Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un grief contestant une décision de l’employeur dans laquelle il a été jugé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas admissible au versement rétroactif de son traitement à la suite d’une reclassification a été rejeté au premier palier - le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de diligence en assurant le suivi de son grief dont l’agent négociateur était responsable; le fonctionnaire s’estimant lésé a informé les représentants de l’agent négociateur du rejet de ce grief et il a régulièrement demandé des renseignements et des mises à jour - le renvoi du grief aux deuxième et troisième paliers n’a pas été effectué de manière appropriée - par la suite, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de prorogation de délai - l’arbitre de grief a passé en revue les critères énoncés dans Schenkman - il a déterminé que des raisons claires, logiques et convaincantes justifiaient le retard, lequel pouvait être imputé à un grief générique englobant plus de 1000griefs individuels semblables au présent grief - le fait que le grief n’ait pas été transmis au deuxième palier était une erreur découlant de cette énorme tâche à accomplir, et l’on peut comprendre qu’un grief ait pu tomber dans l’oubli - rien dans la preuve n’indique que le fonctionnaire s’estimant lésé a abandonné son grief, et il ressort de la preuve qu’il avait une intention claire et soutenue de régler cette question - le retard d’environ cinq mois n’était pas anormal - dans le contexte d’une demande de prorogation d’un délai, il est souvent dit que les chances de succès d’un grief ne constituent pas un facteur important parce qu’il faut, pour évaluer le succès, disposer d’une quantité considérable d’éléments de preuve sur le fond - en l’espèce, rien n’indique que le grief soit frivole ou vexatoire - le délai ne doit pas être prorogé lorsque la preuve démontre clairement qu’un arbitre de grief n’a pas compétence et que le grief n’a aucune chance de succès devant un arbitre de grief - toutefois, il s’agit d’une situation où la question de la compétence est défendable et où les éléments de preuve portant sur la compétence et ceux portant sur le bien-fondé sont inextricablement liés - on ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la question en litige n’entrait pas dans le champ d’application de la convention collective - il y avait un lien défendable entre le grief et le libellé de la convention collective. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-01-24
  • Dossier:  568-02-271 XR: 566-02-6206
  • Référence:  2014 CRTFP 8

Devant le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

DAVID SAVARD

Demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Passeport Canada)

Défendeur

Répertorié
Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada)


Affaire concernant une demande de prorogation de délai au titre de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


Devant:
David Olsen, président par intérim
Pour le demandeur:
Jacek Janczur, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Christine Diguer, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 4 et 5 septembre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant le président

1 L’agent négociateur demande une prorogation des délais prescrits pour le renvoi de ce grief aux deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs ainsi que pour le renvoi à l’arbitrage, conformément à l’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a fait preuve de diligence pour assurer le respect de ses droits et qu’il subira un préjudice si le grief n’est pas renvoyé à l’arbitrage.

II. Résumé de la preuve

2 Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits qu’elles ont toutes deux signé. L’exposé conjoint des faits est libellé comme suit :

[Traduction]

  1. Le Conseil du Trésor du Canada (Passeport Canada) (l’« Employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance ») conviennent, aux fins du présent arbitrage :
    • que les faits exposés ci-après ne sont pas contestés et ont été admis comme étant des faits démontrés au même titre que s’ils avaient été établis au moyen de la preuve, sous réserve de leur valeur et de leur pertinence relativement aux questions en l’espèce, lesquelles seront déterminées par l’arbitre de grief;
    • que rien dans le présent exposé conjoint des faits n’empêche les parties de présenter des éléments de preuve relativement à d’autres questions, sous réserve de leur valeur et de leur pertinence relativement aux questions en l’espèce, lesquelles seront déterminées par l’arbitre de grief;
  2. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été nommé pour la première fois à un poste de commis au pré-examen classifié au groupe et niveau CR-04 à Passeport Canada le 19 octobre 2007. Sa nomination était pour une période déterminée d’un an, puis elle a été prolongée d’un an à compter du 19 octobre 2008 jusqu’au 17 avril 2009, date à laquelle son contrat a pris fin. Il a réintégré la fonction publique le 2 juin 2009, date de sa nomination pour une période déterminée à un poste à l’Agence du revenu du Canada.
  3. À la suite d’une révision des postes opérationnels menée à l’échelle nationale, Passeport Canada a procédé à la reclassification des postes de commis au pré-examen en janvier 2010 ou aux alentours de cette période, les faisant ainsi passer du niveau CR-04 au niveau CR-05. L’entrée en vigueur de la reclassification était rétroactive au 15 août 2007.
  4. Les employés qui occupaient toujours ces postes (titulaires) à Passeport Canada ont été nommés au nouveau niveau du poste.
  5. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été nommé au nouveau niveau du poste, car il n’était plus titulaire d’un poste de commis au pré-examen.
  6. Le fonctionnaire s’estimant lésé a cherché à savoir où en était le processus de reclassification des postes de commis au pré-examen le 5 mai 2010. Il a alors appris qu’il n’avait pas droit à la reclassification. À cette époque, le il occupait un poste de commis au soutien à l’Agence du revenu du Canada, à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
  7. Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté le grief le 28 mai 2010. Voici les détails du grief et la mesure corrective demandée :

    Je conteste la décision unilatérale de l’employeur de me refuser le versement rétroactif du traitement pour la période durant laquelle j’ai exécuté les fonctions du poste qui a été ou qui a pu avoir été reclassifié par suite de l’exercice de révision de la classification de Passeport Canada.

    • Le 17 avril 2009 – retrait de l’effectif
    • Le 2 juin 2009 – entrée en fonction à l’ARC
    • Automne 2009 – échange de courriels avec l’employeur

    Il a été aidé de Raymond Brossard (AFPC) (Eastern Provincial Airways Malpa (1974))

    1. Que le grief soit renvoyé immédiatement au dernier palier et qu’il y soit instruit.
    2. Que je reçoive le versement rétroactif du traitement pour la période durant laquelle j’ai exécuté les fonctions du poste visé à Passeport Canada, lequel poste a été reclassifié à un niveau supérieur par suite de l’exercice de révision de la classification.
    3. Que Passeport Canada tienne compte de ces sommes supplémentaires, touchées à titre de traitement, dans le calcul de la rémunération, de la pension et des avantages sociaux applicables;
    4. Que je reçoive une mesure corrective intégrale.
  8. L’audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs a eu lieu le 1er décembre 2010, et la décision à l’issue de cette instance a été rendue le 10 décembre 2010. L’employeur a rejeté le grief au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas droit au versement rétroactif du traitement selon les règles régissant la reclassification prescrites à la sous-section 4, « Reclassification ou conversion de la classification », de la partie 2 de la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor.
  9. Un certain nombre de courriels ont été échangés entre M. Jim McDonald, agent des relations de travail, Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, et des représentants des ressources humaines de Passeport Canada, du 28 avril au 1er septembre 2011 au sujet de ce grief et d’autres.
  10. La décision au dernier palier a été rendue le 26 septembre 2011. Le grief a été rejeté sur le fond et parce qu’il a été présenté à l’extérieur du délai prescrit.
  11. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 28 octobre 2010. La formule renvoie à l’article 64 (Administration de la paye) de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Il n’a jamais été fait mention ni de cet article, ni de quelque autre article de la convention collective tout au long de la procédure de règlement des griefs.

3 L’agent négociateur a cité Jim McDonald à témoigner pour le fonctionnaire.

4 M. McDonald est agent des relations de travail pour l’Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance »). Il fournit des services en relations de travail aux membres de l’Alliance, et ce, pour huit différents groupes d’employés de la fonction publique fédérale. Plus particulièrement, il donne des conseils en matière de relations de travail et il est responsable du troisième palier de la procédure de règlement des griefs de son syndicat.

5 L’implication de M. McDonald dans les événements qui ont mené à la présente demande a débuté lorsque Passeport Canada a reclassifié les postes CR de niveau 3, 4 et 5 à l’échelle nationale.

6 Une fois la reclassification terminée, quelque 1 157 membres ont voulu présenter un grief parce que leur poste n’avait pas été touché par la reclassification. M. McDonald et le représentant de l’employeur, M. S. Cardinal, ont conclu que le traitement d’un tel nombre de griefs serait impossible à gérer. Au final, l’agent négociateur a présenté un grief générique, aussi appelé grief type.

7 Dans le cadre de la procédure, il a été décidé qu’une fois la présentation du grief générique faite, tout grief individuel local serait mis en suspens dans l’attente du règlement du grief générique. M. McDonald a donc concentré ses efforts sur le grief générique. Cependant, quelques griefs individuels sont passés à travers les mailles du filet et ont commencé à être traités suivant la procédure de règlement des griefs.

8 Le grief dont il est question a été traité au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et la direction locale a rendu une décision. Le grief est par la suite resté en veilleuse parce que le syndicat a dû s’occuper du grief générique et qu’il n’était pas au courant de l’existence de ce grief individuel. La transmission en bonne et due forme du grief aux deuxième et troisième paliers n’a pas été menée à terme.

9 Lorsque les griefs de MM. Savard et Daniels, dont les circonstances étaient similaires, ont été portés à son attention, M. McDonald en a examiné les circonstances afin de comprendre pourquoi ces griefs ne faisaient pas partie du grief générique.

10 M. McDonald a porté ces griefs à l’attention de la direction à l’échelon national lors de consultations. L’employeur a accepté d’instruire les griefs de MM. Savard et Daniels dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, mais s’est réservé le droit de soulever des questions procédurales de nature technique. L’employeur a accusé un certain retard dans le traitement des griefs au troisième palier, attribuable à une modification apportée à la délégation du pouvoir en matière d’instruction de griefs à ce palier. Enfin, l’employeur a accepté de rendre une décision sans tenir d’audience. Dans un échange de courriels entre M. McDonald et les Relations de travail survenu le 18 mai 2011, il est mentionné ce qui suit :

[Traduction]

Savard/Daniels – versement rétroactif du traitement à partir de 2010, classification CR. Aucune formule de transmission des griefs au troisième palier n’a été envoyée à l’employeur. Le syndicat doit faire enquête et fournir la formule de transmission des griefs au troisième palier. La direction acceptera d’instruire ces griefs (joints), mais les rejettera, conformément à la Directive du Conseil du Trésor; ils devront être renvoyés à l’arbitrage.

11 Selon M. McDonald, à ce moment-là, l’employeur n’avait pas affirmé que les griefs avaient été présentés à l’extérieur du délai prescrit.

12 Selon la procédure habituelle, une fois que le fonctionnaire s’estimant lésé ou le syndicat, ou les deux, reçoivent la décision au premier palier, ils ont un délai de 10 jours pour transmettre le grief au deuxième palier. Habituellement, dans des circonstances comme celles qui caractérisent la présente l’affaire, c’est le syndicat qui se charge de transmettre le grief au deuxième palier. Il n’y avait pas de représentant local du syndicat à Halifax. Le premier vice-président régional s’est occupé de la transmission des griefs au premier palier, et il aurait dû s’occuper de la transmission au deuxième palier. Le premier vice-président régional avait un emploi régulier et était localisé à Terre-Neuve. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas personnellement fait progresser les griefs.

13 Mensuellement, M. Savard a communiqué avec M. McDonald par courriel pour savoir où en était le traitement de son grief.

14 Lorsque le grief a été renvoyé à l’arbitrage, l’avocate du Conseil du Trésor a soulevé la question du non-respect du délai prescrit pour le renvoi du grief au deuxième palier.

15 L’agent négociateur a cité le fonctionnaire, M. Savard, à témoigner.

16 M. Savard est un ancien fonctionnaire maintenant à la retraite. Il a également été dirigeant syndical dans un syndicat représentant les employés d’un transporteur aérien et, à ce titre, il s’occupait des griefs présentés au syndicat au moment de l’arbitrage. Il a déclaré qu’après la présentation de son grief, il a mis sur pied un calendrier électronique. Au début de chaque mois, il vérifiait l’état de son grief auprès de certains dirigeants syndicaux, notamment MM. Brossard, McLean et McDonald et Mme Decker et on lui répondait que toutes les mesures nécessaires étaient prises pour faire avancer le grief au prochain palier.

17 M. Savard n’a jamais discuté des délais à respecter pour la présentation de griefs avec les dirigeants syndicaux; la seule information qu’il a reçue en ce sens était qu’il fallait beaucoup de temps pour qu’un grief franchisse toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs.

18 M. Savard a présenté un certain nombre de courriels. Le premier courriel est daté du 13 décembre 2010, soit la date à laquelle il a appris que son grief avait été rejeté au premier palier de la procédure; il a alors écrit ce qui suit à Mme Decker : [traduction] « on passe maintenant au prochain palier […] Continuez de me tenir au courant […] ». Voici, en partie, la réponse de Mme Decker : [traduction] « le grief passe maintenant au prochain palier. Je vous ferai signe lorsqu’il y aura du nouveau. » Le demandeur a continué de se renseigner de manière régulière tout au long de 2011, jusqu’à ce que le grief soit renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en 2012, et par la suite.

19 Il a affirmé n’avoir jamais considéré que son grief avait été abandonné.

20 Il a déclaré qu’il y avait entre 6 000$ à 7 000 $ en dans ce grief. Lorsqu’il a été embauché à Passeport Canada à l’automne 2007, l’exercice de reclassification était un sujet d’importance pour ses collègues. Il a raconté que, aux fins de cet exercice, les évaluateurs étaient venus au bureau d’Halifax où il travaillait.

21 M. Savard a affirmé que, autant qu’il se souvienne, Nancy MacLean lui avait fourni les formules dont il avait besoin pour présenter son grief. Puisque M. McDonald était en vacances, un certain M. Brosseau du bureau national de l’Alliance l’avait aidé.

22 M. Savard ne savait pas combien de paliers comptait la procédure de règlement des griefs et n’était pas conscient que le grief n’avait jamais été transmis au deuxième palier. Il savait que le grief était entre les mains de ses représentants syndicaux, et il se fiait à leurs capacités et à leurs procédures.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

23 L’agent négociateur a affirmé que je devrais exercer le pouvoir que me confère le Règlement de proroger le délai pour la présentation du grief au deuxième palier. L’avocat a mentionné la décision faisant autorité, soit Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, où la Commission des relations de travail (la « Commission ») a exposé, au paragraphe 75, le critère bien établi à appliquer aux demandes de prorogation de délai :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[…]

24 L’avocat de l’agent négociateur s’est également appuyé sur la décision de la Commission dans Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, une affaire portant sur un licenciement et dans le cadre de laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé s’était conformé au délai de présentation du grief, mais pas à celui de renvoi du grief à l’arbitrage par la faute de son agent négociateur. Dans Trenholm, le retard accusé était de cinq mois et demi, et la Commission a accordé une prorogation pour le renvoi du grief à l’arbitrage. Le syndicat avait tardé à transmettre le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs; cet élément est important, car l’employeur ne peut pas invoquer l’argument selon lequel le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait rien fait pour faire valoir ses droits.

25 Dans Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, la Commission devait statuer sur une demande de prorogation de délai dans le cadre d’une affaire portant sur un licenciement. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait signé son grief à l’intérieur du délai de 25 jours prescrit par la convention collective. Toutefois, son agent négociateur n’a déposé le grief qu’environ trois semaines après l’expiration du délai. Se fondant sur le critère établi dans Schenkman, la Commission s’est exprimée en ces termes au paragraphe 51 :

[51] L’importance accordée à chacun des critères n’est pas nécessairement la même. Les faits du cas déterminent comment ils sont appliqués et quelle valeur probante est accordée à chacun. Chaque critère est examiné et apprécié en fonction du contexte factuel. Il arrive que des critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance.

26 Étant donné les circonstances propres à cette affaire, la Commission a conclu que le demandeur avait démontré avoir une intention claire et soutenue d’aborder le différend et qu’il avait signé les formules de grief dans le délai prescrit et suivi les conseils de l’agent négociateur. Lors du processus, la seule erreur a été commise par l’agent négociateur, qui s’en est expliqué. La demande visant la prorogation de délai a été accueillie.

27 L’avocat de l’agent négociateur a également souligné le fait que les postes de 1 157 membres n’avaient pas été reclassifiés à la suite de l’exercice de reclassification. Les griefs individuels dont il est question en l’espèce sont passés à travers les mailles du filet au palier inférieur de la procédure de règlement des griefs. Comme il n’y avait pas de représentant local du syndicat à Halifax, les membres ont dû se fier à des bénévoles élus. Les dirigeants nationaux du syndicat n’ont pas été mis au courant de l’existence des griefs d’entrée de jeu. L’employeur a accepté d’instruire les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, mais il a fait savoir qu’il s’appuierait sur la politique du Conseil du Trésor pour les rejeter sur le fond.

28 L’avocat de l’agent négociateur a également fait valoir qu’un retard important était attribuable à l’absence de la présidente-directrice générale de Passeport Canada, laquelle a retardé la modification des pouvoirs en vue de traiter les griefs au dernier palier.

29 Le syndicat a omis de renvoyer le grief aux diverses étapes de la procédure de règlement des griefs. Il ne fait aucun doute que M. McDonald a régulièrement reçu des appels téléphoniques et des courriels de la part du fonctionnaire et que ce dernier voulait s’assurer que son grief ne tombe pas dans l’oubli. M. Savard a clairement établi qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable dans le suivi de son grief au moyen des courriels qu’il a fournis, lesquels démontrent un désir soutenu de voir à ce que son grief soit traité.

30 Le fonctionnaire a donné des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard. Il a démontré que le retard était compréhensible étant donné l’exercice exhaustif de reclassification et les griefs qui en ont découlé.

31 Aucun élément de preuve n’a démontré que l’employeur avait subi quelque préjudice que ce soit. La somme d’argent en jeu en l’espèce, soit entre 6 000 $ et 7 000 $, constitue une somme considérable pour une personne à la retraite, mais négligeable pour l’employeur.

32 L’agent négociateur a également contesté l’argument de l’employeur voulant que la Commission n’ait pas compétence pour instruire le grief parce que celui-ci porte sur une directive de l’employeur et non sur une disposition de la convention collective. Le simple fait qu’un employeur déclare avoir agi conformément à une directive ne veut pas nécessairement dire que la Commission n’a pas compétence. À première vue, le grief porte sur une allégation de violation de la convention collective. Le fait de ne pas citer l’article 64 de la convention collective ne change en rien la nature des faits qui sous-tendent le grief. Aux fins de la prorogation du délai de présentation du grief, il suffit que la Commission conclue que l’affaire est défendable sur le fond.

B. Pour l’employeur

33 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour accorder une prorogation de délai dans les circonstances en l’espèce, car il n’y a pas de lien clair entre le grief et l’article 64 de la convention collective. Le grief ne fait pas état d’une violation de la convention collective et, par conséquent, le cas n’est pas défendable.

34 L’avocate de l’employeur a également soutenu que l’employeur a de vastes droits en matière de gestion qui lui permettent d’attribuer les fonctions et de classifier les postes. Ces droits sont reconnus aux articles 6 et 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Qui plus est, ces vastes droits et pouvoirs en matière de gestion sont exposés à l’article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le Conseil du Trésor a été attribué d’importants pouvoirs de gestion en ce qui concerne la rémunération, à moins que ceux-ci ne soient expressément limités par une loi ou une convention collective. Pour ce qui est des questions soulevées dans le cadre du grief en l’espèce, le pouvoir de l’employeur de ne pas rémunérer le fonctionnaire alors qu’il n’est plus titulaire du poste reclassifié n’a été limité par aucune loi ni par la convention collective.

35 L’avocate de l’employeur a fait remarquer que Passeport Canada avait procédé à la reclassification de ces postes conformément à son vaste pouvoir de gestion. Les règles régissant la mise en œuvre des résultats de l’exercice de reclassification ont été établies en conformité avec la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor. L’employeur peut accepter de limiter ses droits au moment du processus de négociation collective, mais aucune disposition de la convention collective ne traite de cette question.

36 L’avocate de l’employeur s’est reportée à la Directive sur les conditions d’emploi, plus particulièrement à la page 9, sous la rubrique « Partie 2 – Rémunération », et aux pages 12 et 13, sous la rubrique « Reclassification ou conversion de la classification ». Ces passages sont ainsi libellés :

1. Droit à la rémunération

Sous réserve des dispositions de la présente directive et de tout autre édit du Conseil du Trésor, toute personne nommée à l’administration publique centrale a le droit de toucher, pour services rendus, le taux de rémunération prévu dans la convention collective pertinente ou le taux approuvé par le Conseil du Trésor à l’égard de son groupe et de son niveau de classification.

[…]

4. Reclassification ou conversion de la classification

4.1 Les personnes nommées à l’administration publique centrale dont le poste est, selon le cas,

  1. reclassifié à un niveau de classification dont le taux de rémunération maximal accessible est inférieur,
  2. reclassifié à un niveau de classification dont le taux de rémunération maximal est supérieur, ou
  3. converti à un nouveau groupe ou niveau professionnel, ou aux deux, ou à un nouveau plan de classification ou une nouvelle structure de rémunération, ou aux deux,

sont assujetties au protocole d’entente applicable ou, en l’absence d’un tel protocole, aux dispositions de la présente annexe.

[…]

4.3 Reclassification à un niveau de classification dont le taux de rémunération maximal est supérieur

4.3.1 Lorsqu’un poste doit être reclassifié à un niveau de classification dont le taux de rémunération maximal accessible est supérieur, la date d’entrée en vigueur de la reclassification est déterminée par les services de classification compétents, en tenant compte de la date à laquelle les fonctions et responsabilités courantes ont été assignées au poste.

4.3.2 Le taux de rémunération et la date d’augmentation de traitement de la personne nommée à un nouveau niveau du poste en vertu de l’article 4.3.1 sont fixés conformément à la convention collective, au régime de rémunération ou à la présente annexe, selon le cas.

37 Selon la façon dont l’employeur a interprété la Directive, le fonctionnaire n’avait pas droit au versement rétroactif du traitement parce que même s’il était nommé au poste à la date d’entrée en vigueur de la reclassification, il n’a pas été nommé au nouveau niveau du poste.

38 Rien n’empêchait l’agent négociateur de présenter un grief pour contester la décision de ne pas verser à M. Savard le versement rétroactif du traitement. Cependant, cette décision n’impliquait pas la convention collective et, par conséquent, ne pouvait être renvoyée à l’arbitrage.

39 L’employeur a avancé que la reclassification de postes n’était visée par aucune disposition de la convention collective. L’article 64, qui s’intitule « administration de la paye », prévoit ce qui suit :

64.01 Sauf selon qu’il est stipulé dans le présent article, les conditions régissant l’application de la rémunération aux employé-e-s ne sont pas modifiées par la présente convention.

64.02 L’employé-e a droit, pour la prestation de ses services :

a) à la rémunération indiquée à l’appendice A-1 pour la classification du poste auquel l’employé-e est nommé, si cette classification concorde avec celle qu’indique son certificat de nomination;

ou

b) à la rémunération indiquée à l’appendice A-1 pour la classification qu’indique son certificat de nomination, si cette classification et celle du poste auquel l’employé-e est nommé ne concordent pas.

40 L’employeur a avancé que le certificat de nomination de M. Savard avait été produit pour un poste classifié au groupe et niveau CR-04, mais aucun élément de preuve ni document à l’appui n’a été présenté à ce sujet.

41 L’employeur a également fait valoir qu’étant donné les circonstances de l’affaire, aucune disposition de l’article 64 de la convention collective ne peut servir de fondement pour justifier le versement d’une rémunération au fonctionnaire.

42 L’avocate de l’employeur m’a renvoyé à un courriel de M. McDonald à M. Savard, daté du 2 août 2011, dans lequel ce dernier a écrit ce qui suit : [traduction] « Nonobstant ce qui précède, Passeport Canada a accepté, sous réserve de tout droit, d’instruire votre grief sur le fond au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. De cette manière, vous aurez l’occasion de contester la validité de la Directive du Conseil du Trésor […] ». Elle a souligné que ce message ne faisait pas référence à une violation de la convention collective et renvoyait plutôt à la Directive.

43 En outre, elle a fait valoir qu’au moment de l’arbitrage, le fonctionnaire avait cherché à modifier la nature du grief qui avait été préalablement établie au cours de la procédure de règlement des griefs, contrairement aux principes énoncés dans Burchill.

44 Endin, elle a déclaré que le grief n’avait jamais été transmis au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et que, de ce fait, il était hors délai. Il est important de se rappeler que M. Savard a pu compter sur l’aide de ses représentants syndicaux et qu’il a entretenu une conversation soutenue avec eux pendant deux ans. L’Élément national a joué un rôle dans la présentation du grief au premier palier, comme en témoigne la référence à la participation de M. Brossard au dossier à l’époque.

C. Réplique de l’agent négociateur

45 L’agent négociateur a reconnu que la question de savoir si la Commission a compétence pour instruire le grief doit être traitée avant de déterminer si la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de proroger le délai. La position de l’employeur est fondée sur l’argument selon lequel l’article 209 de la Loi permet le renvoi à l’arbitrage de tout grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective. Selon le libellé du grief, le fonctionnaire se plaint de la décision de l’employeur de lui refuser le versement rétroactif du traitement à la suite de l’exercice de révision de la classification mené à Passeport Canada. Dans l’exposé conjoint des faits, il est écrit que le fonctionnaire a travaillé à Passeport Canada du 19 octobre 2007 au 17 avril 2009. Au paragraphe 3, il est mentionné que l’entrée en vigueur de la reclassification avait un effet rétroactif au 15 août 2007, ce qui comprend la majorité de la période pendant laquelle le fonctionnaire a occupé le poste visé.

46 Selon la clause 64.02 de la convention collective, l’employé a droit, pour la prestation de ses services, à la rémunération indiquée à l’appendice A-1 pour la classification du poste auquel l’employé est nommé.

47 Il a été soumis que les événements relatifs au grief donnent lieu à une cause défendable sur la violation de l’article 64 de la convention collective. Il est possible de régler la question de la compétence en trouvant un lien défendable entre les faits et la convention collective. Si l’affaire est instruite sur le fond, il pourrait y avoir des éléments de preuve portant sur des pratiques antérieures qui contribueraient à régler la question.

48 L’article 64 de la convention collective donne le droit d’être rémunéré pour la prestation de services. L’exposé conjoint des faits comprenait une reclassification avec effet rétroactif visant la période pendant laquelle l’employé avait le droit d’être rémunéré pour ses services.

49 Tout le monde s’entend sur le fait que tous les employés nommés à des postes classifiés CR-04, sauf MM. Savard et Kennedy, ont été reclassifiés et ont reçu le versement rétroactif du traitement. Aucun élément de preuve n’a démontré que l’un des autres employés ait fait l’objet d’une nouvelle nomination.

50 L’avocat de l’agent négociateur a remis en question la position de l’employeur voulant que l’affaire soit examinée à la lumière de la Directive du Conseil du Trésor. L’article 3.2 de la Directive prescrit que celle-ci porte sur des conditions d’emploi qui ne sont pas définies dans les conventions collectives. D’après l’exposé conjoint des faits, les parties reconnaissent que les postes classifiés au niveau CR-04 n’étaient pas bien classifiés et que la rémunération n’était pas suffisante. L’employeur s’est appuyé sur les articles 4.3.1 et 4.3.2 pour refuser de verser rétroactivement le traitement au fonctionnaire parce que celui-ci n’était pas titulaire du poste au moment de la reclassification, soit aux alentours de janvier 2010. Rien dans l’article 4.3.1 ne prévoit qu’il faille être titulaire du poste visé pour avoir droit au versement rétroactif du traitement. Par ailleurs, il n’y a rien non plus à l’article 4.1 qui limite le versement rétroactif du traitement au titulaire du poste.

51 Selon l’avocat, l’article 4.3.2 de la Directive portait sur le taux de rémunération et sur la date d’augmentation de traitement de la personne nommée à un nouveau niveau du poste en vertu de l’article 4.3.1. De même, l’article 4.3.2 prescrit que ces deux montants doivent être calculés conformément à la convention collective, au régime de rémunération ou à l’appendice lui-même. Rien dans le libellé de cette disposition n’empêche le versement rétroactif du traitement à une personne qui n’est pas titulaire du poste. Le droit à un nouveau traitement découle de la convention collective.

52 Il a été établi que l’entrée en vigueur de la reclassification avait un effet rétroactif au 15 août 2007. L’article 4.3.2 de la Directive aurait dû avoir été appliqué à compter de cette date, et le fonctionnaire aurait dû être rémunéré à titre de CR-05 conformément à l’appendice de la convention collective. Il est indéniable que la convention collective joue un rôle et que la Commission a compétence en l’espèce.

53 Pour que la Commission établisse que les faits ne permettent pas de défendre, sur le fond, une demande pour le versement rétroactif du traitement, il faudrait que le libellé de l’article 64 de la convention collective soit clair et non équivoque. Or, l’article 64 prescrit qu’un employé a le droit d’être rémunéré pour la prestation de ses services, ce qui constitue un fondement suffisant pour une demande de versement rétroactif du traitement.

54 L’avocat de l’agent négociateur a également contesté l’argument de l’employeur voulant que, étant donné que le grief ne fait pas expressément mention de l’article 64 de la convention collective, les principes énoncés dans Burchill ont été enfreints. Le grief porte sur la décision de l’employeur de refuser de verser rétroactivement au fonctionnaire le traitement qui lui est dû à la suite de la reclassification impliquant les dispositions de la convention collective.

55 L’employeur a affirmé que M. Savard avait demandé de l’aide; il ne faut toutefois pas oublier qu’il n’y avait pas de représentants locaux du syndicat en Nouvelle-Écosse. La participation de M. MacDonald, le représentant national, n’a commencé qu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

56 Aucun des éléments de preuve présentés n’a démontré que la nomination des titulaires au niveau supérieur constituait une condition à remplir pour recevoir le traitement rétroactivement.

57 Le syndicat a satisfait au critère en cinq volets, et la Commission devrait proroger le délai tel qu’il est demandé.

IV. Motifs

58 L’article 61 du Règlement est ainsi libellé :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

59 Dans Schenkman, la Commission a exposé les critères à appliquer pour établir s’il y a lieu de proroger un délai, soit :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

60 L’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. Les faits propres à une affaire détermineront comment ces critères sont appliqués et quelle valeur probante est accordée à chacun (Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 92 au paragraphe 45, et Gill au paragraphe 51).

61 D’après la preuve, les postes de quelque 1 157 membres n’ont pas été reclassifiés à la suite de l’exercice de reclassification. M. MacDonald a déclaré que le représentant de l’employeur et lui avaient conclu que le traitement d’un tel nombre de griefs individuels serait impossible à gérer. L’agent négociateur a donc présenté un grief générique et de laisser en suspens tout grief individuel local tant que le grief générique ne serait pas réglé. Cependant, quelques griefs individuels sont passés entre les mailles du  filet et ont commencé à être traités suivant la procédure de règlement des griefs.

62 Le grief en l’espèce a été traité au premier palier de la procédure de règlement des griefs, mais il n’a pas été transmis en bonne et due forme aux deuxième et troisième paliers. Lorsque M. MacDonald s’est rendu compte de la situation, il a porté le grief à l’attention de la direction à l’échelon national lors de consultations. En raison de la position de l’employeur relativement au grief, il y a eu une certaine confusion quant à la place que devait occuper le grief de M. Savard. Plus précisément, M. McDonald devait répondre à la question soulevée par l’employeur, à savoir si le grief devait ou non être intégré au grief générique; de prime abord, les questions abordées dans l’un et l’autre grief étaient similaires. Le 28 juillet 2011, l’employeur a fait valoir que le grief ne faisait pas partie des griefs rattachés au grief générique. M. McDonald a fait valoir cette position dans un courriel à M. Savard, daté du 2 août 2011.

63 M. Savard a déclaré qu’après la présentation de son grief, il a inscrit une note à son calendrier électronique. Au début de chaque mois, il s’enquérait de l’état de son grief auprès d’un certain nombre de dirigeants syndicaux. Il se voyait répondre que toutes les mesures nécessaires étaient prises pour faire avancer le grief au prochain palier. M. Savard a produit en preuve plusieurs courriels attestant qu’il s’était informé régulièrement de l’état de son grief et qu’il n’avait jamais considéré que celui-ci avait été abandonné. M. MacDonald a confirmé que M. Savard avait fait preuve de diligence relativement à son grief.

64 Outre le recours à la procédure pour un grief générique et le fait que l’employeur n’a pas estimé que le grief de M. Savard était rattaché à ce grief générique, un autre problème semble avoir ajouté à la confusion qui régnait quant à la manière de traiter le grief. En effet, le pouvoir délégué au troisième palier de la procédure était en voie d’être modifié. À titre d’exemple, dans un courriel de suivi daté du 7 avril 2011, envoyé à la suite d’une des demandes de renseignements de M. Savard quant à l’état de son grief, M. McDonald a écrit un courriel à un autre dirigeant syndical pour l’informer que le grief n’avait pas été trouvé. Il a ajouté que, quoi qu’il en soit, le grief ne serait allé nulle part parce que la présidente-directrice générale de Passeport Canada avait décidé de modifier la délégation de pouvoir relative au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Le syndicat attendait l’annonce de cette délégation de pouvoir depuis plusieurs mois.

65 Je suis convaincu que le fonctionnaire a démontré l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard. Le retard peut être attribué à l’agent négociateur et à l’énorme quantité de travail généré par la gestion du grief générique et de questions similaires. Le fait de ne pas avoir transmis le grief au deuxième palier était une erreur découlant du fait que le syndicat attendait le règlement du grief générique, lequel englobait plus de 1 000 griefs individuels. Il est donc compréhensible qu’un grief ait pu tomber dans l’oubli.

66 En outre, j’estime que le fonctionnaire a fait preuve de diligence raisonnable en assurant le suivi de son grief dont l’agent négociateur était responsable. Le 13 décembre 2010, le fonctionnaire a avisé Angela Decker, (membre de l’agent négociateur) du rejet de son grief. Le jour même, Angela Decker a répondu au fonctionnaire et a informé l’Élément national de la situation. M. Savard a continué de s’enquérir de l’état de son grief; rien dans la preuve n’indique qu’il a abandonné son grief. De même, des éléments de preuve attestent l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes corroborant l’intention claire et soutenue de M. Savard de régler cette question (voir Gill au paragraphe 66).

67 D’après l’exposé conjoint des faits, le grief a fait l’objet d’une audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 1er décembre 2010, et la décision à l’issue de cette audience a été rendue le 10 décembre 2010. M. Savard a ensuite avisé Angela Decker de cette décision, et elle en a informé l’Élément national. M. McDonald et l’employeur se sont échangé, du 28 avril au 1er septembre 2011, un certain nombre de courriels qui ne portaient pas uniquement sur ce grief, mais également sur d’autres griefs relatifs aux mêmes questions ou à des questions similaires. Le retard a été d’environ cinq mois, ce qui n’est pas exceptionnel si on le compare à d’autres cas où des prorogations de délai ont été accordées malgré des retards plus importants.

68 M. Savard a déclaré que la somme d’argent en jeu dans ce grief était de quelque 6 000$ à 7 000 $, soit un montant considérable pour une personne à la retraite. L’employeur n’a fourni aucun élément de preuve pour attester qu’il subirait un préjudice si la prorogation était accordée. Or, l’évaluation de ce facteur indique que le fonctionnaire pourrait être victime d’une injustice si la prorogation n’était pas accordée. L’employeur n’a quant à lui pas démontré en quoi le retard lui occasionnerait un préjudice.

69 Dans les affaires concernant une demande visant la prorogation d’un délai, il est souvent dit que les chances de succès d’un grief ne constituent pas un facteur important parce qu’il faut, pour évaluer le succès, disposer d’une quantité considérable d’éléments de preuve sur le fond (voir par exemple Salain au paragraphe 49). En l’espèce, rien n’indique que le grief est frivole ou vexatoire. Les deux principales questions soulevées dans l’argumentation qui se rapportent aux chances de succès du grief sont celles liées à la compétence qui ont été soulevées par l’employeur.

70 L’avocate de l’employeur a fait valoir que le fonctionnaire avait, au moment de l’arbitrage, cherché à modifier la nature du grief qui avait été préalablement établie au cours de la procédure de règlement des griefs, soit une pratique contraire aux principes énoncés dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.). Cet argument était fondé sur le fait que le grief ne faisait pas expressément mention de la disposition de la convention collective qui aurait été enfreinte. Selon les principes énoncés dans Burchill, le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut renvoyer à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief modifié, et seul le grief tel qu’il a été présenté peut être renvoyé à l’arbitrage.

71 L’agent négociateur a fait valoir que le fait de ne pas avoir cité l’article 64 de la convention collective au vu du grief ne change en rien la nature des faits qui le sous-tendent.

72 Pour décider si le grief est contraire ou non aux principes énoncés dans Burchill, je dois d’abord établir si le grief que souhaite présenter le fonctionnaire est un nouveau grief ou un grief différent de celui qui a été traité dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Dans une telle situation, le critère à appliquer consiste à établir si l’employeur connaissait la nature du grief pendant que la procédure de règlement des griefs était en cours et s’il a eu l’occasion de se pencher sur les questions en litige. Le grief ne fait pas expressément mention d’une violation de la Directive ni d’une disposition particulière de la convention collective. L’agent négociateur a approuvé la présentation du grief initial au motif que celui-ci portait sur une violation de la convention collective, et il a entrepris de représenter le fonctionnaire. Les faits qui sous-tendent le grief et qui y sont exposés ne sont pas contestés, sont demeurés les mêmes tout au long de la procédure de règlement des griefs et se trouvent également dans l’exposé conjoint des faits présenté par les parties. Manifestement, le fonctionnaire cherche, au moyen de ce grief, à recevoir rétroactivement le traitement pour la période pendant laquelle il a exercé les fonctions d’un poste à Passeport Canada qui a été reclassifié à un niveau supérieur à la suite de l’exercice de révision de la classification. À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que le grief n’est pas contraire aux principes énoncés dans Burchill, étant donné que, selon moi, l’employeur a eu l’occasion de se pencher sur les questions soulevées dans le grief. C’est l’employeur, dans la décision qu’il a rendue au premier palier de la procédure, qui a déclaré que le grief était lié à la Directive.

73 L’autre argument avancé par l’employeur au sujet de la compétence est que la Commission ne peut instruire un grief au premier palier. L’employeur a soutenu que la Commission n’avait pas le pouvoir de proroger le délai de présentation du grief parce que celui-ci porte sur une directive de l’employeur et non sur une disposition de la convention collective.

74 L’employeur a affirmé qu’il n’existait pas de lien clair entre le grief et la disposition de la convention collective en cause, soit l’article 64. Il a soutenu que le Conseil du Trésor possède un grand pouvoir de gestion en ce qui a trait à la rémunération et, à moins que ce pouvoir soit expressément limité par une loi ou une convention collective, la Commission n’a pas compétence pour instruire un grief portant sur des questions relatives à la rémunération qui ne sont pas couvertes par des articles de la convention collective. De l’avis de l’employeur, Passeport Canada a procédé à la reclassification de ces postes en vertu de son vaste pouvoir de gestion, conformément à la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor, et il s’agit d’un sujet qui n’est pas abordé par la convention collective. L’employeur a fait valoir que le pouvoir de ne pas payer le fonctionnaire maintenant qu’il n’est plus titulaire du poste reclassifié n’a été limité ni par la loi ni par la convention collective.

75 L’agent négociateur a répliqué que la Loi permet le renvoi à l’arbitrage de griefs portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective. Il est d’avis que le libellé du grief est tel que la décision de l’employeur de refuser au fonctionnaire le versement rétroactif du traitement découlant de l’exercice de révision de la classification mené à Passeport Canada est contestée. Selon l’exposé conjoint des faits, le fonctionnaire a occupé le poste visé du 19 octobre 2007 au 17 avril 2009; l’entrée en vigueur de la reclassification avait un effet rétroactif au 15 août 2007, soit une période qui inclut en grande partie la période pendant laquelle le fonctionnaire a été titulaire du poste visé par la reclassification. Selon la clause 64.02 de la convention collective, un employé a le droit d’être rémunéré pour la prestation de ses services, et ce, à la rémunération indiquée à l’appendice A pour la classification du poste auquel il est nommé. Le syndicat a fait valoir que, de ce point de vue, il peut être défendu qu’il y a eu violation de l’article 64 de la convention collective. Si l’affaire devait être instruite sur le fond, peut-être y a-t-il des éléments de preuve portant sur des pratiques passées qui pourraient contribuer à régler la question.

76 Pour qu’il soit conclu que la Commission a compétence en l’espèce, le grief doit porter sur « l’interprétation ou l’application, [à l’égard du fonctionnaire], de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ».

77 J’admets qu’un arbitre de grief nommé au terme de la Loi n’a pas compétence pour instruire un grief présenté au titre de la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor. Lorsque la preuve démontre clairement qu’un arbitre de grief n’a pas compétence et que le grief n’a aucune chance de succès devant un arbitre de grief, le délai ne doit pas être prorogé. Toutefois, il y a des situations où la question de la compétence est défendable et où les éléments de preuve portant sur la compétence et ceux portant sur le bien-fondé sont si inextricablement liés qu’ils doivent être examinés ensemble de manière à ce qu’une décision soit rendue sur chacune des questions. En l’espèce, il s’agit d’une telle situation. Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la question en litige n’entre pas dans le champ d’application de la convention collective. Il existe au moins un lien défendable entre le grief et le libellé de la convention collective. Il se peut que les éléments de preuve et les arguments portant sur le bien-fondé de l’affaire permettent d’établir que les dispositions pertinentes de la convention collective s’appliquent bel et bien. Par exemple, le syndicat a soutenu qu’il y avait peut-être des éléments de preuve portant sur des pratiques passées en ce qui a trait à l’application de la convention collective. Par surcroît, l’argument de l’employeur à ce sujet est en partie fondé sur un point très technique, à savoir le certificat de nomination. Or, aucun élément de preuve n’a été présenté à ce sujet, ni sur les pratiques de l’employeur dans de telles situations.

78 Si la Commission a bel et bien compétence dans le cadre de cette affaire, cette compétence se limite à établir s’il y a ou non eu violation de la clause 64.02 de la convention collective, laquelle dispose que l’employé a droit, pour la prestation de ses services :

a) à la rémunération indiquée à l’appendice A-1 pour la classification du poste auquel l’employé-e est nommé, si cette classification concorde avec celle qu’indique son certificat de nomination;

ou

b) à la rémunération indiquée à l’appendice A-1 pour la classification qu’indique son certificat de nomination, si cette classification et celle du poste auquel l’employé-e est nommé ne concordent pas.

79 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance suivante :

V. Ordonnance

80 J’accorde la prorogation du délai pour la présentation du grief aux deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs ainsi que pour le renvoi à l’arbitrage.

Le 24 janvier 2014.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
président par intérim

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.