Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a célébré des fêtes religieuses orthodoxes et avait demandé un congé annuel pour les célébrer peu avant les jours fériés désignés pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux - l’employeur avait accepté la demande de congé annuel - peu après les jours fériés désignés pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé un congé payé à la place - l’employeur a rejeté la demande de congé payé du fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué une discrimination préjudiciable, puisque les employés qui célèbrent le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux bénéficient de jours de congé payés, alors qu’il devait utiliser des jours de congé annuel qu’il avait gagné - lorsqu’il a rejeté le grief, l’arbitre de grief a indiqué que la seule question dont il était saisi était de déterminer si l’employeur avait rempli ses obligations de prendre des mesures d’adaptation - l’arbitre de grief a considéré que les mesures d’adaptation offertes par l’employeur remplissaient les critères prévus par la jurisprudence - les mesures d’adaptation n’ont pas à être parfaites - la convention collective prévoyait des possibilités raisonnables pour permettre au fonctionnaire s’estimant lésé de remplir ses obligations religieuses, y compris d’autres possibilités que l’utilisation de jours de congé annuel - à l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu qu’il aurait dû avoir le droit de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, afin d’éviter de prendre des congés annuels pour célébrer les fêtes orthodoxes - l’arbitre de grief a jugé que rien ne prouvait que la solution du fonctionnaire s’estimant lésé a été proposée avant sa première demande de congé annuel - l’arbitre de grief a remarqué que, si le fonctionnaire s’estimant lésé ne dit pas à l’employeur qu’il a besoin d’une mesure d’adaptation ou en veut une, l’employeur ne peut mettre en œuvre de solution, puisqu’il ne sait pas qu’une mesure d’adaptation est demandée - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas rempli son obligation dans le cadre du processus de mesures d’adaptation, puisqu’il n’a pas fait connaître sa demande à l’employeur à un moment qui aurait permis à l’employeur d’y répondre. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-09-19
  • Dossier:  566-34-4484
  • Référence:  2014 CRTFP 86

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ANTON PAUL ANDRES

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Andres c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
John G. Jaworski, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Steve Eadie, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Sean Kelly, avocat principal
Affaire entendue à London (Ontario) le 28 mars 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Anton Paul Andres (le « fonctionnaire ») est employé par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC » ou l’« employeur »). Il est vérificateur au Bureau des services fiscaux (le « BSF ») de London, en Ontario.

2 Le 24 avril 2009, le fonctionnaire a présenté un grief, dont le texte suit :

[Traduction]

Je présente un grief parce que je n’ai pas eu de congé payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, les 17 et 20 avril 2009, respectivement.

Un congé payé est accordé pour la célébration du Vendredi saint et du lundi de Pâques des catholiques occidentaux. Par conséquent, aux termes de la clause 43.01 de la convention collective, un congé payé devrait aussi être accordé aux chrétiens orthodoxes pour qu’ils puissent célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

3 À titre de réparation, le fonctionnaire a demandé un congé payé pour le congé qu’il a pris pour célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes les 17 et 20 avril 2009.

4 L’employeur a rejeté le grief et a souligné que le fonctionnaire avait demandé un congé annuel pour les jours visés. Le congé lui a été accordé.

II. Résumé de la preuve

5 Le fonctionnaire a témoigné en son nom. L’employeur a cité James Taylor à témoigner. Il est le gestionnaire de la vérification de la Division de la vérification de l’ARC au BSF de London. Le fonctionnaire relevait de Alan Ball qui, à son tour, relevait de M. Taylor.

6 Le fonctionnaire, un vérificateur de la TVH, est employé par l’ARC depuis 1992. Il travaille une semaine normale de travail, soit sept heures et demie (7,5) par jour ou trente-sept heures et demie (37,5) heures par semaine, et ce, du lundi au vendredi.

7 Le fonctionnaire est un chrétien orthodoxe. Il a expliqué que la date de certains jours fériés constituait l’une des différences entre les rites de l’Église orthodoxe et ceux de l’Église chrétienne occidentale. Les rites chrétiens orthodoxes respectent le calendrier « julien » ou l’« ancien » calendrier, alors que les rites chrétiens occidentaux respectent le calendrier grégorien ou le « nouveau » calendrier, qui est habituellement utilisé en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest pour les jours, les mois et les années.

8 La clause 12.01 de la convention collective établit 12 jours fériés désignés payés (« JFDP »). Cette convention a été conclue le 22 août 2005 entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour le groupe « Vérification et personnel financier et scientifique » (la « convention collective »). Elle expirait le 21 décembre 2007. Deux des JFDP sont le Vendredi saint et le lundi de Pâques.

9 En 2009, le Vendredi saint et le lundi de Pâques, selon les rites chrétiens occidentaux, étaient respectivement les 10 et 13 avril. Selon les rites chrétiens orthodoxes, le Vendredi saint et le lundi de Pâques étaient une semaine plus tard, soit les 17 et 20 avril respectivement.

10 La clause 17.19 de la convention collective, intitulée « Obligations religieuses », est rédigée en ces termes :

17.19 Obligations religieuses

a) L’Employeur fait tout effort raisonnable pour tenir compte des besoins de l’employé qui demande un congé pour remplir ses obligations religieuses.

b) Les employés peuvent, conformément aux dispositions de la présente convention, demander un congé annuel, un congé compensatoire ou un congé non payé pour d’autres motifs afin de remplir leurs obligations religieuses.

(c) Nonobstant l’alinéa 17.19b), à la demande de l’employé et à la discrétion de l’Employeur, du temps libre payé peut être accordé à l’employé afin de lui permettre de remplir ses obligations religieuses. Pour compenser le nombre d’heures payées ainsi accordé, l’employé devra effectuer un nombre équivalent d’heures de travail dans une période de six (6) mois, au moment convenu par l’Employeur. Les heures effectuées pour compenser le temps libre accordé en vertu du présent paragraphe ne sont pas rémunérées et ne doivent pas entraîner aucune dépense additionnelle pour l’Employeur.

(d) L’employé qui entend demander un congé ou du temps libre en vertu du présent article doit prévenir l’Employeur le plus longtemps d’avance possible mais au moins quatre (4) semaines avant la période d’absence demandée.

11 La pièce G-2 est un document de trois pages contenant différents échanges de courriels. À la première page, on retrouve un courriel daté du 9 avril 2009, destiné à M. Ball, dans lequel le fonctionnaire a indiqué [traduction] « Je veux prendre du temps de congé annuel les 17 et 20 avril ».

12 La deuxième page de la pièce G-2 est un courriel envoyé par le fonctionnaire le 14 avril 2010 (le Vendredi saint et le lundi de Pâques de l’Église occidentale), à l’intention de M. Ball :  

[Traduction]

[…]

Ce vendredi et le lundi suivant sont le Vendredi saint et le lundi de Pâques de l’Église orthodoxe dont, comme vous le savez, je suis membre.

La clause 17.19 de notre convention collective prévoit un congé non payé pour des obligations religieuses. Cependant, la clause 43.01 indique qu’« Il n’y aura aucune discrimination […] à l’égard d’un employé du fait de […] sa confession religieuse […] ». Par conséquent, je vous demande de m’accorder un congé payé pour ce vendredi 17 avril et ce lundi 20 avril.

[…]

13 La troisième page de la pièce G-2 présente une chaîne de courriels qui commence par un courriel daté 16 avril 2009 à 11 h 32. Le fonctionnaire y écrivait ce qui suit à M. Ball :

[Traduction]

[…]

Merci de m’avoir rencontré aujourd’hui relativement à ma demande de congé payé pour ce vendredi et lundi prochain pour les célébrations du Vendredi saint et du lundi de Pâques orthodoxes.

Le présent courriel vise à confirmer la réponse de la direction de ne pas accueillir ma demande, puisque la convention collective permet un congé non payé pour obligations religieuses aux termes de la clause 17.19.

Je ne demanderai pas de congé non payé aux termes de la clause 17.19, mais je poursuis ma demande de congé annuel déjà approuvée pour vendredi et lundi.

[…]

14 Le 16 avril 2009, à 13 h 8, M. Ball a répondu au courriel du fonctionnaire envoyé le même jour à 11 h 32. M. Ball a répondu au fonctionnaire : [traduction] « Pour être clair, la clause 17.19b) prévoit aussi des congés annuels ou compensatoires ».

15 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait tout d’abord demandé un congé annuel pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, d’où son courriel du 9 avril 2009. Il a indiqué qu’il avait, par le passé, compensé les congés pris. Cependant, avec une famille, il trouvait plus facile de prendre du temps de congé annuel. Le fonctionnaire a témoigné qu’au moment où il a envoyé son deuxième courriel, le 14 avril 2009, soit le jour suivant le lundi de Pâques des catholiques occidentaux, il s’était demandé [traduction] « Pourquoi devrais-je prendre un congé annuel alors que ceux qui ne célèbrent pas les Pâques de l’Église orthodoxe n’ont pas à utiliser des congés annuels accumulés pour célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux? ».

16 Le fonctionnaire a affirmé qu’en 2009, il connaissait la clause 17.19 de la convention collective. Pour les années antérieures à 2009, il utilisait la clause 17.19c) de la convention collective et compensait les deux jours de congé payé accordés pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

17 Le fonctionnaire a confirmé, en contre-interrogatoire, qu’il avait rencontré son chef d’équipe, qui est aussi membre de l’IPFPC, et que ce dernier lui avait offert toutes les options relatives aux obligations religieuses prévues à la clause 17.19c) de la convention collective. Il a dit à son chef d’équipe qu’il ne voulait pas prendre un congé payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes et reprendre ensuite ce temps. La date de cette discussion ne m’a pas été donnée.

18 Le fonctionnaire a aussi reconnu avoir envoyé un courriel daté du 14 avril 2009 où il demandait un congé payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, au lieu d’utiliser ses crédits de congé annuel pour ces dates. Il a aussi reconnu que, dans son grief (pièce G-1), il n’a pas demandé le remboursement de ses crédits de congé annuel; il a plutôt demandé un congé payé pour ces jours. Dans son témoignage, le fonctionnaire a indiqué qu’il s’agissait du seul moyen, à son avis, de demander un remboursement.

19 Lors de son interrogatoire principal, le fonctionnaire a indiqué que, s’il célébrait les Pâques des catholiques occidentaux, il n’aurait pas à utiliser deux jours de congé annuel et que, par conséquent, il voulait célébrer les Pâques de l’Église orthodoxe sans utiliser de jours de congé annuel. Selon lui, étant donné qu’il ne célèbre les Pâques des catholiques occidentaux, il serait approprié qu’il ait le droit de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux et, qu’en échange, il ne travaille pas le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes et qu’il ait droit à un congé payé pour ces jours. Selon lui, il s’agit d’un compromis équitable.

20 À la question de son représentant à savoir pourquoi il avait formulé son grief d’une telle façon, le fonctionnaire a répondu qu’on ne lui avait pas permis de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux et qu’il avait dû prendre des congés annuels pour célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Selon lui, il s’agissait du seul moyen de réclamer le temps.

21 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas mentionné, dans la pièce G-2 ou son grief, la possibilité de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Il a reconnu avoir demandé ce qui était écrit dans les documents. Il a indiqué avoir fait sa demande il y a longtemps et qu’il ne se souvenait pas comment il l’avait faite, mais il se souvenait qu’il voulait avoir congé et être payé.

22 Le fonctionnaire est représentant syndical. En contre-interrogatoire, il a reconnu que, selon lui, sa compréhension de la convention collective était meilleure que celle de la plupart des employés. Il a confirmé être au courant que lorsqu’un employé travaille un JFDP, cela entraînait le paiement d’un taux majoré.

23 Le fonctionnaire a reconnu, en contre-interrogatoire, avoir demandé un congé payé aux termes de la clause 17.19 de la convention collective au cours de la procédure applicable aux griefs. Le fonctionnaire a de plus confirmé qu’il ne se souvenait pas avoir expliqué au représentant de l’employeur les raisons pour lesquelles il ne trouvait pas acceptables les possibilités prévues à la clause 17.19 de la convention collective.

24 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé que la requête présentée à la pièce G2, soit le courriel du 16 avril 2009, était la seule demande qu’il avait présentée. Il a ensuite affirmé avoir présenté la demande après avoir demandé à travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

25 Le fonctionnaire a présenté quelques options en ce qui concerne la possibilité de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, dont le travail de la maison ou l’ouverture du bureau pour lui et tout autre employé voulant travailler ces jours-là. En échange, il pourrait avoir un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

26 Le fonctionnaire a souligné avoir travaillé de la maison par le passé. En tant que vérificateur, il lui arrive aussi de travailler en dehors du bureau et de se déplacer aux lieux d’affaires de contribuables. De plus, lorsque les vérificateurs travaillent à l’extérieur du bureau, ils terminent souvent leur travail à la maison après avoir visité le lieu d’affaires d’un contribuable si, en raison du temps, il n’est pas logique de retourner au bureau. M. Taylor a confirmé l’existence de cette pratique. M. Taylor a aussi indiqué que, lorsque les vérificateurs prennent la route pour se rendre au lieu d’affaires de contribuables, ils utilisent généralement leur propre véhicule. Il a toutefois mentionné que, dans certaines situations, un véhicule de l’ARC leur était offert.

27 Le fonctionnaire et M. Taylor ont témoigné que le travail de la maison n’était généralement pas encouragé. En 2009, le travail de la maison était rarement autorisé. Le fonctionnaire a témoigné ne pas avoir travaillé de la maison dans les six mois avant ou après avril 2009.

28 M. Taylor a expliqué les raisons pour lesquelles il n’était pas possible de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, notamment parce que le BSF de London est fermé et que personne n’y a accès ces jours-là. Malgré la présence d’un commissaire de service, l’accès à l’édifice est restreint. Une autorisation doit être obtenue d’un directeur pour y avoir accès en dehors des heures d’ouverture. Aucune clé n’est donnée aux employés et les alarmes des étages sont armées. De plus, ni directeur ni chefs d’équipe ne seraient disponibles pour les employés. Selon M. Taylor, la nature du travail effectué par des vérificateurs tels que le fonctionnaire nécessite qu’ils travaillent beaucoup avec leurs chefs d’équipe, donc les chefs d’équipe doivent être disponibles pour les vérificateurs lorsque ces derniers travaillent.

29 M. Taylor a expliqué les raisons pour lesquelles le travail à la maison était rare. Il a indiqué que des préoccupations de santé et sécurité liées au travail de la maison s’ajoutent au besoin d’avoir un chef d’équipe présent. Selon M. Taylor, le lieu de travail est régi par la partie II du Code canadien du travail. L’employeur est donc responsable de la sécurité des employés. En ce qui concerne les questions de sécurité, des vérificateurs tels que le fonctionnaire traitent des renseignements confidentiels et de nature délicate sur les contribuables. Il est donc impératif que ces renseignements restent sécurisés.

30 M. Taylor a indiqué n’avoir jamais discuté de ces questions avec le fonctionnaire, même si ce dernier relevait indirectement de lui dans la chaîne de l’organisation. Il a témoigné que le fonctionnaire présentait ses demandes de congé à M. Ball, puis que M. Ball et lui-même en discutaient.

31 M. Taylor a témoigné que le fait de travailler un JFDP entraîne une rémunération à un taux majoré aux termes de la convention collective.

32 M. Taylor a admis en contre-interrogatoire que l’édifice pouvait être ouvert le JFDP. Il a également reconnu qu’il pouvait y avoir des circonstances où d’autres personnes pouvaient être autorisées à entrer dans l’édifice en dehors des heures de travail normales du lundi au vendredi. Il a aussi affirmé que le bureau n’avait jamais été ouvert un JFDP et qu’il ne pensait pas que cela arriverait.

33 Le fonctionnaire a témoigné avoir cru comprendre que les exigences du travail à la maison étaient d’avoir un espace de travail privé et un classeur fermé à clé. M. Taylor a confirmé en contre-interrogatoire qu’il s’agissait des exigences en matière de sécurité.

34 M. Taylor a indiqué qu’il connaissait bien les mesures d’accommodement et a admis qu’un accord ou une entente pouvait être conclu lorsqu’il y avait entente entre l’employeur, l’employé et l’agent négociateur en ce qui concerne des mesures d’accommodement pour obligations religieuses. Cependant, il a indiqué qu’il n’était pas au courant de telles mesures d’accommodement en marge de la convention collective.

35 Comme il est indiqué au paragraphe 9 de la présente décision, le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en 2009 étaient les 10 et 13 avril respectivement. Cependant, ce fait n’était mentionné dans aucun des éléments de preuve présentés durant l’audience, que ce soit au moyen de documents ou de témoignage oraux. La date de Pâques de n’importe quelle année donnée est de notoriété publique.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

36 Les arguments du fonctionnaire sont fondés sur quatre secteurs :

  1. Discrimination;
  2. Ce qui constitue une mesure d’accommodement raisonnable; quelles sont les limites de la contrainte excessive;
  3. Les arrangements pris en vue d’accommoder le fonctionnaire s’estimant lésé;
  4. Réparation.

37 La position du fonctionnaire est qu’il s’agit d’une affaire de discrimination préjudiciable et que l’employeur n’a pas pris de mesure d’accommodement à son égard conformément à l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la« LCDP »). En l’espèce, le motif aux termes de l’article 3 de la LCDP  est la religion. Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que la clause 43.01 de la convention collective, dont le texte suit, prévoit la même protection contre la discrimination.

43.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique ou nationale, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale ou physique, une condamnation pour laquelle l’employé a été gracié, son adhésion au syndicat ou son activité dans l’Institut.

38 Le fonctionnaire a indiqué qu’aucune discussion sérieuse n’avait été engagée et que c’est pourquoi il soutient avoir droit au remboursement de ses crédits de congé annuel, de même qu’au versement d’un congé payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

39 Le fonctionnaire n’a pas affirmé être à court d’argent. Il n’a pas non plus plaidé que, en vertu de ses obligations religieuses, il avait absolument droit à un congé payé. Le fait que l’employeur n’ait aucunement tenu compte de ses besoins est la raison pour laquelle il devrait recevoir un paiement. Il a soutenu avoir proposé une mesure d’accommodement raisonnable et affirmé que l’employeur ne lui avait donné aucune raison voulant que la mesure soit déraisonnable.

40 Selon le fonctionnaire, le fait de lui accorder un changement d’horaire lui permettant de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, puis d’être en congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes aurait été un moyen simple et rapide de régler la question de la mesure d’accommodement. Il aurait dû avoir le droit de célébrer ses propres Pâques au lieu celles d’autres personnes, ce qui est l’objectif des mesures d’accommodement.

41 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [1985] 2 RCS 536 (« O’Malley »), où la discrimination par suite d’un effet préjudiciable est définie comme suit aux paragraphes 16 et 18 :

16. L’idée de considérer comme discriminatoires un règlement et des règles qui ne sont pas discriminatoires à première vue, mais qui ont un effet discriminatoire, parfois appelé discrimination par suite d’un effet préjudiciable, est d’origine américaine et, dit-on habituellement, a fait son apparition dans l’affaire Duke Power[…]

18. […] Ce genre de discrimination se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés […]

42 Le fonctionnaire a affirmé que sa situation correspondait à la définition de discrimination par suite d’un effet préjudiciable présentée dans O’Malley. Le Vendredi saint et le lundi de Pâques de sa religion sont différents des JFDP prévus. Même si cette règle semble neutre, elle donne lieu à de la discrimination à son égard. Le message est en fait [traduction] « prends les jours désignés ou paie pour le respect de ta propre religion ». La clause 12.01 de la convention collective n’établit aucune distinction entre les Pâques. Cependant, son application n’a pas le même effet pour lui que pour les autres. Tous les employés visés par la convention collective ont droit à 11 JFDP. La position du fonctionnaire d’échanger les jours travaillés ne donnerait pas lieu à plus de 11 jours.

43 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin [1994] 2 RCS 525 (« Chambly »). Dans Chambly, les faits concernaient des enseignants de confession juive qui, en raison du calendrier scolaire, devaient perdre un jour payé s’ils voulaient prendre un jour de congé pour respecter un jour d’obligation religieuse. La Cour a affirmé qu’« [on] ne saurait non plus accepter l’idée qu’il n’est pas nécessaire de prendre des mesures d’accommodement raisonnables si l’effet de la discrimination est minime ».

44 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur et lui-même auraient dû discuter des répercussions de prendre certaines mesures en vue de l’accommoder et de l’incidence des modifications à l’horaire proposées sur l’employeur. L’effectif de la fonction publique est important, comme l’est celui du BSF de London de l’ARC. À l’appui de son argument sur ce en quoi consiste une contrainte excessive, le fonctionnaire m’a renvoyé à Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission canadienne des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489 (« Alberta Dairy Pool »). Au paragraphe 62 de Alberta Dairy Pool, la Cour s’est prononcée en ces termes :

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu’il faut entendre par contrainte excessive, mais j’estime qu’il peut être utile d’énumérer certains facteurs permettant de l’apprécier. […] le coût financier, l’atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l’interchangeabilité des effectifs et des installations. […] Lorsque la sécurité est en jeu, l’ampleur du risque et l’identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu’on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l’employé de ne pas faire l’objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.

45 Selon le fonctionnaire, l’amplitude du risque était minimale et vague; des éléments n’ont pas été pris en considération. L’employeur a reconnu la discrimination puis a simplement invoqué la clause 17.19 de la convention collective. La clause 17.19 ne présente aucune liste exhaustive et n’exclut aucune autre mesure d’accommodement. Le comportement de l’employeur démontre que son idée était faite et qu’il n’était pas prêt à envisager d’autres possibilités. Le fonctionnaire a indiqué que cette proposition – lui permettre de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux – était conforme aux dispositions de la clause 17.19 de la convention collective, même si ce n’est pas directement indiqué.

46 Le fonctionnaire a affirmé qu’une mesure d’accommodement était un engagement tripartite auquel participent l’employé, l’agent négociateur et l’employeur. Les parties peuvent convenir d’un accord par lequel, en présence de circonstances spéciales, des mesures d’accommodement peuvent être prises sans violer la convention collective. Des mesures d’accommodement peuvent être négociées et il est possible de traiter les dispositions de la convention collective et la question du taux majoré à verser pour le travail les JFDP en conséquence.

47 L’employeur ne peut être absous de ses obligations prévues par la loi en se cachant derrière la convention collective.

48 Le fonctionnaire a demandé des congés annuels, puis il a demandé un changement afin de recevoir d’autres congés payés, puis il a de nouveau demandé des jours de congé annuel. Il a demandé à titre de réparation que l’employeur lui rembourse ses crédits de congé annuel et lui accorde un congé payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

49 Le fonctionnaire a aussi laissé entendre que la clause 17.23b) de la convention collective pourrait être envisagée pour l’examen de la question. La clause 17.23b) de la convention collective est libellée comme suit :

17.23 Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a) […]

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

50 Le fonctionnaire s’est appuyé sur Ontario Public Service Employees’ Union, Local 571, v. Toronto Hospital and Dev Olshansky [1997] O.L.A.A. No 921 (« Olshansky ») en ce qui concerne la proposition selon laquelle un employeur doit prendre des mesures d’accommodement raisonnables pour répondre aux demandes de congé à des fins religieuses d’un employé, lorsque l’employeur peut accorder le congé sans subir de contraintes excessives.

51 Dans Markovic v. Ontario Human Rights Commission, and Autocom Manufacturing Ltd., Barry Grime, Darryl Goodwin and Christa Matheson [2008] O.H.R.T.D. No 62, aux paragraphes 34 et 55, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario s’est prononcé en ces termes :

[Traduction]

34.
[…] un certain nombre de tribunaux ont conclu qu’un employeur qui accorde à un employé des possibilités d’obtenir un congé par un changement d’horaire (qui n’entraîne pas de pertes de rémunération) remplit son obligation de tenir compte des différences religieuses. Dit simplement, lorsque le « problème » est le temps requis, la solution est d’accorder le temps.

55. […] Je conclus qu’en prévoyant un processus permettant aux employés de s’arranger pour avoir un congé à des fins de célébrations religieuses sans pertes de rémunération par des changements d’horaires, l’ensemble de possibilités d’Autocom est approprié et conforme au Code et à la jurisprudence.

52 Le fonctionnaire a cependant affirmé que le paragraphe 34 de Markovic ne présentait pas l’ensemble de la question. Un employé ne devrait pas avoir à utiliser les congés annuels qu’il a « acquis ». La solution est indiquée au paragraphe 51 de Markovic, où le Tribunal s’est prononcé en ces termes :

[Traduction]

Compte non tenu de la possibilité de prévoir des changements d’horaires, la solution la plus appropriée était l’utilisation de congés spéciaux prévus par la convention collective.

53 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Her Majesty the Queen in Right of Ontario (Ministry of Community and Social Services) v. Grievance Settlement Board and Ontario Public Service Employees Union [2000] O.J. No 3411 (Ont. C.A.) (« Tratnyek »). Selon le fonctionnaire, il ne devrait pas avoir à empiéter sur les congés annuels accumulés. Au paragraphe 37, la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcée en ces termes :

[Traduction]

37. Un examen des autorités pertinentes me pousse à conclure que les employeurs peuvent remplir leurs obligations de tenir compte des besoins religieux des employés en leur offrant des changements d’horaires appropriés sans d’abord avoir à démontrer qu’un congé payé donnerait lieu à des contraintes excessives économiques ou autres. En effet, dans certaines situations, les changements d’horaires peuvent être la forme de mesure d’accommodement la plus équitable et raisonnable. Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970 est une décision pertinente à ce propos.

54 Le fonctionnaire est d’avis que l’employeur a rejeté d’emblée la modification de l’horaire qu’il a proposée et qu’en fait, il n’y a eu aucune discussion. L’employeur s’en est strictement tenu à la clause 17.19 de la convention collective et n’a démontré aucune flexibilité. Le fonctionnaire a indiqué que les changements qu’il suggérait, soit travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, et avoir congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes n’auraient pas causé de contraintes excessives.

55 Le fonctionnaire a aussi demandé que j’ordonne à l’employeur de lui permettre, à titre de mesure d’accommodement possible, de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, afin que soient considérés jours fériés payés le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes aux fins de célébrations religieuses.

B. Pour l’employeur

56 L’employeur a affirmé que cette affaire était simple. La question que je dois trancher consiste à déterminer si l’employeur a offert des mesures d’accommodement raisonnables au fonctionnaire afin de lui permettre de remplir ses obligations religieuses. Selon l’employeur, soit il a pris les mesures d’accommodement appropriées pour le fonctionnaire, soit le fonctionnaire n’a pas rempli son rôle dans le processus d’accommodement.

57 L’employeur a affirmé qu’il reconnaissait son obligation de prendre des mesures d’accommodement et d’accommoder les employés de confessions différentes. Cependant, l’employeur et le fonctionnaire sont en désaccord quant à la manière dont cela doit être fait.

58 Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970 (« Central Okanagan ») fixe les principes maintenant bien établis relatifs à l’obligation de prendre des mesures d’accommodement. Aux paragraphes 43 et 44, la Cour a indiqué ce qui suit :

[43.]Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

[44.][…] L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

59 Dans Campbell c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1252, la fonctionnaire s’estimant lésée avait des problèmes de dos. Son allégation, portée devant la Commission canadienne des droits de la personne dans un premier temps, puis devant la Cour fédérale, nécessitait de déterminer si l’employeur a pris trop tard des mesures d’accommodement insuffisantes. L’allégation de l’omission d’accommoder a été traitée par la Cour aux paragraphes 51 et 52, rédigés en ces termes :

[51] La question n’est pas de savoir si l’installation de deux tables de travail était la solution parfaite. De toute évidence, ça ne l’était pas. Il ne s’agit pas non plus de se demander si l’employée voulait une table de travail à réglage électrique de hauteur. Il faut déterminer si les mesures d’accommodement étaient adéquates. L’enquêteure a conclu qu’elles l’étaient. La solution arrêtée a été jugée acceptable par l’ergonome de l’ACR et par Santé Canada. La Commission a accepté le rapport de l’enquêteur, et cette conclusion est raisonnable.

[52] Le droit exige que les mesures d’accommodement soient raisonnables, non qu’elles soient parfaites (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970).

60 Dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) [2008] 2 CSC 561, la cour devait évaluer la portée de l’obligation de prendre des mesures d’accommodement. Les obligations de l’employeur sont établies aux paragraphes 15 et 16, dont le texte suit.

[15] L’obligation d’accommodement n’a […] pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. […]

[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

61 Hydro-Québec a été pris en considération dans Canadian Union of Public Employees, Local 4400, Unit B v. Toronto District School Board, [2008] O.L.A.A. No 692 (« Bashari »). Dans Bashari, l’obligation de prendre des mesures d’accommodement ne doit pas, au premier regard, être contraire à la relation d’emploi fondamentale, c’est-à-dire qu’un employé fournit du travail contre rémunération. Au paragraphe 49, l’arbitre de grief a indiqué que le versement d’une rémunération pour rien ne constituait pas une mesure d’accommodement. Une mesure d’accommodement consiste à faciliter la possibilité d’exécuter le travail pour la durée prévue pour l’exécution du travail. Il s’agit de la capacité de gagner une rémunération complète et de prendre congé les journées à caractère religieux.

62 L’employeur a affirmé que Richmond c. Canada (Procureur général) [1997] 2 F.C. 946 (F.C.A.) (qui confirme la décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (CRTFP) [1995] C.P.S.S.R.B. No 43) est pertinente en l’espèce. Richmond porte sur un grief déposé par un certain nombre d’employés. Ces employés ont déposé des griefs relatifs au fait que l’employeur a refusé de leur accorder un congé payé spécial pour qu’ils célèbrent les fêtes juives de Rosh Hashanah et de Yom Kippur en 1992 et de Rosh Hashanah en 1993, qui avaient lieu lors de jours de travail prévus à l’horaire. Les plaignants ont fait valoir qu’ils avaient été victimes de discrimination du fait de leur confession religieuse. La CRTFP a maintenu que, même s’il y a une obligation de prendre des mesures d’accommodement, cette obligation ne va pas « jusqu’à la limite de la contrainte excessive » s’il y a d’autres moyens de tenir compte des besoins des employés. La CRTFP, dans sa décision, a commenté Chambly de la CSC, en faisant valoir qu’une lecture attentive de Chambly ne révèle pas que l’employeur doit subir une contrainte pour accommoder un employé afin que celui-ci puisse observer ses obligations religieuses.

63 La Cour d’appel fédérale, dans Richmond, a confirmé la décision de la CRTFP. Voici le libellé du paragraphe 2 de la décision de la Cour :

2.[…] Toutefois, au vu des conventions collectives en vigueur, la doctrine de la contrainte excessive ne va pas jusqu’à obliger l’employeur à avoir recours aux dispositions discrétionnaires de ces conventions collectives de telle sorte qu’il soit tenu d’accorder un congé payé aux appelants pour des fins religieuses. À mon avis, la doctrine n’a pas une telle portée.

64 L’employeur a affirmé que Richmond était très semblable à la présente affaire et soupçonne que les dispositions de la clause 17.19 de la convention collective avaient vraisemblablement pour origine les suites de Richmond. L’employeur doit prendre des mesures d’accommodement à l’égard des employés, mais sans aller jusqu’au point de constituer une contrainte excessive lorsque cette contrainte n’est pas requise pour prendre des mesures d’accommodement. Dans Richmond, les plaignants ont demandé une seule chose et, lorsqu’ils ne l’ont pas obtenue, ils ont déposé un grief selon lequel leurs besoins n’avaient pas été pris en compte. Cela semble semblable à l’argument du fonctionnaire en l’espèce.

65 L’employeur n’a pas à subir de contrainte pour mettre en place des mesures d’accommodement. La contrainte excessive entre seulement en jeu s’il n’y a aucune autre possibilité d’arrangement.

66 Au paragraphe 25 de Richmond, la Cour d’appel fédérale traite expressément de l’argument mis de l’avant par le fonctionnaire en l’espèce en ce qui concerne le changement de jours de congé. La Cour s’est prononcée en ces termes :

[25.]Il se peut fort bien que les fonctionnaires de religion juive préfèrent travailler le jour de Noël et le Vendredi saint et bénéficier de deux jours de congé payé pour célébrer les fêtes de leur propre religion. Mais il serait contraire aux conventions collectives et au Code canadien du travail de s’attendre à ce que l’employeur ouvre ses bureaux le jour de Noël et le Vendredi saint pour ses employés de religion juive, alors que ces congés payés s’appliquent à tous les employés et que tous y ont droit. Pour rattraper leur temps d’absence, selon l’offre que l’employeur leur a faite, les plaignants pouvaient effectuer des heures supplémentaires à la fin de la journée ou le samedi. De façon générale, le recours aux heures supplémentaires pour rattraper un temps d’absence est pratique courante dans bien des métiers et professions. Toutefois, rattraper un temps d’absence consacré à l’observance des préceptes de sa propre religion, alors qu’on est obligé de prendre les jours fériés prévus par la loi qui sont associés à une religion que l’on ne pratique pas, peut être une expérience difficile et frustrante.

67 L’employeur a aussi invoqué les paragraphes 51 et 52 de Tratnyek, qui portent sur les possibilités d’effectuer des semaines de travail comprimées à titre de mécanisme d’accommodement qui, bien catégorisé, offre la possibilité d’avoir un horaire de travail à plein temps prévu par la convention collective offerte aux employés qui ont besoin de congés pour remplir leurs obligations religieuses. Selon les circonstances, cette possibilité peut représenter la mesure d’accommodement la plus raisonnable. Lorsque cela est possible, cela permet aux employés de respecter les jours fériés de leur religion sans perte de rémunération et sans que cela n’empiète sur leurs droits acquis précédemment, tout en effectuant le nombre d’heures qui leur est attribué. Ainsi, l’employeur n’a pas à les rémunérer pour les jours où ils ne travaillent pas. Ce concept est également présenté dans Toronto (City) and C.U.P.E., Loc. 79, [2003] O.L.A.A. no 795, de même que dans Turning Point Youth Services v. Canadian Union of Public Employees, Local 3501 (2008) O.L.A.A. no 83.

68 L’employeur a affirmé que le fonctionnaire avait initialement demandé deux jours de congé annuel pour célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Les documents déposés à titre de preuve à l’audience soutiennent ce fait. Le fonctionnaire a reconnu dans son témoignage que l’employeur lui avait offert toutes les possibilités prévues à la clause 17.19 de la convention collective, y compris celles de la clause 17.19c), ce qui lui aurait permis d’avoir du temps de congé payé et de compenser le temps. Le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé toutes ces possibilités. Si le refus a été justifié n’est pas clair. Le seul commentaire fait à cet égard par le fonctionnaire lors de son témoignage est que ce n’était pas pratique. L’employeur affirme que le fonctionnaire ne peut se cacher derrière cette explication. Il incombe à l’employé à qui des possibilités sont offertes d’indiquer les raisons pour lesquelles les possibilités proposées ne sont pas acceptables.

69 Le caractère véritable du grief porte sur l’argent; il est question du congé payé. Le fonctionnaire veut simplement être rémunéré pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, sans devoir utiliser des jours de congé annuel accumulés ou sans compenser ce temps. Aucun des documents présentés, y compris le grief, ne renvoie au travail le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Il n’a pas été démontré que la possibilité de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes faisait l’objet de discussions avant la demande de congé annuel.

70 L’employeur n’a pas allégué que la possibilité de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes constituait une contrainte excessive.

71 En ce qui concerne l’argument du fonctionnaire relativement à l’utilisation de la clause 17.23b) de la convention collective, l’employeur a affirmé que cette clause était inappropriée, puisque la clause 17.19 de la convention collective existe et traite directement de la question visée en l’espèce. Les parties ont précisément réfléchi aux moyens de traiter la question des célébrations religieuses et l’ont fait à la clause 17.19.

72 En ce qui concerne la demande du fonctionnaire voulant que j’ordonne que sa proposition de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, soit prise en considération, l’employeur a affirmé que cette demande d’ordonnance serait semblable à une modification de la convention collective, ce que l’arbitre de grief n’a pas l’autorité de faire.

73 Afin de traiter les arguments du fonctionnaire à l’égard du processus, l’employeur m’a aussi présenté Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) [2011] O.G.S.B.A. No 107 et la Attorney General of Canada v. Bronwyn Cruden and the Canadian Human Rights Commission [2013] F.C.J. No 599.

74 L’employeur a affirmé qu’il n’avait aucune obligation distincte relative aux procédures de prendre des mesures d’accommodement lorsqu’il est question d’accommodement. Lorsqu’une mesure d’accommodement est offerte et qu’elle est jugée raisonnable dans toutes les circonstances, le fait que le processus ait été injuste ne remet pas en cause la mesure d’accommodement ni ne mène à quelque chef de dommages distinct.

C. Réponse du fonctionnaire s’estimant lésé

75 Le cœur de l’affaire du fonctionnaire s’estimant lésé est de déterminer si qui que ce soit doit payer pour le respect de sa religion.

76 Richmond, même s’il s’agit d’une décision majeure, reste dans le sillage de Tratnyek. Dans Richmond, les plaignants insistaient pour que leurs jours de congé soient payés.

77 Le fonctionnaire a affirmé que personne ne peut avoir de mesures d’accommodement sans processus. En l’espèce, l’employeur a ignoré le processus. L’employeur seul ne peut pas dicter ce qui est raisonnable.

78 Même si tout le monde peut choisir d’utiliser les congés accumulés (congé annuel), il ne s’agit que d’une possibilité et personne n’est obligé de l’utiliser.

IV. Motifs

79 Le fonctionnaire a affirmé avoir fait l’objet de discrimination préjudiciable par l’employeur, en violation de la clause 43.01 de la convention collective, parce que les employés qui célèbrent le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux ont un congé payé, puisqu’il s’agit d’un JFDP. Toutefois, lui, à titre de chrétien orthodoxe, doit utiliser des jours de congé annuel qu’il a accumulé pour célébrer le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. À l’audience, il a indiqué qu’il voulait faire l’objet de mesures d’accommodement de la part de l’employeur et qu’on lui permette de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux et d’en être rémunéré, et qu’en retour, il puisse prendre un congé rémunéré le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

80 Il incombe au fonctionnaire de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a enfreint la convention collective.

81 Il n’y a aucun litige en l’espèce quant à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement à l’égard du fonctionnaire pour des motifs religieux. Le fait que la convention collective comprenne des dispositions relatives aux mesures d’adaptation pour des motifs religieux n’est pas non plus contesté. La seule question qu’il me faut trancher est de déterminer si l’employeur a rempli ses obligations à cet égard.

82 Je conclus que l’employeur a respecté la formulation de la convention collective. La disposition sur laquelle l’agent négociateur et l’employeur se sont entendus pour tenir compte des obligations religieuses (la clause 17.19 de la convention collective) prévoyait un ensemble de possibilités en ce qui concerne les mesures d’accommodement  en raison de la religion. Cette liste de possibilités comprend les congés annuels, les congés compensatoires les congés non payés pour d’autres motifs et, à la discrétion de l’employeur, un congé payé accumulé par l’employé, heure pour heure, dans une période de six mois. Essentiellement, les dispositions de la convention collective établissent un certain nombre de possibilités pour tenir compte des demandes aux fins de religion. Cette disposition ne comprenait pas la possibilité de congé payé supplémentaire, mais bien des possibilités sans perte de congés annuels ou sans congés non payés, comme des congés compensatoires ou des congés discrétionnaires que l’employé doit accumuler. Le fonctionnaire n’était pas obligé de sélectionner le congé annuel. Il connaissait bien les choix qu’il avait. De plus, lorsque l’employeur a refusé la demande de congé payé additionnel présentée par le fonctionnaire après le lundi de Pâques occidental, l’employeur a rappelé à ce dernier ses autres possibilités, dont le congé compensatoire. Le fonctionnaire a aussi allégué qu’il aurait dû avoir le droit de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux afin d’éviter de prendre un congé annuel pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Pour les motifs mentionnés ci-dessous, la preuve qui m’est présentée est insuffisante pour me permettre de conclure que cette demande a effectivement été présentée.

83 Le jour précédent le Vendredi saint occidental, le 9 avril 2009 à 13 h 40 (seulement quelques heures avant le début de la fin de semaine de quatre jours), le fonctionnaire a envoyé un courriel à son superviseur pour lui demander des congés annuels pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Le courriel indiquait simplement [traduction] « Je veux prendre du temps de congé annuel les 17 et 20 avril. Paul. ». Rien, dans ce courriel, n’indiquait que le fonctionnaire avait présenté une demande pour travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes.

84 Le mardi 14 avril 2009 (le premier jour du retour de la longue fin de semaine de Pâques de l’Église occidentale), le fonctionnaire a envoyé un deuxième courriel à son superviseur :

[Traduction]

Ce vendredi et le lundi suivant sont le Vendredi saint et le lundi de Pâques de l’Église orthodoxe dont, comme vous le savez, je suis membre.

L’article 17.19 de notre convention collective permet un congé non payé pour des obligations religieuses. Cependant, la clause 43.01 de la convention collective indique qu’« Il n’y aura aucune discrimination […] à l’égard d’un employé du fait de […] sa confession religieuse […] ». Par conséquent, je vous demande de m’accorder un congé payé pour ce vendredi 17 avril et ce lundi 20 avril, plutôt que les congés annuels déjà demandés pour ces dates.

85 Quelque temps après l’envoi de ce courriel du 14 avril 2009, le fonctionnaire a rencontré son superviseur, M. Ball. L’issue de cette réunion était que M. Ball n’était pas disposé à changer le congé annuel, déjà accordé, par un congé payé pour d’autres motifs. À ce stade, le fonctionnaire a dit à M. Ball qu’il ne voulait pas prendre de congé non payé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes et il a confirmé qu’il les prendrait en tant que congé annuel.

86 Le fonctionnaire a pris congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes et il a utilisé deux jours de congé annuel.

87 Même si le fonctionnaire a indiqué dans sa preuve avoir discuté de la possibilité de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, les détails de la discussion sont incomplets. Rien n’indique que cette demande a été présentée. S’il y a eu une réunion pour en discuter, aucune trace n’en a été conservée. Dans sa preuve, le fonctionnaire ne donne aucune indication sur la personne à qui il a parlé, la date de la discussion ou sa portée. M. Taylor a témoigné n’avoir jamais eu de discussion sur la possibilité que le fonctionnaire travaille le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, que ce soit avec le fonctionnaire ou avec M. Ball. Lorsque le fonctionnaire a présenté sa preuve, il a indiqué qu’il avait à l’origine demandé un congé annuel pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes, d’où son courriel du 9 avril 2009.

88 En contre-interrogatoire, il a été souligné au fonctionnaire que les termes de sa demande originale du 14 avril 2009 et des courriels envoyés le 16 avril 2009 ne faisaient aucunement mention de la proposition de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux en échange d’un congé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. Le fonctionnaire a reconnu avoir demandé ce qui est écrit dans les documents. Il a précisé que cela est arrivé il y a longtemps et qu’il ne se souvenait pas de la manière dont il a présenté sa demande, mais qu’il se souvenait qu’il voulait être en congé tout en étant payé.

89 La jurisprudence dans ce domaine est assez bien établie. L’un des arrêts charnière en matière de mesure d’accommodement dans ce pays est Central Okanagan, selon lequel la recherche d’accommodement consiste en un examen multi parties auquel l’employeur, le syndicat et l’employé prennent part. Un employé qui demande une mesure d’accommodement a l’obligation d’aider à obtenir une mesure appropriée. Afin de déterminer si l’obligation de prendre une mesure d’accommodement a été remplie, la conduite du fonctionnaire doit être prise en considération. Cela s’ajoute à l’examen de la conduite de l’employeur et du syndicat. De plus, la Cour suprême a aussi indiqué qu’un aspect de l’obligation de l’employé est d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. Dans Campbell, la Cour fédérale a souligné que la loi n’exige pas que les mesures d’accommodement soient parfaites, conformément à Central Okanagan.

90 La Cour suprême, dans Central Okanagan, s’est prononcée sur l’accommodement. Elle a précisé avoir déjà traité la question de discrimination préjudiciable dans O’Malley, où elle traitait d’une règle portant sur le travail à des moments contraires à la confession d’un employé. Selon la description dans O’Malley, la discrimination préjudiciable se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés puisqu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des amendes ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés de l’effectif.

91 Le fonctionnaire a affirmé qu’il ne peut y avoir d’accommodement sans processus et qu’il n’y a eu aucun processus. Il a fait valoir que lui et la défenderesse auraient dû discuter de la mesure d’accommodement et de ses possibles répercussions. Comme je l’ai précisé plus tôt dans mes motifs, la convention collective avait, en fait, établi un processus. Tel qu’il est indiqué dans Central Okanagan, l’accommodement est un examen multi parties. La portée de cet examen multi parties dépend des faits propres à chaque cas individuel. À une extrémité du spectre, l’examen peut être court, simple et direct : un employé exprime un besoin d’accommodement et l’employeur lui accorde. À l’autre extrémité du spectre, l’examen peut être bien plus compliqué et nécessiter la participation de plusieurs parties différentes pour une période plus longue. Même si je suis d’accord avec le fonctionnaire lorsqu’il affirme qu’un processus est requis, ce processus doit être entrepris par le fonctionnaire. Si l’employeur n’est pas au courant des besoins d’un fonctionnaire ou s’il ne sait pas que ce dernier veut faire l’objet d’une mesure d’accommodement, il ne peut pas très bien y répondre.

92 L’obligation de prendre des mesures d’accommodement n’est pas absolue. Dans Tratnyek, au paragraphe 37, il est souligné que [traduction] « les employeurs peuvent remplir leurs obligations relatives à l’adaptation aux exigences religieuses des employés en leur offrant des changements d’horaires appropriés sans d’abord avoir à démontrer qu’un congé payé donnerait lieu à des contraintes excessives économiques ou autres ». Comme l’a remarqué la Cour d’appel de l’Ontario, dans certaines situations, les changements d’horaires peuvent être la forme de mesure d’accommodement la plus équitable et raisonnable.

93 Le fonctionnaire s’est plaint de ne pas avoir fait l’objet de mesures d’accommodement. La mesure qu’il a demandée et qui, selon lui, constituait une solution directe, était de lui permettre de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux, et de reporter le JFDP au Vendredi saint et au lundi de Pâques orthodoxes. Il ne perdrait aucune rémunération régulière, et n’aurait pas non plus à utiliser ses crédits de congé annuel. Je n’accepte pas cet argument, qui n’est pas conforme aux faits présentés par la preuve.

94 Selon la preuve présentée, le fonctionnaire a d’abord demandé un congé pour le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes quelques heures seulement avant le début de la longue fin de semaine du Vendredi saint et du lundi de Pâques occidentaux. Je n’ai entendu aucune preuve de la part du fonctionnaire indiquant qu’il aurait fait cette demande (soit travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux et reporter le CFDP au Vendredi saint et au lundi de Pâques orthodoxes), avant d’envoyer ce courriel. Si le fonctionnaire ne dit pas à l’employeur qu’il a besoin de mesures d’accommodement ou qu’il en veut, l’employeur ne peut mettre en œuvre aucune solution, puisqu’il ne sait pas qu’une mesure d’accommodement est requise. Pour cette seule raison, le grief doit être rejeté.

95 Je n’accepte pas non plus l’argument du fonctionnaire qui indique que cette affaire porte sur le fait que les gens doivent payer pour respecter leur religion ou non. Cela n’est pas conforme à ce qui a été présenté au grief ou à l’audience. La question centrale en l’espèce est de savoir si les besoins du fonctionnaire ont été pris en compte ou non et si les parties ont rempli leurs obligations respectives dans le cadre du processus d’accommodement. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le fonctionnaire n’a pas transmis sa demande à l’employeur à un moment qui aurait permis à ce dernier de remplir son obligation; par conséquent, le fonctionnaire n’a pas rempli son obligation. De plus, ce ne sont pas tous les employés qui sont payés pour le JFDP.

96 Plusieurs JFDP, mais pas tous, coïncident avec des jours fériés dans l’ensemble du pays. Certains JFDP ont pour origine les croyances chrétiennes, comme Noël et Pâques, alors que d’autres sont purement laïques. Certains JFDP, tels Noël, le Vendredi saint, et le lundi de Pâques semblent avoir un effet discriminatoire pour un motif prohibé en raison d’une caractéristique spéciale de ces employés dont la confession ne reconnaît pas ces jours. En effet, les employés dont la religion reconnaît ces jours reçoivent un jour de congé payé et n’ont pas à prendre un jour de congé pour respecter les préceptes de leur foi.

97 La situation dans laquelle le fonctionnaire s’est trouvé relativement à la célébration du Vendredi saint et du lundi de Pâques orthodoxes n’est pas différente de la situation de plusieurs autres employés qui ne sont pas des chrétiens occidentaux. Cela n’a rien de nouveau et a été traité par la présente commission, par sa prédécesseure, l’ancienne CRTFP, et par les tribunaux.

98 La relation entre l’employeur et l’employé est devenue extrêmement complexe au fil du temps. Même si l’employeur maintient la majeure partie du contrôle sur le milieu de travail, ce contrôle est limité par la législation et les conventions collectives. Je suis d’accord avec le raisonnement présenté dans Bashari où l’arbitre de grief a indiqué que les mesures d’accommodement ne doivent pas dépasser les fondements de la relation, soit qu’un employé fournit du travail contre rémunération. Les dispositions prévues par les conventions collectives ne sont pas des règles imposées par l’employeur. Elles sont plutôt des modalités négociées pour certains employés par leur agent négociateur (en l’espèce l’IPFPC) à l’avantage des employés de l’unité de négociation. La plupart des clauses de la convention collective traitent de la rémunération du travail effectué par l’employé pour l’employeur. C’est dans cet esprit que les JFDP ont été mis en place. Tous les employés à qui les modalités de la convention collective s’appliquent ont droit aux JFDP prévus par la convention collective. La principale caractéristique d’un JFDP est que les employés liés par la convention collective ont droit à ces jours de congé, tout en étant rémunérés comme s’ils avaient travaillé pour ces jours. Si un employé a droit à un JFDP et qu’il doit travailler ce jour-là, l’employeur doit le payer à un taux majoré aux termes de la clause 12.05 de la convention collective. Le taux des heures supplémentaires est prévu à l’article 9 de la convention collective. En même temps, la clause 12.02 retire à tout membre de l’unité de négociation le droit d’être payé pour un JFDP si le membre est absent le jour qui précède et celui qui suit immédiatement le JFDP.

99 Le fonctionnaire a laissé entendre que l’employeur, l’agent négociateur et lui-même auraient pu convenir d’un accord. Cet accord aurait pu permettre au fonctionnaire de travailler le Vendredi saint et le lundi de Pâques occidentaux au taux régulier, et non au taux des heures supplémentaires, en échange d’un congé payé le Vendredi saint et le lundi de Pâques orthodoxes. En théorie, c’est correct. Cependant, il n’a pas été démontré que cette discussion a eu lieu, pas plus qu’elle n’a eu lieu en temps opportun, de sorte qu’elle puisse être envisagée et, si elle devait être jugée acceptable, mise en œuvre.

100 Je suis aussi en accord avec le raisonnement de l’ancienne CRTFP dans Richmond, qui a été accueilli par la Cour d’appel fédérale. Même en présence d’une obligation de prendre des mesures d’accommodement, cette obligation ne va pas jusqu’à la limite de la contrainte excessive s’il existe d’autres moyens raisonnables de tenir compte des besoins des employés. Le droit à respecter est celui d’un employé qui remplit une obligation religieuse. Lorsqu’elle a maintenu la décision de la CRTFP, la Cour d’appel fédérale a fait l’observation suivante, au paragraphe 2 :

[…] Toutefois, au vu des conventions collectives en vigueur, la doctrine de la contrainte excessive ne va pas jusqu’à obliger l’employeur à avoir recours aux dispositions discrétionnaires de ces conventions collectives de telle sorte qu’il soit tenu d’accorder un congé payé aux appelants pour des fins religieuses. À mon avis, la doctrine n’a pas une telle portée.

101  La clause 17.19 de la convention collective traite de la question des célébrations religieuses pour les employés qui doivent prendre congé pour respecter ou remplir leurs obligations religieuses. L’employeur et l’agent négociateur ont clairement reconnu la possibilité de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, puisqu’ils semblent avoir négocié une solution, soit la clause 17.19. Cette clause est ainsi rédigée :

17.19 Obligations religieuses

a) L’Employeur fait tout effort raisonnable pour tenir compte des besoins de l’employé qui demande un congé pour remplir ses obligations religieuses.

b) Les employés peuvent, conformément aux dispositions de la présente convention, demander un congé annuel, un congé compensatoire ou un congé non payé pour d’autres motifs afin de remplir leurs obligations religieuses.

c) Nonobstant l’alinéa 17.19b), à la demande de l’employé et à la discrétion de l’Employeur, du temps libre payé peut être accordé à l’employé afin de lui permettre de remplir ses obligations religieuses. Pour compenser le nombre d’heures payées ainsi accordé, l’employé devra effectuer un nombre équivalent d’heures de travail dans une période de six (6) mois, au moment convenu par l’Employeur. Les heures effectuées pour compenser le temps libre accordé en vertu du présent paragraphe ne sont pas rémunérées et ne doivent pas entraîner aucune dépense additionnelle pour l’Employeur.

(d) L’employé qui entend demander un congé ou du temps libre en vertu du présent article doit prévenir l’Employeur le plus longtemps d’avance possible mais au moins quatre (4) semaines avant la période d’absence demandée.

102 La Cour d’appel fédérale, lors de son examen de la décision rendue par l’ancienne CRTFP dans Richmond, a traité une situation de discrimination alléguée par laquelle la solution proposée était remarquablement semblable à celle proposée en l’espèce. À cet égard, voici le texte du paragraphe 25 de la décision de la Cour :

[25.] Il se peut fort bien que les fonctionnaires de religion juive préfèrent travailler le jour de Noël et le Vendredi saint et bénéficier de deux jours de congé payé pour célébrer les fêtes de leur propre religion. Mais il serait contraire aux conventions collectives et au Code canadien du travail de s’attendre à ce que l’employeur ouvre ses bureaux le jour de Noël et le Vendredi saint pour ses employés de religion juive, alors que ces congés payés s’appliquent à tous les employés et que tous y ont droit. Pour rattraper leur temps d’absence, selon l’offre que l’employeur leur a faite, les plaignants pouvaient effectuer des heures supplémentaires à la fin de la journée ou le samedi. De façon générale, le recours aux heures supplémentaires pour rattraper un temps d’absence est pratique courante dans bien des métiers et professions. Toutefois, rattraper un temps d’absence consacré à l’observance des préceptes de sa propre religion, alors qu’on est obligé de prendre les jours fériés prévus par la loi qui sont associés à une religion que l’on ne pratique pas, peut être une expérience difficile et frustrante.

103 Cette déclaration de la Cour d’appel fédérale dans Richmond semble avoir été intégrée par l’employeur et l’agent négociateur à la clause 17.19 de la convention collective. Même si je suis prêt à accepter l’argument du fonctionnaire selon lequel la clause 17.19 n’est pas nécessairement la seule solution offerte aux parties dans les situations de discrimination en raison de la religion et d’accommodements, je suis d’accord avec la décision de la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan, où la Cour indique que rien n’exige que les mesures d’accommodement prises pour répondre à une demande d’accommodement d’une partie soient parfaites. Tel qu’il est mentionné dans Tratnyek, City of Toronto v. C.U.P.E., and Turning Point Youth Services, une forme raisonnable de mesure d’accommodement est satisfaisante. La clause 17.19 de la convention collective comprend des possibilités appropriées pour répondre à l’obligation de donner au fonctionnaire s’estimant lésé sa liberté de religion. À mon avis, compte tenu de l’état du droit, lorsqu’aucune des possibilités prévues par la convention collective ne peut être appliquée, il incombe au responsable de démontrer les raisons pour lesquelles elles ne peuvent pas l’être.

104 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Chambly. La situation dans Chambly est unique et ne s’applique pas aux faits en l’espèce. Dans Chambly, les plaignants étaient enseignants et leurs fonctions étaient telles qu’il leur serait impossible d’échanger les jours de célébrations juives pour travailler à Noël et Pâques ou de les compenser en travaillant plus tard ou les fins de semaine, puisque les enfants à qui ils enseignent ne seraient pas à l’école. Compte tenu des faits propres à cette affaire, enseigner durant plus d’heures n’était pas possible. Je suis aussi d’accord avec les observations présentées dans deux des décisions mentionnées par le fonctionnaire voulant que la décision rendue dans Chambly aurait été différente si des changements d’horaires raisonnables avaient pu être effectués. La Cour suprême n’a pas établi qu’en règle générale les employeurs doivent payer leurs employés pour des congés à des fins de célébrations religieuses (voir Markovic, au paragraphe 51, et Tratnyek, au paragraphe 51).

105 En ce qui concerne l’argument du plaignant à l’égard de l’utilisation de la clause 17.23b) de la convention collective, je suis d’accord avec les observations de l’employeur selon lesquelles cette clause ne s’applique pas en l’espèce. La clause 17.19 traite des congés pour obligations religieuses et la clause 17.19b) prévoit précisément qu’un employeur a le pouvoir discrétionnaire d’accorder un congé non payé à un employé en raison d’obligations religieuses. La clause 17.23b) accorde à l’employeur le pouvoir discrétionnaire d’accorder un congé non payé à des fins autres que celles précisées dans la convention collective. Puisque les obligations religieuses sont précisément prévues par la convention collective à la clause 17.19 et que cette clause accorde le pouvoir discrétionnaire d’accorder un congé non payé à cette fin, la clause 17.23b) ne s’applique pas.

106 Puisque j’ai conclu que le plaignant n’a pas rempli son rôle dans le processus relatif aux accommodements et que les mesures d’accommodement offertes par l’employeur satisfont aux critères établis par la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale et d’autres autorités, je n’ai pas besoin de tenir compte des observations de l’employeur relativement à l’équité du processus en ce qui concerne les mesures d’accommodement.

107 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

108 Le grief est rejeté.

Le 19 septembre 2014

Traduction de la CRTFP

John G. Jaworski,
>arbitre de grief

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