Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un processus de nomination interne annoncé a été lancé aux fins de la dotation d’un poste de superviseur de production. La plaignante a vu sa candidature retenue à l’étape de la présélection, a réussi l’examen écrit et l’entrevue, puis a été placée dans un bassin de candidats qualifiés avec quatre autres candidats. Pour déterminer quel candidat constituait la bonne personne pour le poste, l’intimé a consulté les pairs et les gestionnaires des candidats faisant partie du bassin. La plaignante n’a pas été sélectionnée. La plaignante a prétendu, notamment, que l’intimé avait abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité à son encontre dans le cadre du processus de nomination. Décision Selon le Tribunal, la preuve était suffisante pour conclure que l’intimé avait fait preuve de partialité à l’encontre de la plaignante dans le processus de nomination visé. Le Tribunal a fait remarquer qu’il est rare que la preuve fournie soit suffisante pour justifier une constatation de partialité de la part d’un membre du comité d’évaluation, mais que tel était bien le cas en l’espèce. L’un des membres du comité d’évaluation, M. H., avait tenu les propos suivants à la plaignante pendant le processus de nomination : [traduction] « Jamais je ne vous offrirai ce poste, sauf si on me l’ordonne. » Le Tribunal a jugé que les propos tenus par M. H. pendant le déroulement du processus de nomination témoignaient de mauvaises dispositions à l’égard de la plaignante. Il a également conclu que la preuve indiquait que, contrairement à d’autres candidats qualifiés faisant partie du bassin, la plaignante s’était vu refuser des possibilités d’intérim pendant plusieurs années, et elle avait seulement réussi à obtenir une nomination intérimaire lorsque les ressources humaines avaient expressément demandé à M. H. de la lui offrir. Après avoir appliqué le critère de la crainte raisonnable de partialité, le Tribunal a aussi établi qu’un observateur relativement bien renseigné percevrait de la partialité de la part de M. H. Il se peut fort bien que cette partialité, conjuguée au fait que M. H. a participé à l’évaluation, ait influé sur la note obtenue par la plaignante à l’entrevue, de même que sur ses faibles notes lors de la consultation des pairs et des gestionnaires. Compte tenu des circonstances, il est suffisant d’établir que la partialité affichée a pu influer sur l’issue du processus de nomination. La plainte est accueillie. Mesure corrective Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de révoquer la nomination de M. M. dans les 60 jours suivant la décision.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2013-0178
Rendue à :
Ottawa, le 22 mai 2014

COLLEEN RYAN
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre :
2014 TDFP 9

Motifs de décision


Introduction

1 La plaignante, Colleen Ryan, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation du poste de superviseur de production, des groupe et niveau SR-LGT-01, au sein du ministère de la Défense nationale (MDN), à Victoria (Colombie-Britannique). La plaignante soutient ne pas avoir été nommée parce que l’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite. Plus précisément, elle affirme que le comité d’évaluation n’a pas été créé de façon appropriée, que le candidat nommé ne possédait pas les qualifications nécessaires pour le poste, que l’un des membres du comité d’évaluation a fait preuve de partialité à son égard et que la consultation menée après des gestionnaires et des pairs afin de sélectionner la bonne personne pour le poste ne s’est pas déroulée comme il se doit. L’intimé nie toutes ces allégations.

2 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais elle a soumis des observations écrites dans lesquelles elle explique son interprétation de l’abus de pouvoir et décrit les lignes directrices et les guides applicables au processus de nomination susmentionné. La CFP n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

3 Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal conclut que la plaignante a établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le processus de nomination en cause. Les éléments de preuve sont suffisants pour que le Tribunal en arrive à une constatation de partialité à l’encontre de la plaignante dans le processus de nomination.

Contexte

4 Le 19 mars 2012, l’intimé a fait paraître une annonce de possibilité d’emploi sur le site Web Publiservice du gouvernement fédéral afin de doter le poste indiqué plus haut pour une période déterminée ou indéterminée ou à titre intérimaire. Outre le fait qu’il y avait un poste vacant à doter, le processus devait donner lieu à la création d’un bassin de candidats en vue de nominations intérimaires ou de la dotation de postes semblables pour une période déterminée ou indéterminée.

5 L’évaluation comprenait un examen des demandes d’emploi, un examen écrit et une entrevue. La plaignante a vu sa candidature retenue à l’étape de la présélection, a réussi l’examen écrit et l’entrevue, puis a été placée dans un bassin de candidats qualifiés avec quatre autres candidats. Plus tard, l’un des candidats jugés qualifiés a décidé de se retirer du bassin.

6 Afin de déterminer quelle était la bonne personne pour le poste, l’intimé a consulté les gestionnaires et les pairs des quatre candidats toujours dans le bassin. Les personnes consultées ont attribué des notes à chacun des candidats pour trois des qualifications essentielles (leadership, entregent et capacité de communiquer). Le leadership comptait pour 60 % de la note finale tandis que les deux autres qualifications comptaient chacune pour 20 %.

7 Le 1er mai 2013, l’intimé a fait paraître une Notification de nomination ou de proposition de nomination concernantla nomination de Glenn Maglio (le candidat nommé).

8 Le 6 mai 2013, la plaignante a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP).

Questions en litige

9 Le Tribunal doit déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite pour le processus de nomination en cause. Pour ce faire, il doit répondre aux questions suivantes :

  1. La façon dont le comité d’évaluation a été créé était-elle inappropriée?
  2. Le candidat nommé possédait-il les qualifications nécessaires pour le poste?
  3. Y a-t-il eu partialité à l’encontre de la plaignante dans le processus de nomination?
  4. Les moyens utilisés pour sélectionner la bonne personne pour le poste présentaient-ils des lacunes importantes?

Analyse

10 En vertu de l’article 77(1) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou elle n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la part de la CFP ou de l’administrateur général dans le processus de nomination. La LEFP ne définit pas l’abus de pouvoir. Toutefois, aux termes de l’article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par "abus de pouvoir" la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

11 Comme l’a établi la jurisprudence du Tribunal, le libellé de l’article 2(4) indique que l’abus de pouvoir doit être interprété de façon large et ne se limite pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Dans la décision Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, para. 64, la Cour d’appel fédérale a confirmé cette interprétation en statuant qu’une erreur peut également constituer un abus de pouvoir. (Cette décision de la Cour d’appel a été infirmée par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64, pour un autre motif.) C’est la nature et la gravité de l’erreur qui permettent de déterminer s’il s’agit d’un abus de pouvoir.

12 En outre, l’abus de pouvoir peut également comprendre la conduire irrégulière et les omissions. Encore une fois, le fait qu’il s’agisse ou non d’un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de la conduite irrégulière ou de l’omission. Voir la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008. 

13 La jurisprudence du Tribunal a également établi qu’il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir la décision Tibbs, para. 49).  

Question I:   La façon dont le comité d’évaluation a été créé était-elle inappropriée?

14 Selon la plaignante, la façon dont le comité d’évaluation a été créé était inappropriée, car ce n’est pas le gestionnaire délégataire qui en a choisi les membres.

15 Kevin Whitney est le gestionnaire responsable du groupe dans lequel se trouvait le poste à doter. M. Whitney a expliqué qu’il s’agissait d’un processus collectif de dotation qui devait permettre de créer un bassin de candidats afin de doter des postes dans différents groupes au sein de l’Installation de maintenance de la flotte de l’intimé. Le processus collectif de dotation comprenait sept gestionnaires. M. Whitney ne possédait pas les pouvoirs délégués pour choisir les membres des comités d’évaluation dans ce processus de dotation collective. Il possédait toutefois le pouvoir de nommer des personnes dans son groupe. À titre de gestionnaire délégataire, M. Whitney a exercé cette délégation en nommant M. Maglio au poste.

16 Selon le Tribunal, la plaignante n’a pas démontré que M. Whitney a enfreint le pouvoir de dotation qui lui avait été délégué en ne choisissant pas les membres du comité d’évaluation. Rien n’indique que le pouvoir qui lui a été délégué l’obligeait à choisir une partie ou l’ensemble des membres des comités d’évaluation pour le processus collectif de dotation  en cause; aucune information sur la nature des pouvoirs qui lui ont été délégués n’a d’ailleurs été versée en preuve.

Question II:   Le candidat nommé possédait-il les qualifications nécessaires pour le poste?

17 La plaignante affirme que le candidat nommé ne possédait pas les qualifications nécessaires pour le poste. Plus précisément, elle soutient que les réponses du candidat nommé aux questions d’entrevue n’ont pas été évaluées adéquatement.

18 Al Hall est le gestionnaire du centre de travail responsable du groupe dans lequel le poste à doter se trouvait. Il a expliqué avoir réalisé les entrevues avec l’un de ses collègues, M. Dave Lowdon. Ils ont tous les deux consigné les réponses des candidats, puis en ont discuté afin de s’entendre sur les notes à accorder. Ils ont évalué les réponses des candidats en fonction des critères figurant dans le guide de cotation.

19 Dans nombre de décisions, le Tribunal a indiqué que son rôle consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir, et non à réévaluer les candidats. Voir la décision Elazzouzi c. Sous-ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 0011, confirmé par Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601 para. 42-46.

20 Le Tribunal a examiné les notes accordées à toutes les réponses du candidat nommé que la plaignante a portées à son attention, mais estime qu’il n’y a aucun abus de pouvoir dans l’évaluation. Par exemple, la plaignante soutient que le candidat nommé aurait dû échouer la deuxième question de l’entrevue, qui se rapportait à l’entregent, parce qu’il n’y a pas réellement répondu. À cette question, les candidats devaient décrire une situation où ils avaient dû prendre une décision impopulaire. Dans leurs notes, les membres du comité n’ont pas consigné la situation aussi clairement qu’ils auraient dû le faire, mais ils ont indiqué que la décision impopulaire concernait le choix de la bonne personne pour effectuer un travail. Les deux membres du comité ont décrit comment le candidat nommé composerait avec une telle décision. Selon les notes prises par M. Hall, le candidat nommé a répondu qu’il expliquerait son choix aux autres membres de l’équipe, qu’il leur demanderait ce qu’ils en pensaient et qu’il leur expliquerait comment il voyait la situation. Une telle approche correspondait à certains critères du guide de cotation, comme le fait d’écouter les autres. D’après M. Hall, ce qui était important, c’était de déterminer si l’approche décrite dans la réponse du candidat fournissait au comité suffisamment d’information pour lui permettre de l’évaluer. Selon lui, le comité disposait de suffisamment d’information pour évaluer la réponse du candidat nommé.

21 Le Tribunal conclut que M. Hall a fourni une explication raisonnable en ce qui concerne la note accordée à la réponse du candidat nommé pour cette question ainsi que pour les autres questions d’entrevue que la plaignante a portées à son intention.

22 Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas établi que le candidat nommé n’était pas qualifié pour le poste.

Question III:   Y a-t-il eu partialité à l’encontre de la plaignante dans le processus de nomination?

23 D’après la plaignante, il existe une crainte raisonnable de partialité à son égard de la part de M. Hall. Ce dernier faisait partie du comité d’évaluation chargé de l’examen écrit et de l’entrevue et faisait également partie de l’équipe des gestionnaires et des pairs qui ont été consultés pour choisir la bonne personne. La plaignante a rapporté avoir déjà eu des conflits avec M. Hall.

24 Pour sa part, l’intimé soutient que rien n’indique que M. Hall a fait preuve de partialité à l’encontre de la plaignante. M. Hall a jugé la plaignante qualifiée à l’examen écrit et à l’entrevue, et les notes qu’il lui a accordées lors de sa participation à la consultation des gestionnaires et des pairs correspondaient à celles que lui ont données les autres personnes consultées.

25 Pour établir qu’il y a eu partialité, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il y a réellement eu partialité. Une crainte raisonnable de partialité peut mener à une constatation d’abus de pouvoir. Voir la décision Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, para. 125, qui renvoie à l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394.

26 Dans la décision Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, le Tribunal a établi que les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale ne donnant pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Au paragraphe 74 de cette décision, leTribunal a adapté le critère expliqué dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty au contexte de partialité dans un processus de nomination :

Lorsqu’il y allégation de partialité, le critère suivant pourra être appliqué à son analyse en tenant compte des circonstances l’entourant : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

Preuve relative à la partialité

27 La plaignante occupe un poste de technicienne en électricité, des groupe et niveau SR-EEW-11. Elle a commencé à travailler pour l’intimé en 1980 à titre d’apprentie en électricité. Il s’agissait alors de la première femme embauchée dans ce groupe professionnel. La plaignante est la seule femme à occuper un poste d’électricien à l’Installation de maintenance de la flotte de Victoria (Colombie-Britannique). C’était également la seule femme à faire partie des cinq candidats jugés qualifiés pour le poste.

28 Dans son témoignage, la plaignante a expliqué que les nominations intérimaires sont attribuées de façon inégale depuis longtemps. La plaignante était la seule femme parmi les cinq personnes faisant partie d’un bassin de candidats qualifiés établi en 2008 pour des postes de superviseur de production (SR-MGT-01). La plaignante n’a soumis aucune allégation de discrimination fondée sur le sexe, mais elle a fait remarquer que les quatre hommes avaient été nommés à des postes permanents ou à des postes intérimaires à long terme. L’un de ses collègues masculins qui avait posé sa candidature dans le cadre du processus visant à former le bassin, mais qui n’avait pas été jugé qualifié, a tout de même obtenu plus de nominations intérimaires qu’elle. La plaignante a dénoncé la situation à son gestionnaire, M. Hall, et celui-ci lui a répondu qu’il lui accorderait davantage de nominations intérimaires. Toutefois, selon la plaignante, il n’en a rien fait. À la fin de 2009, la plaignante a dénoncé une fois de plus la situation, et M. Hall a répliqué qu’il gérerait le bassin de candidats comme il l’entendait. La plaignante a ensuite communiqué avec les Ressources humaines (RH) et a obtenu une nomination intérimaire de six mois pour ce poste.

29 La plaignante a précisé que le bassin était arrivé à échéance après cette nomination intérimaire, en juillet 2010. À partir de ce moment-là, les nominations intérimaires à ce poste ont été offertes à tour de rôle aux personnes qui manifestaient leur intérêt. Même si elle faisait partie du bassin de candidats qualifiés qui était arrivé à échéance et qu’elle avait manifesté son intérêt à l’égard du poste, la plaignante ne s’est vu offrir aucune nomination intérimaire. Au contraire, toutes les autres personnes ayant manifesté leur intérêt ont été nommées au poste à titre intérimaire.

30 En avril 2011, la plaignante a fait part de ses préoccupations concernant les nominations intérimaires et la discrimination fondée sur le sexe à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Exerçant son pouvoir discrétionnaire, la CCDP a demandé à la plaignante de d’abord suivre le processus interne de traitement des griefs du MDN, ce qu’elle a fait. Son grief a été rejeté au troisième palier parce que le délai était expiré. Cependant, un gestionnaire a voulu examiner le dossier plus à fond et a ordonné la tenue d’une enquête externe.

31 Le rapport de l’enquête externe, qui portait sur les cinq années précédentes, a paru le 24 décembre 2012. Le rapport concernait principalement les allégations de discrimination fondée sur le sexe liées aux nominations intérimaires et aux possibilités de formation. La plainte visait l’intimé en tant qu’organisme, et non une personne en particulier, mais M. Hall était un témoin dans l’enquête. Le rapport faisait état des propos négatifs de M. Hall à l’endroit de la plaignante au sujet des nominations intérimaires, propos qui feront l’objet d’autres observations plus loin dans les présents motifs.

32 La plaignante a indiqué que lorsqu’elle avait appris que M. Hall ferait partie du comité d’évaluation pour l’entrevue, elle avait eu le pressentiment que sa candidature ne serait pas retenue en raison de leur conflit au sujet de son grief et de sa plainte auprès de la CCDP. Lors de l’entrevue, la plaignante n’a toutefois pas mentionné ses préoccupations concernant la participation de M. Hall.

33 La plaignante a expliqué que le bassin de candidats qualifiés créé pour ce poste-ci avait été créé en juillet 2012, tel qu’il est indiqué dans le rapport du comité signé par M. Hall le 19 juillet 2012. La plaignante avait été informée que les candidats qui seraient placés dans le bassin à l’issue de l’évaluation se verraient offrir des nominations intérimaires jusqu’à ce que le poste soit doté de façon permanente. M. Hall a confirmé cette information dans un courriel qu’il a envoyé le 25 octobre 2012 aux candidats faisant partie du bassin. À l’exception de la plaignante, tous les candidats qui faisaient partie du bassin se sont vu offrir des nominations intérimaires à court terme. L’intimé n’a pas contesté le témoignage de la plaignante à cet égard. À la fin de 2012, la plaignante a déposé une plainte auprès de son syndicat après avoir consulté les RH, et s’est finalement vu offrir une nomination intérimaire.

34 La plaignante a rapporté avoir discuté du processus de nomination avec M. Hall à la fin de 2012, et ce dernier a parlé « du » candidat retenu (au masculin). La plaignante a alors dit à M. Hall que, si elle comprenait bien, ce n’est pas elle qui avait été choisie. M. Hall a répondu : « Jamais je ne vous offrirai ce poste, sauf si on me l’ordonne » [traduction]. Ces affirmations n’ont pas été contestées en contre-interrogatoire, et M. Hall ne les a pas non plus réfutées lors de son témoignage.

35 M. Hall a expliqué au Tribunal son rôle dans le processus de nomination. C’est lui qui a évalué l’examen écrit de la plaignante, mais il ignorait qu’il s’agissait de l’examen de la plaignante parce que le nom du candidat n’y figurait pas. La plaignante a réussi cette partie du processus d’évaluation.

36 À l’instar de M. Lowdon, M. Hall faisait partie du comité d’évaluation chargé de l’entrevue de la plaignante, en juin 2012. La plaignante a aussi réussi cette partie du processus d’évaluation.

37 M. Hall a indiqué qu’il faisait aussi partie des cinq personnes consultées parmi les gestionnaires et les pairs des candidats en vue de la sélection de la bonne personne pour le poste. En fonction des critères établis, les personnes consultées devaient accorder des notes aux candidats sur une échelle de un à cinq pour trois qualifications liées aux qualités personnelles. Selon M. Hall, c’est à mi-chemin entre le moment où le bassin de candidats qualifiés a été créé et le moment où M. Maglio a été nommé au poste que la consultation des gestionnaires et des pairs a eu lieu.

38 D’après M. Hall, le fait que les notes qu’il a accordées à la plaignante au moment où il a été consulté soient semblables à celles qui ont été attribuées par les autres personnes consultées indique qu’il n’a pas fait preuve de partialité à l’encontre de la plaignante. M. Hall a attribué à la plaignante un point pour le leadership, deux points pour l’entregent et un point pour la capacité de communiquer. Toutes les autres personnes consultées, à l’exception de M. Whitney, qui a donné à la plaignante trois points pour la capacité de communiquer, ont attribué un ou deux points pour chacune de ces qualifications.

39 Pour prouver qu’il n’avait pas fait preuve de partialité à l’encontre de la plaignante, M. Hall a aussi expliqué de façon détaillée au Tribunal les notes qu’il avait accordées à la plaignante lorsqu’il a été consulté. M. Hall ne lui a accordé qu’un seul point pour le leadership parce qu’il avait remarqué qu’elle ne donnait pas l’exemple lorsqu’il l’avait supervisée pendant presque deux ans dans le cadre du poste à doter. La plaignante n’assumait pas de tâches supplémentaires, ne faisait preuve d’aucun esprit d’initiative, n’écoutait pas les critiques constructives et refusait toute rétroaction sur son rendement. Elle a refusé de prendre connaissance des rapports d’évaluation et n’a manifesté aucun intérêt à l’égard de la gestion du rendement.

40 M. Hall a accordé deux points à la plaignante pour l’entregent parce qu’elle affichait également des lacunes à cet égard. Deux employés de M. Hall qui avaient travaillé pour la plaignante lorsqu’elle occupait le poste à titre intérimaire lui ont envoyé un courriel dans lequel ils affirmaient ne plus vouloir travailler avec la plaignante. Un autre employé a également fait savoir à M. Hall qu’il ne voulait plus travailler pour la plaignante, ni avec elle.

41 M. Hall a expliqué avoir accordé un point à la plaignante pour la capacité de communiquer parce qu’elle éprouvait des problèmes à l’égard de cette qualification. Par exemple, la plaignante ne transmettait pas toujours l’information pertinente par l’entremise de la chaîne de commandement. C’est souvent une tierce personne qui communiquait les renseignements importants à M. Hall. En outre, la plaignante entretenait peu de communications latérales. Les membres de l’équipe travaillent tous ensemble, mais la plaignante préférait travailler en solitaire.

Constatations du Tribunal

42 Il est rare que la preuve fournie soit suffisante pour justifier une constatation de partialité de la part d’un membre du comité d’évaluation, mais tel est bien le cas en l’espèce. Les propos tenus par M. Hall à l’endroit de la plaignante au cours du processus de nomination suffisent au Tribunal pour en arriver à une conclusion de partialité à l’encontre de la plaignante. La plaignante a rapporté qu’à la fin de 2012, M. Hall lui avait dit : « Jamais je ne vous offrirai ce poste, sauf si on me l’ordonne » [traduction]. Tel qu’il a été indiqué plus tôt, la plaignante n’a pas été contre-interrogée à ce sujet, et M. Hall n’a pas nié avoir tenu de tels propos lors de son témoignage. Les éléments de preuve n’indiquent pas clairement si ces propos ont été tenus avant ou après la consultation des gestionnaires et des pairs. Le rapport rédigé au sujet de cette consultation n’affiche pas de date. M. Hall a indiqué qu’il croyait que c’est à mi-chemin entre le moment de la création du bassin de candidats qualifiés (le 19 juillet 2012) et la nomination de M. Maglio (le 1er mai 2013) que la consultation avait eu lieu. D’après le Tribunal, le fait que ces propos aient été tenus avant ou après la consultation des gestionnaires et des pairs n’est pas déterminant en ce qui a trait à la question de la partialité. Les propos de M. Hall ont été tenus pendant le déroulement du processus de nomination et ils témoignent de mauvaises dispositions à l’égard de la plaignante.

43 D’autres éléments appuient une conclusion de partialité de la part de M. Hall à l’encontre de la plaignante. Celle-ci a indiqué avoir rencontré M. Hall à plusieurs reprises au sujet des possibilités de nomination intérimaire. La première fois, M. Hall lui a répondu qu’il lui offrirait davantage de possibilités, mais, lorsqu’elle s’est plainte de nouveau en 2009, il lui a fait savoir qu’il gérerait le bassin de candidats qualifiés comme il l’entendait. La plaignante a dû communiquer avec les RH pour obtenir une nomination intérimaire de six mois. M. Hall n’a pas réfuté le témoignage de la plaignante.

44 L’enquête concernant les allégations de discrimination fondée sur le sexe de la plaignante liées aux nominations intérimaires et aux possibilités de formation est également révélatrice. Il est vrai que M. Hall n’a pas été nommé comme intimé dans le grief de la plaignante, mais il s’agissait tout de même d’un témoin important dans l’enquête. Le Tribunal remarque un passage qui figure à la page 14 du rapport d’enquête et qui concerne les événements de 2009 décrits dans le paragraphe précédent :

Les RH ont indiqué que la plaignante avait formulé une plainte au sujet des possibilités de nomination intérimaire, et les RH ont fait savoir au témoin Hall et à la direction qu’ils devaient accorder à la plaignante une nomination intérimaire de six mois. La préoccupation soulevée par les RH concernait les périodes d’intérim accordées aux autres candidats faisant partie du bassin. [Un autre employé] a été retiré du poste, et la plaignante a été nommée à sa place. [traduction]

[c’est nous qui soulignons]

45 La plaignante a indiqué avoir manifesté son intérêt en juillet 2010, mais ne s’être vu offrir aucune nomination intérimaire. Par contre, tous les autres employés qui s’étaient dits intéressés ont été nommés au poste à titre intérimaire. La plaignante a communiqué avec son syndicat à la fin de 2012, et une nomination intérimaire lui a finalement été offerte.

46 À la lumière des éléments de preuve, le Tribunal en arrive à la conclusion que, contrairement aux autres candidats faisant partie du bassin de candidats qualifiés et malgré ses demandes répétées à ce sujet, la plaignante s’est vu refuser toute possibilité d’occuper le poste à titre intérimaire de l’été 2010 à la fin de 2012. C’est seulement lorsque les RH le lui ont demandé expressément que M. Hall a nommé la plaignante à titre intérimaire.

47 En tenant compte de toutes les circonstances décrites ci-dessus, le Tribunal conclut qu’il y a bel et bien eu partialité. En outre, un observateur relativement bien renseigné percevrait de la partialité de la part de M. Hall lors de l’évaluation de la plaignante à l’entrevue et, par la suite, lors de la consultation des gestionnaires et des pairs. Il est impossible de savoir dans quelle mesure cette partialité a influencé l’évaluation. Toutefois, il se peut fort bien que cette partialité, conjuguée au fait que M. Hall a participé à l’évaluation, ait influé sur la note obtenue par la plaignante à l’entrevue, de même sur ses faibles notes lors de la consultation des pairs et des gestionnaires. Compte tenu des circonstances, il est suffisant d’établir que la partialité affichée a pu influer sur l’issue du processus de nomination.

48 Par conséquent, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination en cause.

Question IV:   Les moyens utilisés pour sélectionner la bonne personne pour le poste présentaient-ils des lacunes importantes?

49 Comme le Tribunal a déjà conclu qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination en raison de la partialité de M. Hall à l’encontre de la plaignante, il n’est pas nécessaire d’examiner l’allégation de la plaignante selon laquelle les moyens utilisés pour sélectionner la bonne personne comportaient des lacunes importantes.

Décision

50 Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Mesure corrective

51 Le Tribunal ordonne à l’intimé de révoquer la nomination de Glenn Maglio au poste de superviseur de production, des groupe et niveau SR-MGT-01, au sein du ministère de la Défense nationale (MDN), à Victoria (Colombie-Britannique) dans les 60 jours suivant la décision.

John Mooney

Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2013-0178
Intitulé de la cause :
Colleen Ryan c. le sous-ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 4 et 5 février 2014
Victoria (Colombie-Britannique)
Date des motifs :
Le 22 mai 2014

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Robin J. Gage
Pour l’intimé :
Zorica Guzina
Pour la Commission
de la fonction publique :
Luc Savard
(observations écrites)

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