire avait contrevenu aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada (pièce E-11), qui s’appliquent à tous les employés de SCC et qui sont mentionnées dans toutes les lettres d’offre et au cours de la première formation. Le fonctionnaire avait également contrevenu à la Directive du commissaire 060 – Code de discipline (pièce E-12), laquelle porte sur l’exécution appropriée des tâches de tous les employés.

59 En consultation avec la section des relations de travail, M. Hackett a déterminé que le fonctionnaire était coupable d’une inconduite grave et qu’une sanction disciplinaire était nécessaire. Il a indiqué qu’il lui était évident que le fonctionnaire a compris trop tard au cours du processus que sa conduite avait été erronée. Il se préoccupait également de la similarité entre l’incident et un incident antérieur à l’égard duquel le fonctionnaire a fait l’objet d’une réprimande écrite. En consultant l’Entente globale entre le Service correctionnel du Canada (SCC) et le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) (pièce E-13; l’« Entente globale »), il a établi que la sanction disciplinaire appropriée pour une inconduite grave correspondait à une somme égale à sa rémunération de quatre jours, ou 760 $, tel que cela est indiqué à la page 22 de ce document. Il a informé le fonctionnaire dans une lettre en date du 18 mai 2012 (pièce E-14) des motifs de la mesure disciplinaire et de la sanction. Après avoir suivi une formation de rattrapage sur le recours à la force, que M. Hackett croyait être nécessaire, le fonctionnaire est retourné à son poste d’attache à l’Unité de réadaptation le 23 mai 2012.

60 En contre-interrogatoire, M. Hackett a confirmé que la tactique d’accompagnement que le fonctionnaire a utilisée, même si elle était inhabituelle, ne constituait pas un facteur de sa décision de lui imposer une mesure disciplinaire. M. Hackett a indiqué qu’il avait été influencé par le fait que le fonctionnaire n’avait jamais expliqué de façon appropriée la raison pour laquelle il croyait qu’il était nécessaire de recourir à la force. Il croyait que le fonctionnaire avait contrevenu au MGS et que, ce faisant, il s’était exposé à des risques et qu’il avait exposé les autres à des risques aussi. Toutefois, il a reconnu qu’il a paru que d’autres détenus visibles dans les séquences vidéo n’ont pas réagi à l’incident. Il croyait que le fait que le détenu M s’était déjà tourné en direction de sa cellule et qu’il n’avait pas adopté une position agressive lorsque le fonctionnaire a exercé un contrôle physique montrait que le recours à la force n’était pas approprié et que d’autres techniques auraient pu été utilisées.

61 M. Hackett a reconnu que le ton de voix du détenu M et les mots qu’il a utilisés au cours de l’incident seraient pertinents et ils n’étaient pas évidents d’après la séquence vidéo, soit la raison pour laquelle une enquête a été effectuée. Il a indiqué qu’il est évident que le détenu résistait verbalement. Il se préoccupait du fait que le fonctionnaire a abordé une situation sans connaître les renseignements de base. Les actes du fonctionnaire, tel que l’indique la séquence vidéo et ses déclarations, ne correspondaient pas à des préoccupations légitimes qu’il aurait pu avoir relativement à l’incident. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de savoir si le fonctionnaire a contesté la suggestion selon laquelle le détenu s’était tourné en direction de sa cellule, M. Hackett a affirmé que le fonctionnaire a éprouvé de la difficulté à se rappeler des événements et a fait référence encore une fois au fait que le fonctionnaire avait des œillères. Il a indiqué que le fonctionnaire a donné une version des événements qui n’offrait aucune explication claire, uniforme ou justifiable de son recours à la force.

62 M. Hackett a expliqué qu’il croyait que le fonctionnaire avait agi d’une manière qui a jeté le discrédit sur le service correctionnel. Il a reconnu que le rapport de Mme Justason ne comporte aucune conclusion de cette nature. Il a indiqué qu’il a effectué une évaluation indépendante à cet effet parce que, même s’il n’y avait aucun renseignement public ni aucune publicité de l’incident, la possibilité de la publicité existait. Il a reconnu qu’une réputation quant au recours à une force excessive ternirait la réputation d’un agent correctionnel auprès des détenus, mais il a indiqué que le fonctionnaire avait une bonne réputation.

63 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été interrogé au sujet de la question de savoir s’il souscrivait à l’opinion de M. Hackett selon laquelle il aurait pu prendre différentes mesures. Il a indiqué qu’au cours de la réunion disciplinaire, il doutait ses mesures et, par conséquent, il a peut-être indiqué qu’il était d’accord avec M. Hackett. Il a expliqué que M. Hackett citait les règles des différentes directives du commissaire et que, à ce moment-là, il aurait tout accepté pour pouvoir retourner travailler à l’Unité de réadaptation.

64 M. Nuyen est le gestionnaire correctionnel de l’Unité de réadaptation. Le fonctionnaire relève de ce dernier. Il n’était pas présent pendant l’incident du 13 avril 2012, mais il a témoigné que le fonctionnaire relevait de lui depuis la dernière année et demie. Il a affirmé que le fonctionnaire est un travailleur acharné, qu’il avait un bon rapport avec les détenus et qu’il pouvait neutraliser des situations difficiles.

65 M. Vianzon et M. Scott ont témoigné qu’ils n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires en raison de l’incident en question.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

66 L’employeur a reconnu qu’il lui incombait de prouver qu’une mesure disciplinaire était justifiée dans les circonstances de l’espèce et que la sanction imposée était raisonnable. L’employeur a invoqué Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, pour indiquer que la mesure disciplinaire avait été jugée justifiée dans les cas où les employés ont contrevenu à son Code de discipline (pièce E-12) ou aux Règles de conduite professionnelle (pièce E-11). Puisque le fonctionnaire a reconnu qu’il était au courant de ces documents, les seules questions qui se posent sont celles de savoir si la mesure disciplinaire était justifiée et si la mesure disciplinaire était excessive.

67 La lettre disciplinaire (pièce E-14) comportait les motifs de la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire. Elle précisait les règles qui ont été enfreintes et elle comportait une explication des facteurs qui ont été pris en compte dans le cadre de l’imposition de la mesure disciplinaire. M. Hackett a expliqué, au cours de son témoignage, le processus qu’il a suivi pour déterminer si une mesure disciplinaire est justifiée. Il a examiné la séquence vidéo et a fixé un examen accéléré concernant les cas d’intervention nécessitant un recours à la force, qui a été effectué conformément à la Directive du commissaire 567-1 (pièce E-5).L’examen du recours à la force était fondé sur le rapport sur le recours à la force (pièce E-2), qui comporte une description des préoccupations quant aux actes du fonctionnaire. M. Hackett a expliqué qu’il a demandé une enquête disciplinaire en vue de recueillir tous les faits relatifs à l’incident parce qu’il n’avait vu que la séquence vidéo.

68 Mme Justason a effectué l’enquête disciplinaire. Selon son témoignage, elle a examiné tous les documents pertinents, la séquence vidéo et toutes les directives du commissaire pertinentes. Elle a conclu que le recours à la force par le fonctionnaire n’était pas nécessaire et n’était pas conforme au MGS prévu à la Directive du commissaire 567.

69 M. Hackett a tenu une audience disciplinaire et a eu une discussion approfondie avec le fonctionnaire au sujet de ses actes. Il a conclu que le fonctionnaire ne comprenait pas les exigences de la Directive du commissaire 567. Il a témoigné qu’il a imposé une mesure disciplinaire uniquement après avoir lu le rapport d’enquête et avoir effectué l’entrevue disciplinaire. Il a conclu que le fonctionnaire n’avait pas agi conformément à la Directive du commissaire 567 et au MGS. Il a indiqué qu’il croyait que le fonctionnaire pouvait se racheter et, par conséquent, il a pris les dispositions nécessaires pour qu’il suive une formation de rattrapage avant qu’il ne retourne à son poste.

70 L’employeur a soutenu que la preuve établissait que 23 secondes seulement s’étaient écoulées entre la première communication entre le fonctionnaire et le détenu M et son recours au contrôle physique. Le témoignage de tous les témoins concordait. Même si le fonctionnaire a utilisé les interventions établies par le MGS, comme les ordres verbaux et la négociation, il l’a fait en séquence rapide et a donné peu de temps au détenu pour y obéir. Selon le témoignage de tous les témoins présents pendant la période pertinente, il était clair que le détenu s’est levé, en tenant sa tasse et un ustensile. Le fonctionnaire a témoigné qu’il croyait que le détenu avait l’intention de se rendre à la dépense, mais Mme Justason croyait que le détenu coopérait même s’il résistait verbalement.Même s’il est impossible de connaître l’intention du détenu, il est évident que le fonctionnaire lui a accordé très peu de temps pour obéir avant d’avoir recours au contrôle physique.

71 L’employeur a fait valoir qu’il convient également de noter que le fonctionnaire n’a fait aucune tentative d’utiliser des contraintes physiques, même si le MGS indique qu’il est approprié de les utiliser en même temps qu’une intervention verbale

72 L’employeur a affirmé que, compte tenu des renseignements disponibles, M. Hackett a agi de manière raisonnable lorsqu’il a déterminé que le fonctionnaire a contrevenu aux Règles de conduite professionnelle et au Code de discipline de SCC. En outre, la sanction disciplinaire qu’il a imposée était raisonnable. Il a témoigné qu’il estimait que les contraventions dont a fait preuve le fonctionnaire correspondaient à une inconduite grave. Il a déterminé la sanction appropriée en fonction de l’Entente globale (pièce E-13) qui établit les sanctions pécuniaires convenues par l’employeur et le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN) pour une inconduite. Cette entente prévoit une suspension de quatre jours à titre de sanction appropriée pour une inconduite grave. M. Hackett a choisi d’imposer une sanction pécuniaire équivalente plutôt qu’une suspension. Il a également témoigné qu’il croyait qu’il aurait pu imposer une mesure plus stricte, mais qu’il croyait que le fonctionnaire pouvait se racheter et que, grâce à la formation de rattrapage, il agirait différemment à l’avenir.

73 L’employeur a invoqué Newman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 88; Roberts c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 PSLRB 28; et Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17, pour faire valoir que la sanction pécuniaire équivalente à la rémunération de quatre jours est au bas de l’échelle relativement aux cas concernant un recours à la force excessif. Par conséquent, la mesure disciplinaire imposée était raisonnable et devrait être maintenue et le grief devrait être rejeté.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

74 Le fonctionnaire a soutenu que Basra énonce les trois questions auxquelles il faut répondre dans tous les cas disciplinaires, à savoir :

  1. Existait-il un motif raisonnable pour imposer une mesure disciplinaire?
  2. La mesure disciplinaire constituait-elle une réponse efficace?
  3. Une autre mesure devrait-elle être substituée?

75 Ces questions constituent les critères qui devraient être appliqués à toutes les mesures disciplinaires.

76 M. Hackett s’est fondé sur quatre motifs pour imposer une mesure disciplinaire. Puisqu’il a indiqué que l’infraction constituait une « inconduite grave », l’employeur devait prouver, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, chaque motif pour imposer une mesure disciplinaire, ce que le fonctionnaire a soutenu constituait un fardeau de preuve plus lourd.

77 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le fonctionnaire a agi [traduction] « […] d’une manière qui [était] susceptible de jeter le discrédit sur le Service » (lettre disciplinaire, pièce E-14), le fonctionnaire a soutenu qu’aucune preuve n’a été produite à l’appui de cette allégation. Mr. Hackett a indiqué qu’il aurait été possible que l’incident soit connu à l’extérieur de l’établissement, mais qu’il ne se préoccupait pas d’une enquête amorcée par le corps de police d’Abbotsford, en Colombie-Britannique. Le fonctionnaire a invoqué Tobin c. Procureur général du Canada, 2009 CAF 254, pour faire valoir que la question de savoir si une conduite est susceptible de jeter le discrédit sur le service correctionnel peut avoir une réponse à l’aide du bon sens et d’un bon jugement. En l’absence de production d’une preuve à l’appui de cette allégation, elle suffit, en soi, à justifier la réduction de la sanction disciplinaire.

78 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il a contrevenu à [traduction] l’« infraction prévue à l’alinéa m) » du Code de discipline à la page 3, le fonctionnaire a soutenu que l’employeur n’a produit aucune preuve claire et convaincante qui permettrait de conclure qu’il a exercé ses fonctions « […]de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort […] ». La preuve selon laquelle le détenu M n’était pas blessé n’a pas été contestée et le témoignage de M. Hackett relativement à cette allégation était fondé uniquement sur la création d’une situation hypothétique où l’incident aurait pu s’aggraver. Puisqu’il n’y a aucune preuve à l’appui de cette allégation, la sanction disciplinaire devrait être réduite.

79 En ce qui concerne la principale allégation selon laquelle il a eu recours à une force excessive à l’endroit du détenu M, le fonctionnaire a soutenu qu’aucune suggestion n’a été formulée selon laquelle l’ordre donné au détenu de retourner à sa cellule n’était pas légitime ni approprié dans les circonstances. L’employeur n’a pas contesté le fait que, dans des circonstances semblables, un détenu qui agressait un autre détenu serait prié de retourner à sa cellule. L’employeur n’a pas contesté le fait que les agents correctionnels sont tenus d’isoler, de maîtriser et de contrôler ces situations.

80 Le détenu M refusait de retourner à sa cellule. Il a dit au fonctionnaire et à M. Scott qu’il n’y retournait pas et il a dit [traduction] « Qu’est-ce que vous allez faire? ». L’employeur n’a pas contesté cette preuve. Les agents correctionnels ne sont pas tenus d’être agressé ou d’être blessés avant d’intervenir. Ils doivent maîtriser la situation. Le fonctionnaire a fait valoir que, même si le temps écoulé entre son ordre au détenu de retourner à sa cellule et le refus du détenu d’y obéir était court, il suffisait pour permettre au détenu d’indiquer clairement qu’il ne s’y conformerait pas. Il n’était pas nécessaire de lui donner plus de temps, car il avait communiqué clairement son intention.

81 M. Cerant a témoigné qu’un détenu qui refuse d’obéir à un ordre est considéré comme physiquement non coopératif. Il a également indiqué que le temps accordé à un détenu pour obéir à un ordre relève du jugement et du pouvoir discrétionnaire de l’agent et il n’est pas établi par le MGS. M. Cerant a expliqué que le MGS est un guide et n’est pas obligatoire au moment nécessaire de passer par toutes les réponses qui y sont indiquées.

82 Le fonctionnaire a soutenu que l’opinion de M. Hackett n’était pas indépendante de celle de Mme Justason. Toutefois, son enquête était viciée. Elle n’a pas tenté d’obtenir une preuve en plus de celle qui lui a été fournie. Elle n’a pas compris la routine de l’unité, l’emplacement ou les pratiques de travail. Elle s’est fiée à la preuve par vidéo qui lui a été donnée, mais qui n’était pas complète, et elle n’a pas demandé s’il existait des enregistrements ayant une meilleure vue de l’incident. Ses conclusions ont été tirées après coup. Elle a déterminé ce qu’elle croyait être le meilleur plan d’action dans les circonstances auxquelles faisait face le fonctionnaire et elle a appliqué cette norme à son égard. Toutefois, la perfection ne constitue pas la norme et un pouvoir discrétionnaire assez large est accordé aux agents correctionnels afin de déterminer l’intervention appropriée à la situation.

83 Le fait qu’elle s’est fiée à la séquence vidéo est problématique pour de nombreuses raisons. Il y avait une preuve de l’existence d’autres caméras dans l’Unité, mais aucune séquence vidéo de ces caméras n’a été visionnée. Les images étaient bloquées dans certaines séquences vidéo. De plus, la séquence vidéo n’avait aucun son. Le fonctionnaire a invoqué Crown in Right of Alberta v. Alberta Union of Provincial Employees, 2013 CanLII 72918 (AB GAA), pour affirmer que le manque d’audio dans la séquence vidéo est problématique. En outre, Mme Justason a vu des choses sur la séquence vidéo que d’autres n’ont pas vues. Par exemple, elle a témoigné qu’elle pouvait voir les pieds du détenu M dans la séquence vidéo, mais en fait, ils n’étaient pas visibles dans aucun des angles de caméra qu’elle a examinés. Le fonctionnaire a fait valoir que la preuve directe des témoins présents doit être privilégiée sur la preuve vidéo.

84 Mme Justason n’a interrogé aucune personne qui aurait pu lui donner des renseignements utiles. Par exemple, uniquement le détenu M pourrait dire s’il avait l’intention de retourner à sa cellule, mais elle ne l’a pas interrogé. Elle a tiré ses propres conclusions sans avoir l’expérience opérationnelle nécessaire pour comprendre les problèmes. Par exemple, elle a suggéré que les agents auraient pu appeler à l’aide sans comprendre les conséquences d’une telle action pendant la période de repas à l’établissement. Elle a fondé son opinion sur ce qu’elle croyait être le meilleur plan d’action sans reconnaître ni comprendre le pouvoir discrétionnaire accordé aux agents correctionnels, qui sont les mieux placés pour comprendre le contexte. Même si le fonctionnaire aurait pu choisir une autre intervention, cela n’amène pas à dire que l’intervention qu’il a choisie était erronée. Le fonctionnaire a invoqué Penny c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-15652 (19860819), et Parrett v. Vanderford et al., 2001 BCSC 23, pour faire valoir que les agents correctionnels doivent se voir accorder une certaine souplesse quant à leur jugement et à leur discrétion lorsqu’ils ont recours à la force.

85 Le fonctionnaire a indiqué que la Directive du commissaire 567 (pièce G-1) accorde aux agents correctionnels un pouvoir discrétionnaire de déterminer les interventions appropriées aux situations concernant la sécurité. Au paragraphe 17, elle indique que le MGS doit être utilisé pour aider les agents à déterminer l’option d’intervention appropriée. Au paragraphe 25, elle utilise l’expression [traduction] « au besoin » et au paragraphe 38, elle indique que les agents peuvent avoir recours au contrôle physique s’ils ont déterminé qu’une intervention verbale, par exemple, est [traduction] « inappropriée » dans les circonstances. Les agents correctionnels sont les experts quotidiens relativement à l’évaluation du comportement des détenus. En l’espèce, M. Vianzon et M. Scott, qui étaient des témoins désintéressés, ont témoigné que le détenu M était physiquement non coopératif. M. Hackett et Mme Justason ont remis en question les actes des agents uniquement après coup.

86 Le fonctionnaire a soutenu que, selon la preuve, son recours à la force était raisonnable. Il a indiqué que, même si l’employeur a soutenu qu’uniquement 17 secondes s’étaient écoulées entre le moment où il a commencé l’intervention verbale et son recours à la force, la séquence vidéo no 176 a indiqué que 22 secondes s’étaient écoulées. Une comparaison du temps indiqué à la séquence vidéo prise de chaque caméra démontre que le temps a été enregistré différemment, selon la caméra examinée. Peu importe de savoir s’il s’agissait de 17 secondes ou de 22 secondes, il était en mesure de déterminer que le détenu M était physiquement non coopératif.

87 En ce qui concerne l’allégation de l’employeur selon laquelle il a omis d’appliquer les politiques et les directives requises, le fonctionnaire a soutenu que les agents correctionnels ont une connaissance générique des politiques et qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle il a adopté une attitude trompeuse. Cette allégation portait sur son recours à la force et, par conséquent, ne peut être retenue.

88 Le fonctionnaire a indiqué que la jurisprudence invoquée par l’employeur ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce. Dans Newman, le fonctionnaire s’estimant lésé était malhonnête et, par conséquent, la situation n’est pas comparable. Dans Roberts, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas coopéré, l’arbitre de grief a remis en question sa bonne foi et l’agression était plus grave. Dans Rose, le fonctionnaire s’estimant lésé a plaidé coupable à une accusation criminelle, la preuve avait permis d’établir que le détenu concerné était coopératif lorsque l’agent a eu recours à la force et que l’employeur se préoccupait d’une culture institutionnelle qu’il essayait de modifier.

89 Le fonctionnaire a indiqué que la preuve directe des agents présents pendant l’incident doit être privilégiée sur la séquence vidéo et l’ouï-dire. Il a également indiqué que les agents correctionnels avaient le pouvoir de prendre des décisions rapides selon leur compréhension d’une situation et que, si leurs évaluations étaient raisonnables et faites de bonne foi, elles devraient être acceptées.

90 Le fonctionnaire a demandé que j’accueille son grief, que j’ordonne le remboursement de la sanction pécuniaire avec intérêt et que j’ordonne que toutes les références à la mesure disciplinaire figurant dans son dossier soient radiées. Subsidiairement, il a demandé que le montant imposé soit évalué de nouveau, en tenant compte du fait qu’il n’y avait évidemment aucune preuve à l’appui des deux premiers motifs pour imposer une mesure disciplinaire. Il a soutenu qu’une réprimande écrite constituerait, tout au plus, la sanction appropriée. Il a également demandé que je demeure saisie en cas de difficulté relativement à la mise en œuvre de ma décision.

C. Contre-preuve

91 L’employeur a indiqué que les seules personnes qui peuvent évaluer le recours à la force sont celles à qui les directives du commissaire donnent ce pouvoir, comme le directeur de l’établissement, à savoir M. Hackett. Les agents correctionnels n’ont aucun rôle dans le cadre d’une telle évaluation.

92 En ce qui concerne l’allégation du fonctionnaire selon laquelle le rapport d’enquête était erroné, l’employeur a invoqué Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2006 CRTFP 58, au paragraphe 102, et il a indiqué qu’une audition de grief est une audience de novo, qui permet de corriger toute erreur figurant au rapport. Il s’agit de savoir si la mesure disciplinaire imposée par M. Hackett était raisonnable.

93 L’employeur a indiqué que M. Hackett avait raison de conclure que les actes du fonctionnaire jetaient le discrédit sur le service correctionnel. Toute contravention d’une politique jette le discrédit sur le service correctionnel. Un recours inapproprié à la force contrevient au but du service correctionnel et, par conséquent, il y jette le discrédit.

94 Le fait que toutes les caméras n’ont pas été prises en compte et qu’aucune séquence vidéo ne comportait un audio ne constitue pas une considération pertinente. M. Hackett était au courant du fait que la preuve des caméras seule n’était pas suffisante, c’est la raison pour laquelle il a demandé une enquête.

95 Même si le fonctionnaire soutient qu’un fardeau de la preuve plus lourd est imposé à l’employeur relativement aux cas d’inconduite grave, l’employeur est tenu de prouver ses arguments compte tenu de la prépondérance des probabilités.

IV. Motifs

96 Le fonctionnaire est un agent correctionnel (CX-02) qui a fait l’objet d’une mesure disciplinaire le 18 mai 2012 pour avoir eu recours à la force de façon inappropriée à l’endroit d’un détenu au cours d’un incident qui a eu lieu le 13 avril 2012. Dans la lettre disciplinaire (pièce E-14), le comportement du fonctionnaire a été qualifié d’acte d’inconduite grave et une contravention des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline de SCC, plus particulièrement des règles prévues aux alinéas 1g), n) et m) et 2c). Une sanction pécuniaire de 760 $, somme équivalente à sa rémunération de quatre jours, lui a été imposée.

97 Il n’est pas contesté qu’il incombait à l’employeur d’établir que la mesure disciplinaire imposée était justifiée et que la sanction était raisonnable dans toutes les circonstances. Toutefois, le fonctionnaire a soutenu qu’un fardeau de preuve plus lourd était imposé à l’employeur dans les cas d’inconduite grave et que l’employeur devait établir au moyen d’une preuve « claire, cohérente et convaincante » que le fonctionnaire était coupable de l’inconduite alléguée.

98 Je crois que l’idée qu’il existe un fardeau de preuve intermédiaire entre la norme de la preuve en matière criminelle et la norme de la preuve en matière civile en ce qui concerne les cas d’inconduite grave a été écartée par la Cour suprême du Canada dans F. H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41. La Cour a conclu que, dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Toutefois, la Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 46 de l’arrêt « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ».

99 La question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si le fonctionnaire a eu recours à la force dans le cadre du contrôle qu’il a exercé à l’endroit d’un détenu le 13 avril 2012. Il a bien admis ce fait. La question à trancher entre les parties est celle de savoir si les circonstances justifiaient qu’il ait recours à la force. Selon la position de l’employeur, le fonctionnaire avait accordé trop peu de temps au détenu pour obéir à l’ordre qu’il lui a donné et il a eu recours au contrôle physique même si le détenu semblait obéir à l’ordre qu’il lui avait donné. Dans ces circonstances, l’employeur a soutenu que le recours à la force était excessif et non nécessaire. Il convient de noter que, même si une suggestion selon laquelle la méthode de contrôle physique appliquée par le fonctionnaire constituait également une préoccupation pour l’employeur a été formulée, M. Hackett a témoigné que cela n’était pas un facteur qui a été pris en compte dans le cadre de sa décision d’imposer une mesure disciplinaire à l’égard du fonctionnaire.

100 Selon la position de l’employeur, le recours à la force par le fonctionnaire était inapproprié en fonction de son interprétation des séquences vidéo de surveillance qu’il a produites en preuve. Le fonctionnaire ne s’est pas opposé à la production de la séquence vidéo, mais il a soutenu que sa valeur était limitée. Pour les motifs suivants, je conclus que la preuve par surveillance vidéo n’est pas fiable et je conclus de privilégié la preuve directe du fonctionnaire, de M. Scott et de M. Vianzon, qui étaient présents lors de l’incident.

101 La preuve permet de conclure que le gestionnaire correctionnel des opérations a pris des extraits de la séquence vidéo produite en preuve des fils de vidéos des caméras, mais il n’a pas témoigné lors de l’audience. M. Hackett a reconnu en contre-interrogatoire qu’il y avait de multiples caméras dans l’Unité de réadaptation, mais que la séquence produite en preuve provenait d’uniquement quelques-unes de ces caméras et qu’il n’avait pas examiné la séquence des autres caméras. Il a indiqué que la seule séquence qu’il a examinée était la séquence que le gestionnaire correctionnel des opérations croyait être pertinente. Mme Justason a également reconnu qu’elle n’avait visionné que les seules séquences vidéo qui lui avaient été fournies et qu’elle n’avait aucune connaissance des autres séquences vidéo et qu’elle n’a pas demandé de visionner les séquences des autres caméras.

102 Je suis d’avis que l’omission d’une personne qui a tiré la séquence des caméras de témoigner constitue un problème assez important pour justifier le rejet de la preuve par vidéo. Il est impossible de savoir quelle séquence des autres caméras aurait été produite. Il existait une preuve selon laquelle il y avait des caméras au-dessus de la dépense et du guichet de médicaments qui avaient une vue de la table où le détenu M était assis. La séquence de ces caméras n’a pas été produite en preuve. Ce fait est problématique puisqu’elles avaient des vues non bloquées de l’incident pertinent. Même s’il peut exister des motifs valables pour ne pas avoir inclus cette séquence, en l’absence du témoignage de la personne qui a pris la décision quant à savoir quelle séquence visionner, il est impossible de connaître ces motifs. De plus, il n’y a aucun témoignage selon lequel la séquence vidéo produite en preuve n’a pas été montée ou modifiée de quelque façon que ce soit ou pour expliquer la raison pour laquelle le temps diffère entre les séquences produites en preuve en fonction de la caméra de laquelle elle provient.

103 La séquence de vidéo de surveillance est également peu fiable parce qu’elle n’a aucun audio. Même s’il existe des circonstances où un manque d’audio sur une vidéo de surveillance ne constitue pas un problème, cela n’est pas le cas en l’espèce. Le grief porte sur le contexte. Le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon ont tous témoigné que le détenu M était non coopératif au point où ils ont conclu qu’il ne coopérera pas. Ils ont témoigné qu’il leur adressait des injures et qu’il a contesté leur pouvoir en leur posant la question [traduction] « Qu’est-ce que vous allez faire? ». Aucun élément de cela n’est évident sur la séquence vidéo sans l’audio. M. Hackett et M. Cerant ont tous les deux reconnu que le ton de voix d’un détenu ainsi que les mots constituent des facteurs importants pour déterminer les options relatives au recours à la force.

104  Sans l’audio, la séquence vidéo ne constitue qu’une simple série d’images pouvant faire l’objet de différentes interprétations, selon la personne qui la visionne. Par exemple, Mme Justason a examiné la séquence vidéo et elle a conclu que le détenu se tournait en direction de sa cellule, conformément à l’ordre qui lui a été donné. Toutefois, dans une note de service jointe à l’examen du recours à la force (pièce E-2), Richard College, un gestionnaire correctionnel qui a examiné la même séquence vidéo, a écrit que [traduction] « [M] est ensuite vu sur la caméra et il se tourne en direction contraire des membres du personnel ». Cela me paraît être une conclusion qui diffère quelque peu de celle à laquelle est parvenue Mme Justason. Elle a également indiqué dans son rapport que les pieds du détenu étaient parallèles, et ce, dans le cadre de sa constatation selon laquelle il se tournait en direction de sa cellule. Lorsqu’on lui a demandé d’indiquer la séquence vidéo où elle avait vu les pieds du détenu, elle a été obligée de reconnaître qu’il était impossible de voir les pieds du détenu dans toutes les séquences vidéo, ce qui illustre le fait que les personnes voient souvent ce qu’elles s’attendent de voir ou ce qu’elles souhaitent voir. Compte tenu de ces problèmes relatifs à la séquence vidéo, je crois que la preuve directe des personnes qui ont été témoins à l’événement constitue la preuve privilégiée.

105 Dans son témoignage, M. Hackett a indiqué que, lorsqu’il a décidé d’imposer une mesure disciplinaire, il ne s’est pas uniquement fié à la vidéo, mais également au rapport d’enquête de Mme Justason. Le fonctionnaire a soutenu que l’enquête et le rapport de Mme Justason comportaient des erreurs graves et que peu de poids devrait leur être attribué. Il a indiqué que M. Hackett a simplement adopté le raisonnement du rapport d’enquête comme son propre raisonnement et, par conséquent, il a fondé la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire sur un rapport erroné.

106 Il est bien établi qu’une audition de grief est une audience de novo (voir Roberts, par exemple) et que les conclusions tirées dans un rapport d’enquête disciplinaire doivent être prouvées lors de l’arbitrage. La valeur d’un rapport disciplinaire consiste en le fait qu’il offre ou qu’il peut souvent offrir une explication de la justification de la mesure disciplinaire imposée. Néanmoins, un employeur qui prend une mesure en fonction d’une enquête erronée risque de voir ces erreurs exposées à l’arbitrage et le rejet de ses conclusions. Il en est ainsi en l’espèce.

107 Je conclus que le processus d’enquête suivi par Mme Justason était problématique. Elle a reconnu qu’elle n’a pas demandé d’obtenir la séquence vidéo des autres caméras dans l’Unité. En fait, elle n’a pas reconnu qu’il y avait d’autres caméras dans l’Unité, malgré le témoignage des autres témoins. Elle n’a examiné que la séquence vidéo qui lui a été fournie. Elle a également reconnu qu’elle n’a pas interrogé les infirmiers en fonction dans l’Unité au moment de l’incident, les détenus concernés ni d’autres détenus à proximité qui pourraient avoir été témoins à l’incident. Elle a examiné les rapports d’observation, mais elle ne les a pas indiqués dans son rapport et, dans le cadre de son témoignage, elle ne pouvait pas se souvenir de ceux qu’elle a examinés. Les seules entrevues en personne qu’elle a tenues étaient avec le fonctionnaire et M. Scott. Les autres ont été effectuées au téléphone. Son rapport ne comprenait aucune note de ses entrevues et il est donc impossible de déterminer le contexte de certaines des déclarations qu’elle a attribuées aux personnes qu’elle a interrogées. En outre, son rapport comprend des déclarations faites par des personnes qu’elle n’a pas interrogées, comme le détenu M et les infirmiers, mais elle n’indique pas la source de ces déclarations.

108 De plus, le rapport d’enquête comporte un certain nombre d’inexactitudes factuelles ou des déclarations inexactes, lesquelles ont été indiquées dans le cadre du contre-interrogatoire de Mme Justason mené par le fonctionnaire. Elle a attribué les erreurs ou les déclarations inexactes au fait que le fonctionnaire et les autres témoins ont omis de lui fournir les renseignements. Toutefois, je remarque que presque chaque exemple donné, comme la question concernant l’ordre de verrouiller la cellule du détenu M ou la question de savoir si le fonctionnaire a fait un suivi pour s’assurer que le détenu N avait été examiné par le personnel infirmier ou la question de savoir si le fonctionnaire et M. Scott se sont approchés du détenu M sans avoir des renseignements essentiels, ses conclusions étaient incompatibles avec les déclarations du fonctionnaire et des autres témoins fournies dans leur rapport d’observation. Même si elle avait accès à ces rapports et qu’elle a indiqué les avoir examinés, son rapport ne traite aucunement des contradictions entre ses constatations et les déclarations que les agents correctionnels ont faites dans leur rapport d’observation.

109 Mme Justason a conclu que le recours à la force n’était pas nécessaire et contraire au MGS parce qu’elle a conclu que le détenu M résistait verbalement plutôt qu’être physiquement non coopératif. Elle a conclu que le fonctionnaire n’avait pas accordé assez de temps au détenu pour obéir à l’ordre de retourner à sa cellule avant de recourir au contrôle physique et que, en fait, le détenu se tournait en direction de sa cellule, ce qui indique qu’il obéissait. Elle a conclu qu’il y avait [traduction] « […] amplement le temps pour effectuer une intervention verbale continue et une résolution de conflits ». Ses conclusions étaient fondées presque entièrement sur son interprétation de ce qu’elle a vu dans la séquence vidéo et elles n’étaient pas appuyées par aucune preuve directe des témoins à l’incident.

110 Les agents correctionnels sont tenus de connaître et de suivre les directives du commissaire. Le fonctionnaire n’a pas contesté ce fait. Selon sa position lors de l’arbitrage, il a suivi les directives et, plus particulièrement, le MGS. M. Scott, M. Vianzon et lui ont tous jugé que le détenu M était physiquement non coopératif et, dans ces circonstances, il a soutenu que le MGS indique le recours au contrôle physique, parmi d’autres interventions possibles.

111  La Directive du commissaire 567 – Gestion des incidents de sécurité (pièce G-1) prévoit à la page 8 que les agents correctionnels peuvent utiliser des aérosols inflammatoires, des agents chimiques et le contrôle physique pour [traduction] « […] gérer les situations où le comportement du délinquant est physiquement non coopératif ». Elle prévoit la définition d’un comportement physiquement non coopératif suivante au paragraphe 28 à la page 7 :

[Traduction]

Physiquement non coopératif – Le détenu refuse de suivre les instructions ou les ordres que le personnel lui donne ou il refuse de quitter un endroit ou de sortir d’une cellule. Il peut opposer une résistance physique, sans toutefois être violent, en s’éloignant, en s’enfuyant ou en résistant aux efforts déployés par le personnel pour l’amener à se tenir debout.

112 M. Cerant, qui a témoigné pour le compte de l’employeur et qui était un gestionnaire correctionnel au moment de l’incident, a expliqué que le MGS, qui fait partie de la Directive du commissaire 567 – Gestion des incidents de sécurité (pièce G-1), n’est pas un modèle linéaire et que les agents correctionnels ont un pouvoir discrétionnaire pour déterminer l’intervention appropriée aux incidents de sécurité, car chaque situation est différente. Il a indiqué que les agents correctionnels sont tenus de faire leur possible pour isoler, maîtriser et contrôler une situation et que, dans un cas concernant une agression par un détenu contre un autre détenu, il serait approprié de demander à l’agresseur de s’enfermer. Il a indiqué également que le MGS n’indique pas le nombre de fois qu’un agent correctionnel doit donner un ordre à un détenu ni combien de temps l’agent doit attendre avant de prendre une mesure.

113 M. Vianzon, qui était témoin de l’incident du 13 avril 2012 de son poste au bloc de régulation, a indiqué dans son rapport d’observation que le détenu M [traduction] « […] semblait être physiquement non coopératif relativement aux instructions données par le personnel. Plusieurs ordres ont été donnés au détenu de se rendre à sa cellule, mais il a continué de s’y opposer » (pièce G-7). M. Scott, qui était le partenaire du fonctionnaire et qui était concerné par l’incident, a décrit le comportement du détenu de la façon suivante dans son rapport d’observation (pièce G-11) :

[Traduction]

[…] Le détenu [M] a commencé à se disputer avec nous et il s’est ensuite mis debout et a continué de se disputer avec mon partenaire et moi. Le détenu [M] a ensuite été prié de nouveau, par mon partenaire et par moi, de retourner à sa cellule et de s’enfermer. Le détenu [M] a ensuite dit « Allez vous faire foutre! » et il a refusé de quitter l’endroit. […]

114 Le fonctionnaire a décrit le comportement du détenu M de la façon suivante dans son rapport d’observation (pièce G-9) :

[Traduction]

Lorsque nous sommes arrivés, nous avons demandé au détenu [M] de nous suivre à sa cellule et de s’enfermer. Le détenu [M] n’a pas obéi et il a commencé à se disputer avec nous. Mon partenaire et moi avons demandé de nouveau au détenu [M] de retourner immédiatement et de s’enfermer. Le détenu [M] résistait physiquement à obéir et il a dit « Allez vous faire foutre! ».

115 À l’audience, le fonctionnaire, M. Scott et M. Vianzon ont maintenu leur position selon laquelle le détenu M était physiquement non coopératif. M. Scott a témoigné que le détenu n’a donné aucune indication qu’il avait l’intention d’obéir à l’ordre qui lui avait été donné de s’enfermer. Il a indiqué que le détenu a continué de leur adresser des injures et qu’il résistait à l’ordre de s’enfermer, même après qu’il s’est levé debout en leur disant [traduction] « Qu’est-ce que vous allez faire? » M. Scott a fait preuve d’empathie au cours de son contre-interrogatoire lorsqu’il a indiqué que le détenu n’avait pas adopté une position qui indiquerait une coopération. M. Vianzon a également indiqué en contre-interrogatoire que, malgré les nombreux ordres de s’enfermer, le détenu a démontré qu’il n’allait pas coopérer.

116 Selon les rapports d’observation rédigés au moment de l’incident ou peu après ce dernier, et selon le témoignage lors de l’audience, je conclus que le détenu concerné, soit le détenu M, avait adopté une position où il était physiquement non coopératif, au sens qui est attribué à cette expression par la Directive du commissaire 567 (pièce G-1), en ce sens qu’il refusait d’obéir aux instructions ou aux ordres que lui donnait le personnel. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que le fonctionnaire était tenu d’attendre jusqu’à ce que le détenu réponde de manière plus agressive ou de le menacer ou de menacer M. Scott. Tel que cela a été indiqué par M. Cerant, le MGS n’établit pas des directives quant au nombre de fois qu’un ordre doit être donné ou combien de temps l’agent doit attendre avant de prendre une mesure. Il me semble qu’une fois qu’il devient évident pour les agents que le détenu ne répondra pas à l’instruction ou aux ordres donnés, ils doivent prendre une mesure afin d’assurer leur autorité.

117 La Directive du commissaire 567 (pièce-G-1) et le MGS donnent aux agents correctionnels un pouvoir discrétionnaire pour choisir l’intervention appropriée d’une gamme d’options en fonction des circonstances. Ayant déterminé que le détenu M était physiquement non coopératif et qu’il résistait à l’intervention verbale et aux négociations, le MGS indique que le fonctionnaire et M. Scott aient recours au matériel de contrainte, aux inflammatoires ou au contrôle physique. Le fonctionnaire a expliqué qu’il a estimé que le matériel de contrainte et les inflammatoires n’étaient pas appropriés dans les circonstances. Tel que cela a été expliqué par M. Cerant, le MGS donnait au fonctionnaire le pouvoir discrétionnaire pour déterminer l’intervention appropriée parmi la gamme des options indiquée. Malgré l’argument de l’employeur selon lequel le fonctionnaire aurait pu utiliser du matériel de contrainte, par exemple, je ne crois pas que l’on doit reprocher à ce dernier d’avoir exercé son pouvoir discrétionnaire qui lui a été accordé.

118 Je conclus que la décision de recourir au contrôle physique n’était pas contraire au MGS. Par conséquent, je conclus que la décision de recourir au contrôle physique ne peut être qualifiée d’un recours à la force non nécessaire ou inapproprié et il ne peut donc pas être considéré comme un acte d’inconduite grave, tel que cela est indiqué dans la lettre disciplinaire (pièce E-14).

119 Je conclus que l’employeur n’a pas prouvé, selon une preuve claire, cohérente et convaincante, que la mesure disciplinaire était justifiée et que, compte tenu de la prépondérance des probabilités, il ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que le fonctionnaire a eu recours à une force inappropriée à l’endroit du détenu M. Il découle donc nécessairement de cette conclusion que le fonctionnaire n’a pas contrevenu à ses obligations en vertu des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline de SCCet que tout aveu supposément produit au cours de l’entrevue disciplinaire quant à la compréhension du fonctionnaire du MGS n’appuie pas une conclusion d’inconduite.

120 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

121 Le numéro de dossier de la CRTFP 566-02-7434 a été retiré par le fonctionnaire à l’audience. J’ordonne la fermeture du dossier.

122 Le numéro de dossier de la CRTFP 566-02-7435 est accueilli. J’ordonne que l’employeur rembourse au fonctionnaire la somme de 760 $ dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, montant qui correspond au montant de la sanction pécuniaire qui lui a été imposée le 18 mai 2012.

123 J’accorde également des intérêts relativement à la sanction pécuniaire au taux établi par la Banque du Canada le 18 mai 2012, à calculer et à payer à compter de cette date jusqu’au jour où le paiement est versé. Les intérêts doivent être composés annuellement jusqu’au jour où le paiement est versé, inclusivement.

124 Tout document portant sur la sanction pécuniaire doit être éliminé de tout dossier pertinent du fonctionnaire.

125 Je demeure saisie de la question pendant une période de 60 jours en cas de difficultés relatives à la mise en œuvre.

Le 19 septembre 2014.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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