Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé au président d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vue de proroger les délais établis dans la convention collective pour renvoyer deux griefs à l'arbitrage – la demanderesse s’estimant lésée a contesté le refus de la défenderesse d'accepter son plan de retour au travail et de mesures d'adaptation ainsi que sa demande de congé payé – le représentant de l’agent négociateur lui avait dit que ses griefs seraient renvoyés à l’arbitrage si les réponses au dernier palier n'étaient pas favorables – l’agent négociateur a maintenu qu’il n’avait pas reçu de copies des réponses au dernier palier lorsqu’elles ont été envoyées à la demanderesse – le représentant de l’agent négociateur a appelé la défenderesse pour discuter de la question, croyant à tort, à ce moment-là, que le délai était déjà expiré – la défenderesse ne l’a pas informé qu’il n’avait pas dépassé le délai pour le renvoi des griefs à l’arbitrage – le représentant de l’agent négociateur était malade et avait des problèmes de santé à l’époque et ignorait que la Commission avait la capacité d'accorder des prorogations de délais – la demanderesse était également malade et a été hospitalisée – le vice-président a rejeté la proposition voulant qu’un demandeur et le syndicat ne puissent être considérés comme deux entités distinctes et que, en conséquence, un demandeur qui a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à ses griefs dans des circonstances où le syndicat a été négligent ne peut répondre au critère selon lequel il faut justifier par des raison claires, logiques et convaincantes le délai de présentation d’une demande de prorogation – cela n’est pas conforme aux principes de droit généralement reconnus – l’équité devrait motiver une demande de prorogation de délai – la négligence du syndicat était responsable du renvoi tardif des griefs et la demanderesse s’estimant lésée a fait preuve de diligence raisonnable – l’employeur n'a présenté aucune preuve de préjudice réel ou de difficultés particulières – l’injustice à l'égard de la demanderesse, qui ne faisait plus partie de l’effectif et dont le seul recours était l’arbitrage, l’emporte sur tout préjudice que pourrait subir l’employeur. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-10-31
  • Dossier:  568-34-299 XR: 566-34-8920 à 8921
  • Référence:  2014 CRTFP 96

Devant le président


ENTRE

MARY TERRY PRIOR

demanderesse

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Prior c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


Devant:
David Olsen, vice-président
Pour la demanderesse:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour la défenderesse :
Joshua Alcock, avocat
Affaire entendue à Toronto (Ontario), les 8 et 9 juillet 2014. (Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant le vice-président

1 Le 26 septembre 2013, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou le « syndicat »), au nom de Mary Terry Prior (la « demanderesse »), a présenté une demande à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour que le président exerce le pouvoir discrétionnaire visé à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») concernant une prorogation du délai établi dans la convention collective pour renvoyer deux griefs à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

2 En vertu de l’article 45 de la Loi, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous les pouvoirs ou à effectuer toutes les attributions visées à l’alinéa 61b) du Règlement pour entendre et trancher toute question liée aux prorogations de délai.

3 L’article 61 du Règlement de la Commission autorise la Commission à proroger le délai avant ou après son expiration par souci d’équité, malgré les dispositions d’une convention collective.

4 La Commission a élaboré des critères dont elle tient compte au moment de proroger des délais. Ces critères sont : le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du délai; la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé; l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur; les chances de succès du grief.

A. Faits stipulés

5 Le 10 juin 2010, Mme Prior a déposé un grief selon lequel l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur » ou la « défenderesse ») a contrevenu à l’article 19 de sa convention collective en raison du fait qu’elle avait présenté un plan de retour au travail et de mesures d’adaptation dûment rempli que l’employeur a refusé d’accepter. Elle prétendait que l’employeur n’avait aucun motif valide pour justifier son refus.

6 Le 5 août 2010, Mme Prior a déposé un grief selon lequel l’employeur a contrevenu à l’article 54 de sa convention collective en raison du fait que sa demande de congé payé pour d’autres motifs avait été refusée.

7 On a donné suite aux griefs tout au long des différentes étapes de la procédure de règlement des griefs et ils ont été entendus au dernier palier.

8 On ne conteste pas le fait que, le 13 décembre 2012, Mme Prior a signé et a reçu une réponse au dernier palier rejetant ses griefs.

9 La date finale pour le renvoi des griefs à l’arbitrage établie dans le Règlement était le 22 janvier 2013, soit 40 jours après la réception de la réponse au dernier palier de l’employeur.

10 Les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage avant le 20 août 2013, quelque sept mois après la date finale pour le renvoi.

B. Témoins

11 Le syndicat a appelé deux témoins, Stephen Prior et Pierre Mulvihill. M. Prior est l’époux de la demanderesse. Au départ, il ne participait à aucun aspect des griefs de son épouse relatifs au lieu de travail; cependant, au fur et à mesure que sa condition médicale s’est détériorée et qu’elle était plus anxieuse à l’égard des questions concernant ses griefs, il est devenu plus engagé et, à la demande de son épouse, il a commencé à agir en son nom dans ses démarches auprès de M. Mulvihill, l’agent des relations de travail de l’agent négociateur.

12  Actuellement, M. Mulvihill est employé dans la région de la capitale nationale en tant que représentant régional de l’AFPC. Pendant toute la durée de la période pertinente à la présente demande, il était agent des relations de travail représentant les employés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et était affecté à un certain nombre de régions, dont le Nord et l’Est de l’Ontario, ainsi que Peterborough.

13 L’employeur a appelé deux témoins, Matt Yaworski et Charlene Hall.

14 M. Yaworski est actuellement employé en tant que conseiller principal des relations de travail à l’Agence des services frontaliers du Canada. Pendant toute la durée de la période pertinente à la présente demande, il était conseiller des relations de travail à l’Agence du revenu du Canada et était chargé des griefs de Mme Prior au dernier palier de la procédure de règlement des griefs au nom de l’employeur.

15 Mme Hall, pendant toute la durée de la période pertinente, était directrice d’une unité pour l’interprétation de la convention collective au centre de ressources pour l’Agence du revenu du Canada. Elle avait participé aux premières étapes de la procédure de règlement des griefs, de même qu’aux discussions concernant le règlement éventuel des griefs de Mme Prior. M. Yaworski lui rendait compte.

II. Résumé de la preuve

16 M. Mulvihill a été informé du cas de Mme Prior par le président de la section locale de Peterborough, David Quist, qui a déposé les griefs originaux. Sa participation officielle a commencé après le dépôt des griefs. Il était informé que des discussions avaient eu lieu concernant les mesures d’adaptation de la demanderesse dans le lieu de travail. Lorsque les griefs ont été transmis au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, M. Mulvihill en a pris la charge.

17 Sur une période de 10 mois, M. Mulvihill a tenté de parvenir à un règlement des griefs mutuellement satisfaisant avec M. Yaworski.

18 Lorsqu’il est devenu évident qu’on ne parviendrait pas à un règlement selon les modalités demandées par Mme Prior, M. Mulvihill a organisé une rencontre au dernier palier de la procédure de règlement des griefs afin de veiller à ce que les arguments de Mme Prior soient versés au dossier. Il ne s’attendait pas à ce que la réponse au grief soit favorable. Il a informé la fonctionnaire s’estimant lésée que, lorsqu’il allait recevoir une réponse aux griefs, il les renverrait à l’AFPC aux fins d’un renvoi à l’arbitrage.

19 Initialement, il traitait avec Mme Prior; cependant, au fil du temps, notamment après le défaut de parvenir à un règlement des griefs, la santé de Mme Prior s’est détériorée, moment où, à la demande de celle-ci, il a commencé à traiter avec l’époux de la demanderesse.

20 M. Prior a déclaré avoir eu de nombreuses conversations avec M. Mulvihill et a correspondu avec lui par courriel. En plus de représenter Mme Prior relativement à ses griefs, M. Mulvihill gérait également des demandes d’accès à l’information en son nom. M. Mulvihill était celui qui s’occupait de la paperasserie et qui l’acheminait tout au long du processus. M. Prior a indiqué qu’il avait dû effectuer un suivi auprès de M. Mulvihill à un certain nombre de reprises pour déterminer quelles étaient les étapes suivantes pour faire avancer le dossier.

21 L’employeur a tardé à envoyer les réponses au dernier palier de la procédure de règlement des griefs entre le printemps 2012 et la fin novembre 2012, car la question était difficile ainsi qu’en raison de la nature des discussions de règlement.

22 M. Mulvihill a été informé le 21 novembre 2012 par M. Yaworski que les réponses au dernier palier seraient probablement livrées d’ici la fin de ce mois ou au début de décembre 2012. M. Mulvihill a informé les Prior par courriel le 27 novembre 2012 que la prochaine étape serait d’envoyer les dossiers à l’AFPC aux fins d’examen et de renvoi à la commission aux fins d’arbitrage.

23 Il a indiqué à M. Prior qu’il s’occuperait de la situation, qu’il n’avait pas à s’en inquiéter et que les Prior n’avaient rien à faire.

24 Le 30 novembre 2012, M. Prior a écrit à M. Mulvihill pour lui demander s’il avait reçu les réponses aux griefs. À cette date, M. Mulvihill n’avait pas reçu de réponses aux griefs. Il avait communiqué à M. Prior qu’il recevrait des copies des réponses aux griefs.

25 M. Prior a témoigné qu’il croyait comprendre que, lorsque M. Mulvihill recevait les réponses aux griefs, il traiterait la question et donnerait suite à toute mesure requise.

26 M. Yaworski a déclaré que, le 29 novembre 2012, une note de service a été envoyée à Laura Palermo, la gestionnaire des relations de travail de la région de l’Ontario, ainsi que les réponses aux griefs au dernier palier, demandant qu’elle remette l’original à la demanderesse. La note de service indiquait qu’une copie de la réponse au grief devait également être envoyée à M. Mulvihill.

27 M. Yaworski a également indiqué que, le 29 novembre 2012, il a envoyé, par courrier ordinaire, une copie des réponses aux griefs au dernier palier à M. Mulvihill et il a produit une copie de la lettre.

28 Tel qu’il est indiqué ci-dessus, on ne conteste pas le fait que Mme Prior a signé et reçu les réponses aux griefs au dernier palier le 13 décembre 2012. Un registre d’entreprise de la Société canadienne des postes déposé en preuve confirme que Mme Prior a signé pour l’article à cette date. Au début de janvier 2013, M. et Mme Prior sont allés en vacances à Cuba. M. Prior a effectué un suivi auprès de M. Mulvihill après leur retour aux environs du 17 janvier. Il a reconnu qu’il s’agissait du premier suivi auprès de M. Mulvihill depuis la fin de novembre et quelque 35 jours après que M. Prior avait signé pour les réponses aux griefs. M. Mulvihill a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir reçu des copies des réponses aux griefs. Le 17 ou 18 janvier 2013, M. Prior lui a téléphoné pour lui poser des questions sur l’état d’avancement du dossier. Pendant cette discussion, il a été informé que les Prior avaient reçu les réponses de l’employeur aux griefs. Il a indiqué à M. Prior de le laisser s’occuper de cette question. M. Prior a envoyé des copies des réponses en les plaçant en pièces jointes à un courriel adressé à M. Mulvihill le 21 janvier. Le courriel de M. Prior indiquait que le document avait été ramassé le 7 ou le 8 décembre.

29 M. Mulvihill a téléphoné à l’employeur aux environs du 17 ou du 18 janvier 2013 pour vérifier pourquoi il n’avait pas reçu des copies des réponses aux griefs. La personne à qui il a parlé n’avait pas traité les dossiers et elle a pris un message pour M. Yaworski. Il a parlé avec M. Yaworski le jour suivant. Il l’a informé qu’il n’avait pas reçu les réponses et que les délais pour le renvoi à l’arbitrage étaient passés et il a demandé ce qu’ils pouvaient faire pour corriger la situation. Je dois souligner ici que M. Mulvihill croyait que la date limite était passée selon les renseignements erronés que les Prior lui avaient communiqués concernant la date à laquelle ils avaient reçu les réponses aux griefs. En fait, il restait encore quatre jours avant l’expiration de la date limite.

30 Il a déclaré qu’il reçoit habituellement des copies des décisions au dernier palier relativement aux griefs. Il a observé qu’il n’y avait aucun destinataire du Syndicat des employé-e-s de l’impôt indiqué dans la lettre de présentation des réponses aux griefs de l’ARC datée du 5 décembre 2012.

31 M. Mulvihill a déclaré que M. Yaworski avait indiqué qu’il examinerait la situation. Il l’a informé par la suite qu’une copie des réponses lui avait été envoyée. M. Mulvihill a soutenu qu’il n’avait reçu aucune copie.

32 M. Mulvihill savait que M. Yaworski n’avait pas le pouvoir de proroger les délais pour le renvoi des griefs à l’arbitrage et qu’il devrait s’adresser à son supérieur, Mme Hall. Il croyait que M. Yaworski s’assurerait que l’essentiel de leur discussion serait communiqué à Mme Hall.

33 M. Yaworski confirme que M. Mulvihill lui a téléphoné le 17 janvier 2013 et l’a informé que le syndicat avait dépassé le délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage ou s’en rapprochait. M. Yaworski a dit à M. Mulvihill qu’il n’était pas dans une situation lui permettant de traiter le problème et qu’il devrait communiquer avec sa gestionnaire, Mme Hall.

34 M. Yaworski a également déclaré qu’il était préoccupé par le fait que M. Mulvihill avait récemment fait deux demandes écrites concernant une prorogation du délai pour renvoyer les griefs non liés à cette affaire à l’arbitrage, indiquant qu’elles avaient été faites au nom d’Edith Bramwell, ce qui ne correspondait pas à la procédure normale. Il croyait comprendre que les demandes de prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage devaient être envoyées à partir de la Section de la représentation de l’AFPC et non pas de l’un de ses éléments.

35 Dès la réception d’une telle demande, celle-ci serait remise à l’agent des relations de travail chargé de la question, qui en discuterait ensuite avec la gestionnaire des relations de travail, Mme Hall. Il a déclaré que la pratique habituelle consistait à octroyer deux demandes de prorogation et, possiblement, une troisième pour chaque dossier.

36 M. Yaworski a déclaré qu’il croyait comprendre que Mme Hall avait discuté avec M. Mulvihill du fait qu’il n’avait pas recours à la bonne procédure. À la lumière de ces circonstances, il croyait qu’il était préférable de renvoyer la question à Mme Hall. Il a déclaré qu’il était préoccupé par le fait que M. Mulvihill essayait de tromper quelqu’un.

37 Mme Hall a témoigné qu’elle avait participé aux premières étapes de la procédure de règlement des griefs, de même qu’aux discussions concernant le règlement éventuel des griefs de Mme Prior.

38 Elle a expliqué qu’en mai 2012, M. Mulvihill avait envoyé par télécopieur une demande de prorogation du délai pour le renvoi à l’arbitrage d’un grief non lié avant l’expiration du délai, qu’il avait signé au nom d’Edith Bramwell. Mme Hall a eu une discussion avec M. Mulvihill le 15 mai 2012, au cours de laquelle elle a expliqué la position de l’employeur selon laquelle toutes les demandes futures concernant une prorogation du délai devraient être présentées par l’AFPC. Pour cette fois, elle a effectivement accepté exceptionnellement la demande de prorogation du délai. M. Mulvihill avait, à cette époque, reconnu par écrit la position de l’employeur.

39 Elle a déclaré que sa participation à l’octroi des prorogations du délai avait été d’autoriser son adjointe administrative, qui a reçu les demandes de prorogation, à octroyer deux prorogations; cependant, à la troisième demande, Mme Hall devait en être informée.

40 Elle a déclaré qu’en janvier 2013, elle ignorait si M. Mulvihill avait l’autorité de demander une prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage.

41 Le 22 janvier 2013, M. Yaworski a envoyé un courriel à Mme Hall concernant les griefs des Prior. Le courriel indique en partie que M. Mulvihill avait demandé des renseignements concernant la réponse au dernier palier relativement aux griefs et qu’il avait affirmé ne jamais avoir reçu la réponse. Il indique qu’il a communiqué avec Laura Palermo pour confirmer à quel moment les réponses au dernier palier avaient été envoyées par la poste et que, selon les renseignements qu’elle lui avait communiqués, les réponses avaient été envoyées et livrées le 13 décembre 2012.

42 Il confirme sa conversation téléphonique avec M. Mulvihill au cours de laquelle ce dernier l’a informé que les Prior lui avaient dit qu’ils avaient reçu les réponses le 7 ou le 8 décembre 2012, mais qu’ils ne lui avaient pas transmis une copie et que, selon M. Mulvihill, c’est uniquement le 21 janvier 2013 que les Prior lui ont envoyé une copie numérisée de la réponse au dernier palier par courriel.

43 M. Yaworski informe Mme Hall de ce qui suit :

[Traduction]

Le problème est que le syndicat a dépassé le délai de 40 jours pour renvoyer les griefs à la CRTFP ou s’en rapproche. Je lui ai répondu que je n’étais pas dans une situation me permettant de régler le problème. Pierre communiquera avec vous pour discuter de ses préoccupations. À mon avis, quelque chose entre les souvenirs de Pierre et les renseignements de la région ne correspond pas (p. ex. les dates). En outre, Pierre aurait également dû recevoir une copie des réponses au dernier palier. Je ne suis pas certain pourquoi il n’a pas effectué un suivi auprès des Prior?

44 Dans son témoignage, M. Yaworski a déclaré que la question des délais était l’une des questions qui préoccupaient M. Mulvihill pendant leur discussion. Il n’était pas d’accord avec le fait que M. Mulvihill demande une prorogation du délai et a indiqué que, si le syndicat avait dépassé le délai de 40 jours pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, ce n’était pas la même chose que de demander une prorogation du délai.

45 M. Yaworski a envoyé un courriel le 22 janvier 2013 à M. Mulvihill, l’informant qu’il avait envoyé un courriel à Mme Hall à propos de l’affaire des Prior. Il l’a également informé qu’il était possible qu’il souhaite tenter de l’appeler l’après-midi suivant pour s’assurer qu’elle avait eu l’occasion de lire son courriel.

46 En aucun temps M. Yaworski n’a informé M. Mulvihill que, dans les faits, Mme Prior avait ramassé les réponses aux griefs le 13 décembre 2012, et non pas le 7 ou le 8 décembre. Néanmoins, il a indiqué que la position de l’employeur était que le délai pour le renvoi à l’arbitrage avait expiré.

47 M. Mulvihill n’avait pas appelé Mme Hall immédiatement.

48 Mme Hall a expliqué qu’au moment où les arguments écrits de l’employeur avaient été préparés en octobre 2013 en réponse aux observations du syndicat concernant sa demande de prorogation du délai, les arguments indiquaient qu’il n’y avait aucune trace que M. Mulvihill avait tenté de communiquer avec elle le 22 janvier 2013.

49 Elle a déclaré qu’en avril 2014, pendant qu’elle se préparait à une nouvelle affectation dans la région du Pacifique, elle a passé en revue le dossier Prior, y compris tous les courriels de M. Yaworski qui avaient été versés au dossier lorsqu’il a quitté l’Agence du revenu du Canada. Dans son examen, elle a trouvé un courriel faisant partie d’une chaîne qui comprenait le courriel de M. Yaworski le 22 janvier l’informant de la discussion téléphonique de M. Mulvihill.

50 Le courriel est daté du 23 janvier et est adressé à Mme Hall en provenance de M. Yaworski. Le sujet est [traduction] « Re : Question du renvoi à l’arbitrage des Prior. » Le courriel indique : [traduction] « Il vient tout juste de m’appeler pour m’indiquer qu’il n’a jamais reçu les réponses, j’ai donc demandé à Kendra de vérifier. »

51 Mme Hall a déclaré que ce courriel avait rafraîchi sa mémoire et qu’elle se souvenait que M. Mulvihill l’avait appelée et que ce dernier lui avait indiqué qu’il n’avait pas reçu de copies de la réponse au grief. On lui a demandé si elle avait parlé d’autre chose avec M. Mulvihill et elle a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. On lui a demandé précisément si M. Mulvihill avait soulevé la question concernant le fait que le syndicat avait dépassé le délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage. Elle ne pouvait pas se souvenir et elle ne pouvait pas non plus se souvenir d’avoir eu une discussion avec M. Mulvihill concernant le règlement du dossier. Elle ne se souvenait pas d’avoir donné des directives à M. Yaworski à propos de la prorogation des délais dans le dossier Prior.

52 Elle a déclaré qu’elle n’avait pas calculé la date limite pour le renvoi des griefs à l’arbitrage. Elle se concentrait sur le fait de veiller à ce que son personnel administratif avait envoyé une copie des réponses aux griefs à M. Mulvihill conformément à leur procédure.

53 Selon cette conversation, elle a communiqué avec son adjointe administrative et elle lui a demandé de mener une recherche du dossier physique ainsi que du registre électronique pour vérifier si elle avait envoyé une copie de la réponse à M. Mulvihill. Elle a répondu que le dossier physique et le registre électronique avaient révélé qu’une copie avait été envoyée par la poste à M. Mulvihill le 29 novembre 2012.

54 Mme Hall a déclaré qu’elle avait rappelé M. Mulvihill et qu’elle lui avait laissé un message indiquant que la recherche avait indiqué qu’on lui avait envoyé une copie de la réponse.

55 M. Mulvihill se rappelle avoir reçu un message téléphonique de Mme Hall pour l’informer que la situation était ce qu’elle était et que l’employeur maintenait le cap et se tenait sur sa position.

56 M. Mulvihill, à la lumière de la réponse de l’employeur, croyait que le syndicat n’avait pas respecté le délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage. Il ne s’était jamais trouvé dans une situation où un délai pour le renvoi à l’arbitrage n’avait pas été respecté. L’employeur a accordé des prorogations du délai à la onzième heure. Il existait une pratique administrative selon laquelle une demande de prorogation doit être présentée par écrit, mais, à son avis, cette pratique ne s’appliquait pas lorsqu’on avait omis de respecter un délai. Il a témoigné qu’aucune solution ne lui venait à l’esprit.

57 Il ignorait que la Commission des relations de travail dans la fonction publique pouvait octroyer une prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage après l’expiration des délais pour le renvoi.

58 Il a discuté de la situation avec un agent principal des relations de travail du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, M. O’Brien, qui était généralement informé des griefs de Mme Prior et du fait que M. Mulvihill avait tenté de les régler. Le conseil de M. O’Brien avait été d’effectuer de nouveau un suivi auprès de l’employeur. M. Mulvihill a expliqué que, en ce qui a trait au conseil de M. O’Brien, son accès aux questions liées aux relations de travail de l’employeur n’était pas d’un niveau supérieur à celui de Mme Hall, et il avait déjà obtenu sa réponse.

59 M. Prior lui a envoyé un courriel le 24 janvier, voulant s’assurer qu’il avait reçu les réponses aux griefs au dernier palier. M. Mulvihill lui a répondu le 7 février, indiquant qu’il avait reçu les courriels. M. Mulvihill a indiqué qu’il n’avait pas informé M. Prior que le délai du renvoi des griefs à l’arbitrage n’avait pas été respecté.

60 M. Prior a confirmé que M. Mulvihill ne lui avait rien dit à propos des délais ou que ceux-ci n’avaient pas été respectés. M. Mulvihill l’a informé qu’il n’avait pas reçu de copie conforme de la lettre comprenant les réponses au dernier palier dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et que, dès qu’il les recevrait, il répondrait en conséquence.

61 M. Mulvihill a tenté de joindre M. Yaworski en mars 2013 à propos du dossier Prior; cependant, il ne croyait pas avoir réussi à le joindre. M. Yaworski a inscrit dans son dossier que M. Mulvihill l’avait appelé le 6 mars 2013. Cet appel n’a reçu aucune réponse et M. Mulvihill n’a pas laissé de message.

62 M. Yaworski n’a pas eu d’autres interactions avec M. Mulvihill à propos du dossier Prior.

63 Pendant cette période de temps, M. Mulvihill était responsable d’un certain nombre de griefs en suspens. M. Yaworski éprouvait certaines difficultés à communiquer avec M. Mulvihill. Néanmoins, M. Mulvihill gérait certains de ses dossiers au cours du mois de mai 2013.

64 M. Mulvihill a témoigné avoir travaillé par intermittence entre mars et juin 2013. Il a déclaré qu’il était inquiet et déprimé, et qu’il avait commencé des traitements à la mi-avril pour traiter un certain nombre de problèmes médicaux.

65 Selon lui, pendant cette période, le dossier Prior était en suspens, et non pas fermé; cependant, il ne savait pas quoi en faire.

66 M. Prior a déclaré qu’il avait entrepris une discussion avec M. Mulvihill au début de mai 2013 et qu’il avait de nouveau effectué un suivi le 14 juin 2013 par courriel concernant les mises à jour dans les deux dossiers : les griefs et la demande d’accès à l’information.

67 À l’époque, M. Prior croyait comprendre que tout suivait son cours et que M. Mulvihill s’occupait de tout. On ne l’avait pas informé que les délais n’avaient pas été respectés. M. Prior lui-même avait des inquiétudes à l’époque et ne se concentrait pas sur le grief, car l’état de santé de son épouse n’était pas bon et elle avait dû être hospitalisée.

68 M. Mulvihill a déclaré qu’il était en congé de maladie de la mi-juin jusqu’au 8 ou 9 septembre 2013. Il est possible qu’il ait vu le courriel de M. Prior à son retour au travail, mais il ne le croyait pas.

69 Le 26 juin, M. Prior a renvoyé le courriel qu’il avait envoyé le 14 juin, car il n’avait pas eu de nouvelles de M. Mulvihill. Il a également tenté de joindre M. Mulvihill au téléphone, mais n’a pas réussi.

70 M. Yaworski a déclaré dans son témoignage que, le 10 juillet 2013, il avait reçu une demande de Nicole Saint Ubain, l’adjointe administrative de M. Mulvihill, demandant une copie de la réponse au dernier palier aux griefs de Mme Prior. Elle a déclaré qu’il n’avait pas de copie de la réponse au dernier palier.

71 M. Yaworski a envoyé un courriel à Mme Hall la même date dont le sujet était [traduction] « Question du renvoi à l’arbitrage de Prior » et dont l’importance était « Élevée ». Il l’a informée de la demande et a également indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…] Pierre a également communiqué avec nous en janvier 2013 en prétendant qu’il n’avait pas reçu la réponse au dernier palier. Voir mon courriel ci-dessous. À l’époque, il y avait un problème concernant les délais pour renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Notre position était que les délais avaient expiré. L’AFPC n’a pas tenté de renvoyer les griefs de Mme Prior à l’arbitrage.

72 M. Yaworski a déclaré qu’il était surpris qu’on communique avec lui à propos du dossier Prior, car il avait supposé que le syndicat avait décidé de ne pas y donner suite.

73 À la fin juillet, M. Prior a reçu un avis du syndicat selon lequel le dossier de grief serait fermé. Il a déclaré que cela avait causé beaucoup de frustration, car il croyait que M. Mulvihill s’occupait des griefs et qu’il les acheminait dans les bonnes voies.

74 Un courriel de Lyson Paquette à Mme Prior daté du 31 juillet fait référence à un message téléphonique laissé le 30 juillet pour informer les Prior de l’absence temporaire de Pierre Mulvihill et que l’auteur du courriel examinait le dossier. La lettre raconte l’histoire des griefs et demande aux Prior s’ils souhaitent fermer le dossier ou, dans la négative, de fournir des renseignements quant au moment où ils ont reçu la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le courriel indique que, lorsque les réponses auront été répondues, le syndicat prendra les mesures appropriées.

75 M. Prior a répondu au courriel la même date, en indiquant en partie ce qui suit :

[Traduction]

Je suis très inquiet par le fait que Pierre n’a pas été à la hauteur dans cette affaire et qu’il s’est montré trompeur par rapport à ses actions tout au long de 2012 quant à la façon dont il gérait les griefs […] Veuillez m’indiquer de quelle façon le Syndicat des employé(e)s de l’impôt a l’intention d’y donner suite et de corriger cette situation que Pierre a laissée se développer. Si le délai pour le renvoi à l’arbitrage n’a pas été respecté en raison d’une négligence du syndicat, nous continuerons d’assurer le suivi de cette affaire par l’entremise de notre avocat. Je sais que le ton du présent courriel est dur, mais je vous prie de comprendre notre niveau de frustration dans cette situation.

76 Plus tard le même jour, Lyson Paquette a écrit à la Section de la représentation de la Division de la négociation collective de l’AFPC pour demander que l’AFPC renvoie les griefs de Mme Prior à l’arbitrage.

77 M. Prior croyait comprendre que le syndicat allait maintenant donner suite aux griefs et communiquer avec lui. Il a confirmé que ni Mme Prior ni lui-même n’avaient indiqué à un moment quelconque à M. Mulvihill ou à quiconque au syndicat qu’ils souhaitaient retirer les griefs ou ne pas y donner suite.

78 Le 20 août 2013, les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la LRTFP par l’AFPC.

79 Le 3 septembre 2013, l’Agence du revenu du Canada a informé la Commission que l’Agence s’opposait à ce que ces questions soient entendues en arbitrage, car elles avaient été renvoyées des mois après l’expiration du délai prescrit dans le Règlement.

80 Le 26 septembre 2013, le syndicat a présenté sa réponse à l’objection, qui comprenait une demande de prorogation des délais.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

81 L’article 61 du Règlement donne à la Commission le pouvoir de proroger les délais par souci d’équité. Le cas souvent cité Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2004 CRTFP 1) a décrit cinq facteurs dont tient compte la Commission pour proroger les délais, c’est-à-dire, le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, la durée du retard, la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé, l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur et les chances de réussite du grief.

82 La décision de la Commission dans FIOE, section locale 2228 c. Conseil du Trésor et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 144, porte sur une situation de fait semblable à celle du présent cas. Dans ce cas, la Commission a eu affaire à une situation concernant une erreur de l’agent négociateur dans laquelle les fonctionnaires s’estimant lésés dans le cadre d’un grief collectif se sont fiés à l’agent négociateur pour veiller au respect des exigences de la procédure de règlement des griefs. L’agent négociateur était entièrement responsable de la question. La Commission a reconnu qu’un employé demeure responsable même lorsqu’il est représenté; cependant, selon les faits du cas, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient pris toutes les mesures possibles et avaient toutes les raisons de faire confiance à l’agent négociateur sur le fait que le grief collectif serait renvoyé à l’arbitrage et qu’il avait effectivement été renvoyé. La Commission est arrivée à la conclusion qu’on ne pouvait reprocher aux fonctionnaires s’estimant lésés de ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable. Le retard dans ce cas n’était pas négligeable, une période de quelque 19 mois; néanmoins, en l’absence de preuve d’un préjudice réel subi par l’employeur, la Commission a prorogé les délais.

83 De manière semblable, dans Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, la Commission a prorogé les délais dans des circonstances où un grief n’a pas été adéquatement transmis aux deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs. Les raisons du retard pouvaient être attribuées à la supervision de l’agent négociateur en tant que grief générique concernant plus de 1 000 griefs qui étaient similaires au grief en cause et auxquels on a donné suite activement; toutefois, le grief de M. Savard est passé à travers les mailles. La Commission est arrivée à la conclusion que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve de diligence dans le suivi de son grief en demandant régulièrement des renseignements et des mises à jour et, dans les circonstances, le retard d’environ cinq mois n’était pas excessif.

84 Dans Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, la demanderesse a déposé un grief contestant son licenciement; cependant, son agent négociateur a présenté son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs quelque cinq mois plus tard. La preuve établissait que la fonctionnaire s’estimant lésée croyait sincèrement que l’agent négociateur avait présenté son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs à l’intérieur des délais applicables. La Commission, même si elle souscrit au principe selon lequel le mandat est lié par les actes de son mandataire, est tout de même arrivée à la conclusion qu’il y a une latitude pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas de négligence manifeste ou apparente de la part du mandataire et, en conclusion, selon le critère de l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice subi par le défendeur, a prorogé les délais.

85 Ce que la Commission devrait tirer de tous ces cas, c’est que l’équité devrait motiver une demande de prorogation du délai.

86 M. Prior a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite aux griefs au nom de son épouse pendant toute la période. M. Mulvihill l’avait informé qu’il ne devrait pas s’inquiéter de l’avancement des griefs, car le syndicat était chargé de l’affaire. Il a effectué un suivi régulier auprès de M. Mulvihill et n’avait aucune raison de croire que les griefs n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage avant l’été 2013, lorsqu’il a reçu un avis du syndicat selon lequel le dossier de grief serait fermé. Il est évident que les Prior n’avaient aucune intention d’abandonner les griefs.

87 C’était la confusion entourant la date à laquelle Mme Prior avait reçu les réponses aux griefs qui a fait en sorte que M. Mulvihill n’a pas respecté les délais.

88 Selon les renseignements reçus de M. Prior selon lesquels les réponses aux griefs avaient été ramassées le 7 ou le 8 décembre, M. Mulvihill croyait que le syndicat n’avait plus le temps de renvoyer les griefs à l’arbitrage. D’après la réponse de l’employeur selon laquelle rien ne pouvait être fait pour régler la situation, il ignorait ce qu’il devait faire, car son expérience antérieure liée à l’obtention de prorogations se rapportait à des situations où les délais n’avaient toujours pas expiré. Il ignorait que la CRTFP pouvait octroyer des prorogations du délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage. Il s’est adressé à son supérieur pour obtenir de l’aide pour essayer de déterminer le plan d’action à suivre. Il était coincé, car il ne s’était jamais trouvé dans cette situation auparavant. Il n’avait pas abandonné, retiré ou fermé les dossiers de grief. Pendant toute la durée de cette période, il est possible que sa santé ait eu une incidence sur son travail. Il était en congé de maladie de juin à septembre 2013 et était aux prises avec ses propres problèmes à son lieu de travail.

89 M. Yaworski comprenait que la préoccupation de M. Mulvihill dans leur discussion du 17 janvier 2013 concernait la rapidité d’exécution du renvoi à l’arbitrage en raison du fait qu’il n’avait pas reçu une copie des réponses au dernier palier. M. Mulvihill cherchait un certain type de règlement, même s’il n’a pas officiellement demandé une prorogation. Selon les renseignements qu’il avait reçus des Prior selon lesquels la réponse au dernier palier avait été ramassée le 7 ou le 8 décembre 2012, M. Mulvihill croyait que les délais pour le renvoi à l’arbitrage avaient expiré.

90 Il est également évident que M. Yaworski comprenait qu’une demande de prorogation était en jeu; cependant, il n’était pas dans une situation lui permettant de la traiter. Lorsqu’on examine les échéanciers, le délai pour le renvoi des griefs à l’arbitrage n’était peut-être pas expiré lorsque M. Mulvihill a soulevé la question pour la première fois auprès de M. Yaworski. M. Yaworski a confirmé auprès de la région que, dans les faits, Mme Prior avait ramassé les réponses le 13 décembre 2012. M. Yaworski et Mme Hall ont tous deux confirmé qu’il existe une pratique à l’Agence du revenu du Canada qui consiste à accorder deux, voire trois, prorogations du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage lorsqu’une demande de prorogation est présentée avant l’expiration des délais. M. Yaworski n’a pas informé M. Mulvihill que les réponses aux griefs avaient été ramassées par Mme Prior le 13 décembre par opposition au 7 ou au 8 décembre. M. Yaworski a confirmé dans son courriel du 10 juillet 2013 à Mme Hall que la position de l’employeur était que les délais avaient expiré lorsque M. Mulvihill avait soulevé la question en janvier 2013. M. Mulvihill, même s’il ne pouvait pas se souvenir de la formulation exacte du message téléphonique de Mme Hall en janvier, a indiqué qu’il concernait le fait que rien ne pouvait être fait pour régler la situation. Il est évident que, lorsque Mme Hall a laissé un message vocal le 22 janvier, les délais pour le renvoi à l’arbitrage avaient expiré. Cela explique les circonstances atténuantes entourant le cas.

91 Il n’y a aucune preuve de préjudice subi par l’employeur. Selon ce qu’a entendu la Commission, il existe une pratique générale d’accorder deux prorogations et, dans certaines situations, trois. Il aurait s’agit de la première prorogation seulement. Il n’y a aucun élément de preuve qui laisse supposer que le grief est frivole ou vexatoire.

B. Pour l’employeur

92 Le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage en temps opportun. La demanderesse a signé pour la réception de la réponse au dernier palier le 13 décembre 2012. Le délai pour le renvoi à l’arbitrage a expiré le 23 janvier 2013. La demanderesse a informé le syndicat qu’elle avait reçu la réponse au dernier palier au cours d’un appel téléphonique le 17 janvier 2013. L’employeur ne conteste pas le fait que la demanderesse a informé le syndicat qu’elle avait reçu la réponse le 7 ou le 8 décembre 2012. Elle a fourni une copie de la réponse au dernier palier au syndicat le 21 janvier 2013. L’employeur accepte le fait que le syndicat, en la personne de M. Mulvihill, soutient la position uniforme selon laquelle il n’a pas reçu une réponse au dernier palier de l’employeur pendant cette période.

93 Cependant, selon le Règlement, il est évident que le calcul des délais pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage commence à compter de la date à laquelle la réponse au grief a été reçue par le fonctionnaire s’estimant lésé. L’employeur ne comprend pas l’argument du syndicat voulant que la non-réception de la réponse aux griefs par M. Mulvihill ait une importance quelconque, hormis le fait que cela a entraîné une confusion. On ne conteste pas le fait que le renvoi à l’arbitrage n’a pas été effectué avant le 20 août 2013, sept mois après l’expiration du délai.

94 La Commission a soutenu à plusieurs reprises que la prorogation des délais devrait constituer l’exception et non pas la règle. Voir Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92. La décision faisant autorité dans Schenkman est un regroupement des facteurs dont doit tenir compte la Commission au moment de proroger les délais. L’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. La valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits en l’espèce.

95 Cela ne veut pas dire que la jurisprudence ne tient pas compte d’une prépondérance de la valeur probante. Le retard doit être justifié par des raisons claires et convaincantes et le demandeur doit faire preuve de diligence raisonnable. Ces deux facteurs sont liés entre eux. Si le retard n’est pas justifié par des raisons convaincantes, les autres facteurs n’ont alors pas beaucoup d’importance dans la plupart des cas. Voir Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102, au paragraphe 26; Copp c. Conseil du Trésor (ministères des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, au paragraphe 22; St-Laurent et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4, au paragraphe 19; Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada, 2012 CRTFP 110, au paragraphe 20.

96 Quant au traitement des délais, la Cour d’appel fédérale, dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (CAF), a élaboré un critère approprié pour proroger les délais. Le critère est le suivant : 1) Il y a une intention constante de poursuivre sa demande. 2) La demande est bien fondée. 3) Le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai. 4) Il existe une explication raisonnable justifiant le délai. La justification de la prorogation du délai repose sur les faits de chaque cas particulier.

97 Dans Canada c. Tran, 2008 CF 297, la Cour fédérale, en appliquant la décision Hennelly, a déterminé que le critère pour la prorogation du délai n’avait pas été respecté, car il n’y avait aucune explication raisonnable justifiant le retard, même si les autres critères avaient été respectés. Dans ce cas, l’avocat, lorsqu’il s’est aperçu qu’aucune demande opportune n’avait été déposée, a attendu plus d’un mois pour déposer la demande de prorogation du délai. La Cour est arrivée à la conclusion que le retard était déraisonnable. Dans Doray c. Canada, 2014 CAF 87, concernant une requête en vue d’obtenir une ordonnance de prorogation du délai pour interjeter appel du jugement de la Cour de l’impôt, la Cour d’appel fédérale a statué que le demandeur doit démontrer une intention constante de poursuivre l’appel, une cause défendable en appel et une explication raisonnable justifiant toute la période en cause. Il est également pertinent de savoir si la défenderesse subira un préjudice en raison du retard.

98 Dans le présent cas, la demande a été déposée sept mois après l’expiration du délai pour le renvoi à l’arbitrage. Le fait que M. Mulvihill, le 17 janvier 2013, a reçu un avis tardif selon lequel la réponse de l’employeur avait été livrée à Mme Prior, et que ses efforts pour communiquer avec l’employeur à de nombreux égards n’ont pas été efficaces ou n’aient pas porté des fruits sont les raisons qui expliquent pourquoi les délais n’ont pas été respectés. Cette confusion a duré au plus tard jusqu’au 23 ou 24 janvier, lorsqu’il est devenu évident que les délais n’avaient pas été respectés. Le syndicat était saisi de tous les faits à la fin janvier pour effectuer un renvoi à l’arbitrage, cependant, le renvoi n’a été effectué que le 20 août. Il n’existe aucune raison convaincante ou logique pour expliquer ce retard, hormis des excuses sans fondement. Tout ce que M. Mulvihill avait à faire était de se rendre aux bureaux du groupe de représentation de l’AFPC à l’intérieur du même immeuble et de demander le dépôt d’une demande de prorogation.

99 La charge de travail ne constitue pas une excuse pour proroger les délais. Voir Chin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1033 (T.D.) (QL), dans laquelle la Cour a refusé d’examiner de nouveau une ordonnance rejetant une demande de prorogation du délai au cours duquel on peut déposer une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision en matière d’immigration. Le motif du retard était l’horaire du procureur. M. Mulvihill a déclaré que sa santé n’était pas bonne. Aucun détail et aucun rapport médical n’ont été déposés en preuve. Dans Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102, la Commission a reconnu qu’un état de santé peut être une raison logique et convaincante justifiant une prorogation du délai, mais cela dépend des détails de l’état de santé, et ce critère n’a pas été respecté dans ce cas. En résumé, le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes.

100 Il est juste de dire que le syndicat n’est pas une entité distincte et séparée de la demanderesse. Il ne s’agit pas d’un tiers véritable. Les griefs sont contrôlés par le syndicat. La demanderesse est liée par les actions de son mandataire.

101 Qu’a fait la demanderesse? Elle n’a pas témoigné. Elle n’a pas fait l’objet d’un interrogatoire ou d’un contre-interrogatoire. La Commission devrait tirer une conclusion défavorable et conclure qu’elle était pleinement informée des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage.

102 Mme Prior a ramassé la réponse aux griefs le 13 décembre 2012. Ni M. Prior ni Mme Prior n’ont pris de mesure avant le 17 janvier 2013, lorsque M. Prior a communiqué avec M. Mulvihill, une période de 33 jours – la presque totalité du délai de prescription. Malgré le fait que M. Mulvihill a indiqué qu’il n’avait aucune copie de la réponse aux griefs, ils ne lui ont transmis la réponse aux griefs que 38 jours après l’avoir reçu, deux jours avant l’expiration du délai. Leur explication était que c’était Noël et qu’ils étaient en vacances, et que Mme Prior éprouvait de l’anxiété à l’idée de discuter des griefs. Ils n’ont été en vacances que pendant sept jours, ce qui laissait trois semaines et demie. Puisque Mme Prior n’a pas témoigné, nous ne disposons d’aucune preuve quant à son anxiété. Il n’y a aucun élément de preuve d’ordre médical permettant d’établir qu’elle souffrait d’anxiété.

103 M. Prior ne souffrait pas de stress. Il a déclaré qu’il ne souhaitait pas s’en occuper pendant le temps des fêtes, car il ne souhaitait pas bouleverser son épouse. Il a gaspillé 38 jours du délai de 40 jours. Ils ont également contribué à la confusion éprouvée par M. Mulvihill, car ils ne lui ont pas indiqué la bonne date à laquelle les réponses aux griefs au dernier palier ont été ramassées.

104 La conduite de M. Mulvihill a donné aux Prior de nombreuses raisons d’être préoccupés. M. Mulvihill n’a pas appelé; il n’a pas répondu aux courriels. Les Prior doivent assumer la responsabilité de ne pas avoir exercé une diligence raisonnable suffisante.

105 L’employeur a subi un préjudice, car il a le droit de savoir qu’une affaire a été mise de côté. L’article 90 du Règlement a été mis en place pour une raison, c’est-à-dire la stabilité du régime des relations de travail. De toute façon, si le retard n’est pas justifié par des raisons claires et convaincantes, il n’est pas nécessaire d’examiner le préjudice réel.

C. Réfutation

106 Il n’y a aucun motif de tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Prior n’a pas témoigné. Les faits montrent clairement que Mme Prior ne se trouvait pas dans une situation lui permettant d’assumer la responsabilité de son dossier depuis 2010, lorsque son époux est devenu la personne-ressource.

107 Même si l’erreur commise par le représentant du syndicat peut ne pas être une explication convaincante pour justifier le retard, il est évident que la demanderesse a respecté le facteur lié à la diligence raisonnable. M. Mulvihill a informé les Prior aux environs du 30 novembre 2012 qu’il recevrait les réponses au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, qu’il gérerait la situation et qu’ils n’avaient rien à faire. Il n’était pas nécessaire que les Prior effectuent un suivi; néanmoins, les Prior l’ont fait constamment, après leurs vacances en janvier et par la suite.

108 Il n’existe aucun élément de preuve réel que l’employeur subirait un préjudice si la prorogation du délai était accordée.

IV. Motifs

109 On ne conteste pas que les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage quelque sept mois après l’expiration des délais. Le délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage est prescrit à l’article 90 du Règlement de la Commission et est d’au plus 40 jours à compter de la date à laquelle la personne qui a présenté le grief a reçu une décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

110 Les délais en vertu de la Loi sont prescriptifs et, comme le fait valoir la défenderesse, ils ne devraient être prorogés qu’en cas d’exception.

111 En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, le président ou un délégué peut proroger les délais avant ou après leur expiration, par souci d’équité. La Commission a élaboré des critères dont elle tient compte au moment de proroger des délais, tel qu’il est décrit dans Schenkman, au paragraphe 75, c’est-à-dire que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé; l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur; les chances de réussite du grief. L’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même, la valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits en l’espèce.

112 L’employeur fait valoir vigoureusement que la jurisprudence montre une prépondérance de la valeur probante d’un facteur : le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Le retard doit être justifié par des raisons claires et convaincantes et le demandeur doit faire preuve de diligence raisonnable. Ces deux facteurs sont liés entre eux et, si le retard n’est pas justifié par des raisons convaincantes, les autres facteurs n’auront donc pas d’importance dans la plupart des cas. L’employeur se fie à un certain nombre de décisions de la Commission ainsi qu’à un certain nombre de décisions rendues par la Cour fédérale, tel qu’il est indiqué dans l’argument.

113 Quant aux faits du cas, l’employeur fait valoir que le retard n’est pas justifié par des raisons claires et convaincantes, étant donné que le syndicat avait été saisi de l’ensemble des faits à la fin janvier 2013 pour effectuer un renvoi à l’arbitrage, cependant, il aura fallu jusqu’au 20 août pour le faire. Le retard n’est justifié par aucune raison convaincante ou logique, hormis des excuses générales sans fondement. Le syndicat n’est pas une entité distincte et séparée de la demanderesse. Il ne s’agit pas d’un tiers véritable. Les griefs sont contrôlés par le syndicat. La demanderesse est liée par les actions de son mandataire. De toute façon, les Prior n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite aux griefs.

114 Dans Thompson, le président Bloom a dû traiter une demande de prorogation du délai concernant des faits semblables à ceux présentés dans ce cas, ainsi qu’un certain nombre des mêmes enjeux juridiques. Tel qu’il est indiqué dans l’affaire précitée, la demanderesse avait déposé un grief contestant son licenciement. L’agent négociateur a présenté son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs quelque cinq mois plus tard. La preuve a établi que la demanderesse croyait que son agent négociateur avait présenté son grief à l’intérieur du délai applicable. Elle s’était fiée à la capacité du représentant de l’agent négociateur de répondre à ses besoins et lui avait accordé toute sa confiance. La Commission a accordé peu de crédibilité au témoignage du représentant de l’agent négociateur, qui prétendait que le grief avait effectivement été présenté au premier palier de la procédure de règlement des griefs dans le délai prévu et que le défendeur avait refusé ou omis d’y donner suite. Le président a conclu que cette preuve était invraisemblable.

115 En ce qui concerne les critères élaborés par la Commission relativement à l’exercice du pouvoir de proroger les délais, le président Bloom a déclaré ce qui suit :

[7] Il va de soi que c’est l’ensemble des circonstances particulières de chaque cas qui doit déterminer la valeur probante à attribuer à chaque critère par rapport aux autres. Il serait visiblement inéquitable d’attribuer la même valeur probante à chacun des critères sans tenir compte du contexte factuel. Il appartient donc au président qui est saisi d’une demande visant la prorogation d’un délai d’appliquer ou, du moins, de tenter d’appliquer chaque critère aux faits particuliers du dossier. Il lui faut ensuite attribuer la valeur probante nécessaire à chacun des critères en tenant compte des circonstances de fait particulières, lesquelles justifient parfois d’accorder toute l’importance ou presque à un ou deux critères seulement.

116 L’employeur, dans Thompson, a fait valoir que le retard n’était pas justifié par des raisons claires, convaincantes et logiques, que les délais n’étaient pas déraisonnables et qu’ils avaient contribué à la stabilité des relations de travail. Le président était en accord avec ce principe; toutefois, il a déclaré que, puisque la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des prorogations, c’est dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que le rôle et le jugement du président revêtent une importance primordiale.

117 Le défendeur, dans Thompson, a également fait valoir que la négligence du syndicat ne doit pas causer un préjudice à l’employeur et que la demanderesse avait l’obligation d’assurer le suivi de son grief malgré l’inaction du représentant du syndicat. Le président Bloom a déclaré :

[13] Si je souscris entièrement au principe voulant que le mandant soit lié par les actes de son mandataire agissant dans le cadre du mandat légitime et valide qui lui a été confié, je crois tout de même que cela laisse de la latitude pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas de négligence manifeste ou apparente de la part du mandataire. […]

118 Le président Bloom s’est ensuite tourné sur l’examen de l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice subi par le défendeur. L’employeur n’a mentionné aucune difficulté particulière que pourrait subir le défendeur par suite de la présentation tardive du grief.

119 Il est arrivé à la conclusion qu’on ne saurait mettre en doute la diligence de la demanderesse et qu’elle n’avait aucune raison de poursuivre l’affaire personnellement, puisque le représentant du syndicat avait le dossier en main et que tout lui permettait de croire qu’il procédait avec diligence.

120 Il a constaté qu’ayant appliqué les cinq critères établis par la jurisprudence aux faits du cas, il n’y en avait qu’un qui avait une incidence prédominante sur sa décision. Le souci d’équité faisait que la demanderesse ne devait pas être pénalisée pour les actes ou l’inaction du représentant du syndicat en qui elle avait placé toute sa confiance. Il a indiqué : « J’ajouterai qu’elle avait aussi toutes les raisons de miser sur sa capacité de veiller à ses intérêts, puisque c’est le fondement même de la relation qui existe, de par la loi, entre l’agent négociateur et ses représentants, d’une part, et les employés de l’unité de négociation, d’autre part. »

121 Dans Copp, le vice-président était en désaccord avec la décision dans Thompson à l’égard de deux points importants. Le cas portait sur un grief pour licenciement. Il y avait eu un retard de 80 jours dans le renvoi des griefs à l’arbitrage. Au cours de ce processus, la demanderesse s’est assurée avec diligence que le syndicat disposait de tous les renseignements nécessaires pour le traitement de ses griefs. Le retard dans le renvoi des griefs à l’arbitrage était imputable à la négligence du syndicat. La demanderesse estimait qu’elle ne devrait pas être pénalisée pour une erreur administrative de la part du syndicat et que la prorogation, si elle était accordée, ne porterait pas préjudice au défendeur.

122 Après avoir examiné les critères établis dans Schenkman, le vice-président a déclaré ce qui suit au paragraphe 22 :

L’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. En l’absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard, dans la plupart des cas, il importerait peu que le retard soit de 40 jours ou de 80 jours, ou que le demandeur fasse preuve de diligence, ou que le rejet de la demande de la prorogation entraîne une injustice au demandeur plus importante que le préjudice subi par le défendeur si la prorogation est accordée. […]

Il a conclu que les erreurs administratives commises par un syndicat représentant un employé ne constituent pas un motif clair, logique et convaincant pour justifier le retard, même si une demanderesse peut avoir faire preuve de diligence raisonnable en donnant suite à ses griefs.

123 Le vice-président a également déclaré ce qui suit au paragraphe 29 :

Je ne suis pas d’accord avec la décision dans Thompson. Cette décision a été rédigée il y a plus de cinq ans dans un contexte jurisprudentiel qui n’était peut-être pas aussi clair qu’il ne l’est maintenant. Depuis, il a été souvent décidé que les omissions, la négligence ou les erreurs d’un syndicat ne constituent pas des motifs logiques et convaincants justifiant une prorogation du délai. À mon avis, comme je l’ai déclaré dans Callegaro, « […] la demanderesse et son syndicat ne peuvent être considérés comme étant deux entités distinctes […] ». Dans ce contexte, les erreurs du syndicat sont les erreurs de la demanderesse.

124 Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 228 c. Conseil du Trésor, au paragraphe 62, on a observé qu’il importe de souligner que les critères dans Schenkman servent uniquement à aider le décideur à déterminer s’il accorde ou non une prorogation :

[…] Avec le plus grand respect, j’ajouterais que ces critères ne doivent pas être considérés comme une supposée formule péremptoire qui empêcherait un décideur d’envisager d’accorder une prorogation par souci d’équité. Les critères qui orientent un tel examen reposent sur des faits et sont fondés sur le principe de ce qui est juste dans les circonstances. […]

125 La proposition selon laquelle une demanderesse et le syndicat ne peuvent pas être considérés comme deux entités distinctes et que, en conséquence, une demanderesse qui a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à ses griefs, dans des circonstances où le syndicat a été négligent, ne peut donc pas répondre au critère à remplir selon lequel une demande de prorogation est justifiée par une raison logique et convaincante, à mon avis, n’est pas conforme aux principes généralement reconnus du droit du travail.

126 La Cour suprême du Canada a déterminé qu’un syndicat a un devoir de représentation équitable des employés individuels qu’il représente, découlant du pouvoir exclusif accordé au syndicat d’agir comme porte-parole pour les employés dans l’unité de négociation. Voir Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autres, [1984] 1 R.C.S. 509.

127 La plupart des compétences au Canada, dont la présente compétence, ont expressément codifié leur obligation à l’égard des lois relatives aux négociations collectives. On a statué que la portée du devoir de représentation équitable inclut le devoir des syndicats d’éviter les cas de négligence grave au moment de représenter des employés dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs. Dans des situations où on est arrivé à la conclusion que des plaintes concernant le défaut du syndicat de donner suite à un grief à l’arbitrage contreviennent à ce devoir, les conseils du travail ont ordonné aux syndicats de renvoyer le grief à l’arbitrage et ont ordonné à l’employeur d’annuler les objections préliminaires à l’arbitrage, par exemple, un défaut de respecter les délais. Voir G.W. Adams, Canadian Labour Law (deuxième édition), chapitre 13.36.2.

128 Les lois relatives aux relations du travail en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Saskatchewan et dans le secteur privé fédéral en vertu du Code canadien du travail, ainsi que la LRTFP, donnent aux arbitres le pouvoir de remédier aux violations des délais liés au traitement d’un grief en arbitrage.

129 Habituellement, le pouvoir accordé par la loi de proroger un délai est exprimé en ceci qu’il a des circonstances où il existe des motifs raisonnables pour accorder la prorogation et que le fait d’octroyer une telle réparation ne cause pas un préjudice important. Voir Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, au paragr. 2:3142.

130 Par exemple, le paragraphe 60(1.1) du Code canadien du travail donne à un arbitre le pouvoir de proroger les délais applicables aux procédures de grief ou à l’arbitrage si la prorogation est justifiée et ne porte pas atteinte indûment aux droits de l’autre partie.

131 Le libellé du Code n’exige pas que la partie qui demande une prorogation présente une explication ou une excuse raisonnable pour justifier le retard. Pour l’arbitre, la question consiste à déterminer si, dans l’ensemble, il existe des motifs raisonnables d’octroyer la prorogation, jumelée à la question de savoir si une prorogation porte atteinte à l’autre partie. Par exemple, dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire Teamsters Canada, (20 juin 2011) (Can R.O.A.), l’arbitre Michel Picher est arrivé à la conclusion qu’il existait des motifs raisonnables pour accorder une prorogation des délais pour déposer un grief dans des circonstances où l’employé avait été congédié, le président local du syndicat, par négligence, avait omis de traiter le grief, il y avait une plainte en suspens concernant le devoir de représentation équitable devant le Conseil canadien des relations industrielles et la question du préjudice causé à l’employeur pourrait être atténuée.

132 Je trouve la justification du président Bloom dans Thompson convaincante lorsqu’il a déclaré que, puisque la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des prorogations, c’est dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que le rôle et le jugement du président revêtent une importance primordiale. Il a déterminé dans ce cas qu’il existe de la latitude relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas de négligence manifeste ou apparente de la part du syndicat.

133 La défenderesse a fait référence à un certain nombre de décisions rendues par la Cour fédérale du Canada à l’appui de la proposition selon laquelle une justification relative à une prorogation du délai exige que le retard soit justifié par une explication raisonnable et, dans certains cas, pour toute la période du retard.

134 J’ai attentivement passé en revue ces décisions. Dans Hennelly, la demande de prorogation du délai a été déposée en vertu de la règle actuelle visée au paragraphe 8(1) des Règles de la Cour fédérale. La règle prévoit ce qui suit : « La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance. »

135 Tel qu’il est indiqué dans leur texte, Federal Court Practice 2012, Saunders, Rennie et Garton indiquent, à la page 351, [traduction] « La règle huit ne stipule pas les facteurs en fonction desquels le pouvoir discrétionnaire de proroger ou d’abréger un délai devrait être exercé. Toutefois, les tribunaux ont établi des facteurs dont devrait tenir compte une partie qui demande une variation des délais établis par les Règles. »

136 Dans Tran, la disposition législative en cause qui a autorisé la Cour à proroger les délais était le paragraphe 225.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e Suppl.), avec ses modifications successives. L’article contenait un délai de prescription concernant l’examen des ordonnances de la cour autorisant le ministre du Revenu national à prendre des mesures de recouvrement en application de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’article prévoyait en partie :

225.2(9) La requête visée au paragraphe (8) doit être présentée :

a) dans les 30 jours suivant la date où l’autorisation a été signifiée au contribuable en application du présent article;

b) dans le délai supplémentaire que le juge peut accorder s’il est convaincu que le contribuable a présenté la demande dès que matériellement possible.

[Je souligne]

137 Dans ce cas, la Cour a déterminé que la demande n’a pas été présentée dès que matériellement possible, tel qu’il est exigé par la Loi. La Cour a ensuite examiné si elle pouvait utiliser son pouvoir discrétionnaire inhérent pour proroger le délai de prescription de 30 jours selon les critères élaborés par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Hennelly et est arrivée à la conclusion qu’elle ne le pouvait pas.

138 Dans Doray, une décision de la Cour d’appel fédérale, le demandeur a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai pour interjeter appel du jugement de la Cour de l’impôt. L’alinéa 27(2)b) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’un appel de la Cour canadienne de l’impôt doit être présenté par le dépôt d’un avis d’appel au greffe de la Cour d’appel fédérale.

[…]

b) trente jours, compte non tenu de juillet et août, dans le cas des autres jugements.

[…]

Dans ce cas, selon les facteurs décidés dans la jurisprudence, la Cour a décidé de ne pas accorder la prorogation demandée.

139 Il est évident que les Règles des Cours fédérales ne stipulent pas les facteurs sur lesquels le pouvoir discrétionnaire des cours de proroger les délais doit être fondé et, par conséquent, les tribunaux ont élaboré et établi des facteurs dans la jurisprudence à appliquer. La disposition dans la Loi de l’impôt sur le revenu exige expressément qu’un juge soit convaincu que la demande a été déposée dès que matériellement possible. Ces cas sont, à mon avis, très différents du présent cas, où les Règlements, en tant que législation subordonnée, stipulent que les prorogations doivent être accordées par souci d’équité.

140 Par conséquent, je souscris à la justification du président Bloom, dans Thompson, d’accorder une prorogation dans une situation où la négligence des représentants du syndicat est manifeste ou apparente et où un fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à ses griefs et où il n’y a aucune preuve convaincante que l’employeur subirait un préjudice. Je suis d’accord avec le fait que l’équité devrait motiver une demande de prorogation du délai.

141 Selon les faits du présent cas, la négligence du syndicat était responsable du renvoi tardif des griefs à l’arbitrage. Comme dans Thompson, à mon avis, la demanderesse, Mme Prior et son époux m’ont convaincu qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à ses griefs. Je ne suis pas prêt à tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Prior n’a pas témoigné. Pendant toute la durée de la période pertinente pour les faits entourant cette prorogation du délai, M. Prior agissait comme son représentant. Les Prior se sont fiés entièrement à M. Mulvihill pour donner suite aux griefs. Il les a informés le 30 novembre 2012 qu’il recevrait les réponses au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, qu’il gérerait la situation et qu’ils n’avaient rien à faire. Les Prior pouvaient uniquement supposer que M. Mulvihill aurait reçu les réponses au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en même temps qu’eux et qu’il prendrait les mesures nécessaires pour renvoyer les griefs à l’arbitrage. Ils ont néanmoins effectué un suivi auprès de M. Mulvihill après leur retour de vacances en janvier. M. et Mme Prior n’ont jamais été informés que les délais pour effectuer le renvoi des griefs à l’arbitrage avaient expirés.

142 Ils ont effectué un suivi régulier auprès de M. Mulvihill au cours de l’hiver et du printemps 2013 et n’avaient aucune raison de croire que les griefs n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage avant l’été 2013, lorsqu’ils ont reçu un avis du syndicat selon lequel le dossier de grief serait fermé. Ils ont répondu à cet avis le jour même, faisant part d’une préoccupation selon laquelle, si on n’avait pas été à la hauteur, on les a trompés, et que, si le délai pour le renvoi des griefs à l’arbitrage avait expiré, c’était en raison de la négligence du syndicat et qu’ils effectueraient un suivi par l’entremise de leur avocat. En me fondant sur ces faits, je conclus que les Prior n’avaient aucune intention d’abandonner les griefs et qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable.

143 L’employeur n’a présenté aucune preuve de préjudice réel ou d’une difficulté particulière qu’il subirait si les délais pour le renvoi des griefs à l’arbitrage étaient prorogés. D’autre part, la demanderesse ne fait plus partie des effectifs et il s’agit de son unique recours en vue d’obtenir réparation. Je suis d’avis que l’injustice causée à la demanderesse de lui refuser l’accès à l’arbitrage l’emporte clairement sur tout préjudice que pourrait subir la défenderesse accessoirement du fait de permettre que cette affaire soit entendue sur le fonds.

144 Comme dans Thompson, à mon avis, le souci d’équité fait que la demanderesse ne devrait pas être pénalisée pour les actes ou l’inaction de M. Mulvihill. Elle avait placé toute sa confiance en lui et s’était fiée à sa capacité de répondre à ses besoins. Comme l’a déclaré le président Bloom : « […] puisque c’est le fondement même de la relation qui existe, de par la loi, entre l’agent négociateur et ses représentants, d’une part, et les employés de l’unité de négociation, d’autre part ».

145 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

146 La demande de prorogation du délai est accordée.

Le 31 octobre 2014.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
vice-président

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