Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a signé un document dans lequel il a consenti à une mutation à un poste de niveau inférieur - le fonctionnaire s’estimant lésé a en outre été nommé dans deux publications - l’employeur a fourni des éléments de preuve indiquant qu’il n’avait pas répondu aux publications parce qu’il avait établi qu’il serait mal avisé de se livrer à une guerre des communications - ce n’est que beaucoup plus tard que le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief, indiquant qu’il avait été contraint de signer le document dans lequel il consentait à être muté à un poste de niveau inférieur - la compétence d’un arbitre de grief pour trancher le grief a été contestée au motif qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été prise - l’arbitre de grief peut examiner les raisons fournies par l’employeur pour établir si des mesures disciplinaires ont été prises ou non - aucun élément de preuve n’a permis d’établir que l’employeur avait l’intention de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé, ni qu’il s’agissait d’un subterfuge ou d’un camouflage - l’arbitre de grief n’a pas accepté l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel il avait été contraint de signer l’entente - le grief a été signé environ 18mois après l’entente de mutation - l’arbitre de grief n’a pas admis le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’ait pas communiqué, pendant toute la période écoulée, ses préoccupations voulant qu’il ait signé le document sous la contrainte - les articles ont tous deux été publiés après l’entrée en vigueur de la rétrogradation volontaire - les dispositions ont été prises par le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur, et les deux parties les ont acceptées - en outre, rien n’indique que le fonctionnaire s’estimant lésé se soit vu empêché de faire progresser sa carrière. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-07-08
  • Dossier:  566-02-7652
  • Référence:  2014 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALFRED LEGERE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Legere c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
George Filliter, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même
Pour le défendeur:
Pierre Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick), les 3 et 4 juin 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1 Alfred Legere, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), a de longs antécédents professionnels au Service correctionnel du Canada (l'« employeur »).

2 Il a déposé en date du 20 novembre 2011 des griefs qui ont été renvoyés à l'arbitrage. Les griefs alléguaient que l'employeur avait agi de manière inappropriée en ce qui concerne ce qu'il appelait une rétrogradation forcée.

3 L'employeur a soulevé un certain nombre de questions concernant la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») d'entendre l'un ou l'autre des griefs. La Commission a statué qu'elle n'avait pas la compétence pour instruire un certain nombre de griefs, mais elle a accordé une prorogation de délai permettant au fonctionnaire de renvoyer ce grief à l'arbitrage. La Commission a en outre ordonné la tenue d'une audience sur le fond des affaires dans la mesure où elles sont liées à la rétrogradation de nature disciplinaire alléguée (Legere c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 125).

4 Au début de l'audience, l'avocat de l'employeur m'a informé que l'employeur contestait la position du fonctionnaire, à savoir qu'il avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire.

5 J'ai expliqué au fonctionnaire qu'il lui incombait de prouver à ma satisfaction que la mesure de l'employeur était de nature disciplinaire. J'ai ajouté que s'il s'acquittait de ce fardeau, l'employeur devrait prouver que sa mesure était motivée.

6 La présente décision porte surtout sur la nature de la mesure prise par l'employeur.

II. Question de procédure – Pertinence du témoignage du psychologue pour le
fonctionnaire s'estimant lésé

7 Au début de l'audience, le fonctionnaire a déclaré qu'il avait cité son psychologue traitant comme témoin et demandé la confirmation que la matinée de la deuxième journée soit réservée au témoignage du psychologue.

8 Après examen du témoignage prévu, le fonctionnaire a déclaré qu'il n'avait pas besoin de convoquer le psychologue comme témoin, car son témoignage n'aiderait pas à déterminer si les mesures prises par l'employeur étaient de nature disciplinaire.

III. Résumé de la preuve

9 Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même. Il a également cité Terry Hatcher, un sous-commissaire adjoint, Opérations dans les établissements (SCAOE) à la retraite, son seul autre témoin.

10 L'employeur a cité David Niles, le SCAOE actuel dans la région de l'Atlantique, comme seul témoin.

11 Je suis d'avis qu'il n'y a pour ainsi dire pas de différend quant aux faits pertinents.

12 Le fonctionnaire est entré au service de l'employeur en 1983 à titre de coordonnateur des loisirs à l'Établissement de Springhill, qui se trouve à Springhill, en Nouvelle-Écosse.

13 En 2002, le fonctionnaire est devenu directeur adjoint à l'Établissement de Springhill. À ce moment-là, cet établissement accueillait 15 détenues à sécurité maximale, dont la seule détenue réputée délinquante dangereuse.

14 En 2006, le fonctionnaire a été nommé directeur de l'Établissement Nova pour femmes à Truro, en Nouvelle-Écosse. Cet établissement était classé établissement à sécurité minimale à moyenne, et le fonctionnaire a décrit l'environnement comme [traduction] « ouvert et offrant passablement de liberté ». Le poste était classifié EX-01.

15 L'Établissement Nova pour femmes est l'établissement dans lequel Ashley Smith a débuté sa détention fédérale, et le fonctionnaire a reconnu qu'il avait sous-estimé sa menace pour elle-même. Le fonctionnaire a témoigné que son personnel et lui-même se sont concentrés sur les soins à cette détenue au détriment des autres détenues.

16 Le 10 juillet 2006, un complot des détenues visant à prendre le fonctionnaire en otage a été découvert. Le fonctionnaire a témoigné que cet événement lui a causé plus de stress que ce à quoi il s'attendait.

17 En outre, le fonctionnaire a témoigné en termes généraux au sujet des efforts qu'il a déployés pour tenter de maintenir Mme Smith en vie.

18 Le 2 août 2007, M. Hatcher a dit au fonctionnaire qu'il serait promu au poste de directeur de l'Établissement de Springhill. Ce poste était classifié EX-02. 

19 Le 17 août 2007, le fonctionnaire a été informé par le sous-commissaire régional qu'il ne serait pas promu au poste de directeur de l'Établissement de Springhill.

20 En janvier 2008, le fonctionnaire a reçu ce que l'on appelle un avis délivré en vertu de l'article 13. M. Niles a témoigné que ce genre d'avis a été envoyé au fonctionnaire parce qu'un comité d'enquête formé pour faire enquête sur le décès de Mme Smith avait rédigé des énoncés qui pouvaient porter préjudice à la réputation du fonctionnaire et qui pouvaient être inclus dans le rapport final. La procédure fondée sur l'article 13 permettait au fonctionnaire de répliquer à la version complète.

21 Bien qu'aucune preuve n'ait été produite sur ce que le fonctionnaire aurait fait, je conclus que les énoncés prétendument préjudiciables n'étaient pas inclus dans le rapport final du comité d'enquête. Le rapport final n'a pas été produit comme pièce; néanmoins, le fonctionnaire a décrit ses nombreuses tentatives de se procurer le rapport, qui ont toutes échouées. Il n'a reçu qu'une lettre datée du 15 mai 2014, dans laquelle l'auteur affirmait qu'il n'y avait pas de rapport d'enquête interne qui le nommait.

22 Le fonctionnaire a décrit l'effet cumulatif de tout ce qui avait transpiré au cours des dernières années et l'impact sur sa santé. Il a été mis en congé de maladie en janvier 2008.

23 Le 16 septembre 2008, l'employeur a offert au fonctionnaire une mutation spéciale de deux ans à un poste appelé « conseiller spécial du SCAOE ». Le poste était classé EX-01, et le fonctionnaire a accepté l'offre le 15 octobre 2008. L'un des paragraphes se lit comme suit :

[Traduction]

Cette mutation spéciale est d'une durée qui ne peut excéder deux ans à compter de la date de la nomination. Au cours de cette période, il vous incombe, en plus de faire directement rapport, de surveiller les ouvertures à des postes de EX-01 au Canada auxquels vos compétences et votre profil linguistique correspondent. Il importe de signaler que vous devez avoir une certaine mobilité pour pouvoir occuper des postes au SCC dans tout le Canada. Une fois les deux années terminées, si aucune nomination à un poste équivalent pour une période indéterminée n'a encore été effectuée, le Ministère se réserve le droit de vous muter au premier poste disponible auquel votre profil correspond. Si vous refusez l'offre sans motifs raisonnables tel qu'établi par votre sous-commissaire régional, cela pourrait vous mener à une mise en disponibilité. Il est entendu que l'on déploiera des efforts raisonnables pour répondre à vos besoins ainsi qu'aux besoins opérationnels de l'organisation.

24 Le fonctionnaire a soutenu que son expérience pendant sa mutation spéciale s'est révélée [traduction] « extrêmement négative », ce qui a affecté son rendement. Toutefois, il a témoigné que selon lui, son évaluation de rendement couvrant la période jusqu'en avril 2010 était injuste.

25 Le fonctionnaire a témoigné que pendant cette période, il [traduction] « se sentait comme une espèce en voie de disparition » et craignait passablement d'être rétrogradé.

26 En février 2010, le fonctionnaire a appris qu'il avait été désigné comme défendeur dans la poursuite intentée par la famille d'Ashley Smith. L'employeur lui a accordé de l'aide juridique et a approuvé une indemnisation pour le fonctionnaire, quoique huit mois après sa demande à cet égard.

27 M. Niles a témoigné au sujet d'une série de réunions entre lui et le fonctionnaire à compter de septembre 2009. M. Niles a indiqué clairement que l'employeur n'a jamais envisagé aucune procédure disciplinaire.

28 Il a été question de l'avenir du fonctionnaire pendant la série de réunions. À un moment donné, le fonctionnaire a proposé une « rétrogradation honoraire » au poste de sous-directeur dans l'un des établissements au salaire d'un niveau EX-01. L'employeur a rejeté cette proposition.

29 M. Niles a dit que les rencontres avec le fonctionnaire avaient lieu presque toutes les deux semaines. Le fonctionnaire oscillait entre l'acceptation d'une mutation à l'extérieur de la région de l'Atlantique et la non-acceptation. M. Niles a indiqué que le fonctionnaire disposait de moins d'options parce qu'en définitive, il ne voulait pas être muté.

30 En février ou mars 2010, M. Niles et le fonctionnaire ont parlé d'un poste à l'Établissement de Springhill. M. Niles a confirmé que le poste serait libre et le fonctionnaire a fait part de sa volonté d'accepter le poste.

31 Le fonctionnaire a témoigné que le 21 avril 2010, il a signé un document intitulé [traduction] Mutation à un poste de niveau hiérarchique inférieur. Le poste offert au fonctionnaire était celui de directeur adjoint, Services de gestion. Ce poste était classé AS-07 et la date d'entrée en fonctions était établie au 1er mai 2010. Les parties ont reconnu que cette classification se situait deux niveaux sous la classification EX-01 à laquelle se trouvait le fonctionnaire lors de sa mutation spéciale.

32 Le fonctionnaire a témoigné qu'il a signé l'entente alors qu'il était sous la contrainte. Cependant, le fonctionnaire a admis qu'il n'a jamais informé l'employeur qu'il était sous la contrainte. De fait, il n'a pas déposé de grief avant novembre 2011.

33 Enfin, le fonctionnaire a été nommé dans deux publications (Frank Magazine (2011) et The Huffington Post (2013)). Aucun des deux articles n'était élogieux à l'égard du fonctionnaire, mais l'employeur n'a pris aucune mesure précise pour régler cette situation. M. Niles a témoigné que l'employeur avait décidé qu'il était peu judicieux d'entreprendre une bataille de communications avec les médias.

34 Il n'était pas contesté que le fonctionnaire n'avait pas été consulté avant que l'employeur décide de ne prendre aucune mesure de réfutation des affirmations erronées de la presse.

IV. Question à trancher

35 Il s'agit de déterminer si la mutation du fonctionnaire au poste de directeur adjoint, Services de gestion, était de nature disciplinaire.

V. Positions des parties

A. Le fonctionnaire s'estimant lésé

36 Le fonctionnaire a fait valoir que la rétrogradation au poste de directeur adjoint, Services de gestion, constituait une mesure disciplinaire déguisée même si elle était volontaire.

37 Le fonctionnaire a reconnu que M. Niles était un bon superviseur qui [traduction] « [l]'a aidé d'une certaine façon à revenir au travail ». Il a soutenu avoir été rétrogradé parce qu'il avait reçu un avis en vertu de l'article 13 et avait été désigné comme défendeur individuel dans la poursuite déposée par la famille d'Ashley Smith.

38 Il a également fait valoir que l'employeur n'avait rien fait concernant les dommages à sa réputation et qu'il n'avait jamais été consulté au sujet d'une stratégie de communication visant à contrer les articles publiés dans The Huffington Post et dans le Frank Magazine.

39 Le fonctionnaire a indiqué qu'il ne pouvait trouver de jurisprudence étayant son argumentation selon laquelle la rétrogradation volontaire constituait une mesure disciplinaire déguisée. Ceci dit, le fonctionnaire m'a renvoyé à un certain nombre de cas et a fait valoir qu'il existait certains parallèles (Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, revue par la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218).

40 Le fonctionnaire a fait valoir que dans son cas, la rétrogradation était excessive; il a ajouté que l'employeur aurait dû lui faire subir une évaluation de son aptitude au travail et que la nature permanente de la mesure de dotation signifiait qu'elle était similaire à un licenciement (Spawn c. Agence Parcs Canada, 2004 CRTFP 25; Deering et le Conseil du Trésor (Défense nationale), 166-2-26518; MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90).

41 Enfin, le fonctionnaire a fait valoir que l'employeur aurait dû l'impliquer dans la décision de ne pas répondre aux publications (Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158).

42 Pour terminer, le fonctionnaire a soutenu qu'il a été rétrogradé en raison d'un cas grave de mauvaise gestion et qu'il a été traité sans égards. Il a fait valoir que les dommages causés à sa carrière et à sa réputation étaient irréparables et qu'il devrait être dédommagé.

B. L'employeur

43 L'employeur a fait valoir que bien qu'il reconnaissait que le fonctionnaire avait vécu une situation malheureuse au cours de cette période, rien ne prouvait l'existence d'une mesure disciplinaire, déguisée ou autre.

44 L'avocat de l'employeur a soutenu que les cas cités par le fonctionnaire pouvaient être distingués du présent dossier. Par exemple, Robitaille ne s'appliquait pas, car la Commission avait statué qu'il s'agissait d'une rétrogradation de nature disciplinaire.

45 De même, l'avocat de l'employeur a fait valoir que Spawn et MacArthur portaient sur la question de savoir si la rétrogradation était une mesure disciplinaire excessive, ce qui n'aidait pas à trancher la question en litige en l'espèce. Enfin, l'employeur a fait valoir qu'à ce stade, la question en litige n'était pas la réparation, ce qui fait que Tipple n'était pas pertinente.

46 L'employeur a prétendu qu'il s'agissait de déterminer si le fonctionnaire avait établi ou non avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire. L'employeur a soutenu que selon la preuve, la rétrogradation du fonctionnaire était volontaire, que l'employeur n'a jamais entrepris de mesure disciplinaire ni n'a eu l'intention de le faire, que l'employeur n'était pas fâché que le fonctionnaire se fasse signifier un avis en vertu de l'article 13 ou soit désigné comme défendeur dans une poursuite, et que quoi qu'il en soit, ces gestes n'auraient pas justifié une mesure disciplinaire.

47 Quant à savoir s'il y a eu une mesure disciplinaire, l'employeur a fait valoir que la jurisprudence étayait la prétention selon laquelle la preuve en l'espèce n'établissait pas que l'employeur avait sanctionné le fonctionnaire (Theaker c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2013 CRTFP 163; Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176; Hood c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2013 CRTFP 49; Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 114).

48 Plus précisément, l'avocat de l'employeur a soutenu qu'il n'y avait pas de preuve de quelque intention de l'employeur de sanctionner le fonctionnaire; au contraire, il a relevé le témoignage de M. Niles selon lequel il n'existait pas une telle intention, témoignage non contredit malgré le contre-interrogatoire du fonctionnaire.

49 En outre, l'employeur a fait valoir l'absence de preuve d'un stratagème ou d'un camouflage (Agbodoh-Falschau c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2014 CRTFP 4 et Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada c. Boutziouvis, 2011 CF 1300 [infirmée par Boutziouvis c. Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, 2013 CAF 118 (Boutziouvis, 2013)]).

50 Enfin, l'avocat de l'employeur a soutenu que la preuve n'étayait pas une conclusion de mauvaise foi ou de mesure disciplinaire déguisée (Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57 [confirmée par Tudor Price c. Conseil du Trésor (Canada) (Agriculture et Agroalimentaire Canada), dossier T-1074-13]).

VI. Analyse

51 J'ai beaucoup de sympathie pour le fonctionnaire. Il m'apparaît comme un employé précieux et valorisé qui tire beaucoup de fierté dans l'exécution de ses fonctions. Se faire signifier un avis en vertu de l'article 13, puis être désigné comme défendeur dans une poursuite serait terrible pour une personne comme le fonctionnaire. La tension qu'il a décrite est palpable.

52 Toutefois, je ne suis pas persuadé que le fonctionnaire a fait l'objet d'une mesure disciplinaire de l'employeur en l'espèce et par conséquent, je conclus que je n'ai pas la compétence pour instruire ce grief.

53 Le pouvoir qui m'est conféré découle de l'article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui se lit comme suit :

Renvoi à l'arbitrage

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s'il est un fonctionnaire de l'administration publique centrale,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l'alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l'insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite;

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, s'il est un fonctionnaire d'un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

54 Comme je l'ai expliqué au fonctionnaire au début de l'audience, il devait s'acquitter du fardeau de me convaincre qu'il avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Ce n'est qu'une fois qu'il se serait acquitté de ce fardeau qu'il incomberait à l'employeur de fournir la preuve de la justification de ses gestes.

55 Il est généralement reconnu qu'un arbitre de grief peut regarder au-delà des motifs donnés par l'employeur pour déterminer si une mesure disciplinaire a été infligée ou non (voir Frazee au paragr. 23, Hood au paragr. 107 et Boutziouvis, 2013, aux paragraphes 4 et 7). Toutefois, après examen de la preuve, je conclus que rien n'établit que l'employeur entendait sanctionner le fonctionnaire. Il faut établir l'existence d'une mesure disciplinaire, déguisée ou autre (Frazee et Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 130, au paragr. 94).

56 De fait, le témoignage non contesté de M. Niles est que l'employeur n'a jamais envisagé quelque forme de mesure disciplinaire que ce soit à l'encontre du fonctionnaire.

57 De plus, la preuve n'étaye pas la prétention du fonctionnaire que l'employeur s'était livré à un stratagème ou à du camouflage pour donner à l'entente l'apparence d'une rétrogradation. Il incombe au fonctionnaire de l'établir (Agbodoh-Falschau).

58 Prise en compte dans son intégralité, la preuve dont je suis saisi établit que le fonctionnaire a signé une entente de son plein gré le 21 avril 2010 avec son employeur. D'après cette entente, il avait accepté une mutation au poste de directeur adjoint, Services de gestion, prenant effet le 1er mai 2010. Ce poste était classé AS-07, soit un niveau inférieur au niveau EX-01 dont le fonctionnaire bénéficiait dans le cadre de sa mutation spéciale.

59 Le fonctionnaire a décidé de signer cette entente après de longues discussions avec M. Niles et après avoir déterminé qu'il n'était pas prêt à se relocaliser dans une autre région. Aucune preuve n'a été produite pour établir que cette entente n'était pas de nature volontaire, et je conclus que le fonctionnaire l'a signée librement. Le fonctionnaire a fait valoir qu'on aurait dû l'envoyer subir une évaluation de son aptitude au travail, mais aucune preuve produite n'a établi que de telles discussions ont déjà eues lieu. Il convient de noter que le fonctionnaire a effectivement travaillé pendant près de 2 ans en affectation spéciale et n'a montré aucun signe qu'il avait besoin d'une telle évaluation. En outre, il n'y a pas eu de preuve qu'il a demandé une telle évaluation.

60 Je n'accepte pas l'argument du fonctionnaire selon lequel il a signé l'entente sous la contrainte. La preuve non contestée établissait que le grief a été signé environ 18 mois après la signature de l'entente de mutation en avril 2010. Je n'accepte tout simplement pas que le fonctionnaire n'ait pas fait part de ses préoccupations au sujet de la prétendue contrainte pendant toute cette période.

61 De plus, le fonctionnaire fait valoir que l'employeur l'a sanctionné en ne le consultant pas au sujet d'un plan de communication sur les articles défavorables parus dans deux publications. Le fonctionnaire m'a renvoyé à Tipple pour étayer cet argument. Je n'accepte pas l'analyse de Tipple qu'a fait valoir le fonctionnaire, car j'estime que la conclusion de l'éminent arbitre de grief sur le défaut de l'employeur de consulter le fonctionnaire au sujet d'une stratégie de communication ne constituait pas une mesure disciplinaire, mais portait plutôt sur la question des dommages. En outre, cet argument ne tient pas pour un motif plus fondamental. Il n'y a aucune preuve que la couverture médiatique établit un prétexte de ce qui représentait, au vu de l'ensemble des faits dont je suis saisi, une entente volontaire entre le fonctionnaire et l'employeur.

62 Les articles publiés dans The Huffington Post (2013) et le Frank Magazine (2011) étaient tous deux postérieurs à l'exécution de la rétrogradation volontaire et l'article de  2013 était postérieur au grief. Par conséquent, même si je devais accepter la position du fonctionnaire voulant que le défaut de le consulter sur une stratégie de communication puisse être considéré de nature disciplinaire, comme la rétrogradation volontaire est antérieure à ces articles, le fonctionnaire ne peut prétendre qu'il s'agit de la mesure disciplinaire dont il faisait mention dans son grief.

63  Selon moi, l'entente a été conclue entre le fonctionnaire et l'employeur et acceptée par les deux parties. En outre, rien n'indique que le fonctionnaire ne pouvait progresser dans sa carrière.

VII. Motifs

64 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

65 Le grief est rejeté.

Le 8 juillet 2014.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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