Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un processus de nomination interne annoncé a été lancé afin de doter des postes de conseiller principal des programmes. La candidature de la plaignante a été éliminée du processus de nomination parce qu’il a été établi qu’elle ne possédait pas trois qualifications essentielles. Elle a affirmé que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il avait évalué ses qualifications et qu’il avait omis de procéder à un examen équitable de son évaluation. L’intimé a soutenu que la plaignante avait été évaluée adéquatement au regard des qualifications établies. Il a également affirmé que l’évaluation de la plaignante avait fait l’objet d’un examen équitable. Décision En premier lieu, le Tribunal a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans son évaluation de la plaignante au regard des qualifications essentielles que sont la coordination d’équipe, la capacité de raisonnement et le jugement. En deuxième lieu, le Tribunal a conclu que la plaignante n’avait pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ayant recours à plusieurs comités pour évaluer les candidats dans ce processus de nomination. En troisième lieu, le Tribunal a analysé l’allégation de la plaignante selon laquelle l’intimé avait manqué aux principes d’équité procédurale dans la façon dont il avait répondu à ses préoccupations concernant son évaluation. Les deux principes fondamentaux de l’équité procédurale sont le droit de se faire entendre et le droit à un décideur impartial. Pour ce qui est du second critère, l’existence d’une crainte raisonnable de partialité aurait pour effet d’invalider la décision. Le Tribunal a établi que la plaignante n’avait pas droit à une rencontre officielle s’apparentant à une audience avec le comité d’évaluation pour expliquer en détail ses réponses aux questions servant à évaluer les qualifications. Cependant, elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ses préoccupations soient examinées après que le gestionnaire délégué eut décidé d’entreprendre un examen de ces préoccupations. À la lumière des éléments de preuve attestant la nature des préoccupations en question, le Tribunal est convaincu que la gestionnaire délégataire les a prises en considération et examinées dans leur intégralité. Le Tribunal a constaté que la gestionnaire délégataire avait pris des mesures exemplaires, en plus de la discussion informelle, afin de répondre aux préoccupations de la plaignante. Enfin, le Tribunal a conclu que n’avait pu être établie aucune crainte raisonnable de partialité de la part de l’un ou l’autre des membres du comité d’évaluation. Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’intimé n’avait pas manqué aux principes d’équité procédurale dans sa façon de répondre aux préoccupations soulevées par la plaignante relativement à son évaluation. La plainte est rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2013-0110
Rendue à :
Ottawa, le 21 février 2014

GENEVIEVE JOHNSTON
Plaignante
ET
LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Merri Beattie, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Johnston c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Référence neutre :
2014 TDFP 1

Motifs de décision


Introduction

1La plaignante, Genevieve Johnston, a vu sa candidature éliminée d’un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de postes de conseiller principal des programmes, de groupe et niveau FB‑06, au sein de la Direction générale des programmes de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elle affirme que l’intimé, le président de l’ASFC, a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué ses qualifications et qu’il a omis de procéder à un examen équitable de son évaluation.

2L’intimé nie les allégations d’abus de pouvoir. Il soutient que la plaignante a été évaluée adéquatement au regard des qualifications établies. Il affirme également que, bien que la plaignante en conteste les résultats, un examen équitable de son évaluation a été effectué.

3La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience. Elle a présenté des observations écrites concernant ses politiques et ses lignes directrices se rapportant aux questions en litige. Elle n’a toutefois pas pris position quant au bien‑fondé de l’affaire.

4Le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de ses qualifications, ni qu’il avait agi de manière inéquitable dans l’examen de son évaluation.

Contexte

5La plaignante a participé à un processus de nomination pour des postes FB‑06 en octobre 2011. Il a été déterminé qu’elle possédait les qualifications essentielles relatives aux études et à l’expérience, et elle a réussi à un examen de communication écrite et à un examen écrit des connaissances. Le 14 août 2012, elle s’est présentée à une entrevue visant à évaluer la capacité de consultation et la coordination d’équipe. À la même occasion, elle a remis deux formulaires d’autoévaluation – appelés « Autoévaluation du candidat » (AC) – qu’elle avait completés avant l’entrevue. Un des formulaires d’AC servait à évaluer la capacité de raisonnement, et l’autre, le jugement.

6Le jury qui a mené l’entrevue avec la plaignante a établi qu’elle ne répondait pas aux exigences relatives à la coordination d’équipe. Les membres du comité d’évaluation chargés d’évaluer les AC de la plaignante ont déterminé qu’elle ne satisfaisait pas non plus aux exigences relatives à la capacité de raisonnement et au jugement. La plaignante a été avisée que sa candidature était éliminée du processus de nomination et, le 5 novembre 2012, elle a demandé une discussion informelle au sujet de ses résultats.

7L’un des deux membres du jury ayant mené l’entrevue avec la plaignante a eu une discussion informelle avec elle le 13 décembre 2012. Un rapport portant sur la discussion informelle a été envoyé à la présidente du comité d’évaluation, qui a informé la plaignante le 25 janvier 2013 que son évaluation avait été examinée et que ses résultats demeuraient inchangés.

8D’autres examens, discussions et échanges de courriels ont eu lieu par la suite, auxquels ont pris part certains membres du comité d’évaluation, la présidente du comité et la plaignante. Ils n’ont cependant donné lieu à aucune modification des résultats de l’évaluation de la plaignante.

9Le 15 mars 2013, la plaignante a présenté au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

10Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué les qualifications de la plaignante?
  2. L’intimé a‑t‑il a abusé de son pouvoir en ayant recours à plusieurs jurys d’évaluation?
  3. L’intimé a‑t‑il pris des mesures adéquates pour répondre aux préoccupations de la plaignante concernant son évaluation?

Analyse

11Aux termes de l’article 77(1) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou elle n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur en question. De plus, si l’abus de pouvoir implique toujours une conduite irrégulière, c’est la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière qui peut permettre de déterminer si elle constitue ou non un abus de pouvoir (voir la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 66 et 73).

12Dans la décision Tibbs, le Tribunal a également établi que le fardeau de la preuve incombe au plaignant (voir les paragraphes 49, 50 et 55). Pour s’acquitter de ce fardeau, la plaignante doit présenter une preuve suffisante pour permettre au Tribunal de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a lieu de conclure à un abus de pouvoir.

Question I :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué les qualifications de la plaignante?

13Le comité d’évaluation a établi que la plaignante ne possédait pas trois qualifications essentielles énumérées dans l’énoncé des critères de mérite, à savoir la coordination d’équipe, la capacité de raisonnement et le jugement.

14Selon les allégations de la plaignante, l’intimé s’est fondé sur un facteur non pertinent pour établir qu’elle ne possédait pas l’une des qualifications (coordination d’équipe), et il a omis de prendre en considération certains éléments de ses réponses pour chacune des trois qualifications pour lesquelles elle n’a pas satisfait aux exigences. Le Tribunal conclut que la preuve ne corrobore pas ces allégations.

(i) Coordination d’équipe

15La coordination d’équipe était l’une des deux qualifications évaluées au moyen de l’entrevue. Avant le début de l’entrevue, un délai de 20 minutes était alloué aux candidats afin qu’ils puissent se préparer et prendre des notes. Ils avaient à leur disposition la définition de « coordination d’équipe » et la question d’entrevue, que voici :

COORDINATION D’ÉQUIPE : Met sur pied et entretient une équipe cohésive qui collabore pour atteindre les buts et les objectifs de l’organisation efficacement et en temps opportun.

Vous avez été nommé à un poste FB‑06, et vous vous joignez à une équipe existante qui est aux prises avec un conflit interne. Vous êtes responsable de la coordination d’équipe et du soutien au gestionnaire (FB‑08).

Comment vous y prenez‑vous pour assurer l’unité au sein de l’équipe et faire en sorte que tous les membres se concentrent sur les buts et les objectifs de l’organisation?

Que faites‑vous pour que l’équipe respecte les délais et les calendriers d’exécution?

Que faites‑vous pour assurer l’efficacité de votre équipe?

[traduction]

16La seule information donnée aux candidats concernant leur nouvelle équipe était le fait qu’elle était aux prises avec un conflit interne. Il était donc clair que le conflit constituait un élément important que les candidats devaient aborder.

17Kent Griffiths, conseiller principal des programmes, et Valérie Lussier, gestionnaire, Soutien opérationnel des systèmes, ont mené l’entrevue avec la plaignante en août 2012. D’après leurs notes d’entrevue et leurs témoignages respectifs, ils ont tous deux constaté à ce moment‑là que la plaignante n’avait pas abordé la gestion du conflit au sein de l’équipe, et ils se sont entendus pour lui accorder la note de 2 sur une échelle de 5 points, ce qui était inférieur à la note de passage.

18La position de la plaignante à l’égard de son évaluation de cette qualification essentielle repose sur deux arguments, à savoir que la résolution du conflit n’aurait pas dû faire partie des exigences relatives à la coordination d’équipe, et que, quoi qu’il en soit, elle a abordé dans sa réponse la façon de gérer adéquatement le conflit.

Exigence de l’intimé voulant que les candidats abordent la gestion du conflit interne dans leur réponse à la question d’entrevue portant sur la coordination d’équipe

19Le Tribunal a confirmé dans bon nombre de ses décisions que l’intimé possède un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer les qualifications relatives à un poste, et que les gestionnaires sont tenus d’établir les qualifications pour le travail à accomplir (voir, par exemple, la décision Neil c. Sous‑ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 0004, para. 45 et 46).

20La plaignante soutient que ce sont les gestionnaires au niveau FB‑08, et non FB‑06, qui sont responsables des questions liées aux ressources humaines, dont la résolution des conflits. À son avis, le rôle d’un conseiller principal des programmes de niveau FB‑06 est d’informer le gestionnaire de l’existence du conflit au sein de l’équipe. Elle a fait état de son opinion sur cette question pendant l’entrevue et pendant son témoignage à l’audience. Au moment de l’entrevue, la plaignante occupait à titre intérimaire un poste FB‑06 depuis environ trois ans, de sorte qu’elle possédait une connaissance directe de la nature des fonctions qu’elle exerçait.

21M. Griffiths a déclaré que sa discussion informelle avec la plaignante l’avait convaincu que les titulaires de poste FB‑06 n’étaient pas responsables de la résolution des conflits entre les membres de l’équipe. Cependant, M. Griffiths, qui occupe également un poste FB‑06, n’a pas remis en question l’exigence relative à la résolution du conflit lorsqu’il a pris connaissance du guide de cotation lors de la séance de formation pour les évaluateurs, ni à aucun moment pendant la période où il menait les entrevues. M. Griffiths a déclaré avoir relu la description de travail pour le poste FB‑06 à la suite de sa discussion avec la plaignante, mais ce document n’a pas été produit en preuve à l’audience.

22À titre de membre du comité d’évaluation, M. Griffiths avait pour rôle d’évaluer les candidats en fonction des critères de mérite établis pour le processus de nomination, et non de déterminer ou de modifier les qualifications, que ce soit pendant ou après les évaluations (voir la décision Bowman c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012, para. 110 et 111).

23Christine Maathuis Quinn, qui était présidente du comité d’évaluation, a déclaré qu’un groupe formé de plusieurs directeurs avait convenu des définitions et des exigences associées aux qualifications essentielles pour ce processus, y compris de l’exigence relative à la gestion du conflit dans le contexte de la coordination d’équipe. Mme Maathuis Quinn, qui occupe le poste de directrice, Systèmes des voyageurs fiables et coordination, au sein de la Direction du soutien opérationnel des systèmes, a également affirmé qu’elle s’attendait à ce qu’un titulaire de poste FB‑06 gère des conflits. De plus, Mme Lussier a déclaré que les titulaires de poste FB‑06 étaient souvent appelés à diriger des groupes de travail ou à assumer la responsabilité d’un dossier, et qu’ils étaient tenus de prendre des mesures pour résoudre un conflit avant de s’adresser au gestionnaire. À son avis, la gestion du conflit au sein de l’équipe constituait un élément clé de la capacité de coordination d’équipe.

24La preuve démontre clairement que les candidats étaient tenus d’aborder la gestion du conflit au sein de l’équipe. Dans le guide de cotation, la liste des réponses attendues pour cette qualification comprend les éléments suivants : « règle les conflits par son interaction avec les autres » [traduction] et « utilise les ressources à sa disposition pour résoudre les conflits, au besoin » [traduction]. Les candidats n’avaient pas accès aux réponses attendues; cependant, ils disposaient de la définition et de la question, qui ont été citées précédemment.

25L’article 30(2) de la LEFP définit le pouvoir conféré à l’administrateur général pour ce qui est d’établir les qualifications. Le Tribunal estime, d’après la preuve présentée à l’audience, que le fait d’exiger des candidats qu’ils abordent la gestion du conflit dans l’évaluation de la coordination d’équipe relevait de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire conféré en vertu de l’article 30(2) de la LEFP.

26Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir en exigeant des candidats qu’ils abordent la gestion d’une situation conflictuelle en vue de démontrer qu’ils possédaient la qualification qu’est la coordination d’équipe.

Évaluation, par l’intimé, de la réponse de la plaignante concernant la coordination d’équipe

27Le Tribunal a été saisi de nombreux cas où le plaignant contestait la note qui lui avait été accordée. La LEFP n’autorise pas le Tribunal à évaluer les candidats aux fins d’une nomination. Ce pouvoir est conféré à la CFP en vertu de l’article 30(2)a) de la LEFP, et il peut être délégué en application de l’article 15(1) de la LEFP. Par conséquent, le Tribunal ne mènera pas sa propre évaluation; il déterminera plutôt si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation (voir, par exemple, la décision Zhao c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0030, para. 33).

28Comme le fait remarquer la plaignante, la nature du conflit n’était pas précisée aux candidats. La plaignante a déclaré que, dans sa réponse liée à la coordination d’équipe, elle avait expliqué qu’elle instaurerait un climat de travail sain, qu’elle demanderait conseil, qu’elle discuterait des problèmes avec son gestionnaire et qu’elle formulerait des recommandations. Elle est d’avis que ces mesures permettraient de gérer le conflit au sein de l’équipe.

29La plaignante a également déposé en preuve un document dans lequel elle a décrit de façon similaire comment elle avait abordé « de manière générale » [traduction] la gestion du conflit interne pendant l’entrevue. Le document ne porte aucune date, mais il a été envoyé à M. Griffiths le 5 février 2013, et la plaignante a déclaré l’avoir rédigé après sa discussion informelle avec lui, qui a eu lieu le 13 décembre 2012.

30Le témoignage de la plaignante et le document qu’elle a présenté démontrent que les « problèmes » [traduction] évoqués dans sa réponse peuvent être associés à la situation de conflit interne mentionnée dans la question, mais il faut, pour en venir à cette conclusion, bénéficier d’explications additionnelles et faire des déductions. La prépondérance de la preuve démontre qu’elle n’a fait mention du conflit à aucun moment pendant l’entrevue.

31Selon Mme Lussier, la gestion de la charge de travail et le maintien de la cohésion au sein de l’équipe étaient toutes deux des exigences relatives à la coordination d’équipe. Mme Lussier a déclaré que la plaignante n’avait établi aucun lien précis entre les mesures qu’elle avait dit vouloir prendre et la situation de conflit interne. Elle a affirmé que la plaignante s’était abstenue de faire directement référence au conflit pendant l’entrevue. Les notes d’entrevue de Mme Lussier et de M. Griffiths corroborent le témoignage de Mme Lussier. Les notes préparatoires de la plaignante concordent également avec le témoignage de Mme Lussier et confirment ses propres affirmations selon lesquelles elle envisageait la coordination d’équipe sous l’angle de la gestion de la charge de travail.

32Mme Lussier a aussi déclaré que la plaignante avait abordé d’autres éléments exigés relativement à la coordination d’équipe, mais qu’elle ne les avait pas traités suffisamment en profondeur. Par exemple, la plaignante a affirmé qu’elle veillerait à l’efficacité de la communication, mais elle n’a pas expliqué par quels moyens. De l’avis de Mme Lussier, la plaignante n’a fourni que des réponses superficielles pour la plupart des exigences relatives à la coordination d’équipe.

33Le témoignage de Mme Lussier concorde avec les observations que M. Griffiths et elle‑même ont notées pendant l’évaluation de la plaignante, et ces observations sont directement liées aux exigences établies dans le guide de cotation pour ce qui est de démontrer la coordination d’équipe.

34Rien ne permet d’établir que les évaluateurs ont tiré une conclusion déraisonnable en jugeant que la réponse donnée par la plaignante pour la coordination d’équipe méritait la note de 2 – inférieur à la norme –, à la lumière de la description suivante tirée du guide de cotation :

2 Inférieur à la norme

Certains indicateurs de comportement ont été démontrés dans une certaine mesure. Quelques lacunes constatées dans le comportement évalué constituent un problème.
[traduction]

35Le Tribunal conclut que la preuve présentée par la plaignante ne suffit pas à démontrer que les membres du comité ont omis de prendre en considération certains éléments de sa réponse ou se sont montrés déraisonnables de quelque façon que ce soit dans leur évaluation de la plaignante pour la coordination d’équipe.

(ii)         Capacité de raisonnement et jugement

36Le comité d’évaluation était chargé d’évaluer la capacité de raisonnement et le jugement des candidats à partir de leurs AC. Ce document est un formulaire structuré dans lequel les candidats doivent décrire une réalisation professionnelle en s’appuyant sur leurs propres comportements observables. Les candidats recevaient les formulaires d’AC et les directives trois jours avant leur entrevue, et ils devaient remettre leurs formulaires d’AC au moment de l’entrevue.

37La plaignante conteste la décision du comité selon laquelle elle n’a pas démontré dans ses AC certains des comportements attendus pour la capacité de raisonnement et le jugement. À son avis, le comité a omis de prendre en considération certains éléments de ses réponses. Pendant son témoignage, la plaignante a fait référence à ses AC, de même qu’à un document dans lequel elle a transcrit des parties de ses AC et les a disposées de manière à démontrer qu’elles correspondaient à des segments des définitions associées à la capacité de raisonnement et au jugement. Le document ne porte aucune date; cependant, il a été envoyé par courriel à M. Griffiths le 3 février 2013, à la suite de la discussion informelle, qui a eu lieu en décembre 2012.

38M. Griffiths a également témoigné au sujet des AC de la plaignante. Il n’a pas évalué les AC de la plaignante pendant le processus de nomination; cependant, il a évalué les AC d’autres candidats et il a pris connaissance de celles de la plaignante avant sa discussion informelle avec elle. À son avis, les évaluateurs ont peut‑être omis de tenir compte de certains exemples de la plaignante. Dans son témoignage, M. Griffiths a indiqué les passages des AC de la plaignante dans lesquels elle avait, selon lui, abordé des éléments exigés pour démontrer les qualifications requises.

39M. Griffiths a déclaré qu’il ne souscrivait pas à certaines des conclusions tirées par les évaluateurs. Par exemple, il ne partage pas l’avis des évaluateurs selon lequel la plaignante ne reconnaissait pas « les autres possibilités ou les nouvelles approches » [traduction]. À son avis, l’ensemble de l’AC de la plaignante pour la capacité de raisonnement décrit une nouvelle approche. M. Griffiths n’a cependant pas indiqué à quel endroit, dans son AC, la plaignante avait fait mention de possibilités ou d’approches qui auraient pu découler de son travail lié à la nouvelle approche qu’elle avait décrite.

40Le Tribunal estime que la prépondérance de la preuve démontre que les évaluateurs n’ont pas omis de tenir compte de quoi que ce soit dans les AC de la plaignante. Mme Lussier a déclaré qu’elle‑même et un autre membre du comité d’évaluation, Ken McNaughton, avaient évalué l’AC de la plaignante pour la capacité de raisonnement, et qu’elle avait également évalué l’AC de la plaignante pour le jugement, cette fois avec un autre membre du comité, Mélanie Rivet. La feuille de résultats des AC de la plaignante, où figurent les signatures, confirme le témoignage de Mme Lussier. En outre, d’après les déclarations non contestées de Mme Lussier, dans tous les cas, les membres du comité ont évalué les AC de la plaignante indépendamment l’un de l’autre.

41Mme Lussier a expliqué qu’elle s’attendait des candidats qu’ils démontrent leur capacité de raisonnement en décrivant tous les comportements attendus dans le contexte d’une seule décision ou d’un seul événement. Elle a relevé certains de ces comportements dans les AC de la plaignante; cependant, ils étaient répartis entre plusieurs décisions exposées dans son exemple. À son avis, la plaignante n’a pas démontré qu’elle s’était livrée à un processus de réflexion rigoureux pour une décision en particulier, et ce n’est pas non plus ce qui se dégage de l’ensemble de sa réponse.

42Mme Lussier n’est pas d’accord avec M. Griffiths sur le fait qu’il était suffisant pour la plaignante de simplement déclarer qu’il y avait un risque et qu’elle atténuerait ce risque en « s’assurant que certains renseignements ne seraient pas divulgués aux membres de l’industrie » [traduction] pour démontrer le comportement attendu suivant : « anticipe les risques éventuels et prend les mesures nécessaires pour les atténuer » [traduction]. Mme Lussier a déclaré que la plaignante n’avait pas indiqué de quels renseignements il était question ni en quoi leur divulgation posait un risque. Elle a expliqué qu’en l’absence de ce genre de détails, elle n’était pas en mesure d’établir que la plaignante avait tiré des conclusions exactes au sujet du risque et déterminé les bonnes mesures à prendre.

43Dans le même ordre d’idées, Mme Lussier a déclaré que la plaignante n’avait pas expliqué de quelle façon seraient atténués les risques éventuels associés au fait de « recueillir davantage d’information pour tous » [traduction]. Elle ne partage pas l’avis de M. Griffiths selon lequel les mesures prises par la plaignante pour améliorer le formulaire de manière à présenter les données plus efficacement pourraient avoir pour effet d’atténuer un risque quelconque pour les personnes chargées de recueillir les données.

44D’après Mme Lussier, la plaignante n’a pas suffisamment expliqué ses processus de réflexion, et l’information qu’elle a fournie était trop générale pour démontrer qu’elle manifestait les comportements attendus pour la capacité de raisonnement. À titre d’exemple, Mme Lussier a fait référence à l’AC de la plaignante, dans lequel il était indiqué qu’elle avait « pris une décision quant à la meilleure approche » [traduction]. Selon Mme Lussier, la plaignante n’a pas décrit les facteurs dont elle avait tenu compte ni son raisonnement pour parvenir à cette décision. Sans cette information, Mme Lussier n’était pas en mesure de déterminer si la plaignante avait suivi un processus de décision rigoureux et avait tiré des conclusions exactes.

45Pour ce qui est du jugement, M. Griffiths a reconnu que la réponse de la plaignante n’était pas convaincante. Néanmoins, il estime qu’elle aurait dû obtenir la note de passage pour cette qualification. Il a déclaré que la définition de jugement n’est pas explicite quant à la nécessité de comparer les solutions possibles et d’expliquer le choix qui est fait. Il a ajouté que la plaignante avait précisé que le statu quo ne permettrait pas de répondre aux besoins de l’organisation et que, chaque fois qu’une décision doit être prise, décider de ne rien faire fait partie des solutions possibles.

46Rien dans l’AC de la plaignante n’indique qu’elle a envisagé plus d’une solution, y compris celle consistant à ne rien faire. Aucun élément de preuve ne réfute la conclusion des évaluateurs selon laquelle la plaignante n’a pas examiné diverses possibilités ni comparé et évalué les solutions possibles, qui sont deux des comportements attendus pour le jugement.

47La plaignante a aussi fait remarquer qu’en plus des comportements attendus, le guide de cotation prévoit, pour la capacité de raisonnement et le jugement, que d’autres réponses acceptables peuvent être prises en considération. Elle soutient que le comité n’a pas suivi cette indication dans l’évaluation de ses AC. M. Griffiths a déclaré qu’il aurait accepté certains éléments des réponses qu’elle a données pour la capacité de raisonnement et le jugement à titre d’autres réponses acceptables pour ces qualifications. Cependant, aucun exemple concret n’a été présenté à l’appui de cette affirmation. Mme Lussier a affirmé qu’aucun élément contenu dans les AC de la plaignante ne se rapprochait suffisamment des critères d’évaluation pour être admis à titre d’autre réponse acceptable.

48Les membres du comité qui ont évalué les AC de la plaignante ont conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle possédait les qualifications requises. La plaignante n’est pas de cet avis, et elle comptait beaucoup sur le témoignage de M. Griffiths pour appuyer sa position. Ce dernier, qui faisait également partie du comité, estime que les deux AC de la plaignante méritent la note de passage.

49Puisque la capacité de raisonnement et le jugement étaient évalués au moyen des AC, les candidats avaient la liberté de choisir une de leurs réalisations et de la présenter de la façon qu’ils jugeaient la plus appropriée. Ainsi, chaque AC est unique et ne peut être jugée correcte ou incorrecte. Le guide de cotation démontre que le comité d’évaluation n’était pas à la recherche des réponses correctes. Les membres du comité devaient évaluer les AC en fonction de la liste établie des comportements attendus. Cette façon de faire, qui est courante dans les processus de nomination, exige des évaluateurs qu’ils fassent preuve de discernement.

50Le Tribunal ne voit aucun élément de preuve convaincant qui puisse justifier que l’opinion de M. Griffiths soit substituée à celle des trois membres du comité chargés d’évaluer les AC de la plaignante. Rien ne permet de conclure que les évaluateurs n’ont pas entièrement examiné le contenu des AC de la plaignante, ni qu’ils ont tiré des conclusions déraisonnables, à la lumière du guide de cotation.

51Pendant le témoignage de la plaignante, l’intimé a formulé une objection au motif que les éléments de preuve présentés par la plaignante n’étaient pas pertinents, étant donné que le Tribunal ne peut pas la réévaluer. La plaignante a répondu qu’elle ne cherchait pas à être réévaluée par le Tribunal, mais qu’elle présentait le contexte afin que le Tribunal puisse comprendre le guide de cotation et les facteurs que le comité d’évaluation aurait dû prendre en compte.

52Le Tribunal a retenu l’objection parce que la plaignante présentait les détails et le contexte entourant une réponse qu’elle avait donnée au moment de son évaluation. Elle était donc en train d’ajouter à sa réponse de l’information qui n’avait pas été présentée aux évaluateurs. Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’information n’était pas pertinente dans son examen de l’évaluation faite par le comité relativement aux qualifications de la plaignante.

53Quand la plaignante a formulé une objection au témoignage de Mme Lussier en s’appuyant sur les mêmes motifs, le Tribunal a rejeté l’objection. Le Tribunal doit déterminer si les membres du comité d’évaluation ont examiné les réponses de la plaignante, ont appliqué le guide de cotation et ont agi de manière raisonnable dans l’évaluation des qualifications de la plaignante. L’explication de Mme Lussier concernant son évaluation de la plaignante est donc pertinente pour trancher cette question.

54Les AC de la plaignante ont été évaluées par deux membres du comité d’évaluation qui, indépendamment l’un de l’autre, sont arrivés à la même conclusion. Les éléments de preuve présentés par la plaignante démontrent qu’elle a employé dans ses AC des mots clés figurant dans les définitions de « capacité de raisonnement » et de « jugement ». Cependant, ce fait ne contredit pas le témoignage de Mme Lussier selon lequel les réponses de la plaignante n’étaient pas suffisamment détaillées pour démontrer qu’elle possédait les qualifications évaluées. Les remarques des évaluateurs et le témoignage de Mme Lussier sont concordants et se rapportent directement aux comportements attendus pour la capacité de raisonnement et le jugement qui ont été établis dans le guide de cotation. Malgré l’opinion divergente de M. Griffiths, le Tribunal estime que la preuve ne permet pas d’établir que le comité a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante.

55Le Tribunal conclut que la preuve ne démontre pas que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué la plaignante relativement aux qualifications que sont la coordination d’équipe, la capacité de raisonnement et le jugement, dans le cadre de ce processus de nomination.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en ayant recours à plusieurs jurys d’évaluation?

56Personne ne conteste le fait que plusieurs jurys formés de deux membres du comité d’évaluation ont évalué les candidats dans ce processus de nomination. La plaignante met en doute le pouvoir de l’intimé d’avoir recours à cette façon de faire pour mener les évaluations. Dans la décision Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, au paragraphe 60, le Tribunal a établi que le recours à plusieurs jurys d’évaluation s’inscrit dans le vaste pouvoir discrétionnaire accordé aux gestionnaires en vertu de la LEFP.

57Bien qu’il n’y ait aucune obligation de faire évaluer tous les candidats par les mêmes membres du comité, la plaignante soutient que l’intimé n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer une évaluation uniforme et non arbitraire des candidats. Elle fait valoir que le témoignage de M. Griffiths au sujet de son évaluation corrobore sa position.

58Mme Lussier et M. Griffiths ont tous deux déclaré que les membres du comité devaient obligatoirement assister à une séance de formation sur le contenu et l’application du guide de cotation. Ce guide contient une définition et une liste des comportements attendus pour chaque qualification, de même que les cinq cotes d’évaluation et leur description.

59Selon M. Griffiths, les membres du comité n’ont pas reçu de consignes détaillées concernant la description des cotes d’évaluation. Il a déclaré qu’aucune directive précise n’avait été donnée pour les aider à décider si un candidat répondait aux indicateurs de comportement attendus « dans une certaine mesure » [traduction] ou « de façon exceptionnelle » [traduction]. Dans le même ordre d’idées, il a affirmé qu’aucune indication précise n’avait été donnée quant à savoir quelles « lacunes » [traduction] devaient être considérées comme « un problème » [traduction]. M. Griffiths a ajouté qu’aucun exemple de ce qui pouvait constituer une « autre réponse acceptable » [traduction] n’avait été fourni aux membres du comité.

60Le Tribunal estime qu’il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que les membres du comité fassent la distinction entre « dans une certaine mesure » [traduction] et « de façon exceptionnelle » [traduction] d’après la réponse d’un candidat. Les membres du comité avaient en main la liste des comportements attendus et, selon Mme Lussier, ils avaient été informés que les réponses des candidats devaient contenir des explications détaillées permettant de répondre aux questions « quoi? », « pourquoi? » et « comment? », et non simplement des mots correspondant à ceux de la liste. Pour déterminer si une lacune constituait un problème, les évaluateurs devaient se fonder sur la définition et la liste des comportements attendus associées à la qualification évaluée.

61Le comité avait également la latitude d’accepter une réponse qui n’était pas expressément mentionnée dans le guide de cotation, si elle était appropriée. En l’espèce, la méthode d’évaluation employée pour les trois qualifications en cause exigeait des membres du comité qu’ils fassent preuve de jugement dans l’évaluation des candidats, contrairement à une méthode de cotation numérique consistant à attribuer des points pour chaque réponse. Le Tribunal a d’ailleurs déclaré dans la décision Visca : « Le législateur a plutôt préféré fournir aux personnes détenant les pouvoirs de dotation, les moyens d’exercer l’aspect discrétionnaire de ces pouvoirs, en faisant appel à leur jugement. » Le Tribunal est convaincu que l’intimé a fourni suffisamment d’information aux membres du comité pour les guider dans l’exercice de leur jugement. La plaignante n’a pas fait la preuve que les personnes ayant procédé à son évaluation pour les qualifications en cause avaient agi de manière arbitraire ou déraisonnable.

62De plus, la preuve ne suffit pas à démontrer que les évaluations des candidats manquaient d’uniformité. Au contraire, chaque qualification était évaluée par deux membres du comité. Si les deux ne s’entendaient pas, ils devaient en discuter et parvenir à un consensus. M. Griffiths a déclaré que cette situation s’était produite dans les évaluations qu’il avait menées. Selon Mme Lussier, si les deux évaluateurs n’arrivaient pas à s’entendre, ils consultaient un troisième membre du comité. Le Tribunal estime que cette façon de faire, ainsi que les outils d’évaluation et la formation donnée aux membres du comité, offrait les mesures de prévention nécessaires pour empêcher les membres du comité d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon incohérente ou arbitraire.

63Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ayant recours à plusieurs jurys pour évaluer les candidats dans ce processus de nomination.

Question III :  L’intimé a‑t‑il pris des mesures adéquates pour répondre aux préoccupations de la plaignante concernant son évaluation?

64La plaignante soutient que l’intimé a manqué aux principes d’équité procédurale dans sa façon de répondre à ses préoccupations. Elle affirme qu’elle n’a pas eu de véritable occasion de participer à l’examen de son évaluation, et que le processus d’examen était entaché de partialité. En outre, elle soutient que l’intimé ne s’est pas conformé aux politiques de l’ASFC et aux lignes directrices de la CFP lorsqu’il a mené son examen. Enfin, elle soutient que l’intimé a agi de mauvaise foi en prenant des décisions incohérentes relativement à la modification des notes après la discussion informelle, et en lui communiquant de l’information trompeuse.

65Le Tribunal a expliqué l’objectif de la discussion informelle à de nombreuses reprises. Par exemple, dans la décision Rozka c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046, le Tribunal a établi, au paragraphe 76 :

La discussion informelle est un moyen de communication qui vise principalement à permettre à un candidat de discuter des raisons du rejet de sa candidature dans le cadre d’un processus. Si l’on découvre qu’une erreur a été faite, par exemple si le comité d’évaluation a omis de tenir compte de certains renseignements figurant dans la demande d’emploi du candidat, la discussion informelle donne l’occasion au gestionnaire de corriger son erreur. Toutefois, la discussion informelle ne doit pas constituer un mécanisme permettant de demander que le comité d’évaluation réévalue les qualifications d’un candidat.

[caractères gras ajoutés]

Évènements-clés postérieurs à l’évaluation

66M. Griffiths a eu une discussion informelle avec la plaignante le 13 décembre 2012. Étant donné que M. Griffiths avait mené l’entrevue avec la plaignante, il lui a expliqué la décision relative à l’évaluation de la coordination d’équipe. Cependant, M. Griffiths n’avait pas évalué les AC de la plaignante et, selon son témoignage, il ne comprenait pas parfaitement les évaluations qui avaient été effectuées. Le Tribunal juge que M. Griffiths a commis une erreur en tentant d’expliquer les évaluations de la plaignante pour la capacité de raisonnement et le jugement. 

67Selon le témoignage de la plaignante, M. Griffiths lui a dit qu’il informerait la présidente du comité que les trois qualifications à l’origine du rejet de sa candidature devaient être réévaluées. M. Griffiths a préparé un rapport sur la discussion informelle, dans lequel il a écrit que la plaignante lui avait expliqué que « […] la question indiquait qu’elle était responsable de la “coordination d’équipe et du soutien” et qu’elle avait confié le problème de RH au gestionnaire » [traduction]. Il a également écrit que « pour les deux compétences visées par les autoévaluations, elle a donné des exemples que les membres du comité ont peut‑être omis de prendre en considération » [traduction]. M. Griffiths a recommandé un examen des évaluations de la plaignante pour les trois qualifications qu’elle n’avait pas réussi à démontrer qu’elle possédait.

68Mme Maathuis Quinn a procédé à l’examen des évaluations de la plaignante pour les trois qualifications. Elle a examiné les notes d’entrevue du comité, les AC de la plaignante et le guide de cotation afin de déterminer si les évaluations étaient raisonnables. Elle a conclu que c’était le cas, et elle a avisé la plaignante par écrit, le 25 janvier 2013, que ses notes demeuraient inchangées. Ce n’est qu’après avoir procédé à l’examen que Mme Maathuis Quinn a été informée par M. Griffiths, par voie de courriel, que la plaignante avait formulé « de nombreuses remarques détaillées » [traduction] qui ne lui avaient pas été transmises. Dans son courriel, daté du 31 janvier 2013, M. Griffiths a également indiqué que la plaignante avait soulevé la possibilité qu’il y ait des lacunes dans les outils d’évaluation.

69Mme Maathuis Quinn a reçu le courriel de M. Griffiths le 1er février 2013 et elle l’a rencontré le même jour. Le 5 février 2013, M. Griffiths et Mme Lussier se sont réunis, puis ils se sont entretenus avec Mme Maathuis Quinn plus tard dans la journée. D’après le témoignage de chacun des trois témoins, ils ont discuté de façon approfondie de l’évaluation de la plaignante portant sur la coordination d’équipe, en se penchant particulièrement sur sa position selon laquelle les titulaires de poste FB‑06 n’étaient pas tenus de gérer les conflits. Il s’agissait du deuxième examen de l’évaluation de la plaignante portant sur la coordination d’équipe.

70M. Griffiths a expliqué en quoi la plaignante estimait avoir abordé le conflit dans sa réponse et pourquoi elle croyait qu’il n’était pas approprié d’exiger des candidats qu’ils gèrent le conflit. D’après la preuve présentée par la plaignante, ces points étaient ceux qu’elle souhaitait soumettre à l’examen du comité d’évaluation. En fait, M. Griffiths souscrivait à la position de la plaignante, et c’est cette position qu’il a fait valoir au cours de ces rencontres.

71À l’issue des discussions du 5 février 2013, Mme Lussier est demeurée convaincue que la réponse de la plaignante concernant la coordination d’équipe méritait la note de 2. Selon elle, la seule façon de justifier une note de 3 aurait été de modifier le guide de cotation. Mme Maathuis Quinn a déclaré qu’elle approuvait la façon dont Mme Lussier appliquait le guide de cotation. À son avis, les arguments de M. Griffiths en faveur d’une modification de la note reposaient sur des déductions plutôt que sur une évaluation du contenu de la réponse de la plaignante, et ils supposaient une modification aux exigences du guide de cotation.

72À la demande de Mme Maathuis Quinn, le 6 février 2013, Mme Lussier a procédé à un deuxième examen des évaluations de la plaignante portant sur la capacité de raisonnement et le jugement. Mme Lussier a déclaré avoir examiné les AC de la plaignante, dont elle disposait dans leur version écrite intégrale. Elle a également tenu compte du guide de cotation, de l’information fournie verbalement par M. Griffiths pendant leurs rencontres du 5 février 2013, ainsi que des notes prises par celui‑ci pendant la discussion informelle.

73La plaignante fait observer que Mme Lussier ne se rappelait pas si, à ce moment‑là, elle avait en main le document produit par la plaignante à la suite de la discussion informelle, dont il a été question précédemment dans les présents motifs. La plaignante a cependant déclaré qu’elle ne s’attendait pas à ce que le comité d’évaluation tienne compte de ce document.

74Mme Lussier a fait état des résultats de son examen à Mme Maathuis Quinn, qui a informé la plaignante par courriel le 7 février 2013 que ses résultats initiaux ne seraient pas modifiés.

75Le 19 février 2013, Mme Lussier a eu une discussion informelle en personne avec la plaignante au sujet de ses résultats pour la capacité de raisonnement et le jugement.

(i) Allégations de manquements à l’équité procédurale

76Deux des principes fondamentaux de l’équité procédurale sont le droit de se faire entendre et le droit à un décideur impartial. Pour le second principe, l’existence d’une crainte raisonnable de partialité aurait pour effet d’invalider la décision.

a) Droit de se faire entendre

77Le seul mécanisme prévu dans la LEFP pour répondre aux préoccupations des candidats avant la fin d’un processus de nomination est exposé à l’article 47, et il s’agit de la discussion informelle. L’objectif de la discussion informelle a déjà été décrit. La gestionnaire délégataire, Mme Maathuis Quinn, a pris des mesures exemplaires, en plus de la discussion informelle, afin de répondre aux préoccupations de la plaignante. Aucune disposition de la LEFP ni aucune ligne directrice de la CFP n’imposent l’examen d’évaluations déjà effectuées.

78Le droit de la plaignante de se faire entendre a commencé à s’appliquer au moment où elle a présenté sa plainte au Tribunal. Dans la décision Liang c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2007 TDFP 0033, au paragraphe 40, le Tribunal a confirmé que le mécanisme de recours prévu par le législateur au regard des nominations internes commence par la présentation d’une plainte au Tribunal en vertu de l’article 77 de la LEFP et se termine par la décision rendue par le Tribunal au sujet de la plainte.

79Le traitement accordé aux préoccupations de la plaignante n’est pas prévu dans la LEFP ni dans aucune politique. Dans ce contexte, la plaignante n’avait pas droit à une rencontre officielle s’apparentant à une audience avec le comité d’évaluation pour expliquer en détail ses réponses et débattre du contenu du guide de cotation. Cependant, elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ses préoccupations soient examinées après que la gestionnaire délégataire eut décidé de procéder à un examen. À la lumière des éléments de preuve attestant la nature des préoccupations en question, le Tribunal est convaincu que M. Griffiths les a exposées et que Mme Maathuis Quinn les a examinées dans leur intégralité.

80De plus, la plaignante fait valoir que toutes les personnes ayant procédé à ses évaluations initiales auraient dû prendre part à l’examen. Elle n’a présenté aucun élément de preuve ni invoqué aucune décision antérieure à l’appui de cet argument. Le Tribunal estime que cette assertion n’est pas fondée.

b) Crainte raisonnable de partialité

81La plaignante soutient que le fait que Mme Lussier a examiné les évaluations qu’elle avait elle‑même effectuées initialement a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

82La plaignante soutient que la décision Fitzgerald c. Université Concordia, [1995] J.Q. no 3071, J.E. 95-1090 (C.S. Qué.) établit que, lorsqu’une affaire est réexaminée, la participation du décideur initial au réexamen peut donner lieu à une crainte raisonnable de partialité.

83L’affaire Fitzgerald se distingue nettement de la présente affaire. La décision Fitzgerald portait sur des règles procédurales établies par l’université, qui permettaient à une personne désireuse de contester une note d’examen d’obtenir d’abord une révision de la note, puis une réévaluation de l’examen et, si elle n’était toujours pas satisfaite, de recourir au comité d’appel. L’appelant a intenté un recours auprès du comité d’appel, qui a ordonné une deuxième réévaluation. Il a intenté un deuxième recours devant le comité d’appel, et celui‑ci a ordonné une autre réévaluation. La Cour a conclu à une crainte raisonnable de partialité dans le contexte de la dernière réévaluation, étant donné que la personne responsable de cette réévaluation était celle qui avait procédé à la précédente, qui s’était avérée non conforme. Comme il a déjà été expliqué dans les présents motifs, l’intimé n’était pas tenu, que ce soit en vertu d’une loi ou d’une politique, de suivre une procédure similaire. Le Tribunal constate également que dans l’affaire Fitzgerald, les procédures de l’Université Concordia prévoyaient que le premier examen de la note contestée devait être fait par la personne qui avait initialement attribué la note en question.

84En outre, dans la présente affaire, le décideur était, pendant toute la période visée, Mme Maathuis Quinn, et non Mme Lussier. D’après son témoignage, Mme Maathuis Quinn a conclu le 5 février 2013 que l’évaluation de la coordination d’équipe était juste. Elle n’a pas écarté la possibilité de poursuivre la discussion concernant la coordination d’équipe, mais seulement si la plaignante obtenait la note de passage pour la capacité de raisonnement et le jugement à la suite des examens effectués. À l’issue des examens, Mme Maathuis Quinn a décidé que les évaluations initiales demeuraient valides. À son avis, il n’y avait pas eu consensus entre M. Griffiths et Mme Lussier au sujet de la coordination d’équipe. Le Tribunal est convaincu qu’à titre de présidente du comité d’évaluation, Mme Maathuis Quinn avait le pouvoir de résoudre toute question qui n’avait pas fait l’objet d’un consensus, et de statuer sur cette question.

85Même s’il fallait conclure que Mme Lussier était la décideuse dans le cadre des examens qui ont été menés en l’espèce, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve lui permettant de faire une constatation de crainte raisonnable de partialité.

86Le critère de la crainte raisonnable de partialité est bien établi (voir les décisions Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), 1978 1 R.C.S. 369, para. 394, et Newfoundland Telephone Company c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), 1992 1 R.C.S. 623). Le Tribunal applique ce critère aux cas de plaintes relatives à la dotation (voir, par exemple, la décision Gignac c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, para. 72 à 74).

87En l’espèce, le Tribunal conclut qu’un observateur relativement bien renseigné ne percevrait pas de partialité de la part de Mme Lussier. Dans un processus de nomination, il n’est pas rare qu’un candidat conteste la conclusion de l’évaluateur. Il n’y avait jamais eu de conflit entre la plaignante et Mme Lussier. Le simple fait que Mme Lussier avait établi auparavant que la plaignante ne satisfaisait pas aux exigences ne suffit pas à jeter un doute sur sa capacité de procéder à un examen impartial de son évaluation initiale.

88Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait enfreint les règles d’équité procédurale dans les mesures qu’il a prises pour répondre à ses préoccupations concernant son évaluation.

ii)         Allégations de manquements aux politiques de l’ASFC et aux lignes directrices de la CFP

89Le Tribunal estime que l’intimé n’a pas enfreint sa politique ni agi de manière déraisonnable en rejetant les deux demandes de la plaignante en vue de s’entretenir avec Brent McRoberts, directeur général de la Direction du soutien opérationnel des systèmes. Le Guide de dotation à l’ASFC prévoit à la page 47 que « […] si un candidat n’est pas satisfait relativement à l’information fournie par un des membres du comité d’évaluation durant la discussion informelle, le candidat peut demander d’avoir une nouvelle conversation directement avec le gestionnaire subdélégué ». Ce guide mentionne également, à la même page : « Si la raison pour laquelle la candidature d’une personne a été rejetée et n’a pas été retenue en vue d’une nomination est la même, alors l’offre de la tenue d’une seule discussion informelle suffit. »

90M. McRoberts était le champion et un des directeurs généraux investis de pouvoirs de nomination subdélégués dans ce processus de nomination. Mme Maathuis Quinn était la gestionnaire subdélégataire chargée de superviser les évaluations. La plaignante a demandé une rencontre pour la première fois le 5 février 2013. La demande a été redirigée à Mme Maathuis Quinn; cependant, l’examen n’était toujours pas terminé à ce moment‑là. Une seconde demande a été présentée le 11 février 2013. Encore une fois, Mme Maathuis Quinn y a répondu. L’examen était alors terminé, et les raisons pour lesquelles la plaignante avait été éliminée du processus n’avaient pas changé.

91Conformément à la politique de l’ASFC, Mme Maathuis Quinn était la gestionnaire qui devait traiter les préoccupations de la plaignante, et c’est effectivement elle qui y a répondu. La politique de l’ASFC dispose que la tenue d’une autre discussion informelle est discrétionnaire, et qu’elle est recommandée si les raisons pour lesquelles le candidat a été éliminé du processus ont changé à la suite de la première discussion informelle. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

92En ce qui concerne l’allégation de manquement aux lignes directrices de la CFP, les lignes directrices en matière de discussion informelle de la CFP indiquent que les erreurs et les méprises peuvent être corrigées; toutefois, il n’a pas été établi qu’il y avait quoi que ce soit à corriger en l’espèce. Comme l’a déjà souligné le Tribunal, il n’existe aucune ligne directrice de la CFP qui s’applique aux évènements qui ont suivi la discussion informelle en l’espèce.

93Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait enfreint une politique de l’ASFC ou des lignes directrices de la CFP dans la façon dont il avait répondu à ses préoccupations concernant son évaluation.

iii)         Allégation de mauvaise foi

a) Incohérence dans l’attribution des notes

94La preuve ne corrobore pas l’affirmation de la plaignante selon laquelle l’intimé a manqué de cohérence dans l’attribution des notes. Le simple fait que la note d’un autre candidat a été modifiée après la discussion informelle, en l’absence d’éléments de preuve indiquant pourquoi cette note a été changée, ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour confirmer cette allégation. Le Tribunal a établi que l’intimé avait agi de manière équitable en décidant de ne pas modifier les notes de la plaignante. Celle‑ci n’a présenté aucun autre élément de preuve à l’appui de son allégation.

b)Information trompeuse

95Le 7 février 2013, Mme Maathuis Quinn a envoyé un courriel à la plaignante pour lui confirmer les résultats de l’évaluation initiale. Avant que Mme Maathuis Quinn envoie son courriel, M. Griffiths avait dit à la plaignante que Mme Lussier et lui étaient parvenus à un consensus, et que sa note pour la coordination d’équipe passerait de 2 à 3.

96Étant donné qu’aucune décision définitive n’avait été rendue à l’égard de la plaignante dans ce processus de nomination, il était imprudent de la part de M. Griffiths de communiquer quelque information que ce soit à la plaignante au sujet de l’examen en cours. À la lumière de la preuve, le Tribunal estime que M. Griffiths a agi de son propre chef en communiquant à la plaignante de l’information trompeuse. Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve laissant croire que la gestionnaire délégataire était au courant du geste de M. Griffiths à cet égard.

97Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait agi de mauvaise foi dans la façon dont il avait répondu à ses préoccupations concernant son évaluation.

98Le Tribunal juge que l’intimé a pris des mesures plus qu’adéquates pour répondre aux préoccupations de la plaignante. Le Tribunal est convaincu que l’intimé a procédé à un examen approfondi en tenant compte de l’ensemble de ces préoccupations avant de parvenir à sa conclusion définitive.

Décision

99Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la plainte est rejetée.


Merri Beattie
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2013-0110
Intitulé de la cause :
Genevieve Johnston c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Audience :
7 et 8 novembre 2013, Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
21 février 2014

COMPARUTIONS :

Pour la plaignante :
Craig Stehr, Nelligan O’Brien Payne
Pour l’intimé :
Josh Alcock, Service juridique, SCT
Pour la Commission
de la fonction publique :
Claude Zaor, conseiller en politiques
(observations écrites)
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