Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s'estimant lésés ont allégué que l'employeur avait contrevenu aux dispositions de la convention collective portant sur la répartition du travail sur appel et des heures supplémentaires – les fonctionnaires s'estimant lésés étaient des agents de libération conditionnelle qui travaillaient au Québec – l'employeur et l'agent négociateur ont signé une entente locale dans laquelle est décrite la procédure à suivre pour sélectionner les employés qui seront sur appel – l'employeur a respecté l'entente, mais les fonctionnaires s'estimant lésés ont allégué qu'elle ne s'appliquait plus puisque la situation au Québec avait évolué et parce que l'employeur n'avait pas offert de formation linguistique à un des fonctionnaires s'estimant lésés, ce qui constituerait une contravention des dispositions de l'entente locale – l'arbitre de grief a rejeté le grief – l'entente locale était encore en vigueur et le fait que l'employeur ait refusé les demandes de renégociation de l'agent négociateur ne donnait pas aux fonctionnaires s'estimant lésés le droit de la répudier unilatéralement – en ce qui concerne la contravention alléguée de la disposition sur la formation linguistique, il n'a pas été démontré au moyen de la preuve que ce soit le cas et, même si une telle preuve existait, elle ne permettrait pas d'annuler l'ensemble de l'entente, tel qu'il a été demandé par les fonctionnaires s'estimant lésés. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150130
  • Dossier: 566-02-3594 et 3595
  • Référence: 2015 CRTEFP 14

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ANDRÉ HARVEY ET GISÈLE SÉGUIN

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Harvey et Séguin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Goretti Fukamusenge, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, Justice Canada
Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 20 novembre 2014.

I. Les griefs et les faits

1 Les fonctionnaires s'estimant lésés, André Harvey et Gisèle Séguin (les « fonctionnaires ») ont chacun présenté un grief, en termes identiques, dans lequel ils prétendent que le Service correctionnel du Canada (le « ministère ») n'a pas réparti équitablement les périodes de disponibilité et les heures supplémentaires, ce qui aurait violé la convention collective pour les services des programmes et de l'administration intervenue entre le Conseil du Trésor (l'« employeur ») et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'« agent négociateur »), ayant comme date d'expiration le 20 juin 2007 (la « convention collective »).

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

3 Les fonctionnaires étaient des agents de libération conditionnelle, classés WP-04 et affectés depuis plusieurs années au bureau de Laval, au Québec, où ils travaillaient normalement du lundi au vendredi entre 7 h et 18 h, tout comme les autres agents de libération conditionnelle.

4 Pour pouvoir répondre de manière opportune aux demandes de service reçues durant les heures hors-service, le ministère désignait des employés pour remplir des fonctions de disponibilité. Ces derniers, qui touchaient l'indemnité de disponibilité prévue à la convention collective, devaient être en mesure de répondre rapidement aux appels qu'ils recevaient par pagette. Si l'employé désigné était tenu de se présenter au travail pendant sa période de disponibilité, il recevait, de plus, une rémunération pour les heures supplémentaires effectuées.

5 Voici les dispositions pertinentes de la convention collective :

ARTICLE 28

HEURES SUPPLÉMENTAIRES

[…]

28.04 Attribution du travail supplémentaire

a)  Sous réserve des nécessités du service, l'Employeur s'efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d'heures supplémentaires et d'offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

[…]

ARTICLE 29

DISPONIBILITÉ

29.01 Lorsque l'Employeur exige d'un employé-e qu'il ou elle soit disponible durant les heures hors-service, cet employé-e a droit à une indemnité de disponibilité au taux équivalant à une demi-heure (1/2) de travail pour chaque période entière ou partielle de quatre (4) heures durant laquelle il ou elle est en disponibilité.

29.02

[…]

b) Lorsqu'il désigne des employé-e-s pour des périodes de disponibilité, l'Employeur s'efforce de prévoir une répartition équitable des fonctions de disponibilité.

6 Le 21 décembre 1999, l'employeur et l'agent négociateur avaient conclu un protocole d'entente en vue de régler plusieurs griefs concernant la répartition des fonctions de disponibilité que certains autres employés de la région du Québec avaient renvoyés à l'arbitrage. Le protocole, notamment, avait établi une procédure qui devait servir à sélectionner les employés qui seraient désignés pour des périodes de disponibilité à l'avenir dans toute la région du Québec. Voici les dispositions du protocole qui sont pertinentes aux présents griefs :

[…]

2.  L'employeur s'engage à effectuer une consultation écrite auprès de tous les WP-04 afin de connaître leur intérêt à effectuer de la disponibilité.

[…]

4.  Cette consultation fournira aussi les seuls critères à être utilisés par l'employeur qui sont

a)  l'employé intéressé doit rencontrer le niveau de bilinguisme BBB

b)  l'employé intéressé devra détenir la délégation d'autorité du SCC d'émettre des mandats

c)  l'employé intéressé devra avoir occupé un poste d'ALC au niveau WP-04 pendant 5 ans.

L'employeur fournira une formation sur le mécanisme de disponibilité, jusqu'à un maximum d'une journée.

[…]

6.       Les employés seront informés par écrit de la décision de les inclure ou non sur la liste ainsi que les motifs de la décision.

7.       À partir de la liste, l'employeur s'assurera d'une répartition équitable selon l'article 29 de la convention collective.

[…]

10.     L'employé intéressé qui ne satisfait pas aux exigences linguistiques au niveau BBB sera testé. Si l'employé, suite au test, satisfait aux exigences linguistiques au niveau BBB, il sera évalué par le comité de district.

11.     L'employé intéressé qui ne satisfait pas aux exigences linguistiques au niveau BBB suite au test, sera aussi évalué par le comité de district. Si la candidature est retenue, l'employeur évaluera la possibilité de lui fournir une formation linguistique. Advenant qu'il ne puisse satisfaire aux exigences linguistiques, son nom sera rayé de la liste.

[…]

14.     Les conditions de la présente entente s'appliqueront sous réserve des droits ou intérêts des parties dans toute autre affaire.

7 Si les fonctionnaires ont exprimé leur intérêt à se faire désigner pour les fonctions de disponibilité, le ministère ne les a pas désignés car ils ne satisfaisaient pas au niveau de bilinguisme prévu au protocole.

8 M. Harvey a déclaré, lors de son témoignage, qu'il acceptait le bien-fondé du protocole d'entente, même s'il était exclu des rangs de ceux qui étaient désignés pour les fonctions de disponibilité. Président de la section locale de son syndicat à l'époque, il avait même participé aux négociations qui avaient donné lieu au protocole. Ce n'était qu'en 2009, après que le ministère aurait décidé d'affecter deux employés, au lieu d'un seul, à chaque quart de disponibilité, qu'il a décidé de se plaindre de l'exclusion des employés qui ne satisfaisaient pas au niveau de bilinguisme prévu. M. Harvey a pris la position, en discussions avec la gestion, qu'étant donné le faible pourcentage de demandes de service dans la région pour lesquelles une connaissance de l'anglais était requise, le ministère pourrait répondre facilement à toutes les demandes qu'il recevrait en affectant un employé bilingue et un employé unilingue français à chaque quart. M. Harvey a estimé, lors de son témoignage, que 95 % des demandes de service reçues dans la région ne nécessitaient pas une connaissance de l'anglais. Toutefois, à une réunion du comité de gestion de la région tenue les 17 et 18 février 2009, le ministère a décidé de ne pas donner suite aux propositions de M. Harvey, sans expliquer ses motifs.

9 M. Harvey a ajouté qu'il était au niveau de bilinguisme BBA, et il a estimé qu'avec une formation appropriée, il aurait pu atteindre le niveau requis BBB. Il a demandé la formation linguistique à plusieurs reprises pendant sa carrière, mais, étant donné que le poste qu'il occupait était désigné unilingue français, on ne la lui a jamais offerte. Quant à la formation mentionnée au paragraphe 11 du protocole, elle était disponible seulement le soir. Étant un père de famille, il a déclaré qu'il était trop difficile pour lui d'en profiter.

10 À partir de données pour l'année 2009-2010 que le ministère lui avait fournies en tant que président de la section locale du syndicat, M. Harvey a déclaré avoir calculé que les heures supplémentaires effectuées par les agents de libération conditionnelle de la région pendant leurs périodes de disponibilité représentaient 80 % de toutes les heures supplémentaires effectuées par ces derniers.

11 Selon M. Harvey, dans les autres régions du Canada, on désignait les agents de libération conditionnelle pour les fonctions de disponibilité sans tenir compte de leur niveau de bilinguisme.

12 L'agent négociateur avait l'intention de faire entendre un deuxième témoin, Yvon Lacombe, mais celui-ci n'était pas disponible. Plutôt que de prévoir une autre séance d'arbitrage, les parties se sont entendues que si M. Lacombe avait témoigné, il aurait dit ce qui suit :

J'ai effectué de la disponibilité (stand by) pour le Service correctionnel du Canada, région du Québec, de décembre 2004 à juillet 2009. En regard aux nombreux appels reçus lors de ces périodes, je peux affirmer qu'environ 5 % de ces appels demandaient une connaissance de l'anglais.

13 Marie Sarrasin, responsable des agents de libération conditionnelle au bureau de Laval depuis 1990, a expliqué, lors de son témoignage, comment le ministère s'assurait d'être en mesure de répondre aux demandes de service à n'importe quelle heure. La région du Québec était divisée en deux districts, celui de Montréal et celui de « Est-Ouest ». Deux employés de chaque district étaient désignés pour les fonctions de disponibilité pour chaque semaine. Les quatre employés ainsi désignés, en collaboration avec un gestionnaire, partageaient les heures hors-service entre eux, de façon qu'un d'entre eux soit disponible à tout moment pendant ces heures, chargé de la responsabilité de répondre à tous les appels reçus de n'importe où dans la région. La seule exception était qu'entre 23 h et 3 h, un deuxième agent était disponible pour autoriser des mandats de suspension. Selon Mme Sarrasin, il était donc faux de suggérer que deux agents étaient disponibles en tout temps et qu'un seul agent bilingue suffirait.

14 Mme Sarrasin a donné les exemples suivants des demandes de service qui surviennent en dehors des heures normales de travail des agents de libération conditionnelle : un délinquant en libération conditionnelle qui est en retard pour rentrer chez lui demande une prolongation; un autre délinquant demande une autorisation de voyager; un agent de police veut savoir si un délinquant a violé les conditions de sa libération. Les demandes sont faites, selon le cas, par les délinquants eux-mêmes, par des policiers, par des agents des services frontaliers, etc. Quand elle était en fonction de disponibilité, Mme Sarrasin a eu à répondre à des policiers américains et à des douaniers américains qui avaient des questions à propos de délinquants. Si la grande majorité des appels reçus dans la région ne demandaient pas une connaissance de l'anglais, plusieurs la demandaient, dont ceux faits par des autorités américaines et ceux qui se rapportaient aux délinquants anglophones.

II. Les plaidoiries

15 Selon les fonctionnaires, la preuve présentée démontrait qu'il y avait eu violation de la convention collective, notamment des clauses 28.04a) et 29.02b). Le ministère avait l'obligation de répartir les fonctions de disponibilité et les heures supplémentaires de manière équitable en vertu de ces dispositions. Le protocole d'entente ne servait plus les intérêts des parties, notamment en ce qui concerne l'exigence de bilinguisme. Le protocole a bloqué les intérêts des fonctionnaires en les excluant des fonctions de disponibilité. Les fonctionnaires ont soutenu que les parties devraient chercher un règlement qui inclurait tous les employés, mais le ministère a rejeté les propositions qu'avait formulées M. Harvey pour une modification de l'entente. De toute manière, selon les fonctionnaires, le ministère n'a pas respecté le paragraphe 11 du protocole, car il n'a pas offert à M. Harvey une formation linguistique. Les fonctionnaires avaient droit à une rémunération pour avoir été exclus des fonctions de disponibilité.

16 Selon l'employeur, il n'y a pas eu violation de la convention collective. Il fallait distinguer le droit à l'indemnité prévue à la clause 29.01 de la convention collective et le droit à une rémunération pour avoir effectué des heures supplémentaires. Les parties ayant accepté certaines modalités pour la répartition des fonctions de disponibilité dans la région, l'agent négociateur ne pouvait les contester qu'en essayant de renégocier le protocole. Même si les conditions en place au moment de la signature du protocole d'entente avaient évolué, le protocole restait en vigueur, et l'arbitre de grief n'avait pas la compétence pour le modifier. Au cours de son argumentation, l'avocat de l'employeur a fait référence à Cardinal et Leclerc c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2001 CRTFP 133, et à Scanlon et Christianson c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 42.

III. Motifs et décision

17 Il n'est pas contesté que le ministère respectait le protocole d'entente de 1999 lorsqu'il attribuait les fonctions de disponibilité parmi les agents de libération conditionnelle de la région du Québec. La représentante des fonctionnaires a plaidé, plutôt, que l'arbitre de grief devrait décider s'il y a eu violation des clauses 28.04a) et 29.02b) de la convention collective sans tenir compte des dispositions du protocole. Elle a donné deux raisons pour cette position. D'abord, elle prétend que l'exigence du bilinguisme qu'on trouve à l'alinéa 4a) du protocole n'était plus justifiée en raison du faible pourcentage de demandes de service qui nécessitaient une connaissance de l'anglais et en raison de l'affectation de deux agents, au lieu d'un seul, à chaque quart de disponibilité. Ensuite, elle plaide que M. Harvey n'a pas pu profiter de la formation linguistique prévue au paragraphe 11 du protocole.

18 Il est impossible de donner droit à la position des fonctionnaires.

19 Même s'il y a eu une évolution importante depuis 1999 des conditions dans lesquelles les fonctions de disponibilité s'effectuent, ce que la preuve n'a pas établi de façon convaincante d'ailleurs, le protocole continue de s'appliquer. Aucun élément de preuve n'indique que l'agent négociateur, au moment de renouveler la convention collective, a désavoué le protocole. Il n'appartient pas à l'arbitre de grief de peser les changements qui se sont produits depuis la conclusion d'une entente et de juger si les parties auraient voulu qu'elle continue en vigueur dans le nouveau contexte. Dans ces conditions, je ne peux que conclure que le protocole était toujours en vigueur à l'époque où le ministère a refusé de désigner les fonctionnaires pour des fonctions de disponibilité. Contrairement aux suggestions de la représentante des fonctionnaires, le refus du comité de gestion de la région en février 2009 de donner suite aux propositions de Monsieur Harvey n'ouvre pas la voie à la répudiation unilatérale de l'entente.

20 Quant à la prétendue violation du paragraphe 11 du protocole par le ministère, la preuve n'établit pas que le ministère l'a violé. L'obligation du ministère en vertu du paragraphe 11 est « […] [d'évaluer] la possibilité de […] fournir une formation linguistique » à l'employé qui en fait la demande. Rien n'indique que le ministère ne s'est pas conformé à cette obligation dans le cas de M. Harvey. Mais, plus fondamentalement, la violation du paragraphe 11, même à l'égard de tous les employés auxquels l'entente s'appliquait, n'invaliderait pas l'entente, tout comme la violation d'une disposition d'une convention collective n'entraîne pas la nullité de la convention : voir McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, aux pages 726 et 727.

21 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

22 Les griefs sont rejetés.

Le 30 janvier 2015.

Michael Bendel,
arbitre de grief

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