Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a contesté son licenciement pour motif non disciplinaire en raison de l'abandon de son poste – après une période de maladie, la fonctionnaire s'estimant lésée a été déclarée apte à retourner au travail par Santé Canada en avril 2010 et l'employeur lui a envoyé un calendrier de retour au travail qui reflétait les directives présentées dans la correspondance de Santé Canada – entre avril 2010 et juillet 2011, la fonctionnaire s'estimant lésée était au travail, au mieux de manière sporadique – la fonctionnaire s'estimant lésée a consenti à une évaluation de l'aptitude au travail (AT) et elle a offert de présenter un billet médical pour justifier ses absences – la fonctionnaire s'estimant lésée a fourni un billet médical, qui indiquait qu'une nouvelle évaluation de sa capacité à retourner au travail serait effectuée, mais l'employeur n'a reçu aucune autre confirmation médicale – la fonctionnaire s'estimant lésée a omis de confirmer sa présence à l'évaluation de l'AT au plus tard à la date requise – par conséquent, le rendez-vous a été annulé – un nouveau rendez-vous a été pris – dans une lettre présentée par un huissier des services judiciaires, on demandait à la fonctionnaire s'estimant lésée de confirmer sa présence au plus tard à une date précise, ce qu'elle a de nouveau omis de faire – par conséquent, son employeur lui a envoyé une lettre pour l'informer qu'elle était en congé non autorisé et qu'il recommanderait son licenciement pour motif non disciplinaire si elle omettait de communiquer avec l'employeur pour lui fournir un motif satisfaisant pour son absence – la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas communiqué avec l'employeur; cependant, l'employeur n'a pas entrepris le processus de licenciement et lui a envoyé une autre lettre trois mois plus tard pour l'informer qu'elle n'avait pas fourni de documents médicaux, qu'elle avait omis de confirmer sa présence à l'évaluation de l'AT et qu'elle était en congé non autorisé – la lettre l'informait que l'employeur allait entreprendre le processus de licenciement non disciplinaire – la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas communiqué avec l'employeur et ce dernier a mis fin à son emploi – l'arbitre de grief a soutenu que l'employeur avait le droit d'effectuer un licenciement en raison d'un abandon de poste et que la décision de le faire devait être examinée par un arbitre de grief selon la norme du caractère raisonnable – l'employeur avait démontré que la fonctionnaire s'estimant lésée avait été absente en congé non autorisé pendant une grande période, qu'elle n'avait fourni aucun motif valable de son absence et qu'elle n'avait donné aucun avis à l'employeur – les mesures de l'employeur étaient raisonnables. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150203
  • Dossier: 566-02-7286
  • Référence: 2015 CRTEFP 15

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CHRISTINE HAYTER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Hayter c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Ketia Calix, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 1er au 4 décembre 2014.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 21 juillet 2011, le Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) (l'« employeur ») a envoyé une lettre à Christine Hayter, la fonctionnaire s'estimant lésée (la « fonctionnaire »), pour lui dire qu'il avait été mis fin à son emploi pour des raisons non disciplinaires. Cette lettre était signée par Holly Robinson, directrice générale intérimaire des Opérations financières.

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

3 L'employeur a fait valoir que la fonctionnaire avait abandonné son poste.

4 La fonctionnaire a déposé un grief pour demander que la lettre de licenciement soit retirée de son dossier et qu'elle soit réinstallée dans ses fonctions.

5 Pendant la procédure, trois témoins ont témoigné et plusieurs documents ont été déposés en preuve à titre de pièces.

6 Une grande partie des témoignages et des pièces concernaient les allégations de faute de conduite que l'employeur a formulées contre la fonctionnaire. Étant donné que l'employeur a décidé de licencier la fonctionnaire pour des raisons non disciplinaires, je conclus que cette preuve m'est peu utile. Je ferais preuve d'imprudence si je ne rappelais pas aux parties ma déclaration pendant l'audience selon laquelle, si l'employeur avait décidé de licencier la fonctionnaire pour des raisons disciplinaires, il n'y a aucun doute dans mon esprit que n'importe quel grief aurait été rejeté. J'affirme cela parce que, à mon avis, la fonctionnaire a certainement fait preuve d'insubordination et a omis de suivre les directives claires et concises de l'employeur.

II. Faits pertinents

7 Le premier témoin appelé par l'employeur était Donald Verrette, qui était employé à titre d'officier des services de gestion depuis 2010 et dont la fonctionnaire relevait durant cette période. Le deuxième témoin qu'il a appelé était Holly Robinson, qui a quitté la fonction publique en 2014. Le 21 juillet 2011, elle était directrice générale intérimaire des Opérations financières pour l'employeur et elle a signé la lettre de licenciement.

8 L'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'« agent négociateur ») a appelé la fonctionnaire à titre d'unique témoin.

9 De plus, 32 documents ont été déposés à titre de pièces.

10 Le 25 juin 2009, Santé Canada a écrit au superviseur de la fonctionnaire pour lui dire qu'elle était inapte à l'emploi (pièce 30). Selon le pronostic, la fonctionnaire aurait dû être en mesure de retourner au travail pour une réintégration graduelle lorsqu'elle répondait au traitement.

11 Le 7 avril 2010, Santé Canada a envoyé une autre lettre pour indiquer que la fonctionnaire avait été évaluée et qu'elle était considérée comme apte à l'emploi (pièce 2). Cette lettre met en évidence un retour au travail graduel sur une période d'environ un mois.

12 Le 30 avril 2010, la fonctionnaire a accusé réception d'une lettre intitulée [traduction] « Attentes de la direction » (pièce 1). Cette lettre tenait compte du calendrier de retour au travail indiqué dans la lettre de Santé Canada en date du 7 avril 2010 et imposait certaines attentes à la fonctionnaire. Elle devait se présenter au travail à temps et aviser son superviseur, M. Verrette, si elle était incapable de venir au travail un jour donné.

13 M. Verrette a indiqué dans son témoignage que le principal défi concernant sa supervision de la fonctionnaire avant son congé visait son incapacité ou son absence de volonté à déclarer ses absences. À cet égard, l'employeur a envoyé un certain nombre de documents intitulés [traduction] « Avis d'enquête » au sujet de l'omission par la fonctionnaire de respecter ses obligations de déclarer ses absences en tant qu'employée. Selon la preuve, l'employeur n'a pas fait ses enquêtes, puisque la fonctionnaire n'était pas au travail.

14 Comme il est mentionné ci-dessus, chacune de ces lettres envoyées à la fonctionnaire fait référence à des mesures disciplinaires éventuelles et elles ne sont donc pas pertinentes à mon enquête portant sur le grief dont je suis saisi. Cependant, le fait que l'employeur a envoyé ces avis d'enquête par courrier recommandé et que la fonctionnaire a refusé de signer pour les recevoir ou, à tout le moins, a omis de le faire est pertinent. En conséquence, l'employeur a cru nécessaire de retenir les services d'un huissier des services judiciaires afin de s'assurer que la fonctionnaire les recevait, ainsi que toute correspondance future.

15 Selon le témoignage de M. Verrette, entre avril 2010 et juillet 2011, la fonctionnaire a été au travail de façon sporadique au mieux. En fait, il a déclaré qu'elle a été au travail pendant une semaine complète seulement durant cette période.

16 Le 17 août 2010 (pièce 10), M. Verrette a demandé à la fonctionnaire de le rencontrer pour discuter de son absentéisme. Dans cette lettre, il l'avisait des mesures administratives prises en raison du fait qu'elle n'avait plus de congés de maladie.

17 Étant donné que la fonctionnaire n'a pas répondu à la demande de M. Verrette, il a envoyé une autre lettre le 1er septembre 2010 (pièce 14), demandant à la fonctionnaire de communiquer avec lui au plus tard le 8 septembre 2010 pour discuter de son absence continue.

18 La fonctionnaire n'avait pas répondu le 8 septembre 2010. Cependant, le 16 septembre 2010, elle a laissé un message vocal pour dire qu'elle serait au travail cette journée-là; cependant, elle est arrivée en retard parce qu'elle avait manqué un autobus.

19 Le 23 septembre 2010, la fonctionnaire a signé un document (pièce 19) dans lequel elle consentait à subir une autre évaluation de l'aptitude à travailler par Santé Canada. Elle a également dit à son superviseur qu'elle avait vu son docteur et elle avait offert de lui remettre une note du médecin pour justifier ses absences.

20 Le 27 octobre 2010, la fonctionnaire a télécopié une note d'un médecin à M. Verrette (pièce 18). Il a indiqué dans son témoignage qu'il a accordé à la fonctionnaire un congé de maladie non payé lorsqu'il a reçu cette note. La note du médecin indiquait que la fonctionnaire était incapable de se présenter au travail depuis le 12 octobre 2010 et la note précisait simplement ce qui suit : [traduction] « Sa capacité à retourner au travail sera réévaluée par son médecin de famille. »

21 M. Verrette a indiqué dans son témoignage qu'il n'a jamais reçu d'autre confirmation médicale du médecin de famille, comme il est indiqué dans le certificat médical qu'il a reçu le 27 octobre 2010. Le 22 décembre 2010, M. Verrette a signé une lettre à Santé Canada pour demander une évaluation de l'aptitude à travailler (pièce 19).

22 Le 24 janvier 2011, M. Verrette a envoyé une lettre à la fonctionnaire, qui a été livrée par un huissier des services judiciaires (pièce 21). Il a dit à la fonctionnaire que l'évaluation de l'aptitude à travailler était prévue pour le 7 mars 2011 à 9 h 45. Il lui a demandé de communiquer avec lui avant la fermeture des heures de bureau le 1er février 2011 afin de confirmer qu'elle sera présente, puisqu'il avait la responsabilité de confirmer le rendez-vous avec Santé Canada.

23 Étant donné que la fonctionnaire n'avait pas communiqué avec M. Verrette le 1er février 2011, il a envoyé une nouvelle lettre qui a encore a été livrée par un huissier des services judiciaires (pièce 23). Dans cette lettre, il confirmait encore une fois le rendez-vous du 7 mars 2011 avec Santé Canada et il demandait à la fonctionnaire de lui répondre au plus tard à la fermeture des bureaux le 25 février 2011 afin de confirmer sa présence.

24 La fonctionnaire n'a pas répondu à la demande et, en conséquence, le rendez-vous avec Santé Canada a été annulé. Cependant, à 6 h 08 le 2 mars 2011, la fonctionnaire a laissé un message vocal à M. Verrette dans lequel elle indiquait qu'elle pourrait être présente au rendez-vous du 7 mars 2011. Selon la preuve, c'était trop tard et le rendez-vous est demeuré annulé.

25 M. Verrette a envoyé une nouvelle lettre à la fonctionnaire en date du 7 mars 2011 (pièce 24). Dans cette dernière, il l'avisait que le nouveau rendez-vous avec Santé Canada aurait lieu le 2 mai 2011 et qu'il était obligatoire qu'elle confirme sa présence au plus tard à la fermeture des bureaux le 21 mars 2011. Cette lettre a également été livrée par un huissier des services judiciaires.

26 La fonctionnaire n'a pas respecté la date du 21 mars 2011 et, en conséquence, M. Verrette a envoyé une lettre en date du 29 mars 2011. Il est utile de présenter le libellé de cette lettre :

[Traduction]

La présente est un suivi de ma lettre en date du lundi 7 mars 2011 concernant votre présence au travail et votre rendez-vous avec Santé Canada. Elle a pour but de vous informer que vous avez omis de présenter un certificat médical avant la date d'échéance prescrite du vendredi 25 mars 2011, comme le précisait ma lettre livrée par huissier le 8 mars 2011.

Vous êtes actuellement en congé non payé non autorisé et vous ne nous avez pas donné d'indications claires sur votre statut actuel ou votre date probable de retour au travail. J'ai donc décidé que, si vous ne me communiquez pas une raison satisfaisante pour expliquer votre absence continue d'ici le lundi 4 avril 2011, nous allons entamer le processus de licenciement non disciplinaire. Il est obligatoire que vous communiquiez avec moi durant les heures normales de travail d'ici la fermeture du jour ouvrable le lundi 4 avril 2011 au 613-971-6505. Si vous me fournissez un certificat médical recommandant que vous êtes inapte au travail, je suis disposé à autoriser un congé de maladie non payé. Comme le précise ma lettre du 7 mars 2011, veuillez envoyer votre certificat médical par courrier recommandé à mon attention.

Si vous-même ou votre représentant avez des questions au sujet de ce processus, n'hésitez pas à communiquer avec Samuel Roy, conseiller en relations de travail, au 613-971-0269.

Si vous avez d'autres questions ou si vous souhaitez discuter des détails de la présente lettre, n'hésitez pas à communiquer avec moi au 613-971-6505.

27 M. Verrette a indiqué dans son témoignage que, le 4 avril 2011, la fonctionnaire n'avait pas fourni de certificat médical à l'employeur.

28 La fonctionnaire a déclaré qu'elle a envoyé trois certificats médicaux, en date du 29 octobre 2010, du 7 février 2011 et du 7 mars 2011 (pièce 32), par télécopieur en mars 2011. Elle a indiqué dans son témoignage qu'elle n'était pas en mesure de trouver la preuve de livraison de cette télécopie. Je suis disposé à accepter son témoignage selon lequel elle a télécopié ces documents; cependant, j'accepte également le témoignage de M. Verrette selon lequel il ne les a pas reçus. Comme on le verra, cette conclusion a peu ou pas d'incidence sur le résultat ultime auquel je parviens.

29 Malgré la déclaration de M. Verrette dans sa lettre (pièce 26), il n'a pas entrepris d'action le 4 avril 2011 pour mettre fin aux services de la fonctionnaire pour des raisons non disciplinaires. En fait, le 28 juin 2011, M. Verrette a envoyé une autre lettre à la fonctionnaire, qui a encore une fois été livrée par un huissier des services judiciaires. Le contenu de cette lettre est également important. Elle est ainsi rédigée :

[Traduction]

La présente est un suivi de ma lettre en date du mardi 29 mars 2011 concernant votre présence au travail. Veuillez noter que cette lettre était déjà un suivi de ma lettre en date du lundi 7 mars 2011, livrée par huissier le mardi 8 mars 2011. La présente a pour but de vous informer que vous avez omis de présenter un certificat médical avant la date d'échéance prescrite du vendredi 25 mars 2011, comme le précisait ma lettre livrée par huissier le mercredi 30 mars 2011.

Il s'agit également d'un suivi de ma lettre en date du lundi 7 mars 2011, livrée par huissier le mardi 8 mars 2011 au sujet de votre rendez-vous avec Santé Canada le lundi 2 mai 2011. Elle a pour but de vous informer que vous avez omis de m'appeler avant la date d'échéance prescrite du lundi 21 mars 2011 afin de confirmer votre présence à ce rendez-vous. Veuillez noter que vous avez également omis de vous présenter à ce rendez-vous malgré le fait que vous étiez au courant.

Vous êtes actuellement en congé non payé non autorisé depuis le [sic] 27 septembre 2010 et vous ne nous avez toujours pas donné d'indications claires sur votre statut actuel ou votre date probable de retour au travail. Étant donné ce qui précède et le fait que je n'ai pas eu de vos nouvelles depuis le 2 mars 2011, je vais donc recommander à ma représentante déléguée, Mme Patricia Laviolette, directrice générale, Opérations financières, d'entamer le processus de licenciement non disciplinaire.

J'aimerais vous rappeler que le Programme d'aide aux employés (PAE) est à la disposition de tous les employés. Le PAE est un service d'orientation confidentiel à l'intention des employés du MDN qui souhaitent avoir de l'aide pour surmonter une période ou une situation difficile de leur vie. Le programme offre un soutien aux employés pour les aider à trouver des services, des agences et des professionnels spécialisés, qui sont compétents et qualifiés pour les aider. Vous pouvez joindre le bureau du PAE au 613-944-7159.

Si vous-même ou votre représentant avez des questions au sujet de ce processus, n'hésitez pas à communiquer avec Samuel Roy, agent des relations de travail au 613-971-0269.

Si vous avez d'autres questions ou si vous souhaitez discuter des détails de la présente lettre, n'hésitez pas à communiquer avec moi au 613-971-6505.

30 La lettre de licenciement, en date du 21 juillet 2011 (pièce 29), a été transmise à la fonctionnaire.

31 Il est important de noter qu'à aucun moment, entre le 2 mars 2011 et le 21 juillet 2011, la fonctionnaire n'a tenté de téléphoner à M. Verrette ou de communiquer autrement avec lui pour l'aviser qu'elle avait en fait transmis les documents médicaux à l'employeur. En outre, ces renseignements n'ont pas été transmis à l'employeur même durant l'audition du grief qui a eu lieu avant le renvoi de la présente affaire à l'arbitrage.

III. Résumé de l'argumentation

32 L'employeur a soutenu que la fonctionnaire a été licenciée pour des raisons non disciplinaires, à savoir qu'elle a abandonné son poste.

33 L'employeur a fait valoir que le licenciement de la fonctionnaire a été fait en vertu de l'alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiquesLGFP »), qui est ainsi rédigé :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l'égard du secteur de l'administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

e) prévoir, pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d'une personne employée dans la fonction publique;

[…]

34 L'employeur m'a renvoyé à un cas de l'ancienne Commission, qui, selon son avocate, se distingue du présent cas (Laye c. Administrateur général (ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire), 2013 CRTFP 27). L'avocate de l'employeur a fait valoir en l'espèce que l'omission par la fonctionnaire de répondre à la communication de son employeur et de fournir des renseignements médicaux, ou à tout le moins d'en assurer la livraison, représentait la preuve de l'abandon. Conformément à l'argument de l'employeur, Laye n'appuie pas la proposition selon laquelle un employeur ne peut plus mettre fin à un emploi pour abandon.

35 L'avocate de l'employeur m'a ensuite renvoyé à un autre cas devant la Cour fédérale qui, selon elle, appuyait la proposition selon laquelle l'employeur n'a pas à prouver que la fonctionnaire voulait abandonner son poste pour que l'arbitre de grief conclue que l'abandon s'est produit (Lindsay c. Procureur général du Canada, 2010 CF 389).

36 L'avocate de l'employeur a soutenu que plusieurs cas entendus par l'ancienne Commission et son prédécesseur continuent de confirmer qu'un employeur peut faire valoir qu'un employé a abandonné son poste et qu'il peut prendre une mesure non disciplinaire en le licenciant (Jensen c. Administrateur général (ministère de l'Environnement), 2009 CRTFP 153; Kwan c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-27120 (19960830); Pachowski c. Canada (Conseil du Trésor), 2000 CanLII 16436; Latchford c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-26212 (19961227)).

37 L'employeur a fait valoir que, même s'il avait imposé une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pour inconduite, il pouvait la licencier pour des raisons non disciplinaires (Forner c. Administrateur général (ministère de l'Environnement), 2014 CRTFP 95). Cependant, il a soutenu que, dans le cas dont je suis saisi, rien dans la preuve n'indiquait qu'une mesure disciplinaire était imposée à la fonctionnaire.

38 En outre, en ce qui concerne les renseignements médicaux fournis par la fonctionnaire, l'avocate de l'employeur a noté que les tribunaux et les arbitres de grief ont conclu que ces notes doivent être détaillées et étayées dans une certaine mesure pour qu'on puisse les invoquer (Halfacree c. Procureur général du Canada, 2014 CF 360, et Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68).

39 D'un autre côté, la fonctionnaire m'a renvoyé à la décision souvent citée dans Edith Cavell Private Hospital v. Hospital Employees' Union, Local 180 (1982), 6 L.A.C. (3e) 229. À la page 4 de cette décision, la fonctionnaire a suggéré que le savant arbitre a défini le critère qui doit être prouvé par l'employeur de façon à justifier la [traduction] « lacune non blâmable dans son rendement ».

40 De plus, la fonctionnaire m'a renvoyé à Laye et a suggéré que le présent cas était semblable. À cet égard, le savant arbitre de grief a conclu que l'employeur n'avait pas de bonnes raisons de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée dans ce cas pour des raisons non disciplinaires et qu'elle ne s'était pas présentée au travail pendant une période beaucoup plus longue que la fonctionnaire en l'espèce. Selon la fonctionnaire, je devrais adopter les motifs de Laye.

IV. Analyse

41 Ainsi que je vois mon rôle, les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. L'employeur a-t-il le droit de licencier un employé en fonction de l'allégation d'abandon de poste?
  2. Si oui, quels critères l'employeur doit-il respecter pour justifier une telle action?
  3. En l'espèce, l'employeur a-t-il respecté les critères?
  4. Après examen de l'ensemble des actions de l'employeur, puis-je conclure qu'elles étaient raisonnables?
  5. Enfin, quel redressement, le cas échéant, serait approprié dans les circonstances?

A. L'employeur a-t-il le droit de licencier un employé en fonction de l'allégation d'abandon de poste?

42 À mon avis, un employeur peut licencier un employé pour abandon présumé du poste (Jenson, Kwan, Pachowski et Latchford).

43 Le plus récent cas du prédécesseur de cette Commission confirme qu'un employeur peut mettre fin à un emploi pour abandon de poste (Laye). Le savant arbitre de grief a confirmé que l'employeur peut mettre fin à un emploi en vertu de l'alinéa 12(1)e) de la LGFP en faisant valoir que l'employé en question avait abandonné son poste. Cela étant dit, dans les circonstances du présent cas, le savant arbitre de grief a conclu que l'employeur n'a pas établi la preuve de l'abandon de poste.

44 La décision susmentionnée (Laye) a tenu compte du fait que le pouvoir explicite de l'administrateur général de licencier un employé pour motif d'abandon a été annulé par la Loi sur la réforme de la fonction publique de 1992. Le savant arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

[…]

[…] en l'absence d'une définition expresse de l'abandon de poste dans les dispositions législatives, les lignes directrices de l'employeur ou la convention collective, un employé peut quand même être réputé avoir abandonné son poste dans des circonstances où il s'est absenté du travail pendant une longue période sans en avoir obtenu l'autorisation et sans raisons valables, alors que les circonstances relevaient de son contrôle, et sans en avoir avisé l'employeur, à moins que l'employé montre qu'il était incapable d'aviser l'employeur en raison de circonstances exceptionnelles.

[…]

B. Si oui, quels critères l'employeur doit-il respecter pour justifier une telle action?

45 L'alinéa 12(1)e) de la LGFP, à mon avis, permet à l'administrateur général d'exercer son pouvoir discrétionnaire afin de faire un licenciement pour des raisons non disciplinaires, y compris l'abandon. Le caractère raisonnable de la décision de l'administrateur général doit être examiné par un arbitre de grief (Laye et Lindsay). En d'autres termes, l'employeur doit me convaincre qu'il a agi équitablement et de bonne foi.

46 J'accepte la conclusion selon laquelle, lorsqu'il a présenté sa preuve, l'employeur n'avait pas à établir que la fonctionnaire avait l'intention d'abandonner son poste (Lindsay).

47 Cependant, l'employeur doit établir que la fonctionnaire : 1) s'est absentée du travail pendant une longue période; 2) sans en avoir eu l'autorisation; 3) et sans raisons valables, alors que les circonstances relevaient de son contrôle; 4) sans en avoir avisé l'employeur (Laye).

C. En l'espèce, l'employeur a-t-il respecté les critères?

48 Même si à mon avis l'employeur n'est pas tenu de prouver l'intention, la preuve dont je dispose révèle que la fonctionnaire connaissait ou aurait dû connaître sa responsabilité de produire les renseignements médicaux. En outre, elle aurait dû s'assurer que son employeur avait reçu ces documents.

49 La fonctionnaire ne l'a clairement pas fait.

50 Pour en venir à cette constatation, j'ai conclu que la fonctionnaire avait envoyé un certificat médical en mars 2011 par télécopieur à un numéro qui peut ne pas avoir été celui de l'employeur. Cependant, elle a été avisée à plusieurs occasions après cela au moyen de lettres livrées par un huissier des services judiciaires que l'employeur n'avait pas reçu ces documents.

51 Une personne raisonnable aurait appelé son superviseur et aurait veillé à la livraison des documents. En effet, dans ses observations, le représentant de la fonctionnaire a indiqué que le syndicat aurait veillé à la livraison de ces documents s'il avait été prévenu.

52 Cela indique-t-il une intention de la part de la fonctionnaire? Probablement pas; cependant, cela établit un manque de responsabilité et ne témoigne pas en faveur de la fonctionnaire.

53 Cela étant dit, l'aspect le plus troublant du présent cas du point de vue de l'employeur est la question de savoir si la fonctionnaire était en congé non autorisé pendant une longue période (Laye).

54 À mon avis, on doit répondre par l'affirmative.

55 Il n'est pas contesté que la fonctionnaire a envoyé des documents médicaux à l'employeur le 27 octobre 2010. Ces documents indiquent qu'elle n'était pas en mesure de se présenter au travail et qu'elle fournirait d'autres documents à une date ultérieure. L'employeur a utilisé ce certificat médical pour justifier son absence et lui a accordé un congé de maladie non payé autorisé.

56 L'employeur a fixé un rendez-vous avec Santé Canada pour une évaluation de l'aptitude à travailler. Des communications ont été envoyées à la fonctionnaire à deux occasions pour l'aviser que le rendez-vous était le 7 mars 2011. La preuve appuie la conclusion selon laquelle la fonctionnaire était toujours en congé de maladie autorisé, même si elle n'était pas payée, du moins jusqu'à cette date.

57 Lorsque la fonctionnaire a omis de communiquer avec M. Verrette le 25 février 2011, l'employeur a pris des mesures pour fixer un autre rendez-vous avec Santé Canada pour la même évaluation de l'aptitude à travailler. Une communication a été envoyée à la fonctionnaire par M. Verrette le 7 mars 2011, lui demandant de confirmer sa présence au plus tard le 21 mars 2011. À mon avis, à cette étape, la fonctionnaire était toujours en congé de maladie non payé autorisé.

58 Ce n'est que le 21 mars 2011 que l'employeur a soulevé la possibilité d'entamer un [traduction] « licenciement non disciplinaire ». La référence à ce type de mesure obligeait la fonctionnaire à répondre à M. Verrette d'ici la fermeture du jour ouvrable le 4 avril 2011.

59 Ainsi, le scénario le plus favorable pour l'employeur est que la fonctionnaire était uniquement en congé non autorisé lorsqu'elle a reçu la lettre en date du 29 mars 2011.

60 Cependant, l'employeur n'a pas entrepris la mesure qui consistait à mettre fin aux services de la fonctionnaire pour des raisons non disciplinaires. En fait, le 28 juin 2011, M. Verrette a envoyé une autre lettre dans laquelle il note encore une fois que la fonctionnaire était en congé non autorisé. En outre, il a encore une fois indiqué qu'il entamerait une mesure pour un [traduction] « licenciement non disciplinaire ». Dans cette lettre, il a recommandé à l'autorité appropriée d'entamer le processus.

61 La preuve n'est pas contestée, la lettre de licenciement était en date du 1er juillet 2011.

62 Par conséquent, à mon avis, la fonctionnaire était en congé non autorisé probablement du 29 mars 2011, mais à tout le moins du 28 juin 2011 au 21 juillet 2011.

63 À mon avis, dans l'un ou l'autre cas, il s'agit d'une longue période.

64 La jurisprudence des précédentes Commissions révèle que la question de l'abandon de poste a été examinée dans plusieurs cas dans lesquels les périodes d'absence variaient considérablement. Par exemple, dans Latchford, la période d'absence était une période d'un mois, dans Okrent, il s'agissait de six mois et, dans Laye, la période d'absence était de trois ans. Même les anciennes décisions de l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, comme Dorion c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossiers de la CRTFP 166-2-14806 à 14808 (19950219), font référence à des périodes beaucoup plus courtes (deux semaines environ dans le cas de M. Dorion) et renvoient à une version antérieure de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui contenait une disposition sur l'abandon qui faisait référence à une absence d'une semaine à titre de fondement suffisant pour qu'il y ait déclaration d'abandon.

65 Je suis d'avis qu'aucune limite précise ne peut être tracée entre les périodes qui appuieront une déclaration d'abandon et celles qui ne sont pas suffisamment longues pour le faire. Chaque cas doit être évalué selon son propre bien-fondé et son propre contexte. En l'espèce, la fonctionnaire a été absente du travail sans autorisation dans des circonstances où l'employeur avait communiqué avec elle, lui avait clairement exprimé ce qu'il considérait comme son poste en ce qui concerne le congé à une date précise et l'avait clairement avisée des conséquences du fait de ne pas répondre à ses demandes de renseignements. La période durant laquelle elle a omis de communiquer avec l'employeur n'est pas du tout négligeable et, pour un employeur et toute personne raisonnable, cela constitue une longue période pendant laquelle elle n'a pas communiqué avec lui et l'a laissé dans l'ignorance quant au moment où elle reviendrait au travail, si elle devait revenir.

66 Le témoignage fourni par la fonctionnaire ne donne aucune raison valable de son absence qui échappe à son contrôle. En effet, elle n'a pas expliqué son absence durant la procédure de règlement des griefs ou devant moi. En outre, la preuve a clairement confirmé que la fonctionnaire avait été absente du travail pendant une période que j'ai qualifiée de longue sans aviser son employeur.

D. Après examen de l'ensemble des actions de l'employeur, puis-je conclure qu'elles étaient raisonnables?

67 Il est important d'examiner le caractère raisonnable des actions de l'employeur.

68 La preuve dont je suis saisi indique qu'en 2010, M. Verrette a communiqué avec la fonctionnaire à plusieurs occasions. Il l'a fait par écrit, mais également au moyen d'appels et de messages téléphoniques. Malgré le fait qu'il était frustré par le fait que le téléphone de la fonctionnaire avait été mangé par le chien, pour ce qui est de son cellulaire, ou déconnecté, dans le cas de sa ligne terrestre, il a continué de tenter de communiquer avec elle et lui a laissé plusieurs messages vocaux, allant même jusqu'à engager les services d'un huissier pour assurer la réception de ses communications.

69 Je remarque que cela semble avoir changé quelque peu en mars 2011. Jusqu'à ce moment, M. Verrette avait communiqué avec la fonctionnaire de façon régulière et il avait fait un suivi des dates d'échéance pour la transmission des renseignements. Cependant, le 7 mars 2011, il a communiqué avec la fonctionnaire et l'a avisée qu'elle devait l'appeler au plus tard le 21 mars 2011 afin de confirmer sa présence à un rendez-vous avec Santé Canada. Lorsque la fonctionnaire a omis de répondre, il a envoyé une autre lettre en date du 29 mars 2011 pour l'aviser qu'elle était dorénavant en congé non autorisé et il lui a demandé de communiquer avec lui au plus tard le 4 avril 2011, à défaut de quoi le processus de licenciement non disciplinaire serait entrepris. Malgré cet avertissement, M. Verrette n'a pas entamé cette action à cette date et il semble avoir communiqué avec la fonctionnaire une autre fois seulement le 28 juin 2011, près de trois mois après la date d'échéance qu'il avait imposée et près de deux mois après qu'elle avait manqué son rendez-vous avec Santé Canada. Même s'il eut été préférable de communiquer avec la fonctionnaire plus tôt, je ne peux affirmer que cette omission de le faire a eu une incidence sur les actions de cette dernière et cela ne pouvait certainement pas être considéré comme une absolution de ses actions. Je conclus également que ses actions respectent le critère du caractère raisonnable dans les circonstances. Il a communiqué avec la fonctionnaire, par l'entremise d'un huissier, à plusieurs occasions avant de prendre des mesures, il lui a clairement indiqué le point de vue de l'employeur et les conséquences si elle omettait de communiquer avec lui. Ses actions, même si elles n'étaient pas parfaites, étaient tout à fait raisonnables.

70 Je comprends la frustration que M. Verrette peut avoir ressentie; cependant, étant donné le fait que le licenciement d'un employé a été décrit par les arbitres de grief comme la « peine capitale » de l'emploi, il aurait été préférable pour l'employeur de faire un suivi opportun de ses lettres à la fonctionnaire dans le but de tenter d'obtenir les documents nécessaires.

71 Cela étant dit, à mon avis, les actions de M. Verrette respectent le critère du caractère raisonnable dans les circonstances.

E. Enfin, quel redressement, le cas échéant, serait approprié dans les circonstances?

72 Étant donné que je conclus que le grief n'a aucun fondement, ce n'est pas nécessaire d'examiner les redressements demandés par la fonctionnaire autrement que pour dire que, si j'avais conclu autrement, tout redressement accordé n'aurait pas compris un salaire rétroactif. J'affirme cela, car aucun élément de preuve ne m'a été fourni qui aurait justifié une telle demande. En effet, la preuve établit clairement que la fonctionnaire n'a pas été en mesure de se présenter au travail depuis 2010.

73 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

74 Je conclus que le grief doit être rejeté.

Le 3 février 2015.

Traduction de la CRTEFP

George Filliter,
arbitre de grief

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