Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a allégué que son licenciement en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée – elle a en outre allégué que l'employeur avait fait preuve de discrimination contre elle – l'agent négociateur a retiré son soutien aux griefs – bien que le grief de mesure disciplinaire déguisée ait pu être entendu sans l'appui de l'agent négociateur, la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas comparu à l'audience – si le licenciement de la fonctionnaire s'estimant lésée en cours de stage était pour des motifs liés à l'emploi, la Commission n'a pas compétence – l'employeur avait des préoccupations légitimes quant à la nature des communications de la fonctionnaire s'estimant lésée et à la manière dont elle communiquait – par conséquent, son renvoi était de nature administrative, et non disciplinaire – la fonctionnaire s'estimant lésée n'a présenté aucune preuve visant à démontrer que son renvoi avait d'autres motifs que des motifs légitimes liés à l'emploi – les références fournies par la fonctionnaire s'estimant lésée dans certaines pièces selon lesquelles elle avait été traitée différemment en raison de ses profils linguistique, ethnique et religieux ne sont rien de plus que des croyances abstraites et ne suffisent pas à démontrer une preuve prima facie de discrimination. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date: 20150129
  • Dossier: 566-34-3629 et 3630
  • Référence: 2015 CRTEFP 13

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique


ENTRE

MICHÈLLE LE PAGE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Le Page c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Personne
Pour l'employeur:
Allison Sephton, avocate
Affaire entendue à Vancouver, en Colombie-Britannique,
les 6 et 7 janvier 2015
(Traduction de la CRTEFP)

I. Énoncé des griefs

1 La fonctionnaire s'estimant lésée (la « fonctionnaire »), Michèlle Le Page, a allégué que la cessation de son emploi en cours de stage constituait une mesure disciplinaire déguisée. Elle a de plus allégué que l'employeur avait pris des mesures discriminatoires contre elle, en violation de la clause 19 (« Élimination de la discrimination ») de la convention collective conclue entre l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'« agent négociateur ») et l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC » ou l'« employeur »), qui venait à échéance le 31 octobre 2010 (la « convention collective »), l'Agence n'a pas pris de mesure d'adaptation à son égard.

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission »), et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») dans sa version antérieure à cette date.

3 En d'autres mots, la nouvelle Commission exerce maintenant les fonctions qui étaient précédemment exercées par l'ancienne Commission.

II. Résumé de la preuve

4 À l'audience, Nicole O'Young, avocate de l'agent négociateur, m'a informée que l'agent négociateur retirait son appui aux griefs et qu'il ne représentait plus la fonctionnaire. Puisque le grief du dossier de la CRTEFP 566-34-3629 portait sur une violation alléguée de la convention collective, il ne pouvait pas être instruit sans l'appui de l'agent négociateur (paragraphe 208(4) de la Loi). Cependant, puisque le grief du dossier de la CRTEFP 566-34-3630 portait sur une allégation de mesure disciplinaire déguisée à titre de motif du renvoi de la fonctionnaire en cours de stage, il pouvait être instruit sans l'appui de l'agent négociateur. Mme O'Young en a informé la fonctionnaire. Elle l'a également informé de son droit de se représenter elle-même lors de l'audience. Même si ces renseignements lui ont été transmis et qu'elle a été informée de l'heure et du lieu de l'audience, la fonctionnaire ne s'est pas présentée. Elle n'a présenté aucune demande d'ajournement de la date d'audience. Par conséquent, l'audience relative au deuxième grief (dossier de la CRTEFP 566-34-3630) a eu lieu comme prévu.

5 Gail Krestanovich a été citée comme témoin par l'employeur. Au moment du renvoi en cours de stage de la fonctionnaire, elle était gestionnaire au Centre d'appels du Bureau des services fiscaux de la Vallée-du-Fraser-et-du-Nord. La fonctionnaire a été embauchée pour travailler à temps partiel au centre d'appels à partir du 14 janvier 2008. Conformément au programme de dotation de l'ARC, elle était assujettie à une période de probation de 12 mois consécutifs (voir la lettre d'offre, pièce 2). En tant qu'employée de l'ARC, la fonctionnaire devait examiner le Code de déontologie et de conduite de l'ARC (pièce 6) et démontrer les valeurs qui y étaient présentées.

6 Dès le début de son emploi, la fonctionnaire a fait montre d'une conduite perturbatrice, impolie, dénigrante et humiliante, qui a eu pour résultat son renvoi en cours de stage le 8 janvier 2009 (voir la pièce 1). Ce comportement ne démontrait pas la norme de conduite prévue par les valeurs d'intégrité, de professionnalisme, de respect et de collaboration de l'employeur.

7 L'employeur a présenté à titre de preuve des échanges de courriels dans lesquels la fonctionnaire a démontré qu'elle ne convenait pas à un emploi à l'ARC (voir les pièces 7 à 14, 16 et 17). Dans ses courriels, la fonctionnaire fait référence à ses collègues et à la direction en utilisant des termes très offensants et illustre son manque de respect pour les personnes avec qui elle travaillait.

8 Mme Krestanovich a décrit la fonctionnaire comme une personne avec qui il était difficile de traiter et qui agissait de manière inappropriée en milieu de travail. La fonctionnaire ne collaborait pas avec ses collègues ou avec la direction, ne suivait pas les directives et ne prenait pas part aux discussions visant à régler les problèmes. Elle a décrit sa gestionnaire, dans des courriels, comme une [traduction] « Nazie » (voir la pièce 7) et a exprimé sa haine des anglophones. Même si elle a été informée du caractère inapproprié de ces commentaires, ce type de comportement s'est poursuivi. Elle prenait à partie Mme Krestanovich quant à ses opinions à son sujet et au sujet des personnes ayant une maladie mentale et a demandé à plusieurs reprises des réponses à ces contestations par écrit. À un moment, la fonctionnaire a remis en cause la capacité de Mme Krestanovich de penser en l'absence de politiques et de directives écrites.

9 Le 2 juillet 2008, on a rappelé à la fonctionnaire par courriel qu'il y avait des attentes quant à la conduite appropriée à avoir en milieu de travail auxquelles elle, comme tout le monde, était tenue de répondre (voir les pièces 10 et 16). Elle a répondu en envoyant un courriel à Mme Krestanovich dans lequel elle lui demandait si elle la méprisait ou si elle la trouvait méprisable (voir la pièce 11).

10 La conduite de la fonctionnaire n'a pas changé et ses collègues hésitaient à travailler avec elle. Elle a continué de faire des commentaires inappropriés et non professionnels au sujet de ses collègues de travail (voir la pièce 13). Même si elle a reçu des conseils sur la communication appropriée avec ses collègues, son mode de communication non professionnel a persisté (voir la pièce 14). Les collègues qui travaillaient près d'elle ont demandé à être relocalisés.

11 Le 1er septembre 2008, un plan d'action élaboré par la fonctionnaire et sa chef d'équipe a été mis en place, dans le but de corriger son comportement (voir la pièce 15). Son point central était de corriger l'incapacité de la fonctionnaire à collaborer avec ses collègues et de l'aider à communiquer de manière positive et professionnelle.

12 Le 5 janvier 2009, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Krestanovich, dans lequel elle a indiqué qu'elle ne changerait pas son comportement en 2009 (voir la pièce 17); ce courriel a été le facteur décisif de la décision de Mme Krestanovich quant au stage de la fonctionnaire. La fonctionnaire a ensuite envoyé des courriels dans lesquels elle implorait Mme Krestanovich d'ignorer le premier courriel, qui se voulait être une plaisanterie. Mme Krestanovich a fait valoir que cela était conforme à la tendance de la fonctionnaire d'être offensante et non professionnelle dans ses communications et de s'excuser par la suite.

13 En raison de la conduite sans cesse irrespectueuse de la fonctionnaire à l'égard de ses collègues et de ses gestionnaires, malgré des efforts visant à la corriger, et des effets négatifs de sa présence sur le milieu de travail, Mme Krestanovich a recommandé à la direction de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.

14 Le 8 janvier 2009, la fonctionnaire a été informée que son emploi était terminé en raison de son incapacité à terminer avec succès sa période de probation. Elle a reçu deux semaines de rémunération en guise de préavis (voir la pièce 1) et a été informée de son droit de demander à ce que cette décision soit examinée dans le cadre du processus de « rétroaction individuelle et révision de la décision ». Elle a exercé ce droit et le processus a confirmé la décision de son renvoi en cours de stage (voir les pièces 4 et 5).

15 Aucune preuve n'a été fournie par la fonctionnaire.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

16 Je n'ai pas compétence pour trancher cette question puisqu'il s'agit d'un renvoi en cours de stage. Conformément à Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, je n'ai pas compétence en vertu de l'article 209 de la Loi, puisque le renvoi en cours de stage est de nature administrative et non disciplinaire. De plus, puisqu'un recours était prévu en vertu de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada (L.C. 1999, ch. 17), la fonctionnaire n'avait pas le droit de renvoyer un grief à l'arbitrage en vertu de la Loi (voir Hajjage c. Agence du revenu du Canada, 2011 CRTFP 5).

17 Malgré le manque de compétence, dans les cas de renvoi en cours de stage correctement présentés à la nouvelle Commission, l'employeur n'est pas tenu de démontrer qu'il avait un motif valable de renvoi. Lorsque l'employeur a établi que la fonctionnaire avait été renvoyée en cours de stage pour des motifs liés à l'emploi, et qu'elle a reçu une rémunération à titre de préavis, je n'avais pas compétence pour réviser la décision de l'employeur en l'absence de preuve indiquant que le renvoi n'avait pas de motif légitime lié à l'emploi et qu'il s'agissait en fait d'une  mesure disciplinaire déguisée, d'un subterfuge ou d'un camouflage (voir Tello aux paragraphes 111 et les suivants).

18 Il incombait à la fonctionnaire de démontrer que le renvoi en cours de stage avait d'autres motifs que des motifs légitimes liés à l'emploi. Elle a choisi de ne pas comparaître à l'audience et de ne pas présenter de preuve pour s'acquitter de son fardeau, même si elle était tout à fait au courant du moment et de l'endroit de l'audience et de son droit de poursuivre malgré le retrait de l'appui de l'agent négociateur.

19 D'un autre côté, l'employeur a établi que le comportement inapproprié de la fonctionnaire était perturbateur pour le milieu de travail et que les tentatives pour qu'elle modifie son comportement n'ont pas porté fruit. Cela suffisait à appuyer son renvoi en cours de stage (voir Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33).

20 La fonctionnaire ne s'est pas acquittée de son fardeau de la preuve, puisqu'elle n'a présenté aucune preuve. Par conséquent, je n'ai ni compétence ni pouvoir sur cette affaire. De plus, en ne se présentant pas, la fonctionnaire a abandonné son grief (voir Tshibangu c. Administrateur général (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2011 CRTFP 143; Gallan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 19; et Smid c. Administrateur général (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2014 CRTFP 24).

IV. Motifs

21 L'avocate de l'employeur a présenté avec exactitude le déplacement du fardeau de la preuve décrit dans Tello dans les affaires de renvoi en cours de stage. En l'espèce, l'employeur a établi un motif clair lié à l'emploi pour sa décision de renvoyer la fonctionnaire avant la fin de sa période de stage. Les préoccupations de l'employeur quant à la nature des communications de la fonctionnaire et à la manière dont elle communique sont légitimes.

22 J'ai examiné tous les courriels présentés à titre de preuve. Certains sont, à mon avis, particulièrement négatifs et n'indiquent aucune tentative de la fonctionnaire de répondre aux préoccupations de l'employeur. En particulier, je remarque les références d'être une [traduction] « bonne Nazie » dans la pièce 7, d'appeler [traduction] « maman et papa pour l'arranger pour moi » et de [traduction] « stupide gamine [juron] » dans la pièce 8, le courriel dans lequel elle demandait si sa gestionnaire la méprisait (voir la pièce 11), et ce qu'elle pensait de ses collègues à la pièce 13, indiquent qu'elle n'était pas faite pour répondre aux attentes de son employeur, telles qu'elles ont été présentées dans sa lettre d'offre (voir la pièce 2) durant la période de stage, ni qu'elle voulait y répondre ou qu'elle en avait la capacité.

23 Même si elle fait référence un peu partout dans les pièces à des problèmes de santé et à son impression d'être traitée différemment parce qu'elle était francophone et juive (voir les pièces 7, 9, 10 et 13) il semble ne s'agir que de croyances abstraites de sa part, insuffisantes pour démontrer une apparence de droit suffisante de discrimination (voir Filgueria c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785, aux paragr. 30-31) ou de s'acquitter du fardeau de la preuve conformément à Tello. En l'absence de preuve claire et convaincante à l'appui de son grief, qui aurait démontré une fraude ou un camouflage, une mesure disciplinaire déguisée ou de la discrimination pour un motif interdit, je dois fonder ma décision sur la preuve qui m'a été présentée et je conclus que je n'ai pas compétence pour entendre cette affaire.

24 Je n'ai pas besoin de traiter de la question de savoir si la fonctionnaire a abandonné son grief puisque, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, je n'ai pas compétence.

25 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

26 Le grief est rejeté.

Le 29 janvier 2015

Traduction de la CRTEFP

Margaret T. A. Shannon,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l'emploi dans
la fonction publique

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