Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief concernant l’interprétation ou l’application d’une clausede la convention collective et, spécifiquement, le refus de l’employeur de lui verser une indemnité d’habillement de 600 $ ou de lui fournir un uniforme de maternité - le grief a été renvoyé à l’arbitrage - l’employeur a soulevé une objection préliminaire à savoir que le libellé du grief ne faisait pas mention du fait que l’employeur devait cesser une pratique discriminatoire - l’arbitre de grief a rejeté cette objection, déterminant que le libellé du grief soulevait une question de droits de la personne et que l’employeur était au courant de ce fait lors de la procédure de règlement de griefs - en accueillant le grief, l’arbitre de grief a noté que la discrimination fondée sur la grossesse ou l'accouchement constitue de la discrimination fondée sur le sexe - il a observé que bien que la convention collective soit le fruit d’une entente entre le syndicat et l’employeur, ses clauses ne peuvent contrevenir aux exigences des lois de droits de la personne - l’arbitre de grief a déterminé qu’il y avait un manque de cohérence dans la gestion des normes sur l’uniforme et de l’indemnité relative aux uniformes - l’employeur n’avait pas établi qu’il y aurait une ingérence excessive dans l’exploitation de l’entreprise de l’employeur en adoptant plus de flexibilité dans l’application de cette clause - dans les circonstances, l’employeur n’a pas réussi à établir que les normes en question étaient des exigences justifiées - il a ordonné que l’employeur paie à la fonctionnaire s’estimant lésée l’indemnité d’habillement prévue à la clause de la convention collective, au prorata du temps qu’elle a travaillé pendant son affectation à des tâches administratives et la somme de 1 500 $ à titre de préjudice moral, en vertu de l’alinéa53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-09-11
  • Dossier:  566-02-3112
  • Référence:  2014 CRTFP 82

Devant un arbitre de grief


ENTRE

NATHALIE NADEAU

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant léséE:
Catherine Quintal, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour l'employeur:
Léa Bou Karam, avocate
Pour la Commission canadienne des droits de la personne:
Samar Mussalam, avocate
Affaire entendue à Québec (Québec), les 4 et 5 décembre 2012. Arguments écrits déposés le 25 octobre et les 1er et 11 novembre 2013

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s’estimant lésée, Nathalie Nadeau (la « fonctionnaire »), occupe le poste d’agent correctionnel classifié au groupe et niveau CX-01. Elle travaille au Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») à l’Établissement Donnacona, situé à Donnacona (Québec) (l’« établissement »). Le 22 mai 2009, la fonctionnaire a déposé un grief concernant l’interprétation ou l’application de la clause 43.03 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur, le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) (le « syndicat ») qui a expiré le 31 mai 2010 (la « convention collective »).

2 La description du grief de la fonctionnaire est la suivante :

En vertu de l’article 43.03 je conteste le fait que l’employeur refuse de me verser l’indemnité d’habillement de 600 $. Également l’employeur est incapable et refuse de me fournir un uniforme de femme enceinte.

3 En ce qui concerne les mesures correctrices, le grief indique ce qui suit :

Me verser l’indemnité de 600 $ ou me fournir un uniforme de femme enceinte adéquat.

Et tous les autres droits que me donne la convention collective de travail, ainsi que tous dommages réels, moraux ou exemplaires, et ce, rétroactivement avec intérêts au taux légal, sans préjudice aux autres droits dévolus.

4 La réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de griefs se lit comme suit :

[…]

Le paragraphe 43.03 de la convention collective du groupe CX stipule que l’employeur doit verser une indemnité de 600 $ aux CX « qui ne sont pas tenus de porter régulièrement un uniforme au cours de l’exercice de leurs fonctions ». Ce paragraphe énonce aussi que « Les dispositions s’appliquent aux employé-e-s CX-1 et CX-2 affectés à des fonctions pour des périodes excédant six (6) mois par exercice financier » et qu’un employé « recevant cette indemnité ne doit pas être admissible à recevoir des points portant sur la question de l’uniforme ».

Selon les informations recueillies, vous avez été réaffectée à un poste d’adjointe administrative entre le 23 février 2009 et le 14 août 2009, et ce conformément à l’article 45 de votre convention. Ainsi, il appert que vous n’avez pas été affecté à ces fonctions pour une période de plus de 6 mois.

De plus, selon les lignes directrices du Service correctionnel du Canada (SCC) sur les uniformes (DC 351-1), les employés affectés à un poste où ils ne sont pas obligés de porter l’uniforme recevront les points d’entretien annuels calculés au prorata lors de leur retour à leur poste substantif.

Or, il s’avère que vous recevrez les points d’entretien annuel à votre retour de congé de maternité, et ce, tel que prévu par les lignes directrices du SCC. Vous ne pouvez donc pas bénéficier à la fois de l’indemnité d’habillement prévue au paragraphe 43.03 de votre convention et des points pour l’uniforme.

En refusant de vous verser l’indemnité d’habillement, la gestion a parfaitement respecté les dispositions de votre convention collective.

Par conséquent, votre grief et les mesures correctrices sollicitées sont rejetés.

5 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 4 septembre 2009, en utilisant la formule 20, conformément au sous-alinéa 89(1)a)i) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79. La formule 20 est utilisée lorsqu’il s’agit de griefs individuels qui ont trait à l’interprétation ou à l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

6 La fonctionnaire a donc renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), qui prévoit ce qui suit :

209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

7 Sur la formule 20, le syndicat a indiqué qu’il acceptait de représenter la fonctionnaire conformément au paragraphe 209(2) de la LRTFP.

8 La formule 20 indique que ce sont les clauses 41.03 et 43.03 de la convention collective qui font l’objet du grief individuel de la fonctionnaire. La clause 41.03 indique que plusieurs directives font partie de la convention collective, dont la Directive sur les uniformes. La clause 43.03 traite de l’indemnité d’habillement.

9 Lors d’une téléconférence préparatoire tenue le 5 mars 2012 en vue de l’audience qui devait avoir lieu les 27 et 28 mars 2012, la représentante de la fonctionnaire a fait savoir qu’elle entendait soulever lors de l’audience un argument portant sur les droits de la personne.

10 Le 7 mars 2012, le syndicat a donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») conformément à l’article 210 de la LRTFP, alléguant que le grief soulevait une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H-6)(la « LCDP »), à savoir la discrimination basée sur le sexe parce que l’employeur avait refusé ou omis de fournir un uniforme adapté à la condition de femme enceinte de la fonctionnaire. Dans une lettre datée du 30 mars 2012, la CCDP a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») qu’elle avait l’intention de présenter des observations à cet égard.

11 Par lettre datée du 14 mars 2012, la représentante de la fonctionnaire a demandé une remise de l’audience puisque la majorité des témoins du syndicat n’étaient pas disponibles. L’employeur ne s’est pas opposé à cette demande. J’ai accordé la remise à la suite d’une deuxième téléconférence tenue avec les parties le 21 mars 2012.

II. Objection préliminaire de l’employeur

A. Argumentation de l’employeur

12 L’employeur a formulé une objection préliminaire que j’ai prise sous réserve, à savoir que le libellé du grief ne faisait pas mention du fait que l’employeur devait cesser une pratique discriminatoire, et que le grief portait plutôt sur une question d’interprétation et d’application de la clause 43.03 de la convention collective. L’employeur a ajouté que bien que la formule de renvoi à l’arbitrage renvoie à la clause 41.03 de la convention collective, cette disposition n’était pas mentionnée dans le grief.

13 Selon l’employeur, l’intention du syndicat n’était pas d’en faire un grief de discrimination puisque ce dernier n’a fait parvenir l’avis à la CCDP que le 7 mars 2012. L’employeur a fait valoir que ce n’est que deux années et demie après le dépôt du grief que le syndicat a mentionné la discrimination dans un avis procédural. Il a également fait valoir que la question de la discrimination n’avait pas été soulevée aux divers paliers de la procédure de règlement de griefs.

14 L’employeur a plaidé que l’objet donnant lieu au grief était l’application de la clause 43.03 de la convention collective et que le syndicat ne pouvait pas présenter une clause à l’employeur et une autre à l’arbitre de grief. Il a ajouté que le grief n’avait pas été correctement renvoyé à l’arbitrage et qu’il s’agissait d’une embuscade. À cet égard, l’employeur a cité Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5, aux paragraphes 20 et 21, qui se lisent comme suit :

20 On l’a déjà dit, Burchill est une interprétation des dispositions de l’ancienne Loi, maintenant remplacé [sic], et les tribunaux les ont aussi interprétées dans Shneidman, 2006 CF 381 et 2007 CAF 192. À mon avis, toutefois, Burchill continue de s’appliquer également sous le régime de la nouvelle Loi, puisque le paragraphe 209(1) dispose qu’un fonctionnaire ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel qu’à condition de « l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin de cette procédure, l’interprétation retenue dans Burchill veut qu’il n’ait pas présenté un grief sur cette question fraîchement soulevée « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Le grief n’est alors pas arbitrable en vertu d’un alinéa quelconque de [sic] paragraphe 209(1), même comme sous les clauses comparables de l’ancienne Loi.

21 Le principe énoncé dans Burchill perdure largement parce qu’il est logique dans le contexte des relations de travail. L’employeur devrait avoir le droit d’être informé des détails de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé lui reproche afin de pouvoir se pencher correctement sur les problèmes qui sont soulevés et les résoudre, si c’est possible, dans la procédure de règlement des griefs. Lorsque le grief est reformulé ou qu’on y ajoute de nouveaux éléments après la fin de cette procédure interne, la raison d’être même de la procédure peut être sapée.

15 À l’appui de ses arguments, l’employeur m’a aussi renvoyé à Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 et Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192.

B. Argumentation du syndicat

16 Selon le syndicat, la question de la discrimination est implicite au grief. Dans le libellé du grief, la fonctionnaire a demandé que l’employeur lui fournisse un uniforme pour femme enceinte. Le syndicat a souligné que le libellé du grief contenait aussi la phrase suivante : « Également l’employeur est incapable et refuse de me fournir un uniforme de femme enceinte ». Le syndicat a fait valoir que, selon la position de l’employeur, il sera limité à la question de l’indemnité et ne pourra traiter de la deuxième partie du grief.

17 Le syndicat a fait valoir que puisque la fonctionnaire n’avait pas de formation juridique, le fait de ne pas avoir utilisé le mot « discrimination » dans le libellé du grief ne peut en soi avoir pour conséquence de l’empêcher d’avancer un tel argument. Il a fait valoir que l’employeur ne pouvait plaider qu’il avait été pris par surprise par l’allégation de discrimination étant donné que ce dernier était au courant qu’il n’avait pas fourni d’uniforme de maternité à la fonctionnaire.

18 Le syndicat a fait valoir que Burchill ne s’appliquait pas dans les circonstances puisqu’il s’agissait alors d’une question qui n’avait jamais été soulevée lors de la procédure de règlement de griefs. Or, le syndicat a plaidé que le libellé du grief indiquait qu’il s’agissait d’une question de discrimination, mais que l’employeur avait décidé de se limiter à la question de l’indemnité.

19 À l’appui de son argument, le syndicat m’a renvoyé à : Delage c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2008 CRTFP 56; Northwest Territories v. Union of Northern Workers (Public Service Alliance of Canada) (2010), 199 L.A.C. (4e) 429 (requête en contrôle judiciaire accueillie : GNWT v. UNW, 2011 NWTSC 32).

C. Réplique de l’employeur

20 L’employeur a fait valoir que si la question de la discrimination avait été soulevée par le grief, il y aurait eu une référence à la discrimination dans ses réponses aux divers paliers de la procédure de règlement de griefs. Il ne faut pas lire dans les intentions. De plus, les personnes qui répondent aux griefs ne sont pas des juristes.

D. Observations de la CCDP

21 La CCDP a souligné qu’il n’était pas nécessaire que le mot « discrimination » apparaisse dans le libellé du grief puisque c’est implicite à la lecture du grief. Le fait que le grief parle d’uniforme pour femme enceinte indique qu’il concerne seulement les femmes. Même si une politique est claire, le fait de ne pas l’appliquer peut constituer de la discrimination.

E. Décision sur objection préliminaire

22 Le grief déposé au premier palier de la procédure de règlement de griefs est libellé comme suit :

En vertu de l’article 43.03 je conteste le fait que l’employeur refuse de me verser l’indemnité d’habillement de 600 $. Également l’employeur est incapable et refuse de me fournir un uniforme de femme enceinte.

23 La mesure de réparation demandée par la fonctionnaire est la suivante : « […] me verser l’indemnité de 600 $ ou me fournir un uniforme de femme enceinte adéquat ».

24 À la lecture du libellé du grief, il me paraît que la deuxième phrase, qui concerne une mesure d’accommodement dû à la grossesse, soulève clairement une question de droits de la personne. Ni le libellé du grief ni la mesure de réparation demandée n’ont été modifiés depuis le dépôt du grief. Il est vrai, comme l’a souligné l’employeur, que l’avis de renvoi à l’arbitrage mentionne la clause 41.03 de la convention collective, bien que celle-ci ne se trouve pas explicitement sur la formule de grief. Toutefois, j’estime que l’ajout de la clause 41.03 sur la formule de renvoi à l’arbitrage ne constitue pas une modification du grief. Cette disposition stipule, entre autres, que la directive du Conseil national mixte de la fonction publique (le « CNM ») sur les uniformes (la « Directive sur les uniformes ») fait partie intégrante de la convention collective. Lorsque le grief est suffisamment détaillé à première vue, l’employeur est mis au courant de la nature de celui-ci à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs (voir : Shneidman, au paragraphe 27). En l’espèce, le grief indique clairement qu’un des enjeux porte sur le refus par l’employeur de fournir à la fonctionnaire un uniforme de femme enceinte. De plus, dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement de griefs, l’employeur a mentionné le fait que la fonctionnaire n’était pas obligée de porter un uniforme lors de son affectation à des tâches administratives. Il est donc clair que l’argument au sujet de l’uniforme était devant l’employeur.

25 En ce qui a trait à Burchill et Shneidman citées par l’employeur, je suis d’avis que ces décisions ne s’appliquent pas en l’instance, à l’instar de l’arbitre de grief dans Delage qui a exprimé ses motifs comme suit :

16 La règle établie dans Burchill n’est pas pertinente pour trancher l’objection formulée par l’employeur. Dans Burchill, la Cour mentionne qu’on ne peut présenter un grief différent à l’arbitrage de celui présenté dans la procédure interne de griefs. La plainte dont on a voulu saisir l’arbitre doit être énoncée dans le grief. Dans la présente affaire, le grief renvoyé à l’arbitrage demeure identique à celui qu’on a déposé à l’interne. Qui plus est, la plainte est clairement énoncée dans le grief.

[…]

18 Dans Shneidman, la fonctionnaire a contesté son licenciement en alléguant dans le grief que la décision était non justifiée, déraisonnable et excessive. À l’arbitrage, elle a aussi allégué qu’il y avait eu violation de la convention collective, car la procédure disciplinaire qui y était prévue n’avait pas été respectée. La Cour a déterminé que l’arbitre n’avait pas compétence pour disposer des allégations de violations de la convention collective, car ces allégations n’avaient pas été portées au dernier palier de la procédure de griefs. Dans la présente affaire, la violation de la convention collective a été portée à l’attention de l’employeur dans le libellé du grief.

26 La situation en l’espèce se distingue clairement de Lee. Dans Lee, le poste du fonctionnaire s’estimant lésé exclu a été reclassifié en une classification nouvellement créée. Il a déposé un grief concernant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle norme de classification et la rémunération pour les fonctions accomplies avant la date d’entrée en vigueur. Il a d’abord renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. Ayant été avisé qu’il ne pouvait renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de cette disposition parce qu’il n’était pas représenté par un agent négociateur, le fonctionnaire a présenté le même grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, alléguant que le refus de le payer pour les services qu’il avait rendus constituait une mesure disciplinaire. Statuant sur l’objection préliminaire de l’employeur, l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire n’avait pas soulevé la question de la mesure disciplinaire durant la procédure de règlement de griefs et, par conséquent, la règle dans Burchill s’appliquait.

27 L’employeur a plaidé que l’argument du syndicat concernant la discrimination l’avait pris par surprise. Cependant, comme il sera démontré au moyen du résumé de la preuve de cette décision, l’employeur savait qu’il existait une allégation de discrimination. Au cours de son interrogatoire en chef, Jean Simard, directeur adjoint aux opérations de l’établissement à l’époque, a témoigné avoir eu une discussion en mars 2009 avec des représentants syndicaux et la fonctionnaire. Lors de cette discussion, il avait dit qu’il était conscient que les femmes ne choisissaient pas l’horaire de leurs grossesses et qu’il ne voulait pas que la période d’affectation de plus de six mois par exercice financier prévu à la clause 43.03 de la convention collective discrimine contre les femmes enceintes. Il avait alors proposé d’appliquer la clause 43.03 de la convention collective de façon à ce qu’elle s’étire sur deux exercices financiers; tout le monde, selon M. Simard, était d’accord avec cette proposition.

28 Je conclus donc que le libellé du grief soulève une question de droits de la personne et que l’employeur était au courant de ce fait lors de la procédure de grief. Par conséquent, je rejette l’objection préliminaire de l’employeur.

III. Résumé de la preuve

29 En début d’audience, les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits daté du 4 décembre 2012, qui se lit comme suit :

1. La convention collective Services correctionnels (CX) conclue entre le Conseil du Trésor et UCCO-SACC-CSN (la date d’expiration est le 31 mai 2010) s’applique pour le présent grief.

2. Le 27 janvier 2009, M. Jean-Guillaume Dufour, conjoint de la plaignante, a envoyé un courriel à M. Jean Simard, directeur adjoint aux opérations, afin de demander où en était rendu le processus pour l’uniforme de maternité de sa conjointe et M. Simard lui a répondu le 28 janvier 2009 (voir courriel joint en pièce S-1).

3. M. Jean-Guillaume Dufour a déposé le certificat médical de la plaignante (voir pièce S-2) le 13 février 2009 dans la case de M. François Bénard. Gestionnaire correctionnel, situé dans le bureau opérationnel des gestionnaires correctionnels.

4. Le 13 février 2009, M. Bénard était en congé maladie et en a donc pris connaissance quelques jours plus tard.

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

1. Témoignage de Marie-Christine Ross

30 Marie-Christine Ross est agente correctionnelle à l’Établissement Donnacona. Elle est également déléguée à la condition féminine du local du syndicat à l’établissement.

31 Lors du témoignage de Mme Ross, le syndicat a voulu introduire une liasse de sept formules de grief déposée par des agentes correctionnelles employées à divers établissements de l’employeur afin de démontrer que l’employeur discriminait de façon systémique contre les agentes correctionnelles enceintes. Quelques-uns de ces griefs faisaient valoir que les uniformes de maternité n’étaient pas adéquats et d’autres réclamaient l’indemnité d’habillement en vertu de la clause 43.03 de la convention collective. L’employeur s’est opposé à cette preuve.

32 À ma demande, le greffe de la Commission a dressé une liste des griefs dans son système concernant l’indemnité d’habillement qui ont été renvoyés à l’arbitrage. Cette liste a été fournie aux parties par la Commission le 22 novembre 2012, en vue d’une téléconférence préparatoire fixée au 29 novembre 2012. Les griefs que voulait déposer le syndicat figuraient sur cette liste.

33 Lors de la téléconférence, j’ai demandé à la représentante de la fonctionnaire si, vu la liste de griefs dressée par la Commission, le cas de la fonctionnaire allait servir de cas type. La représentante m’a informé que non, puisqu’elle n’avait pas eu l’occasion de discuter des détails de ces griefs avec ses collègues provenant des établissements d’où émanaient les griefs.

34 J’ai admis ces griefs en preuve (pièce S-3 en liasse) sous réserve de leur valeur probante.

35 Mme Ross a dit que les agentes correctionnelles enceintes devaient aviser leur gestionnaire de la date de leur rendez-vous médical et de leur date de retour prévue.

36 Elle a témoigné qu’il n’y avait pas de raison de sécurité pour qu’une agente correctionnelle ne porte pas l’uniforme dans la zone administrative de l’établissement. Selon Mme Ross, une femme enceinte qui porte l’uniforme n’a pas à intervenir dans des situations d’urgence.

37 En contre-interrogatoire, Mme Ross a dit qu’avant de prendre rendez-vous avec le médecin, l’agente porte l’uniforme au travail, puisqu’elle ne sait pas qu’elle est enceinte. Selon elle, en général, il peut s’écouler entre 3 ou 4 semaines, voire jusqu’à 8, avant de voir le médecin.

38 Mme Ross a témoigné qu’après le rendez-vous avec le médecin, une fois que la date de retour au travail et les limitations fonctionnelles, s’il y a lieu, sont fixées, l’agente demeure chez elle en congé payé jusqu’à qu’elle soit réaffectée à d’autres tâches. De façon générale, l’agente est réaffectée à des tâches administratives.

39 Selon Mme Ross, à l’établissement, les femmes enceintes ont fait l’objet d’une dizaine de dossiers depuis quatre ans.

40 Mme Ross a affirmé que les postes de visites et d’effets personnels à l’établissement requièrent le port de l’uniforme. À la question de savoir si l’uniforme est requis pour accomplir des tâches administratives, Mme Ross a répondu que cela dépendait des autres tâches auxquelles l’agent pouvait être affecté.

2. Témoignage de Nathalie Nadeau

41 La fonctionnaire travaille pour l’employeur depuis novembre 1998. Depuis, elle a eu deux grossesses, soit en 2006 et en 2009. Elle a dit qu’elle portait normalement l’uniforme au travail, conformément à la Directive du Commissaire du Service correctionnel du Canada no 351, Barème de distribution des vêtements des employés, publiée le 19 décembre 2008 (pièce S-4) (la « DC 351 »), et les Lignes directrices no 351-1, Uniformes du SCC, code vestimentaire et barème de distribution, aussi publiées le 19 décembre 2008 (pièce S-5) (les « Lignes directrices 351-1 »).

42 La fonctionnaire a fait référence au paragraphe 12 de la DC 351, qui se lit comme suit :

BARÈME DE DISTRIBUTION

12.Les membres du personnel des groupes suivants ont droit à un uniforme complet d'agent de correction :

a. les agents de correction et les intervenants de première ligne, y compris les agents d’admission et de libération et les agents préposés aux visites et à la correspondance, dans les établissements où les uniformes sont autorisés;

[…]

43 La fonctionnaire a également mentionné les paragraphes 45 et 46 des Lignes directrices 351-1, qui prévoient ce qui suit :

VÊTEMENTS DE MATERNITÉ

45.Les agentes seront autorisées à porter un uniforme de maternité spécial seulement après avoir reçu une confirmation écrite de la grossesse de la part d’un médecin. L’agente peut continuer de porter cet uniforme jusqu’à 60 jours suivant l’accouchement.

46.Les agentes nécessitant l’uniforme de maternité peuvent porter une chasuble et modifier la taille de leur pantalon de travail ou de cérémonie à cette fin. Les coûts de confection et d’ajustement des vêtements seront assumés au niveau local (établissement). Les vêtements doivent être bleu nuit et être fabriqués dans le même tissu que l’uniforme de travail. La jupe et le pantalon de travail ou de cérémonie doivent être portés en dessous de la chasuble de maternité.

[…]

44 La fonctionnaire a dit que le port de l’uniforme était avantageux puisque les employés n’avaient alors pas besoin d’acheter des vêtements pour le travail. Elle a ajouté qu’elle avait été réaffectée à des tâches administratives lors de sa première grossesse, en 2006. Elle a également dit qu’elle avait fait une demande pour recevoir l’indemnité en vertu de la clause 43.03 de la convention collective, mais qu’on lui avait répondu qu’elle n’y avait pas droit puisque l’uniforme de maternité était prévu.

45 À cet égard, la fonctionnaire m’a renvoyé à une chaîne de courriels dont le premier est daté du 15 août 2006 et le dernier du 1er septembre 2006, et dont elle a reçu copie (pièce S-6). J’ai admis cette pièce en preuve sujet à sa valeur probante. Cette chaîne de courriels concerne l’interprétation de la clause 43.03 et de l’article 45 de la convention collective, qui traite de la réaffectation liée à la maternité.

46 Le courriel, daté du 15 août 2006, est adressé à Susan Dibble, conseillère principale en relations de travail à la Gestion des relations de travail, Politique et planification, à l’administration centrale de l’employeur, par une conseillère en relations de travail de l’employeur dans sa région du Québec. On y retrouve la question suivante :

[…]

Une agente de correction 1 de l’établissement Donnacona […] demande de recevoir l’indemnité d’habillement de 400 $ prévue à la convention collective CX puisqu’en raison de sa grossesse, suite à la confirmation écrite de son médecin, elle a été réaffectée pour le reste de sa grossesse et jusqu’à son accouchement à des tâches administratives. Elle désire obtenir cette indemnité, car elle dit avoir dû s’acheter des vêtements de maternité.

Aura-t-elle droit à cette indemnité, tel que libellé à la convention collective, au 31 mars 2007 ou doit-elle obligatoirement porter un uniforme de maternité spécial tel que prescrit dans les lignes directrices 351-1 [] et ce, même si au Québec la plupart des agentes de correction sont retirées de leur poste CX durant leur grossesse?

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

47 Dans un courriel du 22 août 2006, dont une copie a été réacheminée à Marc Lacroix, du groupe de négociation collective, Relations de travail et opérations de rémunération, au Secrétariat du Conseil du Trésor, Mme Dibble a répondu comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai confirmé auprès du personnel responsable de la politique sur les uniformes du SCC que des uniformes de maternité, ou des uniformes de grande taille modifiés pour répondre aux besoins des femmes enceintes, sont offerts gratuitement aux employées du groupe CX qui sont enceintes.

L’employée qui demande l’indemnité est tenue de porter un uniforme pour exercer les tâches de son poste d’attache. À sa demande et suivant les conseils de son médecin, elle a été réaffectée à des tâches administratives, conformément à l’article 45 de la convention collective. Étant donné que l’employée enceinte continue de faire partie du groupe CX, elle a droit à un uniforme de maternité. Dans ces circonstances, la pratique usuelle consiste à fournir un uniforme de maternité aux employées.

L’employée avait acheté des vêtements de maternité et a réclamé une indemnité de 400 $. A-t-elle droit à cette indemnité? Selon ma compréhension, l’objet de la clause prévoit le versement d’une indemnité d’habillement au lieu d’un uniforme, de façon à assurer le traitement équitable de tous les employés, qu’ils aient ou non à porter un uniforme.

[…]

48 Le 1er septembre 2006, M. Lacroix a envoyé le courriel suivant à Mme Dibble :

[Traduction]

[…]

Votre interprétation de l’article 43.03 est juste. Elle [l’employée] n’est pas admissible à l’indemnité d’habillement étant donné que des uniformes (y compris des uniformes de maternité) lui sont offerts.

[…]

49 Le même jour, Mme Dibble a fait suivre le courriel de M. Lacroix à la conseillère en relations de travail qui avait posé la question à l’origine, ainsi qu’au gestionnaire régional des relatons de travail, avec le message suivant :

[…]

Je viens de recevoir la réponse de Marc Lacroix du SCT concernant l’indemnité d’habillement. Étant donné qu’uniforme [sic] de maternité est disponible pour les agentes de correction durant leur grossesse, ces employées n’ont pas droit à l’indemnité d’habillement.

[…]

50 La fonctionnaire a reçu copie de cette interprétation le 1er septembre 2006.

51 En ce qui a trait à sa deuxième grossesse, la fonctionnaire a dit avoir appris le 14 décembre 2008 qu’elle était enceinte. Elle a appelé son gestionnaire correctionnel, François Bénard, pour l’en informer, mais il était absent. Lorsqu’il a contacté la fonctionnaire chez elle, il lui a dit de demeurer à la maison jusqu’à ce qu’elle ait pris rendez-vous avec son médecin. La fonctionnaire a dit avoir immédiatement fait une demande pour l’uniforme de maternité puisque, lors de sa première grossesse, elle avait subi de longs délais à cet égard. Elle voulait s’assurer d’avoir l’uniforme de maternité à temps pour son retour au travail. Selon la fonctionnaire, M. Bénard lui a dit qu’il ferait les démarches et communiquerait avec elle ultérieurement.

52 Tel qu’il est mentionné au paragraphe 2 de l’énoncé conjoint des faits, M. Dufour, le conjoint de la fonctionnaire, a envoyé un courriel le 27 janvier 2009 à M. Simard, directeur adjoint aux opérations de l’établissement, étant donné que M. Bénard tardait à lui répondre. Dans son courriel, M. Dufour a demandé où en était le processus pour l’uniforme de la fonctionnaire. M. Simard a répondu le lendemain comme suit (pièce S-1) :

[…]

Comme cela n’a jamais abouti par le passé nous devons mettre en place une nouvelle pratique qui se veut la plus accommodante possible pour les agentes enceintes. Cette procédure débutera dès qu’une agente nous aviseras de sa condition. Le tout est disponible présentement.

Son GC communiquera avec elle pour l’informer de la procédure.

L’agente devra prendre entente avec Ginette Julien pour commander deux paires de pantalons qui seront modifiés (élastique à la taille) ainsi que deux chemises.

Nous fournirons à l’agente (par l’entremise de Ginette Julien) le patron, le matériel et le fil pour le chasuble.

L’agent pourra effectuer les modifications avec la couturière de son choix (facture obligatoire) pour maximiser son confort. Si elle le souhaite, une couturière est identifié à Donnacona.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

53 Une note de service datée du 2 février 2009, ayant comme objet la procédure pour confection de chasuble, et dont le syndicat a reçu copie (pièce S-7), identifiait Linda Bédard comme couturière à Donnacona.

54 La fonctionnaire a dit que les consignes dans le courriel de M. Simard concernant les vêtements de maternité soulevaient des difficultés pour des femmes enceintes. Elle a communiqué ses préoccupations à M. Bénard lors d’une discussion téléphonique. M. Bénard lui a alors demandé de faire ses demandes par écrit, ce qu’elle a fait dans une lettre qu’elle lui a adressée en date du 10 février 2009 (pièce S-8).

55 La fonctionnaire a eu rendez-vous avec son médecin le 11 février 2009 et a obtenu un certificat médical (pièce S-2). Le certificat mentionnait que la fonctionnaire était alors enceinte de 12 semaines et décrivait ses limitations fonctionnelles. Comme la fonctionnaire était prête à retourner au travail, elle a tenté de communiquer avec M. Bénard le même jour, mais il était absent. Tel qu’il est stipulé dans l’énoncé conjoint des faits, le conjoint de la fonctionnaire a déposé le certificat médical dans la case de M. Bénard le 13 février 2009.

56 La fonctionnaire a dit qu’elle a réussi à rejoindre M. Bénard vers le 15 ou 16 février 2009. Elle lui a alors dit qu’elle voulait retourner au travail le plus tôt possible. M. Bénard lui a répondu qu’il chercherait un poste compatible avec ses restrictions médicales. La fonctionnaire lui a demandé où ils en étaient avec son uniforme et M. Bénard lui a dit qu’il attendait une réponse. Quelques jours plus tard, M. Bénard a contacté la fonctionnaire pour l’informer qu’elle serait affectée à un travail avec l’adjointe administrative aux horaires et déploiements, et ce, à compter du 24 février 2009.

57 À son retour au travail, la fonctionnaire n’avait toujours pas d’uniforme de maternité. Elle a rencontré Mario Goulet, directeur adjoint aux opérations à l’établissement, qui lui a demandé de prendre rendez-vous avec la couturière avec qui l’employeur faisait affaire et de s’y présenter accompagnée d’une représentante de l’employeur, Ginette Julien.

58 La fonctionnaire a rencontré la couturière, Mme Bédard, le 3 mars 2009. Dans un courriel du même jour adressé à M. Goulet et qu’elle a fait suivre à M. Simard (pièce S-10), la fonctionnaire fait état de cette rencontre. De même, elle a joint un compte-rendu de Mme Bédard, daté du 3 mars 2009 (pièce S-11), faisant état des difficultés de faire les modifications nécessaires à l’uniforme afin qu’il puisse convenir à une femme enceinte. Elle a aussi mentionné que Mme Julien avait refusé de l’accompagner chez la couturière.

59 La fonctionnaire a dit avoir demandé à rencontrer M. Simard, le 19 mars 2009, afin de connaître les démarches à prendre concernant l’uniforme pour femmes enceintes (pièce S-12). Elle s’est entretenue avec lui quelques jours plus tard. Lors de cet entretien, elle a constaté que le discours de l’employeur avait changé. M. Simard lui a alors dit que les agentes correctionnelles enceintes ne devraient pas porter l’uniforme de maternité puisqu’elles étaient réaffectées dans d’autres secteurs. Il a dit que le fait que la fonctionnaire soit en uniforme voulait dire qu’elle pouvait intervenir auprès des détenus si la situation le demandait. La fonctionnaire lui a répondu en lui demandant pourquoi des agents correctionnels ayant des limitations fonctionnelles pouvaient porter l’uniforme alors que les femmes enceintes ne le pouvaient pas. La fonctionnaire a témoigné que M. Simard lui avait répondu que les agents avec des limitations fonctionnelles avaient le droit de porter leurs propres vêtements et qu’ils n’avaient pas droit à l’indemnité de la clause 43.03 de la convention collective.

60 La fonctionnaire a témoigné que M. Simard était au courant que les grossesses n’avaient pas de lien avec un exercice financier et lui a proposé un prorata pour l’application de la clause 43.03 de la convention collective.

61 Le 30 avril 2009, après avoir discuté la veille avec M. Simard, la fonctionnaire a envoyé un courriel à ce dernier demandant une explication écrite pour le refus de l’employeur d’allouer une indemnité d’habillement pour les femmes enceintes. La réponse de M. Simard, le 5 mai 2009, consistait en un copier-coller des Lignes directrices 351-1 concernant les vêtements de maternité et de la clause 43.03 de la convention collective (pièce S-13).

62 Le 11 mai 2009, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à M. Simard (pièce S-14) :

[…]

Nous avons reçu ta réponse au courriel concernant le refus de nous autoriser l’indemnité et de nous donner un uniforme adapté aux femmes enceintes.

Juste pour bien comprendre, autrement dit, nous n’avons pas le droit de porter l’uniforme prévue [sic] pour les femmes enceintes parce que nous n’occupons pas de tâches de CX.

Ce qui est étrange, c’est que nous avons fait des démarches afin de modifier l’uniforme pour que les femmes le portent. Vous avez fait venir du tissu de la région, acheter du matériel, aller rencontrer des couturières et envoyer des notes de service au personnel concernant la façon de procéder. Et, après tout ça, nous nous faisons dire que nous ne pouvons pas la porter. Nous ne comprenons pas.

Nous attendons plus d’explications.

63 M. Simard a répondu comme suit le 18 mai 2009 :

[…]

Exact, c’est parce que vous avez demandé la possibilité d’avoir l’indemnité [] que j’ai fait des démarches en ce sens. Ce qui aura eu comme effet d’avoir maintenant une position claire pour l’avenir. Vos représentants pourront maintenant faire des représentations claires à leur tour. Tel que discuté, l’article sur l’indemnité s’appliquera […] si les six mois sont complétés.

64 La fonctionnaire a dit avoir commencé son congé de maternité le 14 août 2009 et n’avoir jamais reçu d’uniforme de maternité. Elle a dû acheter plus de vêtements que si elle avait eu un uniforme, puisqu’il lui fallait des vêtements plus professionnels pour le travail. La fonctionnaire a témoigné qu’elle a dû débourser 1 832,35 $ pour l’achat de vêtements de maternité. À cet égard, elle a déposé en preuve les relevés de compte mensuels de sa carte de crédit de décembre 2008 à août 2009 (pièce S-15).

65 La fonctionnaire a mentionné d’autres agentes correctionnelles enceintes. Selon elle, Nathalie Godin n’a pas reçu l’indemnité, Dominique Turmel n’a pas reçu l’uniforme, mais Mélanie Banville a reçu l’indemnité.

66 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu la formule « Attestation de l’employé ayant accès au SGRH » [Système de gestion des ressources humaines] qu’elle a signé le 24 février 2009 (pièce E-2), soit le premier jour de son retour au travail. Elle a dit que ses fonctions étaient celles d’une adjointe administrative, et consistaient surtout en de l’entrée de données. La fonctionnaire n’avait aucun rapport ou interaction avec les détenus.

67 La fonctionnaire a dit que pendant la première partie de sa grossesse, elle travaillait dans un centre administratif situé à l’intérieur du périmètre de sécurité de l’établissement. Par la suite, elle travaillait dans un autre bâtiment de service situé dans le périmètre de l’établissement, mais pas à l’intérieur du périmètre de sécurité. Selon elle, environ un mois et demi s’est écoulé avant qu’elle ne soit réaffectée dans le bâtiment de service.

68 La fonctionnaire a reconnu avoir reçu des points pour l’entretien de son uniforme lors de son retour à son poste substantif.

69 La fonctionnaire a témoigné que Mme Banville avait reçu l’indemnité d’habillement puisqu’elle avait travaillé plus de six mois et que ceux-ci chevauchaient plus d’un exercice financier.

70 La fonctionnaire a affirmé que M. Simard avait lancé l’idée du prorata lors d’une rencontre entre elle, Mme Banville et Robert Jacques, un représentant syndical. Elle a dit que M. Simard n’avait pas fait de promesse à cet égard, mais qu’il l’avait soulevé comme point de discussion. Lors de la rencontre, il a finalement dit qu’il préférait attendre la prochaine convention collective. Lorsque la représentante de l’employeur lui a mentionné que M. Simard ferait valoir que c’était elle, la fonctionnaire, qui avait soulevé la question du prorata, la fonctionnaire a maintenu sa version.

71 L’avocate de l’employeur a demandé à la fonctionnaire de détailler ses achats de vêtements de maternité indiquée sur ses relevés de compte de carte de crédit. La fonctionnaire a dit que les magasins où elle avait acheté ses vêtements de maternité ainsi que les montants dépensés dans chaque magasin étaient indiqués par un « x » sur ses relevés de compte.

72 La fonctionnaire a pu préciser certains détails de ses achats, mais a reconnu avoir retourné des vêtements au magasin ultérieurement à leur l’achat. Elle a également reconnu que certains de ces vêtements étaient pour le travail, d’autres pour la maison et d’autres convenaient pour le travail et la maison.

B. Pour l’employeur

73 M. Simard était le seul témoin de l’employeur. Il a pris sa retraite en août 2011, après avoir travaillé pour l’employeur pendant 30 ans. Il a occupé le poste de directeur adjoint aux opérations à partir de septembre 2007. Avant septembre 2007, et ce, pendant deux ans, il a occupé le poste de directeur adjoint à la sécurité, le prédécesseur du poste de directeur adjoint aux opérations. Ses fonctions comprenaient l’opération quotidienne de l’établissement, la gestion d’employés de la division des opérations, soit environ 300 agents correctionnels, et le personnel administratif des opérations. En plus des équipes spéciales, les départements sous sa responsabilité incluaient celui des visites et des effets personnels, où travaillent des agents correctionnels. M. Simard a dit que les employés de soutien qui travaillent aux services administratifs et qui s’occupent de l’entrée des données et de la gestion du personnel ne sont pas des agents correctionnels.

74 En ce qui a trait à la procédure à suivre lors d’une grossesse, M. Simard a dit que l’agente enceinte doit signaler son absence par téléphone, en tout temps, afin de trouver un remplaçant. L’agente enceinte doit demeurer à la maison en congé payé jusqu’à son rendez-vous avec son médecin. Après ce rendez-vous, elle doit communiquer ses limitations et la date de son retour au travail. À son retour, un rendez-vous avec le gestionnaire correctionnel est fixé dans les 48 heures dans le but de déterminer quelles tâches elle peut accomplir vu ses limitations, ses compétences et ses intérêts pour d’autres postes. M. Simard a dit que plus d’une rencontre était parfois nécessaire. Si la réaffectation n’est pas finalisée, l’agente retourne à la maison en congé payé pendant que des vérifications sont faites en fonction des besoins opérationnels de l’employeur. Souvent, l’agente propose elle-même le travail à faire ou prend des arrangements avec un employé qui travaille dans son champ d’intérêt. En attendant d’être réaffectée, l’agente peut accomplir des tâches administratives telles que la photocopie. De façon générale, l’agente est réaffectée quelques jours après son retour au travail. M. Simard a dit que la décision de réaffecter une agente était prise d’un commun accord avec la direction, l’employée et le représentant de l’employée, tout en respectant la convention collective et les limitations médicales de l’agente.

75 M. Simard a dit que son implication dans le cas de la fonctionnaire avait débuté plus tôt qu’à l’habitude parce qu’elle avait indiqué qu’elle voulait un uniforme de maternité. Selon M. Simard, avant l’année 2000, les agentes correctionnelles enceintes à Donnacona travaillaient avec l’uniforme et effectuaient les tâches de leur poste. Il a dit que les agentes n’avaient pas demandé d’uniforme pour travailler dans des postes autres que celui d’agente, car elles voulaient travailler en vêtements civils.

76 M. Simard a dit qu’il y avait eu des échanges d’appels et de courriels avec la fonctionnaire concernant l’uniforme. Il a communiqué avec le service responsable des uniformes des employés afin de s’informer de la procédure et des politiques sur les uniformes. Il a dit que, selon les normes, un employé qui porte l’uniforme effectue les tâches associées à cet uniforme. Lorsque les discussions avec la fonctionnaire ont débuté en janvier 2009, M. Simard n’avait pas encore en main le certificat médical de la fonctionnaire. Une fois qu’il l’a reçu, ainsi que les limitations médicales, il a eu des discussions avec le représentant de la santé et sécurité et avec la représentante de la condition féminine. Il a aussi discuté du cas de la fonctionnaire avec un conseiller en relations de travail à la direction régionale. M. Simard a dit que l’employée participait aux discussions parce que l’employeur comprenait qu’il s’agissait d’un risque pour l’état de celle-ci et qu’elle ne devrait pas avoir de crainte ou être stressée par des menaces ou de l’intimidation. La fonctionnaire a donc été affectée à des tâches administratives.

77 À la question de savoir pourquoi la fonctionnaire n’a pas eu d’uniforme pour femme enceinte, M. Simard a répondu que ce n’est pas que l’employeur ne voulait pas lui donner d’uniforme, mais bien que cela aurait été contraire au certificat médical de la fonctionnaire. Il a dit qu’il est ressorti de ses discussions avec les représentants en santé et sécurité et à la condition féminine, que les femmes affectées à des tâches administratives travaillaient en vêtements civils. Selon M. Simard, le président du syndicat local était d’accord.

78 M. Simard a dit que dans un établissement à sécurité maximale comme celui de Donnacona, les risques sont plus élevés de croiser un détenu. L’employé qui porte l’uniforme est perçu comme étant dans une position d’autorité et comme étant un agent correctionnel. C’est la seule raison de ne pas donner l’uniforme à la fonctionnaire. D’autres agents correctionnels qui travaillaient avec l’uniforme n’avaient pas les mêmes limitations que la fonctionnaire.

79 À la question de savoir s’il y a des agents correctionnels qui exercent des fonctions d’agents sans porter l’uniforme, M. Simard a mentionné les instructeurs sur le champ de tir et les agents qui agissent comme médiateur et facilitateur pour les plaintes et griefs. Il a dit que ces agents avaient droit à l’indemnité d’habillement s’ils répondaient aux exigences de la clause 43.03 de la convention collective. Selon M. Simard, entre 2007 et 2011, seuls l’agent médiateur et les femmes enceintes ont eu droit à l’indemnité d’habillement.

80 À la question de savoir s’il était possible de déterminer à l’avance où une agente serait réaffectée, M. Simard a répondu affirmativement dans le cas de femmes qui n’en étaient pas à leur première grossesse. Ces agentes connaissent l’établissement et leurs limitations. Selon lui, cela dépend aussi du nombre de femmes qui ont des grossesses en même temps et des besoins de l’employeur. Dans le cas de la fonctionnaire, l’employeur avait besoin d’appui pour le système de gestion des congés et des horaires de travail.

81 En ce qui a trait au témoignage de la fonctionnaire qu’il avait soulevé l’idée du prorata, M. Simard a dit qu’une rencontre avait eu lieu en mars 2009 entre Richard Paquet, responsable de la bonne marche du travail des agents, trois représentants syndicaux, notamment M. Jacques, et lui-même. Mme Banville et la fonctionnaire y ont assisté. La discussion concernait la clause 43.03 de la convention collective et le fait qu’il ne voulait pas qu’un exercice financier ait comme conséquence de discriminer les femmes enceintes puisque les agentes ne choisissent pas leur horaire de grossesse. M. Simard a alors proposé que l’application de la clause 43.03 se fasse sur deux exercices financiers, ce à quoi tous étaient d’accord.

82 M. Simard a témoigné que dans les jours suivants, ils ont discuté de la période de six mois relative à la clause 43.03 de la convention collective. La fonctionnaire a dit qu’elle ne travaillerait pas six mois avant son congé de maternité, et on lui a alors proposé l’option du prorata. M. Simard lui a demandé où le tout s’arrêterait. Il a dit à la fonctionnaire que si elle ne travaillait pas six mois pour avoir droit à l’indemnité, elle aurait droit aux points d’entretien.

83 M. Simard a précisé que lorsqu’il a répondu « Exact » dans son courriel du 18 mai 2009 à la fonctionnaire (pièce S-14), il le faisait en lien avec la phrase suivante du courriel de la fonctionnaire : « […] nous n’avons pas le droit de porter l’uniforme prévu pour les femmes enceintes parce que nous n’occupons pas de tâches de CX. »

84 M. Simard a dit que la fonctionnaire avait amorcé sa demande d’uniforme en janvier 2009, soit avant d’avoir son certificat médical. Il a ajouté qu’il fallait attendre de recevoir le certificat avant de déterminer si elle pouvait porter l’uniforme.

85 En contre-interrogatoire, M. Simard ne se rappelait pas si Mmes Turmel et Godin avaient demandé l’uniforme de maternité en même temps que la fonctionnaire. Il a admis que le certificat médical de la fonctionnaire ne stipulait pas qu’elle ne pouvait pas porter l’uniforme, mais qu’il y avait un risque pour la fonctionnaire d’être en contact avec des détenus.

86 À la question de savoir s’il existait une norme de l’employeur empêchant les agentes enceintes de porter l’uniforme, M. Simard a répondu que l’uniforme des agents devait être porté par les agents qui effectuent les tâches d’un agent correctionnel.

87 Lorsque la représentante de la fonctionnaire a soulevé qu’un des agents ayant des limitations fonctionnelles avait été affecté au poste des effets personnels, M. Simard a répondu que l’employeur faisait en sorte d’éviter que l’agent en question ne soit un intervenant dans des situations d’urgence. M. Simard a reconnu que l’agent en question était en contact avec les détenus, tout en ajoutant qu’il n’y avait pas de limitation en ce qui concerne le contact visuel avec les détenus. M. Simard a dit que l’agent en question portait l’uniforme parce qu’il effectuait les tâches d’un agent correctionnel.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

88 Selon la fonctionnaire, les questions en litige sont les suivantes :

  • Est-ce que le défaut par l’employeur de fournir l’uniforme de maternité constitue de la discrimination basée sur le sexe?
  • Si oui, est-ce que l’employeur a une explication raisonnable pour justifier l’acte discriminatoire?
  • Est-ce que la clause 43.03 de la convention collective constitue une discrimination indirecte envers les femmes enceintes?
  • Si oui, est-ce que l’employeur a une explication raisonnable pour justifier l’application de la clause 43.03 de la convention collective en l’espèce?
  • Si je conclus qu’il y a discrimination envers les femmes enceintes, quels sont les dommages qui devraient être accordés dans les circonstances?

89 La fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait demandé un uniforme de maternité à l’employeur dès qu’elle a su qu’elle était enceinte. Elle a souligné que la preuve non contredite était qu’elle n’avait pas reçu l’uniforme de maternité. Selon les directives de l’employeur, la fonctionnaire a rencontré la couturière attitrée par l’employeur, laquelle a constaté qu’il n’était pas possible de modifier l’uniforme actuel de la fonctionnaire en uniforme de maternité.

90 La fonctionnaire a soutenu que les agentes correctionnelles devraient bénéficier d’un uniforme de maternité parce que cela leur occasionne moins de dépenses. Elle a dit qu’elle avait été désavantagée et discriminée en raison de sa grossesse, car, n’eût été celle-ci, elle n’aurait pas eu besoin d’un uniforme de maternité. N’ayant pas reçu d’uniforme, elle a été obligée d’engager des dépenses pour acheter des vêtements pour le travail. À l’appui de cet argument, la fonctionnaire m’a renvoyé à la clause 37.01 de la convention collective concernant l’élimination de la discrimination et au paragraphe 7b) de la LCDP, concernant la prohibition d’un acte discriminatoire directe ou indirecte dans l’emploi.

91 La fonctionnaire a fait valoir que si un employeur fournit des avantages sociaux à ses employés, il ne peut pas faire d’exclusion de façon discriminatoire. À cet égard, elle m’a renvoyé à Brooks c. Canadian Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219. Elle a fait valoir que vu qu’elle avait établi une preuve prima facie (à première vue) de discrimination, il incombait à l’employeur de démontrer que le fait de lui fournir un uniforme de maternité constituait une contrainte excessive. Sur ce point, la fonctionnaire m’a renvoyé à une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « TCDP »), Buffett c. Forces Canadiennes, 2006 TCDP 39; demande de contrôle judiciaire accueillie et affaire renvoyée au TCDP : Canada (Procureur général) c. Buffett, 2007 CF 1061.

92 La fonctionnaire a avancé que l’employeur n’avait pas démontré qu’il faisait face à une contrainte excessive. En fait, l’employeur a fait des démarches pour qu’elle puisse obtenir l’uniforme de maternité à partir du 26 février 2009 (pièce S-9). De même, l’employeur lui a fait savoir, par l’intermédiaire de M. Simard, lors d’une rencontre vers la fin mars 2009, qu’elle ne pouvait pas porter l’uniforme dans le centre administratif pour des raisons de sécurité. La fonctionnaire a fait valoir que la position de l’employeur n’était basée sur aucune norme ou directive, mais plutôt sur son certificat médical, dont l’employeur avait pris connaissance vers le 15 ou 16 février 2009. La fonctionnaire a souligné le témoignage de Mme Ross selon lequel il n’y avait pas de raison de sécurité pour qu’une agente correctionnelle ne porte pas l’uniforme dans la zone administrative de l’établissement. Elle a aussi souligné son propre témoignage ainsi que celui de M. Simard selon lequel certains agents correctionnels masculins ayant des limitations fonctionnelles portaient l’uniforme même s’ils n’avaient pas à intervenir dans des situations d’urgence.

93 La fonctionnaire a mentionné la position de l’employeur voulant qu’elle n’ait pas droit à l’indemnité d’habillement prévu à la clause 43.03 de la convention collective parce que sa réaffectation n’avait pas excédé six mois. La fonctionnaire a fait valoir que selon l’interprétation de Mme Dibble, en 2006, confirmée par M. Lacroix (pièce S-6), elle n’avait pas droit à l’indemnité d’habillement parce qu’elle avait droit à l’uniforme de maternité vu que son poste substantif demeurait celui d’une agente correctionnelle. En 2009, l’employeur lui a dit qu’elle ne pouvait porter l’uniforme de maternité pendant sa réaffectation à des tâches administratives et que, puisque la réaffectation était pour une période n’excédant pas six mois, elle n’avait pas droit à l’indemnité d’habillement conformément à la clause 43.03 de la convention collective. La fonctionnaire a fait valoir que les femmes enceintes ne devraient pas être contraintes à compléter la période de six mois pour avoir droit à l’indemnité d’habillement.

94 La fonctionnaire a fait valoir que la clause 43.03 de la convention collective, bien qu’elle puisse paraître neutre à première vue, avait un effet préjudiciable en raison du motif prohibé par la LCDP envers les femmes enceintes. Elle a plaidé que l’employeur n’avait pas démontré que le fait de l’accommoder était une contrainte excessive ni qu’il y avait un lien rationnel entre l’emploi de la fonctionnaire et la norme particulière, soit l’obligation d’effectuer six mois de travail dans un exercice financier conformément à la clause 43.03. À l’appui de cet argument, la fonctionnaire m’a renvoyé à : Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin ») au paragraphe 22.

95 La fonctionnaire a fait valoir que les agentes correctionnelles enceintes étaient doublement discriminées par la façon que l’employeur appliquait la clause 43.03 de la convention collective : l’employeur ne fournit pas l’uniforme de maternité et elles ne sont pas indemnisées pour les vêtements qu’elles doivent acheter pour travailler pendant leur réaffectation.

B. Pour l’employeur

96 Selon l’employeur, il n’y a qu’une question en litige : est-ce qu’il a enfreint la clause 43.03 de la convention collective en refusant de verser l’indemnité d’habillement à la fonctionnaire? L’employeur a fait valoir qu’il incombait à la fonctionnaire de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait mal interprété ou appliqué la convention collective.

97 L’employeur m’a renvoyé à plusieurs décisions concernant les règles d’interprétation des conventions collectives. La convention collective reflète l’intention des parties : Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 v. Irving Pulp and Paper Ltd., 2002 NBCA 30; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112. Il est présumé que les parties ont voulu dire ce qui est exprimé dans la convention collective, laquelle doit être interprétée selon le sens normal et ordinaire des mots : Irving Pulp and Paper Ltd.; Lamothe c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 2; Canada (Procureur général) c. McKindsey, 2008 CF 73. Il faut donner un sens à chaque mot d’une convention collective afin d’éviter toute redondance : Stevens c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 34. Un arbitre de grief ne peut ajouter ou éliminer des mots d’une convention collective. À cet égard, il m’a renvoyé à l’article 229 de la LRTFP et à Greater Essex County District School Board v. United Association of Journeymen, 2011 ONSC 5554. Une intention claire est requise pour accorder un avantage pécuniaire dans une convention collective : Lamothe; McKindsey; Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, (4e édition), paragraphe 4:2120 (Brown & Beatty).

98 L’employeur a fait valoir qu’il y avait cinq conditions à respecter pour que la clause 43.03 de la convention collective soit appliquée : l’employé doit être classifié au groupe et niveau CX-01 ou CX-02; l’employé doit être dans une situation où il n’est pas tenu de porter l’uniforme dans l’exercice de ses fonctions; l’employé doit être affecté à des fonctions qui ne requièrent pas le port de l’uniforme; l’affectation doit être pour une période excédant six mois par exercice financier; l’employé qui reçoit l’indemnité d’habillement ne doit pas être admissible à recevoir des points relativement à la question de l’uniforme. L’employeur a reconnu que la fonctionnaire avait satisfait les trois premières de ces conditions. L’employeur a maintenu que la fonctionnaire n’avait pas démontré que sa réaffectation avait excédé six mois.

99 L’employeur a soutenu qu’aux termes de l’indemnité d’habillement, l’agent correctionnel qui n’est pas tenu de porter l’uniforme doit porter des vêtements civils. Les agents correctionnels qui doivent s’habiller en civil ne sont pas désavantagés par l’employeur étant donné qu’ils ont droit à une indemnité. Tous les agents doivent être sur le même pied d’égalité.

100 L’employeur a fait valoir que les parties se sont entendus que l’indemnité d’habillement serait accordée seulement lorsque la période de réaffectation excède six mois. De plus, les termes « exercice financier » dans la clause 43.03 de la convention collective doivent être interprétés selon leur sens. L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes où les plaignants n’avaient pas rencontré les périodes définies dans les conventions collectives : Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers, [2002] C.L.A.D. No 470 (QL); London and District Building Service Workers, Local 220 v. Centre Grey General Hospital (1970), 22 L.A.C. 266; Foran v. Campbell Nursing Home Inc., [2004] N.B.L.A.A. No. 14 (QL).

101 L’employeur a souligné que la fonctionnaire ne pouvait alléguer n’avoir rien obtenu, puisqu’elle a témoigné avoir reçu des points relativement à la question de l’uniforme en vertu de la clause 43.03 de la convention collective. Il a fait valoir que si la fonctionnaire avait été réaffectée pour plus de six mois, elle aurait eu droit à l’indemnité. Comme cette restriction temporelle s’applique dans les circonstances, l’avantage pécuniaire réclamé par la fonctionnaire résulterait en une modification de la convention collective. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à : Lannigan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 34. L’employeur a fait valoir que les parties avaient décidé qu’un effet préjudiciable ne pouvait se manifester qu’à compter de six mois.

102 Selon l’employeur, le paragraphe 13 des Lignes directrices 351-1 s’applique à la fonctionnaire. Ledit paragraphe se lit comme suit :

Employés détachés, à temps partiel ou nommés pour une période déterminée

13.Les employés à temps plein ayant droit à un uniforme complet qui sont détachés à un poste où ils ne sont pas obligés de porter l’uniforme pourront renouveler les articles d’uniforme dont ils ont besoin seulement lorsqu’ils reviendront à leur poste d’attache à la fin de la période du détachement. À ce moment-là, les employés à temps plein qui doivent porter l’uniforme du SCC recevront des points d’entretien annuels qui seront calculés au prorata, sur une base mensuelle, selon la durée de leurs fonctions dans leur poste d’attache.

[…]

103 L’employeur a plaidé que bien que les paragraphes 45 et suivant des Lignes directrices 351-1 concernent les vêtements de maternité, la fonctionnaire n’était pas requise de porter de tels vêtements pendant sa réaffectation.

104 En ce qui a trait à l’article 45 de la convention collective intitulé « Réaffectation ou congé liés à la maternité », l’employeur a fait valoir qu’il ne vient aucunement modifier la clause 43.03 de la convention collective.

105 L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’il y avait une mauvaise interprétation ou application de la clause 43.03 de la convention collective.

106 L’employeur a par la suite abordé les arguments de la fonctionnaire concernant ses allégations de discrimination. Selon l’employeur, la fonctionnaire n’a fourni aucune preuve prima facie de discrimination par l’employeur en raison de son statut de femme enceinte et, par conséquent, je dois rejeter cet argument. À cet égard, l’employeur s’est appuyé sur Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145. Il a fait valoir que la fonctionnaire devait démontrer qu’elle avait fait l’objet d’un traitement discriminatoire et que ce traitement avait motivé le refus de l’employeur de lui fournir un uniforme de maternité.

107 L’employeur a fait valoir que selon Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, (McGill), il faut deux éléments essentiels pour démontrer qu’il y a discrimination : d’abord, une distinction qui a pour effet d’imposer un fardeau ou des obligations à la fonctionnaire qui ne sont pas imposées aux autres employés; deuxièmement, il faut que cette distinction soit fondée sur un motif illicite en vertu de la LCDP. L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas démontré cette distinction. Elle a été réaffectée à un poste classifié CR-04 et, selon M. Simard, aucun employé classifié CR-04 dans l’établissement ne porte l’uniforme. De plus, l’exemple de l’agent correctionnel qui agit comme médiateur a démontré que certains agents correctionnels ne portaient pas l’uniforme.

108 L’employeur m’a renvoyé à la clause 41.03 de la convention collective, qui stipule, entre autres, que la Directive sur les uniformes du CNM, approuvée par le Conseil du Trésor, fait partie de la convention collective. L’employeur a souligné le paragraphe suivant de la Directive sur les uniformes sous le titre « Objet et portée » :

La politique du gouvernement consiste à fournir des articles d’habillement appropriés aux fonctionnaires lorsque la nature de leurs fonctions exige une protection spéciale ou lorsqu'une identification particulière au niveau local, national ou international est propice à un exercice efficace de leurs fonctions et permet d'atteindre les objectifs des programmes.

[…]

109 L’employeur a plaidé que c’était la nature des fonctions, non la classification de l’employé, qui détermine si l’employé porte ou non l’uniforme. Selon l’employeur, la clause 43.03 de la convention collective prévoit qu’il y a des agents correctionnels qui ne portent pas l’uniforme.

110 L’employeur a soulevé que, tel qu’il a été constaté dans Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2012 CRTFP 32 (Association des juristes), il y a des régimes ou des prestations qui ont un caractère compensatoire ou non compensatoire. L’employeur a fait valoir que les agentes correctionnelles qui sont accommodées en étant réaffectées dans des postes classifiés CR-04 en raison de leur grossesse ne peuvent prétendre à tous les avantages accordés aux agents correctionnels qui exécutent des fonctions d’agents correctionnels.

111 L’employeur a ajouté que le deuxième élément relatif à la discrimination est que celle-ci soit fondée sur un motif illicite. Or, le motif pour lequel la fonctionnaire n’a pas reçu l’uniforme de maternité n’est pas illicite. Ce n’est pas parce que la fonctionnaire était enceinte qu’elle n’a pas reçu l’uniforme de maternité, mais bien parce que ses fonctions de CR-04 ne le requièrent pas.

112 En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle l’employeur a toléré que des agents correctionnels portent l’uniforme même si ce n’était pas requis par leurs fonctions, l’employeur a prétendu qu’il ne s’ensuit pas que la fonctionnaire ait le droit à l’uniforme. L’employeur ne peut être pénalisé pour être flexible.

113 L’employeur a fait valoir qu’à la demande de la fonctionnaire, il l’avait accommodée selon ses limitations fonctionnelles. Il a fait valoir que la mesure d’adaptation n’avait pas à être parfaite. Quoi qu’il en soit, le fait que la mesure d’adaptation soit imparfaite ne la rend pas discriminatoire en soi. À l’appui de cet argument, l’employeur m’a renvoyé à Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (Renaud). La fonctionnaire a été réaffectée à un poste au centre administratif parce qu’elle avait des limitations fonctionnelles temporaires à cause de sa grossesse. Elle n’avait pas droit à l’uniforme parce que le poste ne l’exigeait pas.

114 L’employeur s’est dit en désaccord avec l’argument de la fonctionnaire selon lequel il fallait la comparer à d’autres agents correctionnels qui portent l’uniforme. Selon lui, la clause 43.03 de la convention collective prévoit des situations où des agents correctionnels n’ont pas à porter l’uniforme, et ce, sans qu’il s’agisse d’une situation où l’employée est enceinte. L’employeur a soutenu ne pas avoir imposé la période de six mois et que la clause 43.03 avait été négociée entre les parties.

115 L’employeur a ensuite traité de la liasse de sept griefs alléguant une violation de la clause 43.03 de la convention collective déposée par la fonctionnaire pour tenter de démontrer que l’employeur discriminait de façon systémique contre les agentes correctionnelles enceintes. L’employeur a fait valoir qu’il fallait une meilleure preuve que le fait qu’il y avait de tels griefs dans le système de la Commission pour démontrer qu’il existait une discrimination systémique. La fonctionnaire devait démontrer que la pratique avait un effet préjudiciable sur les femmes enceintes. En ce qui concerne le témoignage de Mme Ross selon lequel il y avait une dizaine de dossiers de femmes enceintes à l’établissement depuis quatre ans, l’employeur a allégué qu’il était faux de prétendre que toutes les femmes enceintes subissaient des préjudices.

116 L’employeur a fait des commentaires au sujet des certaines pièces déposées par la fonctionnaire. Il a prétendu que la pièce S-6, soit les courriels entre Mme Dibble et M. Lacroix, n’avait aucune force probante, n’était pas pertinente et constituait du ouï-dire. Selon l’employeur, la pièce S-11, soit la lettre de la couturière, constitue aussi du ouï-dire.

C. Réplique de la fonctionnaire s’estimant lésée

117 La fonctionnaire a fait valoir que Canada Post, Centre Grey General Hospital et Foran citées par l’employeur n’étaient pas pertinentes parce qu’elles ne traitaient pas de la question de la discrimination.

118 La fonctionnaire a fait valoir que bien qu’elle ait reçu des points d’uniforme, elle ne pouvait pas les utiliser à cause de sa grossesse.

119 Concernant l’argument de l’employeur que la convention collective ne donne pas droit à l’uniforme, la fonctionnaire a dit qu’elle était obligée de faire d’autres tâches à cause de sa grossesse. N’eût été sa grossesse, elle ne se serait pas trouvée dans une telle situation.

120 En ce qui a trait à l’élément de distinction, la fonctionnaire a dit qu’il n’y aurait pas eu de distinction si elle n’avait pas été enceinte. La fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait un avantage, l’uniforme. Comme l’employeur a refusé de lui en fournir un pendant sa grossesse, elle a dû débourser pour s’acheter des vêtements convenables pour le travail. La fonctionnaire a fait valoir que l’argument selon lequel les employés classifiés CR-04 ne portent pas d’uniforme n’était pas pertinent.

121 En ce qui concerne l’argument de l’employeur que l’accommodement n’a pas besoin d’être parfait, la fonctionnaire a fait valoir que ce dernier mélangeait deux choses, soit l’accommodement à la suite de ses limitations fonctionnelles et le fait de ne pas fournir l’uniforme, qui constitue de la discrimination.

D. Commentaires de la CCDP

122 En début d’audience, la représentante de la CCDP a déposé des commentaires écrits. Ces commentaires sont fondés sur des allégations contenues au dossier et non sur la preuve. Les commentaires portent sur certaines notions, soit la preuve prima facie de discrimination, la définition de la discrimination systémique, les dispositions législatives et la jurisprudence applicable.

123 Pour la CCDP, les questions en litige sont les suivantes :

La plaignante a-t-elle été défavorisée en cours d’emploi, en ce sens que le refus de l’employeur de fournir les uniformes adaptés à la condition de femme enceinte, à cause d’un motif prohibé de discrimination?

Si tel est le cas, l’employeur a-t-il un moyen de justification, en l’occurrence, une politique ou une pratique à cet égard?

Cette politique ou pratique a-t-elle pour effet de défavoriser les femmes? En d’autres termes, sommes-nous en présence d’un cas de discrimination systémique?

124 La CCDP a reproduit les dispositions pertinentes de la LCDP, soit les articles 3, 7 et 15, qui portent sur les motifs de distinction illicite, la discrimination directe et indirecte dans l’emploi, et les exceptions aux actes discriminatoires, respectivement.

125 La CCDP a noté qu’un cas prima facie porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on y ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict favorable au plaignant en l’absence d’une réponse de la part de l’employeur (voir : Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons Sears Limitée, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »), à la page 558). La CCDP a fait valoir que la plaignante pouvait présenter une preuve prima facie qu’elle a été victime de discrimination pour un motif prohibé par la LCDP.

126 Citant Brooks, à la page 1242, la CCDP a noté que la discrimination fondée sur la grossesse constituait de la discrimination fondée sur le sexe à cause de la réalité biologique que seules les femmes peuvent devenir enceintes.

127 La CCDP a fait valoir que le paragraphe 15(2) de la LCDP stipulait que, pour qu’une norme, règle ou pratique puisse être considérée comme un motif justifiable, il fallait démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personne visée constituent pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive, notamment en matière de coûts.

128 La CCDP a indiqué qu’en l’espèce, l’employeur devait démontrer qu’il satisfaisait le troisième critère de Meiorin, soit que cette norme est raisonnablement nécessaire pour les fonctions et qu’il ne pouvait pas accommoder la plaignante ou d’autres personnes dans la même situation sans engager de contrainte excessive, et que cette contrainte revêtait la forme d’une impossibilité, d’un risque grave ou d’un coût exorbitant.

129 La CCDP a aussi discuté de la réfutation éventuelle de la plaignante. Elle a mentionné l’allégation de la plaignante selon laquelle la norme a, de toute évidence, un effet préjudiciable disproportionné à l’égard des femmes, compte tenu du fait qu’elles sont le seul sexe qui peut devenir enceinte.

130 Elle a fait valoir qu’il fallait se demander si, malgré les apparences, il ne pourrait pas y avoir de cas de discrimination comme celui soulevé par la plaignante, en ce sens qu’une norme ou une exigence professionnelle pourrait avoir un effet discriminatoire sur les femmes, particulièrement les femmes enceintes.

131 La CCDP a aussi mentionné Lavoie c. Canada (Conseil du Trésor), 2008 TCDP 27, afin d’illustrer ce genre de situation. Dans cette affaire, l’employeur avait établi une politique dans laquelle la durée d’un congé non rémunéré de maternité ou parental n’était pas comptabilisée comme temps de travail dans le calcul des trois années cumulatives de travail requises pour passer du statut d’employé pour une période déterminée à celui d’employé pour une période indéterminée dans la fonction publique fédérale. Dans cette décision, le TCDP a conclu qu’en ne comptabilisant pas le congé de maternité ni le congé parental, la politique de l’employeur avait défavorisé, en cours d’emploi, les femmes employées pour une période déterminée qui prenaient un congé de maternité ou parental et qu’elle était susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de ces employées en raison de leur sexe (article 10 de la LCDP).

V. Motifs

132 Puisque le grief de la fonctionnaire allègue que l’employeur a refusé de lui fournir un uniforme ou de lui verser l’indemnité d’habillement en vertu des clauses 41.03 et 43.03 de la convention collective, il convient de débuter avec une analyse des dispositions applicables ainsi que du contexte juridique lorsqu’en présence d’une question de discrimination.

A. Contexte de la convention collective

133 La clause 37.01 de la convention collective, qui traite de l’élimination de la discrimination, se lit comme suit :

ARTICLE 37
ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

37.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un-e employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au Syndicat ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il a été gracié.

134 Tel qu’il est stipulé aux clauses 41.01 et 41.03 de la convention collective, la Directive sur les uniformes du CNM y fait partie intégrante :

      ARTICLE 41
ENTENTES DU CONSEIL NATIONAL MIXTE

41.01 Les ententes conclues par le Conseil national mixte de la fonction publique (CNM) sur les sujets qui peuvent figurer dans une convention collective et que les parties à la présente convention ont ratifiées après le 6 décembre 1978, feront partie intégrante de la présente convention, sous réserve de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et de toute loi du Parlement qui, selon le cas, a été ou peut être établie en application d'une loi stipulée au paragraphe 113b) de la LRTFP.

41.03

  • Les directives suivantes, qui peuvent être modifiées de temps à autre par suite d'une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvées par le Conseil du Trésor du Canada, font partie de la présente convention :

[…]

Directive sur les uniformes

[…]

135 Dans la section « Généralités » de la directive, les circonstances où un uniforme doit être fourni sans frais sont indiquées comme suit :

7. Généralités

7.1 Les uniformes et autres articles d'identification doivent être fournis sans frais lorsqu'il est nécessaire d'identifier les fonctionnaires. Il existe quatre conditions particulières en vertu desquelles il peut être nécessaire de prendre des mesures pour identifier le fonctionnaire :

1.      lorsque la direction exige que le fonctionnaire soit identifié pour montrer l'autorité dont il est investi pour appliquer des lois et règlements précis, contrôler ou assurer leur respect;

2.      lorsque la direction exige que le fonctionnaire soit identifié pour bien faire connaître ses fonctions;

3.      lorsque la direction exige que le fonctionnaire soit identifié de façon permanente ou dans des situations d'urgence, pour manœuvrer le matériel d'urgence et diriger les personnes en cas d'urgence. Il faut que le public soit en mesure de reconnaître ces fonctionnaires.

4.      lorsque la direction exige que l'autorité du fonctionnaire soit reconnue pour se rendre dans une zone dont l'accès est limité et y travailler. (Des vêtements d'identification pourront être fournis en plus du principal moyen d'identification.)

7.2 Certains articles d'habillement de même modèle, tissu ou couleur sont fournis gratuitement aux fins suivantes :

pour identifier la fonction du fonctionnaire et être portés selon les exigences de la direction locale;

pour satisfaire aux exigences de l'image de marque et être portés dans l'ensemble d'un secteur conformément à des ordonnances

[…]

7.5 Il faut remettre des bulletins d'information aux fonctionnaires tenus de porter des uniformes. Ces bulletins définissent et énumèrent les articles d'habillement. Ils indiquent la responsabilité du fonctionnaire à l'égard des vêtements reçus et précisent comment en rendre compte quand il n'est plus admissible à les recevoir ou à les conserver (p. ex. par suite d'une promotion, d'une rétrogradation, d'un départ ou d'une modification des conditions de travail).

[…]

136 À la lecture du libellé de cette directive, il me semble clair que le ministère ou l’organisme concerné se charge de la façon dont les questions du port d’un uniforme sont administrées.

137 Le paragraphe 1 de la clause 7.1 de la Directive sur les uniformes précise que les uniformes et autres articles d’identification doivent être fournis sans frais lorsqu'il est nécessaire d'identifier les fonctionnaires. La condition énoncée au paragraphe 2 mentionne notamment que des mesures doivent être prises pour identifier le fonctionnaire « lorsque la direction exige que le fonctionnaire soit identifié pour bien faire connaître ses fonctions ».

138 La clause 7.2. de la Directive sur les uniformes indique que certains articles d’habillement de même modèle, tissu ou couleur sont fournis gratuitement aux fins suivantes : « pour identifier la fonction du fonctionnaire et être portés selon les exigences de la direction locale » et « pour satisfaire aux exigences de l’image de marque et être portés dans l'ensemble d'un secteur conformément à des ordonnances ».

139 La clause 7.5 de cette directive indique qu’il faut remettre des bulletins d'information aux fonctionnaires tenus de porter des uniformes. Le contenu de ces bulletins est également précisé dans cette clause. Entre autres, ces bulletins doivent indiquer comment le fonctionnaire rend compte des vêtements reçus quand il n’est plus admissible à les recevoir ou à les conserver, par exemple à la suite d’une promotion, d’une rétrogradation, d'un départ ou d'une modification des conditions de travail.

140 Le DC 351 et les Lignes directrices 351-1 citent la Directive sur les uniformes comme instrument habilitant. Dans le DC 351, la seule référence aux vêtements de maternité se trouve aux paragraphes 45 à 48 des Lignes directrices 351-1. Bien que la DC 351 et les Lignes directrices 351-1 ne fassent pas partie intégrante de la convention collective, elles peuvent néanmoins servir d’aide à son interprétation. Les paragraphes 45 et 46 des Lignes directrices351-1 renvoient aux « agentes ». La clause 45 indique que la confirmation médicale est nécessaire avant de porter un uniforme de maternité et la clause 46 décrit les modifications permises quand une agente nécessite l’uniforme. Lesdits paragraphes se lisent en partie comme suit :

45. Les agentes seront autorisées à porter un uniforme de maternité spécial seulement après avoir reçu une confirmation écrite de la grossesse de la part d’un médecin.

[…]

46. Les agentes nécessitant l’uniforme de maternité peuvent porter une chasuble et modifier la taille de leur pantalon de travail ou de cérémonie à cette fin.

141 L’article 41.03 de la convention collective, la Directive sur les uniformes, la DC 351 et la DC 351-1 ne traitent pas explicitement du port de l’uniforme de maternité pendant la période d’accommodement.

142 En ce qui concerne l’indemnité d’habillement, la clause 43.03 de la convention collective citée précédemment dans cette décision est reproduite ci-après pour en faciliter la consultation :

43.03 Indemnité d’habillement

Les employé-e-s Agents correctionnels I (CX-1) et Agents correctionnels II (CX-2) qui ne sont pas tenus de porter régulièrement un uniforme au cours de l'exercice de leurs fonctions reçoivent une indemnité d'habillement annuelle de quatre cents dollars (400 $). Cette indemnité est versée le 31 mars de chaque année. À compter du 1er avril 2007, cette indemnité est majorée à six cents dollars (600 $).

Les dispositions s'appliquent aux employé-e-s CX-1 et CX-2 affectés à des fonctions pour des périodes excédant six (6) mois par exercice financier.

Un-e employé-e recevant cette indemnité ne doit pas être admissible à recevoir des points portant sur la question de l’uniforme.

De plus, si l’agent correctionnel est impliqué dans une altercation et que ses vêtements personnels sont endommagés dans l’exercice de ses fonctions, la réclamation d’indemnisation de l’employé-e est traitée en vertu de la politique sur le paiement à titre gracieux.

143 L’article 45 de la convention collective traite de la réaffectation ou les congés liés àla maternité :

ARTICLE 45
RÉAFFECTATION OU CONGÉ LIÉS À LA MATERNITÉ

45.01 L'employée enceinte ou allaitante un enfant peut, pendant la période qui va du début de la grossesse à la fin de la vingt-quatrième (24e) semaine qui suit l'accouchement, demander à l'Employeur de modifier ses tâches ou de la réaffecter à un autre poste si, en raison de sa grossesse ou de l'allaitement, la poursuite de ses activités professionnelles courantes peut constituer un risque pour sa santé, celle du foetus ou celle de l'enfant.

45.02 La demande dont il est question au paragraphe 45.01 est accompagnée d'un certificat médical ou est suivie d'un certificat médical aussitôt que possible faisant état de la durée prévue du risque possible et des activités ou conditions à éviter pour l'éliminer. Selon les circonstances particulières de la demande, l'Employeur peut obtenir un avis médical indépendant.

45.03 L'employée peut poursuivre ses activités professionnelles courantes pendant que l'Employeur étudie sa demande; toutefois, si le risque que représentent ses activités professionnelles l'exige, l'employée a droit de se faire attribuer d'autres tâches jusqu'à ce que l'Employeur :

a. modifie ses tâches ou la réaffecte,
ou

b. l'informe par écrit qu'il est difficilement réalisable de prendre de telles mesures.

45.04 L'Employeur, dans la mesure du possible, modifie les tâches de l'employée ou la réaffecte.

45.05 Lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé non payé pendant la période mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard vingt-quatre (24) semaines après la naissance.

45.06 Sauf exception valable, l'employée qui bénéficie d'une modification des tâches, d'une réaffectation ou d'un congé est tenue de remettre un préavis écrit d'au moins deux (2) semaines à l'Employeur de tout changement de la durée prévue du risque ou de l'incapacité que mentionne le certificat médical d'origine. Ce préavis doit être accompagné d'un nouveau certificat médical.

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d'une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités.

[…]

144 Je traiterai maintenant des principes généraux du contexte juridique de cette affaire.

B. Contexte juridique

145 Lorsqu’il s’agit des questions touchant la LCDP, un arbitre de grief possède les pouvoirs prévus aux alinéas 226(1)g) et h) de la LRTFP, qui se lisent comme suit :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

g) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

[…]

146 Il convient ici de rappeler certaines dispositions générales de la LCDP concernant les motifs de distinction illicite :

3.(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

3.1 Il est entendu que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs.

147 La fonctionnaire s’est appuyée sur le paragraphe 7b) de la LCDP, qui se lit comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

148 L’article 10 de la LCDP est pertinent aux lignes de conduite discriminatoires:

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

149 Sont également pertinents en l’espèce les paragraphes 15(1) et (2) de la LCDP, qui se lisent en partie comme suit :

15.(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

150 La jurisprudence a reconnu que bien qu’une clause d’une convention collective puisse paraitre neutre à première vue, un effet préjudiciable en raison d’un motif prohibé par la LCDP constitue une violation de la LCDP (Meiorin, Renaud).

151 La discrimination fondée sur la grossesse ou l'accouchement constitue de la discrimination fondée sur le sexe (paragraphe 3(2) de la LCDP et Brooks).

152 Bien que la convention collective soit le fruit d’une entente entre le syndicat et l’employeur, ses clauses ne peuvent contrevenir aux exigences de la LCDP. À cet égard, la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi dans Renaud, à la page 986:

La discrimination par suite d'un effet préjudiciable est interdite en vertu de la Human Rights Act au même titre que la discrimination directe. Dans les deux cas, les ententes privées, que ce soit par contrat ou par convention collective, doivent céder devant les exigences de la Loi.

153 Afin de démontrer la discrimination, la personne s’estimant lésée doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. La nature d’une preuve prima facie de discrimination a été décrite comme suit par la Cour suprême du Canada dans O’Malley, à la page 558 :

[…]

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l’employeur intimé.

[…]

154 Si la fonctionnaire réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, il revient à l’employeur de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable qui ne soit pas fondée sur la discrimination. Cette explication ne peut se résumer à un simple prétexte visant à justifier la conduite discriminatoire.

155 Aux termes de l’alinéa 15(1)a) de la LCDP, une norme ou une pratique ne constitue pas un acte discriminatoire s’il est démontré que celle-ci découle d’une exigence professionnelle justifiée. Conformément au paragraphe 15(2) de la LCDP, l’intimé doit également démontrer, pour toute pratique mentionnée à l’alinéa 15(1)a), que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

156 Meiorin identifie trois volets pour établir ce qui constitue une exigence professionnelle justifiée. L’identification des trois volets dans cet arrêt permet de préciser l’analyse à effectuer afin de déterminer si une norme ou une conduite discriminatoire prima facie peut être justifiée en vertu du paragraphe 15(2) de la LCDP. Selon ce test, l’employeur doit établir les critères suivants :

  • qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  • qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  • que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

157 Il est reconnu que le fardeau de la preuve applicable en matière de discrimination est celui de la prépondérance des probabilités.

158 Pour que le grief soit accueilli, la fonctionnaire n’est pas obligée de démontrer que la discrimination est le seul motif derrière les actes reprochés. Elle doit uniquement démontrer que la discrimination comptait parmi les facteurs ayant influé sur la décision de l’employeur (voir : Souaker au paragraphe 132).

C. La preuve prima facie en l’espèce

159 L’employeur a plaidé que la fonctionnaire n’avait fourni aucune preuve prima facie de discrimination et que, par conséquent, je devais rejeter ce grief.

160 Traditionnellement, un arbitre de grief saisi d’une question portant sur les droits de la personne doit trancher deux questions. D’abord, il faut établir que la preuve prima facie démontre « à première vue » que le plaignant est une victime de discrimination en l’absence de justification de la part de l’employeur. Ensuite, la partie défenderesse doit démontrer qu’elle n’a pas agi de façon discriminatoire ou que sa conduite était autrement justifiée. Dans Souaker, au paragraphe 131, l’arbitre de grief a cité Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, afin d’expliquer le sens de la preuve prima facie. Dans Lincoln, la Cour d’appel fédérale avait réitéré le test dans O’Malley.

161 Bien que les termes juridiques « prima facie » et « prépondérance des probabilités » soient de temps en temps utilisés de façon interchangeable, les deux concepts sont distincts. Le concept « prima facie » est un outil intérimaire ou provisoire qui impose au défendeur une obligation de répondre. L’analyse de ce concept peut déterminer le résultat d’une situation où le défendeur choisit de ne pas soumettre de preuve en réponse aux allégations de discrimination. Dans un tel cas, le décideur peut en tirer une conclusion défavorable. Cependant, si le défendeur choisit de présenter une preuve sur le fond des allégations de discrimination, il n’est pas toujours nécessaire de franchir préalablement l’étape de la preuve prima facie.

162 En l’espèce, l’employeur a plaidé que la fonctionnaire n’avait fourni aucune preuve prima facie de discrimination et que, par conséquent, je devais rejeter ce grief. D’abord, il s’agit de savoir s’il y a suffisamment de preuve pour soutenir un cas prima facie de discrimination, en l’absence de la justification de l’employeur. Il est à noter que la nature d’une preuve prima facie de discrimination, telle qu’elle est décrite dans McGill, ne modifie pas le test de la preuve prima facie tel qu’il est décrit dans O’Malley. Tout en reconnaissant qu’il y a une différence entre la discrimination et une distinction, et que les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires, McGill ne sape pas l’importance du test de la preuve prima facie, tel qu’il est décrit dans O’Malley. Dans McGill, la Juge Abella réitère la notion d’une preuve prima facie, indiquant que c’est « le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet— qui suscite la possibilité de réparation » (aux paragraphes 49 et 50). Autrement, dès le début de l’analyse, le test de la preuve prima facie pourrait miner l’importance des effets discriminatoires et de la discrimination indirecte dans le domaine des droits de la personne.

163  Le paragraphe 3(2) de la LCDP prévoit qu’une distinction illicite fondée sur la grossesse est réputée être fondée sur le sexe. Le paragraphe 7b) de cette loi stipule que le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire.

164 La preuve de la fonctionnaire a démontré qu’elle était tenue de porter régulièrement l’uniforme d’agent correctionnel au cours de l’exercice de ses fonctions. À l’époque pertinente, la fonctionnaire était enceinte et en a dûment informé son employeur. Peu après avoir su qu’elle était enceinte, la fonctionnaire a entrepris des démarches auprès de l’employeur pour obtenir un uniforme de maternité; elle a suivi les consignes de l’employeur à cet égard. La preuve non contredite a démontré que suivant les directives de l’employeur, la fonctionnaire a rencontré la couturière attitrée par l’employeur, laquelle a constaté qu’il n’était pas possible de modifier son uniforme en uniforme de maternité. Au cours du processus, la fonctionnaire a été avisée par l’employeur qu’elle ne pouvait pas porter l’uniforme parce que, selon les limitations fonctionnelles décrites dans son certificat médical, elle était affectée à des tâches administratives pour lesquelles le port de l’uniforme n’était pas requis.

165 En plus d’avoir fait des démarches dans le but d’avoir un uniforme qui lui a éventuellement été refusé, la fonctionnaire a dit avoir été défavorisée puisqu’elle a dû acheter des vêtements de travail. De plus, elle a demandé l’indemnité d’habillement de 600 $, qui lui a aussi été refusé.

166 La fonctionnaire a indiqué qu’il était avantageux de porter l’uniforme puisqu’il n’était alors pas nécessaire d’acheter des vêtements pour le travail. En 2006, elle a fait une demande en vue de recevoir l’indemnité en vertu de la clause 43.03 de la convention collective, mais on lui a répondu qu’elle devait porter l’uniforme de maternité puisqu’elle demeurait dans son poste substantif d’agent correctionnel lors de son affectation à des tâches administratives.

167 En ce qui a trait aux conditions d’admissibilité de la fonctionnaire à l’indemnité d’habillement, la preuve a démontré ce qui suit : la fonctionnaire est agente correctionnelle CX-01; à sa demande, elle a été réaffectée à des tâches administratives, conformément à l’article 45 de la convention collective (réaffectation ou congé liés à la maternité); sa réaffectation était de moins de six mois, soit du 24 février au 14 août 2009; la période de son affectation a chevauché deux exercices financiers; la fonctionnaire a reconnu avoir reçu des points pour l’entretien de son uniforme lors de son retour à son poste substantif, mais elle n’a pas pu les utiliser à cause de sa grossesse.

168 Donc, selon la preuve de la fonctionnaire, il y a un lien entre sa grossesse et le fait qu’elle n’a pu bénéficier d’un uniforme de maternité ou de l’indemnité d’habillement pendant son affectation à des fonctions administratives. Par conséquent, elle a dû engager des dépenses pour l’achat de vêtements de maternité appropriés au travail.

169 J’estime que la preuve de la fonctionnaire est complète et suffisante pour établir une cause de discrimination prima facie selon la prépondérance des probabilités. Il incombe maintenant à l’employeur de justifier sa conduite.

D. Justification de l’employeur

170 L’employeur a fourni deux motifs principaux pour refuser de permettre à la fonctionnaire de porter l’uniforme de maternité : la nature des fonctions de la fonctionnaire pendant son affectation à des tâches administratives et les limitations de la fonctionnaire décrites dans son certificat médical.

171 De plus, un des arguments principaux de l’employeur pour le refus de l’indemnité d’habillement reposait sur l’interprétation de la clause 43.03 de la convention collective, plus particulièrement le fait que la fonctionnaire ne remplissait pas les conditions d’admissibilité de cette clause, puisque sa réaffectation n’avait pas excédé six mois dans un même exercice financier. L’employeur a refusé la demande de la fonctionnaire de recevoir l’indemnité d’habillement prévue à la clause 43.03 de la convention collective au motif qu’elle ne remplissait pas les autres conditions d’admissibilité de cette clause, soit qu’elle n’était pas tenue de porter l’uniforme durant sa grossesse et qu’elle avait le droit d’accumuler des « points » relativement au port de l’uniforme durant la période de sa grossesse.

172 L’employeur a fait valoir que le refus de l’uniforme et le refus de l’indemnité d’habillement ne constituaient pas des actes discriminatoires. Il a fait valoir que ces refus étaient justifiables à cause de la nature des fonctions des agents et du libellé de la clause sur l’indemnité d’habillement.

173 J’aborderai maintenant les trois questions du test établi dans Meiorin, cité précédemment dans cette décision, afin de déterminer si l’employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’une norme discriminatoire prima facie est une exigence professionnelle justifiée.

1. Est-ce que l’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause?

174 À cette première étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière, mais plutôt sur la validité de son objet plus général (Meiorin, paragraphe 57). La Directive sur les uniformes du CNM me parait raisonnable. Elle a pour but d’établir de façon générale les situations dans lesquelles l’employeur doit payer pour les uniformes. Elle ne décrit pas spécifiquement la situation d’une modification de tâches pour femmes enceintes. Elle délègue plutôt la description de ces circonstances au ministère ou à l’organisme concerné.

175 Pour cette raison, il est important de considérer aussi le lien entre la Directive sur les uniformes et le DC-351, ainsi qu’avec les Lignes directrices 351-1. Dans le DC-351, la seule référence aux vêtements de maternité prévoit qu’il faut une confirmation écrite de la grossesse de la part d’un médecin avant d’être autorisé à porter un uniforme et les modifications permises à l’uniforme, ce qui suit :

45. Les agentes seront autorisées à porter un uniforme de maternité spécial seulement après avoir reçu une confirmation écrite de la grossesse de la part d’un médecin.

[…]

46. Les agentes nécessitant l’uniforme de maternité peuvent porter une chasuble et modifier la taille de leur pantalon de travail ou de cérémonie à cette fin.

176 Je considère que l’utilisation du terme « agente » semble appuyer le témoignage de M. Simard voulant que l’uniforme ne soit porté que par les employées qui effectuent les tâches d’une agente correctionnelle.

177 L’article 41.03 de la convention collective et la DC 351-1 ne stipulent pas d’interdiction relativement au port de l’uniforme lorsqu’un agent correctionnel est affecté temporairement à certaines fonctions, en l’occurrence à des tâches administratives. J’en discuterai plus amplement plus tard dans cette décision.

178 Cependant, même s’il existe un lien rationnel, cela ne conclut pas cette affaire, puisque la fonctionnaire a soulevé une question de discrimination basée sur le sexe dans l’application de la convention collective et que la convention collective contient une clause de non-discrimination (Renaud).

179 En ce qui a trait à la clause de la convention collective sur l’indemnité d’habillement, j’estime que l’employeur n’a pas réussi à démontrer au moyen de la preuve présentée qu’il y avait un lien rationnel entre l’emploi de la fonctionnaire et la norme particulière, soit l’obligation d’effectuer six mois de travail dans un exercice financier selon la clause 43.03 de la convention collective.

180 Le texte de la clause 43.03 stipule que les agents correctionnels classifiés CX-01 et CX-02 « […] qui ne sont pas tenus de porter régulièrement un uniforme au cours de l’exercice de leurs fonctions reçoivent une indemnité d’habillement annuelle […] ». Il est évident que le but de la clause 43.03 de la convention collective est de défrayer le coût de vêtements civils porté par des agents correctionnels dans certaines circonstances. Il est à noter que la période de temps requise pour défrayer le coût n’est pas l’élément principal de cette politique. En plus des exemples donnés par M. Simard en ce qui concerne les instructeurs au champ de tir et l’agent qui agit comme médiateur en relations de travail, de telles circonstances peuvent inclure des agents ayant certaines limitations fonctionnelles à la suite de blessures ou ceux en cours de formation.

181 Je suis d’avis que les termes « ne sont pas tenus de porter régulièrement un uniforme » de la clause 43.03 de la convention collective ne comportent pas une interdiction au port de l’uniforme lorsqu’un agent correctionnel est affecté temporairement à certaines fonctions, en l’occurrence, à des tâches administratives.

182 Il est vrai que, selon la preuve, et comme l’employeur l’a souligné dans son argument, les employés de l’établissement qui exercent des fonctions administratives ne portent pas d’uniforme. Je ne crois pas que cela soit pertinent en l’espèce. Ces employés n’occupent pas un poste substantif classifié au groupe CX, mais bien un poste classifié au groupe et niveau CR-04. Ils n’ont donc pas le choix de porter des vêtements civils.

183 Dans son argument, l’employeur a tenté de créer un lien entre le port de l’uniforme à titre d’exigence professionnelle justifiée et les mesures d’accommodement à l’égard de la fonctionnaire. Or, la preuve a clairement démontré que la fonctionnaire n’avait été accommodée par l’employeur, au moyen de l’affectation à des fonctions administratives, qu’en raison de son statut de femme enceinte et de ses limitations fonctionnelles ordonnées par son médecin, et non parce qu’elle portait ou non l’uniforme.

184 Il est à noter aussi que même si le principe général de cette clause est raisonnable, la restriction temporelle de six mois durant l’exercice financier ne l’est pas dans certaines circonstances. Selon la clause 41.03 de la convention collective, qui incorpore la Directive sur les uniformes du CNM, les ministères ou organismes doivent tenir compte des situations des employés dont les tâches sont modifiées et de la question de savoir si, dans de telles circonstances, ils portent ou non un uniforme. L’employeur n’est pas sans savoir qu’il y aura des situations, telle qu’en l’espèce, où des agentes correctionnelles deviendront enceintes. Les restrictions temporelles de la convention collective peuvent alors être désavantageuses. Tel qu’il a été mentionné par M. Simard lors de son témoignage, les agentes correctionnelles ne choisissent pas l’horaire de leurs grossesses.

185 L’employeur a plaidé que les parties à la convention collective avaient convenu que l’indemnité d’habillement serait accordée seulement lorsque la période de réaffectation excède six mois et que les termes « exercice financier » devaient être interprétés selon leur sens. À l’appui de cet argument, l’employeur m’a renvoyé à trois décisions où les plaignants n’avaient pas rencontré les périodes définies dans les conventions collectives applicables. Dans Canada Post Corp., selon le plan de rendement de l’employeur, les employés pouvaient bénéficier d’une prime d’équipe s’ils atteignaient une certaine cote de rendement, et ce, seulement s’ils étaient activement au travail pendant trois mois dans un exercice financier. La plaignante n’était pas activement au travail parce qu’elle était en congé de maternité. Comme elle n’avait pas répondu aux exigences du plan, l’arbitre de grief a rejeté le grief. Dans Centre Grey General Hospital, la plaignante a quitté son emploi après avoir complété six mois de service continu, donc moins d’une année. Elle a demandé le paiement de deux semaines de vacances. Selon la convention collective, elle avait droit à une semaine de vacances puisque les deux semaines de vacances n’étaient accordées que lorsqu’un an de service continu avait été complété. Le conseil d’arbitrage a donc rejeté le grief. Dans Foran, l’arbitre de grief a rejeté le grief d’une plaignante qui prenait sa retraite et qui réclamait une indemnité de départ pour ses années partielles de service alors que les dispositions applicables exigeaient des années complètes.

186 Je considère que ces décisions sont peu utiles en l’espèce puisqu’elles ne soulèvent pas de questions de conflits entre les dispositions applicables et les lois portant sur les droits de la personne (Renaud, page 986).

187 De plus, les faits dans Association des juristes sont distincts de ceux en l’espèce. Dans cette décision, ainsi que dans Canada Post Corp., les arbitres ont examiné la politique sur la rémunération au rendement, laquelle prévoit une évaluation des compétences d’un (e) employé(e) pour un période de temps chaque année. Dans Association des juristes, l’arbitre de grief a fait une analyse comparative entre les employées en congé de maternité et les employées en congé pour d’autres raisons. En l’espèce, une telle analyse n’est pas appropriée, étant donné que la nature de la grossesse est telle que les modifications à l’habillement deviennent importantes dès les premiers mois.

188 Dans Association des juristes, l’arbitre de grief a abordé la question des droits non compensatoires et des droits compensatoires. Dans Lavoie, il est aussi question de ces droits. Dans cette décision, il a été déterminé que le droit à la conversion du statut d’emploi à durée déterminée au statut d’emploi à durée indéterminée est un droit non compensatoire, c’est à dire, un droit qui est intrinsèquement lié au statut de l'employé. Dans Lavoie, il est indiqué que l’accumulation de l'ancienneté, le droit à l'emploi, le droit de maintenir son emploi et le droit à la permanence sont des avantages dits non compensatoires. En l’espèce, le droit à l’indemnité d’habillement est lié au statut des employés classifiés au groupe CX en affectation, et non à la prestation du travail comme telle.

189 L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire avait admis qu’elle avait reçu des points relativement à la question de l’uniforme en vertu de la clause 43.03 de la convention collective et qu’elle ne pouvait donc pas alléguer qu’elle n’avait rien obtenu. J’estime que cet argument est non pertinent et faux. L’employeur a fait valoir qu’une des cinq conditions à respecter pour que la clause 43.03 de la convention collective soit appliquée est que la fonctionnaire ne soit pas admissible à recevoir des points relativement à la question de l’uniforme. La clause 43.03 n’indique nulle part que la fonctionnaire ne doit pas être admissible à recevoir des points relativement à la question de l’uniforme. La clause 43.03 stipule qu’une « employée recevant cette indemnité ne doit pas être admissible à recevoir des points portant sur la question de l’uniforme. » C’est l’employeur qui a indiqué que les points remplaceraient l’indemnité, bien que la clause prévoie le contraire. Je rejette donc cet argument de l’employeur.

190  De plus, la fonctionnaire n’a pas pu utiliser les points accumulés lors de sa grossesse. Elle a dû débourser pour l’achat de vêtements de maternité et a été défavorisée dans l’interprétation de la norme. Selon la clause 43.03 de la convention collective, l’employé reçoit des points seulement s’il ne reçoit pas l’indemnité d’habillement. Or, dans le cas de la fonctionnaire, l’employeur lui a refusé l’indemnité d’habillement puisqu’elle n’a pas répondu aux exigences temporelles de la clause 43.03 relativement à sa grossesse. Qui plus est, la pièce S-9 a démontré que l’employeur avait informé la fonctionnaire qu’aucun point n’était déduit pour la commande d’uniforme de maternité.

191 Je traiterai maintenant de la deuxième étape de l’analyse de Meiorin.

2. Adoption d’une norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail

                                           

192 Meiorin réitère qu’il n’est pas nécessairement vrai qu’une norme particulière est non discriminatoire du seul fait que son objet général est rationnellement lié à l’exécution du travail. C’est lors de cette deuxième étape que « […] l’analyse passe de l’objet général de la norme à la norme particulière elle-même. » (Meiorin, paragraphe 61).

193 L’employeur a fourni des explications à propos du refus de fournir l’uniforme de maternité alors que l’indemnité d’habillement a aussi été refusée. À mon avis et compte tenu de la preuve, ni la norme au sujet de l’indemnité d’habillement, ni celle sur les uniformes n’ont été adoptées sincèrement.

194 J’arrive à cette conclusion pour les quatre raisons suivantes.

a. La considération d’un acte discriminatoire était au su de l’employeur au point qu’il a avancé la possibilité d’un accommodement
                                                 

195 L’employeur a soulevé le fait que l’affectation de la fonctionnaire n’avait pas excédé six mois, tel qu’il est exigé par la clause 43.03 de la convention collective. M. Simard a témoigné que la fonctionnaire l’avait avisé qu’elle ne réussirait pas à travailler plus de six mois avant son congé de maternité qui débutait le 14 août 2009, soit 24 semaines après son rendez-vous avec son médecin. Elle était alors déjà enceinte de 12 semaines, tel qu’il est indiqué dans le certificat médical.

196 Il manquait à la fonctionnaire une dizaine de jours pour atteindre le seuil de six mois. La fonctionnaire a avisé M. Simard dès le premier jour de sa réaffectation, le 24 février 2009, qu’étant donné la chronologie de sa grossesse, il était impossible qu’elle puisse excéder six mois au travail.

197 Le témoignage de M. Simard a démontré qu’il était conscient des possibilités de discrimination et qu’il voulait accommoder la fonctionnaire. La fonctionnaire a su qu’elle était enceinte le 14 décembre 2008. Lors de son rendez-vous avec son médecin, le 11 février 2009, elle a reçu son certificat médical. Le certificat médical a été déposé dans la case de M. Bénard le 13 février 2009. M. Bénard en a pris connaissance quelques jours plus tard. La fonctionnaire a commencé sa réaffectation à des fonctions administratives le 24 février 2009.

198 L’exercice financier s’étend du 1er avril d’une année au 31 mars de l’année suivante. En l’espèce, il était donc impossible que la fonctionnaire puisse compléter son affectation à l’intérieur d’un même exercice financier, puisque la période de son affectation chevauchait nécessairement deux exercices financiers.

199 Lors d’une réunion tenue en mars 2009 avec la fonctionnaire, Mme Banville, MM. Paquet et Jacques, ainsi que d’autres représentants syndicaux, M. Simard a reconnu que puisque les agentes correctionnelles ne choisissaient pas leur horaire de grossesse, il ne voulait pas que celles-ci soient discriminées en raison d’une question relative à exercice financier. Il a alors proposé que l’application de la clause 43.03 de la convention collective s’étende sur deux exercices financiers. J’en conclus que M. Simard a reconnu que la clause 43.03 avait un effet discriminatoire sur la fonctionnaire.

b. Manque de cohérence dans la gestion des normes et de l’indemnité relatives aux uniformes

200 Deuxièmement, même en faisant abstraction de la façon que les normes sur l’uniforme et l’indemnité d’habillement avaient été interprétées lors de la première grossesse de la fonctionnaire en 2006, la preuve a démontré qu’en essayant de clarifier ses droits pendant sa deuxième grossesse, la fonctionnaire avait reçu des messages confus de la part de l’employeur. Par exemple, l’employeur a soutenu que c’est la nature des fonctions de l’employé, et non sa classification, qui détermine si l’employé porte ou non l’uniforme. Pour l’employeur, la clause 43.03 de la convention collective prévoit qu’il y a des agents correctionnels qui ne portent pas l’uniforme. À l’appui de cet argument, l’employeur a cité le paragraphe suivant de la Directive sur les uniformes :

La politique du gouvernement consiste à fournir des articles d'habillement appropriés aux fonctionnaires lorsque la nature de leurs fonctions exige une protection spéciale ou lorsqu'une identification particulière au niveau local, national ou international est propice à un exercice efficace de leurs fonctions et permet d'atteindre les objectifs des programmes.

201 La preuve a démontré que l’employeur ne semblait pas avoir appliqué cette politique de manière cohérente. Pendant l’audience, j’ai admis en preuve la pièce S-6 sous réserve de sa force probante. Cette pièce consiste en une chaîne de courriels datant de 2006 concernant l’interprétation par l’employeur de la clause 43.03 de la convention collective applicable concernant le port de l’uniforme des agentes correctionnelles pendant leur grossesse. Cette interprétation a été faite à la suite d’une demande de la fonctionnaire afin de recevoir l’indemnité d’habillement pendant sa première grossesse, alors qu’elle avait été réaffectée à des tâches administratives et qu’elle avait acheté des vêtements de maternité. Malgré l’objection de l’employeur, comme il s’agit de documents expliquant l’interprétation de l’employeur, je considère que cette pièce est pertinente.

202 L’historique de la clause 43.03 de la convention collective n’a pas été déposé en preuve et rien ne m’incite à conclure que l’employeur n’était pas de bonne foi en acquiesçant à l’inclusion de cette clause dans la convention collective. Toutefois, j’estime que l’employeur n’a pas agi de bonne foi dans son application de la clause 43.03 à l’égard de la fonctionnaire. En se fondant sur l’interprétation de l’employeur de la clause 43.03 lors de sa première grossesse, la fonctionnaire a entrepris les démarches pour obtenir un uniforme de maternité pendant sa deuxième grossesse. L’employeur a non seulement approuvé ses démarches, mais il lui a donné la directive de rencontrer la couturière attitrée de l’employeur. C’est de façon soudaine que l’employeur a changé sa position. Pour les raisons qui suivent, je suis en désaccord avec les motifs présentés par l’employeur à l’appui de sa position.

203 Tel qu’il a été démontré par la pièce S-6, en 2006, l’employeur a conclu que le poste substantif de la fonctionnaire était celui d’agente correctionnelle et qu’elle conservait son statut d’agente lorsqu’elle était réaffectée à des tâches administratives pendant sa grossesse. Par conséquent, comme la fonctionnaire avait droit à l’uniforme à titre d’agente correctionnelle, y compris l’uniforme de maternité, l’employeur, selon son interprétation de la clause d’indemnité d’habillement, a refusé de lui verser l’indemnité d’habillement.

204 Dès le début de sa deuxième grossesse, en décembre 2008, la fonctionnaire a amorcé le processus pour obtenir un uniforme de maternité. Le 27 janvier 2009, M. Dufour, le conjoint de la fonctionnaire, a envoyé un courriel à M. Simard demandant où en était le processus pour l’uniforme de maternité. La réponse de M. Simard, le lendemain, décrivait la pratique à suivre pour obtenir l’uniforme.

205 Dans une note de service datée du 2 février 2009, dont le syndicat a reçu copie, l’employeur a fait part de sa procédure pour la confection de chasuble et réparation de pantalon pour les agentes correctionnelles enceintes (pièce S-7). Le document indiquait aussi les coordonnées de la couturière attitrée de l’employeur, Mme Bédard.

206 Comme elle n’avait toujours pas d’uniforme de maternité au début de sa réaffectation, le 24 février 2009, la fonctionnaire a rencontré M. Goulet, directeur adjoint aux opérations de l’établissement. Celui-ci lui a demandé de prendre rendez-vous avec Mme Bédard, ce qu’elle a fait le 3 mars 2009.

207 Le même jour, la fonctionnaire a envoyé à M. Goulet un courriel qu’elle a ensuite fait suivre à M. Simard. Dans ce courriel, elle a mentionné qu’elle avait de la difficulté à faire apporter les modifications nécessaires à son uniforme.

208 Ce n’est que lors d’un entretien avec M. Simard, plus tard en mars 2009, que la fonctionnaire a constaté que le discours de l’employeur avait changé. M. Simard lui a alors dit que les agentes correctionnelles enceintes ne devraient pas porter l’uniforme de maternité puisqu’elles étaient réaffectées dans d’autres secteurs. Il lui a dit que le fait que la fonctionnaire soit en uniforme voulait dire qu’elle pouvait intervenir auprès des détenus si la situation l’exigeait.

209 Le 30 avril 2009, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Simard lui demandant une explication écrite pour le refus de l’employeur d’allouer une indemnité d’habillement pour les femmes enceintes. La réponse de M. Simard, le 5 mai 2009, ne contenait que la reproduction de certains paragraphes des Lignes directrices 351-1 concernant les vêtements de maternité et de la clause 43.03 de la convention collective (pièce S-13).

210 Le 11 mai 2009, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Simard demandant des explications pour le refus de l’employeur de verser l’indemnité d’habillement ou de fournir un uniforme adapté aux femmes enceintes alors que l’employeur avait mis en place une procédure pour la modification de l’uniforme pour femmes enceintes (pièce S-14). La réponse de M. Simard le 18 mai 2009 débutait avec le terme « Exact ». M. Simard a témoigné que ce mot était en lien avec la phrase suivante du courriel de la fonctionnaire : « Juste pour bien comprendre […] nous n’avons pas le droit de porter l’uniforme prévue [sic] pour femmes enceintes parce que nous n’occupons pas de tâches de CX ».

211 Donc, lors de la première grossesse de la fonctionnaire, en 2006, l’employeur a refusé de lui verser l’indemnité d’habillement parce que, selon lui, elle avait le droit de porter l’uniforme de maternité pendant son affectation à des tâches administratives. En 2009, lors de la deuxième grossesse de la fonctionnaire, l’employeur a d’abord dit à la fonctionnaire d’entreprendre des démarches pour obtenir un uniforme de maternité, et ce, selon la procédure à suivre dans une note de service émise par l’employeur le 2 février 2009. Ce n’est que vers la fin mars 2009 que l’employeur a changé sa position, alors que M. Simard a, pour la première fois, avisé la fonctionnaire qu’elle ne pouvait pas porter l’uniforme de maternité.

212 Même si l’employeur n’a pas suivi sa propre interprétation de 2006 en l’espèce, j’estime que ni le libellé de la clause 43.03, ni la convention collective dans son ensemble, n’interdisent le port de l’uniforme de maternité par la fonctionnaire pendant son affectation à des tâches administratives.

c. Analyse de l’accommodement en fonction de la question du port ou non de l’uniforme plutôt que selon le certificat médical
                                             

213 Troisièmement, l’analyse de l’accommodement de la fonctionnaire a sauté d’une considération des limitations fonctionnelles à une seule question : si la fonctionnaire porte ou non un uniforme.

214 Il faut préciser que la question en litige ne porte pas sur l’accommodement quant aux restrictions du port d’un uniforme ou non. Le principe d’accommodement dans le contexte de droits de la personne se limite aux questions des restrictions fonctionnelles de la fonctionnaire pendant sa grossesse. La fonctionnaire a été accommodée par l’employeur en vertu de l’article 45 de la convention collective et conformément aux restrictions stipulées dans son certificat médical. Ce certificat n’indique nulle part que la fonctionnaire ne peut pas porter l’uniforme. Il s’agit plutôt de déterminer si l’employeur a discriminé contre la fonctionnaire dans l’application d’un avantage conféré par la convention collective, soit l’indemnité d’habillement prévu à la clause 43.03 de la convention collective.

215 Entre autres explications, M. Simard a dit que l’employeur n’avait pas fourni l’uniforme de maternité à la fonctionnaire parce que cela aurait été contraire aux restrictions décrites dans le billet médical de la fonctionnaire, soit de n’avoir aucun contact avec les détenus. M. Simard a témoigné que le port de l’uniforme voulait dire que l’employé était dans une position d’autorité et qu’il était perçu comme un agent correctionnel. Selon le témoignage non contredit de la fonctionnaire, en mars 2009, M. Simard lui a dit que le fait qu’elle soit en uniforme voulait dire qu’elle pouvait intervenir auprès des détenus si la situation le demandait.

216 Je considère que cela ne constitue pas une explication raisonnable dans les circonstances. D’abord, M. Simard a témoigné que ses discussions avec la fonctionnaire concernant sa demande d’uniforme de maternité avaient débuté en janvier 2009. Toutefois, à cette date, il n’avait pas encore reçu son certificat médical, ce qui était nécessaire pour entamer le processus selon M. Simard. Le certificat médical de la fonctionnaire a été déposé dans la case de M. Bénard le 13 février 2009. Vers le 15 ou 16 février 2009, la fonctionnaire a eu une discussion avec lui afin de savoir où ils en étaient avec son uniforme de maternité. Quelques jours plus tard, M. Bénard a contacté la fonctionnaire pour l’aviser qu’elle serait affectée à des tâches administratives à compter du 24 février 2009.

217 N’ayant toujours pas d’uniforme à son retour au travail, la fonctionnaire a rencontré M. Goulet, qui lui a demandé de prendre rendez-vous avec la couturière, ce qu’elle a fait le 3 mars 2009. Jusqu’à cette date, bien que l’employeur ait en main depuis quelque temps le certificat médical de la fonctionnaire indiquant ses limitations fonctionnelles, aucun de ses représentants n’a avisé la fonctionnaire qu’elle ne pouvait pas porter l’uniforme de maternité.

218 L’explication selon laquelle, en portant l’uniforme, la fonctionnaire serait perçue comme étant dans une position d’autorité et comme pouvant intervenir auprès des détenus si la situation le demandait, me laisse songeur.

219 Selon le témoignage d’une agente correctionnelle, Mme Ross, il n’y a pas de raison de sécurité pour qu’une agente correctionnelle ne porte pas l’uniforme dans la zone administrative de l’établissement. Selon elle, une femme enceinte qui porte l’uniforme n’a pas à intervenir dans les situations d’urgence qui pourraient survenir.

220 Bien entendu, c’est l’employeur qui détermine les règles applicables dans l’établissement, pas Mme Ross. L’employeur était parfaitement au courant des limitations fonctionnelles de la fonctionnaire décrites dans son certificat médical. J’ai beaucoup de difficulté à imaginer que même si la fonctionnaire portait l’uniforme de maternité pendant son affectation à des tâches administratives, l’employeur lui aurait demandé d’intervenir dans une situation d’urgence. Rien dans la preuve n’indique que l’employeur aurait ainsi mis à risque la santé de la fonctionnaire et celle de son fœtus. Bien au contraire, M. Simard a témoigné en contre-interrogatoire qu’un agent correctionnel ayant des limitations fonctionnelles était affecté au poste des effets personnels où il était en contact avec les détenus et que l’employeur faisait en sorte d’éviter que l’agent en question, bien qu’il porte un uniforme, n’ait à intervenir dans des situations d’urgence. À plus forte raison, comme la fonctionnaire travaillait dans une zone administrative où, comme elle a témoigné, elle n’avait pas de contact avec des détenus, j’en conclus que l’employeur aurait pris les mêmes précautions à son égard.

d. Utilisation d’une politique de détachement qui ne s’appliquait pas clairement en l’espèce
                                                                                                               

221 Quatrièmement, l’employeur a plaidé que le paragraphe 13 des Lignes directrices 351-1 s’appliquait à la fonctionnaire. Ledit paragraphe se lit comme suit :

Employés détachés, à temps partiel ou nommé pour une période déterminée

13. Les employés à temps plein ayant droit à un uniforme complet qui sont détachés à un poste où ils ne sont pas obligés de porter l’uniforme pourront renouveler les articles d’uniforme dont ils ont besoin seulement lorsqu’ils reviendront à leur poste d’attache à la fin de la période du détachement. À ce moment-là, les employés à temps plein qui doivent porter l’uniforme du SCC recevront des points d’entretien annuels qui seront calculés au prorata, sur une base mensuelle, selon la durée de leurs fonctions dans leur poste d’attache.

[…]

222 Cet article vise, entre autres, les employés détachés à un poste où ils ne sont pas obligés de porter l’uniforme. La différence entre un détachement et une affectation est définie comme suit sur le site Web de la Gestion des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor.

Un détachement est le déplacement temporaire d'un employé vers un autre ministère ou organisme de l'administration publique centrale (Annexe I et Annexe IV de la Loi sur la gestion des finances publiques), ou vers une organisation pour laquelle le Conseil du Trésor est l'Employeur.

Le détachement et l'affectation désignent le déplacement latéral temporaire d'un employé afin qu'il assume les fonctions d'un poste qui existe déjà ou afin qu'il s'occupe d'un projet spécial. Toutefois, les détachements se font vers un autre ministère ou organisme (interministériel) alors que les affectations sont faites à l'intérieur d'un même ministère ou organisme (intraministériel). Dans les deux cas, l'employé reste le titulaire du poste qui est le sien dans son organisation d'attache et est payé par celle-ci.

[…]

223 En l’espèce, la fonctionnaire n’a pas été détachée vers un autre ministère ou organisme. Elle a plutôt été réaffectée à l’intérieur de son établissement conformément à l’article 45 de la convention collective. Comme le paragraphe 13 des Lignes directrices 351-1ne vise pas les employés en affectation, je ne retiens pas cet argument de l’employeur.

224 Je traiterai maintenant de la troisième étape du test de Meiorin.

3. Est-ce que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail?

225 Afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l’employeur doit démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

226 J’estime que l’employeur n’a pas établi qu’il faisait face à une contrainte excessive. La seule preuve que l’employeur a déposée à cet égard est celle de la sécurité. Tel que je l’ai déjà déterminé précédemment dans cette décision, je n’accepte pas, dans les circonstances, que des raisons de sécurité constituaient une contrainte excessive pour l’employeur. Il y avait d’autres personnes à qui on a permis le port de l’uniforme, et ce, même s’ils étaient incapables d’intervenir dans des situations d’urgence à l’établissement. J’estime donc que la preuve de l’employeur n’a pas rencontrée le seuil d’une contrainte excessive.

227 Considérant les questions posées par la Cour suprême au paragraphe 65 de Meiorin, bien que l’employeur ait commencé une évaluation individuelle en fonction de la norme de l’uniforme (par exemple en dirigeant la fonctionnaire à faire modifier son uniforme et, plus tard, en proposant plus de flexibilité dans l’application de la norme d’indemnité d’habillement), il semble qu’il a court-circuité ce processus. De la même façon, l’employeur avait d’abord jugé que le port de l’uniforme ne contredisait pas la Directive sur les uniformes. Ce n’est que plus tard qu’il a soulevé des questions de sécurité. J’accepte que le processus d’exploration de moyen d’accommodement puisse parfois mener l’employeur et l’employée à peaufiner ce qui serait acceptable ou non. Mais, dans cette affaire, les explications fournies par l’employeur ne sont pas convaincantes. Le libellé de la norme de l’uniforme, ainsi que celle de la norme de l’indemnité d’habillement dans la convention collective, n’interdisait pas une certaine flexibilité en ce qui concerne les circonstances où les tâches de la fonctionnaire auraient pu être modifiées. Il n’y avait aucune interdiction sur le port de l’uniforme lorsqu’un agent correctionnel est affecté temporairement à certaines fonctions, en l’occurrence, à des tâches administratives pas plus qu’il n’y avait d’interdiction quant au versement de l’indemnité d’habillement à l’intérieur d’un exercice financier. De plus, la preuve a démontré que dans d’autres circonstances, on pouvait établir des normes reflétant des différences. Il est assez clair que la fonctionnaire et son syndicat avaient fait des démarches pour collaborer dans le processus d’accommodement.

228 En ce qui a trait à la clause de la convention collective sur les indemnités d’habillement, les dispositions d'une convention collective ne peuvent pas exonérer les parties de l'obligation de prendre des mesures d’adaptation. Toutefois, l’effet de la convention collective est pertinent pour évaluer le degré de contrainte résultant de l'ingérence dans ses conditions. Une dérogation importante à l’application habituelle des conditions d'emploi dans la convention collective peut constituer une ingérence excessive dans l'exploitation de l'entreprise de l'employeur (Renaud, à lapage987). L’employeur n’a pas établi qu’il y aurait une ingérence excessive dans l’exploitation de l’entreprise de l’employeur en adoptant plus de flexibilité dans l’application de cette clause.

229 Je suis donc d’avis que, dans les circonstances, l’employeur n’a pas réussi à établir que les normes en question étaient des exigences professionnelles justifiées. De plus, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur a discriminé contre la fonctionnaire sur la base du sexe (grossesse) en refusant de lui verser l’indemnité d’habillement ou un uniforme de maternité et, à ces égards, n’a pas réussi à établir une défense en vertu de l’article 15 de la LCDP.

E. Allégation de discrimination systémique

230 Je traiterai maintenant des sept formules de griefs que j’ai admis en preuve sous réserve de leur force probante (pièce S-3 en liasse).

231 La fonctionnaire a déposé les griefs afin de tenter de démontrer que l’employeur discriminait de façon systémique contre les agentes correctionnelles enceintes. Ces griefs figuraient sur une liste de griefs concernant l’indemnité d’habillement ou l’uniforme qui avaient été renvoyés à l’arbitrage. Cette liste a été dressée à ma demande par le greffe de la Commission. Elle a été fournie aux parties aux fins d’une téléconférence préparatoire à l’audience afin de savoir si le syndicat allait désigner la présente affaire comme un cas type. Dans certains de ces griefs, il était allégué que les uniformes de maternité n’étaient pas adéquats tandis que dans d’autres l’indemnité d’habillement était réclamée. Lors de ladite téléconférence, la représentante de la fonctionnaire m’a informé que la présente affaire ne servirait pas de cas type.

232 L’employeur a fait valoir qu’en l’espèce, il fallait une meilleure preuve que le fait qu’il y avait de tels griefs dans le système de la Commission pour démontrer qu’il existait une discrimination systémique. Je suis d’accord. Les griefs ont été déposés sans plus. Il n’y avait aucune preuve concernant les détails de ces griefs qui me permettrait de les considérer sous l’angle de la discrimination systémique. De plus, la fonctionnaire n’a pas demandé une mesure de réparation systémique. Dans les circonstances, je n’accorde aucune force probante à ces griefs.

233 Qui plus est, je ne suis pas saisi de ces griefs à titre d’arbitre de grief. Le seul grief devant moi dont je dois déterminer le sort est le grief individuel de la fonctionnaire. Bien que la mesure de réparation accordée au plaignant dans le cadre d’une plainte individuelle puisse avoir des conséquences à l’échelle systémique, cette mesure doit découler de la demande.

234 Néanmoins, il est à noter que dans Meiorin, la juge McLachlin, qui avait rendu le jugement pour la Cour, a fait remarquer que, comme peu de règles sont formulées de manière explicitement discriminatoire, la question à trancher au regard des droits de la personne consiste généralement à se demander si le plaignant a subi des effets préjudiciables. Elle a noté que la distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte dans l’analyse conventionnelle pouvait légitimer la discrimination systémique (voir paragraphe 39 de Meiorin). Un des objectifs de l’établissement du test dans Meiorin était de minimiser la distinction entre la discrimination directe et indirecte (voir les paragraphes 27 à 49 de Meiorin). La Cour a clairement indiqué que les employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent être conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes (voir paragraphe 68 de Meiorin). Donc, l’élimination de la discrimination dans le test de Meiorin a pour conséquence qu’une réparation accordée à un plaignant dans une plainte individuelle pourrait avoir un effet à l’échelle systémique.

235 J’ai déterminé que la clause 43.03 de la convention collective avait un effet discriminatoire envers la fonctionnaire et que les explications de l’employeur n’avaient pas réussi à repousser la preuve prima facie établi par la fonctionnaire. De plus, l’employeur n’a pas démontré qu’il faisait face à une contrainte excessive. Après tout, le choix d’un uniforme de maternité ou de l’indemnité d’habillement était déjà prévu à la clause 43.03 comme étant un avantage auquel la fonctionnaire aurait dû avoir droit. Dans les circonstances, le grief de la fonctionnaire sera accueilli.

236 J’ai demandé aux parties de déposer des soumissions écrites sur la mesure de réparation à accorder si le grief était accueilli, avec attention particulière sur la divisibilité de l’indemnité d’habillement de la clause 43.03 de la convention collective. Je traiterai maintenant de ces soumissions.

VI. Résumé de l’argumentation sur les mesures de réparation

A. Pour la fonctionnaire

237 Comme mesures correctives, le grief de la fonctionnaire indique ce qui suit :

Me verser l’indemnité de 600 $ ou me fournir un uniforme de femme enceinte adéquat.

Et tous les autres droits que me donne la convention collective de travail, ainsi que tous dommages réels, moraux ou exemplaires, et ce, rétroactivement avec intérêts au taux légal, sans préjudice aux autres droits dévolus.

238 Lors de l’audience, la fonctionnaire a signifié que puisqu’elle n’était plus enceinte, la mesure de réparation appropriée ne pouvait plus être de lui fournir l’uniforme de maternité. La fonctionnaire réclame donc un montant de 600 $, représentant l’indemnité d’habillement auquel elle avait droit en vertu de l’article 43.03 de la convention collective; un montant de 1 500 $ afin de couvrir l’achat de vêtements, le temps consacré aux démarches et le déplacement chez la couturière; un montant de 2 500 $ afin de couvrir les dommages moraux qu’elle a subis, ainsi que les intérêts au taux légal à partir de la date du dépôt du grief.

239 En ce qui a trait au pouvoir d’un arbitre de grief d’octroyer des dommages, la fonctionnaire m’a renvoyé à Brown & Beatty, paragraphes 2 :1500 et 2 :1501 et à Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27.

240 En s’appuyant sur la preuve et selon le relevé de compte de sa carte de crédit, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait dû débourser 1 832,85 $ pour l’achat de vêtements appropriés pour son travail (pièce S-15). En soustrayant le montant de 600 $ réclamé à titre d’indemnité d’habillement, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait donc déboursé un montant additionnel de 1 232,85 $ qu’elle n’aurait pas eu à débourser n’eût été l’omission de l’employeur de lui fournir un uniforme adapté à sa condition de femme enceinte.

241 La fonctionnaire a souligné qu’elle avait dû effectuer de nombreuses démarches auprès de l’employeur afin d’obtenir un uniforme de maternité, tel qu’il a été démontré dans les pièces S-6 à S-14, y compris se rendre chez la couturière. La fonctionnaire réclame donc le montant de 267,50 $, soit la différence entre 1 500 $ et 1 232,85 $, pour couvrir le temps de ces démarches et son déplacement.

242 En ce qui concerne la preuve pour les dommages moraux, la fonctionnaire a souligné les nombreuses démarches qu’elle a dû effectuer seule, sans l’aide de l’employeur, alors qu’elle était vulnérable. Elle a allégué que cela lui avait causé du stress et laissé avec un sentiment d’injustice face à sa condition de femme enceinte.

243 La fonctionnaire a plaidé qu’en l’espèce il y avait lieu d’octroyer des dommages, vu que l’employeur avait enfreint l’article 37 de la convention collective (élimination de la discrimination) ainsi que les articles 7 et 15 de la LCDP. À cet égard, la fonctionnaire m’a renvoyé à Brown & Beatty, paragraphe 2:1504 et à Stringer c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 110. Stringer a fait l’objet d’un contrôle judiciaire sur plusieurs aspects. Comme les deux parties renvoient à cette décision, il y a lieu de clarifier les motifs du contrôle judiciaire.

244 Dans Stringer c. Canada (Procureur général), 2013 CF 735 (« Stringer CF »), la Cour fédérale a étayé les questions dont elle était saisie :

[1] Il s’agit des motifs des jugements et des jugements concernant trois contrôles judiciaires de trois composantes d’une seule instance sous-jacente, soit la décision d’un arbitre (l’arbitre) de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP ou la Commission). Dans le premier contrôle judiciaire (dossier de la Cour T-633-11), le demandeur conteste la décision par laquelle l’arbitre a conclu que le licenciement de Jeffrey Stringer (le fonctionnaire) ne résultait pas d’un acte discriminatoire fondé sur une déficience. Dans le deuxième contrôle judiciaire (dossier de la Cour T-1657-11), introduit par le procureur général du Canada (le PGC), ce dernier conteste l’octroi par l’arbitre d’intérêts sur les dommages-intérêts octroyés dans le cadre de la réparation en raison du manquement à l’obligation de fournir des mesures d’adaptation. Enfin, le troisième contrôle judiciaire (dossier de la Cour T-1669-11) est demandé par le fonctionnaire, qui conteste le refus de l’arbitre d’ordonner la mise en œuvre de mesures de réparation systémiques pour corriger le manquement à l’obligation de fournir les mesures d’adaptation requises.

[2] Dans le dossier de la Cour T-633-11 (le contrôle judiciaire sur le fond ou relatif au licenciement), le fonctionnaire cherche à obtenir une ordonnance qui annule la partie de la décision de l’arbitre qui rejetait le grief relatif au licenciement et demande à la Cour de maintenir le grief. Subsidiairement, le fonctionnaire demande que l’affaire soit renvoyée devant un autre arbitre pour que ce dernier rende une nouvelle décision. Les deux parties demandent que je leur adjuge les dépens.

[3] Dans le dossier de la Cour T-1657-11 (le contrôle judiciaire relatif aux intérêts), le PGC cherche à obtenir une ordonnance annulant la partie de la décision de l’arbitre qui ordonne à l’employeur de verser des intérêts sur les sommes octroyées. Les deux parties demandent que je leur adjuge les dépens.

[4] Dans le dossier de la Cour T-1669-11 (le contrôle judiciaire relatif aux mesures de réparation systémiques), le fonctionnaire cherche à obtenir une ordonnance qui annule la décision de l’arbitre et renvoie l’affaire à un autre arbitre du CRTFP afin qu’elle soit soumise à un nouvel examen conformément aux principes pertinents relatifs aux droits de la personne et aux directives que la Cour fournira. Les deux parties demandent que je leur adjuge les dépens.

245 Les ordonnances de la Cour fédérale se lisent comme suit :

LA COUR STATUE, dans le dossier de la Cour T-633-11 (le contrôle judiciaire de la décision sur le fond ou relatif au licenciement), que la conclusion de l’arbitre relative au défaut de fournir des mesures d’adaptation est confirmée et la partie de la décision relative au licenciement est annulée; cette question est renvoyée au même arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision. Le demandeur a droit aux dépens afférents à la demande.

ET LA COUR STATUE, dans le dossier de la Cour T-1657-11 (le contrôle judiciaire relatif aux intérêts), que la demande de contrôle judiciaire est accueillie dans la mesure où la décision de l’arbitre relative à l’octroi d’intérêts sur les dommages-intérêts est annulée. Le demandeur a droit aux dépens de la demande.

ET LA COUR STATUE, dans le dossier de la Cour T-1669-11 (le contrôle judiciaire relatif aux mesures de réparation systémiques), que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que les dépens sont adjugés au demandeur et que l’affaire est renvoyée au même arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision.

246 Un appel de ce jugement à la Cour d’appel fédérale a été discontinué : dossier de la Cour A-329-13.

247 La fonctionnaire a fait valoir que dans Stringer, l’arbitre de grief avait considéré l’article 53 de la LCDP afin d’établir le montant de dommages auquel le plaignant avait droit. Cet article se lit ainsi :

53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

(a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visé au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

248 En l’espèce, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait droit à l’octroi de montants en vertu des alinéas 53(2)b) à e) inclusivement de la LCDP. Selon la fonctionnaire, l’indemnité d’habillement qu’elle réclame est visée par l’alinéa 53(2)b) de la LCDP. De plus, le montant de 1 500 $ s’ajoutant à l’indemnité de 600 $ pour l’achat de vêtements pour le travail et les démarches entrepris sur son propre temps et son déplacement chez la couturière, est visé par les alinéas 53(2)c) et d). En ce qui a trait aux dommages moraux de 2 500 $, la fonctionnaire a fait valoir qu’ils étaient couverts par l’alinéa 53(2)e).

249 La fonctionnaire m’a renvoyé à plusieurs décisions traitant de préjudice moral. Pour une définition de préjudice moral, elle a cité Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QC CA), au paragraphe 63. Elle a cité les décisions suivantes du Tribunal des droits de la personne du Québec à l’appui de l’octroi de montants pour compenser des dommages moraux lorsqu’il y a exclusion sur la base d’un motif prohibé : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Filion, 2004 CanLII 468 (QC TDP); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Roger Poirier Automobile Inc, 2004 CanLII 71677 (QC TDP); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Ville), 2003 CanLII 33420 (QC TDP); C.D.P.D.J. (Dewe) c. Panagiotis Macrisopoulos, T.D.P.Q. MONTRÉAL, 1998 CanLII 5977 (QC TDP); C.D.P. c. Camping et Plage Gilles Fortier Inc., T.D.P.Q. QUÉBEC, 1994 CanLII 2350 (QC TDP). Dans chacune des décisions du Tribunal des droits de la personne du Québec, le montant octroyé à titre de dommages moraux était de 1 000 $.

250 La fonctionnaire a avancé que dès qu’il y a dommage moral à la suite de discrimination pour un motif illicite, l’octroi d’un montant est alors indiqué, même si le comportement du plaignant n’est pas exemplaire. À l’appui de cet argument, elle a cité Pitawanakwat c. Canada (Procureur général), [1994] 3 CF 298. La fonctionnaire a fait valoir que puisque son comportement avait été exemplaire et qu’elle avait subi un certain préjudice moral en raison des agissements de l’employeur, elle devrait avoir droit à un montant pour préjudice moral.

251 La fonctionnaire m’a aussi renvoyé à Tellier-Cohen c. Canada (Conseil du Trésor), 1982 CanLII 4 (TCDP), une décision qui, selon elle, semble s’apparenter de près à sa situation. Dans cette affaire, l’employeur a refusé à la plaignante l’accès à ses congés de maladie ou annuel durant sa période d’incapacité à la suite de son accouchement. Le TCDP lui a accordé une somme représentant le montant perdu ainsi que 2 000 $ à titre d’indemnité pour le préjudice subi lorsque l’employeur a discriminé contre elle.

252 La fonctionnaire m’a renvoyé au paragraphe 36 de Stringer où l’arbitre de grief, en analysant les décisions présentées par les parties, a constaté ce qui suit :

36 Lors de mon analyse des huit décisions pertinentes auxquelles les parties m’ont renvoyé (en écartant donc Hughes), il m’est apparu que la plupart d’entre elles ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral ou d’indemnité spéciale, selon le cas. Il m’apparaît toutefois évident que la gravité des répercussions psychologiques subies par les plaignants ou les fonctionnaires s’estimant lésés, selon le cas, et occasionnées par la discrimination à leur égard ou le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est le principal facteur invoqué pour justifier leur décision. Il ressort également que c’était plutôt la façon inconsidérée de traiter les fonctionnaires s’estimant lésés ou les plaignants, selon le cas, qui était invoquée pour justifier l’imposition d’une indemnité spéciale dans l’ordonnance.

253 La fonctionnaire n’a pas prétendu qu’elle avait subi un traumatisme psychologique grave dû à la faute de l’employeur. Cependant, elle a fait valoir que toutes les démarches qu’elle a dû entreprendre lui ont donné l’impression de ne pas être respectée par l’employeur et que sa condition de femme enceinte était un fardeau. Elle a réitéré que le dédale de procédures dans lequel elle s’est retrouvée l’avait laissée stressée et avec un sentiment d’injustice alors qu’elle était vulnérable. Le montant réclamé de 2500 $ en dommages moraux est en rapport avec le tort que la fonctionnaire a subi.

B. Pour l’employeur

1. Divisibilité de l’indemnité

254 L’employeur a d’abord traité de la divisibilité de l’indemnité d’habillement de la clause 43.03 de la convention collective. Selon l’employeur, cette indemnité vise à ce qu’un agent correctionnel qui n’a pas à porter un uniforme ne soit pas désavantagé par rapport à un autre agent correctionnel qui doit le porter, et ce, pour permettre à tous les agents correctionnels, dont les fonctions requièrent ou non le port de l’uniforme, d’être sur le même pied d’égalité. L’employeur a fait valoir qu’en adoptant la clause 43.03, les parties à la convention collective se sont entendues que ce n’est qu’à partir de six mois et plus de travail qu’un agent correctionnel est défavorisé par rapport à un autre agent correctionnel. Selon cet argument, si un agent correctionnel n’est pas au travail, il n’y a pas de préjudice par rapport à un agent qui travaille, étant donné qu’il n’exerce aucune fonction et n’utilise donc pas de vêtements civils pour effectuer des fonctions. Ainsi, il découle du libellé de la clause 43.03 que les parties à la convention collective n’ont pas voulu que l’indemnité d’habillement soit divisible au prorata.

255 L’employeur a souligné que le fait d’accorder l’indemnité d’habillement au prorata mènerait à une absurdité, puisqu’un agent correctionnel aurait droit à une indemnité à chaque fois qu’il exercerait des fonctions qui ne requièrent pas le port de l’uniforme.

2. Dépenses

256 Selon l’employeur, accorder un montant au-delà de l’indemnité d’habillement de 600 $ pour l’achat de vêtements de maternité aurait pour effet de modifier la convention collective, ce qui est interdit à l’arbitre de grief conformément à l’article 229 de la LRTFP.

3. Dommages autres que moraux

257 L’employeur a fait valoir que les alinéas 53(2)b), c) et d) de la LCDP prévoient certaines mesures de réparation. Toutefois, la compétence d’un arbitre de grief saisi d’un grief alléguant une violation de la LCDP est circonscrite par l’alinéa 226(1)h) de la LRTFP, qui prévoit ce qui suit :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ;

[…]

258 Par conséquent, un arbitre de grief ne peut ordonner de dommages en vertu des alinéas 53(2)b), c) et d) de la LCDP. L’employeur a souligné que dans Stringer, l’arbitre de grief avait octroyé des dommages en vertu de l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP, et non en vertu des alinéas 53(2)b), c) et d).

259 À l’appui de son argument concernant l’interprétation de l’octroi de dommages en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, l’employeur a cité Stringer CF, où la Cour fédérale, faisant référence au jugement de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Nantel, 2008 CAF 351, a dit ce qui suit au paragraphe 100 :

[100]Même si je n’avais pas été en mesure de profiter du point de vue de la Cour d’appel relativement au paragraphe 226(1), il me semble que dans le cadre d’une interprétation plus cohérente des alinéas 226(1)g) et h), l’exception à l’application de la LCDP qui figure à l’alinéa g) concerne sa substance (en éliminant les dispositions sur le droit à la parité salariale) alors que l’alinéa h) contient une exception relative aux mesures de réparation (en omettant l’incorporation du paragraphe 53(4) de la LCDP lorsque l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) sont mentionnés explicitement). Il n’y a pas vraiment d’autre façon d’interpréter ces dispositions de façon cohérente étant donné que la mention à l’alinéa h) des mesures de réparation prévues dans la LCDP ferait double emploi avec l’autorisation de l’application de l’ensemble de la LCDP qui figure à l’alinéa g), si ce n’était dans le but d’exclure l’application du paragraphe 53(4) par omission.

260 L’employeur a donc plaidé que les seules mesures de réparation ouvertes à l’arbitre de grief sont celles en vertu de l’alinéa 226(1)h) de la LRTFP.

261 L’employeur a fait valoir subsidiairement que la fonctionnaire n’avait pas démontré qu’elle avait engagé des dépenses à la suite de la discrimination qu’elle aurait subie. Les relevés de compte de la carte de crédit de la fonctionnaire (pièce S-15) ne sont pas des factures et ne permettent pas de départager ce qu’elle a acheté à des fins personnelles de ce qu’elle a acheté à des fins professionnelles. L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire avait admis, lors de son témoignage, ne pas se souvenir de tout ce qu’elle avait acheté, qu’elle portait parfois les vêtements les fins de semaine, et qu’elle avait fait des retours de marchandise dont certains étaient indiqués sur le relevé tandis que d’autres ne l’étaient pas.

262 De plus, l’employeur a fait valoir que comme les vêtements achetés par la fonctionnaire n’étaient pas seulement pour son travail, cette dernière ne pouvait prétendre que ces achats étaient liés à la discrimination alléguée. Par conséquent, le montant réclamé de 1500 $ n’est pas justifié.

4. Préjudice moral

263 L’employeur a plaidé que la fonctionnaire n’avait présenté aucune preuve à l’appui d’un préjudice moral. Il a fait valoir que dans Chénier, l’arbitre de grief était d’avis qu’un préjudice devait être certain et non spéculatif. De même, dans Tellier-Cohen, la preuve concernant plusieurs préjudices subis par la plaignante était claire.

264 Selon l’employeur, l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle elle était stressée n’est pas appuyée par la preuve. Tout au plus, il s’agit de l’opinion d’un témoin qui n’est pas expert en la matière. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à Canada (Procureur général) c. Demers, 2008 CF 873, où la Cour fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 34 :

[34]Dans sa décision l’arbitre fait référence à la détresse psychologique de M. Demers. Il faut se rappeler que le champ d’expertise de l’arbitre se situe au niveau des relations de travail et, à moins qu’elle ne se réfère à l’opinion soit d’un médecin ou d’un psychologue lorsqu’elle conclut qu’un certain événement a causé la détresse psychologique chez M. Demers, elle excède clairement sa compétence.

265 À l’appui de cet argument, l’employeur a aussi cité Lebeau c. Conseil du Trésor (Statistiques Canada), 2013 CRTFP 131, aux paragraphes 38 et 39, tel que suit:

38 Même si Statistique Canada a violé la convention collective et la LCDPen imposant à la fonctionnaire une prime supplémentaire comme condition afin de conserver sa place réservée (ce dont je doute), il est impossible de conclure qu’elle aurait droit à l’octroi de dommages moraux. Dans Canada (Procureur général) c. Tipple, 2011 CF 762 (appel accueilli sur d’autres questions: 2012 CAF 158), la Cour fédérale a exprimé l’opinion que l’arbitre de grief ne devrait pas octroyer une réparation pour un préjudice psychologique en l’absence d’une preuve d’un tel préjudice fournie, de préférence, par un professionnel de la santé. Qui plus est, la preuve devrait indiquer que le préjudice est important et durable. Voici ce que le juge Zinn a écrit au paragraphe 60 :

[60] […] Deuxièmement, M. Tipple ne présente aucune preuve, hormis son propre témoignage, du fait qu'il a souffert d'un manque de confiance, d'un préjudice moral, d'un manque d'estime de soi, d'humiliation, de stress, d'anxiété et d'un sentiment de trahison. Plus précisément, il n'existe pas de preuve que M. Tipple a dû recevoir des traitements médicaux ou qu'il a reçu un diagnostic psychologique causé par la conduite de l'employeur lors de la cessation d'emploi, la seule preuve étant qu'il avait été licencié. Troisièmement, contrairement aux faits dans Zesta Engineering, la décision n'indique aucunement que le préjudice psychologique subi par M. Tipple était important et durable, et qu'il en souffrait toujours. […]

39 La fonctionnaire a décrit, lors de son témoignage, les sentiments qu’elle a éprouvés en raison de l’acte discriminatoire de Statistique Canada, mais elle n’a pas indiqué avoir dû consulter un professionnel de la santé à ce sujet. Elle n’a présenté aucune preuve de ce préjudice moral autre que son propre témoignage. Elle n’a pas mentionné, non plus, qu’elle continuait d’en souffrir.

5. Intérêts

266 L’employeur a fait valoir que l’alinéa 226(1)i) de la LRTFP ne permettait à un arbitre de grief d’adjuger des intérêts que dans les cas de griefs portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension, ou une sanction pécuniaire. L’employeur a de plus cité l’extrait suivant de Stringer CF :

[99]De son côté, le fonctionnaire soutient que cet extrait vise uniquement l’alinéa 226(1)i) et non l’alinéa 226(1)g), qui autorise l’arbitre à appliquer la LCDP. Accepter cet argument obligerait à conclure que la Cour d’appel, en utilisant des termes aussi larges que « pour le reste » et « de façon non limitative », a omis de prendre en compte les autres sous-alinéas du paragraphe qu’elle interprétait. Je ne peux pas accepter cet argument étant donné qu’il entraînerait un écart beaucoup trop grand par rapport à l’affirmation dépourvue de toute ambiguïté de la Cour selon laquelle l’immunité de l’État en common law relativement au paiement d’intérêts s’applique dans toute instance instruite en vertu de la LRTFP, sauf dans les cas qui sont mentionnés expressément à l’alinéa 266(1)i).

267 Tel qu’il a été indiqué précédemment dans cette décision, la Cour fédérale a annulé la portion de la décision de l’arbitre de grief sur les mesures de réparation qui porte sur les intérêts.

268 Quant à Chénier, cité par la fonctionnaire, l’employeur a fait valoir qu’il s’agissait d’un cas de licenciement, non de discrimination. L’arbitre de grief n’a pas accordé d’indemnité, même s’il estimait que ses pouvoirs de réparation le lui permettaient.

269 L’employeur a donc fait valoir que des intérêts pour les dommages ne pouvaient être adjugés dans le cas de griefs portant sur l’interprétation de la convention collective ou alléguant de la discrimination.

C. Réplique de la fonctionnaire

270 Je constate qu’une partie de la réplique de la fonctionnaire va au-delà de ce qui constitue une réplique. En effet, le but de la réplique de la demanderesse est de répondre aux arguments de la défenderesse, lesquels ont été présentés en réponse à l’argument principal de la demanderesse.

271 En l’occurrence, la réplique de la fonctionnaire contient plusieurs paragraphes touchant le fond de la question de la discrimination. Or, les soumissions écrites devaient s’en tenir à la question des mesures de réparation. De plus, l’employeur n’a pas traité, dans ses soumissions écrites, des questions sur le fond concernant les mesures de réparation. Qui plus est, j’ai déterminé le fond du litige plus tôt dans cette décision et j’ai déjà traité les arguments de la fonctionnaire à cet égard.

1. Divisibilité de l’indemnité d’habillement

272 En ce qui a trait à la divisibilité de l’indemnité d’habillement, la fonctionnaire a fait valoir que le montant total devrait lui être octroyé, puisqu’elle ne peut être tenue responsable des délais relatifs à la date de sa réaffectation. Subsidiairement, l’indemnité devrait lui être octroyée au prorata du temps travaillé.

273 La fonctionnaire a ensuite abordé l’argument de l’employeur voulant que le fait d’octroyer l’indemnité au prorata crée une absurdité, puisque cela permettrait à un agent correctionnel d’être indemnisé alors qu’il est affecté en formation. La fonctionnaire a fait valoir que lorsqu’il est question d’une règle qui crée une discrimination indirecte, la règle demeure pour l’ensemble du personnel, mais l’employeur doit accommoder la personne discriminée ou le groupe de personnes discriminées.

274 Selon la fonctionnaire, le fait d’accorder un montant excédant 600 $ ne contreviendrait pas à l’article 229 de la LRTFP, parce que le défaut de l’employeur de lui fournir un uniforme pour femme enceinte lui a porté préjudice. En plus de l’indemnité de 600 $, un montant additionnel de 1500 $ devrait être octroyé pour les préjudices réellement engagés.

275 La fonctionnaire a fait valoir que l’argument de l’employeur voulant que la compétence d’un arbitre de grief saisi d’un grief sur la violation de la LCDP soit circonscrite par l’alinéa 226(1)(h) de la LRTFP, constitue une interprétation trop restrictive. La LRTFP ne stipule pas qu’en matière de discrimination, l’arbitre de grief est limité à ne rendre que des ordonnances en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. Selon la fonctionnaire, le raisonnement de l’employeur aurait pour effet de limiter les dommages dans tous les cas, parce qu’ils ne sont pas spécifiés dans la LRTFP. La fonctionnaire a fait valoir qu’un arbitre de grief pouvait néanmoins s’inspirer des alinéas 53(2)b), c) et d) de la LCDP en accordant des dommages.

276 La fonctionnaire a avancé que dans Stringer CF, la Cour n’a pas contesté le fait que l’arbitre de grief pouvait rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP bien que ce ne soit pas spécifié dans la LRTFP. De plus, dans cette même décision, il n’est pas mentionné que l’arbitre de grief ne pouvait octroyer d’autres types de mesures de réparation, puisque la Cour a renvoyé l’affaire à l’arbitre de grief pour qu’il se penche sur la possibilité de rendre une mesure de réparation systémique.

277 Quant à Chénier, l’arbitre de grief a décidé de ne pas octroyer de dommages parce que l’employé avait commis une faute grave. Par contre, en l’espèce, la fonctionnaire a eu un comportement exemplaire.

278 En ce qui a trait à son témoignage concernant l’achat de vêtements, la fonctionnaire a souligné qu’elle avait été précise à cet égard et qu’elle n’aurait pas eu à s’acheter tous ces vêtements si elle n’avait pas été obligée de les porter au travail.

279 En ce qui concerne le préjudice moral, la fonctionnaire a fait valoir que la preuve avait démontré qu’elle avait dû supporter un fardeau additionnel en raison de la non-collaboration et du manque de soutien de l’employeur. La fonctionnaire a réitéré qu’elle était stressée et vulnérable en raison de sa grossesse et qu’elle mérite donc un dédommagement de 2 500 $.

VII. Motifs sur les mesures de réparation

A. Pouvoirs de redressement de l’arbitre de grief

280 En vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, j’ai compétence pour instruire ce grief, puisqu’il porte sur l’interprétation ou l’application des dispositions d’une convention collective. Le paragraphe 228(2) de la LRTFP prescrit qu’après avoir instruit le grief, je dois trancher celui-ci et rendre la décision que je juge indiquée. Lorsqu’un arbitre de grief a compétence pour instruire un grief, il a aussi le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LRTFP et la LCDP, conformément à l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP. De même, en vertu de l’alinéa 226(1)h), il peut allouer les dommages pour préjudice moral prévus à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP.

281 Bien que le pouvoir de redressement en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP ne confère pas « carte blanche » à un arbitre de grief, il n’y a rien dans le libellé de cette disposition, ni dans les alinéas 226(1)g) ou h), qui laisse entendre que mes pouvoirs en vertu du paragraphe 228(2) sont limités de quelque façon que ce soit lorsqu’une question de droits de la personne dans un contexte de relations de travail est soulevée par un grief. Donc, bien qu’il existe certaines exceptions, un arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP a le pouvoir d’ordonner les mesures de réparation qu’il juge indiquées dans les circonstances. Entre autres, ces mesures peuvent parfois être à l’échelle systémique ou avoir un impact systémique. Elles peuvent inclure des mesures d’accommodement, le remboursement de salaire perdu ainsi que des dépenses y reliées, certains dommages, des frais (mais pas les frais juridiques) et des dépenses de nature compensatoire.

282 Il est important de signaler qu’un grief qui soulève une question de droits de la personne ne peut être bifurqué de son contexte, soit les relations de travail. Le grief porte sur l’interprétation ou l’application des dispositions d’une convention collective ou la présumée violation d’un principe relatif aux relations de travail, tout en soulevant une question de droits de la personne, que ce soit explicitement ou implicitement. Établir une distinction entre les mesures de réparation relatives aux griefs portant sur les droits de la personne et les autres griefs en matière de relations de travail irait à l’encontre du mandat de la LRTFP.

283 Ce principe est confirmé par la décision de la Cour fédérale dans Stringer CF, car la Cour a bien renvoyé l’affaire à l’arbitre de grief afin que celui-ci procède à l’examen des questions systémiques, lesquelles sont énoncées à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP sans toutefois être reconnues à l’alinéa 226(1)h) de la LRTFP.

B. Réparations autres que moraux

284 L’employeur a fait valoir que la compétence d’un arbitre de grief saisi d’un grief concernant la violation de la LCDP était circonscrite par l’alinéa 226(1)h). Par conséquent, un arbitre de grief ne peut ordonner des dommages en vertu des alinéas 53(2)b), c) et d) de la LCDP.

285 L’arbitre de grief dans Stringer en a décidé autrement. Son raisonnement a été résumé comme suit dans Stringer CF :

[79] L’arbitre est ensuite passé à la question de sa compétence pour accorder des mesures de réparation autres que celles qui sont prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3), comme les intérêts sur les dommages-intérêts et les mesures de réparation systémiques. L’arbitre n’était pas d’accord avec l’argument de l’employeur selon lequel ses pouvoirs à cet égard étaient limités à ceux qui étaient prévus dans lesdites dispositions étant donné que cela signifierait que les réparations possibles dans les cas de griefs relatifs aux droits de la personne auraient une portée plus restreinte que les réparations qui concerneraient d’autres griefs dans le domaine des relations de travail. En effet, les plaignants seraient alors obligés de déposer à la fois un grief et une plainte en vertu de la LCDP afin d’obtenir une réparation complète. Il soulignait que ce n’était pas là l’intention du législateur lorsqu’il a rédigé le libellé de l’alinéa 226(1)h) de la LRTFP. En effet, il semblait à l’arbitre que cet alinéa avait été incorporé à la LRTFP afin de préciser qu’un grief pouvait être déposé à l’égard d’un motif lié aux droits de la personne et pour mettre en relief la nouvelle compétence élargie des arbitres à l’égard des questions liées aux droits de la personne.

[80] Selon l’arbitre, sa compétence pour instruire des griefs et ordonner des mesures de réparation vient de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. Outre ce pouvoir fondamental, l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP confère à l’arbitre le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LCDP sans renvoi à une disposition particulière de la LCDP, sauf les dispositions en matière de parité salariale. Cette interprétation, soulignait l’arbitre, était conforme aux arrêts de la Cour suprême selon lesquels, en règle générale, les tribunaux spécialisés en droit du travail ont compétence à l’égard de tout différend entre les parties qui a trait à une convention collective. Selon l’arbitre, s’il fallait en arriver à une conclusion différente, le fonctionnaire devrait se tourner vers le TCDP pour obtenir d’autres mesures de réparation.

286 La Cour fédérale n’a fait aucun commentaire concernant ces conclusions de l’arbitre de grief. En lui renvoyant l’affaire afin de déterminer s’il devait ordonner la mise en place d’une mesure de réparation systémique, la Cour fédérale semble avoir implicitement approuvé sa décision.

287 Les paragraphes 98 à 100 de Stringer CF, qui semblent avoir été ajoutés à titre de commentaire, peuvent donner l’impression que la Cour se contredit. Cependant, il est important de considérer les commentaires de la Cour dans le contexte de sa discussion sur la signification de l’alinéa 226(1)i) de la LRTFP. Ladite disposition permet une exception à une règle de common law bien établi qui immunise la Couronne contre le paiement d’intérêts et précise les circonstances détaillées dans lesquelles cette exception s’applique. C’est dans ce contexte que la Cour a refusé d’étendre cette exception aux questions de droits de la personne.

288 Dans sa réplique, la fonctionnaire a plaidé que dans Stringer CF, la Cour n’avait pas contesté le fait que l’arbitre de grief pouvait rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP bien que ce ne soit pas spécifié dans la LRTFP.

289 Toutefois, un arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP ne possède pas les pouvoirs décrits dans l’alinéa 53(2)a) de la LCDP.

290 De plus, vu les pouvoirs qui me sont conférés par le paragraphe 228(2) de la LRTFP, j’estime que la demande de la fonctionnaire pour une mesure de réparation systémique était vague et impressionniste et qu’elle n’était pas indiquée dans les circonstances de ce grief. La demande a été faite de façon générale, et vu la preuve devant moi et mes conclusions, je suis d’avis qu’une telle mesure n’est pas indiquée dans la présente affaire.

291 Cela dit, j’ai déjà exprimé ma perspective de la preuve précédemment dans cette décision en discutant de la question de la discrimination systémique. Tel que je l’ai expliqué, une des conséquences découlant de Meiorin est que parfois, une mesure de réparation dans le contexte d’un grief individuel peut avoir un effet plus large à cause de l’élimination de la distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte.

C. L’indemnité d’habillement de 600 $

292 Comme il est inutile de considérer l’uniforme de maternité à titre de mesure corrective trois ans après la grossesse de la fonctionnaire, il y a donc lieu d’examiner l’indemnité d’habillement.

293 La fonctionnaire a fait valoir que le montant total de l’indemnité devrait lui être octroyé, puisqu’elle ne peut être tenue responsable des délais relatifs au début de sa réaffectation. Cet argument n’est pas convaincant. Il n’y a aucune preuve que l’employeur ait délibérément ou de mauvaise foi tardé à trouver une affectation temporaire pour la fonctionnaire après qu’elle lui eut remis son certificat médical. Par ailleurs, il n’y a rien dans la preuve qui indique que le processus d’affectation de la fonctionnaire à des tâches administratives n’a pas suivi le cours normal décrit par M. Simard dans son témoignage.

294 Il a été établi dans Renaud, qu’un texte d’où découle de la discrimination en raison de son effet préjudiciable doit céder aux lois sur les droits de la personne, en l’occurrence la LCDP. J’ai déjà déterminé que la clause 43.03 créait une telle discrimination. Dans les circonstances, j’estime que la mesure de réparation la plus appropriée serait pour l’employeur de verser à la fonctionnaire l’indemnité d’habillement au prorata du temps qu’elle a travaillé pendant son affectation temporaire. Si elle n’avait travaillé qu’un ou deux mois en affectation temporaire, je ne vois pas comment elle aurait pu justifier le fait de demander le versement du montant total de l’indemnité.

295 Dans son témoignage, M. Simard a reconnu qu’il serait discriminatoire à l’égard d’agentes correctionnelles enceintes d’obliger la fonctionnaire à respecter le critère de l’exercice financier de la clause 43.03 de la convention collective. J’estime que le même argument s’applique à la restriction temporelle de six mois. Il est possible qu’une agente correctionnelle puisse répondre aux exigences temporelles de la clause 43.03 pendant sa grossesse, mais il n’est pas certain que cela sera toujours le cas.

D. Dépenses

296 La fonctionnaire réclame le montant de 1 500 $, moins le montant octroyé à titre d’indemnité d’habillement, afin de couvrir l’achat de vêtements, le temps consacré aux démarches et son déplacement chez la couturière.

297 En ce qui concerne l’achat de vêtements, je considère que d’accorder la demande placerait la fonctionnaire dans une position plus avantageuse que si l’employeur lui avait versé l’indemnité d’habillement. Dans un tel cas, elle aurait quand même dû payer personnellement pour tout achat de vêtements excédant le montant de l’indemnité.

298 De plus, les relevés de compte de carte de crédit de la fonctionnaire ne permettent pas de départager ce qu’elle a acheté à des fins personnelles des achats à des fins professionnelles. Lors de son témoignage, la fonctionnaire a pu identifier quelques-uns de ces achats, mais ne se souvenait pas de tous les items. Elle a aussi indiqué qu’elle avait fait des retours de marchandises, dont certains étaient indiqués sur les relevés, tandis que d’autres ne l’étaient pas. Je suis donc d’avis que la preuve n’est pas suffisante pour octroyer le montant réclamé par la fonctionnaire à cet égard. Par conséquent, je rejette cette demande de la fonctionnaire.

299 Dans son argumentation, la fonctionnaire a mentionné les nombreuses démarches qu’elle a dû effectuer auprès de l’employeur afin d’obtenir l’uniforme de maternité et l’indemnité d’habillement ainsi que les déplacements pour se rendre chez la couturière.

300 Cependant, lors de son témoignage, la fonctionnaire n’a pas précisé si elle avait été payée ou non par l’employeur lors de ses diverses démarches. M. Simard a témoigné que lorsqu’une agente est enceinte, elle doit signaler son absence par téléphone en tout temps, afin de planifier la venue d’un remplaçant. Elle doit demeurer à la maison en congé payé jusqu’à son rendez-vous avec son médecin. Selon la preuve, la fonctionnaire était en congé payé à partir du moment où elle a remis son certificat médical, et ce, jusqu’à sa réaffectation qui a débuté le 24 février 2009. De plus, il n’y a rien dans la preuve qui indique que la fonctionnaire ne recevait pas un salaire de l’employeur avant le dépôt du certificat médical.

301 En ce qui concerne son déplacement chez la couturière, le mardi 3 mars 2009, lors de son témoignage, la fonctionnaire n’a pas indiqué que ce déplacement s’était fait en dehors des heures de travail, ni qu’elle avait dû engager des dépenses pour ce déplacement. Aucune pièce justificative pour de telles dépenses n’a été présentée en preuve.

302 Il incombait à la fonctionnaire de démontrer qu’elle avait engagé des dépenses pour ses démarches et son déplacement. Elle n’a pas réussi. Par conséquent, je rejette la réclamation de la fonctionnaire pour des dépenses au montant de 1 500 $.

E. Dommages moraux

303 La fonctionnaire a fait valoir que toutes les démarches qu’elle a dû entreprendre lui ont donné l’impression de ne pas être respectée par l’employeur et que sa condition de femme enceinte était un fardeau. Elle a dit que le dédale de procédures dans lequel elle s’est retrouvée l’avait laissée stressée et avec un sentiment d’injustice alors qu’elle était vulnérable.

304 En ce qui a trait au stress que la fonctionnaire a dit avoir subi, il n’y a pas de preuve qu’elle ait consulté un professionnel de la santé à cet égard, ni qu’elle continuait d’en souffrir. Il s’agit uniquement de son propre témoignage. Je suis d’accord avec la Cour fédérale dans Demers et l’arbitre de grief dans Lebeau que cela ne suffit pas pour justifier l’octroi de dommages moraux. Il ne revient pas à un arbitre de grief de se prononcer sur une telle question sans qu’il y ait preuve de l’avis d’un professionnel de la santé.

305 Par contre, j’estime que les tergiversations de l’employeur concernant sa politique de l’uniforme de maternité et de l’indemnité d’habillement ont, pour le moins, semé de la confusion chez la fonctionnaire. Elle a dû effectuer plusieurs démarches qui se sont avérées inutiles. Pour employer une expression familière, à cause de la conduite de l’employeur, la fonctionnaire ne savait plus sur quel pied danser. Malgré qu’elle se sente perturbée par les actions de l’employeur, tout au long du processus la conduite de la fonctionnaire a été exemplaire. Comme je l’ai déjà décidé, l’employeur a discriminé contre la fonctionnaire sur la base du sexe en lui empêchant d’avoir accès à un avantage auquel elle aurait normalement dû avoir droit. Dans les circonstances, je suis d’avis qu’elle a droit à une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP pour le préjudice moral qu’elle a subi.

306 Quant à l’estimation d’un montant approprié au titre de la mesure de réparation, il ne s’agit pas d’un simple calcul mathématique. Comme l’arbitre de grief dans Stringer l’a constaté au paragraphe 36 de sa décision (reproduit plus tôt dans cette décision), la plupart des décisions qu’il avait analysées ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder.

307 La fonctionnaire a réclamé le montant de 2 500 $ pour préjudice moral. Vu l’absence de preuve de stress subi par la fonctionnaire émanant d’un professionnel de la santé, il n’y a pas lieu d’accorder le plein montant réclamé. J’établis à 1 500 $ la somme que doit verser l’employeur à la fonctionnaire au titre du préjudice moral qu’elle a subi, en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

F. Intérêts

308 La fonctionnaire réclame le paiement d’intérêts. L’alinéa 226(1)i) de la LRTFP prévoit ce qui suit :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

i) dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, adjuger des intérêts au taux et pour la période qu’il estime justifiés […]

[…]

309 Dans Stringer CF, la Cour fédérale a cassé la partie de la décision de l’arbitre de grief ayant ordonné le paiement des intérêts au motif que l’alinéa 226(1)i) constituait une exception à la règle de common law selon laquelle la Couronne n’est pas redevable d’intérêts sur des sommes dues. À cet égard, la Cour fédérale s’est dite liée par le jugement de la Cour d’appel fédérale dans Nantel, qui s’est exprimée comme suit aux paragraphes 6 et 7 reproduits dans Stringer CF :

[6] Il n’est pas nécessaire d’aborder cette question parce que selon nous, les modifications apportées par la nouvelle LRTFP, entrée en vigueur le 1er avril 2005 (2003, ch. 22, art. 2), rendent la conclusion retenue par le juge Pinard incontournable et ce, quelle que soit la norme de contrôle applicable à la révision de la décision de l’arbitre. En effet, la nouvelle LRTFP prévoit à son alinéa 226(1)i) que l’arbitre peut « dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire [nous soulignons] adjuger des intérêts au taux ou pour la période qu’il estime justifiée ».

[7] Cette modification, lorsque considérée à la lumière de la jurisprudence constante dont fait état le juge Pinard dans ses motifs laquelle, sans exception, interprète la LRTFP de la même façon depuis plus de trente ans, démontre sans équivoque que le législateur fédéral était bien conscient de l’état du droit sous la LRTFP, et qu’il a choisi de renoncer au bénéfice de la règle de Common-Law, à compter du 1er avril 2005, dans les cas précis prévus à l’alinéa (l)i). Il s’ensuit que la règle de Common-Law demeure pour le reste. L’amendement ne peut être interprété autrement.

310 Dans Stringer CF, la Cour fédérale a ajouté ce qui suit :

[99]De son côté, le fonctionnaire soutient que cet extrait vise uniquement l’alinéa 226(1)i) et non l’alinéa 226(1)g), qui autorise l’arbitre à appliquer la LCDP. Accepter cet argument obligerait à conclure que la Cour d’appel, en utilisant des termes aussi larges que « pour le reste » et « de façon non limitative », a omis de prendre en compte les autres sous-alinéas du paragraphe qu’elle interprétait. Je ne peux pas accepter cet argument étant donné qu’il entraînerait un écart beaucoup trop grand par rapport à l’affirmation dépourvue de toute ambiguïté de la Cour selon laquelle l’immunité de l’État en common law relativement au paiement d’intérêts s’applique dans toute instance instruite en vertu de la LRTFP, sauf dans les cas qui sont mentionnés expressément à l’alinéa 266(1)i).

311 Et la Cour fédérale de poursuivre au paragraphe 100 :

[100]Même si je n’avais pas été en mesure de profiter du point de vue de la Cour d’appel relativement au paragraphe 226(1), il me semble que dans le cadre d’une interprétation plus cohérente des alinéas 226(1)g) et h), l’exception à l’application de la LCDP qui figure à l’alinéa g) concerne sa substance (en éliminant les dispositions sur le droit à la parité salariale) alors que l’alinéa h) contient une exception relative aux mesures de réparation (en omettant l’incorporation du paragraphe 53(4) de la LCDP lorsque l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) sont mentionnés explicitement). Il n’y a pas vraiment d’autre façon d’interpréter ces dispositions de façon cohérente étant donné que la mention à l’alinéa h) des mesures de réparation prévues dans la LCDP ferait double emploi avec l’autorisation de l’application de l’ensemble de la LCDP qui figure à l’alinéa g), si ce n’était dans le but d’exclure l’application du paragraphe 53(4) par omission.

312 Comme la Cour fédérale l’a dit au paragraphe 102 du même jugement, « […] rendre une décision à l’encontre d’une jurisprudence dépourvue de toute ambiguïté est déraisonnable ». Vu ce qui précède, je rejette la demande de la fonctionnaire pour le versement des intérêts.

VIII. Mise sous scellés

313 Les relevés de compte de carte de crédit de la fonctionnaire déposés sous la cote S-15 contiennent des renseignements personnels de la fonctionnaire, incluant son numéro de carte de crédit et son adresse domiciliaire. Vu le risque sérieux à la vie privée de la fonctionnaire ainsi que l’absence de préjudice à l’administration de la justice, de mon propre chef j’ai décidé d’ordonner la mise sous scellés de la pièce S-15.

314 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IX. Ordonnance

315 Le grief est accueilli.

316 L’employeur devra payer à la fonctionnaire, dans un délai de 60 jours de la date de cette décision, l’indemnité d’habillement prévu à la clause 43.03 de la convention collective, au prorata du temps qu’elle a travaillé pendant son affectation à des tâches administratives.

317 L’employeur devra payer à la fonctionnaire, dans un délai de 60 jours de la date de cette décision, une somme de 1 500 $ à titre de préjudice moral, en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

318 J’ordonne la mise sous scellés de la pièce S-15.

319 Je demeure saisi de ce grief pendant une période de 60 jours de la date de cette décision pour résoudre toute question découlant de l’exécution de la présente décision.

Le 11 septembre 2014.

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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