Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont des employés civils de l’employeur - ils ont prétendu que l’employeur avait violé les dispositions de la convention collective relatives à la répartition équitable des heures supplémentaires et à la disponibilité - lorsque l’effectif du personnel militaire dans le milieu de travail a augmenté, les employés civils ont trouvé qu’une plus grande partie du travail effectué en dehors des heures normales était attribué au personnel militaire de façon telle que les employés civils n’avaient presque pas de possibilités d’heures supplémentaires et qu’ils n’étaient pas affectés en statut de disponibilité - les employés civils étaient affectés à des heures supplémentaires en situation d’urgence seulement, étant donné que le personnel militaire était en mesure de l’effectuer sans avoir recours à des heures supplémentaires - l’arbitre de grief a maintenu que l’employeur n’était pas tenu d’ignorer les facteurs financiers, ni obligé de créer des heures supplémentaires - la responsabilité d’établir la demande incombait aux fonctionnaires s’estimant lésés - le témoignage n’a pas pu établir que l’employeur avait une pratique régulière du type décrit par les fonctionnaires s’estimant lésés pour répartir les possibilités de disponibilité et d’heures supplémentaires. Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date:  20140819

Dossier:  566-02-3417 et 3418

 

Référence:  2014 CRTFP 77

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

 

PSLRB noT(BW)

Devant un arbitre de grief

 

ENTRE

 

TOM DOHERTY et RALPH HAWKES

 

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Défense nationale)

 

employeur

 

Répertorié

Doherty c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Beth Bilson, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés :  Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),

le 27 mars 2014.

(Traduction de la CRTFP).


MOTIFS DE DÉCISION

traduction de la crtfp

I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  La présente décision porte sur les griefs déposés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») au nom de Tom Doherty et Ralph Hawkes, des employés civils du ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») à la base militaire des Forces canadiennes (FC) de Dundurn, en Saskatchewan. Dans les griefs, l’agent négociateur a allégué que l’employeur avait contrevenu aux dispositions de la convention collective relatives à la répartition équitable des heures supplémentaires. La convention collective qui m’a été présentée a été conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (groupe : Services de l’exploitation) et venait à échéance le 4 août 2007. Les parties s’entendent sur le fait qu’aucun changement n’a été apporté aux dispositions pertinentes de la convention collective depuis cette date.

[2]  Au début de l’audience, le 27 mars 2014, le représentant de l’agent négociateur a indiqué qu’un des fonctionnaires s’estimant lésés, M. Doherty, ne pouvait pas participer à l’audience pour cause de maladie. Il a ajouté que la situation de M. Doherty était identique à celle de M. Hawkes, et que l’agent négociateur allait poursuivre l’audience pour les deux fonctionnaires s’estimant lésés en se fondant sur le témoignage de M. Hawkes. Par conséquent, dans la présente décision, M. Hawkes sera désigné comme étant le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ».

[3]  Notons que l’avocat de l’employeur a demandé quelles dispositions de la convention collective étaient mises en cause dans les griefs. Les deux formules de grief décrivent l’infraction présumée en ces termes :

[Traduction]

Je formule un grief au motif que l’employeur ne m’inclut pas dans une répartition équitable des heures supplémentaires et des rappels au travail.

 

L’avocat de l’employeur a mentionné que, dans son exposé introductif, le représentant de l’agent négociateur avait décrit la question en termes d’heures supplémentaires (article 29 de la convention collective) et de [Traduction] « tableau de disponibilité » (article 31 de la convention collective).

[4]  Dans la formule de grief, il est indiqué ce qui suit dans la section relative à la mesure de redressement demandée :

[Traduction]

Je demande à être pris en considération lorsqu’il y a des occasions d’effectuer des heures supplémentaires et en cas de rappel au travail, conformément à la convention collective.

Clause 29.04a) et b)

Et je veux recevoir une mesure de redressement intégrale.

 

En outre, sur la formule du fonctionnaire se trouve la note manuscrite suivante : [Traduction] « (Tableau) pour les heures supplémentaires équitables entre les civ./mil. »

[5]  Il existe certainement des distinctions entre les concepts d’heures supplémentaires, de rappel au travail et de disponibilité. Dans la preuve présentée et les arguments formulés, l’agent négociateur a fait allusion au droit des fonctionnaires s’estimant lésés d’être pris en considération à la fois en ce qui concerne la disponibilité en rotation et l’attribution des heures supplémentaires. La formulation des griefs laisse entendre que la question que je dois trancher est celle de savoir si l’employeur s’est conformé aux obligations énoncées au paragraphe 29.04 de la convention collective :

29.04   Attribution du travail supplémentaire

Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible :

 

a) d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles,

et

b) donner aux employé-e-s qui sont tenus de faire des heures supplémentaires un préavis suffisant.

 

Le paragraphe 31.01 de la convention collective, qui porte sur la disponibilité, est ainsi formulé :

31.01  Lorsque l’Employeur exige d’un employé-e qu’il ou elle soit disponible durant les heures hors-service, cet employé-e a droit à une indemnité de disponibilité au tarif équivalant à une demi‑heure (1/2) de travail pour chaque période entière ou partielle de quatre (4) heures durant laquelle il ou elle est en disponibilité.

 

Bien que l’avocat de l’employeur ait indiqué dans ses observations préliminaires que la distinction entre les heures supplémentaires et la mise en disponibilité était importante, les répliques de l’employeur aux griefs et le témoignage de vive voix des témoins des deux parties à l’audience portaient sur les deux questions. J’estime que le grief concerne les heures supplémentaires et la mise en disponibilité. J’ai examiné la preuve à la lumière de ces faits.

II.  Résumé de la preuve

[6]  L’agent négociateur a cité un seul témoin, à savoir le fonctionnaire. Ce dernier a déclaré qu’il avait commencé à travailler pour l’employeur en novembre 1984 à titre d’employé civil au poste d’opérateur de machine/conducteur. Il était classifié GLT-MD0-6. En 1987, il est devenu un employé pour une période indéterminée, toujours dans la même classification. Il a travaillé à la base des FC de Moose Jaw, en Saskatchewan, jusqu’en 1989, puis à l’unité de transport de la base de Dundurn.

[7]  Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait effectué des tâches similaires pendant toute sa carrière. Il possédait une accréditation lui permettant de faire fonctionner un certain nombre de types de véhicule et d’équipement (pièce U-3), à savoir des niveleuses, des excavatrices, des camions gros porteurs et des chasse-neige. Il ne possédait pas d’accréditation lui permettant de conduire des véhicules militaires comme des transports de troupes blindés, mais il possédait un [Traduction] « certificat de formation » lié à un grand nombre de ces véhicules, ce qui lui permettait de les charger sur des camions.

[8]  Le fonctionnaire a déclaré que lorsqu’il travaillait à l’aérodrome de Moose Jaw, au début de sa carrière, un grand nombre de ses tâches consistaient à dégager et à entretenir les pistes. À la base de Dundurn, il n’y avait pas d’aérodrome et, dans une certaine mesure, ses fonctions ont changé. À Dundurn, il y avait un vaste secteur d’entraînement, et il était nécessaire de maintenir et de superviser un vaste pare-feu. Il fallait aussi être en mesure d’éteindre des incendies, car les exercices menés dans le secteur d’entraînement occasionnaient un certain nombre d’incendies chaque année. De plus, le fonctionnaire s’estimant lésé participait au déneigement et à l’entretien des routes dans le secteur d’entraînement et celui du détachement. Il a indiqué qu’à l’occasion, il avait également conduit un camion gros porteur qui livrait des munitions à d’autres bases des FC, ainsi que l’autobus qui faisait la navette entre Saskatoon, où résidaient des membres du personnel, et leur lieu de travail à la base des FC de Dundurn.

[9]  Le fonctionnaire a ajouté que, lorsqu’il a commencé à travailler à Dundurn, la section des véhicules spécialisés (VS) comptait deux employés civils et un caporal‑chef qui agissait à titre de superviseur. À la date de l’audience, on y comptait deux employés civils et six militaires, y compris le caporal‑chef.

[10]  Le fonctionnaire a déclaré qu’habituellement, le personnel civil de la section des VS travaillait des semaines de travail régulières, soit du lundi au vendredi. Lorsque le fonctionnaire a commencé à travailler à cet endroit, en 1989, les trois membres de la Section des VS effectuaient régulièrement des rappels au travail, à tour de rôle, à raison d’une semaine sur trois, de la mi‑octobre à la fin avril environ, alors que les activités de déneigement étaient les plus urgentes. Les rappels au travail à tour de rôle visaient à couvrir les périodes non couvertes par les quarts de travail réguliers des membres de la section. Au milieu des années 1990, le personnel militaire travaillant à la Section des VS a augmenté, et la rotation a changé pour s’établir à une semaine sur cinq. Le fonctionnaire a indiqué qu’en ce qui concerne les rappels au travail à tour de rôle, les employés avaient droit à une indemnité de disponibilité, selon des calculs fondés sur les dispositions relatives à la disponibilité dans la convention collective (article 31), qui accordaient une somme correspondant à une demi‑heure de travail pour chaque période de quatre heures pendant laquelle la personne était en disponibilité. Si les employés étaient rappelés au travail, ils étaient indemnisés au taux des heures supplémentaires établi dans la convention collective. Selon la preuve présentée par le fonctionnaire, ce dernier pouvait s’attendre à effectuer au moins 20 heures de travail par mois en disponibilité ou en heures supplémentaires en fonction de ce système. Toutefois, lorsqu’on lui a montré le dossier de paiement des heures supplémentaires (pièce E-4), il a calculé qu’il avait travaillé 29 heures supplémentaires au total en 2008. Bien que M. Doherty n’ait pas témoigné, les renseignements tirés des feuilles de paye concernant ses heures de travail (pièce E-6) ne démontrent pas une tendance régulière en ce qui concerne l’attribution des heures supplémentaires au fonctionnaire.

[11]  Le fonctionnaire a dit qu’il y avait eu un changement au système vers 2006 ou 2007, au moment où plus de travail à l’extérieur des heures régulières était attribué au personnel militaire. Par exemple, il a affirmé qu’il s’occupait encore du déneigement, mais uniquement pendant un quart de travail régulier de huit heures. S’il restait de la neige à enlever, le personnel militaire de la section des VS était affecté à cette tâche. Il a ajouté que deux employés civils de la section des VS n’avaient presque plus d’occasions de faire des heures supplémentaires et n’étaient plus désignés pour remplir des fonctions de disponibilité. Il a indiqué qu’à sa connaissance, d’autres employés civils de la base, notamment un électricien et un employé de l’usine de traitement de l’eau, avaient encore le droit de faire des heures supplémentaires et de recevoir une indemnité de disponibilité. Le fonctionnaire n’a donné aucune date précise concernant le présumé changement apporté au système de disponibilité. Notons que l’employeur n’a soulevé aucune question relative au respect des délais pour la présentation du grief.

[12]  Le fonctionnaire a indiqué qu’il vivait sur un grand terrain agricole situé à Blackstrap, à environ 14 minutes de la base, et que la distance entre son domicile et le lieu de travail était comparable à celle que devaient parcourir de nombreuses autres personnes pour se rendre à la base. Il a ajouté qu’il était plus qualifié que les conducteurs militaires. En général, il se voyait confier la tâche de les former et de les évaluer lorsqu’ils se joignaient à l’unité.

[13]  En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été questionné au sujet de sa déclaration selon laquelle il ne s’était pas plaint des changements survenus avant 2006. Il a confirmé avoir déposé un grief en 2003 dans lequel il avait allégué que les dispositions de l’article 31 de la convention collective portant sur la disponibilité avaient été violées. Il a précisé que le grief avait été réglé et que son nom avait été réinscrit au tableau de disponibilité. Il a reconnu que la réponse de l’employeur au grief (pièces E-2 et E-3) faisait valoir que, selon le point de vue de l’employeur, les employés civils se verraient attribuer du travail à faire en heures supplémentaires dans des situations d’urgence seulement. Toutefois, selon le fonctionnaire, le grief a finalement été réglé sur des fondements différents.

[14]  L’employeur a cité deux témoins, à savoir Robert Barrett, qui a pris sa retraite des FC en 2012 alors qu’il avait le grade de major, et le major Kevin Mead. M. Barrett est devenu le commandant de la base des FC de Dundurn en 2004 et a exercé ces fonctions jusqu’en août 2010. À titre de commandant, il avait la responsabilité générale de superviser les membres du personnel civil et militaire. Il a déclaré qu’il y avait de 65 à 68 employés civils sur la base quand il est arrivé en 2004. À l’époque, la section des VS comptait deux employés civils, dont le fonctionnaire, ainsi que de sept à neuf militaires.

[15]  M. Barrett a affirmé que selon sa compréhension, lorsqu’il commandait la base, la façon d’affecter les heures supplémentaires au personnel civil de la section des VS consistait en général à les rappeler au travail seulement dans des situations d’urgence – habituellement lorsqu’il y avait un incendie – tout en se conformant à l’exigence de répartir équitablement les heures supplémentaires entre ces employés. Toutes les heures supplémentaires devaient être approuvées soit par lui-même, soit par le gestionnaire responsable de l’unité (dans ce cas‑ci, l’adjudant Phillips de la section des VS). Il a ajouté que, selon lui, c’est ainsi que le système fonctionnait avant son arrivée. Il a ajouté qu’il n’avait apporté aucun changement lorsqu’il est entré en fonction ou par la suite. Il a aussi déclaré qu’il n’était pas sûr s’il existait une directive précise selon laquelle il ne fallait pas attribuer d’heures supplémentaires au personnel civil. Selon lui, le personnel civil faisait partie du bassin des ressources qui pouvait être utilisé pour effectuer le travail. Pendant ses années de service à Dundurn, M. Barrett était coprésident du comité de gestion des relations de travail, et le fonctionnaire était président de la section locale du syndicat. M. Barrett ne se souvient pas que la question de la répartition des heures supplémentaires ait été soulevée pendant les réunions de ce comité, ou que des directives en aient émané.

[16]  M. Barrett a indiqué qu’il n’était pas responsable du suivi détaillé de la rémunération en heures supplémentaires, mais que ces heures faisaient l’objet d’un suivi dans le système de paye des employés assujettis à la convention collective. Il a déclaré que les heures travaillées par les militaires ne faisaient pas l’objet d’un suivi en particulier. Il a toutefois mentionné que les superviseurs avaient probablement une [traduction] « idée approximative » des heures travaillées et faisaient certains efforts pour répartir le travail de manière appropriée. Les heures de travail régulières étaient du lundi au vendredi, de 8 h à 16 h 30, mais certains employés avaient un horaire différent (les membres de la police militaire, par exemple). Si une personne travaillait plus d’heures que prévu, le superviseur pouvait recommander une [traduction] « permission » (également appelée [traduction] « absence autorisée indemnisée ») à titre de reconnaissance. Un nombre maximum de deux jours de permission par mois pouvait être accordé. Une permission n’était pas accordée sur une base horaire, elle l’était plutôt de façon discrétionnaire.

[17]  Le major Mead a affirmé que lorsqu’il est devenu commandant en août 2012, la section des VS comptait deux employés civils et huit ou neuf militaires. Selon sa compréhension, les heures supplémentaires devaient être accordées au personnel civil dans des situations d’urgence, lorsque le personnel militaire n’était pas disponible ou ne pouvait exécuter les fonctions. Il a déclaré qu’il n’avait rien changé à son arrivée en fonction et qu’il n’avait pas apporté de changement à la politique depuis. Il a dit que lorsqu’il était en fonction, il n’était pas nécessaire de demander au personnel civil de la section des VS de faire des heures supplémentaires, car le personnel militaire était en mesure d’effectuer le travail. Il a ajouté qu’en théorie, le personnel militaire était en service en tout temps, et que le concept d’heures supplémentaires ne s’appliquait pas vraiment à eux. Il présumait que les superviseurs essayaient d’adapter les horaires de travail de façon équitable.

[18]  Le major Mead a déclaré que quelque 70 militaires étaient sous son commandement et que, selon lui, de 40 à 50 % d’entre eux habitaient à Saskatoon. Il y avait 28 unités de logement sur la base. En contre-interrogatoire, il a reconnu que le personnel civil avait été indemnisé pour des heures en disponibilité et pour des heures supplémentaires; il s’agissait de pompiers, d’électriciens et de spécialistes en traitement de l’eau. Il a cependant ajouté que ces situations étaient liées à des besoins particuliers associés à ces métiers ou au fait qu’une seule personne avait les compétences nécessaires pour effectuer le travail (comme c’est le cas à l’usine de traitement de l’eau).

III.  Résumé de l’argumentation

[19]  Le représentant de l’agent négociateur a indiqué qu’avant 2007, il existait un système bien établi dans le cadre duquel le personnel civil et le personnel militaire de la section des VS étaient traités de façon égale pour ce qui est du tableau de disponibilité et de la répartition des heures supplémentaires. Le nombre d’heures en disponibilité a changé lorsque le nombre de personnes travaillant dans la section a changé, mais le principe demeurait le même. À un certain moment en 2006 ou en 2007, un changement est survenu, et le personnel civil a cessé d’être intégré au tableau de disponibilité; il était tenu de faire des heures supplémentaires seulement dans des circonstances exceptionnelles. Le représentant de l’agent négociateur a précisé que ce changement constituait une violation de la convention collective, car il n’allait pas dans le sens du principe de répartition équitable du travail.

[20]  Le représentant de l’agent négociateur m’a renvoyé à plusieurs décisions à l’appui de cet argument, notamment Weeks c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 132. Dans cette affaire, l’employeur s’est appuyé en partie sur Hunt et Shaw c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 85 rendue précédemment. Cette décision appuie l’argument selon lequel le fait de répartir les heures supplémentaires en se fondant partiellement sur les taux des heures supplémentaires de chaque employé ne constituait pas en soi une violation du principe de répartition équitable énoncé dans la convention collective. Dans Weeks, l’arbitre de grief a déclaré que cet argument ne dispensait pas l’employeur de la responsabilité générale de veiller à ce que les employés aient une juste part des heures supplémentaires disponibles. Le représentant de l’agent négociateur m’a également renvoyé à Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social) (cas de l’ACE), 2014 CRTFP 11, et MacAdams c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-26601 (19951127), où les arbitres de grief ont exprimé le même avis.

[21]  Le représentant de l’agent négociateur a affirmé que l’esprit des dispositions de la convention collective indique que le concept de répartition équitable implique une prise en compte des heures additionnelles travaillées par le personnel militaire. Le fait de permettre à l’employeur de ne pas tenir compte de la réalité des employés militaires, soit qu’ils ont des horaires assez réguliers et qu’ils effectuent un travail additionnel pour lequel ils sont indemnisés en bénéficiant de permissions, irait à l’encontre des préoccupations ayant motivé l’inclusion de la clause 29.04 dans la convention collective. Le fait d’écarter le personnel civil de ce système de répartition et d’indemnisation n’est pas conforme aux obligations de l’employeur en vertu de la clause 29.04. Les deux fonctionnaires s’estimant lésés répondent aux exigences de cette disposition, soit qu’ils doivent être qualifiés et disponibles, et ils ont donc droit à leur juste part des occasions d’être indemnisés pour les heures de travail additionnelles. L’agent négociateur ne demande pas à l’employeur de créer des occasions de faire des heures supplémentaires, mais seulement que les fonctionnaires se voient attribuer une part équitable du travail supplémentaire disponible.

[22]  Le représentant de l’agent négociateur m’a priée de ne pas tenir compte du grief déposé en 2003 concernant la question de la disponibilité. Ce grief n’est pas celui que je dois trancher en ce moment, et la façon dont il a été réglé n’est pas claire. Le représentant de l’agent négociateur m’a renvoyé au témoignage du fonctionnaire, qui croyait que le grief déposé en 2003 avait été traité selon un mode substitutif de règlement des différends auquel cas il devrait être considéré comme n’étant pas pertinent en l’espèce.

[23]  L’avocat de l’employeur a affirmé qu’un employeur était libre d’adopter une démarche en particulier en ce qui concerne les questions relatives à la dotation et à la gestion, à moins que la convention collective contienne des limitations qui l’interdisent. Il souligne que personne ne remet en question le fait que les deux fonctionnaires sont qualifiés pour effectuer tout travail relevant de la section des VS, et l’agent négociateur n’a soulevé aucune préoccupation quant à la répartition des heures supplémentaires entre eux.

[24]  L’avocat de l’employeur a déclaré que la situation décrite par l’agent négociateur concernant la pratique qui existe depuis longtemps en matière d’indemnisation pour les heures en disponibilité et la répartition des heures supplémentaires entre le personnel civil ne correspond pas à la réalité présentée dans la preuve. Tout d’abord, le témoignage du fonctionnaire indiquait que des changements avaient été apportés à la répartition des fonctions de disponibilité au milieu des années 1990, ce qui a réduit la répartition d’une semaine sur trois à une semaine sur cinq. Il est donc faux de dire que cette pratique est restée la même au fil du temps, même s’il y a eu une période avantageuse par le passé. En réponse au grief de 2003, la position de l’employeur était que le personnel civil se verrait confier des fonctions supplémentaires sur une base exceptionnelle seulement, un argument de plus démontrant que la pratique établie décrite par le fonctionnaire n’existait pas. En outre, l’avocat a ajouté que les feuilles de paye pour la période allant jusqu’en 2007 (pièces E-4 et E-6) ne démontrent pas le niveau constant d’indemnisation pour les heures en disponibilité et supplémentaires, tel que l’a laissé entendre le fonctionnaire.

[25]  En l’espèce, le major Mead a déclaré que de nombreux militaires de la base des FC de Dundurn travaillent selon un horaire assez régulier, mais que ce n’était pas toujours le cas. Si un membre des FC travaille davantage que ce qui est prévu habituellement, un superviseur peut reconnaître cette situation en recommandant qu’une permission lui soit accordée. Cela ne déroge pas du principe selon lequel les militaires ne sont pas considérés comme des employés ordinaires, et qu’ils doivent techniquement être disponibles pour travailler au besoin. Il n’existe aucun concept d’« heures supplémentaires » ou d’« heures additionnelles » qui puisse s’appliquer de façon exacte au personnel militaire. Les obligations énoncées dans la convention collective s’appliquent seulement au personnel civil représenté par l’agent négociateur. Le fait que l’employeur ait décidé de gérer la répartition du travail de manière à ne pas devoir recourir aux heures supplémentaires ne signifie pas que la convention collective a été violée.

[26]  L’avocat de l’employeur m’a renvoyée à Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, dans laquelle l’arbitre de grief a conclu qu’une pratique utilisée par des gestionnaires locaux ne liait pas l’employeur en tant que partie à la convention collective. S’il y avait une pratique propre à Dundurn à un moment donné, cela ne signifie pas qu’un changement ultérieur représentait une violation de la convention collective. Il pourrait s’agir tout simplement d’une manière pragmatique d’effectuer le travail nécessaire avec le nombre limité d’employés, civils et militaires, disponibles à ce moment.

IV.  Motifs

[27]  Les parties m’ont décrit deux situations très différentes en ce qui concerne le système de répartition de la disponibilité et des heures supplémentaires à la base des FC de Dundurn. Selon la version présentée par l’agent négociateur, il y avait un système en place depuis 25 ans qui faisait en sorte qu’il existait un droit bien établi à un partage des heures de disponibilité et à une répartition équitable des heures supplémentaires. Dans ce système, le personnel civil et militaire de la section des VS était essentiellement traité de façon équivalente, et un montant assez important et constant d’indemnisation était disponible pour le travail additionnel effectué. Le fait que les deux fonctionnaires étaient des employés « qualifiés qui sont facilement disponibles » conformément à la clause 29.04 de la convention collective pour le travail à la section des VS, n’est pas contesté.

[28]  L’approche décrite par l’employeur est très différente. Au moins depuis 2003, les représentants de l’employeur avaient adopté la position selon laquelle les heures supplémentaires allaient être offertes au personnel civil seulement dans des situations exceptionnelles et que le personnel militaire serait utilisé en priorité afin de répondre aux besoins de la section des VS. M. Barrett et le major Mead ont déclaré qu’ils comprenaient que cette approche constituait la politique en vigueur. Ils avaient accepté la situation comme telle lorsqu’ils ont assumé les fonctions de commandement et n’ont rien changé à cette approche pendant la durée de leurs fonctions respectives.

[29]  Plusieurs décisions antérieures m’ont été présentées, par exemple Weeks et le cas de l’ACE, où les arbitres de grief ont fait la mise en garde suivante : lorsque l’employeur a une obligation, comme celle dont il est question ici, d’assurer une répartition équitable des occasions de faire des heures supplémentaires, il ne peut se soustraire à celle‑ci en tenant compte des coûts associés aux employés individuellement comme seul fondement pour déterminer la répartition des heures supplémentaires. J’accepte ce principe, et les témoins de l’employeur ont indiqué clairement en l’espèce que la gestion financière était un des éléments déclencheurs de la politique qui a été adoptée pour répartir les heures supplémentaires. Comme les militaires peuvent être assignés à des tâches sans qu’un calcul systématique des heures supplémentaires soit nécessaire – un concept que ces témoins considèrent comme n’ayant aucune signification dans le contexte militaire –, des économies peuvent sans doute être faites en utilisant le plus possible de personnel militaire.

[30]  Toutefois, les décisions rendues précédemment et citées à l’appui ne laissent pas entendre qu’un employeur doive ignorer les facteurs financiers ni, comme l’arbitre de grief l’a souligné dans Lahnalampi et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2014 CRTFP 22, qu’un employeur soit obligé de créer des heures supplémentaires pour permettre aux employés de les faire. Il est également nécessaire de traiter Weeks et le cas de l’ACE avec prudence, car il s’agit de situations dans lesquelles les allégations d’injustice sont liées à la répartition des heures supplémentaires entre des employés qui sont membres d’une même unité de négociation et dont les fonctions et les heures de travail sont directement comparables.

[31]  Dans MacAdams, les circonstances ressemblent davantage à celles en l’espèce, car le grief en question comprenait une allégation selon laquelle les heures en disponibilité n’avaient pas été réparties équitablement dans le contexte d’une base militaire. Il faut cependant noter que dans cette affaire, il y avait une déviation de la pratique claire et bien comprise concernant la répartition des heures en disponibilité.

[32]  L’agent négociateur a fait valoir que la situation décrite dans MacAdams était identique à celle en l’espèce et qu’elle était censée présenter une pratique qui existe depuis longtemps à la base des FC de Dundurn en ce qui concerne la répartition des heures en disponibilité et des occasions de faire des heures supplémentaires entre le personnel civil et militaire.

[33]  Le fardeau de démontrer que l’allégation de répartition inéquitable est valable incombe aux fonctionnaires. En l’espèce, le témoignage d’un seul fonctionnaire, à savoir M. Hawkes, est l’unique élément leur permettant de s’acquitter de ce fardeau. J’estime que M. Hawkes n’a pas réussi à démontrer qu’il existait une pratique régulière telle qu’il l’a décrite. Même si l’employeur n’a pas exclu qu’une pratique semblable a peut‑être existé dans un passé éloigné, il semble que depuis au moins 2002 la politique consistait à attribuer des heures en disponibilité ou des heures supplémentaires, ou les deux, au personnel civil seulement lorsque le travail ne pouvait pas être effectué par le personnel militaire. Bien que le fonctionnaire affirme qu’il existait un tableau de disponibilité avec une rotation régulière des heures en disponibilité, aucune preuve documentaire n’a été produite à l’appui de cette déclaration.

[34]  Il est possible, comme l’a affirmé le représentant de l’agent négociateur, que le grief déposé en 2003 ne m’ait pas été directement présenté. Toutefois, je peux tenir compte de ce grief parallèlement à l’allégation selon laquelle pendant 25 ans, l’employeur se serait conformé à la politique qui, selon le fonctionnaire, était en vigueur. Bien entendu, nous ne connaissons pas l’issue du grief de 2003. Il semble évident que le grief a été retiré ou réglé; dans les deux cas, l’agent négociateur doit avoir été en mesure d’accepter le résultat. Le fonctionnaire a dit qu’il croyait que l’issue du grief était que son nom avait été réinscrit au tableau de disponibilité, bien qu’il ne s’en souvienne pas clairement. Selon la preuve présentée par M. Barrett, lorsqu’il est arrivé en 2004, la politique était celle qu’il a décrite, et il n’y avait pas de tableau de disponibilité périodique ni de répartition des heures supplémentaires proportionnelle entre le personnel civil et militaire. En outre, la preuve présentée en l’espèce ne soutient pas l’allégation selon laquelle un changement aurait été apporté au fonctionnement en 2006 ou en 2007, à savoir la période au cours de laquelle, selon les griefs, les iniquités sont apparues.

[35]  Le fonctionnaire a déclaré que dans ses souvenirs, pendant une longue période avant 2007, il s’était vu attribuer environ 20 heures par mois de disponibilité et d’heures supplémentaires. Par contre, les feuilles de paye des quelques années antérieures à 2007 ne corroborent pas cette affirmation. Elles démontrent plutôt que les deux fonctionnaires ont fait des heures supplémentaires à l’occasion de 2004 à 2007, mais qu’il n’existait pas de tendance régulière à ce sujet, et que ces heures ne correspondaient certainement pas à 20 heures par mois.

[36]  La clause 29.04 de la convention collective oblige l’employeur à « s’efforce[r] autant que possible » de faire une répartition équitable des heures supplémentaires entre les employés assujettis à la convention. Comme il est indiqué dans MacAdams, il est évident que les parties à la convention collective peuvent en arriver à une interprétation mutuellement acceptable de cette disposition, qui tient compte des fonctions exécutées par les militaires, pour en arriver à une répartition appropriée. Cependant, en l’absence d’une telle pratique ou interprétation établie, l’employeur a le droit de gérer le travail à effectuer de manière à réduire au minimum les heures supplémentaires – en l’espèce, en recourant d’abord aux services des militaires qui ne sont pas indemnisés précisément pour le travail additionnel. Le fonctionnaire n’a pas réussi à démontrer qu’une autre entente était en place avant 2006 ou en 2007.

[37]  Je conclus que le grief doit être rejeté.

[38]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[39]  Les griefs associés aux dossiers 566-02-3417 et 3418 sont rejetés.

Le 19 août 2014.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,

Arbitre de grief

 

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