Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a soutenu que ses qualifications n’ont pas été évaluées de façon appropriée. Sa candidature a été rejetée à la présélection parce qu’il ne possédait pas deux des qualifications relatives à l’expérience. Il avait toutefois l’impression de posséder toutes les qualifications requises pour le poste. Il a également affirmé qu’il y a eu partialité à son endroit parce qu’un des membres du comité d’évaluation l’avait traité avec mépris par le passé, et il a fait référence à un courriel que cette personne avait envoyé en 2009 et à l’intervention qu’elle avait faite en 2011. Le plaignant a ajouté que l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel lorsqu’il a sélectionné le candidat nommé étant donné que le père de ce dernier était anciennement directeur de l’établissement et que le candidat nommé faisait partie de la Première Nation à qui appartenait le territoire où est situé le Pavillon de ressourcement Willow Cree. Le plaignant a indiqué avoir été victime de discrimination basée sur la race. Il avait déclaré son appartenance au groupe des Autochtones dans sa demande d’emploi. Décision: Le Tribunal a conclu qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir dans l’évaluation de l’expérience du plaignant. En ce qui concerne l’allégation de partialité, le Tribunal a jugé que le membre du comité a agi dans les limites de ses responsabilités. Cette personne avait expliqué les mesures qu’elle avait prises, et le Tribunal n’était pas convaincu qu’elle avait agi de façon déraisonnable ou que les événements justifiaient une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du plaignant. Le Tribunal a aussi conclu que la preuve n’établissait pas qu’il y avait eu favoritisme personnel dans la décision de nommer le candidat sélectionné au poste. Relativement à l’allégation de discrimination basée sur la race, selon le rapport du comité de présélection, le plaignant faisait partie de la zone de sélection. Le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’égard de la discrimination, outre son affirmation que sa race avait influé sur le traitement de sa candidature. Le Tribunal a jugé que le plaignant n’a pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination basée sur la race. La plainte est rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2013-0210
Rendue à :
Ottawa, le 2 juin 2014

COREY NASH
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Nash c. Commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2014 TDFP 10

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Corey Nash, a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP), au motif que sa candidature a été éliminée d’un processus de nomination interne annoncé pour le poste de directeur exécutif de trois pavillons de ressourcement au sein du Service correctionnel du Canada (SCC). Plus précisément, la plainte porte sur la nomination au poste de directeur exécutif au Pavillon de ressourcement Willow Cree de Duck Lake, en Saskatchewan (Willow Cree). Le plaignant est d’avis que ses qualifications n’ont pas été évaluées de façon appropriée. Il soutient également qu’il y a eu partialité à son endroit, discrimination fondée sur la race et favoritisme personnel à l’égard du candidat sélectionné.

2 L’intimé, le commissaire du Service correctionnel du Canada, nie tout abus de pouvoir. Il affirme que le plaignant n’a pas réussi à démontrer qu’il possédait deux des qualifications essentielles relatives à l’expérience qui avaient été établies pour le poste de directeur exécutif. Par conséquent, sa candidature a été éliminée, comme il se devait.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas comparu en l’espèce, mais elle a présenté des observations écrites dans lesquelles elle explique les lignes directrices et les politiques pertinentes de la CFP. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

4 Avant l’audience, le plaignant a envoyé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), conformément à l’article 78 de la LEFP, pour l’aviser qu’il avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP). La CCDP a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’observations en l’espèce.

5 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a établi que la preuve ne permettait pas de conclure à un abus de pouvoir. En effet, la preuve indique que le plaignant a vu sa candidature éliminée du processus d’évaluation, car il n’avait pas réussi à démontrer qu’il possédait deux des qualifications essentielles relatives à l’expérience. En outre, la preuve n’appuie pas les allégations d’évaluation inappropriée, de partialité, de favoritisme personnel ni de discrimination fondée sur la race.

Contexte

6 L’intimé a lancé un processus de nomination annoncé pour doter le poste de directeur exécutif et a reçu 15 demandes d’emploi avant la date de clôture, qui était fixée au 10 décembre 2012. Brenda LePage, qui occupait alors le poste de sous-commissaire régionale, Région des Prairies, SCC, a effectué la présélection des candidatures afin d’établir si chaque candidat possédait les qualifications requises pour le poste sur les plans de l’expérience et des études. Elle a déterminé que cinq candidats satisfaisaient aux exigences de présélection et feraient donc l’objet d’une évaluation plus poussée. Le plaignant a quant à lui vu sa candidature rejetée à la présélection, étant donné que Mme LePage a déterminé qu’il ne possédait pas deux des qualifications relatives à l’expérience.

Questions en litige

7 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de l’expérience du plaignant?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité à l’endroit du plaignant?
  3. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée?
  4. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de façon discriminatoire à l’endroit du plaignant en raison de sa race?

Analyse

8 L’article 77(1) de la LEFP prévoit qu’une personne qui se trouve dans la zone de recours peut présenter une plainte au Tribunal selon laquelle elle n’a pas été nommée ou elle n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. C’est au plaignant qu’il incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir.

9 L’abus de pouvoir en tant que tel n’est pas défini dans la LEFP. Toutefois, selon l’article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par "abus de pouvoir" la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». L’abus de pouvoir englobe également la conduite irrégulière et les omissions. C’est la nature et la gravité de la conduite irrégulière ou de l’omission qui permettent d’établir s’il s’agit ou non d’un abus de pouvoir. Voir la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 66. 

Question I:   L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de l’expérience du plaignant?

10 Le plaignant a vu sa candidature éliminée du processus de nomination, car Mme LePage a établi qu’il ne possédait pas deux des qualifications liées à l’expérience. Ces qualifications sont reproduites ci-dessous, avec les définitions applicables qui figuraient dans l’énoncé des critères de mérite (ECM) :

[traduction]

  • Expérience appréciable* de la gestion** des opérations, des programmes ou des services dans une collectivité ou un établissement correctionnel et, à cette fin, établissement et mise en œuvre des politiques et procédures opérationnelles. (expérience 1)
  • Expérience appréciable* de la gestion** de ressources humaines et financières. (expérience 2)

*Par « appréciable », on entend une expérience de plus de quatre (4) ans (cycles opérationnels continus et complets) au sein d’un établissement, d’une collectivité ou d’un domaine d’activité de projet.

**Par « gestion », on entend l’exercice de responsabilités et de pouvoirs délégués directs en matière de ressources humaines et financières pendant au moins deux (2) cycles budgétaires complets.

11 Le plaignant a expliqué qu’il occupait le poste d’agent de libération conditionnelle depuis 2004. Il avait postulé le poste de directeur exécutif suivant les encouragements d’un mentor. Lorsqu’il a décidé de postuler, il avait l’impression de posséder toutes les qualifications requises pour le poste.

12 Avant de présenter sa demande, il avait envoyé un courriel à Louise Berthiaume, gestionnaire, Ressourcement des cadres, SCC, pour lui demander si les études postsecondaires pouvaient être prises en considération aux fins de l’évaluation de l’expérience « appréciable ». Mme Berthiaume lui avait répondu que les études et l’expérience seraient évaluées séparément. Elle avait ajouté ce qui suit : [traduction] « Nous évaluerons les critères relatifs à l’expérience en fonction de l’expérience du candidat "de la gestion des interventions et/ou des opérations correctionnelles dans un établissement correctionnel ou un milieu correctionnel au sein d’une collectivité" et nous n’accorderons aucun point pour les grades en ce qui a trait à l’exigence relative à l’expérience. »

13 Le plaignant a remarqué que l'expression « milieu correctionnel au sein d’une collectivité » utilisée par Mme Berthiaume ne figurait pas dans l’ECM, qui mentionnait simplement le terme « collectivité ». Le plaignant avait l’impression que l’expérience qu’il avait acquise, même si elle ne l’avait pas été entièrement dans un milieu correctionnel, satisfaisait aux exigences relatives à l’expérience de même qu’aux définitions d’« appréciable » et de « gestion ».

14 Dans sa demande d’emploi, le plaignant a abordé les qualifications relatives à l’expérience en décrivant trois postes qu’il avait occupés. À partir de 2008, il avait assumé le rôle de coprésident du Réseau des employés autochtones (REA), une communauté de pratique autochtone interministérielle travaillant en collaboration avec l’ancien Conseil fédéral de l’Alberta. Même si le REA ne comptait aucun employé ni ne comportait aucune responsabilité en matière de ressources humaines, il recevait ponctuellement un financement pour des projets, attribuait des contrats de service et mettait régulièrement en œuvre des projets dans le respect du budget établi. Du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010, le plaignant avait occupé par intérim le poste de superviseur des agents de libération conditionnelle, poste dans le cadre duquel il avait pour responsabilités le recrutement, la formation et la supervision fonctionnelle des agents de libération conditionnelle. Il a également mentionné que du 26 mars au 30 juin 2012, il avait collaboré avec des partenaires et des organismes externes pour mettre en œuvre un programme de formation sur les échafaudages à l’intention des détenus.

15 C’est Mme LePage qui a élaboré l’ECM pour le poste de directeur exécutif. Elle a décrit le poste comme l’équivalent du poste de directeur dans un établissement à sécurité minimale. Willow Cree est dirigé dans le respect des aspects culturels et traditionnels. Ainsi, il est important que le directeur exécutif connaisse la culture et soit de descendance autochtone afin d’être en mesure d’assumer son rôle de direction, de comprendre le personnel de l’établissement et les détenus, qui font partie des Premières Nations, et de nouer des liens avec eux.

16 Le directeur exécutif siège au comité de gestion régional et occupe un poste de haut fonctionnaire dont relèvent les gestionnaires subalternes. Willow Cree accueille 40 détenus. Mme LePage a affirmé que les tâches de directeur exécutif englobaient des responsabilités administratives et un leadership en ce qui a trait à la gestion du budget, des ressources humaines, des personnes et des biens, de même qu’à la réinsertion et à la réintégration des détenus. La gestion du budget comprend la planification, les prévisions de trésorerie, la gestion, la préparation de rapports financiers et l’exercice des pouvoirs délégués en matière de finances en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C., 1985, ch. F-11, en particulier les articles 32 et 34. La gestion des ressources humaines comprend la gestion des employés, la dotation, la discipline, les relations de travail, la prévention du harcèlement et le perfectionnement professionnel.

17 Mme LePage a affirmé que pour qu’il soit déterminé qu’un candidat satisfaisait au critère d’expérience 1, il devait posséder une vaste expérience de la gestion correctionnelle au sein d’un établissement ou d’une collectivité, par exemple au sein d’un bureau de libération conditionnelle. Cette expérience pouvait avoir été acquise dans le cadre d’un poste de niveau AS-08 de directeur exécutif ou dans un poste subalterne qui relevait d’un poste de niveau équivalent. Parmi les postes acceptés, il y avait des postes de gestionnaire de programme, de la sécurité et de bureau de libération conditionnelle. L’exigence relative à l’expérience de la gestion dans un milieu correctionnel s’appliquait à tous les candidats.

18 Mme LePage a également traité du critère d’expérience 2. Pour satisfaire à ce critère, les candidats devaient démontrer qu’ils possédaient une expérience de la gestion du budget étalée sur deux cycles complets, ce qui comprenait la planification, les prévisions de trésorerie, la gestion, le rapprochement des comptes et la production de rapports. En ce qui a trait aux ressources humaines, les candidats devaient démontrer qu’ils avaient géré un groupe d’employés et qu’ils avaient assumé des responsabilités de gestion dans les domaines de la dotation, des relations de travail, de la prévention du harcèlement et du perfectionnement professionnel.

19 Mme LePage estimait que ces deux qualifications relatives à l’expérience étaient fixées à un niveau qui correspondait à un poste de directeur exécutif AS-08 faisant partie de la haute direction. Il ne s’agissait pas d’un poste de niveau d’entrée.

20 Mme LePage a expliqué comment elle avait évalué les renseignements fournis dans la demande d’emploi du plaignant.

21 Pour satisfaire au critère d’expérience 1, il fallait avoir géré des cycles opérationnels complets et continus pendant plus de quatre ans. Mme LePage a estimé que l’année que le plaignant avait passée à occuper par intérim le rôle de superviseur des agents de libération conditionnelle, au cours de laquelle il avait formé, recruté et supervisé sur le plan fonctionnel des agents de libération conditionnelle, lui permettait de satisfaire à certains aspects du critère d’expérience 1. Toutefois, l’étendue de cette expérience n’était pas suffisante et ne démontrait pas que le plaignant avait acquis une expérience de la gestion, de l’élaboration de politiques ou de l’établissement d’une vision, par exemple. Le plaignant avait fourni l’exemple de la mise en œuvre d’un programme de formation sur les échafaudages, ce qui démontrait qu’il possédait une expérience de l’établissement de partenariats et de la collaboration avec différents ordres de gouvernement, et qu’il possédait les compétences à cet égard. Toutefois, ce projet ne s’étalait que sur une période de trois mois. La durée cumulative de ces diverses fonctions, même si celles-ci satisfaisaient aux exigences sur le plan de la profondeur du critère d’expérience 1, était toutefois insuffisante pour satisfaire à l’exigence de quatre ans.

22 Mme LePage a également indiqué qu’elle avait évalué les activités que le plaignant avait réalisées pour le compte du REA afin d’établir s’il satisfaisait au critère d’expérience 1 ou 2. Elle a affirmé bien connaître les travaux réalisés au sein du REA. Elle savait qu’il s’agissait d’une communauté de pratique financée et appuyée par le Conseil fédéral de l’Alberta. Il s’agissait d’une organisation d’envergure, mais dont les activités étaient insuffisantes pour fournir au plaignant le niveau d’expérience de gestion requis pour que celui-ci satisfasse au critère d’expérience 1. Mme LePage a cité un passage de la demande d’emploi du plaignant où ce dernier résume son expérience au sein du REA de la façon suivante : [traduction] « Comme je l’ai mentionné ci-dessus, à titre de chef de cette communauté autochtone, j’ai avec mon équipe fourni des services dans ce domaine d’activité de projet pendant quatre cycles budgétaires complets du gouvernement fédéral. » Mme LePage a affirmé que cette phrase correspondait précisément à sa propre compréhension et connaissance du rôle et des fonctions du REA. Il s’agit d’un organisme qui met en œuvre des projets financés, à court terme. De plus, en ce qui a trait au critère d’expérience 2, les travaux réalisés au sein du REA n’ont pas permis au plaignant d’acquérir l’expérience de la gestion de ressources humaines et financières pendant deux cycles budgétaires complets. Le financement des projets auquel faisait référence le plaignant n’était pas suffisamment complexe pour que celui-ci satisfasse au critère d’expérience 2. En outre, aucun employé ne relevait du REA, de sorte que celui-ci ne comportait aucune responsabilité relative à la dotation, aux relations de travail, à la supervision, à l’examen du rendement ou à la supervision de membres du personnel.

23 Pour le critère d’expérience 2, Mme LePage a également pris en considération l’expérience du plaignant à titre de superviseur par intérim des agents de libération conditionnelle, même si elle n’était pas certaine que les tâches qu’il avait accomplies dans ce cadre étaient suffisamment vastes pour satisfaire aux exigences. De plus, elle a tenu compte de l’expérience du plaignant dans le cadre du projet de formation sur les échafaudages, mais elle a constaté qu’il n’y avait aucune preuve que le plaignant y avait assumé des tâches de contrôle budgétaire ou de supervision de personnel relevant de lui. Quoi qu’il en soit, la durée cumulative de cette nomination intérimaire et l’expérience acquise dans le cadre du projet de formation sur les échafaudages étaient insuffisantes pour correspondre à la définition d’« appréciable ».

24 Après avoir vu sa candidature éliminée du processus de nomination du fait qu’il avait été déterminé qu’il ne satisfaisait pas aux critères d’expérience 1 et 2, le plaignant a communiqué avec Mme LePage pour en savoir plus sur le processus de présélection. Mme LePage lui a répondu par courriel le 15 avril 2013. Dans sa réponse, elle a ajouté les mots « normes et objectifs de travail » lorsqu’elle a évoqué le critère d’expérience 1.

25 Mme LePage a reconnu que les critères d’expérience tels qu’ils étaient rédigés dans l’ECM n’étaient pas reproduits exactement ni dans son courriel ni dans celui qui avait été envoyé par Mme Berthiaume le 10 décembre 2012. Elle a affirmé qu’en ajoutant des mots supplémentaires, elle avait tenté d’expliquer clairement au plaignant la profondeur et le niveau d’expérience requis et qu’elle croyait que Mme Berthiaume avait probablement tenté de faire de même. Elle a toutefois ajouté qu’au moment où elle a effectué la présélection des candidats, elle s’était reportée à une copie de l’ECM, où figurait la formulation exacte des critères. C’est ce document qu’elle avait utilisé pour effectuer la présélection.

26 Le Tribunal a établi dans maintes décisions que son rôle consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir, et non à réévaluer les candidats ou à reprendre le processus de nomination. Voir, par exemple, la décision Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020. Plutôt que de procéder à une nouvelle évaluation, le Tribunal examine l’évaluation effectuée et tente d’établir s’il y a eu des irrégularités qui pourraient constituer un abus de pouvoir. Voir la décision Stamp c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2014 TDFP 4, para. 42.

27 Le Tribunal juge que le témoignage de Mme LePage démontre que celle-ci a dûment tenu compte de tous les renseignements qui figuraient dans les documents de demande d’emploi du plaignant. Le Tribunal est convaincu que Mme LePage a appliqué de façon appropriée les critères d’expérience 1 et 2 tels qu’ils figuraient dans l’ECM. Dans son témoignage, elle a offert une explication raisonnable de son évaluation des critères d’expérience 1 et 2 et des motifs pour lesquels elle avait établi que le plaignant n’était pas qualifié. Dans un cas comme dans l’autre, le plaignant n’avait pas accumulé l’expérience requise sur les plans de la profondeur ou de la durée. Le plaignant peut fort bien contester l’évaluation, mais il n’a présenté aucune preuve indiquant que celle-ci était inappropriée ou déraisonnable.

28 Par conséquent, le Tribunal juge qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir dans l’évaluation de l’expérience du plaignant.

Question II:   L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité à l’endroit du plaignant?

29 Le plaignant est d’avis que Mme LePage l’avait traité avec mépris par le passé. Par conséquent, il estime que celle-ci a fait preuve de partialité à son endroit et qu’elle n’était pas en mesure d’évaluer de façon appropriée sa demande d’emploi. À titre d'exemple, le plaignant a fait référence à un courriel qu’elle avait envoyé à Don Head, commissaire du SCC, en 2009, ainsi qu’à l’intervention qu’elle avait faite lorsqu’il avait été désigné pour faire partie du comité d’enquête de l’établissement de Stony Mountain en 2011.

30 Mme LePage a affirmé qu’à titre de sous-commissaire, elle était responsable des 3 500 membres du personnel de la Région des Prairies. Elle estimait n’entretenir aucune relation personnelle ou professionnelle directe avec le plaignant, même si elle se rappelait l’avoir rencontré à une activité destinée au personnel autochtone.

31 Dans le cadre de son poste de sous-commissaire, Mme LePage avait été informée par le gestionnaire du plaignant que ce dernier éprouvait des difficultés continues dans le milieu de travail. En effet, il avait déjà présenté une plainte de harcèlement. Même s’il avait été établi que la plainte n’était pas fondée, Mme LePage avait tout de même demandé un examen de son dossier d’employé afin de pouvoir évaluer s’il était traité de façon équitable, particulièrement en ce qui a trait aux affectations de perfectionnement. À la suite de l’examen de son dossier, elle était convaincue que le plaignant se voyait offrir de telles possibilités.

32 Le 18 juin 2009, Mme LePage a reçu une copie d’un courriel que M. Head avait envoyé au plaignant. Selon le contenu de ce courriel, M. Head répondait aux préoccupations soulevées par le plaignant. Mme LePage a répondu à M. Head pour lui faire part de son évaluation de la situation et des efforts qu’elle avait déployés pour la régler. Ce courriel était libellé comme suit :

[traduction]

À l’heure actuelle, Corey semble insister (du moins auprès des gestionnaires locaux et régionaux) sur le fait que nous ne le traitons pas correctement, car nous refusons de lui offrir une promotion en ne le nommant pas directement au Comité de gestion régional ou au Comité de direction, dans un contexte où il occupe un poste WP-4. Il croit sincèrement être un employé prometteur qui n’a pas obtenu de promotion en raison de représailles ou d’une punition à la suite de son entente avec le SCC. Pour ma part, je ne trouve aucune preuve de cette allégation. Afin qu’il puisse profiter de certaines affectations de perfectionnement et combler des lacunes dans ses compétences en leadership, Jan lui a offert des affectations à un poste de même niveau et a même fait appel à des partenaires (Stan Daniels et d’autres ministères) pour tenter de lui obtenir une affectation à l’extérieur du SCC, dans l’espoir qu’un changement d’environnement lui permettrait de prendre un nouveau départ. Or, il a rejeté ces offres en indiquant qu’elles n’étaient pas dignes de lui.

33 Pour ce qui est du règlement dont il est question dans ce courriel, Mme LePage a affirmé qu’il était courant au SCC que les plaintes des employés soient réglées au moyen d’une entente de règlement. Elle savait qu’une entente avait été conclue entre le plaignant et le SCC, mais elle n’était pas au courant des détails puisqu’elle n’avait pas participé à ce processus.

34 Quant au comité d’enquête formé en 2011 à l’établissement de Stony Mountain, Mme LePage a affirmé qu’elle savait déjà que le plaignant souhaitait faire partie d’un comité d’enquête. Toutefois, elle avait commencé à avoir des inquiétudes lorsqu’elle a constaté que la candidature du plaignant était envisagée pour ce comité d’enquête précis, car elle savait que le plaignant y avait déjà travaillé. De plus, elle savait que l’entente de règlement conclue entre le plaignant et l’intimé était fondée sur des événements qui s’étaient produits à cette époque. Elle avait l’impression qu’il ne serait pas judicieux que le plaignant retourne sur les lieux où il avait vécu une expérience stressante. De plus, elle craignait qu’il y ait des plaintes de conflits d’intérêts ou de partialité contre le SCC en raison de la participation du plaignant à un comité d’enquête à l’établissement de Stony Mountain. Elle croyait qu’il serait avantageux pour tout le monde que le plaignant soit affecté à une autre enquête. Cependant, étant donné que les comités d’enquête ne relevaient pas de son autorité, elle a communiqué avec la Direction des enquêtes sur les incidents pour lui faire part de ses préoccupations.

35 Le Tribunal juge que la preuve ne permet pas d’établir qu’il y a eu partialité avérée de la part de Mme LePage. Ainsi, il doit déterminer si la preuve est suffisante pour appuyer une allégation de crainte raisonnable de partialité.

36 Au paragraphe 125 de la décision Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, le Tribunal a fait référence à la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, où le critère de la crainte raisonnable de partialité est défini de la façon suivante, à la page 394 :

[L]a crainte raisonnable de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

37 Toujours dans la décision Denny, le Tribunal a fait référence à une interprétation plus récente du critère, présentée dans la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities, [1992] 1 R.C.S. 623, [1992] A.C.S. no 21 (QL), au paragraphe 22 (QL), et l’a appliquée aux circonstances de la plainte en l’espèce. Selon la jurisprudence, le critère de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte d’une plainte de dotation peut être formulé de la façon suivante : Est-ce qu’un observateur relativement bien renseigné qui examinerait le processus pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez Mme LePage? Voir la décision Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010.

38 Le plaignant se fonde sur deux incidents pour affirmer que Mme LePage a fait preuve de partialité à son endroit : son courriel à M. Head en 2009 et son intervention dans la sélection du plaignant pour le comité d’enquête en 2011. Pour ce qui est du premier incident, il est évident que Mme LePage a informé son supérieur de ses échanges avec le plaignant en fonction de sa connaissance et de son évaluation, de même que des renseignements provenant des gestionnaires du plaignant. Cette note d’information fait suite à des communications antérieures entre le supérieur de Mme LePage et le plaignant. Ce dernier ne conteste pas le contenu du courriel de Mme LePage. Pour ce qui est du deuxième incident, dans le cadre duquel la candidature du plaignant était envisagée pour un comité d’enquête à l’établissement de Stony Mountain, Mme LePage a expliqué la nature de sa préoccupation et les motifs qui l’ont amenée à agir de la sorte; elle souhaitait en effet que le plaignant vive une expérience positive et que l’enquête ne puisse pas faire l’objet de plaintes. Elle n’avait toutefois pas le pouvoir de sélectionner les enquêteurs pour le comité d’enquête, ni de les en retirer. Toutefois, elle estimait qu’elle se devait de fournir les renseignements pertinents aux personnes responsables.

39 Dans les deux cas, Mme LePage a agi dans les limites de ses responsabilités à titre de sous-commissaire. Elle a expliqué les mesures qu’elle avait prises, et le Tribunal n’est pas convaincu qu’elle a agi de façon déraisonnable ou que les événements justifient une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du plaignant. En outre, aucune preuve n’a été présentée pour établir un lien entre les deux incidents et l’évaluation de l’expérience du plaignant dans le cadre du processus de nomination susmentionné. Voir la décision Praught et Pellicore c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 0001, para. 66.

40 S’il applique le test évoqué dans la décision Gignac aux faits en l’espèce, le Tribunal juge qu’une personne relativement bien informée, qui examinerait l’affaire de façon raisonnable, conclurait qu’il est plus probable que le contraire que Mme LePage a évalué le plaignant de façon équitable.

41 Par conséquent, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu partialité avérée ou qu’il y a crainte raisonnable de partialité de la part de Mme LePage.

Question III:   L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée?

42 Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, l’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP, mais l’article 2(4) précise que celui-ci comprend le favoritisme personnel et la mauvaise foi. Par exemple, dans la décision Glasgow c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2008 TDFP 0007, au paragraphe 41, le Tribunal a affirmé que le favoritisme personnel pouvait inclure la sélection d’une personne fondée uniquement sur des relations personnelles, à titre de faveur personnelle ou dans le but d’obtenir la faveur de quelqu’un d’autre.

43 Le plaignant affirme que l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel lorsqu’il a sélectionné le candidat qui a ensuite été nommé au poste de directeur exécutif, étant donné que le père de ce dernier était anciennement directeur de l’établissement et que le candidat nommé fait partie de la Première Nation de Beardy et Okemasis (Première Nation), à qui appartient le territoire où est situé Willow Cree.

44 Mme LePage a indiqué que le SCC avait conclu une entente avec la Première Nation qui fait en sorte que Willow Cree peut être situé sur son territoire et qui établit des objectifs pour l’embauche de membres des Premières Nations. Toutefois, la Première Nation n’a aucun pouvoir sur les décisions de dotation, et aucune entente n’oblige le SCC à en embaucher expressément les membres.

45 Mme LePage a expliqué que le candidat nommé avait postulé le poste de directeur exécutif et avait fait l’objet d’une évaluation, après quoi il avait été déterminé qu’il possédait les qualifications établies. Cet employé du SCC avait assumé progressivement des rôles de direction de plus en plus importants avant de postuler ce poste. Il a déclaré appartenir au groupe des Autochtones et il fait également partie de la Première Nation. Son père était effectivement le premier directeur de Willow Cree. Mme LePage a toutefois affirmé qu’aucun de ces faits n’avait influé sur la sélection effectuée à l’issue du processus de nomination. Elle a ajouté que depuis la nomination du premier directeur de l’établissement, les directeurs suivants qui avaient été nommés étaient soit des Métis, soit des membres d’autres Premières Nations.

46 Le Tribunal estime que la preuve n’établit pas que le favoritisme personnel a influé sur la décision de nommer le candidat sélectionné au poste de directeur exécutif. La contestation semble se limiter au fait que le candidat nommé fait partie de la Première Nation et est le fils d’un ancien directeur exécutif de l’établissement. Le plaignant n’a pas contesté les qualifications de cette personne. Le Tribunal conclut donc qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la nomination a été teintée par le favoritisme personnel ou par toute considération autre que le mérite.

Question IV:   L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de façon discriminatoire à l’endroit du plaignant en raison de sa race?

47 En vertu de l’article 80 de la LEFP, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’il établit si la plainte est fondée au titre de l’article 77.

48 L’article 7 de la LCDP prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi; en vertu de l’article 3(1) de la LCDP, les motifs de distinction illicite comprennent la race.

49 Pour établir que l’intimé a fait preuve de discrimination à son égard, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, tel que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (arrêt O’Malley).

50 La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si celles-ci sont jugées crédibles, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence d’une réplique de l’intimé. Dès lors qu’une telle preuve est établie, il revient à l’intimé de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable. Le Tribunal ne peut prendre en considération la réponse de l’intimé avant que n’ait été établie une preuve prima facie de discrimination. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] C.A.F. 204, para. 22.

51 Il n’est pas nécessaire que la discrimination soit le seul motif de la conduite reprochée pour qu’une plainte soit considérée comme fondée. Le plaignant doit uniquement prouver que la discrimination comptait parmi les facteurs ayant influé sur la décision de l’intimé. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, (C.A.F.), para. 7.

52 La zone de sélection pour le poste de directeur exécutif était la suivante :

[traduction]

Employés du Service correctionnel du Canada, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du Bureau de l’enquêteur correctionnel occupant un poste au Canada et indiquant leur appartenance au groupe des Autochtones au moment de postuler, conformément à la définition figurant dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

53 Le plaignant a déclaré son appartenance au groupe des Autochtones dans sa demande d’emploi. Selon le rapport du comité de présélection préparé par Mme LePage, le plaignant faisait partie de la zone de sélection. Il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le plaignant a vu sa candidature éliminée à la présélection en raison de sa race.

54 Bien que le Tribunal puisse tenir compte de ce que croit le plaignant, il doit s’agir de plus qu’une simple possibilité; comme l’a établi le Tribunal canadien des droits de la personne, « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ». Voir la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, para. 41; conf. par 2006 CF 785.

55 En l’espèce, le plaignant n’a présenté aucune preuve à cet égard, outre sa propre certitude qui l’a amené à formuler une allégation selon laquelle sa race a influé sur le traitement de sa candidature ou la décision de rejeter sa candidature à la présélection du processus de nomination. Ainsi, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race.

56 Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune preuve établissant que l’intimé a agi de façon discriminatoire à l’égard du plaignant pendant le processus de nomination susmentionné.

Décision

57 La plainte est rejetée.

Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2013-0210
Intitulé de la cause :
Corey Nash et le commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 15 et 16 avril 2014
Edmonton (Alberta)
Date des motifs :
Le 2 juin 2014

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Satinder Bains
Pour l’intimé :
Joshua Alcock
Pour la Commission
de la fonction publique :
Luc Savard

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