Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a été sélectionnée aux fins de mise en disponibilité. Elle est atteinte de plusieurs déficiences et travaille de la maison cinq jours par semaine, conformément à une entente visant la prise de mesures d’adaptation conclue avec l’intimé. La plaignante soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à son égard dans le processus qu’il a utilisé pour établir qui, parmi deux employés, serait sélectionné aux fins de mise en disponibilité, plus particulièrement dans l’évaluation de plusieurs qualifications qui a été effectuée au moyen de la vérification des références. Décision Le Tribunal a jugé que la plaignante avait établi, selon une preuve prima facie, que les notes faibles qui lui avaient été accordées dans le cadre de la vérification des références étaient en partie attribuables au fait qu’elle devait travailler à partir de chez elle en raison de ses déficiences, ce qui nuisait par le fait même à son rendement. Ses déficiences sont donc des facteurs qui ont influé sur la décision de l’intimé de la sélectionner aux fins de mise en disponibilité. Le Tribunal a également établi que l’intimé n’avait pas fourni d’explication raisonnable et non fondée sur la discrimination permettant de réfuter la preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal a par conséquent conclu que l’intimé avait fait preuve de discrimination, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui constitue un abus de pouvoir. La plainte est accueillie. Mesures correctives Le Tribunal a ordonné à l’intimé d’annuler sa décision de mettre en disponibilité la plaignante et de verser à cette dernière une indemnité de 2 000 $, conformément à l’article 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2012-1005
Rendue à :
Ottawa, le 26 février 2014

CLAUDETTE BESNER
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 65(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Nathalie Daigle, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Besner c. Sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences
Référence neutre :
2014 TDFP 2

Motifs de décision


Introduction

La plaignante, Claudette Besner, occupe un poste de coordonnatrice administrative des groupe et niveau AS‑02 au sein de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Elle soutient que l’intimé, le sous‑ministre de RHDCC, a abusé de son pouvoir lorsqu’il l’a sélectionnée aux fins de mise en disponibilité à l’issue d’un processus de sélection aux fins de maintien en poste et de mise en disponibilité (SMPMD). À son avis, l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit dans le cadre du processus de SMPMD en raison de sa déficience.

2 L’intimé nie tout abus de pouvoir. Il affirme avoir déterminé qu’il fallait éliminer un poste de coordonnateur administratif AS‑02 à la Direction générale de la sécurité du revenu et du développement social (DGSRDS) de RHDCC. L’intimé est d’avis qu’il a mené un processus équitable, rigoureux et transparent pour déterminer qui serait mis en disponibilité et qui serait maintenu en poste. Il soutient que la plaignante a été sélectionnée aux fins de mise en disponibilité en raison de la note qu’elle a obtenue à l’issue du processus de SMPMD.

3 La Commission de la fonction publique a participé à l’audience en fournissant des observations écrites au sujet de ses politiques et lignes directrices portant sur les processus de SMPMD.

4 Pour les motifs exposés ci–après, le Tribunal juge que la plaignante a établi que l’intimé  a  abusé  de  son  pouvoir  en se livrant à un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP). La plaignante a réussi à établir que la décision de l’intimé de la mettre en disponibilité était fondée, du moins en partie, sur un motif de distinction illicite, soit la déficience.

Contexte

5 Le 30 avril 2012, la plaignante a reçu un avis écrit l’informant qu’elle faisait partie des employés touchés dont les services pourraient ne plus être requis en raison du réaménagement des effectifs. La lettre indiquait également qu’elle et un autre employé des groupe et niveau AS‑02 travaillant à Ottawa devraient prendre part à un processus de SMPMD.

6 Aux fins de ce processus, la plaignante a reçu des renseignements concernant la méthode devant être adoptée pour déterminer qui serait maintenu en poste ou mis en disponibilité. Les participants devaient être évalués au moyen d’une lettre de présentation, d’une entrevue, d’un examen écrit et de la vérification des références. Le comité d’évaluation avait au départ décidé de passer en entrevue chacun des participants, mais il a par la suite choisi d’éliminer l’entrevue du processus.

7 Au début du processus, la plaignante a fourni sa lettre de présentation. Le 1er juin 2012, elle a été informée qu’il avait été déterminé qu’elle possédait les qualifications essentielles relatives à l’expérience, après quoi elle a été invitée à passer à la prochaine étape du processus, soit un examen écrit informatisé, qu’elle a réalisé le 8 juin 2012. L’examen écrit visait à évaluer les connaissances des participants et leur capacité d’exercer des tâches précises. La plaignante a obtenu une note de 60 sur 70.

8 Les références ont ensuite été vérifiées dans le but d’évaluer les autres qualifications, soit 1) l’entregent; 2) le service à la clientèle; 3) l’esprit d’initiative; 4) le jugement; 5) la fiabilité et 6) le souci du détail. Deux des superviseures de la plaignante ont fourni des références à l’égard de cette dernière. Les commentaires fournis par les deux répondantes ont été évalués par le comité d’évaluation, et la plaignante a obtenu une note de 23 sur 60 pour les qualifications visées. Elle a donc reçu une note globale de 83 sur 130 à l’issue du processus de SMPMD.

9 Un classement a été établi en fonction des notes globales des deux participants. La note de la plaignante était inférieure à celle de l’autre employé, qui avait obtenu 100,5 sur 130. Le 19 juillet 2012, la plaignante a été informée qu’elle avait été sélectionnée aux fins de mise en disponibilité.

10 Le 3 août 2012, la plaignante a présenté au Tribunal de la dotation de la fonction publique  (le Tribunal)  une  plainte  d’abus  de  pouvoir  en vertu de l’article 65(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique , L.C., ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

11 Le 3 août 2012, la plaignante a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’elle avait l’intention de soulever une question concernant l’interprétation ou l’application de la LCDP, conformément à l’article 78 de la LEFP. Le 27 août 2012, la CCDP a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’observations au sujet de cette affaire.

Question en litige

12 L’intimé a–t–il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante dans le cadre du processus de SMPMD?

Analyse

13 Selon l’article 65(1) de la LEFP, un fonctionnaire qui est sélectionné aux fins de mise en disponibilité peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle la décision de le mettre en disponibilité constitue un abus de pouvoir.

14 L’article 65(7) prévoit que, pour déterminer si la plainte est fondée en vertu de l’article 65(1), le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP. Ainsi, le Tribunal fait une constatation d’abus de pouvoir s’il conclut que la discrimination a influé sur le processus lié à la plainte dont il est saisi (Rajotte c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 0025, para. 144).

15 L’article 7 de la LCDP précise qu’il est discriminatoire de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu et de le défavoriser en cours d’emploi, que ce soit par des moyens directs ou indirects, pour des motifs de distinction illicite. La déficience figure parmi les motifs de distinction illicite aux termes de l’article 3(1) de la LCDP. Selon l’article 25 de la LCDP, la déficience désigne la « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ».

16 Pour démontrer que l’intimé s’est livré à un acte discriminatoire, la plaignante doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, tel que la Cour suprême du Canada  l’a  souligné  dans  l’arrêt  Commission  ontarienne  des  droits de la personne c. Simpsons–Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (arrêt O’Malley). La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si celles‑ci sont jugées crédibles, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence d’une réplique de l’intimé. Dès lors qu’une telle preuve est établie, il revient à l’intimé de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable qui ne soit pas fondée sur la discrimination. Cette explication ne peut se résumer à un simple prétexte visant à justifier la conduite discriminatoire. Le Tribunal ne peut prendre en considération la réponse de l’intimé avant qu’une preuve prima facie de discrimination n’ait été établie. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, para. 22.

17 En outre, il n’est pas nécessaire que la discrimination soit le seul motif derrière les actes reprochés pour que la plainte soit accueillie. Le plaignant doit uniquement prouver que la discrimination comptait parmi les facteurs ayant influé sur la décision de l’intimé. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), para. 7. Dans les affaires de discrimination, la norme de preuve applicable est la norme civile de la prépondérance des probabilités (Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), 1996 CanLII 4067 (CAF), [1996] 3 CF 789).

18 Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si la plaignante a réussi à établir une preuve prima facie de discrimination.

La plaignante a–t–elle réussi à établir une preuve prima facie de discrimination?

19 La plaignante souffre d’une déficience auditive et a reçu un diagnostic de trouble de l’anxiété et d’hypersensibilité environnementale. En 2008, elle est partie en congé d’invalidité de longue durée et est retournée au travail en juin 2010. Pendant son absence, la DGSRDS a embauché un autre employé des groupe et niveau AS‑02 à qui les tâches de la plaignante ont été confiées.

20 Lorsque la plaignante est retournée au travail en juin 2010, elle a demandé que soient prises des mesures d’adaptation, et un protocole d’entente intitulé « télétravail (travail à partir du domicile) » [traduction] a été signé. Ce protocole d’entente prévoit essentiellement que la plaignante peut travailler à partir de son domicile cinq jours par semaine et que l’employeur est chargé de lui fournir tout l’équipement informatique, tout le mobilier et toutes les fournitures dont elle a besoin pour exécuter ses tâches. À moins que son superviseur ne le lui demande, la plaignante n’a pas à se présenter à son lieu de travail officiel. Le protocole d’entente précise en outre que la productivité de la plaignante doit être équivalente à celle des employés qui travaillent sur place. Dans la note du médecin fournie par la plaignante, le médecin indiquait que le retour au travail de cette dernière devait être progressif et recommandait le télétravail de même qu’un horaire de travail souple. Le retour au travail de la plaignante a été progressif et, en septembre 2010, elle a recommencé à travailler à temps plein.

21 La plaignante a décrit l’emploi qu’elle occupait de juin 2010 à décembre 2011 comme un poste de coordonnatrice « mobile » [traduction] à la DGSRDS, en ce sens qu’elle acceptait des mandats provenant de plusieurs gestionnaires différents. Jusqu’à août 2011, elle relevait de Mme Holmes, directrice, Politique sur les subventions et les contributions, qui lui attribuait des tâches provenant de différentes unités de la DGSRDS. Lorsque Mme Holmes est partie en congé pour un an, c’est Shirley Dyck, directrice intérimaire, Politique sur les subventions et les contributions, qui est devenue la superviseure de la plaignante. Après avoir demandé à effectuer des tâches de nature financière, la plaignante a commencé, en janvier 2012, à relever d’Amber Mousseau, gestionnaire de projet à la DGSRDS. La plaignante travaillait pour Mme Mousseau lorsque le processus de SMPMD a eu lieu.

22 La plaignante affirme avoir été désavantagée au cours du processus de SMPMD, et ce, à plusieurs égards. En effet, les mesures d’adaptation offertes par l’intimé à son retour au travail (le télétravail à temps plein) n’étaient pas appropriées, car elle éprouvait continuellement des problèmes techniques en raison de son équipement.   Ces   problèmes   n’ont   été   réglés   qu’une   fois    le    processus    de SMPMD terminé.

23 La plaignante est aussi d’avis que le comité d’évaluation, lorsqu’il a évalué les références à son sujet, n’a pas pris en considération le fait qu’elle souffre de déficiences. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plaignante doit travailler à l’extérieur du bureau et utiliser l’équipement fourni par l’intimé. Elle affirme que cet équipement ne fonctionnait pas bien, ce que l’intimé n’a pas pris en considération au moment de son évaluation. L’intimé a plutôt cru qu’elle affichait des problèmes de compétence et de comportement et il lui a donc donné de faibles notes pendant le processus de SMPMD, ce qui n’était pas raisonnable de sa part.

24 De plus, la plaignante soutient que son environnement de travail était instable et que sa charge de travail était imprévisible au cours des deux années ayant précédé le processus de SMPMD, après son retour au travail. Son travail lui était attribué par diverses personnes, de sorte qu’elle devait apprendre de nouvelles tâches chaque fois. Cette situation n’a pas été prise en compte par les répondantes ni par le comité d’évaluation.

25 Enfin, la plaignante ajoute que ses besoins à titre de personne handicapée n’ont pas été pris en considération dans le cadre du processus de SMPMD. À son avis, aucune mesure n’a été prise pour compenser le fait qu’en tant qu’employée handicapée, elle devait travailler dans des conditions qui différaient de celles de l’autre participant au processus.

26 La plaignante a expliqué qu’elle éprouvait continuellement des problèmes techniques lorsqu’elle utilisait le matériel de bureau, notamment l’ordinateur, l’imprimante et le système de messagerie vocale que lui fournissait l’intimé. Elle est d’avis que ces problèmes nuisaient à l’exécution de ses tâches et l’ont amenée à communiquer à de nombreuses reprises avec le groupe de soutien des technologies de l’information (TI) de l’intimé. Elle a présenté des éléments de preuve indiquant qu’elle avait soumis 86 demandes de service de TI de juillet 2010 à juin 2012. De plus, elle a expliqué qu’elle avait souvent de la difficulté à saisir les données dans le Système de gestion des dossiers (SGD) de l’intimé et qu’il lui était impossible de voir certains écrans parce que l’accès ne lui était pas toujours accordé avant qu’une tâche lui soit confiée.

27 Un document contenant le registre de toutes les demandes de service présentées par la plaignante a été versé en preuve. La plaignante a communiqué avec le groupe de soutien des TI 20 fois en 2010, 28 fois en 2011 et 49 fois au cours des neuf premiers mois de 2012. Ce document résume les problèmes éprouvés par la plaignante, notamment en ce qui a trait au matériel informatique, à l’imprimante, au télécopieur, au système de messagerie vocale et à la souris, de même qu’au fonctionnement des logiciels et des applications Web. À l’occasion, la plaignante a également oublié les mots de passe dont elle avait besoin pour accéder à des programmes et à des sites Web.

28 Le comité d’évaluation chargé du processus de SMPMD visé était formé de Mmes Dyck et Mousseau. Les examens écrits et les références ont d’abord été évalués par un consultant et par Mme Mousseau, mais c’est Mme Dyck qui était responsable de la décision finale. Étant donné que Mme Mousseau faisait partie du comité d’évaluation, les références qu’elle a fournies, pour les deux participants, ont uniquement été évaluées par Mme Dyck. Le comité d’évaluation a donné à la plaignante les notes de 3, 4 ou 5 sur 10 pour chacune des six qualifications en cause. Selon le guide de cotation, une note de 3, 4 ou 5 sur 10 équivaut à une note « faible » [traduction]. La note finale de la plaignante pour ces qualifications était de 23 sur 60. L’autre employé a obtenu la note de 51,5 sur 60.

29 Par conséquent, il a été établi que la plaignante possédait les sept qualifications essentielles évaluées par l’examen écrit, mais qu’elle ne possédait pas les six qualifications essentielles évaluées par la vérification des références.

30 Aux fins du processus de SMPMD, les participants devaient désigner comme répondants leur superviseur actuel et leur ancien superviseur le plus récent. Ainsi, Mme Mousseau, qui travaille pour Mme Dyck, a fourni des références pour la plaignante étant donné qu’elle la supervisait. Mme Holmes a également été appelée à fournir des références pour la plaignante étant donné qu’il s’agit de la superviseure la plus récente de la plaignante avant Mme Dyck. Cette dernière n’a pas fourni de références pour la plaignante étant donné qu’elle ne la connaissait pas très bien.

31 La plaignante conteste les notes qui lui ont été attribuées à l’égard de chacune des qualifications pour lesquelles elle n’a pas obtenu la note de passage. Elle a expliqué comment elle percevait l’évaluation et en quoi son rendement ou son comportement était directement lié à ses déficiences ou à sa situation de télétravailleuse, laquelle découle de ses déficiences.

32 Pour ce qui est de l’entregent, par exemple, la vérification des références visait à recueillir des renseignements permettant de déterminer si l’employé avait réussi à établir et à entretenir des relations de travail fructueuses à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur de l’organisation. Elle visait également à déterminer si la personne savait gérer les conflits et s’entendait bien avec les autres, ainsi qu’à relever tout point à améliorer. La plaignante a reçu une note faible pour cette qualification, en partie parce que les répondantes ont indiqué qu’elle demandait continuellement de l’aide et du soutien pour accomplir ses tâches et qu’elle n’avait pas fait preuve de collaboration par le passé avec les personnes qui l’avaient aidée. La plaignante affirme pour sa part qu’elle entretenait de bonnes relations de travail avec tout le personnel du bureau, même si elle travaillait à partir de son domicile. Elle convient toutefois qu’étant donné qu’elle travaillait à partir de la maison et qu’elle devait régulièrement apprendre de nouvelles tâches, elle envoyait beaucoup de courriels et appelait souvent pour demander de l’aide. Le courriel et le téléphone constituaient après tout ses moyens de communication. À sa connaissance, toutefois, elle n’était entrée en conflit avec personne. Elle soutient qu’elle a toujours été cordiale et courtoise, surtout pour ce qui est de toutes les demandes de service qu’elle a présentées. Elle a d’ailleurs produit en preuve une copie de tous ses échanges de courriels avec le personnel des TI.

33 Sur le plan du service à la clientèle, les répondants étaient appelés à se prononcer sur la capacité de l’employé à répondre aux besoins des personnes ayant recours à ses services et à aller au‑delà de ce qui est attendu de lui pour répondre aux besoins. Les répondants devaient également indiquer si l’employé connaissait bien ses clients ainsi que les services qu’il devait leur offrir. Mme Mousseau a affirmé que la plaignante dépendait des autres pour exécuter ses tâches, pour répondre aux questions, pour remplir les exigences relatives aux opérations et pour imprimer les rapports requis. La plaignante a pour sa part expliqué qu’à son retour au travail, elle se faisait attribuer des tâches provenant de divers secteurs, de sorte qu’elle devait toujours apprendre de nouvelles tâches. Elle reconnaît qu’elle a eu besoin de directives et qu’elle a souvent envoyé des courriels à ses collègues ou qu’elle leur a souvent téléphoné. Toutefois, à son avis, cette situation était directement liée à son statut de télétravailleuse, statut qui découle de ses déficiences. Elle a également produit en preuve un courriel provenant d’un client indiquant qu’elle accomplissait un travail extraordinaire.

34 Pour ce qui est de l’esprit d’initiative, les répondants devaient indiquer si l’employé cherchait lui–même du travail ou attendait plutôt que des tâches lui soient attribuées. Les répondants devaient en outre décrire une situation où la personne avait fait preuve d’initiative, par exemple en formulant des suggestions pour améliorer les processus de travail. La plaignante conteste les références à son égard, qui indiquent qu’elle ne faisait pas preuve d’initiative dans son travail. Elle affirme que chaque fois qu’elle terminait une tâche, elle demandait du travail de son propre chef et était constamment en contact avec les divers gestionnaires pour qui elle travaillait pour s’assurer d’avoir suffisamment de travail à accomplir. Pour prouver son point, elle a souligné que dans les références que Mme Holmes a fournies, celle‑ci a expressément affirmé que lorsque la plaignante s’était jointe à son groupe, elle avait manifesté une volonté d’apprendre et d’accomplir des tâches stimulantes et qu’elle cherchait à obtenir du travail. La plaignante a aussi expliqué qu’elle offrait son aide aux autres et qu’elle suggérait des façons de prêter main‑forte, en particulier en ce qui a trait à l’administration du budget.

35 Sur le plan du jugement, les répondants devaient décrire la capacité de l’employé à exercer son jugement au travail et fournir des exemples à l’appui. Les répondantes ont souligné que la plaignante gagnerait à s’améliorer dans ce domaine et ont affirmé qu’elle s’emportait rapidement dans certaines situations, comme lorsqu’il s’agissait d’accéder à des documents dans des courriels, de faire fonctionner les logiciels et les applications Web ou d’utiliser son matériel informatique. La plaignante a expliqué qu’elle éprouvait continuellement des problèmes avec son équipement de bureau et que c’est pourquoi elle prenait des mesures (elle présentait des demandes de service) lorsqu’elle constatait que le matériel ne fonctionnait pas. Elle soutient qu’elle demandait de l’aide de façon polie et cordiale. À son avis, elle exerçait son jugement en demandant de l’aide, car si elle ne l’avait pas fait, elle n’aurait pas été en mesure d’accomplir les tâches requises.

36 Pour ce qui est de la fiabilité, les répondants devaient indiquer si l’employé effectuait les tâches demandées dans les délais impartis, s’il était fiable sur le plan de l’assiduité au travail et s’il fournissait un rendement constant. Mme Holmes a souligné qu’il était impossible de se fier au travail de la plaignante. Quant à Mme Mousseau, elle a indiqué que la plaignante elle‑même n’était pas fiable parce qu’elle ne participait pas aux activités liées au travail. La plaignante affirme pour sa part qu’elle était très assidue et qu’il est faux de dire qu’elle ne participait pas aux activités liées au travail. Elle reconnaît qu’elle ne participait pas aux activités organisées à l’occasion des anniversaires ni aux midis pizza, mais elle affirme qu’elle participait aux autres activités du personnel. Elle soutient qu’il n’est pas raisonnable que le comité d’évaluation lui donne une note de 4,5 sur 10 pour la fiabilité, en partie en raison des références fournies par Mme Mousseau, qui a indiqué que la plaignante « préférait » [traduction] ne pas participer aux activités liées au travail, même si des mesures d’adaptation pouvaient être prises à son égard. La plaignante fait remarquer qu’en raison de sa déficience auditive, il peut être difficile pour elle de participer à des réunions de tout le personnel par téléconférence car il peut y avoir beaucoup de bruits qui font de l’interférence au téléphone. Elle affirme toutefois qu’elle participait généralement aux activités liées au travail.

37 En ce qui concerne le souci du détail, les répondants devaient indiquer si le travail de l’employé était complet et exact, s’il devait être vérifié et corrigé et si l’employé s’appliquait pour accomplir son travail. Mmes Holmes et Mousseau ont donné une note faible à la plaignante pour cette qualification parce que le travail de cette dernière devait régulièrement être revu et corrigé. La plaignante admet qu’elle a pu avoir besoin de directives étape par étape par le passé sur la façon d’accomplir certaines tâches, mais que cette situation était attribuable au fait qu’elle effectuait toujours de nouvelles tâches étant donné son poste « mobile » [traduction]. N’eût été de ses déficiences, la plaignante soutient qu’elle aurait continué d’accomplir les tâches normales du poste AS‑02 et aurait pu fournir un travail plus fiable, comme elle l’a fait par le passé.

38 Le Tribunal juge que la preuve présentée par la plaignante est complète et suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination. En effet, la plaignante a présenté des éléments de preuve qui établissent qu’elle souffre de déficiences, au sens de l’article 25 de la LCDP, lesquelles l’ont forcée à travailler à partir de son domicile, où le seul équipement auquel elle avait accès n’était pas fiable. Son rendement en a souffert et, selon la preuve présentée, il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles elle a obtenu des références négatives et de faibles notes lors du processus de SMPMD et, par la suite, a été sélectionnée aux fins de mise en disponibilité.

39 C’est donc maintenant à l’intimé que revient le fardeau de fournir une explication raisonnable, non fondée sur la discrimination, relativement à sa décision de mettre en disponibilité la plaignante.

L’intimé a‑t‑il a fourni une explication raisonnable, non fondée sur la discrimination, relativement à sa décision de mettre en disponibilité la plaignante?

40 Pour réfuter la preuve prima facie de discrimination établie par la plaignante, l’intimé doit fournir une preuve suffisante et convaincante qui démontre que son explication est raisonnable et n’est pas fondée sur la discrimination. Voir la décision Canada   ( Commission   canadienne   des   droits   de   la   personne )   c.  Canada (Procureur général), 2005 CAF 154, para. 36‑37 (« décision Morris »).

41 En réplique aux allégations de la plaignante, l’intimé affirme que les déficiences de la plaignante n’ont aucunement influé sur la décision de la sélectionner aux fins de mise en disponibilité. Il affirme que la plaignante a été sélectionnée à cette fin en raison des notes qui lui ont été attribuées par le comité d’évaluation à la lumière des références fournies à son sujet dans le cadre du processus de SMPMD. Mmes Holmes et Mousseau ont affirmé avoir donné au sujet de la plaignante ce qu’elles considèrent comme des « références équilibrées » [traduction]. Dans la section portant sur l’évaluation et les commentaires des répondants, les répondantes ont décrit les points forts et les faiblesses de la plaignante pour chaque qualification évaluée. Toutefois, l’intimé n’a pas mis en question la preuve de la plaignante au sujet de ses déficiences et de leurs répercussions sur son comportement et sa capacité d’accomplir ses tâches.

42 Mme Mousseau a confirmé que la plaignante éprouvait des problèmes quant au fonctionnement de son équipement de bureau à la maison, mais elle a expliqué que des mesures avaient été prises pour les régler. Elle a décrit les étapes qu’elle a suivies pour aider la plaignante à faire fonctionner son équipement pendant que celle‑ci relevait d’elle. Toutefois, selon la preuve présentée, la plupart de ces mesures ont été prises une fois le processus de SMPMD terminé. Par exemple, Mme Mousseau a expliqué qu’en juillet 2012 et au cours des mois suivants, elle s’était rendue deux fois au domicile de la plaignante, soit une fois pour vérifier le fonctionnement de son imprimante et une autre fois pour l’installation d’un nouvel ordinateur. Au cours de cette période, Mme Mousseau a également embauché des spécialistes en informatique du secteur privé qui sont allés au domicile de la plaignante pour tenter de régler les problèmes qu’elle éprouvait avec son appareil multifonction (servant de téléphone, de télécopieur, d’imprimante et de scanneur). Lorsque la plaignante est retournée au travail, son système de messagerie vocale ne fonctionnait pas et interférait avec le fonctionnement du scanneur et du télécopieur. L’intimé a envoyé de nombreux techniciens pour tenter de régler le problème, mais ce n’est qu’au bout de plusieurs mois qu’un spécialiste a réussi à trouver la cause, c’est‑à‑dire un problème d’incompatibilité entre le télécopieur et le système de messagerie vocale. Le problème a alors été réglé, mais uniquement une fois le processus SMPMD terminé.

43 Essentiellement, l’intimé affirme que les problèmes techniques éprouvés par la plaignante ne l’empêchaient pas d’accomplir son travail et il soutient que celle‑ci a été évaluée de façon appropriée dans le cadre du processus de SMPMD. En d’autres termes, les problèmes informatiques de la plaignante étaient seulement mineurs, selon l’intimé. Par exemple, Mme Holmes a affirmé que, à sa connaissance, la plaignante n’avait pas éprouvé de « difficultés techniques importantes » [traduction] pendant qu’elle était sous sa supervision (c’est‑à‑dire de juin 2010 à août 2011).

44 Or, la preuve documentaire indique que la plaignante a présenté 39 demandes de service pendant la période où elle était sous la supervision de Mme Holmes, pour des problèmes importants comme l’incapacité d’ouvrir des applications et d’accéder à des formulaires. D’août 2011 à juillet 2012, la plaignante a présenté 47 autres demandes de service pour des raisons semblables. Il est donc clair que la plaignante a commencé à éprouver des problèmes importants à partir de son retour au travail et que ces problèmes n’ont pas été réglés avant la fin du processus de SMPMD.

45 Selon le Tribunal, si la plaignante n’avait pas eu à travailler à partir de son domicile en raison de ses déficiences, elle n’aurait pas eu besoin de se fier à l’équipement ni à traiter avec le personnel des TI aussi souvent qu’elle l’a fait. Autrement dit, n’eût été du fait qu’elle devait travailler à l’extérieur du bureau en raison de ses déficiences, la plaignante n’aurait pas eu à surmonter ces difficultés pour utiliser l’équipement électronique afin d’effectuer son travail à distance.

46 Le Tribunal souligne, en particulier, que les références font mention des difficultés que la plaignante éprouvait avec son équipement informatique et de ses échanges avec le personnel des TI. Par exemple, pour l’entregent, Mme Holmes a remarqué que la plaignante devenait facilement frustrée dans ses échanges avec le personnel des TI et, selon Mme Mousseau, le gestionnaire des TI s’était plaint que la plaignante haussait la voix et argumentait avec le personnel des TI au téléphone. 

47 Mme Mousseau a expliqué que le 29 mai 2012, soit deux semaines avant qu’elle fournisse les références à l’égard de la plaignante, un gestionnaire des services de soutien des TI lui avait dit que la plaignante avait présenté 16 demandes de service en avril et en mai 2012. Le gestionnaire avait affirmé que le comportement de la plaignante était inapproprié et que Mme Mousseau devait s’en occuper, sans quoi la plaignante ne recevrait plus de services. Une note de service résumant les préoccupations du gestionnaire a été versée en preuve. Selon ce document, le gestionnaire des TI a évoqué un incident où les employés des TI avaient remarqué que la plaignante ne collaborait pas et était devenue frustrée, puis s’était mise à crier. Il était en outre indiqué, dans une autre situation, que la plaignante avait raccroché au nez d’un agent de bureau qui avait répondu à son appel et avait par la suite crié contre le chef d’équipe des TI qui l’avait rappelée. Dans la note de service, le gestionnaire des TI informait Mme Mousseau que toute personne devant offrir des services à la plaignante par l’entremise du service de dépannage national avait reçu l’instruction de mettre fin à la conversation advenant tout incident.

48 Après avoir reçu ces commentaires du gestionnaire des TI, Mme Mousseau a prévu une réunion d’établissement des faits pour tenter de résoudre le problème. La plaignante a été invitée à présenter toute précision ou toute circonstance atténuante qu’elle jugeait pertinente aux fins de l’enquête administrative. Mme Mousseau n’a pas précisé si cette rencontre a eu lieu avant ou après le 12 juin 2012, soit la date à laquelle elle a préparé les références au sujet de la plaignante.

49 La plaignante a participé à la réunion accompagnée de son délégué syndical. Elle a également préparé une réponse de sept pages dans laquelle elle décrivait ses échanges avec le groupe de soutien des TI. Ce document semble avoir été fourni après la réunion étant donné qu’il débute avec la phrase suivante : « Je présente les faits et les affirmations suivants après avoir discuté de la situation avec toutes les personnes présentes au cours de la réunion d’établissement des faits relativement aux allégations des membres de l’équipe de soutien des TI au sujet de ce qu’ils considèrent comme un comportement inapproprié » [traduction]. La plaignante expliquait dans sa réponse qu’elle s’était montrée cordiale et courtoise avec les employés des TI et qu’elle ne criait pas ni ne se mettait en colère, mais qu’étant donné qu’elle éprouvait une déficience auditive, associée à son anxiété, sa voix pouvait monter à l’occasion. Elle expliquait également dans sa réponse qu’elle n’avait d’autre choix que de présenter de nombreuses demandes de service, car elle avait besoin de son équipement pour accomplir ses tâches et qu’elle ne pouvait le faire en raison des problèmes fréquents de fonctionnement de son équipement.

50 Mme Mousseau affirme avoir pris la perspective de la plaignante en considération au cours de l’exercice d’établissement des faits, de même que le point de vue du gestionnaire des TI. Elle a ensuite préparé un rapport comprenant des recommandations. Toutefois, seul un document de deux pages intitulé « Résumé des constatations » [traduction] et daté du 30 mai 2012 (le lendemain de la date à laquelle le gestionnaire des TI a porté la question à l’attention de Mme Mousseau) a été présenté en preuve, et ce document ne semble contenir que les allégations formulées par le gestionnaire des TI.

51 Selon le Tribunal, il n’y a aucune indication selon laquelle Mme Mousseau a tenu compte de l’explication de la plaignante lorsqu’elle a mentionné cet incident dans les références qu’elle a fournies. Comme il a été indiqué précédemment, la plaignante explique la situation par le fait qu’elle souffre de déficience auditive de modérée à grave, aux deux oreilles, depuis l’âge de neuf ans. En raison de sa déficience, ainsi que de son trouble d’anxiété, elle hausse parfois le ton sans s’en rendre compte. Elle a expliqué que certaines personnes percevaient ce ton comme de la colère ou des cris. Étant donné que Mme Mousseau a préparé ses références le 12 juin 2012, il est impossible d’établir si elle avait rencontré la plaignante ou lu les explications de cette dernière lorsqu’elle a évoqué dans les références le comportement négatif que la plaignante aurait affiché. Selon les copies des courriels échangés à l’époque, la réunion d’établissement des faits avec la plaignante était d’abord prévue le 1er juin 2012, mais elle a ensuite été remise à une date ultérieure, qui n’a pas été précisée. La réponse écrite fournie par la plaignante à la suite de cette réunion n’est pas datée.

52 Mme Mousseau s’est également fondée sur deux autres incidents pour fournir des références négatives pour la plaignante sur le plan de l’entregent. Elle a affirmé qu’en février 2012, une formatrice de l’École de la fonction publique du Canada, qui offrait une formation à la plaignante sur l’analyse des données salariales, lui avait dit que le comportement de la plaignante posait problème. Dans son rapport destiné à Mme Mousseau, la formatrice soulignait que le cours qu’elle avait offert à la plaignante devait normalement durer 22,5 heures, mais qu’il avait été condensé en neuf heures. Dans les circonstances, elle avait tenté de gérer son temps soigneusement, mais elle avait eu de la difficulté à le faire en raison du comportement de la plaignante. Cette dernière avait demandé que des chapitres soient sautés, tandis que dans d’autres contextes, elle avait posé de nombreuses questions, et elle avait oublié son mot de passe la première journée de la formation. La formatrice a informé Mme Mousseau qu’elle n’avait pas été en mesure de terminer la formation.

53 La plaignante a expliqué dans un courriel destiné à Mme Mousseau qu’elle avait demandé à la formatrice de sauter un chapitre en particulier. La plaignante avait l’impression, compte tenu de la durée normale du cours (22,5 heures), et du fait que celui‑ci avait été condensé en neuf heures, qu’il fallait passer plus de temps sur ses points faibles en ce qui a trait à l’utilisation du système. Elle a également ajouté que lorsque la formatrice n’expliquait pas clairement certaines notions, elle posait des questions pour avoir des précisions. Enfin, elle a expliqué que la veille de la formation, elle avait dû modifier son mot de passe. Le lendemain, elle l’avait simplement oublié. Finalement, la plaignante a réussi à terminer avec succès la formation, avec un autre formateur.

54 Mme Mousseau a également affirmé que dans un autre contexte, une employée chargée d’offrir une formation à la plaignante dans le domaine des finances était venue la voir en larmes et avait expliqué qu’elle n’en pouvait plus parce que la plaignante l’appelait trop souvent pour avoir de l’aide. La plaignante n’avait jamais été informée de cet incident et ne savait pas que ses appels étaient considérés comme excessifs.

55 Le Tribunal souligne que les deux derniers incidents décrits par Mme Mousseau dans ses références portent sur la perception de deux formatrices ayant l’impression que le comportement de la plaignante était problématique; la première formatrice disait que la plaignante ne collaborait pas, tandis que l’autre affirmait qu’elle appelait trop souvent pour obtenir de l’aide. Toutefois, aucune preuve n’a été présentée par l’intimé pour démontrer que les formatrices, Mme Mousseau ou le comité d’évaluation dans son ensemble ont pris en considération les déficiences de la plaignante au regard de ces incidents.

56 Selon le Tribunal, la plaignante a obtenu des références négatives sur le plan de l’entregent au motif que le personnel des TI, ses gestionnaires et des formatrices estimaient qu’elle parlait trop fort et qu’elle leur demandait trop de temps parce qu’elle leur posait des questions et leur demandait de l’aide. Le comité d’évaluation lui a donc donné une note de 4,5 sur 10, en partie pour ces motifs. Or, le ton de sa voix est lié à ses déficiences. De plus, c’est en raison de sa situation de télétravailleuse, situation qui découle de ses déficiences, que la plaignante avait besoin d’aide lorsque son équipement ne fonctionnait pas ou qu’elle avait besoin d’accomplir des tâches qui ne lui étaient pas familières. Le Tribunal juge donc que l’intimé n’a pas démontré que sa décision de lui accorder une note très faible pour cette qualification n’était pas liée à ses déficiences.

57 Un autre facteur ayant influé sur les références négatives fournies par Mme Mousseau à l’égard de la plaignante était son supposé manque de fiabilité. Mme Holmes a écrit que la plaignante était « généralement fiable dans le respect des délais, mais [que] la qualité et l’exactitude de son travail laissaient parfois à désirer » [traduction].

58 Mme Mousseau a quant à elle précisé, au début de ses références, que la plaignante était en télétravail, de sorte qu’il était difficile de surveiller sa présence physique au travail. Elle a expliqué à l’audience que ce n’était toutefois pas pour cette raison que la plaignante avait obtenu une faible note. Dans ses références écrites, elle affirme que la plaignante était fiable lorsqu’il s’agissait d’informer sa gestionnaire qu’elle avait des rendez‑vous, mais qu’elle ne participait pas aux activités liées au travail, pour lesquelles la présence était par ailleurs obligatoire, comme les réunions de tout le personnel. Mme Mousseau a précisé que les personnes handicapées et les personnes souffrant d’hypersensibilité environnementale pouvaient bénéficier de mesures d’adaptation dans le cadre de ces activités et que c’est effectivement ce qui se produisait. Dans ses références, elle a indiqué qu’elle avait rencontré la plaignante pour l’informer que le Ministère déploierait tous les efforts nécessaires pour lui offrir des mesures d’adaptation afin qu’elle puisse participer. Toutefois, selon Mme Mousseau, la plaignante a affirmé qu’elle « préférait » [traduction] ne pas participer à ces activités. Les éléments de preuve n’indiquent pas clairement combien de réunions la plaignante a manquées ni si sa présence à ces réunions avait été officiellement requise. Le comité d’évaluation a donné à la plaignante une note de 4,5 pour cette qualification.

59 Mme Mousseau a fondé son évaluation de la fiabilité de la plaignante sur le fait que cette dernière ne participait pas aux activités liées au travail, indiquant qu’elle préférait ne pas y participer. La plaignante conteste pour sa part cette affirmation. Selon la preuve, seules deux réunions de toute la DGSRDS ont normalement lieu chaque année. La plaignante a expliqué qu’au cours de la période durant laquelle elle relevait de Mme Mousseau, elle n’avait pas pu assister à l’une de ces réunions parce qu’elle était en formation et qu’elle avait dû manquer l’autre réunion – une réunion annuelle d’une demi‑journée – en raison de son hypersensibilité environnementale. Elle aurait pu y assister par téléconférence, mais elle a expliqué qu’il était assourdissant, à la longue, de suivre les conversations d’un vaste groupe au téléphone. Elle a toutefois souligné qu’elle avait été en mesure d’assister par téléconférence à une autre réunion spéciale portant sur la Directive sur le réaménagement des effectifs.

60 Le comité d’évaluation a jugé que la plaignante n’était pas fiable, en partie parce qu’elle ne participait pas aux activités liées au travail et qu’elle préférait ne pas assister à certaines réunions. Selon la preuve, toutefois, la plaignante ne semble avoir manqué que deux réunions, dans un cas pour une raison valable, c’est‑à‑dire parce qu’elle était en formation, et dans l’autre cas apparemment pour des raisons liées à ses déficiences. Dans les circonstances, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas démontré que sa décision de lui accorder une note très faible pour cette qualification n’était pas liée à ses déficiences. C’est effectivement en raison de ses déficiences, ou de son statut de télétravailleuse, lequel découle de ses déficiences, que la plaignante n’a pas pu assister à certaines activités liées au travail et qu’elle préférait ne pas participer par téléconférence à certaines réunions auxquelles assistaient de nombreuses personnes.

61 Ainsi, le Tribunal conclut que les déficiences de la plaignante comptaient parmi les facteurs ayant influé sur l’évaluation des qualifications susmentionnées. Quant aux autres qualifications, c’est‑à‑dire le service à la clientèle, l’esprit d’initiative, le jugement et le souci du détail, l’intimé a fourni une explication raisonnable de sa décision d’accorder de faibles notes à la plaignante à cet égard.

62 Pour l’esprit d’initiative, par exemple, Mme Holmes a affirmé que la plaignante avait fait preuve d’un esprit d’initiative très limité, car elle était parfois réticente à accomplir certaines tâches qui, à son avis, ne correspondaient pas à son expérience dans le domaine des finances. Mme Holmes a expliqué qu’elle avait tenté d’attribuer à la plaignante des tâches qui l’intéressaient, et qu’environ 70 % de son travail était lié aux finances. Toutefois, Mme Holmes a affirmé que plus le temps passait, plus la plaignante devenait difficile en ce qui a trait aux tâches qui lui étaient attribuées et plus elle était réticente à prêter main–forte si elle estimait que les tâches ne relevaient pas de ses compétences.

63 De la même façon, pour ce qui est du jugement, Mme Holmes a indiqué dans ses références que le jugement de la plaignante « gagnerait à s’améliorer » [traduction]. Elle a décrit une situation passée où la plaignante s’était vu attribuer plusieurs tâches et les avait accomplies dans l’ordre dans lequel elles lui avaient été attribuées plutôt que d’évaluer l’importance de chacune et de les accomplir en fonction de leur priorité.

64 Sur le plan du souci du détail, Mme Holmes a fait remarquer que la plaignante « continuait d’apprendre et de se perfectionner à titre d’agente des finances » [traduction]. Elle a ajouté que les efforts déployés par la plaignante étaient excellents, mais que son travail « avait pratiquement toujours besoin d’être vérifié par un superviseur et nécessitait assez souvent des corrections » [traduction]. Mme Holmes a expliqué qu’elle avait rédigé ce commentaire parce que la qualité du travail de la plaignante n’était pas satisfaisante. Son travail devait régulièrement être examiné et était fréquemment à recommencer. À titre d’exemple, elle a expliqué qu’après que les employés de la Direction eurent tous rempli leur entente de rendement et d’apprentissage, la plaignante s’était vu attribuer la tâche d’indiquer la mention « terminé » [traduction] dans le SGD. Mme Holmes a affirmé qu’elle avait expliqué la tâche à la plaignante, qu’elle avait répondu à toutes ses questions et qu’elle avait ensuite vérifié auprès de la plaignante pour savoir si le travail allait bon train. Même si la plaignante l’avait rassurée en lui disant que tout se déroulait bien, Mme Holmes s’était ensuite aperçue que la tâche n’avait pas été accomplie correctement. La plaignante avait dû recommencer. Mme Holmes a également expliqué qu’à une autre occasion, la plaignante n’avait pas correctement réservé les locaux en vue d’une réunion de tout le personnel, comme il lui avait été demandé, ce qui avait causé des problèmes.

65 La plaignante n’a fourni aucun élément de preuve pour contredire le témoignage des témoins à cet égard.

Conclusion

66 Le Tribunal juge que les déficiences de la plaignante ont influé sur l’évaluation des qualifications que sont l’entregent et la fiabilité. L’intimé n’a pas réussi à fournir d’explication raisonnable, qui ne soit pas fondée sur la discrimination, pour justifier les références négatives sur lesquelles le comité d’évaluation s’est fondé.

67 En l’espèce, rien n’indique que l’intimé a eu l’intention de faire preuve de discrimination à l’égard de la plaignante; toutefois, la présence d’une intention de discriminer n’est pas nécessaire pour que soit établie une constatation de discrimination. Voir la décision O’Malley, para. 14.

68 Pour ces motifs, le Tribunal juge que la décision de l’intimé de mettre en disponibilité la plaignante était au moins en partie fondée sur un motif de distinction illicite, soit la déficience. Il s’agit là d’une pratique discriminatoire au sens de l’article 7a) de la LCDP, et le Tribunal juge par conséquent que la sélection de la plaignante aux fins de mise en disponibilité constitue un abus de pouvoir.

Décision

69 La plainte est accueillie.

Ordonnance

70 L’article 65(4) de la LEFP confère au Tribunal le pouvoir d’annuler la décision de mettre en disponibilité la plaignante et d’ordonner à l’administrateur général de prendre toute mesure corrective que le Tribunal juge appropriée. Selon l’article 65(8) de la LEFP, les mesures correctives peuvent comprendre les ordonnances prévues à l’article 53(2)e) ou à l’article 53(3) de la LCDP. En vertu de l’article 53(2)e), le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral en raison d’un acte discriminatoire. L’article 53(3) prévoit quant à lui une autre indemnité maximale de 20 000 $ pour la victime si le Tribunal en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

71 La plaignante a demandé au Tribunal d’annuler la décision de la mettre en disponibilité et d’ordonner que lui soit versée une indemnisation de 20 000 $. La plaignante n’a pas précisé laquelle des deux dispositions de la LCDP elle invoquait, mais à la lumière de ses observations, il semble qu’elle présente cette demande en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP.

72 Bien que l’article 53(2)e) de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d’accorder cette réparation lorsqu’une plainte est accueillie, son pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon judicieuse et à la lumière de tous les éléments de preuve dont le Tribunal est saisi. Voir la décision Commission canadienne des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280 (CanLII), para. 14. En l’espèce, la plaignante n’a fourni aucun élément de preuve détaillé pour appuyer la demande d’indemnisation qu’elle a présentée en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP, outre qu’elle a affirmé de façon générale qu’elle se sentait stressée et frustrée d’avoir été mise en disponibilité; elle n’a pas expliqué davantage en quoi consistait le préjudice moral qu’elle a subi. La plaignante est partie en congé de maladie prolongé après la tenue du processus de SMPMD. Bien que le stress ait pu être un facteur ayant contribué à son état de santé après le processus, le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion.

73 Par conséquent, le Tribunal juge que la plaignante a démontré qu’elle avait subi du stress à la suite de la décision concernant sa mise en disponibilité, mais compte tenu du fait qu’elle n’a pas fourni d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande d’indemnisation, il estime qu’il est justifié de verser à la plaignante une indemnité de 2 000 $ pour préjudice moral (art. 53(2)e)).

74 Le Tribunal ordonne ainsi l’annulation de la décision de l’intimé de mettre en disponibilité la plaignante et il ordonne également à l’intimé de verser à la plaignante, dans les 60 jours suivant la présente décision, la somme de 2 000 $ en guise d’indemnisation, en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP.


Nathalie Daigle
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2012–1005
Intitulé de la cause :
Claudette Besner et le sous–ministre de Ressources humaines et Développement des compétences
Audience :
Les 15 et 16 août et les 10 et 11 octobre 2013
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 26 février 2014

COMPARUTIONS :

Pour la plaignante :
Sharon Barbour et Ian Thompson
Pour l’intimé :
Martin Desmeules et Musset Pierre–Jerome
Pour la Commission
de la fonction publique :
Luc Savard
(observations écrites)
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