Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a été suspendu sans solde puis licencié pour des motifs disciplinaires - il a contesté ces deux décisions par voie de grief - son agent négociateur a renvoyé ces deux griefs à l’arbitrage avec quelques jours de retard et a demandé au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique de proroger le délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage - la défenderesse s’est opposée à la demande de prorogation de délai - le demandeur s’en est remis à l’agent négociateur pour renvoyer ses deux griefs à l’arbitrage - il a fait preuve de diligence raisonnable - le retard n’était pas long - l’employeur a pris 19 mois pour rendre une décision au ce dernier palier de la procédure de règlement des griefs au lieu des 30 jours stipulés dans la convention collective, il pouvait donc pas prétendre que la prorogation de 5 jours lui causerait préjudice - en contrepartie, le préjudice pour le demandeur était beaucoup plus grand - par souci d’équité, le vice-président a accueilli la demande de prorogation. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-08-11
  • Dossier:  568-34-286
  • Référence:  2014 CRTFP 76

Devant le président


ENTRE

AMERICO COMPARELLI

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Comparelli c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai en vertu de l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Renaud Paquet, vice-président
Pour le demandeur:
Patrizia Campanella, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour la défenderesse:
Peter Cenne, Agence du revenu du Canada et Christine Diguer, avocate
Décision rendue sur la base d'arguments écrits déposés les 10 septembre et 3 octobre 2012 et les 20 juin, 11 et 18 juillet 2014.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant le président

1 Americo Comparelli (le « demandeur ») travaillait au Bureau des services fiscaux de Montréal de l'Agence du revenu du Canada (la « défenderesse » ou l'ARC). Le demandeur a été suspendu sans solde de son poste le 29 juillet 2010, puis licencié pour des motifs disciplinaires le 8 décembre 2010. Le demandeur a contesté ces deux décisions de l'ARC par voie de griefs déposés en août et en décembre 2010. La défenderesse dit avoir reçu les deux griefs au palier final de la procédure de griefs le 22 décembre 2010. Elle a rejeté les deux griefs au palier final le 12 juillet 2012, mais elle n'a fait parvenir sa réponse par la poste au demandeur que le 23 juillet 2012. Le demandeur affirme avoir reçu cet envoi postal le 27 juillet 2012. Ni l'une, ni l'autre des parties ne contestent ces dates. Selon la défenderesse, une copie de la réponse du 12 juillet 2012 a été envoyée à l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l'IPFPC), l'agent négociateur du demandeur, le 13 juillet 2012.

2 L'IPFPC a renvoyé ces deux griefs à l'arbitrage le 10 septembre 2012. Lors du renvoi à l'arbitrage, l'IPFPC a demandé au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) de proroger le délai pour renvoyer les griefs à l'arbitrage compte tenu que le renvoi était fait au-delà du délai de 40 jours prévu au paragraphe 90(1) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») . Ce paragraphe se lit comme suit :

     90. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d'un grief à l'arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

3 La défenderesse prétend que les griefs ont été renvoyés à l'arbitrage de « quatre à huit jours » après le délai prescrit. Compte tenu que le demandeur a reçu la réponse de l'ARC le 27 juillet 2012, il aurait dû renvoyer ses griefs à l'arbitrage au plus tard le 5 septembre 2012. Il l'a fait cinq jours plus tard, soit le 10 septembre 2012.

4 En vertu de l'article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), le président m'a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m'acquitter de toutes ses fonctions en application de l'alinéa 61b) du Règlement pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai dans le présent cas.

5 La défenderesse s'est opposée à la demande de prorogation de délai du demandeur. Après un examen sommaire de la demande et de la réponse initiale de la défenderesse, j'ai constaté que les faits entourant la demande ne semblaient pas contestés. Pour des raisons d'efficience, j'ai décidé de procéder par soumissions écrites des parties.

II. Résumé de l'argumentation

A. Pour le demandeur

6 Le demandeur a reconnu avoir tardé à renvoyer ses griefs à l'arbitrage, mais il n'a pas agi de façon négligente. Il s'est fié sur l'IPFPC pour le représenter tout au long du processus de griefs, y compris à l'étape de l'arbitrage. L'IPFPC lui avait d'ailleurs indiqué qu'il renverrait ses griefs à l'arbitrage advenant que l'ARC les rejette.

7 Le 10 septembre 2012, l'IPFPC s'est rendu compte qu'à la suite d'une erreur administrative, il avait omis par inadvertance de renvoyer les griefs à l'arbitrage. Dès que l'erreur administrative fut constatée, l'IPFPC a renvoyé les griefs à l'arbitrage. Il a agi avec diligence.

8 Le délai dont il est ici question est inférieur à une semaine. Dans le passé, le président de la Commission a régulièrement accepté de proroger les délais lorsque les retards étaient dus à des erreurs administratives hors du contrôle des demandeurs. Qui plus est, le demandeur n'a pas agi de façon négligente en faisant confiance à son agent négociateur, d'autant plus la longueur du délai, qui est inférieur à une semaine.

9 Selon le demandeur, l'acceptation de la prorogation de délai d'une semaine n'aura pas d'impact sur la défenderesse compte tenu des faits entourant ces griefs. Elle ne créera pas pour elle de préjudice. Par contre, l'impact du refus de la demande crée un préjudice majeur pour le demandeur, car ses griefs traitent de la perte de son emploi et de sa rémunération.

10 Les griefs en question traitent de questions sérieuses. Il est difficile d'en estimer les chances de succès même si le demandeur affirme ne pas avoir été impliqué dans les activités frauduleuses pour lesquelles il a été congédié. La Commission devrait tenir compte de l'importance de ces griefs et de leur sérieux pour évaluer si elle doit accueillir la demande de prorogation de délai.

11 Le demandeur m'a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Riche c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 107; Hendessi c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) et Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 29; Perry c. Instituts de recherche en santé du Canada, 2010 CRTFP 8; Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 83.

B. Pour la défenderesse

12 La défenderesse a souligné que l'IPFPC avait en main toute l'information nécessaire pour renvoyer les deux griefs à l'arbitrage dans les délais prévus au Règlement, mais ni lui, ni le demandeur ne l'ont fait. La jurisprudence démontre que les délais sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Une erreur administrative de la part d'un agent négociateur ne peut être qualifiée de circonstance exceptionnelle.

13 Le demandeur a souligné que la Commission n'accepte pas toujours de proroger les délais et que, de façon générale, elle exige que le retard soit justifié sur la base de raisons claires, logiques et convaincantes. Une erreur administrative n'est pas une raison claire, logique et convaincante. Le fait que le demandeur s'en soit remis à son agent négociateur ne le dégage pas de toute responsabilité à l'égard du traitement de ses propres griefs.

14 L'objectif de l'alinéa 61b) des Règlement permet à la Commission d'exercer sa discrétion de proroger les délais si le fait de ne pas le faire créait une injustice. À la base, les délais sont obligatoires. Ils ne sont pas élastiques et doivent être respectés par les parties. Les conflits de relations de travail devraient être résolus rapidement, et les parties devraient pouvoir se fier aux délais pour savoir si un conflit est terminé.

15 Selon la jurisprudence plus récente de la Commission, le demandeur doit tout d'abord établir qu'il avait des raisons claires, logiques et convaincantes de ne pas soumettre son grief dans les délais prévus, sans quoi la demande de prorogation est rejetée. Selon cette même jurisprudence, une erreur administrative d'un agent négociateur ne constitue pas une telle raison.

16 La défenderesse prétend que sa décision de congédier le demandeur était basée sur des faits concrets. Elle prétend que le demandeur a été congédié à la suite d'une enquête exhaustive qui a démontré, selon elle, que le demandeur était coupable d'inconduite majeure.

17 La défenderesse m'a renvoyé à Schenkman; Kunkel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 28; St-Laurent et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4; Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l'immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68; Salain c. Agence du revenu du Canada; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92; Sonmor et Slater c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20; Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33.

III. Motifs

18 Le demandeur s'en est remis à l'agent négociateur pour renvoyer ses deux griefs à l'arbitrage. Selon le paragraphe 90(1) du Règlement, le demandeur ou son agent négociateur devait le faire au plus tard 40 jours après que le demandeur eut reçu la décision rendue par l'ARC au dernier palier de la procédure de griefs. Ayant reçu les réponses de l'ARC le 27 juillet 2012, le demandeur ou son agent négociateur aurait donc dû renvoyer les griefs à l'arbitrage au plus tard le 5 septembre 2012. L'agent négociateur l'a fait cinq jours plus tard, soit le 10 septembre 2012.

19 Les demandes de prorogation de délai sont présentées en vertu de l'article 61 du Règlement, qui se lit comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l'accomplissement d'un acte, la présentation d'un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d'un grief à l'arbitrage ou la remise ou le dépôt d'un avis, d'une réponse ou d'un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par le président, à la demande d'une partie, par souci d'équité.

20 De toute évidence, les parties ne se sont pas entendues pour accorder une prorogation de délai au demandeur pour qu'il puisse renvoyer son grief à l'arbitrage. Selon le l'alinéa 61b) du Règlement, le président de la Commission peut cependant accorder une prorogation du délai par souci d'équité. Les critères à prendre en considération afin de décider de la pertinence d'accorder une prorogation de délai ont été énoncés dans Schenkman. Ces critères sont les suivants :

  • des motifs clairs, logiques et convaincants pour le retard;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l'équilibre entre l'injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

21 L'importance accordée à chacun de ces critères n'est pas nécessairement la même. En l'absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard, dans la plupart des cas, le président ou un vice-président agissant en son nom a rejeté les demandes de prorogation de délai (voir, par exemple, Kunkel, Callegaro, St-Laurent et al.,et Sonmor et Slater).

22 Dans Kunkel, le retard dans le renvoi à l'arbitrage était le résultat d'une omission de la part d'un représentant syndical. Le grief portait sur une suspension de trois jours. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage 11 mois après l'expiration du délai prescrit. Le vice-président a conclu que les erreurs du représentant syndical ne pouvaient pas servir de motif pour une prorogation du délai. Dans les cas Callegaro, St-Laurent et al., et Sonmor et Slater, il s'agissait également d'erreurs ayant entrainé un retard dans le renvoi des griefs à l'arbitrage. Dans chaque cas, le vice-président a conclu que ces erreurs ne constituaient pas des motifs clairs, logiques et convaincants expliquant pourquoi les délais impartis n'avaient pas été respectés. Dans Callegaro, le retard était de 14 mois pour le renvoi à l'arbitrage de griefs contestant des suspensions d'une journée et de 10 jours. Dans St-Laurent et al., et Sonmor et Slater, les renvois à l'arbitrage ont été faits quelques semaines après le délai de 40 jours. Ces griefs portaient sur des violations alléguées de clauses de la convention collective.

23 Le présent cas diffère de ceux cités au paragraphe précédent quant à la nature des griefs ou à la longueur du retard du renvoi à l'arbitrage. En l'espéce, le retard est de cinq jours pour des griefs ayant trait au congédiement du demandeur. Dans un tel contexte, il me semble que, par « souci d'équité », l'analyse de l'interaction des cinq critères énoncés dans Schenkman devrait différer quelque peu, en ce sens que l'importance à donner à l'erreur administrative de l'agent négociateur doit nécessairement être examinée en parallèle aux autres critères.

24 À la différence des autres décisions ici citées, je ne peux blâmer le demandeur d'avoir manqué de diligence. Si la longueur du retard avait été de quelques semaines, il aurait été raisonnable qu'il vérifie avec l'agent négociateur pour savoir où en étaient ses griefs, mais le retard ici est de moins d'une semaine.

25 La défenderesse dit avoir reçu les deux griefs au palier final de la procédure de griefs le 22 décembre 2010. Elle a fait parvenir sa réponse par la poste au demandeur le 23 juillet 2012. Il s'agit d'un délai de réponse de 19 mois au lieu des 30 jours stipulés à la convention collective entre l'ARC et l'IPFPC pour le groupe « Vérification, Finances et Sciences ». Dans un tel contexte, la défenderesse pourrait difficilement prétendre que la prorogation de 5 jours lui causerait préjudice quant à la disponibilité de la preuve ou des témoins, par exemple. Dans les faits, le seul inconvénient pour la défenderesse de l'acceptation de la présente demande serait de devoir présenter et défendre sa position à l'arbitrage. En contrepartie, le préjudice pour le demandeur est beaucoup plus grand car, si je refuse sa demande, il ne pourra soumettre à une tierce partie sa contestation de la décision de son ancien employeur de le congédier.

26 Sans examiner la preuve relative à ces deux griefs, il m'est impossible de me prononcer de quelque façon que ce soit sur les chances de succès de ces deux griefs.

27 Par souci d'équité et compte tenu des faits qui me sont soumis et de la jurisprudence sur les demandes de prorogation de délais, j'accueille la demande de prorogation de délai du demandeur.

28 L'IPFPC a agi de manière diligente. Il a renvoyé les griefs du demandeur à l'arbitrage dès qu'il a réalisé son erreur. Le retard dû à l'erreur était de cinq jours, un retard relativement court. Si le retard avait été beaucoup plus important, il aurait fallu que le demandeur justifie celui-ci à partir de raisons plus convaincantes qu'une erreur administrative de l'agent négociateur. Cependant, en l'espèce, le très court retard de cinq jours, la diligence de l'IPFPC à agir, la gravité du préjudice causé au demandeur compte tenu qu'un de ses griefs implique son congédiement, la quasi absence de préjudice pour la défenderesse, compensent largement en faveur du demandeur. Dans un tel contexte, par souci d'équité, l'erreur administrative de l'agent négociateur peut être considérée comme un motif clair, logique et convaincant pour accepter la demande.

29 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

30 La demande de prorogation de délai est accueillie.

31 J'ordonne à la Commission de céduler une audience pour entendre les griefs 566-34-7589 et 566-34-7590.

Le 11 août 2014.

Renaud Paquet,
vice-président

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