Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique contre les défendeurs - elle a allégué qu’ils avaient fait des distinctions illicites en matière d’emploi à son égard en refusant de considérer sa candidature pour des nominations intérimaires dans le cadre d’un processus de dotation, prétendument au motif qu’elle exerçait les fonctions de présidente d’un syndicat local aux moments pertinents - les défendeurs ont nié avoir enfreint la Loi et ont soulevé une objection préliminaire, affirmant que plusieurs des faits à l’appui de la plainte étaient survenus à l’extérieur du délai prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi - la plaignante était libérée de ses responsabilités auprès de l’employeur afin de s’occuper de ses responsabilités syndicales - la plaignante a soumis sa candidature à un processus de dotation mais n’a pas fait l’objet d’une nomination intérimaire - selon l’employeur, la plaignante demandait d’être nommée par intérim à un poste supérieur tout en continuant à occuper son poste syndical et en étant libérée de toutes responsabilités liées au poste - selon la plaignante, elle avait indiqué aux défendeurs qu’elle pouvait facilement se rendre disponible en confiant ses responsabilités syndicales à d’autres délégués - plusieurs des faits contre les défendeurs se sont produits bien avant le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi et ne peuvent être considérés - M. Chouinard n’a pas enfreint la Loi puisqu’il n’était pas responsable du processus de dotation et n’avait instruit personne à faire quoi que ce soit concernant ce processus - il n’a pas fait la déclaration prétendument illicite - aucun geste posé par ce dernier durant la période visée ne pourrait constituer le type de distinction visé par la Loi - soit la plaignante ne s’est pas bien exprimée pour clarifier qu’elle était prête à se libérer de ses responsabilités syndicales pour occuper un poste par intérim, soit elle n’a pas été comprise par les défendeurs - l’absence de nomination par intérim ne s’explique pas par des considérations antisyndicales, mais par les résultats de la plaignante lors du processus de dotation ou par les nécessités du service - même si M. St-Amand avait fait la déclaration alléguée par la plaignante, il n’y a aucun lien entre cette déclaration et la distinction illicite reprochée - aucun lien n’existe entre l’acte et un sentiment antisyndical - la preuve n’a démontré aucun geste ou acte de la part des défendeurs qui a eu pour effet d’empêcher sa nomination par intérim à un poste supérieur ou de créer une distinction illicite à son endroit. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-10-21
  • Dossier:  561-34-545
  • Référence:  2014 CRTFP 92

Devant une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

CLAUDIA GAL

plaignante

et

PATRICE CHOUINARD ET ANDRÉ ST AMAND

défendeurs

Répertorié
Gal c. Chouinard et St Amand


Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Marie Hélène Tougas, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour les défendeurs :
Léa Bou Karam, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec), du 25 au 27 mars et le 9 avril 2014.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1 Le 30 janvier 2012, Claudia Gal (la « plaignante ») a déposé une plainte en vertu de l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») contre Patrice Chouinard et André St-Amand (les « défendeurs »). La plaignante a allégué que les défendeurs avaient enfreint le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi en faisant des distinctions illicites en matière d’emploi à son égard, plus particulièrement en refusant de considérer sa candidature pour des nominations intérimaires dans le cadre d’un processus de dotation, prétendument au motif qu’elle exerçait les fonctions de présidente d’un syndicat local aux moments pertinents.

2 Le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi se lit comme suit :

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

3 Dans leur réponse écrite, ainsi qu’à l'audience, les défendeurs ont soulevé une objection préliminaire, affirmant que plusieurs des faits à l’appui de la plainte étaient irrecevables et qu’ils ne pouvaient être considérés puisqu’ils n’étaient pas survenus à l’intérieur du délai prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

4 Les défendeurs ont également nié avoir enfreint le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi en faisant des distinctions illicites en matières d’emploi à l’égard de la plaignante, durant la période pertinente, c’est-à-dire du 31 octobre 2011 au 30 janvier 2012.

II. Résumé de la preuve

5 Au cours de l’audience, j’ai entendu les témoignages des cinq témoins suivant : la plaignante, Serge Cléroux, un chef de groupe (un poste classifié MG-05) et délégué syndical, Patrice Chouinard, qui occupait au moment pertinent le poste de directeur du Bureau des services fiscaux (le « BSF») de Montréal à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), André St-Amand, qui occupait au moment pertinent le poste de directeur adjoint au BSF de Montréal, et Lucie Arsenault, une gestionnaire au BSF de Montréal.

6 La plaignante a témoigné qu’elle s’était jointe à l’ARC en septembre 1999. Au moment de sa plainte, la plaignante occupait un poste de vérificateur classifié AU-03. Toutefois celle-ci était libérée de ses responsabilités de vérificateur depuis avril 2010, date à laquelle elle a été nommée présidente du sous-groupe VFS (Vérification, finances, et sciences) de Montréal, un sous-groupe de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

7 À titre de présidente de ce sous-groupe, la plaignante, assistée d’un conseil exécutif composé de 9 délégués syndicaux, représentait les membres du sous-groupe VFS aux tables de consultation patronal-syndicale et aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs.

8 Dès son entrée en poste, les relations de la plaignante avec la direction, plus particulièrement M. Chouinard, ont été décrites par celle-ci comme étant tendues. La plaignante a relaté plusieurs faits concernant la relation professionnelle souvent néfaste qu’elle entretenait avec M. Chouinard durant son mandat à titre de présidente et elle a attribué toute la part du blâme à M. Chouinard. Toutefois, elle a confirmé qu’elle n’avait jamais déposé de plainte concernant les paroles ou gestes prétendument posés par M. Chouinard, à l’exception de celle qui fait l’objet de cette affaire. J’ai choisi de ne pas reproduire les prétendus gestes ou paroles de M. Chouinard, qualifiés d’intimidants, car ceux-ci était tous sans conséquence, non corroboré et avaient été posés bien avant le 31 octobre 2011. Bien que ces faits établissent, à la limite, une relation difficile ou tendu entre la plaignante et M. Chouinard, ceux-ci ne font pas partie de cette plainte et ne pourrait constituer une distinction illicite, tel que j’en conviens dans mes motifs (voir para. 36).

9 En octobre 2010, l’ARC a entamé un processus de dotation afin de créer un répertoire de candidats pouvant être nommés dans des postes de chef d’équipe classifiés MG-05 de façon intérimaire ou permanente. Selon M. Chouinard, ce processus ne relevait pas de lui mais plutôt de M. St-Amand, qui en était la personne-ressource. Aucune directive n’a été communiquée à M. Chouinard quant aux nominations potentielles qui en émaneraient. Ce fait a été corroboré par M. St-Amand lors de son témoignage.

10 En juin 2011, une douzaine d’employés, dont la plaignante, possédaient les qualifications requises pour les postes à être dotés et avaient été placés sur une liste de candidats aptes à être nommés dans de tels postes, selon le cas. Au même moment, la plaignante a fait parvenir un courriel aux différents gestionnaires du BSF de Montréal indiquant qu’elle était intéressée et disponible à occuper un poste, permanent ou intérimaire, classifié MG-05. Toutefois, lors de son témoignage, M. Chouinard a fait allusion à une conversation qu’il avait eue avec la plaignante en septembre 2011, durant laquelle celle-ci lui aurait fait savoir qu’elle désirait être nommée à un tel poste de façon intérimaire, tout en conservant ses responsabilités de présidente du sous-groupe VFS et en demeurant libérée à temps plein. Selon M. Chouinard, ce scénario lui apparaissait totalement inconcevable puisque la plaignante ne pouvait effectuer les tâches d’une chef d’équipe (poste classifié MG-05) tout en conservant ses tâches de présidente, ce qui déboutait la raison d’être d’une nomination intérimaire. M. Chouinard lui avait alors dit que si une telle nomination lui était offerte dans un avenir rapproché, elle aurait alors un choix à faire, c’est-à-dire conserver son poste de présidente syndicale et refuser la nomination ou accepter la nomination et démissionner de son poste de présidente. En contre-interrogatoire, la plaignante ne se souvenait pas de cette rencontre. Elle n’a toutefois pas nié la tenue d’une telle rencontre ou les dires de M. Chouinard.

11 Entre juin et octobre 2011, l’ARC a procédé à la nomination intérimaire de quelques candidats à des postes classifiés MG-05. La plaignante n’a pas fait l’objet d’une telle nomination. Deux exemples de telles nominations ont été déposés en preuve par la plaignante, qui a tenté de mettre en doute le bien-fondé de ces nominations. Déçue de ne pas avoir été considérée durant cette période, la plaignante a adressé ses doléances au sous-commissaire de l’ARC – région du Québec. Ce dernier lui a suggéré d’en discuter avec M. Chouinard. La plaignante a demandé une rencontre avec M. Chouinard par l’entremise de son représentant syndical, Serge Cléroux, qui lui-même occupait un poste de chef de groupe depuis 2001. La rencontre en question a été fixée au 31 octobre 2011.

12 La plaignante s’est présentée à la rencontre du 31 octobre 2011 accompagnée de M. Cléroux. M. Chouinard était accompagné de M. St-Amand puisque ce dernier était la personne-ressource du processus de dotation du poste classifié MG-05. C’est durant cette rencontre, qualifiée d’hostile par la plaignante et M. Cléroux, que M. St-Amand aurait, selon la plaignante, indiqué à celle-ci que sa candidature ne serait pas considérée pour un poste classifié MG-05 occupé par intérim puisqu’elle n’était pas disponible en raison de ses responsabilités syndicales et qu’elle ne pourrait être considérée que si un poste permanent devait être doté. La plaignante a témoigné qu’elle avait clairement indiqué à M. St-Amand qu’elle pouvait facilement se rendre disponible en confiant ses responsabilités syndicales de présidente du sous-groupe VFS à d’autres délégués. Cette partie du témoignage de la plaignante a été corroborée par M. Cléroux. En ce qui concerne le reste du témoignage de M. Cléroux, peu de faits pertinents ont été présentés. Principalement, il a tenté de peindre un portrait fort négatif de M. Chouinard en déposant en preuve un grief collectif concernant ce dernier, qui avait été signé par 11 employés de l’ARC le 20 décembre 2011.

13 Selon la plaignante, il semblait évident que son poste de présidente du sous-groupe VFS constituait le principal obstacle à une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05. La plaignante a déposé en preuve des documents confirmant la nomination intérimaire à un tel poste d’un collègue de travail qui aurait été faite après la rencontre du 31 octobre 2011 et avant le dépôt de sa plainte.

14 Lors de son témoignage, M. St-Amand a indiqué qu’au moins quatre chefs d’équipe sous sa direction faisaient partie du comité exécutif du sous-groupe syndical pour lequel la plaignante agissait à titre de présidente. Il a revu les différents instruments de politique des ressources humaines de l’ARC, plus particulièrement la politique de dotation de l’ARC. M. St-Amand m’a rappelé qu’il était important de constater que l’ARC avait à sa disposition plusieurs mesures de dotation afin de combler des besoins opérationnels temporaires, dont (i) le recours à un répertoire de candidats suite à un processus de dotation formel, (ii) l’utilisation d’avis d’intérêts, (iii) la mutation latérale de postes équivalents et (iv) les nominations sur une base ponctuelle pour une courte période. Selon lui, il n’existe pas d’ordre hiérarchique quant à la mesure à appliquer, le tout dépendant du contexte et des besoins organisationnels du département concerné. Par exemple, une nomination ponctuelle serait privilégiée pour remplacer un employé en vacances ou en congé de maladie de courte durée, car le but serait de perturber le moins possible les opérations du département concerné. De plus, même dans le cas de la nomination intérimaire d’un candidat provenant du bassin d’un processus de dotation formel, il existe plusieurs critères de placement qui peuvent être considérés par les gestionnaires voulant pourvoir des postes de façon temporaire.

15 M. St-Amand a également indiqué qu’à la demande de la plaignante, il avait rencontré celle-ci le 7 septembre 2011 afin de discuter du processus de dotation en question et qu’elle lui avait alors fait part de son désir d’être nommée par intérim à un tel poste, tout en conservant ses responsabilités de présidente du sous-groupe VFS et en demeurant libérée à temps plein. Selon M. St-Amand, l’objectif d’une nomination intérimaire est de pourvoir un poste afin de s’assurer que des tâches précises soient effectuées selon les besoins du département. Ceci nécessite donc que la personne nommée soit disponible à effectuer ces tâches. Une personne occupant le poste de président d’un sous-groupe syndical et libérée à temps plein ne pourrait pas, selon lui, être disponible à effectuer les tâches du poste de chef d’équipe à pourvoir. Pour ces raisons, M. St-Amand ne pouvait soutenir les aspirations de la plaignante lors de la rencontre du 7 septembre 2011.

16 Pour ce qui est des deux exemples de nomination intérimaire déposés par la plaignante, M. St-Amand ne voyait aucun problème avec la mesure de dotation choisie ou les candidats nommés. La première situation justifiait selon lui une nomination sur une base ponctuelle de la part de la gestionnaire concernée, Mme Arsenault, puisqu’il s’agissait de pourvoir un poste en raison d’un congé de maladie imprévu qu’on croyait initialement être de courte durée et qu’une mutation latérale de postes équivalents ne perturberait aucunement les opérations du secteur affecté. La deuxième nomination avait été effectuée à partie du bassin de candidats d’un processus formel dont faisait partie la plaignante; le candidat choisi avait obtenu les meilleurs résultats lors des évaluations des compétences. Bien que Mme Arsenault ait témoigné quant aux raisons justifiant les deux nominations intérimaires en question, je n’ai pas cru essentiel de reproduire l’ensemble de son témoignage, car celle-ci n’est pas visée par la plainte et qu’elle a confirmé n’avoir reçu aucune directive des défendeurs quant à ces nominations, ce qui n’a pas été contesté par la plaignante à l’audience.

17 Les témoignages des défendeurs quant aux propos échangés durant la rencontre du 31 octobre ne correspondent pas à ceux de la plaignante et de M. Cléroux. Selon eux, la plaignante leur a essentiellement réitéré ce qu’elle leur avait déjà exprimé séparément quelques semaines plus tôt, c’est-à-dire son désir d’être nommée par intérim à un poste classifié MG-05 tout en conservant ses responsabilités de présidente du sous-groupe VFS et en demeurant libérée à temps plein. M. St-Amand a témoigné qu’il avait durant cette rencontre avisé la plaignante bien qu’il n’avait pas été impliqué dans la sélection des candidats pour des postes intérimaire classifié MG-05, il ne la considérait pas disponible à occuper un tel poste si elle continuait d’assumer ses responsabilités de présidente du sous-groupe VFS à temps plein. Il a ajouté que si un poste classifié MG-05 devait être pourvu de façon intérimaire, le gestionnaire concerné aurait recours au répertoire de candidats faisant partie du processus de dotation pour un poste classifié MG-05, et que si la candidature de la plaignante était suggérée par le département des ressources humaines et qu’un poste lui était offert par intérim, elle aurait alors le choix d’accepter l’offre de nomination intérimaire et de démissionner de son poste de présidente du sous-groupe VFS ou de conserver son poste de présidente et de décliner l’offre. Ces faits ont été corroborés par M. Chouinard lors de son témoignage. Ce dernier a également ajouté qu’il avait également réitéré ce choix à la plaignante advenant une offre de nomination intérimaire à un poste classifié MG-05 dans un futur rapproché. Selon les défendeurs, la plaignante n’a jamais suggéré, ni lors des rencontres qui ont eu lieu en septembre 2011 ni lors de la rencontre du 31 octobre, qu’elle démissionnerait de son poste de présidente ou qu’elle accepterait de ne plus être libérée à temps plein si une telle offre de nomination lui était faite. Selon les défendeurs, la plaignante voulait être nommée par intérim à un poste classifié MG-05 et recevoir la rémunération accrue d’un tel poste, tout en continuant à occuper son poste au sein du syndicat et en étant libérée de toutes responsabilités liées audit poste. Selon les défendeurs, cela est tout simplement incompatible avec la raison d’être d’une nomination intérimaire et les besoins organisationnels de l’ARC.

18 Durant son témoignage, la plaignante a critiqué à plusieurs reprises les pratiques de dotation de l’ARC, ainsi que plusieurs nominations intérimaires faites par l’ARC durant les douze mois précédents sa plainte. Ce genre de doléance aurait dû faire l’objet d’une ou de plusieurs plaintes au Tribunal de la dotation de la fonction publique, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Il va sans dire que si ce tribunal avait conclu que les nominations en question avaient été faites selon les règles de l’art, la plaignante ne pourrait certainement pas fonder sa plainte sur cette preuve. Dans le cas contraire, j’aurai pu tenir compte de certains de ces faits si un lien quelconque avec la plainte avait été établi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Aucune preuve documentaire à cet égard n’a été déposée durant l’audience, à l’exception de deux avis de nomination intérimaire de moins de 6 mois. De plus, en contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé qu’il existait plusieurs façons de doter un poste et que, dans certaines situations, l’ARC pouvait procéder à des nominations intérimaires sans avoir recours à un processus de dotation, par exemple pour combler un congé de maladie, ce qui était le cas dans un des deux avis de nomination intérimaire déposés par la plaignante.

19 La plaignante a quitté son poste de présidente du sous-groupe VFS en avril 2012. Quelques mois plus tard, elle a accepté une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05. Elle occupait toujours ce poste au moment de l’audience.

20 Lors de son témoignage, M. Chouinard n’a pas nié que les relations patronales-syndicales étaient tendues entre 2009 et 2011. Il a fait le constat d’une période difficile marquée par des allégations de corruption, des enquêtes internes, des congédiements, des agressions physiques à l’endroit d’un gestionnaire et d’une couverture médiatique négative. Selon ce dernier, il était constamment en gestion de crise.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

21 La plaignante a soutenu qu’en vertu du paragraphe 191(3) de la Loi, il incombe aux défendeurs de démontrer qu’ils n’ont pas fait de distinction illicite en matière d’emploi à son égard parce qu’elle était au moment pertinent une dirigeante d’une organisation syndicale. Selon elle, ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

22 Plus particulièrement, la plaignante a maintenu que les propos de M. St-Amand lors de la rencontre du 31 octobre 2011 représentaient clairement une distinction illicite à son égard et que cette distinction était uniquement motivée par le fait qu’elle occupait au moment en question le poste de présidente d’un sous-groupe syndical de l’ARC. Sur ce point, elle m’a renvoyé à Stonehouse et Canada (Conseil du Trésor), Dossier de la C.R.T.F.P. 161-2-137 (19770524) (voir les paragraphes 56 – 58).

23 Selon la plaignante, les faits ont démontré que son poste au sein de l’organisation syndicale et la perception de l’employeur qu’elle n’était pas disponible constituait le principal obstacle à une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05, et cela malgré le fait qu’elle avait indiqué aux défendeurs qu’elle serait disponible.

24 La plaignante a soutenu qu’il existait deux versions des propos échangés lors de la rencontre du 31 octobre 2011, soit celle qu’elle a présentée lors de son témoignage, qui a été corroborée par M. Cléroux, et celle présentée par les défendeurs. Selon la plaignante, devant une telle situation, je me dois de croire la personne qui affirme une allégation (dans ce cas la plaignante) plutôt que celle qui nie l’allégation (dans ce cas les défendeurs). À l’appui de cet argument, la plaignante m’a renvoyé à une décision de 1897, Lefeunteum c. Beaudoin (1897), 28 R.C.S. 89, dans laquelle le juge Taschereau faisait les commentaires suivants :

I have only one additional reason to give for our interference upon a question of fact with the concurrent findings of the two courts below it is that it appears to me to have been lost sight of that it is a rule of presumption that ordinarily a witness who testifies to an affirmative is to be credited in preference to one who testifies to a negative, magis creditur duobus testibus affirmantibus quam mille negantibus, because he who testifies to a negative may have forgotten a thing that did happen, but it is not possible to remember a thing that never existed.

Then as to the various conversations upon which an important part of the case turns, the following sentence of the Master of Rolls in Lanev. Jackson, has full application.

I have frequently stated that where the positive fact of a particular conversation is said to have taken place between two persons of equal credibility, and one states positively that it took place, and the other as positively denies it, I believe that the words were said, and that the person who denies their having been said has forgotten the circumstance. By this means, I give full credit to both parties.

In Chowdry Deby Perad v. Chowdry Dowlut Sing, Mr. Baron Parke remarks:

In estimating the value of the evidence, the testimony of a person who swears positively that a certain conversation took place, is of more value than that of one who says that it did not, because the evidence of the latter may lie explained by supposing that his attention was not drawn to the conversation at the time.

25 Au soutien de ses arguments, la plaignante m’a également renvoyé à : Lamarche c. Marceau, 2007 CRTFP 18, Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, et Sheraton Ltd. and Hotel and Club Employees’ Union Local 299 (1980), 26 L.A.C. (2d) 122.

B. Pour les défendeurs

26 Les défendeurs ont soutenu qu’en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, les circonstances donnant lieu à la plainte de la plaignante doivent avoir eu lieu dans les 90 jours précédant la date de présentation de ladite plainte, c’est-à-dire entre le 31 octobre 2011 et le 30 janvier 2012, soit la date de présentation de la plainte. Selon eux, plusieurs des faits qui leurs sont reprochés se sont produits bien avant ce délai de 90 jours et je n’ai donc pas le pouvoir de décider si ces faits constituent des pratiques déloyales de travail.

27 Les défendeurs ont soutenu également que le point culminant à l’appui de la plainte en question aurait eu lieu lors de la rencontre du 31 octobre 2011 et qu’aucun acte, geste ou parole étant survenu durant cette rencontre ne pourrait représenter une pratique déloyale de travail. Ils ont ajouté qu’il n’existait aucun lien entre le fait que la plaignante n’ait pas été nommée par intérim à un poste classifié MG-05 avant la présentation de sa plainte et son adhésion à une organisation syndicale.

28 Selon l’avocate des défendeurs, aucun acte ou geste illicite ou à saveur antisyndicale n’a été posé par les défendeurs entre le 31 octobre 2011 et le 30 janvier 2012. De plus, à l’exception du fait que M. St-Amand était la personne ressource du processus de dotation d’un poste classifié MG-05, les défendeurs n’étaient aucunement impliqués, directement ou indirectement, dans les nominations de ce processus et n’ont donné aucune directive ou mot d’ordre aux gestionnaires responsables de ces nominations. À ce sujet, les défendeurs ont soutenu que puisqu’ils n’avaient aucun contrôle sur les nominations émanant de ce processus, aucun lien ne pouvait être, ni n’a été, établi entre les échanges du 31 octobre 2011 et la distinction illicite reprochée.

29 Les défendeurs ont fait valoir que bien que deux versions contradictoires étaient ressorties de la preuve concernant les discussions des parties sur la disponibilité de la plaignante pour une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05 lors de la rencontre du 31 octobre 2011, leur version devrait être privilégiée, puisque les témoignages de la plaignante et de M. Cléroux étaient truffés d’inconsistances quant aux faits soutenant la plainte.

30 Selon les défendeurs, le fait que la plaignante n’ait pas fait l’objet d’une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05 avant sa plainte ne s’explique pas par des considérations illicites ou antisyndicales mais plutôt par les résultats obtenus par celle-ci lors du processus de dotation en question. Les critères utilisés par les gestionnaires concernés lors de ce processus de dotation étaient, selon eux, parfaitement légitimes compte tenu des besoins opérationnels de l’ARC au moment en question.

31 Finalement, les défendeurs ont soutenu qu’ils s’étaient acquittés du fardeau qui leur était imposé en vertu du paragraphe 191(3) de la Loi.

IV. Motifs

32 La plaignante a allégué que les défendeurs avaient enfreint l’alinéa 186(2)a) de la Loi en faisant des distinctions illicites en matière d’emploi à son égard, plus particulièrement en refusant de considérer sa candidature pour des nominations intérimaires à des postes classifiés MG-05 dans le cadre d’un processus de dotation, prétendument au motif qu’elle exerçait les fonctions de présidente d’un syndicat local aux moments en question.

33 En vertu du paragraphe 191(3) de la Loi, la présentation par écrit d’une plainte faisant état d’une telle contravention constitue une preuve de la contravention et il incombe alors aux défendeurs de prouver le contraire.

34 Toutefois, je suis d’accord avec l’argument des défendeurs voulant que plusieurs des faits qui leurs sont reprochés se sont produits bien avant le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi, et que je ne peux donc décider si ces faits constituent des pratiques déloyales de travail. Ce délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) est de rigueur et il se doit d’être respecté. Ce raisonnement est conforme aux décisions antérieures de la Commission, notamment dans Gignac c. Fradette, 2009 CRTFP 18 et Walters c. Public Service Alliance of Canada, 2008 CRTFP 106.

35 Pour ce qui est de M. Chouinard, il m’est impossible de conclure que celui-ci s’est livré à de telles distinctions illicites à l’égard de la plaignante durant la période pertinente, c’est-à-dire du 31 octobre 2011 au 30 janvier 2012, puisqu’il n’était pas responsable du processus de dotation en question. Il n’a instruit personne à faire quoi que ce soit concernant ce processus et ce n’est pas lui qui aurait fait la déclaration prétendument illicite.

36 Même si j’en convenais que la relation professionnelle entre la plaignante et M. Chouinard n’était pas des plus amicale ou que celui-ci avait posé certains gestes ou paroles déplacés, il n’en demeure pas moins que les faits à l’appui de la prétendue distinction illicite doivent avoir été posés avant la date butoir, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Aucun geste ou acte posé par M. Chouinard entre le 31 octobre 2011 et le 30 janvier 2012, ne pourrait constituer le type de distinction illicite visé par l’alinéa 186(2)a) de la Loi.

37 Les défendeurs ont présenté une compréhension des propos échangés lors de la rencontre du 31 octobre 2011 bien différente de celle exprimée par la plaignante et M. Cléroux lors de leurs témoignages. Il me semble plausible que les parties n’aient pas communiqué leurs positions respectives aussi clairement qu’ils croyaient l’avoir fait ou encore qu’ils ont mal interprété leurs positions respectives. Il va sans dire que si l’une des parties avait communiqué par écrit sa compréhension de la discussion de la rencontre du 31 octobre 2011, cela les aurait forcés à clarifier leurs positions respectives, ce qui n’est malheureusement pas le cas en l’espèce.

38 Bien que j’accepte qu’il existe deux versions des propos ayant été échangés lors de la rencontre du 31 octobre 2011, je ne souscris pas à la revendication de la plaignante voulant que je doive privilégier la version de la personne qui affirme une allégation. Le paragraphe 191(3) de la Loi représente un renversement du fardeau de la preuve et force donc les défendeurs à nier ou à prouver le contraire des allégations de la plaignante. Si la prétention de la plaignante s’appliquait rigidement, aucun défendeur ne pourrait s’acquitter du fardeau imposé par ce paragraphe. Pour ce qui est de Lefeunteum, je ne crois pas que le juge Taschereau avait devant lui un renversement du fardeau de la preuve semblable à celui qui s’applique en l’espèce. De plus, l’affaire Lefeuteum traitait de témoignages qui étaient aussi crédible l’un que l’autre, ce qui n’est pas le cas en espèce puisque je suis d’avis que la version de l’employeur est plus crédible. Finalement, non seulement les défendeurs ont-ils nié avoir entendu la plaignante affirmer qu’elle abandonnerait son poste de présidente du sous-groupe VFS si elle était nommée par intérim à un poste classifié MG-05 lors de la rencontre du 31 octobre, mais ils ont également allégué l’avoir entendu affirmer le contraire. Le principe énoncé dans Lefeunteum pourrait donc facilement s’appliquer à l’encontre de la plaignante.

39 Pour ce qui est du témoignage de M. Cléroux, ce dernier était peu pertinent et extrêmement biaisé, de même que celui de la plaignante. Il semblait évident qu’ils tentaient de revendiquer la plainte collective du 20 décembre 2011 et non celle qui fait l’objet dans cette affaire. Ayant considéré l'ensemble de la preuve, je n'estime pas que le témoignage de ces deux témoins, tel qu’il a été présenté lors de l’audience, et en particulier en ce qui a trait aux récits présentés dans le cadre de leurs témoignages, soit en harmonie avec la prépondérance des probabilités selon laquelle une personne réaliste et bien informée trouverait ces récits raisonnables dans les circonstances (Faryna c. Chorny). J'ai trouvé leurs témoignages plutôt improbables et intéressés.

40 Contrairement à Stonehouse, les défendeurs ont donné à la plaignante l’occasion de s’expliquer lors de la rencontre du 31 octobre 2011. Malheureusement, celle-ci ne s’est tout simplement pas bien exprimée ou elle n’a pas été bien comprise par les défendeurs. Contrairement aux faits dans Lamarche, les défendeurs n’ont pas invoqué un prétexte visant à masquer la véritable raison de ne pas prendre en considération sa candidature. Les préoccupations de la gestionnaire concernée étaient légitimes et raisonnablement fondées sur les besoins opérationnels de l’ARC.

41 En ce qui concerne les critiques de la plaignante quant aux pratiques de dotation de l’ARC et au bien-fondé de certaines nominations intérimaires effectuées par l’ARC, ce n’est pas mon rôle de statuer sur ce genre de doléances dans le cadre d’une plainte de pratique déloyale fondée sur l’alinéa 186(2)a) de la Loi. Tel qu’il a été soutenu par les défendeurs, le fait que la plaignante n’ait pas fait l’objet d’une nomination intérimaire à un poste classifié MG-05 avant sa plainte ne s’explique pas par des considérations antisyndicales mais plutôt par les résultats obtenus par celle-ci lors du processus de dotation d’un poste classifié MG-05 ou par des explications reliés aux nécessités du service. Ce point a été parfaitement illustré lors de la nomination du 7 novembre 2011, alors que le candidat choisi avait obtenu des résultats supérieurs à ceux de la plaignante, un fait qui n’a pas été nié ou contesté par la plaignante lors de son témoignage.

42 Advenant que M. St-Amand ait fait la déclaration que la plaignante lui reproche d’avoir dit lors de la rencontre du 31 octobre 2011, existe-t-il alors un lien entre cette présumée déclaration et la distinction illicite reprochée? La réponse à cette question est non si je me fie à la preuve entourant la nomination du 7 novembre 2011, la seule nomination à un poste classifié MG-05 qui a été faite durant la période pertinente. Pour ce qui est de cette nomination, Mme Arsenault a témoigné qu’elle avait rempli un formulaire pour une nomination à un poste classifié MG-05, qu’elle avait choisi de procéder à même le bassin de candidats du processus de dotation d’un poste classifié MG-05, qu’elle avait choisi des critères de sélection couramment utilisés pour ce type de nomination, qu’elle n’avait dans aucun cas exclu la candidature de la plaignante, qu’elle avait remis son formulaire de nomination au département des ressources humaines qui s’était chargé d’appliquer les critères de sélection aux candidats faisant partie du bassin et de fournir une liste de candidats potentiels pour la nomination en question, que le nom de la plaignante ne figurait pas sur la liste, que le nom du candidat choisi figurait au premier rang de la liste, qu’elle n’avait reçu aucune directive des défendeurs de ne pas considérer ou d’exclure la plaignante et qu’elle n’avait elle-même pas donné de telles directives au département des ressources humaines. Les défendeurs n’étaient donc pas en mesure de faire une distinction illicite à l’endroit de la plaignante en ce qui concerne cette nomination. Le lien nécessaire entre l’acte et le sentiment antisyndical n’est tout simplement pas existant dans cet exemple. En fait, aucun lien de ce genre n’existe dans la preuve qui a été présentée de part et d’autre.

43 Je ne peux m’empêcher de mentionner une fois de plus l’absence d’implication, de participation ou de directive de la part des défendeurs lors de l’unique nomination du BSF de Montréal qui m’a été présentée pour la période pertinente. La preuve n’a démontré aucun geste ou acte de la part des défendeurs qui ont eu pour effet d’empêcher la nomination par intérim de la plaignante à un poste classifié MG-05 durant la période pertinente ou de créer une distinction illicite à son endroit. Les propos échangés lors de la rencontre du 31 octobre 2011 entre les parties ne constituent pas dans les circonstances une distinction illicite en matière d’emploi. De plus, je préfère le témoignage posé, cohérent et crédible de M. St-Amand à celui de la plaignante et de M. Cléroux. Son témoignage a clairement établi qu’il tentait simplement d’indiquer à la plaignante qu’elle ne pouvait s’attendre à être considérée par les gestionnaires concernés comme étant disponible à occuper un poste de chef d’équipe intérimaire et à recevoir la rémunération associée à ce poste, tout en continuant à occuper son poste de présidente du sous-groupe VFS et en étant libérée de toutes responsabilités liées au poste de chef d’équipe. Sa version, entièrement corroborée par M. Chouinard, ne constitue d’aucune façon une distinction illicite au sens de l’alinéa 186(2)a) de la Loi. Le fait d’exclure la plaignante d’une nomination intérimaire sur la base de sa non-disponibilité ne constitue pas, si l’on tient compte de la raison d’être d’une telle nomination et des besoins opérationnels applicables, un acte illicite ou une distinction anti-syndicale.

44 Je suis donc satisfait que la preuve présentée par les défendeurs a démontré qu’aucune contravention du paragraphe 186(2) de la Loi n’a eu lieu à l’égard de la plaignante entre le 31 octobre 2011 et le 30 janvier 2012.

45 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

46 La plainte est rejetée.

47 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 21 octobre 2014.

Stephan J. Bertrand,
une formation de la Commission
des relations de travail dans la fonction publique

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