Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient des agents correctionnels (CX) qui ont contesté leurs suspensions disciplinaires et leurs licenciements rétroactifs - selon les allégations principales, les fonctionnaires s’estimant lésés ont tous participé à des incidents où ils ont eu recours à la force à l’endroit de trois détenus pendant deux jours en juillet et août 2012; ils n’ont pas rapporté ces incidents - l’employeur a également allégué que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient agi de concert pour falsifier ou dissimuler les incidents en omettant des renseignements clés dans leurs rapports ou en ne présentant pas de rapport sur quelque partie que ce soit des incidents allégués - les incidents de juillet impliquaient le détenu <<Z>> - l’employeur a allégué que le CX Derksen avait agressé le détenu <<Z>> en lui donnant des coups de genou de manière inappropriée le 20 juillet 2012, et que, le lendemain, il a de nouveau eu recours à une force excessive, notamment en appliquant des coups de genou, en réaction à l’agression du détenu<<Z>> sur un autre agent - en ce qui concerne les incidents d’août2012, l’employeur a allégué que le 11août2012, le CXLegere avait autorisé un collègue à retirer les menottes du détenu < >, qui a ensuite attaqué le CX Legere; le CX Legere a réagi en frappant le détenu - l’employeur a soutenu que le CXLegere savait ce qui se produirait et que le CXDerksen était également impliqué dans l’incident - le CX Derksen l’a nié et a demandé aux enquêteurs de visualiser la bande vidéo, laquelle appuierait sa version des événements, ce que les enquêteurs ont refusé de faire - l’incident n’a pas été rapporté - les agents en cause, à l’exception du CXLegere, se sont rencontrés plusieurs fois pour discuter de l’événement et ont convenu de ne présenter un rapport que si l’employeur leur en faisait la demande - l’employeur a allégué que le lendemain, les deux fonctionnaires s’estimant lésés étaient au courant de l’agression à venir du détenu<<G>> sur le détenu <<N>> dans la douche - l’employeur a accusé les fonctionnaires s’estimant lésés d’avoir escorté le détenu de manière inappropriée et d’avoir reculé afin que le détenu <<N>> puisse être agressé au moyen d’un liquide - l’employeur a fondé sa conclusion sur la bande vidéo et sur une hypothèse incorrecte portant sur les routines des douches au sein de l’établissement - l’employeur a également accusé le CX Legere d’avoir, plus tard le même jour, ignoré le fait que le détenu <<G>> avait de nouveau tenté d’agresser le détenu <<N>> en insérant un manche à balai dans la fente de service de nourriture de la cellule du détenu <<G>>, qui avait été ouverte pour lui permettre de nettoyer sa cellule - l’enquêteuse chargée d’enquêter les événements d’août 2012 n’avait pas de formation dans le domaine des enquêtes disciplinaires; elle est devenue agitée lorsqu’elle n’a pas reçu les réponses qu’elle voulait - les détenus <<Z>> et <<N>> étaient connus pour faire de fausses plaintes, et le détenu <<Z>> avait des problèmes de santé mentale, ce qui fait que les incidents impliquant le recours à la force à son endroit étaient fréquents - l’arbitre de grief a conclu que l’enquête sur les incidents survenus en août soulevait des préoccupations quant à l’objectivité des enquêteurs et que les conclusions qui en ont découlé n’étaient pas étayées par la preuve - l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait quant au rapport sur les incidents d’août parce qu’il n’a pas été démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son interprétation des événements avait été la bonne - il y avait une crainte raisonnable de partialité en ce qui a trait au rapport - l’arbitrage de grief a fourni aux fonctionnaires s’estimant lésés une audience de novo - l’arbitre de grief a convenu que le CX Derksen n’avait été impliqué dans l’incident avec le détenu < > qu’une fois que ce dernier avait été menotté et mis au sol - la preuve sur vidéo n’était pas suffisamment claire pour étayer la conclusion selon laquelle le CX Legere avait eu recours à une force excessive pour contrer l’agression - aucun des agents n’a rapporté l’incident ni avisé le service des soins de santé de l’employeur, tel qu’il est exigé, et le CX Derksen a pris part à un projet collectif de ne pas rapporter l’incident - aucun élément de preuve n’a été présenté démontrant que le CX Legere avait participé à ce projet - les deux fonctionnaires s’estimant lésés ont manifesté des remords de ne pas avoir rapporté l’incident - le CX Legere aurait dû empêcher le retrait des menottes du détenu < > - en ce qui concerne l’incident du 12 août 2012, l’arbitre de grief a conclu que l’escorte n’avait pas été faite de manière à permettre que le détenu soit agressé avec du liquide et que le liquide en question n’était vraisemblablement que de l’eau sortant des douches - en ce qui a trait aux incidents de juillet, la vidéo a confirmé que le recours à la force par le CX Derksen constituait une menace pour sa sécurité et pour celle d’autrui, et qu’une mesure disciplinaire était justifiée - une mesure disciplinaire était justifiée contre les deux agents parce qu’ils n’ont pas fait rapport; toutefois, ce seul ne motif ne justifiait pas le licenciement - le CX Derksen était également coupable d’avoir eu recours à une force excessive contre le détenu <<Z>> - dans le cas du CX Legere, le licenciement était manifestement déraisonnable compte tenu de la nature de l’infraction et de la mesure disciplinaire infligée aux autres personnes impliquées - l’arbitre de grief a remplacé le licenciement par une suspension de 20quarts de travail, rétroactive à la date de sa suspension - le CXDerksen est davantage coupable en raison de son recours excessif à la force et de sa participation à la collusion visant à cacher la véritable nature du défaut de faire rapport - il n’avait pas compris les conséquences possibles de ses gestes, et l’employeur était justifié de craindre qu’il récidive s’il demeurait à son service - par conséquent, il n’était pas déraisonnable de la part de l’employeur de décider que le licenciement était approprié dans les circonstances - l’administrateur général avait le pouvoir d’imposer un licenciement rétroactif - le temps requis pour mener à bien le processus d’enquête disciplinaire ne le rendait pas disciplinaire - par conséquent, il s’agissait d’une question théorique. Griefs contre les suspensions rejetés. Grief contre le licenciement de M.Legere partiellement accueilli. Grief contre le licenciement de M. Derksen rejeté.

Contenu de la décision

Date:  20140618

Dossier:  566-02-7818 à 7821,

8441 et 8445

 

Référence:  2014 CRTFP 65

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

 

PSLRB noT(BW)

Devant un arbitre de grief

 

ENTRE

 

Mark Legere ET Jarrett Derksen

 

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

 

Répertorié

Legere c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

 

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés :  Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l’employeur :  Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique) ,

du 14 au 17 mai, du 11 au 14 juin, du 19 au 22 novembre

et du 3 au 6 décembre 2013.

(Traduction de la CRTFP).


MOTIFS DE DÉCISION

(Traduction de la crtfp)

I.  Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1]  Pendant toute la période pertinente, Mark Legere et Jarrett Derksen, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), étaient des agents correctionnels (CX) employés par le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou le SCC) à l’Établissement de Kent en Colombie-Britannique (l’« Établissement »). Ils ont tous deux contesté leur suspension sans traitement en attendant l’issue d’une enquête, puis leur suspension pour une période indéfinie sans traitement, et finalement leur licenciement, qui, au dire de l’employeur, était motivé. Tous les griefs ont été entendus en même temps afin d’en accélérer le traitement.

II.  Résumé de la preuve

[2]  La majeure partie des témoignages portaient sur une série d’incidents relatifs au traitement de détenus survenus les 20 et 21 juillet 2012 et les 11 et 12 août 2012 qui impliquaient les fonctionnaires. Dans la mesure du possible, la preuve relative à ces incidents qui sera résumée dans la présente décision sera désignée par sa date et par le fonctionnaire qui aurait été impliqué. Tous les éléments de preuve de nature plus générale qui ne sont pas propres aux incidents qui seraient survenus à ces dates s’appliquent également aux deux fonctionnaires. Sauf indication à l’effet contraire, le témoignage de chaque fonctionnaire s’applique seulement à ses griefs et non à ceux de l’autre fonctionnaire.

[3]  Au cours de l’été 2012, l’employeur a appris que des détenus auraient été victimes de cinq agressions de la part de certains CX. Par conséquent, les fonctionnaires ont été suspendus pour une période indéfinie, et une enquête disciplinaire a été entreprise au sujet de leurs rôles dans les agressions alléguées. M. Derksen a également fait l’objet d’une enquête relativement à son rôle dans deux incidents distincts de recours excessif à la force à l’endroit du détenu Z (les incidents des 20 et 21 juillet 2012). M. Derksen a également fait l’objet d’une enquête pour avoir facilité deux agressions distinctes sur le détenu N par un autre détenu le 12 août 2012. Une enquête a été faite au sujet de M. Legere à la suite d’une allégation de recours excessif à la force à l’endroit du détenu B le 11 août 2012, et de son rôle pour avoir facilité les agressions sur le détenu N le 12 août 2012.

[4]  L’employeur a également fait enquête sur une prétendue collusion entre les fonctionnaires, qui auraient tenté de cacher les incidents en omettant des détails clés dans leurs « rapports d’observation ou déclaration d’un agent » (RODA) ou en ne déclarant pas une partie des incidents allégués. Les fonctionnaires se seraient également entendus avec d’autres CX pour falsifier des RODA présentés à la demande de la direction à la suite de l’incident du 12 août 2012. D’après l’employeur, les fonctionnaires ont continué à lui fournir de faux renseignements tout au long du processus d’enquête concernant ces incidents.

[5]  Au cours du témoignage, des enregistrements magnétoscopiques de sécurité ont été présentés en preuve comme pièces par les deux parties. D’après les témoins de l’employeur, les 20 et 21 juillet 2012, on peut voir sur les bandes M. Derksen qui donne des coups de genou à la tête du détenu Z en deux occasions de recours à la force distincte tout en frottant la tête du détenu sur le plancher de ciment. Les deux gestes représentaient un recours excessif à la force.

[6]  Les témoins de l’employeur ont également affirmé que les bandes magnétoscopiques montrent que M. Derksen regardait sans bouger pendant qu’un incident survenait entre M. Legere et le détenu B le 11 août 2012. Enfin, on peut voir sur la bande M. Derksen qui escorte le détenu N le 12 août 2012. Le détenu N agresse alors le détenu G, qui lui lance un liquide inconnu à partir de la douche alors que le détenu N passe par là. D’après l’interprétation que fait l’employeur de la bande magnétoscopique, on peut voir M. Derksen qui retarde les autres CX pour les empêcher de recevoir le liquide que le détenu G s’apprêtait à lancer au détenu N.

[7]  Dans la bande magnétoscopique du 11 août 2012, on peut voir M. Legere frapper le détenu B. Sur les bandes magnétoscopiques du 12 août 2012, M. Legere s’arrête et parle au détenu G, qui se trouve dans la douche. M. Legere et d’autres CX, dont M. Derksen, se dirigeaient vers le détenu N pour le faire sortir de sa cellule et l’escorter à la douche. Les CX, dont M. Derksen et M. Legere, ont ensuite escorté le détenu N dans l’allée, en sachant que le détenu G attendait pour l’agresser. On peut voir les CX qui font un mouvement de recul alors que le détenu N passe dans la trajectoire du détenu G et que du liquide sort de la douche où se trouve le détenu G.

[8]  Plus tard ce jour-là, on peut voir M. Legere et deux autres CX qui reconduisent le détenu N à sa cellule. Un manche à balai sort alors de la fente servant à passer les plateaux de nourriture de la cellule du détenu G. Le détenu N évite alors le manche du balai en se déportant sur le côté. Par la suite, M. Legere, après avoir fait entrer le détenu N dans sa cellule, s’approche de la porte ouverte de la cellule du détenu G, retire le balai et, d’après l’employeur, indique par des gestes de la main par quelle distance le détenu G a manqué le détenu N.

[9]  Mark Kemball a témoigné qu’au moment des incidents, il était le directeur de l’établissement. Il a appris l’incident du 11 août 2012 impliquant le détenu B dans une lettre d’un détenu, qui alléguait que des incidents survenus dans l’unité d’isolement devaient faire l’objet d’une enquête (pièce 4, onglet 7). Il s’est penché sur la question et a chargé le directeur adjoint et le sous-directeur de visionner le contenu des caméras dans les allées pour déterminer si les allégations étaient fondées. Après avoir passé en revue la séquence vidéo soumise comme pièce 6, il a conclu que quelque chose d’inhabituel semblait s’être passé. Il a alors demandé de consulter les RODA de ce jour et a découvert qu’aucun membre du personnel travaillant à l’unité d’isolement n’avait soumis de rapport sur un incident le 11 août 2012.

[10]  Le directeur adjoint des opérations et le sous-directeur ont revu les feuilles de présence pour déterminer qui travaillait ce jour-là, puis ont demandé à chaque agent de présenter son RODA sur les événements du 11 août 2012. Les RODA doivent être remplis avant la fin du quart de travail pendant lequel l’incident a eu lieu ou au tout début du quart suivant de l’agent. M. Derksen a présenté le sien (pièce 4, onglet 12) le 29 août 2012. Les autres agents en cause, soit MM. Ferguson, Michael Pierangeli et Minderpal Bains, ont soumis le leur à peu près au même moment. M. Legere n’a pas présenté le sien avant son retour de vacances annuelles en septembre.

[11]  Il a été établi qu’une enquête disciplinaire devait être faite au sujet des événements du 11 août 2012. M. Kemball a signé l’ordre de convocation désignant Laura Contini et Brian Weatherbee pour faire enquête seulement sur les incidents du 11 août 2012 (pièce 4, onglet 16). Les enquêteurs étaient expressément chargés de faire enquête sur toutes les personnes en cause. Un avis de l’enquête disciplinaire et de la suspension sans traitement a été signifié à M. Derksen le 24 août 2012 (pièce 4, onglets 18 et 20) et à M. Legere le 4 septembre 2012 (pièce 4, onglets 23 et 25).

[12]  Le détenu N a également allégué que le CX-II Ferguson s’était rendu coupable de comportement inapproprié à son égard le 12 août 2012. M. Kemball a demandé au sous-directeur Shawn Huish de revoir également les vidéos de cette journée-là. M. Huish a indiqué à M. Kemball que les événements allégués par le détenu N semblaient effectivement s’être produits. L’ordre de convocation sur les événements du 11 août 2012 a été modifié de manière à englober les événements du 12 août 2012.

[13]  La décision de suspendre les fonctionnaires sans traitement reposait sur la gravité des allégations, sur l’absence de RODA et sur les craintes pour la sécurité de l’établissement. Une révision des suspensions devait être effectuée tous les 21 jours afin de déterminer si elles étaient encore justifiées. Les fonctionnaires n’étaient pas les seuls CX sous enquête relativement aux événements des 11 et 12 août 2012. Ils étaient deux des trois CX qui ont été suspendus. M. Ferguson a également été suspendu sans traitement. Tous les autres qui ont été impliqués dans les incidents sont demeurés au travail pendant toute l’enquête disciplinaire.

[14]  Le 22 août 2012, M. Kemball a appris l’existence des incidents des 20 et 21 juillet 2012 impliquant le détenu Z après l’examen des rapports sur le recours à la force par le directeur adjoint des opérations, qui a signalé une violation de la Politique sur le recours à la force de l’employeur. Lorsqu’un recours à la force qui doit être signalé survient, il faut dresser un rapport sur le recours à la force, après quoi le directeur adjoint des opérations examine le rapport, les bandes magnétoscopiques et le RODA des agents. Ils sont tous évalués pour déterminer s’il y a eu violation de la politique de l’employeur. Une fois l’examen terminé, le tout est présenté au directeur pour étude. La pièce 4, onglet 45, renferme les constatations sur l’« examen postérieur au recours à la force » concernant le recours à la force par M. Derksen les 20 et 21 juillet 2012 contre le détenu Z.

[15]  M. Kemball a souscrit aux conclusions du gestionnaire correctionnel, Opérations (GCO) contenus dans le rapport sur l’examen postérieur au recours à la force et a lancé une enquête disciplinaire sur l’incident. Robert Podesta, qui était alors administrateur régional, Renseignement de sécurité affecté à l’établissement, a été chargé de faire enquête sur le rôle de M. Derksen dans l’incident (voir la pièce 4, onglet 10). M. Derksen a été avisé de l’enquête par lettre (pièce 4, onglet 29).

[16]  Le chef des ressources humaines veille à ce que les suspensions soient revues tous les 21 à 28 jours. La direction des relations de travail de l’employeur passe en revue les critères de la décision « Larsen » et formule une recommandation au directeur sur la question de savoir si l’employé devrait reprendre le travail. Il incombe au directeur de prendre la décision finale. Le directeur étudie la note de la direction des ressources humaines de l’employeur et, s’il est d’accord avec les recommandations, il la signe.

[17]  À la suite de la nomination de Mme Contini et de M. Weatherbee pour faire enquête sur les incidents du mois d’août, on s’attendait à ce qu’ils présentent leurs conclusions d’ici le début d’octobre 2012, après quoi une audience disciplinaire se tiendrait au besoin.

[18]  M. Huish était le sous-directeur de l’établissement de décembre 2010 à novembre 2012. Il a été informé des incidents des 20 et 21 juillet 2012 impliquant M. Derksen et le détenu Z quand le GCO les a mentionnés au cours d’un processus d’examen du recours à la force.

[19]  M. Huish a lu le rapport du GCO, puis a visionné la vidéo de l’incident du 20 juillet 2012. Il a examiné le recours à la force, puis a déposé et signé le rapport sur le recours à la force dressé en vertu de l’article 7 (pièce 4, onglet 3). Faisaient partie de ces documents les RODA de M. Derksen (pièce 4, onglet 4) et de M. Legere pour la même date (pièce 4, onglet 5). Par la suite, MM. Derksen et Legere ont reçu un avis de l’enquête disciplinaire sur cet incident (pièce 4, onglets 39 et 40).

[20]  M. Huish a témoigné qu’un processus similaire a été mené en ce qui concerne l’incident de recours à la force du 21 juillet 2012 impliquant le détenu Z. En ce qui a trait à son implication dans l’incident du 11 août 2012 mettant en cause le détenu B et les deux incidents du 12 août 2012 impliquant le détenu N, M. Huish a participé après les faits. Après qu’il a reçu la plainte acheminée au directeur par le détenu N, M. Huish a revu les vidéos pour les 11 et 12 août 2012.

[21]  M. Huish a tenté de reconstituer les événements de ces journées, ce qui représentait beaucoup de travail, dont le visionnement de séquences vidéo de différentes caméras, l’examen de registres et la lecture des RODA des agents. Les RODA ont corroboré le placement des agents au cours des incidents revus. Le 12 août 2012, on peut voir sur la bande magnétoscopique des agents qui arpentent l’allée où se trouve la cellule du détenu N et qui le retirent de la cellule. En se rendant à la cellule du détenu N, M. Legere s’arrête et dit quelque chose au détenu G, qui est dans la douche. Le détenu N est ensuite amené au-delà des douches où se trouve le détenu G. Les agents reculent alors que le liquide est projeté de la douche vers le détenu N. Sur cette base, M. Huish a conclu que M. Legere a facilité une agression à l’endroit du détenu N. M. Huish a tiré cette conclusion en se fondant uniquement sur la bande vidéo des événements, car celle-ci ne comporte pas de son.

[22]  Plus tard au cours de la matinée du 12 août 2012, la vidéo montre le détenu N alors qu’il est ramené à sa cellule par des CX qui le suivent. Alors qu’il passe devant la cellule du détenu G, le manche d’un balai sort de la fente servant à passer les plateaux de nourriture. Le CX-I Raymond ouvre la porte de la cellule du détenu G et y est rejoint par M. Legere, qui enlève le balai au détenu G et qui indique par des gestes, d’après M. Huish, par quelle distance le détenu G a échoué dans sa tentative de frapper le détenu N avec le balai.

[23]  M. Huish a autorisé une prorogation de l’enquête sur les événements des 11 et 12 août 2012 (pièce 4, onglets 33 et 34) parce qu’il était très difficile d’assurer le suivi de M. Legere. Les enquêteurs avaient besoin de sa preuve pour dresser un rapport complet. Le rapport d’enquête sur les incidents des 11 et 12 août a été reçu initialement le 16 octobre. Il était problématique et a été considéré incomplet. La version complète du rapport a été reçue le 23 octobre 2012 (pièce 4, onglet 42). À cette époque, M. Huish était le directeur par intérim, parce que M. Kemball avait quitté l’établissement.

[24]  M. Huish a examiné le rapport avec Mark Langer, le représentant local des relations de travail de l’employeur. D’autres modifications au rapport ont été demandées pour clarifier le vocabulaire concernant le menottage du détenu B. Les éclaircissements ont été apportés et le rapport révisé a été reçu le 29 octobre 2012. L’enquêteur s’est vu accorder par courriel des prolongations à divers moments au cours du processus d’enquête.

[25]  Quand, au départ, les fonctionnaires ont été suspendus sans traitement, M. Huish agissait à titre consultatif pour M. Kemball. Il partageait ses réflexions et sa position sur la situation. D’après la preuve dont ils ont été saisis à l’époque, ils avaient des motifs de croire que la sécurité de l’établissement et de ses détenus était en péril. Les examens subséquents n’ont pas modifié cette opinion (pièce 4, onglets 20, 25, 27, 30, 31, 35 à 37, 41, 44, 46 et 47).

[26]  Selon M. Huish, plusieurs difficultés sont survenues au niveau de la maîtrise du détenu Z dans l’établissement en raison de problèmes de santé mentale pour lesquels l’établissement n’est pas équipé. Les incidents de recours à la force impliquant ce détenu étaient fréquents. On savait en outre que le détenu faisait de fausses allégations contre le personnel pour attirer l’attention du directeur. De même, on savait que le détenu N déposait de fausses plaintes.

[27]  Les caméras de surveillance vidéo se trouvant dans l’unité d’isolement de l’établissement sont synchronisées. Elles donnent des points de vue différents des mêmes secteurs. Les caméras conservent les données de quatre à sept jours. En cas d’incident de recours à la force, le GCO retire la vidéo de l’événement et la conserve dans son bureau. Le processus d’examen du recours à la force commence par le dépôt du RODA par le CX. Le gestionnaire correctionnel de l’unité remplit ensuite sa partie du RODA concernant le recours à la force. Les RODA sont recueillis auprès des personnes impliquées dans l’événement ou qui en ont été témoins. Le rapport médical postérieur au recours à la force est rempli par les travailleurs de la santé de l’établissement (Soins de santé). Tous ces renseignements sont transmis au GCO,  qui examine la vidéo et les documents. Le GCO détermine initialement si le recours à la force était approprié dans les circonstances. L’évaluation initiale est présentée sous forme de note de service adressée au directeur et au sous-directeur. Ensuite, le sous-directeur étudie les documents. S’il est d’accord avec le GCO, il l’indique à ce dernier sur son formulaire ou rédige une note de service distincte. Si rien ne ressort de l’examen initial, un examen comprimé du recours à la force est utilisé. L’examen du recours à la force du 19 juillet 2012 contre le détenu Z était initialement comprimé (voir la pièce 25).

[28]  Roger Sehra a été affecté à l’établissement pendant quatre mois en 2012 pour contribuer à éliminer l’arriéré des examens de cas de recours à la force. Il y était en août 2012. Il y est demeuré après son affectation et a assumé le rôle de GCO à l’établissement pendant six mois supplémentaires. Pendant sa carrière auprès de l’employeur, il a rempli les rôles de CX, d’agent de sécurité, d’agent des libérations conditionnelles et de gestionnaire correctionnel. Il a pris part au lancement du Programme de formation des agents de correction. Il a indiqué que le CX doit, dans le cadre de son rôle, demeurer alerte et être en interaction avec ce qui l’entoure. Le CX a pour tâches de surveiller et d’analyser les interactions et de faire rapport des incidents aux gens qui doivent les connaître. On s’attend à ce que le CX se comporte de façon professionnelle et s’assure que les détenus puissent purger leur peine dans un milieu sécuritaire. Le rôle de CX ne doit laisser aucune place aux opinions ou aux croyances personnelles. Le CX est notamment tenu de remplir des RODA et de faire rapport de tout ce qui ne s’inscrit pas dans la norme. Si le CX se demande s’il doit rédiger un rapport, il doit le faire.

[29]  Un rapport sur le recours à la force et un RODA doivent être remplis chaque fois que la force est utilisée contre un détenu, et ce même s’il s’agit d’un recours à la force mineur. Les rapports documentés sont entrés dans le Système de gestion des délinquants. Un registre est tenu dans chaque unité, dans lequel les activités courantes et l’ambiance du jour sont inscrites en vue du prochain quart de travail. Les RODA sont également consignés pour informer les collègues et le prochain quart.

[30]  Le Code de conduite de l’employeur (pièce 5, onglet 67) dresse la liste des attentes de base et des normes de conduite qui s’appliquent aux CX. Le Code de discipline de l’employeur (pièce 5, onglet 68) explique quelles mesures peuvent être prises en cas de violations du Code de conduite. Les employés acceptent ces conditions et conviennent de se comporter en conformité avec ces normes (pièce 5, onglet 69). Le Cadre de prévention des incidents de sécurité (pièce 34) énumère les obligations des employés. Le paragraphe 10 de la pièce 34 exige que les employés fassent rapport des incidents de sécurité sur-le-champ, en général au bureau du GCO, qui est doté en personnel 24 heures par jour. La pièce 5, onglet 13, expose les fonctions et les responsabilités des divers membres du personnel au niveau du traitement des incidents de sécurité. L’annexe B de ce document est le « Modèle de gestion de situations », qui est enseigné à tous les CX. Il représente la façon de traiter avec les incidents de recours à la force.

[31]  On s’attend à ce que les CX règlent les conflits au niveau le plus bas (voir la pièce 5, onglet 73, paragraphe 12(e)). Ils doivent communiquer jusqu’à ce qu’une conversation devienne impossible dans le cadre du traitement de quelque chose qui sort de la norme; l’objectif consiste à régler une situation avant qu’un détenu soit accusé. Ainsi, la sécurité de tous est assurée. Toutefois, les incidents doivent quand même être consignés.

[32]  La Directive du commissaire sur le recours à la force (pièce 5, onglet 74) et la Directive du commissaire sur l’utilisation d’agents chimiques et inflammatoires (pièce 5, onglet 75) découlent de la pièce 5, onglet 73. Ces directives du commissaire énoncent les détails du recours à la force pour régler une situation. Les recrues chez l’employeur suivent un « Programme de formation de base » (PFB) pendant lequel ces directives sont étudiées. Les techniques utilisées pour régler les incidents de recours à la force sont enseignées. M. Legere et M. Derksen ont reçu cette formation (pièce 5, onglets 65 et 66).

[33]  Dans le cadre du PFB, on enseigne aux recrues comment escorter les détenus menottés. Le CX doit être à portée de main du détenu, la moitié d’un pas derrière et la moitié d’un pas de côté. Quand deux agents escortent un détenu menotté, il y en a un de chaque côté, ou un à côté du détenu et l’autre derrière celui-ci. Un détenu qui est menotté court des risques, car il ne peut se protéger en cas de chute. La différence entre une escorte simple, double ou triple est la proximité du détenu. Plus le nombre de CX requis pour escorter le détenu est élevé, plus la proximité avec le détenu devrait être grande. Les CX courent un risque accru lors de telles escortes, car un détenu qui a besoin d’une escorte triple peut être violent ou risquer de commettre une agression. Dans un tel cas, le CX devrait garder ses mains sur le détenu.

[34]  M. Sehra a effectué l’examen du recours à la force du 21 juillet 2012 impliquant le détenu Z. Après l’incident de la veille impliquant M. Derksen et le même détenu, il a été établi que l’enquête devrait être un examen de niveau 2. M. Sehra a revu les RODA pour s’assurer qu’ils donnent un bon compte rendu de l’incident. Il a établi que M. Derksen n’avait pas défini quelles techniques de distraction il utilisait contre le détenu Z. Les bandes magnétoscopiques des incidents ont été revues, ce qui a constitué une source de préoccupation pour M. Sehra. D’abord, le CX Keith Paul a déclaré que le détenu a attaqué alors que ce n’est pas ce que M. Sehra a vu sur la bande magnétoscopique. Toutefois, selon M. Sehra, la perception des CX diffère fréquemment de ce que l’on voit sur la vidéo.

[35]  Une fois que le détenu Z est vu au sol, M. Derksen arrive, donne un certain nombre de coups de genou à la tête et au cou du détenu, et semble frotter son visage sur le sol. Trois autres CX ont répondu au même incident, et les gestes de M. Derksen ne semblaient pas raisonnables, compte tenu du nombre de CX présents pour s’occuper de la situation. Les coups de genou peuvent être appropriés dans certaines circonstances comme technique de distraction, mais ils ne sont pas appliqués à la tête ou au cou du détenu. Le geste de frotter à deux mains la tête d’un détenu sur un plancher de ciment ne constitue pas une technique reconnue de soumission d’un détenu. M. Derksen soutenait qu’il appliquait la technique de la mastoïde, qui comporte l’application d’une pression à l’os mastoïde derrière l’oreille pour amener le détenu à obéir. Ce genre de technique qui repose sur les points de compression n’a pas été utilisé dans cette situation d’après ce que M. Sehra a vu sur la bande magnétoscopique.

[36]  L’objectif des techniques de distraction est de faire adopter le comportement voulu à la personne, de séparer l’esprit du corps et d’obtenir le contrôle de la situation. Une fois que cette dernière étape est franchie, le CX oriente la douleur vers la direction dans laquelle il souhaite que le détenu avance. Lorsque le détenu obéit, le CX cesse d’utiliser la technique, et le détenu est soulagé de la douleur. La répétition par M. Derksen des techniques que l’on voit sur la bande magnétoscopique s’est révélée inefficace, car le détenu n’obtenait pas de soulagement lorsqu’il obéissait. L’intensification de la douleur fait diminuer le niveau d’obéissance et augmenter le degré de résistance.

[37]  M. Sehra a également effectué l’examen de l’incident du 20 juillet 2012 (pièce 26). Il a obtenu la version de l’événement du détenu et a revu les bandes magnétoscopiques de ce jour-là, les RODA des CX et l’addendum demandé à M. Derksen concernant les techniques de distraction. Au paragraphe 10 de la pièce 26, M. Sehra constate que M. Derksen ne mentionnait pas encore le recours à des coups de genou. M. Sehra est d’avis qu’il n’y avait rien qui pouvait rendre les coups de genou nécessaires ou raisonnables dans la situation en cause. Si le recours à ces coups est réputé raisonnable, ils sont généralement appliqués à de grands groupes de muscles comme l’extérieur de la jambe ou d’autres parties tendres et non à la tête ou au cou. Les coups de genou utilisés par M. Derksen étaient excessifs, compte tenu du nombre d’agents sur les lieux. Le coup de genou initial aurait pu être raisonnable; la répétition de ce geste ne l’était pas. Les gestes répétés ont nui aux tentatives de soumettre le détenu en l’amenant à être plus agité.

[38]  L’examen de l’incident du 11 août 2012 impliquant le détenu B révélait qu’il était menotté juste avant l’incident. Il a été déplacé de la cour à sa cellule et rien ne justifiait le retrait des menottes avant qu’il atteigne cette destination. Les détenus sont habituellement menottés dans l’unité d’isolement pour faciliter le mouvement d’un endroit à un autre. Ce fait se révèle pertinent pour établir si M. Legere était coupable de recours excessif à la force ce jour-là parce que M. Ferguson a demandé à M. Legere s’il voulait que les menottes soient enlevées au détenu B juste avant l’incident survenu entre M. Legere et le détenu B le jour en question.

[39]  L’escorte montrée sur la vidéo du 12 août 2012, dans laquelle le détenu N est accompagné au-delà de la douche occupée par le détenu G n’était pas compatible avec la formation en matière d’escorte fournie à MM. Derksen et Legere. Toutefois, en contre-interrogatoire, M. Sehra a convenu que si les facteurs conjoncturels le permettent, il est possible d’opter pour une configuration différente dans laquelle un agent se trouve de chaque côté du détenu et un autre à l’arrière. La poubelle à l’extérieur de la cellule et le téléphone payant qui est dans le chemin ont pu constituer des facteurs dans la façon d’escorter le détenu.

[40]  La pratique appliquée à l’établissement consiste à laisser la fente servant à passer les plateaux de nourriture ouverte lorsqu’un détenu nettoie sa cellule. Il peut ainsi lancer des déchets dans une poubelle, qui est placée à l’extérieur de la cellule. L’établissement a également comme pratique de ne pas toucher un détenu pendant qu’il est escorté (voir la pièce 4, onglet 42, page 26).

[41]  Les agents suivent chaque année une formation sur le recours à la force à l’établissement. Les éléments qui ne font pas l’objet des formations annuelles sont couverts dans le PFB, qui traite également de ce qu’est une distance sécuritaire lorsque l’on escorte un détenu. Il y a trois distances principales, qui exigent toutes que l’agent puisse, à l’aide de sa vision périphérique, voir le détenu de la tête aux pieds lorsqu’il est debout devant le détenu. Le maintien d’une distance sécuritaire fait partie de l’autodéfense.

[42]  Mme Contini a été nommée présidente du comité d’enquête constitué pour les incidents des 11 et 12 août 2012. Mme Contini a reconnu qu’elle n’avait pas suivi de formation sur la façon de tenir une enquête disciplinaire. De nombreuses prorogations ont été accordées en raison de la complexité d’une enquête sur deux incidents impliquant de nombreuses personnes. En outre, M. Legere n’était pas disponible, car peu après sa suspension sans traitement, il est retourné vivre en Nouvelle-Écosse. Finalement, il a été interviewé par vidéoconférence le 12 octobre 2012. Le rapport devait être remis le 16 octobre 2012, mais l’a été le 19 octobre 2012. D’autres modifications ont été exigées au rapport du 19 octobre 2012, qui a finalement été présenté au directeur par intérim Huish le 21 octobre 2012 (pièce 4, onglet 42). L’élément clé ayant causé les retards était l’entrevue avec M. Legere.

[43]  Mme Contini a examiné le paquet reçu de l’employeur, dont les RODA, les registres de l’unité, les ordonnances d’isolement, les ordres de convocation, les lettres de suspension et de nombreuses heures de bande magnétoscopique. Elle a visité le site des incidents. Elle a interviewé les personnes énumérées à la page 6 du rapport final (pièce 4, onglet 42). M. Weatherbee, coenquêteur, a compilé les résumés des entrevues, qu’il a rédigés à partir des notes prises au cours des entrevues. Mme Contini en a revu l’exactitude. Les conclusions n’ont pas été tirées à partir des déclarations. Mme Contini a établi l’exactitude des déclarations. Les autres renseignements provenaient des vidéos. Les enquêteurs n’ont pas montré les séquences filmées aux CX interviewés malgré leur demande de les voir pour se rafraîchir la mémoire au sujet des incidents.

[44]  D’après l’entrevue de M. Legere, M. Ferguson lui a demandé s’il devrait enlever les menottes au détenu B en réponse à la demande en ce sens du détenu B, demande à laquelle M. Legere a répondu [traduction] « Peu importe. » M. Legere a déclaré qu’il n’a pas ainsi manifesté son accord pour que M. Ferguson enlève les menottes. Lorsque les mains du détenu B ont été libérées, il a agressé M. Legere. D’après Mme Contini, la vidéo de l’incident révèle que les autres CX en service ont réagi très lentement à une agression sur un agent. Selon elle, cette réaction indique qu’ils savaient ce qui allait se produire et que M. Legere n’a pas été agressé. La vidéo montre le détenu B ou M. Legere dans un état d’agitation; on ne voit pas clairement lequel est agité. Mme Contini a ensuite témoigné que rien ne prouve sur la vidéo que les agents savaient ce qui surviendrait. Les agents interviewés ont dit qu’il n’était ni usuel ni conforme à la politique de retirer les menottes à un détenu escorté.

[45]  Mme Contini conclut que les gestes de suivi des agents ont révélé qu’ils savaient ce qui allait se produire. M. Legere était prêt à contrer l’agression du détenu B. Il a frappé le détenu B à deux reprises, dont une que l’on voit clairement sur la vidéo. Mme Contini croit également que M. Legere a donné un coup de pied au détenu B. Le comité d’enquête a conclu que M. Legere s’est rendu coupable d’un recours excessif à la force. Sa réaction n’a pas été la plus sécuritaire ni la plus raisonnable compte tenu du nombre d’agents présents à l’époque. Il n’était pas nécessaire de frapper le détenu B.

[46]  L’incident avec le détenu B n’a pas été signalé. M. Ferguson a donné instruction aux autres agents de ne pas remplir de RODA, et ils se sont conformés à ces instructions. Les vidéos de ce jour-là montrent que le groupe s’est réuni dans le bureau « J » pour parler du dépôt du rapport. Ils ont décidé de ne pas le soumettre à la direction de l’établissement. Les RODA des agents doivent être remplis de façon indépendante. Compte tenu d’un usage similaire de la terminologie et d’un libellé cohérent dans les rapports déposés, la preuve suffit pour établir une collusion au niveau de la rédaction des rapports entre les agents en cause. Mme Contini n’a jamais pris de notes au cours du processus d’enquête. Elle s’en est remise à M. Weatherbee pour qu’il le fasse. Il a également fait les dessins joints au rapport final (pièce 4, onglet 42) à l’« Annexe A ». Certains passages cités par les auteurs du rapport étaient des suggestions formulées aux agents interviewés et ne constituent pas des déclarations faites par les agents interviewés. Les bandes magnétoscopiques des entrevues représentent les meilleurs éléments de preuve.

[47]  Pendant l’enquête, M. Derksen a fait valoir qu’il était absent lors de l’incident avec le détenu B. Selon Mme Contini, la preuve et les vidéos n’étayaient pas son affirmation. Les bandes magnétoscopiques montrent que M. Derksen a passé à côté du poste de contrôle J, ce qui fait que le 11 août 2012, date à laquelle le détenu B a été agressé, il n’aurait pu se trouver que dans le portail du secteur de service. M. Derksen prétendait être passé de l’allée J à l’allée K. Les enquêteurs n’ont jamais visionné la vidéo de l’allée J (pièce 49); ils ont visionné seulement la vidéo de l’allée K.

[48]  Tout au long du processus d’enquête, les agents en cause hésitaient beaucoup à dire toute la vérité sur ce qui s’est produit. D’après Mme Contini, l’enquête constituait un [traduction] « processus tortueux » d’obtention de renseignements auprès de chaque agent. M. Legere a fini par reconnaître qu’il a frappé le détenu B à main ouverte. Après avoir étudié la vidéo, Mme Contini a établi que c’était faux selon la prépondérance des probabilités.

[49]  Mme Contini et M. Weatherbee ont également été chargés d’enquêter sur l’incident du 12 août 2012 impliquant le détenu N. Le visionnement de la vidéo montre les agents accompagnateurs qui font un mouvement de recul alors que le détenu N passe à côté de la cabine de douche où se trouve le détenu G. Mme Contini a déclaré qu’il est normal de demeurer à l’arrière lorsque l’on accompagne un détenu à l’établissement. Selon Mme Contini, la distance entre les agents accompagnateurs et le détenu N permettait l’agression et a fait en sorte que les agents ne reçoivent pas de liquide.

[50]  La routine de la douche à l’établissement débute habituellement à la fin de l’allée. Dans la présente affaire, c’est le détenu N qui s’y trouve. Toutefois, en contre‑interrogatoire, Mme Contini a reconnu qu’elle ne connaissait pas cette routine. Elle ne savait pas que les routines de la douche pouvaient être modifiées lorsqu’un détenu fait l’objet d’une escorte triple et que le nombre de membres du personnel est insuffisant pour réaliser l’escorte, comme c’était le cas le 12 août 2012.

[51]  Le 12 août 2012, la routine a commencé au début de l’allée, par le détenu G. De l’avis de Mme Contini, c’était planifié et c’était la seule façon de procéder à l’agression. Les RODA déposés ce jour-là indiquent qu’il n’y avait rien d’inhabituel dans la routine de la douche. Toutefois, lorsque les personnes en cause ont été interviewées, elles se rappelaient les détails de ce jour-là. Les enquêteurs ont trouvé cela étrange. M. Derksen a d’abord dit qu’il n’avait rien vu, mais au cours de son entrevue, il s’est souvenu que le détenu G criait quelque chose à partir de la douche et a vu trois gouttes de liquide sur l’épaule du détenu N. Si M. Derksen croyait que ce renseignement était assez important pour le dire au comité d’enquête, il importait suffisamment pour être inclus dans son RODA.

[52]  M. Legere ne pouvait se souvenir de la discussion avec le détenu G lorsqu’il est passé à côté de la douche en se dirigeant vers la cellule du détenu N pour l’en faire sortir.

[53]  Les enquêteurs ne pouvaient déterminer ce qu’était le liquide provenant de la douche. Il a été allégué qu’il s’agissait de fluide corporel. Toutefois, le détenu N n’a parlé aux CX au sujet du fluide ni à ce moment-là ni plus tard.

[54]  Les enquêteurs ont visité l’unité d’isolement à l’établissement. Mme Contini a mentionné que la douche comportait des côtés ouverts, mais elle a ajouté qu’elle ne se souvenait pas d’avoir vu de l’eau sur le plancher à l’extérieur.

[55]  Aucun des agents accompagnateurs ayant raccompagné le détenu N à sa cellule après sa douche ne se souvenait d’avoir vu le manche à balai sortir de la fente servant à passer les plateaux de nourriture, quoiqu’après un long processus d’interrogatoire, M. Legere a reconnu qu’il l’a vu dépasser de la fente servant à passer les plateaux de nourriture. M. Ferguson a demandé à M. Legere s’il avait vu le manche à balai sortir de la fente en question.

[56]  Le comportement des agents au lendemain d’une agression sur un détenu n’était pas cohérent avec les attentes. M. Legere aurait dû tout au moins fermer la fente servant à passer les plateaux de nourriture, car les agents auraient pu être agressés par le balai à l’approche de la cellule du détenu G. Le CX Raymond a été le premier agent à approcher la cellule du détenu G, mais les enquêteurs ont conclu qu’il n’y a pas eu d’acte répréhensible de sa part.

[57]  Sur la base de l’ensemble de la preuve, Mme Contini a conclu que MM. Legere et Derksen ont été carrément malhonnêtes au sujet de l’incident, compte tenu du contexte de l’évaluation de l’intégralité des renseignements et de leur communication.

[58]  La caméra qui a filmé l’incident du 12 août 2012 se trouve au bout de l’allée et est plus élevée que le champ de vision des agents. Elle ne voit pas ce que les agents voient.

[59]  Les CX Pierangeli, Bains et Paul ont tous été interviewés par Mme Contini et M. Weatherbee dans le cadre de l’enquête sur les événements des 11 et 12 août 2012. M. Pierangeli et M. Bains ont fait sortir le détenu B de la cour. Il était accompagné dans l’aire commune de l’unité d’isolement à son retour à sa cellule lorsqu’ils ont rencontré M. Ferguson et M. Legere. M. Ferguson a engagé la conversation avec le détenu B. Celui‑ci a demandé à M. Ferguson de lui retirer ses menottes, ce qu’il a fait. Le détenu B a alors attaqué M. Legere en balançant ses poings vers lui. M. Legere a frappé M. B, qui a trébuché vers l’arrière. Le détenu B a rétabli son équilibre, puis a attaqué M. Legere de nouveau. M. Legere a encore une fois frappé le détenu B avec les bras tendus. Le détenu B a été entraîné au sol, menotté et escorté à sa cellule.

[60]  M. Pierangeli ne se souvenait pas des détails de la conversation entre M. Ferguson et le détenu B, mais il se rappelait que le détenu B avait fait plus de 4 demandes et moins de 10 à M. Ferguson pour qu’il retire les menottes. Ils semblaient tous deux calmes lorsqu’ils discutaient. Le détenu B et M. Ferguson étaient à environ 15 pieds de M. Legere. M. Pierangeli ne se souvenait pas d’avoir dit à l’enquêteur que le détenu B jurait, quoique ce soit possible. Il ne se rappelait pas que le détenu B avait dit [traduction] « va te faire foutre » à M. Ferguson, mais il se souvenait de la demande de retrait des menottes. M. Derksen n’était pas présent quand les menottes ont été enlevées.

[61]  M. Pierangeli se rappelait d’avoir rencontré les autres agents au bureau J à la suite de l’incident avec le détenu B. Toutefois, ils ne se sont pas rencontrés pour discuter expressément de l’incident. MM. Legere et Ferguson étaient présents et l’information selon laquelle ils se réunissaient a été transmise à M. Paul, qui était dans le poste de contrôle J à ce moment-là. Tant M. Legere que le détenu B allaient bien. M. Ferguson a demandé qu’aucun rapport ne soit déposé au sujet de l’incident. Il s’agissait d’une mauvaise décision, que M. Pierangeli a regretté; il aurait dû déposer un RODA. L’incident est devenu le sujet de discussion dans tout l’établissement, et MM. Ferguson, Derksen, Paul, Bains et Pierangeli ont décidé de se rencontrer dans le stationnement d’un Superstore pour décider de la façon de traiter la situation. Ils se sont demandés s’ils devaient se rendre au détachement de la Gendarmerie royale du Canada situé à Aggasiz, en Colombie-Britannique, et faire une déclaration parce qu’une enquête était en cours sur le recours à la force contre le détenu B. Ils ont décidé de ne pas le faire parce que l’agent enquêteur n’était probablement pas en service, et ils ne pouvaient se faire accompagner d’un avocat. Les CX n’avaient toujours pas déposé de RODA. Ils ont décidé de s’abstenir tant qu’on ne leur en ferait pas la demande. Les agents se sont rencontrés une deuxième fois au domicile de M. Ferguson, et un représentant de l’agent négociateur a été invité. Ils ont de nouveau discuté du dépôt d’un RODA sur les événements du 11 août 2012.

[62]  À ce moment-là, M. Pierangeli avait déjà déposé un RODA. Il avait été contacté par son gestionnaire correctionnel et s’était fait ordonner de remplir le rapport, comme les autres personnes en cause avaient fait. Quand les agents ont effectivement dressé leurs rapports, ils ont été placés dans des bureaux distincts. Le gestionnaire correctionnel s’est assis avec eux pendant qu’ils rédigeaient leurs rapports. Il n’y a pas eu d’accord au préalable sur le contenu de chaque rapport. C’est une coïncidence qu’ils aient tous utilisé les mots « calmes et obéissants » lorsqu’ils ont été interviewés par Mme Contini. Les entrevues étaient longues et stressantes et portaient à confusion. M. Pierangeli a déclaré que Mme Contini était souvent agitée tout au long du processus lorsqu’elle n’obtenait pas les réponses qu’elle voulait. Cette allégation n’a pas été réfutée par l’employeur.

[63]  M. Pierangeli a reçu une réprimande écrite pour son rôle dans le recours à la force contre le détenu B. Il n’a pas été réaffecté à d’autres fonctions ou suspendu pendant l’enquête faite par Mme Contini et M. Weatherbee.

[64]  M. Bains a témoigné qu’il a été impliqué dans l’incident du 11 août 2012. Le 11 août, M. Pierangeli et lui-même ont retiré les menottes du détenu B dans la cour K, comme d’habitude. Quand M. Bains est arrivé en haut de l’escalier, il a vu le détenu B parler à M. Ferguson, ce qui n’était pas normal selon M. Bains. Il s’est placé juste à côté du bureau du gestionnaire correctionnel et n’a pas prêté attention aux propos tenus. Tout semblait bien aller, et il était préoccupé des autres routines. M. Bains était debout dans la porte d’entrée de l’unité K du secteur de service près des marches supérieures de l’unité K et se trouvait à environ 10 pieds lorsque le détenu B a demandé de se faire retirer les menottes. Il a entendu le détenu B demander à M. Ferguson de lui enlever ses menottes, ce que M. Ferguson a fait.

[65]  M. Bains a alors vu le détenu B se jeter sur M. Legere. Les deux sont entrés en collision, et le détenu B est retombé. Il s’est relevé et a de nouveau sauté sur M. Legere. Cette fois, M. Legere, dans un geste d’autodéfense, a frappé le détenu B sur le côté de la tête avec le poing fermé, d’après M. Bains. Le détenu B est tombé à genoux, et M. Legere l’a mis au sol, où il lui a passé les menottes. Le détenu B ne luttait pas ni ne se battait à ce moment-là. M. Pierangeli et M. Derksen sont arrivés et ont aidé à menotter le détenu B. M. Derksen était absent quand les menottes ont été enlevées.

[66]  M. Bains était présent au bureau J quand M. Ferguson a demandé qu’aucun RODA ne soit déposé. Il faisait également partie du groupe qui a tenu une rencontre dans le stationnement du Superstore et à la résidence de M. Ferguson. Il n’a pas déposé son RODA tant qu’on ne le lui a pas demandé, ce qui était la mauvaise chose à faire. Il aurait dû appeler le service des soins de santé pour qu’il rende visite au détenu B à la suite de l’incident.

[67]  Pendant l’entrevue de M. Bains, Mme Contini l’a martelé de questions répétées auxquelles il n’a pu répondre. Comme elle continuait à exiger des réponses, il en a inventé. Mme Contini a crié après le représentant de l’agent négociateur qui accompagnait M. Bains et lui a dit de se taire. Dans son RODA, M. Bains a dit que M. Legere a frappé le détenu B à poing fermé, mais après avoir été martelé de questions par Mme Contini, il a affirmé que M. Legere a donné au détenu B un coup de poing qui l’a ébranlé. Il a tenté de rectifier cette affirmation, mais les enquêteurs n’ont pas noté la correction. L’entrevue a duré environ cinq heures, pendant lesquelles Mme Contini a posé constamment la même question jusqu’à ce qu’elle obtienne la réponse qu’elle voulait entendre. Elle versait des larmes de frustration. Elle avait des changements d’humeur spectaculaires, ce qui semait de la confusion dans l’esprit de M. Bains. Elle lui a conseillé de penser à sa famille et de faire la bonne chose. Il n’a pas été autorisé à voir la vidéo que mentionnait Mme Contini pendant l’enquête. M. Bains a rencontré les enquêteurs deux fois après l’entrevue initiale de cinq heures. Il a demandé une rencontre avec les enquêteurs parce qu’il avait oublié de dire quelque chose qu’il croyait devoir ajouter. Il s’est alors fait poser sans cesse la même question pendant deux à trois autres heures.

[68]  M. Bains a reçu une réprimande écrite pour avoir participé au recours à la force à l’égard du détenu B.

[69]  Le 11 août 2012, M. Paul était au poste de contrôle de l’unité d’isolement et n’a pas entendu la discussion entre le détenu B et M. Ferguson. Il a vu le détenu B attaquer M. Legere, qui a réagi en lui donnant un coup de poing, ce qui a entraîné la chute du détenu B. Le détenu B, M. Ferguson et M. Legere étaient les seules personnes dans le secteur de service à ce moment-là. M. Paul n’a pas signalé l’incident parce qu’après avoir parlé aux autres personnes en service ce jour-là, il a été convenu que c’était terminé, que le détenu B regrettait ses gestes et qu’il était préférable de régler la situation au niveau le plus bas.

[70]  M. Paul a rencontré MM. Bains, Pierangeli, Ferguson et Derksen au stationnement du Superstore pour discuter du dépôt d’un RODA. L’événement était connu au sein de l’établissement, et toutes les personnes en cause comprenaient la gravité de la situation et se rendaient compte qu’elles avaient cafouillé. Les membres du groupe ont décidé de ne rien faire tant qu’ils ne recevraient pas instruction de rédiger un RODA. M. Paul était également présent à la réunion tenue à la résidence de M. Ferguson. M. Paul ne pouvait expliquer l’emploi d’un même vocabulaire dans les RODA déposés. Il a rédigé le sien par lui-même, sans collusion avec autrui. Il n’y a pas eu d’échange avec les autres agents sur ce qu’il fallait consigner dans les rapports ou sur ce qu’il fallait dire aux enquêteurs.

[71]  Dans sa rencontre avec les enquêteurs, M. Paul a reconnu qu’il était inhabituel pour M. Ferguson de retirer les menottes du détenu B. Ce geste allait à l’encontre de la politique. Les mots [traduction] « bataille consensuelle », utilisés pour décrire ce qui s’est passé après le retrait des menottes (pièce 4, onglet 42, page 23), étaient ceux de l’enquêteur, et non les siens. Il ne se souvenait pas d’avoir dit que M. Legere savait ce qui allait suivre. M. Paul a identifié M. Langer et Brenda Vetter, qui ont également pris part à l’enquête et aux mécanismes disciplinaires, en tant que représentants du bureau local des relations de travail de l’employeur.

[72]  Mary Danel a été chargée de faire enquête sur l’incident de recours à la force du 20 juillet 2012 impliquant le détenu Z (pièce 4, onglet 38). Elle devait remettre son rapport le 20 novembre 2012. Elle ignorait que MM. Derksen et Legere étaient suspendus sans traitement. Elle n’a pas respecté l’échéance. Les coordonnées fournies pour M. Derksen étaient inexactes, et M. Legere n’avait pas de système de messagerie vocale. Par conséquent, elle ne pouvait pas lui laisser de message. Plusieurs prorogations ont été demandées en raison de la maladie de l’enquêteur. Le rapport final a été remis au directeur par intérim Mark Noon-Ward le 17 janvier 2013 (pièce 5, onglet 55).

[73]  L’incident au sujet duquel elle devait enquêter s’est produit quand le détenu Z a été accompagné aux douches le 20 juillet 2012. À ce moment-là, il était menotté les mains en avant. Il a foncé sur M. Derksen. Ce dernier a mis le détenu Z au sol, et M. Legere lui a envoyé un aérosol capsique. Dans la vidéo, on peut voir M. Derksen avoir recours à des coups de genou.

[74]  MM. Derksen, Legere, Pierangeli et Becker étaient tous impliqués dans l’incident. L’utilisation par M. Legere de l’aérosol capsique a été jugée appropriée. Le recours par M. Derksen à des coups de genou a été jugé excessif. Les RODA déposés par des CX n’ont pas été remplis tel qu’exigé. M. Derksen n’a pas indiqué clairement le degré de force qu’il a utilisé et pourquoi il a eu recours à cette force. Le détenu Z a déclaré que les agents ont [traduction] « placé leurs bottes » sur lui. Il a désigné clairement les agents en cause lorsqu’il a visionné la vidéo de l’incident.

[75]  La vidéo montrait que les agents ne se sont pas servis de leurs bottes. On voit M. Derksen qui donne des coups de genou sur le côté gauche du détenu Z pendant que le détenu est menotté à l’avant. Son visage, au sol, est poussé vers le mur et ses mains se trouvent sous lui. Au départ, deux CX sont impliqués, puis il y en a quatre. Le premier coup de genou était justifié comme technique de distraction. Le deuxième coup et le troisième coup n’ont pas eu d’impact, ont rendu le détenu plus agité et ont aggravé sa situation. Quand M. Derksen a visionné la vidéo, il a reconnu qu’il a utilisé les coups de genou comme technique de distraction, comme on le lui a enseigné dans le PFB. Il s’est agi d’un recours spontané aux outils qui s’offraient à lui à l’époque. M. Derksen a soutenu que la formation au recours à la force qu’il a reçu ne convient pas pour traiter avec des détenus comme le détenu Z.

[76]  Dans le cadre de son enquête, Mme Danel a assuré un suivi de M. Sehra concernant la formation sur le recours à la force. Selon lui, les coups de genou ne sont pas enseignés dans le PFB parce qu’ils représentent une manifestation inappropriée du recours à la force.

[77]  Le premier RODA de M. Derksen (pièce 3, onglet 4) comportait des lacunes. On lui en a demandé un deuxième (pièce 3, onglet 9) afin qu’il clarifie sa version des événements. Aucun rapport n’établissait quelles techniques de distraction étaient utilisées. Il n’a pas donné tous les détails dans tous ses rapports. Les CX ne pouvaient établir de distinctions entre les incidents impliquant le détenu Z et leurs rapports n’étaient pas assez complets pour contribuer à l’enquête. Le détenu Z était reconnu comme quelqu’un qui dépose des plaintes alléguant un recours excessif à la force par des CX. Il a admis s’être attaqué à M. Derksen.

[78]  Robert Podesta a fait enquête sur l’incident de recours à la force du 21 juillet 2012 à la demande de Mark Kemball. Cheryl Arsenault lui a prêté assistance. Il avait suivi une formation en matière de recours à la force et a été personnellement impliqué dans des incidents de recours à la force pendant sa carrière. Il a suivi une formation exhaustive sur les techniques de recours à la force. En 2002, il était chargé de revoir tous les RODA sur le recours à la force à l’échelle régionale. Il a effectué des examens complets de chaque cas et a donné de la rétroaction sur la conformité à la haute direction. On lui a présenté une note de service et un ordre de convocation demandant l’enquête sur l’incident de recours à la force ayant impliqué le détenu Z qui est survenu le 21 juillet 2012 (pièce 4, onglet 28). Il devait remettre son rapport au plus tard le 1er novembre 2012 et a respecté cette échéance. Avant d’interviewer des témoins de l’événement, les enquêteurs ont recueilli la totalité des rapports et des vidéos, ont déterminé les personnes à interviewer, et ont consulté des spécialistes sur le recours à la force. Les enquêteurs n’ont pas revu la vidéo postérieure au recours à la force. M. Podesta savait que le service des soins de santé avait examiné le détenu dans le cadre de son suivi du recours à la force. Le service des soins de santé a constaté des contusions, mais il ne pouvait être certain qu’elles avaient été subies cette nuit-là ou la nuit précédente.

[79]  Le 21 juillet 2012, le détenu Z a été déplacé de l’unité d’isolement à sa cellule lorsque l’incident de recours à la force impliquant M. Derksen s’est produit. Le détenu Z a des antécédents de comportement perturbateur et de problèmes avec le personnel. Il a été déplacé de nombreuses fois entre l’établissement et le Centre régional de traitement. Le détenu Z est un petit homme qui pèse environ 120 livres.

[80]  M. Podesta et Mme Arsenault ont interviewé le détenu Z et ont obtenu son point de vue de ce qui s’est passé. Il hésitait à parler aux enquêteurs parce qu’il n’était pas certain de l’objet de l’entrevue. Sa capacité d’attention est très courte. Par conséquent, pour maintenir son attention sur l’incident de recours à la force du 21 juillet 2012, les enquêteurs ont utilisé la vidéo. Il répondait clairement et directement aux questions concernant M. Derksen. Il était très émotif lorsqu’il parlait du rôle de M. Paul dans l’événement du 21 juillet 2012, ce qui a incité les enquêteurs à conclure que son témoignage à cet égard était moins digne de foi. Pour le reste, le détenu Z se souvenait très clairement des événements de ce jour-là. Il a reconnu avoir adopté la stratégie du recours à la force pour recevoir de l’aérosol capsique, afin de pouvoir prendre une douche et rencontrer un gestionnaire correctionnel. Il s’agissait d’une stratégie documentée et connue dont le détenu Z se servait fréquemment. M. Derksen a dit qu’il la connaissait parce qu’elle avait été communiquée aux agents de l’unité d’isolement lors de réunions d’information.

[81]  Le détenu Z était étonné que les agents ne se servent pas de l’aérosol capsique contre lui le 21 juillet 2012. Cette nuit-là, il voulait parler à un gestionnaire correctionnel au sujet de lumières qui avaient été laissées allumées la nuit et il s’est plaint de ne pas avoir pu prendre une douche alors qu’il voulait le faire.

[82]  M. Paul a confirmé que M. Derksen a donné des coups de genou à la tête du détenu Z. Son témoignage était lacunaire dans les domaines qui lui étaient préjudiciables; par exemple, sa description de la façon dont le détenu Z s’est retrouvé au sol n’était pas cohérente avec ce que l’on a vu sur les vidéos.

[83]  De même, le témoignage de M. Derksen comportait des omissions et des passages flous lorsque ses gestes étaient douteux. Il était explicite lorsque son témoignage était cohérent avec les motifs pour lesquels il avait agi comme il l’a fait. Beaucoup de détails étayaient ses gestes. Toutefois, il n’y avait pas de détails lorsqu’il aurait fallu en donner pour expliquer des questions cruciales soulevées par l’incident. Par exemple, ses souvenirs de la séquence des événements étaient explicitement cohérents avec les vidéos lorsqu’il a parlé des motifs pour lesquels il a donné des coups de genou, mais il ne se rappelait pas où il les avait donnés. Il croyait que le détenu les avait reçus sur l’épaule ou sur la partie supérieure du corps, alors que la vidéo montre nettement que la tête du détenu a écopé. M. Derksen a expliqué qu’il a donné des coups de genou comme technique de distraction afin d’amener le détenu Z à obtempérer. Il s’attendait à ce que le détenu Z se retrouve dans l’autre direction. Il lui a dit de tourner sa tête dans l’autre direction. Le détenu Z n’a pas obéi, et il a alors utilisé la technique de distraction.

[84]  D’après M. Podesta, quand M. Derksen donnait des coups de genou, trois agents tentaient de maîtriser le détenu Z : M. Murrell lui tenait les jambes, M. Paul lui tenait les poignets et M. Derksen tentait de maîtriser la tête du détenu. Quand M. Derksen est arrivé, le détenu Z était menotté dans le dos et portait un masque anti-crachats et ses jambes étaient maîtrisées. M. Derksen ne courait aucun risque; il aurait pu s’éloigner de la portée du détenu Z si celui-ci avait tenté de le mordre. Le risque que le détenu Z lui crache dessus était minime parce qu’il ne pouvait tourner la tête et portait un masque anti-crachats.

[85]  Le degré de force nécessaire n’était pas cohérent avec celui qui a été utilisé. Sept coups de genou ont été donnés, et 66 secondes ont été consacrées à frotter le visage du détenu Z sur le plancher de tuile. À la fin de l’incident, M. Derksen n’a pas pris le masque anti-crachats, raison pour laquelle il dit avoir donné des coups de genou et appliqué de la pression sur l’os mastoïde. M. Podesta avait des réserves quant au poids utilisé pour appliquer la technique des points de pression sur l’os mastoïde. Il a dit qu’il s’apparentait davantage à la quantité de pression requise pour effectuer la réanimation cardiopulmonaire. Lorsque cette technique est bien appliquée, elle consiste à pousser une jointure ou un pouce derrière la mâchoire. Ces techniques ont pour but de causer divers degrés de douleur pour amener un détenu à obéir. Tout le poids corporel appliqué sur la tête du détenu aurait causé une douleur très intense. M. Podesta a également témoigné qu’il était illogique d’appliquer des techniques de distraction à l’épaule, comme l’a décrit M. Derksen, car il était peu probable d’occasionner suffisamment de douleur pour amener la personne à obéir. Enfin, M. Derksen n’a pas fait d’évaluation continue pour déterminer si le recours à la force était encore nécessaire ou efficace.

[86]  M. Podesta a revu les rapports qui ont été déposés et a établi qu’ils ne comprenaient pas l’information qu’un agent doit fournir lorsqu’il fait rapport d’un incident de recours à la force. Le rapport initial de M. Derksen (pièce 4, onglet 6) était très vague. Son addenda était tout aussi flou (pièce 4, onglet 14). Il a mentionné à plusieurs reprises pendant l’enquête que le détenu Z devrait se trouver au Centre régional de traitement à cause de ses problèmes psychologiques. Le détenu Z était un détenu difficile. M. Podesta a conclu que M. Derksen a été malhonnête avec lui pendant l’entrevue. Ses omissions dans des domaines cruciaux ont porté préjudice aux meilleurs intérêts de M. Derksen.

[87]  À titre de directeur adjoint, opérations, M. Podesta savait que l’agent négociateur avait exprimé des réserves sur les cours de recyclage en autodéfense donnés aux agents à l’établissement. M. Derksen a également soulevé la question au cours de son entrevue même s’il respectait tout à fait les normes de formation nationales. La connaissance des techniques appliquées au recours à la force s’acquiert seulement avec la pratique. M. Podesta savait que M. Derksen avait reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique au cours de la dernière année.

[88]  Après l’incident de recours à la force du 21 juillet 2012, la direction a émis des directives sur le traitement du détenu Z.

[89]  M. Paul a témoigné au sujet de l’incident du 21 juillet 2012. Il a déclaré qu’il a donné au détenu Z la directive d’avancer devant lui pour une fouille-palpation. Le détenu Z n’a pas suivi la directive. Il a plutôt attaqué M. Paul, qui l’a alors amené au sol. Il était menotté à ce moment-là. M. Paul a maîtrisé le détenu au niveau du torse pendant que les autres réagissaient. Il avait infligé une clé au bras ou à la main gauche du détenu. Les agents Derksen et Murrell sont intervenus. M. Murrell a maîtrisé les pieds du détenu, tandis que M. Derksen appliquait des techniques de distraction à sa tête. M. Paul a vu M. Derksen donner trois ou quatre coups de genou à la tête du détenu. Il n’a pas vu M. Derksen appliquer une technique de pression de l’os mastoïde. Il ne surveillait pas activement ce que MM. Murrell et Derksen faisaient.

[90]  Le détenu Z gigote, est très souple et peut faire avec son corps des mouvements que les autres détenus ne peuvent faire. Lorsqu’il est menotté derrière le dos, il peut ramener ses mains et mettre son doigt dans son oreille. Il peut glisser ses mains menottées d’arrière en avant et d’avant en arrière. Toutefois, le 21 juillet 2012, le détenu Z était incapable de glisser ses mains. M. Paul a déposé des accusations contre le détenu Z pour l’avoir attaqué à la suite de l’incident du 21 juillet 2012.

[91]  William Thompson est le directeur de l’établissement depuis novembre 2012. Il a pris la décision de maintenir la suspension sans traitement de M. Legere après avoir pris connaissance des allégations et compris la raison d’être de la suspension (pièce 5, onglets 54 et 57). Il n’y avait pas de nouveaux renseignements permettant de modifier le niveau de risque attribué à M. Legere. La sûreté et la sécurité de l’établissement étaient primordiales; l’employeur avait perdu confiance en M. Legere en raison de l’incertitude de sa participation aux divers incidents. Le processus d’examen des suspensions sans traitement comportait l’étude du risque et de la gravité du problème et l’existence de problèmes de confiance, le risque posé par la présence de l’employé pour l’information sur l’équipement et l’employeur, les emplois offerts dans l’établissement et à l’extérieur de celui-ci, ainsi que les changements survenus, le cas échéant, depuis le dernier examen.

[92]  M. Thompson a tenu une audience disciplinaire (pièce 5, onglet 54) sur les accusations déposées contre M. Legere le 16 janvier 2013. À l’audience, il a discuté avec M. Legere des problèmes de ce dernier avec le rapport de Mme Contini. M. Thompson a rendu sa décision par lettre le 20 février 2013 (pièce 5, onglet 61). M. Thompson a licencié M. Legere par lettre (pièce 5, onglet 61) après avoir notamment pris en compte que M. Legere avait un dossier disciplinaire vierge. L’agression survenue le 11 août 2012 impliquait le retrait de menottes, ce qui était contraire à la politique, et aucun RODA n’a été présenté tant que M. Legere ne s’est pas fait dire d’en présenter un. De plus, le détenu ou toute autre personne dans le secteur aurait pu subir une blessure. Il s’agissait d’un recours à la force superflu occasionné par le retrait des menottes du détenu. L’absence de présentation d’un rapport par M. Legere enfreignait la valeur de base de la sincérité. Il s’est montré évasif lorsqu’il était devant les enquêteurs et à l’audience disciplinaire. Il a facilité les agressions du 12 août 2012. Il a informé le détenu qui était dans la douche de l’arrivée du détenu N. Il a également permis au détenu N de se déplacer sans contrôle dans l’allée au-delà de la fente ouverte servant à passer les plateaux de nourriture, en sachant que le détenu qui se trouvait dans la cellule disposait d’un balai, même s’il était de pratique courante dans l’unité d’isolement à l’établissement de laisser la fente servant à passer les plateaux de nourritures ouverte pendant qu’un détenu nettoyait sa cellule.

[93]  M. Thompson a témoigné qu’il était dégoûté de la vidéo de l’incident du manche à balai. Il s’attendait à davantage des CX de son établissement. Les techniques d’accompagnement inappropriées constituent une menace pour la sécurité des détenus et des agents. M. Legere a dit qu’il ne savait rien de ce qui se tramait au sujet de la douche et du manche à balai. Selon lui, la production d’un rapport n’était pas justifiée. Cette position allait à l’encontre des conclusions des enquêteurs et des vidéos. On a donné peu de crédibilité aux prétentions de M. Legere selon lesquelles il n’avait d’autre choix que de retirer les menottes; il estimait qu’il devait respecter la position de M. Ferguson, un agent principal. Du point de vue de M. Thompson, M. Legere aurait pu aller à l’encontre de M. Ferguson; il a tout simplement choisi de ne pas le faire. Pour ce qui est de la preuve de trouble de stress post-traumatique, M. Legere n’a pas présenté de rapport de médecin étayant le diagnostic. Rien n’a amené M. Thompson à croire que M. Legere éprouvait des troubles et n’était pas en mesure de suivre les politiques. Par conséquent, M. Thompson n’avait pas confiance en M. Legere, qui avait menti et ne s’était pas conformé au Code de conduite de l’employeur et à la formation qu’il avait reçue.

[94]  De même, M. Thompson a été impliqué dans le maintien de la suspension sans traitement de M. Derksen (pièce 4, onglet 48). Bien que l’audience disciplinaire sur les allégations formulées contre M. Derksen devait se tenir le 19 décembre 2012 (pièce 4, onglet 50), elle n’a pas eu lieu, car le rapport de l’enquête disciplinaire de Mme Danel n’était pas disponible. Au cours de cette période, M. Derksen est demeuré suspendu sans traitement (pièce 5, onglets 52, 53, 58, 59, 62 et 63) en attendant la fin de l’enquête disciplinaire et de l’audience. Au moment de l’audience disciplinaire, M. Thompson n’était pas au courant de la vidéo disculpatoire soumise par M. Derksen, vidéo que Mme Contini a refusé de prendre en compte.

[95]  Comme M. Legere, M. Derksen a été licencié par M. Thompson rétroactivement à la date initiale de la suspension sans traitement.

[96]  M. Thompson avait des réserves au sujet des rapports déposés par M. Derksen et de leur similitude avec les autres rapports liés aux mêmes incidents déposés par ses collègues de travail. Au départ, M. Derksen n’avait pas déposé de rapports et il manquait des renseignements dans ceux qu’il a finalement déposés. M. Derksen a fourni de faux renseignements aux enquêteurs, a nié les incidents en question, s’est montré évasif et, généralement, n’a pas expliqué ses gestes. Le 12 août 2012, il savait ce qui allait se produire, car il se trouvait à une distance significative derrière le détenu N et a vu nettement du liquide sortir de la douche. Le 21 juillet 2012, alors que le détenu Z se trouvait en position couchée, il a appliqué des techniques de distraction inappropriées. Il a dit aux enquêteurs que les coups de genou étaient appropriés dans les circonstances et que le frottement du visage constituait une technique de pression de l’os mastoïde. M. Thompson n’a rien vu à cet effet lorsqu’il a visionné les vidéos.

[97]  Les vidéos du 20 juillet 2012 montraient M. Derksen alors qu’il donnait des coups de genou superflus et levait son genou du sol pour se donner un élan complet. Le détenu Z était alors menotté. Dans son rapport, M. Derksen a déclaré qu’il a appliqué des techniques de distraction, sans préciser quel genre de technique.

[98]  Rien ne prouvait que M. Derksen ait souffert de trouble de stress post‑traumatique qui aurait nui à sa capacité de prendre des décisions ou de se conformer à des politiques. M. Thompson a étudié toutes les facettes des allégations formulées contre M. Derksen ainsi que les circonstances atténuantes. M. Thompson a déclaré qu’il ne pouvait croire en toute confiance que M. Derksen réagirait différemment dans une situation similaire. Par conséquent, M. Derksen a été licencié.

[99]  John Randle a témoigné au nom des fonctionnaires. Il est le président de la section locale de l’agent négociateur à l’établissement. L’agent négociateur a soulevé certaines préoccupations auprès de l’employeur en ce qui concerne le processus de renouvellement d’accréditation des CX. Il a fait part de ces préoccupations lors de réunions locales et régionales du comité patronal-syndical. La formation de recyclage sur la sécurité personnelle (FRSP) est donnée une fois l’an. Elle est d’une durée de six heures et couvre un module. La formation comporte quatre ou cinq modules offerts en rotation, ce qui fait que, par exemple, les techniques de menottage sont enseignées une fois tous les quatre ou cinq ans. D’après l’agent négociateur, tous les modules devraient être offerts annuellement.

[100]  Il y a des caméras partout dans l’établissement : dans toutes les unités résidentielles, aux divers paliers, dans l’aire commune, dans les voies de passage et corridors communs, dans l’aire des visiteurs; dans la cour, il y a un « œil dans le ciel » placé sur les clôtures, aux entrées, réparti dans toute l’unité d’isolement, etc. M. Randle évalue que le nombre de caméras dans l’établissement dépasse 100.

[101]  Les douches qui se trouvent dans l’unité d’isolement ont environ 3 pieds de largeur et 3,5 pieds de profondeur et comportent une porte à barreaux à l’avant. De l’eau sort des douches régulièrement. Il arrive souvent que le plancher devant les douches soit mouillé. On s’attend à ce que de l’eau sorte des douches lorsque celles-ci sont utilisées.

[102]  Lorsque trois agents accompagnent un détenu à l’unité d’isolement, ils ne posent pas leurs mains sur le détenu, sauf s’ils montent ou descendent les escaliers ou si le détenu est dangereux. Selon M. Randle, il n’y a aucune règle sur le déplacement des détenus au-delà d’une douche occupée, tant qu’un détenu en isolement protecteur et les détenus de la population générale ne sont pas en mesure d’interagir physiquement entre eux. Les unités de douche sont des unités d’isolement.

[103]  M. Randle, qui était affecté à un poste à l’unité d’isolement à l’établissement, connaît le détenu Z, logé en permanence dans l’unité d’isolement parce qu’il n’est accepté dans aucune autre population à l’établissement. Il a de graves problèmes de santé mentale, ce qui signifie qu’il ne devrait pas être logé dans l’établissement. Le détenu Z est connu parmi le personnel correctionnel comme un individu qui fait de fausses allégations et qui dépose des plaintes contre les CX. M. Randle connaît également le détenu N, qui fait aussi de fausses allégations contre les CX. Il a été rapporté au Bureau de renseignements de sécurité de l’établissement que le détenu N tente de faire chanter les CX.

[104]  M. Randle a rencontré MM. Kemball et Huish au sujet du temps qu’il a fallu pour terminer l’enquête. Il a reconnu que le déménagement de M. Legere en Nouvelle-Écosse a fait en sorte qu’il était difficile de le contacter, et l’agent négociateur était frustré du nombre de délais et de prorogations accordés. MM. Kemball et Huish ont dit à M. Randle que ça n’aurait pas d’impact sur les autres agents sous enquête. M. Randle incitait tous les CX impliqués à être francs et à prendre part à l’enquête. M. Huish a dit à M. Randle que la nature complexe de l’enquête est à l’origine du non-respect des échéances. 

[105]  Dans son rôle de représentant de l’agent négociateur, M. Randle était présent lorsque M. Derksen a été suspendu sans traitement. Il a demandé que M. Derksen soit réaffecté à un poste sans contact. MM. Kemball et Huish lui ont dit que M. Derksen n’était pas digne de confiance et qu’il serait donc suspendu. M. Randle a continué à représenter les fonctionnaires pendant l’enquête et les processus disciplinaires.

[106]  Helinant Raymond était l’un des CX qui ont été accusés d’avoir agressé le détenu N le 12 août 2012. Il a témoigné qu’il n’est rien arrivé d’inhabituel avant le début de la routine de la douche. Le détenu N devait faire l’objet d’une escorte triple et a dû attendre que des membres du personnel soient disponibles. Il n’existe pas de norme établie pour une telle escorte autre que la présence requise de trois personnes.

[107]  Le gradin où loge le détenu N est étroit. Les gens qui marchent sur le gradin avancent habituellement en file simple. Lorsque le détenu N est escorté à la douche, environ six pieds séparent chaque agent et le détenu N. Il n’y avait là rien d’inhabituel; d’après M. Raymond, on a toujours procédé de cette façon.

[108]  Le détenu N n’a rien dit ou fait en passant devant la douche. Il n’a pas réagi. De même, l’escorte à son retour à sa cellule s’est déroulée comme d’habitude. Le détenu N n’a rien dit au sujet du balai et M. Raymond n’a rien entendu du détenu G. Le détenu N n’a pas réagi lorsque le manche du balai a été poussé vers lui. Pour autant que M. Raymond se souvienne, M. Legere n’a rien dit au détenu G.

[109]  M. Raymond n’a pas déposé de RODA sur les événements du 12 août 2012. La direction de l’établissement ne lui a jamais demandé de rapport. Il a visionné les vidéos quand Mme Contini et M. Weatherbee l’ont interviewé.

[110]  Christopher Evans a témoigné au sujet de l’addenda que l’on a demandé à M. Derksen d’intégrer au RODA au sujet de l’incident du détenu Z. D’après M. Evans, qui a été témoin de la conversation entre M. Sehra et M. Derksen, M. Sehra a demandé l’addenda, mais a refusé de permettre à M. Derksen de visionner les bandes magnétoscopiques des incidents pour se rafraîchir la mémoire. M. Sehra a mentionné qu’il voulait que l’addenda soit terminé avant la fin de la journée, puis est sorti du bureau. M. Evans, en sa qualité de délégué syndical de M. Derksen, a informé ce dernier de ne pas rédiger l’addenda sans avoir vu la vidéo.

[111]  Shane Lizotte est un formateur du personnel pour l’employeur depuis 15 ans. Il a déclaré que la FRSP est la formation en autodéfense d’une durée de deux semaines tirée du PFB réparti en six modules, dont un est offert chaque année. La formation en autodéfense a pour but de permettre aux gens de se protéger eux-mêmes advenant une agression spontanée. Selon la gravité de l’agression, la réaction pourrait varier des techniques de distraction aux mises au sol. Les agents ne sont pas formés à donner des coups. Le manuel renferme des photographies des divers coups et des explications. Aucune formation n’est donnée sur l’utilisation des clés de bras sur un détenu menotté. La formation est concentrée sur les capacités de base.

[112]  Deux techniques d’accompagnement sont enseignées aux agents pour assurer le déplacement d’un détenu menotté : une pour les détenus qui obtempèrent, et l’autre pour les détenus récalcitrants. Les clés de poignet discrètes sont utilisées pour maîtriser sans douleur  les détenus qui obtempèrent. Une clé de poignée très visible est utilisée lorsqu’un détenu est récalcitrant. Le choix de la technique à employer est fonction de la perception qu’a le CX de la situation. Bon nombre de CX décident de ne pas utiliser de clés de poignet en se fondant sur leur expérience avec un détenu donné. La FRSP traite de la façon dont elles sont appliquées, et non du moment. Le « moment » est choisi selon la perception du CX.

[113]  L’objectif des coups est de contrer efficacement une agression; les agents devraient être formés à cet égard. La règle de base lorsque l’on frappe un agresseur est d’éviter les parties dures du corps pour ne pas se blesser soi-même. Pour maîtriser un agresseur, on enseigne aux CX de ne pas s’appuyer sur la partie supérieure du corps de l’agresseur, afin d’éviter un choc diaphragmatique, qui empêche l’agresseur de respirer. Pour un agent, la façon la plus facile d’éviter d’avoir recours à la force contre un détenu est d’éviter la ligne d’agression centrale du détenu. Ainsi, l’agent peut utiliser son impulsion contre le détenu.

[114]  Juan Verville est CX depuis 14 ans. Il est employé comme gestionnaire correctionnel et était le superviseur de M. Derksen. Il estime que M. Derksen a toujours été très professionnel et n’a aucune réserve sur sa façon de se conformer aux directives. Il n’avait ni préoccupations ni réserves quant au comportement de M. Derksen à l’égard des détenus pendant qu’il travaillait dans l’unité d’isolement.

[115]  M. Verville a témoigné que lorsque les détenus font l’objet d’une escorte triple dans l’unité d’isolement, les agents impliqués ont toute discrétion pour déterminer la distance entre eux et le détenu, selon divers facteurs comme l’humeur du détenu, ses interactions précédentes avec les CX, et son comportement lors des quarts précédents. Les circonstances détermineront la distance raisonnable à conserver avec un détenu lors d’une escorte. Si le détenu est d’humeur ou affiche un comportement pouvant constituer une menace pour les agents, ils possèdent le pouvoir discrétionnaire de s’éloigner du détenu. Un CX peut se placer à plus d’un bras de distance lorsqu’il escorte les détenus à l’unité d’isolement. Si les agents sont trop proches du détenu, celui-ci peut réagir. Il est raisonnable que les agents aient une vision périphérique complète de la tête aux pieds du détenu qui est escorté.

[116]  Lorsqu’un CX descend une allée, il lui arrive fréquemment de s’arrêter pour parler à un détenu dans une cellule. La fonction fondamentale des CX est d’agir avec intégrité, de ne pas abuser des détenus ni d’avoir recours à une force excessive, d’être aux aguets en milieu de travail et de signaler les incidents. Les CX doivent faire rapport des incidents les plus importants à l’unité d’isolement. Tous les incidents ne doivent pas faire l’objet du dépôt d’un RODA.

[117]  Glen Carlson a travaillé à l’unité d’isolement de l’établissement lors des 2,5 dernières années. Dans le cadre d’une escorte triple d’un détenu menotté dans le dos, les CX n’ont pas à maintenir une distance fixe par rapport au détenu. La distance repose plutôt sur des préférences personnelles et sur la sécurité personnelle. Lorsqu’un détenu est escorté à la douche alors qu’un autre détenu se trouve déjà dans la douche, il n’est pas inhabituel de recevoir de l’eau, car celle-ci est éclaboussée à l’extérieur de la partie avant de la douche.

[118]  M. Carlson s’est fait montrer les pièces 16 et 25 (bandes magnétoscopiques des incidents en question) et a été renvoyé à la pièce 5, onglet 73 (Directive du commissaire 567 – Gestion des incidents de sécurité). Il a décrit un incident de recours à la force auquel il a pris part avec son partenaire, Will Dunn. Le détenu s’est attaqué à M. Dunn. Le détenu a été contrôlé physiquement et mis par terre. M. Carlson a donné des coups de genou pour amener le détenu à obtempérer et a placé les mains du détenu derrière son dos afin qu’il puisse être menotté. M. Carlson n’a reçu ni rétroaction ni critiques pour avoir donné des coups de genou; il n’a pas eu non plus à remplir un addenda à son RODA.

[119]  M. Carlson a décrit le détenu Z comme ayant la réputation d’agresser le personnel pour rencontrer un gestionnaire correctionnel ou pour recevoir de l’aérosol capsique afin de pouvoir prendre une douche. Au printemps 2012, c’était un fait connu à l’établissement. Lorsque les agents l’accompagnaient, la distance sécuritaire à maintenir était de deux longueurs de bras sur les côtés afin qu’il puisse être vu de façon périphérique. La forme triangulaire acceptée pour l’escorte triple d’un détenu n’est pas toujours possible si les allées sont étroites ou obstruées.

[120]  Richard Khan a travaillé environ 7 de ses 10 années à l’établissement à l’unité d’isolement. Lorsqu’une escorte triple est effectuée dans l’unité d’isolement, la norme appliquée est la sécurité personnelle. Il n’y a pas de distance normalisée entre les CX et le détenu escorté. Dans certains secteurs, les détenus sont escortés en file simple en raison de l’étroitesse des passages. Il n’est pas inhabituel qu’un détenu reçoive des gouttes d’eau lorsqu’il doit passer à côté d’une douche occupée. Lors d’une escorte triple, la plupart des agents forment un triangle, sauf s’ils doivent franchir des portes ou descendre des escaliers.

[121]  Les fentes servant à passer les plateaux de nourriture demeurent ouvertes les jours de nettoyage prévu des cellules afin que les détenus qui ont nettoyé leurs cellules puissent jeter leurs déchets dans la poubelle qui se trouve à l’extérieur des portes des cellules sous la fente servant à passer les plateaux de nourriture. La routine de la douche et le nettoyage des cellules surviennent le même jour et à la même heure à l’unité d’isolement.

[122]  Les CX présument que tous les détenus en isolement sont agressifs. Si l’un d’eux est confiné dans sa cellule avec une arme, les agents entrent dans la cellule pour en retirer l’arme. Il n’y a pas de pratique établie de retrait d’une arme. L’extraction d’une arme est fonction du rapport de l’agent avec le détenu et du comportement du détenu.

[123]  John McKay a témoigné comme spécialiste du recours à la force dans le maintien de l’ordre, dans les enquêtes sur le recours à la force et dans le recours à la force dans le contexte du Code criminel du Canada (L.R.C. (1985), ch. c-46; le « CC ») pour le compte des fonctionnaires. Après interrogatoire des deux parties et après présentation de son curriculum vitae, j’ai qualifié M. McKay de spécialiste dans ce domaine. 

[124]  Les agents de la paix, dont les CX, sont chargés de traiter avec des personnes dont le comportement peut être dangereux. Les lois régissent le recours à la force par les agents de la paix. Le CC détermine les types de force qui peuvent être utilisés, à savoir la force raisonnable, que l’on établit en étudiant l’interaction entre le comportement du sujet et la réaction des personnes chargées de l’application de la loi au comportement. Le recours à la force est généralement planifié. Par ailleurs, l’autodéfense est généralement une réaction spontanée à une menace. Chacun a le droit de se défendre, y compris les agents de la paix dans l’exercice de leurs fonctions.

[125]  Tous les modèles conçus pour déterminer le niveau de réaction approprié sont circulaires, ce qui reflète le mode de réflexion des gens et indique quel niveau de réaction à la force est approprié. La règle de base est « force + 1 » : utilisez un niveau de force de plus que celle dont le sujet se sert contre vous. L’agent doit justifier le caractère approprié de cette force. Une autre personne dans des circonstances similaires peut avoir une opinion différente. Il faut prendre en compte les variables suivantes pour évaluer le caractère approprié de la force utilisée : le sexe, la culture, la religion et l’expérience personnelle, pour n’en nommer que quelques-unes. Les gens voient les choses d’un œil différent selon leurs expériences de vie et leur formation.

[126]  Le caractère peu évident d’une menace ou d’une résistance sur une vidéo ne signifie pas que l’agent ne s’est pas buté à une menace ou à une résistance. Les vidéos révèlent seulement ce que la caméra a vu. Elles sont bidimensionnelles et n’enregistrent pas ce que voit un agent. Certaines personnes qui visualisent la vidéo d’un incident de recours à la force ne peuvent voir la profondeur et doivent s’en remettre à leur interprétation pour déterminer cette profondeur. C’est pourquoi les déclarations et les entrevues revêtent de l’importance dans l’examen d’un recours à la force. La vidéo ne s’accompagne habituellement pas de la sonorisation des événements. Une vidéo ne peut être contextualisée sans sonorisation.

[127]  Lorsque les forces policières font enquête sur des incidents de recours à la force, elles montrent généralement à l’agent la vidéo avant de lui demander de faire une déclaration, parce qu’en situation de stress, la vision de l’agent rétrécit et son audition change, et la concentration de l’agent porte sur des choses étroites. Avec le temps, la perception évolue, et il se peut que l’agent ne se souvienne pas de ce qui s’est produit. Le fait de demander à un agent de faire une déclaration en situation de stress sans que cet agent ait vu la vidéo connexe peut faire en sorte que l’agent mélange les séquences, oublie des choses, et soit incapable de dire à l’intervieweur ce que faisait son ou sa partenaire à ce moment-là. Il n’est pas utile dans le cadre d’une enquête sur le recours à la force d’obtenir une déclaration d’un agent qui n’a pas vu la vidéo pertinente.

[128]  Il est fondamental d’offrir aux agents une formation à jour pour leur permettre de connaître du succès, notamment en ce qui concerne les incidents de recours à la force. Au-delà de la composante théorique, les techniques physiques qui sont enseignées doivent refléter ce à quoi un agent fera face. La sécurité est une situation dynamique qui exige qu’un agent sache comment utiliser les techniques de pression de toutes les positions possibles. La formation doit traiter de la fonctionnalité de l’emploi. C’est la clé de la réaction et de la justification appropriées. La rétroaction à la suite d’un incident de recours à la force est cruciale. Si aucune critique n’est formulée en ce qui concerne la nature de la force utilisée dans un incident, le recours à cette force est renforcé, peu importe qu’elle était ou non appropriée ou autorisée. Dans le cas d’une agression spontanée, une formation appropriée permet d’éliminer les retards. Les agents offrent un rendement adapté à leur formation plutôt que de prendre du retard et d’avoir à penser à une réponse. Le fait d’avoir à décider quelles techniques conviennent et d’établir leur degré de difficulté d’application retarde l’intervention. L’expérience dans l’application des techniques est importante parce qu’elle permet à l’agent de mieux exercer son jugement dans des situations de recours spontané à la force.

[129]  Pour évaluer le caractère approprié de la force utilisée par un agent lors d’un incident, on ne peut évaluer le sujet uniquement d’après sa taille et son sexe. L’adrénaline joue un rôle majeur pour rendre un sujet insensible à la douleur. La flexibilité d’un sujet ne peut être évaluée uniquement par le regard, ce qui rend les prises comme les clés de poignet inefficaces. La flexibilité fait également en sorte que les techniques de contrainte par la douleur sont plus difficiles à appliquer et exige que l’agent abandonne la technique et applique une solution de rechange. Certaines techniques de maîtrise par points de compression sont inefficaces sur certaines personnes. Si l’agent sait que le sujet a des antécédents de violence, l’agent peut se placer différemment pour éviter le contact. Cependant, l’objectif demeure le même.

[130]  L’objectif d’amener un sujet au sol est de restreindre sa capacité de se battre. Toutefois, cela ne signifie pas que le sujet ne peut résister. Si l’agent n’a pas appris de méthodes de mise au sol, notamment lorsque le sujet est menotté à l’arrière, il peut en résulter des blessures graves pour le sujet. La clé de la mise au sol d’un sujet est de maîtriser la tête. L’agent maîtrisera la tête pour empêcher qu’elle soit cognée sur le sol. On maîtrise la tête par des techniques de maîtrise par points de compression, comme une technique de pression de l’os mastoïde. L’application d’une technique de pression de l’os mastoïde varie selon l’angle de la tête. Le sujet peut tenter de résister à l’application de la technique de pression de l’os mastoïde en tournant sa tête pour se soustraire à la douleur. La durée de l’application d’une technique de pression de l’os mastoïde varie. Elle doit être appliquée jusqu’à ce que la personne soit épuisée ou obtempère. Les agents de police sont formés pour s’attendre à un échec lorsqu’ils appliquent une technique de pression de l’os mastoïde.

[131]  Il est difficile de déployer des techniques de distraction efficaces dans des espaces restreints ou limités par des barrières. La fatigue de l’agent a un impact sur son acuité mentale, ce qui peut nuire à sa prise de décisions. Le recours à des masques anti-crachats n’empêche pas les agents d’être mordus à travers le tissu du masque. Les masques anti-crachats, s’ils sont bien appliqués, empêchent le sujet de cracher sur l’agent. S’ils sont mal appliqués, les masques anti-crachats peuvent se tordre.

[132]  Tim Sterkenburg a assisté au cours de recyclage sur les capacités physiques de la FRSP à l’établissement en 2011 et 2012. Auparavant, jusqu’au cours de 2010, il enseignait la FRSP. Il a dit que c’était un bon programme à ses débuts en 2008. Le cours durait deux jours, pendant lesquels environ le tiers du PFB était vu. Lorsqu’il l’a suivi en 2011 et 2012, il a été déçu de la détérioration constatée. Il a constaté un changement draconien au niveau du programme et des professeurs. Le même matériel est maintenant enseigné encore et encore chaque année, ce qui signifie que les deux tiers du PFB ne sont pas couverts. Ni le menottage ni les pratiques de mise au sol ne sont enseignés.

[133]  M. Legere a témoigné qu’il avait travaillé comme CX pendant environ 15 mois lorsque les incidents des 11 et 12 août 2012 sont survenus. Il avait été affecté à l’unité d’isolement depuis trois mois au moment des incidents. Il n’avait reçu aucune formation le préparant à travailler à l’unité d’isolement.

[134]  Le 11 août 2012, la matinée a débuté comme toutes les autres matinées. M. Legere était du côté K du secteur de service avec M. Ferguson pour attendre le prochain mouvement de détenus. Deux agents ont emmené le détenu B dans le secteur de service. M. Ferguson l’a arrêté parce qu’il voulait lui parler. M. Ferguson a dit au détenu B de changer d’attitude et de cesser d’être un tel connard. À ce moment-là, M. Legere se trouvait à entre quatre et cinq pieds des deux interlocuteurs. Le détenu B a dit à M. Ferguson [traduction] « Va te faire foutre le vieux. Enlève-moi ces menottes et partons maintenant. » M. Ferguson a alors demandé à M. Legere s’il devait enlever les menottes comme le demandait le détenu B, ce à quoi M. Legere a répondu [traduction] « Peu importe. » M. Legere a témoigné qu’il était sidéré que M. Ferguson lui demande son avis alors que d’autres agents ayant davantage d’expérience (M. Bains, M. Pierangeli et M. Paul) étaient présents.

[135]  Comme M. Ferguson enlevait la deuxième menotte du détenu B, celui-ci a attaqué M. Legere. Le détenu B a baissé la tête et a balancé un coup de poing à M. Legere, que celui-ci a évité. Le détenu B a reculé et a attaqué M. Legere à nouveau. Cette fois, M. Legere s’est élancé et a frappé le détenu B à main ouverte, ce qui l’a envoyé au sol. Il lui a frappé le visage au sol. M. Legere sait qu’il a frappé le détenu B à main ouverte parce qu’il est incapable de donner un coup de poing de cette main en raison d’une blessure antérieure. M. Legere n’a pas donné de coup de pied au détenu B après que celui-ci se soit retrouvé au sol. Une fois le détenu maîtrisé, M. Legere est allé prendre une marche pour s’éclaircir les idées, puis il s’est rendu dans le bureau de l’aile J pour se calmer de cet événement stressant.

[136]  Tout au long des événements, M. Legere croyait qu’une fois les menottes enlevées, le détenu B s’en prendrait à M. Ferguson, le cas échéant. M. Legere a reconnu qu’il n’a pas été judicieux de ne pas empêcher M. Ferguson d’enlever les menottes au détenu. Toutefois, M. Legere ne croyait pas qu’il était correct de remettre en question la décision d’un CX chevronné devant un détenu. Ce fut une erreur de jugement, qu’il ne referait pas s’il en avait la possibilité. Il s’est écoulé une fraction de seconde entre le moment où M. Ferguson a posé la question et celui où il a enlevé les menottes du détenu B. M. Legere a reconnu qu’il n’a pas rempli le RODA requis, car M. Ferguson lui a ordonné de ne pas le faire. M. Ferguson a dit à M. Legere [traduction] « Tu ne feras pas de rapport là-dessus. »

[137]  M. Legere a travaillé en isolement lors du quart du matin du 12 août 2012. Le programme des activités du jour (pièce 64) comprenait la routine de la douche et le nettoyage des cellules. Au début de la journée, cinq agents étaient en service; l’un d’entre eux ayant été retiré, il restait deux agents à l’étage supérieur et deux agents à l’étage inférieur pour exécuter la routine de la douche. C’est généralement suffisant, sauf en cas d’escorte triple d’un détenu. 

[138]  Lorsqu’ils exécutent la routine de la douche, les agents débutent habituellement à l’extrémité la plus éloignée de l’allée et se dirigent vers le poste de contrôle. Outre le fait que le détenu N bénéficiait d’une escorte triple, il aurait été le premier à se rendre à la douche. Comme les agents ont dû attendre qu’un autre agent se joigne à eux, le détenu N a été le dernier de son allée à être emmené à la douche. Lorsqu’est venu le temps d’escorter le détenu N à la douche, le détenu G s’y trouvait, ce qui fait que les agents ont dû croiser le détenu N devant la douche occupée par le détenu G. L’escorte a été menée normalement. Il n’est rien survenu d’inhabituel. M. Legere n’a pas vu de liquide sortir de la douche occupée par le détenu G; il n’a pas non plus senti d’odeur d’urine ou d’excréments. Il a vu le liquide lorsqu’il a eu l’occasion de visionner les bandes magnétoscopiques. M. Legere était le deuxième en ligne derrière M. Derksen et ne pouvait voir autour de lui.

[139]  M. Legere a visionné la vidéo de l’escorte en décembre 2012 ou en janvier 2013. Il peut s’arrêter pour parler à un détenu en se dirigeant vers la cellule du détenu N. Il est normal qu’un agent s’arrête pour parler à un détenu lorsqu’il passe devant une cellule. Il peut le faire pour plusieurs raisons. La sécurité active exige de répondre aux questions, de répondre aux demandes et de s’arrêter pour regarder dans les cellules.

[140]  Le nettoyage des cellules dans l’unité d’isolement est effectué les fins de semaine. La pratique consiste à laisser la fente servant à passer les plateaux de nourriture ouverte pour que le détenu puisse jeter ses déchets dans la poubelle à l’extérieur de la cellule. Le 12 août 2012, au retour du détenu N à sa cellule après sa douche, M. Legere était le deuxième agent de la ligne. Il a vu environ de six à huit pouces du manche à balai à l’extérieur de la fente servant à passer les plateaux de nourriture du détenu G, mais ne l’a pas vu sortir de la fente. M. Legere ignorait que le manche avait été passé par la fente pour agresser le détenu N. Le détenu G aurait pu le sortir de la cellule parce que son nettoyage était terminé. Quand le groupe a passé devant la cellule du détenu G, M. Legere ne pouvait voir autour de M. Ferguson, qui marchait devant lui. Le détenu N n’a rien dit lorsqu’il est passé devant la cellule du détenu G.

[141]  Une fois que le détenu N a été mis dans sa cellule, M. Ferguson a demandé à M. Legere s’il avait vu le manche à balai sortir de la fente servant à passer les plateaux de nourriture. Après avoir entendu parler de la tentative d’agression, M. Legere est allé voir le détenu G à la demande de M. Ferguson, a pris le balai et a dit au détenu G : [traduction] « Cesse de faire chier sinon tu seras accusé. » M. Legere ne s’est pas senti menacé en approchant de la cellule du détenu G. Il n’était pas le premier agent à s’approcher de la cellule après l’incident.

[142]  M. Legere n’a pas déposé de RODA au sujet des événements. Il croyait qu’il suffirait de parler au détenu G. Il a oublié de rédiger la mise en garde dans le registre prévu à cet effet.

[143]  M. Legere a nié avoir monté le détenu G contre le détenu N afin qu’il l’agresse. Avant les incidents, il n’avait eu d’altercations avec aucun des deux détenus.

[144]  Après les incidents ayant impliqué les détenus N et B, M. Legere a pris des congés annuels jusqu’au 2 septembre 2012, puis un congé de maladie. Pendant qu’il était en congé de maladie, il n’a pu prendre part à l’enquête disciplinaire en raison de problèmes médicaux (voir le certificat médical, pièce 66). Son congé de maladie a fait l’objet d’une demande d’indemnisation des accidents du travail. M. Legere est retourné en Nouvelle-Écosse pour se trouver avec sa famille au début d’octobre 2012. Il n’a jamais rencontré les autres CX pour déterminer s’il convenait de déposer un RODA sur les événements des 11 ou 12 août 2012. Il ignorait que les autres n’avaient pas déposé de RODA sur les incidents de ces journées-là. Il n’a pas rencontré les autres agents au bureau J pour discuter de signaler l’incident du détenu B. Il a parlé à M. Ferguson, qui lui a dit de ne pas faire rapport de l’incident. M. Legere a nié qu’il se vantait de la force avec laquelle il avait frappé le détenu B.

[145]  M. Derksen a travaillé à l’établissement pendant trois ans et demi avant sa suspension en cours d’enquête, dont les deux dernières à l’unité d’isolement. Il travaillait la fin de semaine des 11 et 12 août 2012.

[146]  Les cellules sont nettoyées les fins de semaine. On demande au détenu s’il veut des articles de nettoyage, qui lui sont alors remis. La fente servant à passer les plateaux de nourriture de la cellule du détenu est laissée ouverte pour donner accès à la poubelle à l’extérieur de la cellule. Une fois le nettoyage terminé, les articles sont récupérés, et la fente servant à passer les plateaux de nourriture est fermée. Pendant qu’une fente servant à passer les plateaux de nourriture est ouverte aux fins du nettoyage, il n’y a aucune restriction quant au déplacement d’un détenu en isolement protecteur comme le détenu N au-delà de la cellule dont la fente servant à passer les plateaux de nourriture est ouverte. Celle-ci demeure également ouverte pendant qu’un détenu utilise le téléphone, qui est apporté sur chariot à roulettes devant la porte de la cellule au besoin. Lorsque le téléphone est inutilisé, il demeure dans l’allée.

[147]  M. Derksen a formulé certaines réserves sur la qualité de la FRSP. Il a déclaré qu’il faut faire davantage pour représenter une situation réelle. Toute la formation qu’il a suivi comportait des exercices dans une situation type. On ne lui a jamais enseigné de mettre un détenu récalcitrant au sol quand le détenu était menotté.

[148]  Lors de la matinée du 20 juillet 2102, M. Derksen et ses collègues agents tentaient d’emmener le détenu Z à la douche anti contaminants biologiques, qui comporte une enceinte vitrifiée. Le détenu Z a des antécédents de défécation dans la douche et était par conséquent visé par un protocole sur les contaminants biologiques. Le détenu Z était récalcitrant dès le début. Il a ignoré M. Derksen et a refusé de suivre les ordres et d’entrer dans la douche. À un moment donné, le détenu Z a semblé prêt à collaborer, mais il s’est soudainement tourné et s’est précipité vers M. Derksen, les mains dans les airs. M. Derksen a dû s’écarter pour ne pas se faire frapper. Il a appliqué sa main gauche à la poitrine du détenu Z, l’a repoussé et a attrapé ses menottes en tentant de le mettre au sol. Au même moment, M. Derksen a donné des coups de genou au détenu pour le maintenir au sol. M. Derksen ne voulait pas se faire frapper au visage avec les menottes. Le détenu Z a des antécédents de passage à l’acte, d’attaques de gardiens et d’implication dans des incidents dans lesquels le recours à la force est nécessaire.

[149]  M. Derksen a soutenu qu’il n’avait pas le temps de réfléchir à ce qui se passait. Il a tout simplement réagi. Il n’avait pas l’option de se retirer, parce qu’il croyait que le détenu Z continuerait de le poursuivre dans l’allée. M. Derksen a donné un coup de genou chaque fois que le détenu Z a tenté de se lever. Il a cessé d’avoir recours à des coups de genou quand le détenu Z a cessé de résister. Ce n’est qu’après que M. Legere lui a vaporisé de l’aérosol capsique que le détenu Z a cessé de résister. Pendant que M. Derksen donnait des coups de genou au détenu Z, il tentait de maîtriser ses mains d’une main tout en appliquant l’autre sur le cou du détenu.

[150]  M. Derksen a donné des coups de genou dans des incidents de recours à la force qui sont survenus avant l’incident du 20 juillet 2012. En mai 2012, il a mentionné dans un RODA qu’il avait utilisé les coups de genou comme technique de distraction (pièce 15). On ne lui a pas demandé de déposer un addenda pour décrire la technique utilisée. La décision concernant l’examen du recours à la force qui a été prise pour cet incident ne renfermait pas de critiques des gestes de M. Derksen. Compte tenu de ce qui précède, M. Derksen a conclu qu’il était approprié de donner des coups de genou au détenu Z.

[151]  Le 21 juillet 2012, le détenu Z a été amené à l’intérieur à partir de la cour J. M. Paul lui a passé les menottes. M. Derksen s’est placé à environ six à huit pieds du détenu Z alors qu’il franchissait la porte. Le détenu Z et M. Paul se sont retrouvés au sol. M. Derksen a rapidement prêté assistance à M. Paul en maîtrisant le détenu au sol. Lorsqu’il était au sol, le détenu était récalcitrant, alors M. Derksen lui a donné de légers coups de genou afin que le détenu se tourne la tête de l’autre côté. M. Derksen qui se trouvait coincé contre le mur, s’est placé du même côté que M. Paul. M. Derksen maîtrisait la tête du détenu. Le masque anti-crachats ayant été appliqué s’était desserré. M. Derksen a appliqué la technique de pression de l’os mastoïde pour amener le détenu à tourner sa tête de l’autre côté et ainsi l’empêcher de lui cracher dessus. Chaque fois qu’il relâchait la pression, le détenu ramenait sa tête du côté de M. Derksen. D’autres coups de genou ont été donnés pour amener le détenu à se tourner du côté opposé à celui de M. Derksen. Les coups de genou étaient légers; son genou ne quittait pas le sol, et il n’y avait pas de secousse. La technique de pression de l’os mastoïde était utilisée de façon intermittente et n’a pas été appliquée pendant 66 secondes, comme des témoins de l’employeur l’ont déclaré.

[152]  Le diagramme utilisé par Mme Contini dans l’enquête sur l’incident du 11 août 2012 impliquant le détenu B révélait que M. Derksen était debout dans l’entrée entre le secteur de service J et le secteur de service K (pièce 40). D’après M. Derksen, ce diagramme est inexact, car il se trouvait dans le haut des escaliers menant au secteur de service J. On pourrait présumer que le diagramme est correct seulement si l’on se fie à la vidéo du secteur de service K réalisée à partir du poste de contrôle J. La vidéo faite du côté J montre M. Derksen qui descend les marches et entre dans le secteur de service (pièce 50). La pièce 50 montre M. Derksen qui entre dans le secteur de service K. Il cherchait dans les cours quand le détenu B a été emmené à l’intérieur. Lorsqu’il est entré dans le secteur de service K, M. Ferguson a fait obstruction à M. Derksen. Celui-ci a écarté M. Ferguson et s’est rendu où le détenu se trouvait. Lorsqu’il est finalement arrivé sur les lieux de la bagarre, le détenu B était déjà retenu au sol. M. Derksen a aidé à mettre les menottes au détenu. À l’audience disciplinaire, M. Derksen a demandé de visionner la vidéo du secteur de service J. Les enquêteurs ont rejeté sa demande.

[153]  M. Derksen n’a pas signalé l’incident ni n’a déposé de RODA. Il a témoigné qu’il aurait dû le faire. Alors que le groupe se trouvait dans le bureau J, il a entendu quelqu’un demander si l’incident devait faire l’objet d’un rapport, ce à quoi M. Ferguson a répondu [traduction] « non ». L’absence de rapport de l’incident ne découlait pas d’une crainte d’être qualifié de « rat ». D’autres avaient rencontré les enquêteurs, et ils n’avaient pas été rejetés. M. Derksen a rencontré MM. Ferguson, Bains, Paul et Pierangeli dans un stationnement local pour discuter de ce qu’ils devraient faire quand l’incident a été connu dans l’établissement. Ils avaient entendu des rumeurs qui circulaient dans l’établissement et voulaient vérifier entre eux. Le groupe a déterminé que lorsqu’il se ferait poser des questions au sujet de l’événement, il dirait la vérité. Il y a eu une autre rencontre avec un représentant de l’agent négociateur à la résidence de M. Ferguson. Ils ont alors décidé de dire la vérité lors de leur entrée. À ce moment, M. Derksen avait déjà été suspendu sans traitement en attendant l’issue d’une enquête. C’est M. Ferguson qui a organisé les réunions.

[154]  M. Derksen n’a aucunement facilité une agression sur le détenu B. Il n’a pas déposé de RODA parce qu’il n’y avait pas eu de rapport de recours à la force. M. Derksen n’a pas demandé de soins médicaux pour le détenu B parce qu’il pensait que quelqu’un d’autre s’en occupait. Il n’a pas assuré de suivi pour s’assurer que cela avait été fait.

[155]  Le 12 août 2012, M. Derksen s’est fait demander de participer à une escorte triple pour le détenu N. Il était le plus proche du détenu. Lorsqu’il procède à une telle escorte, M. Derksen se donne plus de distance et de temps pour pouvoir voir le détenu et réagir au besoin. Ce jour-là, les fentes servant à passer les plateaux de nourriture étaient ouvertes, le téléphone était dans l’allée et la poubelle était dans le chemin. Cette escorte ne différait pas des autres. Il était connu que le détenu N agressait les CX, ce qui fait que M. Derksen connaissait l’existence du risque d’un coup de pied arrière ou d’un coup de tête. Quand le détenu N est passé devant la douche, M. Derksen n’a rien vu, mais a entendu quelque chose. Alors que le détenu N poursuivait son chemin, M. Derksen a vérifié s’il y avait une menace et a continué. Il a remarqué des gouttes d’eau sur le détenu N, qui n’a rien dit à leur sujet. Le détenu N se serait plaint si quelque chose de fâcheux s’était produit. Sa réputation de plaignard était bien connue. Il n’y avait pas d’odeur d’urine ou d’excréments. M. Derksen n’a jamais pensé que l’eau projetée pourrait constituer une agression.

[156]  Lorsqu’il a rédigé le RODA (pièce 4, onglet 13), M. Derksen se trouvait dans une pièce qu’il ne pouvait quitter tant qu’il n’aurait pas terminé et dans laquelle il ne pouvait rien vérifier. Il avait davantage de souvenirs en septembre 2012, mais à cette date, il était déjà suspendu. Personne ne lui a parlé de l’incident du manche à balai le jour où il est survenu.

[157]  Une partie de l’obligation fondamentale d’un CX consiste à agir avec intégrité, à rapporter de l’information, des agressions et des recours à la force, à ne pas utiliser une force excessive, à s’abstenir d’infliger des mauvais traitements aux détenus, et à signaler les autres agents qui sont coupables d’inconduite au sein d’un établissement.

[158]  Le 22 novembre 2013, en compagnie de représentants de l’employeur, de représentants de l’agent négociateur et de M. Derksen, j’ai visité l’unité d’isolement à l’établissement. Bien que les corridors dans les autres parties de cet établissement soient suffisamment larges pour que plusieurs personnes puissent marcher de front, les couloirs des allées de l’unité d’isolement ne le sont pas. L’allée où le détenu N était logé est très étroite et encombrée d’un très gros téléphone payant et de poubelles. La douche où se trouvait le détenu G le 12 août 2012, lorsque l’incident du liquide est survenu, comporte des barreaux permettant facilement les éclaboussements d’eau, comme le plancher devant la douche le montrait manifestement pendant la visite du site.

[159]  Pendant que j’étais dans l’unité d’isolement, j’ai été témoin de l’escorte d’un détenu de sa cellule au bureau du gestionnaire correctionnel. Pendant l’escorte, les CX qui s’en occupaient étaient à plus d’un bras de distance du détenu menotté. À ce moment-là, le détenu était menotté derrière le dos. Lorsque j’ai vu l’unité d’isolement, j’ai également constaté que des agents s’arrêtaient pour s’adresser à des détenus dans leurs cellules. De fait, c’est ce qu’a fait l’un des représentants de l’employeur au moins deux fois pendant la visite. J’ai également remarqué le nombre de caméras situées dans toute l’unité d’isolement, qui pouvaient donner divers points de vue d’un incident.

[160]  À ma demande, les divers éléments de l’unité d’isolement ont été mesurés. Les fentes servant à passer les plateaux de nourriture dans la porte de la cellule mesurent 15,5 pouces de largeur sur 5,5 pouces de hauteur. Le secteur de service mesure 147,5 pouces de largeur sur 158,5 pouces de longueur, et la largeur du corridor d’isolement où était logé le détenu N était de 71 pouces.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[161]  Il faut statuer sur les quatre questions suivantes dans la présente affaire :

1. Quelle est la portée de la compétence d’un arbitre de grief en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »)?

2. Les griefs en matière de suspension sont-ils théoriques? Dans la négative, les suspensions constituent-elles une mesure disciplinaire au sens de l’alinéa 209(1)b)?

3. Les fonctionnaires se sont-ils rendus coupables d’inconduite?

4. Dans l’affirmative, le licenciement était-il manifestement déraisonnable ou erroné dans les circonstances?

 

[162]  L’article 208 de la Loi permet aux employés de présenter un grief sur tout un éventail de questions; toutefois, l’article 209 limite ce qui peut être renvoyé à l’arbitrage (Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868, aux paragraphes 5 et 20). Le paragraphe 209(1) prévoit que seuls les griefs présentés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Quand un fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin du processus de grief, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas présenté un grief au sujet de cette nouvelle question « […] jusqu’au dernier palier de la procédure […] », comme l’exige l’article 209 (voir Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)). L’article 209 limite en outre la nature des griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage. La compétence de l’arbitre de grief se limite à déterminer si une convention collective a été violée ou si la mesure disciplinaire était justifiée (voir Boudreau et Canada c. Barrett, [1984] A.C.F. no 249 (C.A.) (QL)).

[163]  Un arbitre de grief n’a pas la compétence pour étudier un argument sur le pouvoir de l’employeur de fixer la date d’effet d’un licenciement rétroactivement ou d’imposer une suspension administrative à un employé sans traitement en attendant l’issue d’une enquête disciplinaire, car ces questions ne relèvent pas de la compétence de l’arbitre de grief de statuer sur des violations d’une convention collective ou sur une mesure disciplinaire en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi (voir Burchill, Boudreau, Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192, aux paragr. 25 à 30, et Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70, aux paragr. 141 à 143). Subsidiairement, même si l’arbitre de grief a la compétence pour déterminer si l’employeur a le pouvoir d’imposer une suspension administrative à un employé sans traitement en attendant l’issue d’une enquête et le pouvoir de fixer une date de licenciement rétroactive, l’employeur possède ce pouvoir en vertu des alinéas 11.1(1)j) et 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP) (voir Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236, aux paragr. 42 à 45 (demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée dans [2005] S.C.C.A. no 401 (QL)), P.S.A.C. v. Canada (Canadian Grain Commission) (1986), 5 F.T.R. 51, et 12 et 15, et Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686, au paragr. 33).

[164]  L’employeur possède également le pouvoir vaste et non restreint d’exercer toute autorité en vertu de l’article 6 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC) :

6. (1) Le gouverneur en conseil nomme le commissaire; celui-ci a, sous la direction du ministre, toute autorité sur le Service et tout ce qui s’y rattache.

[…]

 

[165]  En outre, l’employeur a le pouvoir de fixer les dates de licenciement et de suspendre des employés sans traitement en attendant l’issue des enquêtes en vertu des articles 6 et 17 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, dont la date d’expiration est le 31 mai 2010 (convention collective). En common law, un certain nombre de décisions ont reconnu l’existence de ce pouvoir : Rebuts solides canadiens inc. c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301, 2006 LNSARTQ 48, paragr. 103 à 107, Sanimax EEI Inc. c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-CANADA), [2012] D.A.T.C. no 198 (QL), paragr. 75 à 77, et Board of Education for the City of York v. C.U.P.E., Local 994, [1994] O.L.A.A. no 1313 (QL).

[166]  L’arbitre de grief n’a pas non plus la compétence pour se pencher sur les vices de procédure en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, sauf si la convention collective pertinente lui confère expressément ce droit. Les questions liées aux vices de procédure ne peuvent faire l’objet d’un arbitrage de grief (voir Boudreau, aux paragr. 2, 20 et 25, et Barrette, aux paragr. 5 et 6). Il est bien établi en droit que les audiences devant un arbitre de grief sont des audiences de novo et que les préjudices ou inéquités qu’un vice de procédure a pu causer sont corrigés par l’arbitrage du grief (voir Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragr. 118, Pajic, au paragr. 149, et Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL), 2).

[167]  C’est un principe de droit bien connu qu’un grief qui conteste une suspension sans traitement d’une durée indéfinie est théorique lorsqu’il est établi que la cessation d’emploi subséquente du fonctionnaire est rétroactive à la date de la suspension sans traitement quand l’arbitre de grief détermine qu’une inconduite justifiait le licenciement (voir Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, au paragr. 154, Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107, aux paragr. 272 à 274, et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au paragr. 29).

[168]  L’employeur devait s’acquitter du fardeau initial de prouver que les suspensions étaient de nature administrative. Pour contrer cette preuve, il incombait aux fonctionnaires d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur a effectivement imposé une mesure disciplinaire dans les lettres de suspension et que la nature de la mesure disciplinaire en faisait une question qui pourrait être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi (voir Sharaf c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2010 CRTFP 34, aux paragr. 75 et 76). Dans l’évaluation des suspensions, il est généralement accepté qu’une suspension sans traitement en attendant l’issue d’une enquête n’est pas présumée constituer a priori une mesure disciplinaire (voir Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, au paragr. 135). Le fait de qualifier les suspensions d’administratives ou de disciplinaires est largement fonction de l’intention de l’employeur lorsqu’il a suspendu les fonctionnaires (voir Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, au paragr. 22, Braun, aux paragr. 135 à 137, King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45, au paragr. 62, et Cassin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 37, au paragr. 53). Il ne s’agit pas de savoir si la mesure prise par un employeur était mal fondée ou mal exécutée, mais plutôt si elle constituait une forme de mesure disciplinaire comportant une suspension. De même, les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire (voir Frazee, aux paragr. 2 et 21, et Braun, au paragr. 140).

[169]  Rien n’établit que l’employeur entendait prendre une mesure disciplinaire dans cette affaire. La décision de suspendre les fonctionnaires était provisoire, en attendant l’issue des trois enquêtes disciplinaires. Il faut donner crédit au contenu des lettres de suspension, qui n’utilisent pas le terme « mesure disciplinaire » (voir la pièce 4, onglets 20, 25, 27, 31, 36, 37, 41, 44 et 46 à 48). Les lettres renvoient à la section pertinente de l’Entente globale entre l’employeur et l’agent négociateur (l’« entente globale ») et énoncent clairement la possibilité d’[traduction] « […] un risque grave ou immédiat pour le personnel, les détenus, le public, ou la réputation de Service correctionnel du Canada ». Les témoignages de MM. Kemball, Huish et Thompson ont établi clairement que l’employeur n’avait aucune intention disciplinaire et qu’ils n’étaient pas arrivés à une conclusion quant à la position à adopter par l’employeur envers les fonctionnaires avant d’avoir recueilli et évalué tous les faits se rapportant à l’incident et enquêté sur ceux-ci. L’agent négociateur n’a pas contredit leurs témoignages.

[170]  Les décisions au sujet de la soi-disant inconduite ont été prises dans une période raisonnable compte tenu de la complexité des questions, du nombre de témoins devant être interrogés, de l’indisponibilité de M. Legere, de la tenue de trois enquêtes distinctes et de la maladie de Mme Danel, qui faisait partie du groupe des enquêteurs.

[171]  La crédibilité des témoins doit être évaluée, en particulier à la lumière du « code d’honneur » qui existe dans un milieu correctionnel (voir Mackie c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 3, au paragr. 79). L’arbitre de grief devrait évaluer la compatibilité des témoignages avec la prépondérance des probabilités que reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable une personne pratique et informée dans les circonstances. Le décisionnaire ne doit pas considérer le témoignage des fonctionnaires isolément. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de fiabilité touchant au cœur du litige. Il est toujours utile de posséder des preuves corroborantes et ces preuves renforcent le témoignage de la partie qui s’appuie sur celles-ci (voir Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, au paragr. 11, et F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, aux paragr. 58 et 80).

[172]  La preuve établissait clairement que le 20 juillet 2012, M. Derksen a eu recours à une force excessive à l’endroit du détenu Z, puis a tenté de dissimuler ce fait en omettant des détails clés dans son RODA. Tous les agents travaillant à l’unité d’isolement, dont M. Derksen, savaient que le détenu Z avait provoqué les agents pour pouvoir prendre une douche ou rencontrer un gestionnaire correctionnel. Tous les agents savaient que le détenu Z avait des problèmes de santé mentale. Une fois qu’il avait été mis au sol, il n’était plus menaçant; il se trouvait face contre terre et menotté au sol. Néanmoins, M. Derksen a donné trois coups de genou sur le torse du détenu Z. M. Derksen ne s’est jamais fait enseigner de donner des coups de genou comme technique de distraction. M. Derksen ne mentionne dans aucun de ses RODA qu’il a donné des coups de genou au détenu Z (voir la pièce 4, onglets 3, 4 et 9). Le 21 juillet 2012, M. Derksen a usé à répétition de force excessive contre le détenu Z. Encore une fois, M. Derksen a tenté de le cacher en omettant des renseignements clés dans son RODA.

[173]  Le 11 août 2012, une série d’événements ont amené M. Legere à frapper le détenu B. M. Derksen n’a pas contesté qu’il a dissimulé intentionnellement cette agression en ne faisant pas de rapport sur l’incident et en rencontrant ultérieurement les agents dans un stationnement, puis à la résidence de M. Ferguson, pour veiller à ce que l’information ne soit pas divulguée à l’employeur. Il a également reconnu avoir omis divers éléments d’information cruciaux dans son RODA sur l’incident. Il existe des preuves crédibles et contraignantes qui établissent que le 12 août 2012, M. Derksen a facilité une agression contre le détenu N par le détenu G, puis a tenté de dissimuler cette agression en omettant d’en faire rapport. M. Derksen a également continué à fournir de faux renseignements lorsqu’il a été interviewé par les enquêteurs.

[174]  Selon la preuve non contestée, le 11 août 2012, M. Legere a exercé ses fonctions de manière insouciante, ce qui a fait en sorte qu’il a dû frapper violemment le détenu B au visage, le blessant gravement. M. Legere n’a pas contesté qu’il a sciemment tenté de camoufler cette agression, ni qu’il a contribué à une violation grave de la sécurité. M. Legere a nié avoir agressé le détenu B.

[175]  Une fois que M. Ferguson a enlevé les menottes au détenu B, celui-ci a foncé sur M. Legere, qui a traîtreusement frappé le détenu B à la tête de son poing. Le détenu B a été frappé d’incapacité par ce coup, ce qui a permis à M. Legere de placer tout simplement sa main sur lui par la suite. Le détenu B affichait une contusion sous l’œil et une grave coupure à l’arcade sourcilière. Les autres agents qui se trouvaient dans le secteur à ce moment-là n’ont pas réagi immédiatement aux gestes du détenu B. De fait, la vidéo montre les agents en question alors qu’ils se dirigent nonchalamment vers le détenu B pour le maîtriser environ quatre secondes après le retrait des menottes. Aucun des agents impliqués ce jour-là n’a demandé des soins de santé pour le détenu B. Les agents, dont M. Legere, n’ont pas non plus signalé le recours à la force. Dans son rapport de l’incident (voir la pièce 4, onglet 21), M. Legere a omis divers éléments d’information cruciaux; il n’a pas indiqué qu’il a frappé le détenu B à la tête, qu’il a répondu affirmativement à la question de M. Ferguson sur le retrait des menottes du détenu B, qu’il avait placé ses mains sur le détenu B avant l’arrivée des autres agents et que le détenu B était gravement blessé. M. Legere a faussement décrit le détenu B comme ayant été calme pendant l’incident.

[176]  Il existe des preuves crédibles et contraignantes établissant que le 12 août 2012, M. Legere a facilité deux agressions distinctes sur le détenu N par le détenu G et qu’il a tenté de les dissimuler en ne rapportant pas les incidents. M. Legere a continué à se montrer malhonnête pendant le processus d’enquête alors qu’il a nié les événements jusqu’à ce qu’il soit confronté à des preuves à l’effet contraire.

[177]  Dans l’évaluation du quantum de la mesure disciplinaire, un arbitre de grief devrait s’abstenir de modifier une mesure disciplinaire simplement parce qu’il estime qu’une sanction légèrement moins sévère aurait pu être suffisante. La détermination d’une mesure disciplinaire appropriée est un art, et non une science exacte. Un arbitre de grief ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée (voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, aux paragr. 13 et 14).

[178]  Dans le cas qui nous occupe, les facteurs aggravants qui suivent étayent l’existence d’un motif valable de licencier les deux fonctionnaires :

1. La malhonnêteté dont ils ont fait preuve n’était pas cohérente avec leurs obligations de CX.

2. La nature et la gravité de leur inconduite se sont attaquées au fondement de la relation d’emploi et ont occasionné beaucoup de dommages à l’intégrité du service correctionnel et de l’employeur.

3. Les détenus B, N et Z sont des personnes vulnérables qui sont sous les soins et la garde des CX.

4. La nature répétitive d’une inconduite grave similaire.

5. Le défaut des fonctionnaires de reconnaître un méfait pendant l’ensemble du processus.

 

[179]  L’employeur a fait valoir qu’aucune circonstance atténuante ne justifie la substitution par une sanction moindre dans la présente affaire.

B.  Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

[180]  Pour connaître du succès, l’employeur devait prouver que le Code de conduite a été violé et que le licenciement était approprié dans les circonstances. Il incombait à l’employeur d’établir que le licenciement était justifié et qu’il n’était pas excessif. Il n’est pas approprié que l’arbitre de grief réponde à la question de l’identité des personnes devant profiter du bénéfice du doute. L’employeur doit produire une preuve claire, forte et contraignante que les fonctionnaires ont commis les gestes énoncés dans leurs lettres de licenciement (pièce 5, onglets 61 et 64).

[181]  Dans le cas de M. Legere, l’employeur devait prouver qu’il a joué un rôle dans la perpétration d’une agression, qu’il a fait preuve d’insouciance dans l’exécution de ses fonctions, qu’il n’a pas suivi ses directives, qu’il n’a pas produit le rapport exigé par ses directives, qu’il était coupable de collusion et qu’il a fourni de faux renseignements aux enquêteurs. Ce qui a été établi, c’est que M. Legere n’a pas rapporté le recours à la force contre le détenu B et qu’il aurait dû mentionner la directive que lui avait donné M. Ferguson de ne pas faire rapport de l’incident. Ce qui n’a pas été prouvé, c’est qu’il a eu quelque rôle que ce soit dans une agression sur le détenu B ou qu’il a facilité une agression sur le détenu N.

[182]  Mme Contini veut que tous croient que M. Legere a agressé le détenu B alors que c’est l’inverse qui s’est produit. La vidéo invoquée par l’employeur pour étayer cette conclusion n’est pas claire. M. Legere n’avait ni raison ni motif d’agresser le détenu B. M. Legere a décrit franchement la conversation avec M. Ferguson avant le retrait des menottes du détenu B. M. Legere ne pensait pas qu’il pouvait ou devait remettre en question la directive d’un agent d’expérience devant un détenu.

[183]  Il n’y avait pas de preuve d’une bataille organisée au préalable ou consensuelle. Le détenu a accepté de se rendre dans la cour et d’en revenir. Il est passé rapidement d’obéissant à agresseur lorsque ses menottes ont été enlevées. Il a attaqué M. Legere, ce qui a obligé ce dernier à se défendre. Tous les CX qui étaient présents dans le secteur de service à ce moment-là ont témoigné, sauf M. Ferguson. Ils ont tous témoigné qu’ils croyaient que le détenu B agresserait M. Ferguson. Personne ne soupçonnait que le détenu B s’en prendrait à M. Legere.

[184]  M. Thompson a témoigné que M. Legere a frappé le détenu B à deux reprises. Toutes les autres preuves indiquaient de façon constante que M. Legere a évité un coup du détenu B. Le détenu B a trébuché en reculant, puis a attaqué de nouveau M. Legere, qui l’a frappé une deuxième fois. Les gestes de M. Legere étaient raisonnables dans les circonstances compte tenu de son expérience, de sa formation et de sa participation à des situations précédentes de recours à la force.

[185]  L’employeur a fait valoir que M. Legere et les autres personnes impliquées dans l’incident du 11 août 2012 n’ont pas présenté de rapport sur celui-ci en raison de l’existence d’un code d’honneur à l’établissement. Si tel était le cas, pourquoi le représentant de l’agent négociateur ayant assisté à la réunion à la résidence de M. Ferguson aurait-il dit aux personnes présentes de déclarer l’incident? MM. Pierangeli, Bains, Paul, Derksen et Legere ont tous témoigné que M. Ferguson a agi seul lorsqu’il a retiré les menottes. Pourquoi l’isoleraient-ils?

[186]  La décision Mackie, invoquée par l’employeur, traitait d’un gestionnaire correctionnel qui avait qualifié son collègue de rat. Le fonctionnaire a reçu une suspension sans traitement de 20 jours pour ses gestes. Les choses ont changé dans le milieu correctionnel depuis les années 1990. Tous les témoins ont déclaré qu’ils ne craignaient pas d’être qualifiés de rat. L’employeur n’a pas contesté ce témoignage. Il faut évaluer la crédibilité de tous, et non seulement celle des fonctionnaires. M. Thompson a pris une décision en se fondant sur un rapport et sur une vidéo de mauvaise qualité. Il n’a jamais parlé à M. Legere ni même ne l’a rencontré avant l’audience disciplinaire. L’évaluation que fait Mme Contini de la crédibilité est douteuse. Elle n’accepte aucune version des faits qui ne soit pas conforme à la sienne. Quand les CX qui ont fait l’objet d’une enquête ont maintenu leur version, elle a décidé qu’ils fournissaient de faux renseignements. Rien ne prouve que M. Legere a frappé le détenu B deux fois, ni que M. Legere a donné des coups de pied au détenu B. Elle mentionne néanmoins dans son rapport que ces allégations constituent des faits.

[187]  Le détenu B ne s’est pas fait offrir de soins de santé et M. Legere n’en est pas le seul responsable. D’autres personnes étaient présentes dans l’unité ce jour-là et ont été impliquées dans l’incident. Le registre de l’unité d’isolement indique que le service des soins de santé a fait sa ronde deux fois le jour en question. L’accès aux soins de santé n’a pas été refusé au détenu B.

[188]  Les enquêteurs ont mal compris la preuve concernant l’ordre de la routine de la douche le 12 août 2012. Mme Contini a conclu que l’agression alléguée avait été organisée parce que l’on avait modifié l’ordre d’utilisation de la douche. Le détenu N aurait dû être le premier à s’en servir. Elle n’a pas pris en compte le changement de niveau de dotation, qui comportait des conséquences opérationnelles pour l’unité d’isolement. Un transfert de détenu faisant l’objet d’une escorte triple, comme celui du détenu N, n’aurait pu être fait vers la douche parce que les trois agents n’étaient pas disponibles pour effectuer l’escorte jusqu’à la fin de la routine de la douche. Le registre d’utilisation de la douche indique cet ordre.

[189]  Mme Contini a choisi de s’en remettre à la version des événements du détenu N. Il lui a menti lorsqu’il a dit qu’il faisait l’objet d’une escorte triple. Il est connu comme menteur qui fait régulièrement de fausses plaintes contre des CX et comme un manipulateur qui n’est le bienvenu dans aucune population de l’établissement. Il était classé « escorte triple » pour la sécurité des agents, et non pour la sienne. Il a des antécédents d’agression de CX.

[190]  Il est facile de faire dire à la vidéo des événements du 12 août 2012 ce que l’employeur veut bien lui faire dire, car il n’y a pas de son. On peut voir M. Legere qui s’arrête pour parler à un détenu lorsqu’il descend l’allée. Il incombe au CX d’interagir avec les détenus. Sourire ou s’arrêter pour parler à un détenu fait partie de ce travail. L’ajout éditorial fait par l’employeur de ce qui a été dit pendant la rencontre ne constitue pas une preuve claire, forte et convaincante.

[191]  L’employeur a présumé que la distance entre les agents menant l’escorte établit qu’ils savaient ce qui s’en venait. Une hypothèse n’est pas une preuve claire, forte et convaincante. La vidéo montre que M. Legere était le deuxième agent derrière le détenu et que M. Raymond était le troisième. M. Raymond a été blanchi de toute culpabilité dans la conduite de l’escorte. Si la question en litige avait été la distance entre les CX et le détenu, M. Raymond aurait également dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire.

[192]  Il n’existe pas de pratique normalisée de réalisation des escortes. M. Sehra a reconnu que les CX ne doivent pas toucher les détenus escortés. Les agents qui ont témoigné ont parlé du recours à une formation en « V », sauf si le corridor n’est pas assez large, comme c’était le cas dans cette affaire. M. Verville a affirmé que la distance entre les agents et le détenu est une question de sécurité personnelle et de discrétion. MM. Khan et Carson ont témoigné qu’ils gardent deux bras de distance entre le détenu et eux, ce qui leur permet de voir le détenu de la tête aux pieds.

[193]  Un CX qui escorte un détenu est tenu de l’observer et de savoir tout ce qui l’entoure. La caméra ne voit pas ce que l’agent voit. C’est la plainte du détenu N qui a permis à l’employeur de savoir quoi chercher. Les deux incidents sont survenus très rapidement. Le détenu N n’a rien mentionné aux agents. Il l’aurait fait, parce qu’il est perçu comme un plaignant chronique.

[194]  Le liquide qui provenait de la douche était clair et transparent. D’après les témoins, il était inodore, et il ne s’agissait pas de sang. D’après la pièce 60, les lignes directrices sur la post-exposition aux fluides corporels, cette projection de liquide n’aurait pas rempli les critères d’une exposition importante à des fluides corporels. Le détenu N n’avait pas de blessure ouverte, ni n’a reçu de liquide dans les yeux, les oreilles ou le nez. Il a pu prendre une douche tout de suite après l’exposition et n’a pas déposé de plainte auprès du service des soins de santé ni n’a demandé de le consulter.

[195]  Lorsqu’il a escorté le détenu N de la douche à sa cellule, M. Legere a vu un manche à balai sortir d’une fente servant à passer les plateaux de nourriture. Le nettoyage des cellules est effectué les fins de semaine, pendant lesquelles ces fentes demeurent ouvertes, peu importe le statut du détenu qui se trouve dans la cellule ou d’un détenu qui passe par là. M. Legere a témoigné que M. Ferguson lui a demandé s’il avait vu le manche à balai. Il a également reconnu qu’il aurait dû déposer un RODA au sujet de l’événement.

[196]  Après que le détenu N a réintégré sa cellule, M. Legere s’est rendu à la cellule du détenu G. M. Raymond y était déjà et se trouvait à l’intérieur de celle-ci. Il n’y avait rien d’inhabituel d’après M. Raymond. Selon lui et M. Legere, ce dernier s’est rendu à la cellule et a mis le détenu en garde. Si l’employeur croyait la version des événements de M. Raymond, pourquoi n’a-t-il pas convenu que M. Legere a seulement averti le détenu? Il n’a pas indiqué, notamment par un geste, la distance par laquelle le détenu G a raté sa cible, soit le détenu N.

[197]  L’enquête effectuée par Mme Contini n’était pas indépendante. Elle manquait d’objectivité tout au long du processus, ce qui s’est reflété dans son rapport écrit. Elle a abordé le tout avec une idée préconçue de ce qui s’est passé et a tenté de le prouver. Elle a reconnu qu’elle n’avait aucune formation sur la façon de mener des enquêtes disciplinaires. Certains des motifs ont été prouvés grâce aux admissions de M. Legere, ce qui ne suffisait pas pour justifier le licenciement.

[198]  La conduite de l’employeur dans le traitement des résultats de cette enquête n’était pas cohérente. D’autres personnes impliquées dans les incidents n’ont pas été licenciées. D’autres personnes qui n’ont pas rapporté les incidents n’ont pas été licenciées. La gamme des mesures disciplinaires allait d’un extrême à l’autre. MM. Pierangeli, Bains et Paul ainsi qu’un autre agent ont reçu des lettres de réprimande, tandis que M. Legere a été licencié. 

[199]  L’employeur n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes qui suivent :

1. Les bons états de service antérieurs de M. Legere. Il était un agent relativement nouveau qui avait déménagé de la Nouvelle-Écosse, où sa famille se trouvait, en Colombie-Britannique, pour accepter l’emploi.

2. Il n’y avait pas de preuve de préméditation. Selon la prépondérance des probabilités, M. Legere a réagi à une agression commise par le détenu B. Il s’agissait d’un incident isolé pour lequel M. Legere s’excuse et éprouve des remords.

3. Les politiques et les directives de l’employeur ne sont pas appliquées uniformément. M. Legere ne devrait pas être isolé. Son RODA n’était pas le seul à manquer de détails.

4. M. Legere a subi des difficultés économiques particulières à cause de sa suspension sans traitement. Il a accepté un poste à l’établissement parce qu’il avait l’intention d’être déployé à Springhill, en Nouvelle-Écosse. Il a été contraint de retourner en Nouvelle-Écosse, sans emploi, ce qui lui a occasionné de graves difficultés économiques.

5. Le détenu B a provoqué M. Legere en se jetant sur lui le 11 août 2012. À ce moment-là, le détenu B n’était pas menotté et était en position d’agresser M. Legere. M. Legere aurait dû empêcher M. Ferguson de retirer les menottes. Il ne l’a pas fait, et les choses se sont alors déroulées très rapidement. Il a seulement eu le temps de réagir. Rien n’indique qu’il a agi de mauvaise foi ou avec malice. Il s’est défendu comme il a le droit de le faire lorsqu’il est agressé. Outre les incidents des 11 et 12 août 2012, rien n’a indiqué que M. Legere a posé un geste répréhensible ou irrespectueux à l’égard des autres détenus ou CX.

6. M. Legere s’est excusé et a exprimé des remords pour ses gestes. Il a admis à Mme Contini son rôle dans les événements.

7. La récidive est peu probable. C’est un bon candidat pour la réadaptation. M. Legere s’améliorerait et tirerait profit d’une deuxième chance.

8. Les personnes qui ont travaillé avec M. Legere ont une connaissance directe de sa fiabilité, et non l’employeur. L’employeur n’a pas remis en question les avis exprimés au cours des témoignages du superviseur et des collègues de M. Legere.

 

[200]  Dans le cas de M. Derksen, l’employeur devait prouver qu’il a été témoin d’une agression sur le détenu B, qu’il n’a pas respecté les directives, qu’il n’a pas présenté de rapport comme l’exigeait l’employeur, qu’il est coupable de collusion et qu’il a fourni de faux renseignements au comité de discipline (voir la pièce 5, onglet 64).

[201]  L’employeur n’a pas prouvé que M. Derksen a été témoin d’une agression sur le détenu B. M. Derksen n’était pas proche des lieux des événements du 11 août 2012. Au moment où il est arrivé sur les lieux, le détenu B était menotté et au sol. La preuve par vidéo qu’il a produite, qui a établi qu’il n’était pas impliqué (pièce 50), a été écartée par Mme Contini, qui a refusé de la prendre en compte. M. Thompson a reconnu qu’il n’est pas allé plus loin que les enquêteurs (pièce 61, page 64). M. Derksen a dit la vérité; les enquêteurs ont refusé d’accepter son témoignage et ont conclu qu’il n’était pas digne de foi.

[202]  M. Derksen a reconnu qu’il n’a pas rapporté l’incident du détenu B. Il s’est excusé de cet oubli à l’audience disciplinaire. Ses excuses étaient sincères et il tirerait profit de cette expérience. Il n’a pas tenté de protéger M. Ferguson. Il existe des motifs de sanctionner M. Derksen, mais non pour tous les motifs énoncés par l’employeur. Son inconduite doit être jaugée en regard de celle des autres personnes impliquées qui ont pu conserver leurs emplois.

[203]  L’eau provenant de la douche le 12 août 2012 n’avait rien d’exceptionnel. La porte de la douche est munie de barreaux. L’eau se trouvait sur le plancher. M. Derksen n’avait pas de communication avec le détenu G; M. Derksen était à l’étage dans une autre allée et se chargeait de la routine de la douche à cet endroit. M. Derksen n’est pas grand. Sa vision de l’eau qui sortait de la douche aurait été bloquée par le bord de la casquette de baseball qu’il portait. M. Derksen a témoigné qu’il a entendu un commentaire provenant de la douche, mais qu’il ignorait la teneur de ces propos (voir la pièce 61, aux pages 12 et 13).

[204]  Mme Contini et M. Weatherbee ont conclu que M. Derksen n’était pas crédible, si l’on se fie à leur affirmation selon laquelle le 11 août 2012, il a été témoin d’une agression sur le détenu B, et à une conversation avec M. Podesta, qui a fait enquête sur l’incident du 21 juillet 2012. Cette absence d’indépendance est préjudiciable au fonctionnaire. Aucune preuve n’étaye les conclusions tirées par Mme Contini et M. Weatherbee. Ils n’ont pas démontré un motif pour lequel M. Derksen aurait facilité une agression sur le détenu N. Aucune preuve ni aucune raison n’a établi pourquoi il aurait comploté avec le détenu G pour agresser le détenu N. La conclusion des enquêteurs reposait sur la façon de mener l’escorte triple. Toutefois, la preuve établit que les escortes sont effectuées de différentes façons et à diverses distances. Sur la vidéo du 21 juillet 2012, on voit M. Derksen se donner du temps et prendre ses distances avant de laisser le détenu Z entrer en provenance de la cour, ce qui est conforme avec ce qu’il a fait le 12 août 2012.

[205]  Selon M. Thompson, M. Derksen n’était pas accusé d’avoir organisé l’agression avec du liquide sur le détenu N (voir la pièce 61, page 18, lignes 3 à 8). Il était accusé d’avoir assisté à l’événement et de ne pas en avoir fait rapport. Quelle preuve établissant l’existence de ce fait amène les enquêteurs à tirer cette conclusion? M. Derksen n’a pas déposé de rapport, car l’événement ne sortait pas de l’ordinaire. Le détenu N n’a pas réagi. Il n’y a pas eu de plaintes. Le liquide semblait être de l’eau. Il arrive fréquemment que de l’eau s’échappe d’une douche ouverte.

[206]  Les CX sont autorisés à avoir recours à autant de force que nécessaire pour contrer une agression. Ils doivent avoir des motifs raisonnables d’agir. Pour déterminer si la réaction d’un agent était raisonnable, il faut se demander quelle conclusion aurait tiré un agent raisonnable se trouvant sur les lieux. Il doit être possible de prendre des décisions en une fraction de seconde (voir R. v. Bottrell, 1981 CanLII 352, et Anderson v. Smith and the City of Port Moody, 2000 BSCC 1194, au paragr. 51). Le témoin expert a affirmé que le recours à la force par les CX ne diffère pas de celui des policiers. Ils tirent tous deux leur pouvoir de recourir à la force du Code criminel.

[207]  Dans la vidéo de l’incident de recours à la force du 20 juillet 2012, il est clair que le détenu Z est l’agresseur. Il est très souple et même s’il était menotté, il n’était pas maîtrisé. L’agression a duré huit secondes. M. Derksen a donné des coups de genou, mais sa jambe n’était pas levée, ce qui indique, d’après le témoin expert, que les coups de genou n’étaient pas puissants. Le détenu Z a cessé de se battre seulement quand M. Legere a utilisé l’aérosol capsique. Dans son RODA joint au rapport d’enquête sur le recours à la force (pièce 26), M. Derksen déclare qu’il a utilisé des techniques de distraction. Il n’a pas précisé les techniques employées. On ne peut conclure qu’il a dissimulé des renseignements sur son recours à la force simplement parce que l’employeur voulait davantage de renseignements. D’autres personnes ayant rapporté le même incident ont également omis des renseignements, mais on ne leur a pas demandé de déposer des addendas à leur RODA. Le RODA de M. Derksen a été revu et signé par son gestionnaire correctionnel. Si le gestionnaire correctionnel avait des préoccupations, M. Derksen aurait pu apporter des changements ou des éclaircissements au besoin, mais on ne le lui a pas demandé. De fait, le gestionnaire correctionnel a indiqué avec son évaluation que le recours à la force était raisonnable, qu’il n’y a pas eu violation de la loi ou de la politique de SCC, et que l’option de la force qui a été utilisée était appropriée (voir la pièce 26). M. Derksen a reconnu dans son témoignage qu’en rétrospective, il aurait pu choisir d’autres techniques.

[208]  Dans son RODA joint à la pièce 15 (rapport sur le recours à la force de mai 2012), M. Derksen mentionne des techniques de distraction sans les expliciter. Encore une fois, son gestionnaire correctionnel l’a revu et en a approuvé le contenu. D’après M. Derksen, les techniques appliquées dans cet incident étaient des coups de genou. On ne lui a jamais dit que les coups de genou étaient inappropriés ou que la technique de distraction utilisée devrait être précisée en détails. Selon le témoin expert sur le recours à la force, sauf si un agent reçoit de la rétroaction à l’effet contraire, l’agent utilisera de nouveau ce recours à la force. Autrement dit, l’absence de rétroaction renforce le comportement. De même, la pièce 15 montre une absence de détails quant aux techniques de distraction ayant été utilisées et encore une fois, il n’a pas été demandé aux agents de fournir plus de renseignements.

[209]  L’avocat de l’employeur a déclaré que les coups de genou n’étaient pas enseignés dans le PFB. M. Sehra a témoigné différemment le 16 mai 2013 lorsqu’il a affirmé que les CX sont formés pour utiliser leurs genoux comme l’a fait M. Derksen. Le recours aux coups de genou est fonction de la situation. Il peut s’agir d’une technique de distraction appropriée. Mme Danel et M. Lizotte ont tous deux témoigné que les coups de genou constituent une option en situation d’autodéfense. M. Derksen n’avait pas le temps de planifier quel type de force il devrait utiliser. Il a réagi spontanément à la situation. M. Sehra et le témoin expert ont témoigné que les gens peuvent réagir différemment dans une même situation. Le fait que M. Derksen aurait pu réagir différemment ne signifie pas qu’il a réagi de façon excessive.

[210]  De même, le recours à la force par M. Derksen le 21 juillet 2012 ne constituait peut-être pas la meilleure réaction. M. Derksen l’a reconnu deux fois, soit à l’audience disciplinaire et de nouveau à l’arbitrage. Il a expliqué qu’il était en mauvaise position contre le mur et que ses partenaires se trouvaient de l’autre côté du détenu. Comme le détenu lui faisait face plutôt que de faire face au mur, il craignait pour sa sécurité. Il n’avait pas d’expérience avec les masques anti-crachats. M. McKay a témoigné qu’un détenu peut quand même cracher si le masque n’est pas bien ajusté. Il a ajouté que les masques anti-crachats n’empêchent pas un détenu de mordre.

[211]  M. Derksen a utilisé plus de coups de genou qu’il ne l’a fait le 20 juillet 2012, sans toutefois lever sa jambe. Les coups ressemblaient davantage à des touches. Au départ, ce recours à la force était jugé approprié d’après M. Sehra (voir la pièce 38). L’enquête sur le recours à la force a été rouverte en raison de l’enquête sur l’incident de la veille. Le 21 juillet 2012, le détenu Z résistait et était récalcitrant aux directives verbales. M. Derksen tentait de maîtriser le détenu au niveau du torse et de la tête.

[212]  L’employeur n’a pas prouvé les motifs sur lesquels il se fondait pour licencier M. Derksen. Il a seulement démontré son défaut de faire rapport de l’incident du 11 août 2012, le nombre de coups de genou utilisés et l’endroit où ils ont été appliqués le 21 juillet 2012. L’employeur n’a pas pris en compte son dossier d’emploi, l’appréciation que ses collègues et les gestionnaires correctionnels lui portent, et le fait qu’il n’est pas le seul responsable de ses gestes. Le défaut de le prévenir au sujet du recours à des coups de genou doit être considéré comme un facteur atténuant (voir Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, 7:4416). Un employé doit obtenir l’occasion de démontrer le comportement souhaité.

[213]  La mesure disciplinaire appropriée dans le cas de M. Derksen est une suspension, même si l’arbitre de grief détermine qu’un recours excessif à la force a été utilisé lors de l’incident du 21 juillet 2012. Dans Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17, un CX ayant plaidé coupable à l’agression d’un détenu a été réintégré dans son poste. L’arbitre de grief a statué qu’une longue suspension était appropriée, plutôt qu’un licenciement.

[214]  En ce qui concerne les suspensions sans traitement pour une durée indéfinie en attendant l’issue de l’enquête sur les deux fonctionnaires, l’employeur a violé l’annexe G de la convention collective. Selon l’annexe G, ils auraient dû être suspendus sans traitement. L’annexe G a préséance sur la disposition générale sur les droits de la direction de la convention collective. M. Legere ne pouvait pas participer pour cause de maladie. L’employeur a reçu un certificat médical, qu’il n’a pas contesté. Au départ, les fonctionnaires devaient être suspendus avec traitement en vertu de la clause 17.01 (voir la pièce 4, onglet 15, page 2). L’employeur a ensuite changé d’avis et a appliqué l’entente globale pour suspendre les fonctionnaires sans traitement (voir la pièce 4, onglet 15, page 3). L’entente globale ne fait pas partie de la convention collective et ne peut prévaloir sur celle-ci (voir la pièce 77, page 33).

[215]  Les griefs concernant les suspensions sans traitement ne sont pas théoriques. Il n’y a pas de consensus, ce qui fait que la Cour fédérale doit être consultée pour l’obtention de directives (voir Basra, 2010 CAF 24). En droit, il existe une présomption selon laquelle le pouvoir d’imposer une sanction rétroactive doit être autorisé expressément ou par implication juridique (voir Shell Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), [1998] 3 C.F. 223 (1re inst.), aux paragraphes 35 à 37, et Thow v. British Columbia (Securities Commission), 2009 BCCA 46, aux paragraphes 10 à 13). Ni la LGFP ni la LSCMLC n’autorisent le licenciement rétroactif d’un employé. De plus, il n’existe pas de pouvoir de le faire en vertu de la convention collective.

[216]  Permettre à un administrateur général de licencier rétroactivement un employé conférerait à l’administrateur général des pouvoirs qu’il n’a pas. Il faudrait modifier la loi ou la convention collective, et les deux relèvent de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Une telle modification éliminerait le droit du fonctionnaire de contester la suspension, ce qui représenterait une violation de l’alinéa 209(1)b) et du paragraphe 228(1) de la Loi et de la clause 20.02 de la convention collective.

[217]  L’employeur doit prouver que la suspension et le licenciement sont justifiés (voir York (City) v. C.U.P.E., Local 10, [1999] O.L.A.A. no 8 (QL)). Les fonctionnaires ont le droit de contester les deux et de les faire trancher par l’arbitre de grief en vertu de la Loi et de la convention collective (voir Roberts c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 108, et Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127).

[218]  Les suspensions de MM. Legere et Derksen étaient de nature disciplinaire. Il incombait à l’employeur de prouver les motifs des suspensions. D’autres personnes qui avaient été impliquées dans les mêmes événements n’ont pas été suspendues et ont pu continuer à travailler selon leurs horaires réguliers à l’unité d’isolement. D’autres postes auxquels les fonctionnaires auraient pu être déployés plutôt que d’être suspendus sans traitement étaient disponibles au sein de l’établissement. Aucun n’a été considéré comme une option viable. L’employeur n’a pas déployé d’efforts pour trouver des solutions de rechange à l’option de la suspension sans traitement. Les suspensions ont été revues, mais rien n’a changé. Les lettres confirmant les suspensions sont demeurées inchangées. La réputation de SCC n’a pas été attaquée; les médias n’ont pas couvert les événements. Le droit d’un employé de gagner sa vie doit l’emporter sur le droit de l’employeur de le suspendre sans traitement (voir Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70, et Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55).

[219]  L’employeur a soutenu qu’il n’avait pas l’intention de prendre une mesure disciplinaire à l’égard des fonctionnaires lorsqu’ils ont été suspendus sans traitement. Toutefois, il a réagi aux allégations de comportement coupable, qui ont fait des suspensions des sanctions de nature disciplinaire. Compte tenu de la nature complexe des plaintes, il a fallu beaucoup de temps pour terminer les enquêtes. Elles étaient complexes parce que l’employeur les a rendues complexes. L’employeur contrôlait tous les témoins et tous les renseignements nécessaires pour terminer les enquêtes. L’employeur n’avait pas de plaintes de collègues refusant de travailler avec les fonctionnaires pour justifier leur exclusion du milieu de travail. L’employeur doit évaluer véritablement les motifs d’une suspension sur une base régulière, et au bout de 30 jours, une suspension devient de nature disciplinaire même sans intention de sanctionner de l’employeur (voir Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, et Basra (CRTFP)).

C.  Réfutation de l’employeur

[220]  L’annexe G de la convention collective ne s’applique pas parce qu’il s’agissait de suspensions sans traitement en attendant l’issue d’une enquête et non du retrait des fonctionnaires de leurs fonctions ou de leur lieu de travail régulier. L’annexe G diffère considérablement d’une suspension administrative, comme celle que prévoit l’entente globale. Il n’existe pas de restriction expresse à la capacité de l’employeur de suspendre des employés, dans la mesure où elle est raisonnable. Pour que le critère du caractère raisonnable soit rempli, il faut évaluer le risque de leur présence continue dans le lieu de travail.

IV.  Motifs

[221]  Pour faciliter la compréhension, je traiterai des licenciements des fonctionnaires séparément. Les questions concernant les suspensions sans traitement et la capacité de l’employeur de licencier rétroactivement l’un ou l’autre des fonctionnaires, ou les deux, seront abordées dans un contexte plus global, tout comme l’argument du caractère théorique. Les parties m’ont fourni trois volumes de jurisprudence pour étayer leurs arguments. J’ai lu toutes les décisions, mais je mentionnerai seulement celles qui revêtent une importance primordiale.

[222]  L’enquête réalisée par un arbitre de grief, comme la visite des lieux, doit être menée conformément à la procédure appropriée. D’après Brown et Beatty, si une visite est faite, seuls les membres de la formation, les avocats, et un représentant de chaque partie qui connaît l’équipement ou les lieux devant être examinés doivent y prendre part. Les avocats peuvent indiquer de façon appropriée les éléments essentiels de ce qui est observé, mais seulement en présence de la partie opposée (voir Brown et Beatty, au paragraphe 3:3300). La visite de l’unité d’isolement de l’établissement effectuée le 22 novembre 2013 a été faite de cette façon. Au début, en réponse à une question de l’avocat de l’employeur, j’ai précisé que l’information recueillie dans le cadre de la visite serait considérée comme de la preuve aux fins de cette audience. Aucune des parties n’a soulevé de préoccupations ni ne s’est opposée à cette règle ou à la tenue de la visite.

[223]  L’employeur a tenu trois comités d’enquête différents chargés des événements du 20 juillet (Mme Danel), du 21 juillet (Podesta), et des 11 et 12 août 2012 (Mme Contini). Les ordres de convocation fournis aux membres de ces comités par le directeur de l’établissement ordonnaient à chacun des comités de faire ce qui suit (pièce 4, onglets 16, 17, 28 et 38) :

[Traduction]

[…]

[…] [lui] communiquer les circonstances complètes qui entourent l’incident susmentionné, dont :

a) la genèse des incidents;

b) la description des allégations;

c) la chronologie des événements.

[…]

J’ORDONNE EN OUTRE que la Commission analyse expressément les questions suivantes, dont les questions d’observation de la loi, de la politique et de la procédure :

a) les circonstances qui entourent les allégations de conduite inappropriée (fournir les constatations pertinentes);

b) la question de savoir si des documents ou des dossiers demandés par la Commission n’ont pas été reçus;

c) toute autre question jugée pertinente.

[…]

Dans le cadre de l’application du processus du devoir d’agir équitablement, la Commission applique les mêmes facteurs et suit les mêmes procédures, que la personne soit un membre du public, un membre du personnel, un membre de la commission de libération conditionnelle, un contrevenant, un détenu ou un entrepreneur.

 

[224]  Bien qu’il n’y avait pas de preuve directe de ce que représentait le « processus du devoir d’agir équitablement », l’employeur est tenu de veiller à ce que les enquêtes portant sur une inconduite soient menées avec célérité, sans partialité ou crainte raisonnable de partialité, et conformément aux lois de la justice naturelle.

[225]  La question de la partialité ou de la crainte raisonnable de partialité a fait l’objet de Robertson c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 0011 :

[…]

50 […] Traditionnellement, la mauvaise foi sous-entend l’existence d’une intention inappropriée, de parti pris ou de manque d’objectivité dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Donc, l’allégation selon laquelle l’intimé a fait preuve de parti pris est une allégation de mauvaise foi dans l’évaluation du plaignant. Voir la décision Beyak c. le sous ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 0007. Voir aussi René Dussault et Louis Borgeat, Administrative Law : A Treatise, 2e éd., Toronto, Carswell, 1990, vol. 1, p. 425 et vol. 4, p. 343.

51 Les tribunaux ont reconnu qu’il est difficile d’établir une preuve directe de parti pris, et que l’équité exige qu’il n’y ait aucune crainte raisonnable de partialité. Le critère de la crainte raisonnable de partialité est bien établi et doit être appliqué dans l’examen d’une décision provenant d’une autorité publique et qui porte atteinte aux droits et aux privilèges d’une personne. Ce critère peut varier, car il tient compte du fait que l’obligation d’agir de façon équitable varie selon le contexte de la décision. Voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux para. 45 à 47; et David Philip Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, Toronto, Thomson Carswell, 2009, pages 396 et suivantes.

52 À la page 394 de la décision Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 S.C.R. 369, le critère de la crainte raisonnable de partialité est décrit comme suit :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[…]

 

[226]  Les allégations principales contre M. Legere et M. Derksen (entre autres allégations formulées dans cette affaire) sont que chacun d’eux a pris part à un incident de recours à la force contre le détenu B le 11 août 2012 et ne l’a pas rapporté, et que chacun a participé à l’organisation de deux agressions sur le détenu N par un autre détenu le 12 août 2012. Mme Contini et M. Weatherbee ont fait enquête sur les deux incidents. Selon les fonctionnaires, leur processus d’enquête et leur rapport comportaient de multiples vices de procédure et énoncés manquant d’objectivité, ce qui fait qu’il a été clairement établi que les enquêteurs étaient partiaux. Prendre ce facteur en compte comme preuve de gestes répréhensibles serait très préjudiciable aux deux fonctionnaires. Le rapport d’enquête et les mesures disciplinaires qui en résultent devraient être considérés nuls ab initio (dès le début).

[227]  Je me suis fondée sur l’orientation adoptée dans Mackie et j’ai évalué tous les éléments de preuve qui m’ont été présentés. Le témoignage des témoins interrogés par le comité d’enquête Contini était cohérent en ce sens que les enquêteurs n’accepteraient pas de témoignages non conformes avec leur propre vision des événements. De plus, il est clair que d’autres théories des événements et d’autres éléments de preuve ont été écartés, comme la vidéo que M. Derksen a tenté de produire. M. Thompson a témoigné qu’il ignorait l’existence de cette autre vidéo jusqu’à l’audience disciplinaire. Néanmoins, Mme Contini conclut ce qui suit à la page 41 :

[Traduction]

3) L’affirmation du CX l DERKSEN selon laquelle il n’était pas présent et n’était pas arrivé au secteur de service avant que B ait été maîtrisé sur le plancher n’est pas étayée par la preuve sur vidéo et est rejetée par le comité.

 

[228]  Mon examen de la décision Contini soulève certaines préoccupations en ce qui concerne l’objectivité des enquêteurs. Compte tenu de la complexité de cette enquête, les fonctionnaires pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’un enquêteur chevronné soit nommé, notamment en raison du manque de formation et d’expérience de Mme Contini dans la tenue d’enquêtes. La chronologie des événements constitue le point de départ et la base de l’enquête sur les événements. Des commentaires comme [traduction] « […] on croit que B a reçu des coups de pied alors qu’il était au sol » et [traduction] « la séquence sur caméra révèle un geste similaire à un coup de pied. On croit que les agents sont des spectateurs » dans la chronologie des événements  (pièce 4, onglet 42, page 7) ne représentent pas une preuve de la véracité de ce qui s’est produit. La preuve qui m’a été soumise établissait clairement que le détenu B n’a jamais reçu de coups de pieds; néanmoins, à la page 42, les enquêteurs concluent comme suit que le coup de pied a eu lieu :

[Traduction]

La séquence filmée montre ensuite un agent dirige [sic] un coup de poing à B. On ne voit pas le coup comme tel sur la vide [sic]; toutefois, on voit un agent qui porte une chemise à manches courtes d’uniforme et des gants faire le geste de frapper durement en direction de B. Même si le comité d’enquête ne possède pas de preuve absolue, il croit que ce coup est suivi d’un coup de pied du même agent à B.

 

[229]  De même, à la page 9 du rapport, je m’interroge sur la pertinence de l’énoncé [traduction] « on voit le CX l LEGERE rire après avoir quitté G dans la douche et avoir parlé au CX l DERKSEN »; en outre, l’énoncé [traduction] « [i]l semble que le CX I LEGERE indique qu’il a manqué N par environ deux pieds […] » à la page 10 indique une interprétation de la vidéo conçue pour étayer la théorie des événements formulée par l’employeur. Les vidéos ayant été revues n’ont pas de son; néanmoins, les enquêteurs affirment que [traduction] « le CX ll FERGUSON quitte la cellule de N en criant les mots "putain de merde, merde" ». Comme je ne dispose pas d’un enregistrement sonore ou du témoignage d’un spécialiste en lecture labiale, je n’accepte pas l’exactitude de cette version.

[230]  Pour en arriver à sa conclusion concernant le rôle de M. Legere dans l’agression du détenu B, Mme Contini a évalué comme suit la crédibilité des personnes interrogées dans le cadre du processus d’enquête :

[Traduction]

[…]

[…] Tous les témoins hésitaient manifestement à dire toute la vérité et avaient tendance à minimiser les faits qu’ils jugeaient incriminants. Le CX l LEGERE avait le plus de motifs pour minimiser ce fait. Le coup donné à B, et le contexte dans lequel cet événement est survenu, est ce que le comité a jugé déterminant, plutôt que la nature du coup. Ceci étant dit, le comité estime que le coup a fort probablement été porté à poing fermé. La preuve sur vidéo étaye cette position et le CX l BAINS la corrobore. […]

 

[231]  La bande magnétoscopique en question a été faite de l’extrémité d’une allée, à travers la vitre qui s’y trouve. Au mieux, elle est floue. Selon moi, après l’avoir visionnée, cette bande doit faire l’objet de beaucoup de manipulation et d’interprétation pour qu’il soit possible d’en tirer des conclusions sur ce qui s’est produit. M. Bains a témoigné qu’il a modifié sa description de la façon dont le détenu B a été frappée afin qu’elle corresponde à la version que donnait Mme Contini pendant qu’elle l’interrogeait. Il est possible qui les événements qui ont transpiré correspondent à la conclusion tirée par Mme Contini, mais il est également possible qu’aux yeux d’une autre personne, la conclusion aurait été différente.

[232]  L’analyse faite par Mme Contini des événements du 12 août 2012 et les conclusions qui en sont tirées ne sont pas étayées par la preuve obtenue grâce à l’enquête ou présentée à l’audience. À la page 98 de son rapport, elle affirme que les agents semblaient se trouver loin en arrière du détenu N, à une distance sécuritaire entre lui et ce qui devait provenir de la douche. D’après Mme Contini, M. Sehra a déclaré que les agents auraient dû être légèrement derrière le détenu. Bien que cette pratique ait d’abord été réputée suspecte, le comité d’enquête a jugé qu’il s’agit d’une pratique régulière à l’établissement. Néanmoins, l’employeur a conclu qu’elle a été appliquée pour faciliter l’agression alléguée du détenu G sur le détenu N au moyen d’un liquide inconnu.

[233]  De même, Mme Contini s’en remet au fait que dans la vidéo, on peut voir M. Legere parler au détenu G à deux reprises avant le premier incident et rire lorsqu’il quitte la cellule du détenu G. Elle a allégué que cette interaction aurait pu procurer à M. Legere l’occasion d’informer le détenu G de l’escorte à venir du détenu N. Il n’y a pas de bande sonore de la conversation.

[234]  Pour conclure que les fonctionnaires ont commis un acte répréhensible, davantage de possibilités sont nécessaires. Il est également possible que l’arrêt de  M. Legere pour s’adresser aux détenus s’inscrivait dans son rôle de CX, comme en ont fait foi les témoignages à l’audience. Les fonctionnaires ont demandé de profiter du bénéfice du doute. Il ne s’agit pas de donner à l’une ou l’autre des parties le bénéfice du doute. Il s’agit, pour l’employeur, de s’acquitter de son fardeau de la preuve, ce qu’il n’a pas fait relativement aux événements des 11 et 12 août 2012. J’estime que l’employeur ne m’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que son interprétation des événements telle qu’elle a été enregistrée sur les vidéos est correcte.

[235]  Ayant cerné certaines des préoccupations qui sont manifestes dans le rapport Contini, je crois qu’il existe des motifs suffisants de convenir de la déclaration des fonctionnaires selon laquelle le rapport est partial. Il existait à tout le moins une crainte raisonnable de partialité, compte tenu de la façon dont elle a mené l’enquête, par exemple en refusant d’accepter des preuves disculpatoires et une version des faits non cohérente avec la sienne, et de la manière dont elle a mené ses entrevues, telle que décrite par les CX interviewés et tel qu’étayé par les enregistrements de ces entrevues présentés à l’audience.

[236]  Contrairement au rapport de Mme Contini, les rapports de M. Podesta et de Mme Danel sont exhaustifs et analytiques. En outre, ils sont étayés par des vidéos qui montrent clairement les événements ayant fait l’objet d’une enquête. Ils ne s’appuyaient pas sur des vidéos filmées à travers une vitre et d’une certaine distance ou sur des éléments de preuve qui auraient pu être recueillis seulement à partir de versions sonores inexistantes.

[237]  Dans de tels cas, une audience d’arbitrage donne aux fonctionnaires une audience de novo suffisante pour remédier aux erreurs de procédure survenues au cours du processus d’enquête (Tipple). À cette audience de novo, l’employeur demeure tenu de s’acquitter de son fardeau de la preuve et d’établir les faits sur lesquels reposait la mesure disciplinaire, ce qui se révèle encore plus crucial lorsque l’enquête et le rapport sont viciés et partiaux, comme c’est le cas du rapport Contini.

[238]  Après avoir visualisé la vidéo de l’incident du 11 août 2012 impliquant le détenu B, il m’apparaît qu’il s’est produit quelque chose impliquant celui-ci et des CX dans le secteur de service à ce moment-là. La vidéo n’est pas suffisamment définie pour permettre d’établir avec exactitude ce qui s’est produit. La preuve de la participation de tous les CX est cohérente et inébranlable. Tous ont déclaré que le détenu obtempérait jusqu’à ce que M. Ferguson s’adresse à lui. Personne ne s’attendait à ce qu’une fois que M. Ferguson ait retiré les menottes au détenu B, celui-ci s’attaque à M. Legere, qui a réagi raisonnablement dans les circonstances, selon les témoins. L’employeur a beau vouloir me faire croire que M. Legere a eu recours à une force excessive lorsqu’il a repoussé l’attaque, je suis d’avis que la preuve sur vidéo n’est pas suffisamment claire pour étayer cette conclusion, compte tenu des témoignages des personnes impliquées. Je conviens que M. Derksen n’a été impliqué avec le détenu qu’après que celui-ci a été menotté et mis au sol, au vu d’une autre vidéo présentée comme pièce 50.

[239]  En vertu de la « Directive du commissaire 568-1 », intitulée Consignation et signalement des incidents de sécurité (pièce 5, onglet 76) tous les employés sont tenus de « […] consigner […] tout incident ou comportement dont ils ont été témoins ou qu’ils ont observé dans un Rapport d’observation ou de déclaration (CSC/SCC 0875) » [je souligne]. De leur propre aveu, MM. Legere et Derksen n’ont pas consigné l’incident du 11 août 2012 ayant impliqué le détenu B. Les autres personnes impliquées dans l’incident ne l’ont pas fait non plus. M. Legere a témoigné que M. Ferguson lui a dit de ne pas faire de rapport. M. Legere estimait qu’il devait se conformer à cette directive, car M. Ferguson était un agent principal. En rétrospective, M. Legere a reconnu que ce n’était pas la bonne chose à faire et a exprimé ce que j’ai jugé comme des remords sincères d’avoir pris cette décision. De même, M. Legere a admis qu’un recours à la force entraînant une blessure doit être signalé au service des soins de santé, ce qui n’a pas été fait dans le cas du détenu B.

[240]  La culpabilité de M. Derksen pour ne pas avoir rapporté l’incident excède celle de M. Legere en ce sens que M. Derksen faisait partie d’un groupe de CX ayant prévu à plusieurs reprises de ne pas rapporter l’incident. Il a participé aux rencontres dans le stationnement du Superstore et à la résidence de M. Ferguson. Les deux ont enfreint la Directive du commissaire 568-1, mais M. Derksen l’a violée à plusieurs reprises en convenant avec ses collègues de ne pas rapporter l’incident. M. Derksen a également exprimé des remords pour son rôle dans la tentative de dissimulation de l’incident à l’employeur.

[241]  Le rôle de M. Ferguson dans la perpétration de l’incident du 11 août 2012 et dans la dissimulation de celui-ci à l’employeur constitue, à mon avis, la clé pour comprendre la véritable nature de ce qui s’est dit et de ce qui en a découlé. Bien qu’une citation à comparaître ait été notifiée à M. Ferguson, il n’a jamais été appelé à témoigner. M. Legere a témoigné que M. Ferguson lui avait demandé s’il devait retirer les menottes au détenu B. Il s’agissait d’une question inhabituelle de la part d’un agent principal à un agent subalterne. Désireux de ne pas contredire un agent principal devant un détenu, M. Legere a témoigné qu’il a répondu quelque chose comme [traduction] « peu importe ». Il n’a pas tenté d’empêcher M. Ferguson de retirer les menottes. Dans cette situation, une personne raisonnable aurait conclu que le retrait des menottes du détenu entraînerait effectivement une bataille. Les autres CX qui ont témoigné ont indiqué qu’ils avaient présumé que si les menottes avaient été retirées comme l’a suggéré M. Ferguson, c’est ce dernier et non M. Legere qui aurait été attaqué; néanmoins, ils n’ont rien fait pour empêcher M. Ferguson d’enlever les menottes au détenu. Peu importe qui le détenu a fini par attaquer, M. Legere aurait dû être en désaccord avec le projet de M. Ferguson de retirer les menottes et aurait dû en faire part à M. Ferguson. De plus, M. Legere aurait dû faire rapport de cette interaction dans un RODA, en vertu de la Directive du commissaire 568‑1. Au cours de son témoignage, M. Legere a reconnu qu’il a commis une erreur en n’empêchant pas M. Ferguson de retirer les menottes.

[242]  Je n’accepte pas la version de l’employeur des incidents du 12 août 2012 impliquant les détenus N et G. Sans enregistrement sonore, je n’ai aucune preuve de ce qu’a dit M. Legere au détenu G. Contrairement à Mme Contini, je conclus que les témoins étaient francs et crédibles. M. Legere a témoigné qu’il avait cessé de parler au détenu G comme le veut sa routine habituelle lorsqu’un détenu s’adresse à lui. J’ai été témoin de ce type d’activité dans l’unité d’isolement quand un membre de notre groupe a cessé de s’adresser à un détenu qui voulait lui poser une question et fournissait de nombreuses preuves testimoniales à cet effet. En outre, M. Legere m’a fourni une explication tout aussi plausible que l’explication de l’employeur de ce qu’il a dit avant et après les incidents de la douche et du balai.

[243]  En ce qui concerne la conduite de l’escorte du détenu N, la vidéo ne donne pas une perception exacte de la distance entre M. Derksen et le détenu N lorsqu’il passe devant le détenu G qui est dans la douche. Je n’ai aucun doute que M. Derksen savait que du liquide s’échappait de la douche, parce qu’il était le premier en ligne. Je crois en outre qu’il était raisonnable de sa part de conclure que le liquide était de l’eau, compte tenu du fait que la douche fonctionnait à ce moment-là et que le liquide ne sentait ni l’urine ni les excréments et était transparent.

[244]  L’employeur tente de me faire croire que le détenu G et M. Legere ont planifié cet incident. Il a présenté en preuve la façon dont le détenu N a été escorté au-delà de la douche, et en particulier la distance entre le détenu et les CX. Cette affirmation n’était pas étayée par les dépositions des témoins, dont M. Sehra, qui a déclaré que les CX à l’établissement ne placent pas leurs mains sur les détenus qui sont escortés et que la distance entre un agent et un détenu escorté est fondée sur la préférence personnelle et varie de un à deux bras de distance. Les témoins ont également déclaré que la formation utilisée lors de l’escorte d’un détenu varie en fonction du lieu, des obstacles et des dimensions des corridors. Pendant la visite de l’unité d’isolement, j’ai été témoin de CX qui ont escorté un détenu exactement de la façon utilisée dans les vidéos. Le corridor en question a été mesuré lors de la visite. Compte tenu de la taille des agents, il est peu probable qu’ils puissent marcher deux de front dans un corridor de 71 pouces de largeur, ce qui expliquerait pourquoi les agents escortant le détenu N étaient en formation linéaire plutôt que placés en triangle. 

[245]  Lors du retour du détenu N à sa cellule, M. Legere a reconnu qu’il avait vu le manche à balai qui dépassait de la fente servant à passer les plateaux de nourriture dans la porte de la cellule du détenu G. Il a également admis qu’il avait dit au détenu G de cesser de [traduction] « faire chier ». Il estimait que l’affaire était close. Il ne croyait pas qu’il valait la peine de la rapporter, car selon lui, il avait réglé la question au niveau hiérarchique le moins élevé, conformément aux politiques de l’employeur. Néanmoins, il est clair qu’il aurait dû consigner l’avertissement qu’il a donné au détenu G dans les registres de l’unité. De même, ni lui ni M. Derksen n’ont jugé l’incident de la douche suffisamment significatif pour justifier la rédaction d’un rapport. En raison de ce manquement, l’employeur a demandé que je juge les fonctionnaires coupables de négligence de leur obligation de rapporter les incidents et que j’appuie sa décision de les licencier.

[246]  Il y a moins d’incertitude qui entoure les incidents des 20 et 21 juillet 2012 impliquant le recours à la force par M. Derksen contre le détenu Z. Comme je l’ai déjà mentionné, les rapports d’enquêtes sont exhaustifs et évaluent les événements de façon mesurée. Le visionnement des bandes magnétoscopiques des incidents m’a permis de voir clairement le détenu au sol qui livrait bataille aux agents. Sur les enregistrements des incidents des 20 et 21 juillet 2012, je pouvais voir M. Derksen redresser sa jambe, puis frapper brusquement du genou le corps du détenu au niveau de son épaule. Le 21 juillet, il est également manifeste que M. Derksen place le visage du détenu contre le plancher tout en mettant de la pression sur le côté de sa tête, en appliquant visiblement une technique de pression de l’os mastoïde pendant une période prolongée. M. Derksen n’a pas admis que son comportement a pu contribuer à l’agitation du détenu, ce qui a exacerbé la situation. Le recours à des coups de genou par M. Derksen en une occasion avant juillet 2012, geste pour lequel il n’a reçu ni rétroaction ni mesure disciplinaire, ne représente pas l’acceptation de ce type de recours à la force par le fonctionnaire dans de telles circonstances. La force est utilisée pour maîtriser une situation ou pour empêcher une blessure ou des dommages. L’application de la force par M. Derksen, comme en font foi les vidéos, constituait une menace pour sa sécurité et celle des autres du fait de l’agitation accrue du détenu, ce qui l’a amené à se débattre contre les agents qui tentaient de le maîtriser.

[247]  Compte tenu de tout ce qui précède, la mesure disciplinaire est justifiée à l’encontre des deux fonctionnaires parce qu’ils n’ont pas produit de rapport, ce qu’exige la Directive du commissaire 568-1. Contrairement au cas de M. Derksen, aucune preuve n’étaye l’allégation selon laquelle M. Legere a comploté avec les autres agents pour tenter de dissimuler l’incident à l’employeur. Une mesure disciplinaire est également justifiée en raison du recours inapproprié à la force par M. Derksen les 20 et 21 juillet 2012. Il s’agit de déterminer si le licenciement était justifié, et dans l’affirmative, quelle est la date d’effet appropriée de ce licenciement. Comme les autres personnes impliquées dans les mêmes situations qui n’ont pas rapporté les incidents des 11 et 12 août 2012 n’ont eu que des mesures disciplinaires mineures, et compte tenu des circonstances atténuantes exposées par l’agent négociateur, le licenciement est excessif pour cette seule infraction. Toutefois, M. Derksen a été jugé coupable de violations de la politique autres que le défaut de produire un rapport. L’ampleur du recours à la force qu’il a utilisé contre le détenu Z était excessive, selon les témoins de l’employeur, dont j’accepte le témoignage à cet égard.

[248]  Un arbitre de grief devrait réduire une sanction disciplinaire imposée par la direction seulement si elle est « nettement déraisonnable ou erronée » (voir Cooper, aux paragraphes 13 et 14). Dans le cas de M. Legere, son licenciement était manifestement déraisonnable, compte tenu de la nature de ses infractions et du genre de mesure disciplinaire imposé aux autres personnes impliquées. Compte tenu du fait qu’il est coupable d’au moins trois manquements à la présentation de rapport, ce qui va à l’encontre des politiques de l’employeur, une simple lettre de réprimande ne suffit pas pour véhiculer le message qu’un tel comportement ne sera pas toléré. Dans ces circonstances, il conviendrait d’imposer une suspension plutôt qu’un licenciement. Une suspension de 20 quarts de travail, rétroactive à la date de sa suspension pour une durée indéfinie, devrait remplacer le licenciement, et M. Legere devrait être réintégré dans son poste de CX-01.

[249]   Si la culpabilité de M. Derksen était limitée aux mêmes situations que celle de M. Legere, il bénéficierait de la même réduction de mesure disciplinaire. Toutefois, M. Derksen est davantage coupable de ce que l’employeur a dit être un recours excessif à la force, ce dont je conviens, et de sa participation à des réunions en dehors des lieux de travail avec des collègues dans le but de dissimuler la véritable nature de leur défaut de faire rapport, ce qui selon moi représente de la collusion avec ses collègues pour cacher l’incident du détenu B à son employeur. Les coups de genou auxquels il a eu recours n’étaient pas faibles, comme l’a décrit le représentant du fonctionnaire. La bande magnétoscopique fait ressortir de façon manifeste que M. Derksen a ramené sa jambe vers l’arrière, l’a étendue complètement et l’a levée du plancher pour la ramener avec force sur le côté du détenu.

[250]  D’après mon évaluation, M. Derksen n’a pas fait la preuve qu’il a vraiment compris les conséquences possibles de ses gestes et il aurait sans doute recours à ces stratégies s’il faisait face à des circonstances semblables dans l’avenir, ce qui mettrait l’établissement, les détenus et ses collègues en péril. M. Derksen a enfreint à la fois la Directive du commissaire 568-1 et le Code de conduite professionnelle en omettant de rapporter un incident, en tentant de dissimuler de l’information liée à un recours à la force auquel il a pris part et en maltraitant un détenu sous sa garde. Malgré une formation sur les méthodes appropriées de recours à la force, des cours de recyclage annuels, qui n’étaient cependant pas aussi exhaustifs ou intensifs que la formation initiale donnée aux agents correctionnels, M. Derksen a choisi d’utiliser des méthodes de maîtrise du détenu qui ne faisaient pas partie de sa formation et qui étaient effectivement excessives. L’employeur est justifié de craindre que M. Derksen adopte de nouveau ce comportement s’il demeure un employé du SCC. Par conséquent, je ne crois pas que l’employeur a agi de façon déraisonnable ou erronée lorsqu’il a décidé que le licenciement était approprié dans les circonstances.

[251]  L’agent négociateur a fait valoir qu’une décision de licencier un employé rétroactivement est ultra vires (excède les pouvoirs) de l’administrateur général de déterminer les dates d’emploi. J’ai statué sur ce même argument de la façon suivante dans la décision Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28 :

[…]

[152]  Étant donné que j’ai conclu que le licenciement était approprié en l’espèce, je dois aborder la question soulevée par le fonctionnaire quant au pouvoir de l’administrateur général d’imposer une date de licenciement rétroactive. Le fonctionnaire a affirmé que le fait de fixer une date de licenciement qui précède la date de l’audience disciplinaire équivalait à appliquer de façon rétroactive la LGFP. L’alinéa 12(1)c) de la LGFP autorise l’administrateur général à prescrire et à imposer des mesures disciplinaires, y compris le licenciement. Les articles 7 et 11.1 de la LGFP confèrent au Conseil du Trésor un vaste pouvoir illimité quant à l’établissement des grandes orientations applicables à l’administration publique fédérale, notamment pour assurer l’organisation de la fonction publique et pour déterminer et contrôler la gestion du personnel dans l’administration publique fédérale. Aux termes de l’alinéa 11.1(1)j) de la LGFP, ce pouvoir comprend la détermination des conditions de travail non prévues de façon expresse par cette disposition, aux fins de la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique. Ce pouvoir figure parmi les fonctions de gestion des ressources humaines qui sont déléguées aux administrateurs généraux pour leur ministère ou organisme. Ce pouvoir global n’est pas entravé de quelque façon que ce soit, à moins qu’une loi ou une convention collective n’impose de limites à cet égard (voir Public Service Alliance of Canada v. Canada (Canadian Grain Commission) (1986), 5 F.T.R. 51 (1re inst.), Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686, Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 110).

[153]  Lorsqu’est prise la décision d’imposer le licenciement en guise de mesure disciplinaire, il faut déterminer la date à laquelle la relation d’emploi prend fin. Le fonctionnaire est d’avis que la date appropriée du licenciement, si j’en venais à conclure que le licenciement était justifié, est la date à laquelle l’audience disciplinaire a eu lieu, soit le 14 avril 2009, quelque 10 mois après l’entrée en vigueur de la suspension. Je ne partage pas cet avis. Dans la mesure où les faits sur lesquels le licenciement est fondé existaient à la date choisie du licenciement, l’administrateur général a le pouvoir de fixer la date d’entrée en vigueur du licenciement (voir Board of Education for the City of York v. C.U.P.E., Local 994, [1994] O.L.A.A. no 1313 (QL)).

[…]

 

[252]  Enfin, la représentante des fonctionnaires a fait valoir que le temps nécessaire pour compléter le processus d’enquête a tenu lieu de mesure disciplinaire en raison des délais. Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur avait excédé la limite de un mois décrite dans Basra, 2007 CRTFP 70.

[253]  J’ai également eu l’occasion de me pencher sur cette décision récemment et j’ai déclaré ce qui suit dans Basra, 2014 CRTFP 28 :

[…]

[161]  La durée de l’enquête disciplinaire est à mon avis un autre faux problème. Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait excédé la limite d’un mois énoncée dans Basra, 2007 CRTFP 70. Le passage en question, au paragraphe 137, est le suivant :

[137] Quand le SCC prend la décision de suspendre un employé en attendant les résultats d’une enquête disciplinaire dans une situation où l’on a porté une accusation au criminel contre lui pour sa conduite en dehors de ses heures de travail, il se doit de s’empresser de mener son enquête à bien dans les meilleurs délais […]

[…] il n’est pas toujours possible de respecter la limite d’un mois décrite au paragraphe 136 de cette décision, notamment lorsque les accusations sont d’une telle nature, sans compter le manque de coopération du fonctionnaire aux fins de l’enquête de police et la durée des procédures menant au procès et de la procédure d’appel. J’admets que l’employeur ne doit pas indûment prolonger une suspension sans traitement en raison d’une enquête disciplinaire en cours, mais, à mon avis, si l’employeur démontre qu’il a fait preuve de diligence dans le déroulement de l’enquête disciplinaire, il faut lui accorder une certaine marge de manœuvre pour ce qui est de la durée de l’enquête, étant donné que la durée n’est pas toujours de son ressort. Il ne faut toutefois pas en conclure que l’employeur peut suspendre un employé sans traitement, en attendant les résultats d’une enquête, et le laisser patienter indéfiniment. Il est clair que si la déclaration de culpabilité et la peine n’avaient pas fait l’objet d’un appel, l’employeur aurait pris les mesures nécessaires pour mettre fin sans délai au processus disciplinaire.

[…]

 

[254]  Compte tenu du nombre de témoins impliqués et de la difficulté de rencontrer M. Legere, le temps nécessaire pour mener l’enquête n’était pas déraisonnable, et elle était de nature administrative. Si un enquêteur plus chevronné avait été retenu pour mener les enquêtes sur les incidents des 11 et 12 août 2012, il aurait peut-être fallu moins de temps. Toutefois, la présence d’un tel enquêteur n’aurait pas réglé le problème des retards causés par la maladie et la relocalisation subséquente de M. Legere ou par la maladie de Mme Danel, ce qui a retardé la production de son rapport. Dans le cas de M. Derksen, comme j’ai conclu que la décision de l’employeur de le licencier était raisonnable, et que l’employeur a le pouvoir de fixer rétroactivement la date de licenciement, son grief concernant la suspension sans traitement est théorique.

[255]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[256]  Les griefs dans les dossiers de la CRTFP 566-02-7818, 7819, 7820, 7821 et 8445 sont rejetés.

[257]  Le grief dans le dossier de la CRTFP 566-02-8441 est accueilli en partie.

[258]  Le fonctionnaire Legere doit être réintégré dans un poste de CX-01 à l’établissement (ou dans un autre établissement dont les parties conviennent mutuellement) dans les 90 jours suivant la présente décision, rétroactivement au 3 septembre 2012, sans perte d’ancienneté ni d’autres avantages.

[259]  Le fonctionnaire Legere devra recevoir des primes de poste et des primes de fin de semaine ainsi que les heures supplémentaires perdues sur la base de la moyenne de ces paiements faits aux CX employés à l’unité d’isolement à l’établissement entre le 3 septembre 2012 et la date de la présente décision.

[260]  Le fonctionnaire Legere devra également recevoir toutes les augmentations de salaire auxquelles il aurait eu droit n’eut été du fait qu’il a été suspendu sans traitement du 3 septembre 2012 au 20 février 2013, et toutes les augmentations auxquelles il aurait eu droit s’il avait été au travail après le 20 février 2013.

[261]  Il faudra déduire des montants dus au fonctionnaire Legere un montant égal au traitement habituellement gagné pendant une période de 20 quarts de travail par ce fonctionnaire sur la base de son horaire juste avant le 3 septembre 2012.

[262]  Je demeure saisie de cette affaire pour traiter des questions découlant de cette ordonnance pendant les 120 jours qui suivent la date de la présente décision.

Le 18 juin 2014.

 

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,

arbitre de grief

 

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