Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a été suspendu sans salaire et a été licencié en raison d'une inconduite – en tant qu'agent des services frontaliers, le fonctionnaire s'estimant lésé était un agent de la paix – les Services de police de Thunder Bay (SPTB) ont procédé à une série d'arrestations liées au trafic et à la participation aux activités d'une organisation criminelle dans ce qui est considéré comme le projet Dolphin – certaines des personnes arrêtées avaient des liens sociaux avec le fonctionnaire s'estimant lésé – durant l'enquête des SPTB, ils ont communiqué avec l'ASFC pour l'informer d'une possible faille de sécurité, mais lui ont demandé de ne pas alerter le fonctionnaire s'estimant lésé, de manière à ne pas nuire à l'enquête – les associations du fonctionnaire s'estimant lésé avaient été portées à l'attention de l'employeur quelques années plus tôt, lorsqu'un collègue avait fait part de ses préoccupations à ses supérieurs et la GRC avait aussi communiqué à l'ASFC des copies de relevés téléphoniques et de photos de Facebook qui montraient le fonctionnaire s'estimant lésé en compagnie d'une personne d'intérêt – la GRC avait demandé que l'ASFC ne mène pas d'enquête afin de préserver son enquête préliminaire – après les arrestations, l'ASFC a commencé une enquête et a appris que la cousine du fonctionnaire s'estimant lésé, une personne qui est conjointe de fait de l'une des personnes arrêtées, avait aussi été arrêtée dans le cadre du projet Dolphin, sans que des accusations soient portées contre elle – un examen des relevés téléphoniques du fonctionnaire s'estimant lésé a démontré qu'il avait fait plus de 90 appels à l'une des personnes arrêtées – l'employeur a appris que le fonctionnaire s'estimant lésé avait refusé de mener une fouille à l'égard d'une personne surveillée, au motif de leur amitié, et qu'il avait créé un compte dans le Système intégré d'exécution des douanes (SIED) pour des personnes avec lesquelles il était associé, ce qui était un conflit d'intérêts évident – l'employeur a aussi appris que le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait une requête de réseau sur des personnes arrêtées dans le cadre du projet Dolphin, sans avoir de motif lié au travail pour le faire – le fonctionnaire s'estimant lésé avait aussi rendu visite à l'une des personnes arrêtées et mises en prison – l'employeur a alors suspendu le fonctionnaire s'estimant lésé sans salaire et, à la suite de l'enquête confirmant l'association de longue date du fonctionnaire s'estimant lésé avec des personnes impliquées dans le crime organisé, le fonctionnaire s'estimant lésé a été licencié – l'arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé était au courant, des années avant les arrestations, que certaines des personnes avec lesquelles il était associé avaient des liens criminels et qu'il y avait un lien entre sa conduite hors du travail et les intérêts de son employeur – ses relations sociales étaient incompatibles avec son emploi d'agent de la paix – le fonctionnaire s'estimant lésé était en conflit d'intérêts et avait violé les dispositions du Code de conduite – il n'avait aucunement tenté de manière significative de communiquer ses associations à son employeur – l'employeur n'a pas excusé les actes du fonctionnaire s'estimant lésé en ne l'avertissant pas ou en ne prenant aucune mesure, puisqu'il était déraisonnable qu'un agent des douanes présume que l'amitié avec des personnes soupçonnées d'activités criminelles serait tolérée et que le fonctionnaire s'estimant lésé avait ignoré un avertissement amical que lui avait fait son collègue – même si l'imposition de la sanction disciplinaire était tardive, la preuve a permis de constater que l'employeur s'était fait demander de ne pas prendre de mesure afin de protéger une vaste enquête criminelle de longue durée – il était raisonnable que l'employeur retarde ses mesures et la durée du délai n'était pas excessive – le manque de compréhension de la part du fonctionnaire s'estimant lésé quant à la question du conflit d'intérêts signifiait que son retour au travail était un véritable risque – le licenciement était une sanction raisonnable – le licenciement a été antidaté à la date de sa suspension pour une durée indéterminée, ce qui rend théorique son grief relatif à sa suspension. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150309
  • Dossier: 566-02-8994, 8995 et 8997
  • Référence: 2015 CRTEFP 24

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JASON STOKALUK

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Stokaluk c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Thunder Bay, en Ontario,
entre le 29 juillet et le 1er août 2014.
(Traduction de la CRTEFP)

1 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires prévues aux articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), dans sa version antérieure à cette date.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

2 Jason Stokaluk, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), était un agent des services frontalier (« ASF »), classifié FB-03. Il travaillait au point d'entrée de Pigeon River, région du Nord de l'Ontario, pour l'Agence des services frontaliers du Canada (l'« ASFC » ou l'« employeur »). Il était couvert par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe des Services frontaliers (date d'expiration : le 20 juin 2011) (la « convention collective »).

3 Le 23 octobre 2012, le fonctionnaire a été suspendu sans rémunération pour une durée indéterminée, à compter du 24 octobre 2012, en attente du résultat d'une enquête disciplinaire concernant des allégations d'inconduite. Le 13 février 2013, l'employeur a mis fin à l'emploi du fonctionnaire pour des motifs disciplinaires, à compter du 24 octobre 2012, au motif que son association avec des criminels connus constituait un conflit d'intérêts et allait à l'encontre du Code de conduite et du Code de valeurs et d'éthique du secteur public.

4 Le 2 novembre 2012, le fonctionnaire a déposé un grief relativement à la suspension pour une durée indéterminée. Le 2 novembre 2012, il a également déposé un grief alléguant un acte discriminatoire au motif d'une activité syndicale en contravention de l'article 19 de la convention collective. Le 13 février 2013, il a déposé un grief relativement à son congédiement. Le 30 septembre 2013, les griefs ont été rejetés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, et ce, même s'ils ont été renvoyés à l'arbitrage le 18 septembre 2013.

5 À l'audience d'arbitrage, le fonctionnaire a retiré le dossier de la CRTFP 566-02-8994 (violation alléguée de l'article 19 de la convention collective).

II. Résumé de la preuve

6 L'employeur a cité à témoigner le gendarme Rob Kushnier, du service de police de Thunder Bay (SPTB); le sergent Kenneth Davis, SPTB (retraité); Janice Paterson, enquêtrice principale, Direction générale des normes professionnelles (« Normes professionnelles »), ASFC; Tuula Schuler, directrice de district, Nord-Ouest de l'Ontario, ASFC; Ariane Reza, directrice générale, Direction générale de programme des voyageurs, ASFC; Matthew Yaworski, conseiller principal en relations de travail, ASFC. L'employeur a déposé 18 documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné et a cité David Bakovic, ASF, ASFC, et Rick Gauthier, agent du renseignement, ASFC, à témoigner. Le fonctionnaire a déposé quatre documents en preuve.

7 Le fonctionnaire a été embauché par l'employeur dans le cadre d'un emploi d'été pour étudiant en 2002 et a travaillé à ce titre pendant deux étés. En 2004, il a été nommé à un poste d'ASF à temps plein pour une durée déterminée. Le 27 juin 2007, il a été nommé à un poste d'une durée indéterminée à titre d'ASF. Il a reçu une formation au centre de formation de l'ASFC à Rigaud, au Québec. À titre d'ASF, le fonctionnaire était un agent de la paix. Il était responsable du traitement des voyageurs et des biens entrant au Canada, de la perception des impôts et des droits applicables et de l'application de la loi. Il a témoigné qu'il n'était pas armé et qu'il n'avait pas suivi de formation sur les armes à feu. Il portait toutefois des armes défensives, par exemple une matraque et un vaporisateur de poivre.

8 Le fonctionnaire travaillait au point d'entrée de Pigeon River avec un partenaire, M. Bakovic. Environ 30 personnes travaillaient au point d'entrée de Pigeon River; il y avait deux quarts de travail. De quatre à cinq agents travaillaient pendant le quart de jour, et deux ou trois pendant le quart de nuit.

9 En juin 2011, le SPTB a procédé à une série d'arrestations relativement à des chefs d'accusation de trafic de drogue et de participation à une organisation criminelle (pièce E-1). Les arrestations étaient le résultat d'une enquête de 16 mois, le projet Dolphin, qui constituait un effort conjoint auquel participaient, notamment, le SPTB, la Police provinciale de l'Ontario (l'« OPP ») et la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Le projet Dolphin ciblait des organisations criminelles opérant à Thunder Bay et à l'échelle nationale et internationale. Ce projet avait recours à des policiers, à des policiers banalisés et à des enquêteurs. Le sergent Davis était un enquêteur principal dans le cadre de ce projet. Il a témoigné qu'il avait supervisé les enquêteurs au cours de l'étape 1 du projet Dolphin et qu'il avait également agi à titre d'agent de liaison dans le cadre de l'enquête. L'agent Kushnier a participé à ce projet à titre d'enquêteur et de rédacteur de documents, qu'il a décrit comme étant la préparation des demandes de mandats de perquisition.

10 Frank Muzzi était l'une des personnes arrêtées en juin 2011. En 2011, il a été accusé d'un certain nombre d'infractions; il a fait l'objet d'autres accusations en 2012, dont trafic de drogues, complot en vue de faire le trafic de drogues et d'être un dirigeant d'une organisation criminelle. Il a été gardé en détention, puis il a plaidé coupable aux infractions. Selon l'agent Kushnier, M. Muzzi était connu de la police depuis 2001 en raison du lien qu'il entretenait avec des trafiquants de drogues connus à Thunder Bay. Il était une cible dans le cadre du projet Dolphin, car on le croyait responsable de l'opération d'une cellule de distribution de drogues à Thunder Bay. M. Muzzi avait déjà été arrêté avant le projet Dolphin, mais il n'avait pas été condamné relativement à une infraction criminelle quelconque.

11 L'agent Kushnier a témoigné que Keith Ritchie et Travis Gordon avaient également été visés par l'enquête dans le cadre du projet Dolphin. Selon la police, M. Gordon distribuait de la drogue pour M. Muzzi et qu'il socialisait avec lui. On croyait que M. Ritchie participait à l'importation et au transport de la drogue. Ce dernier socialisait également avec M. Muzzi. M. Gordon a été arrêté quelques mois avant que les arrestations dans le cadre du projet Dolphin aient lieu. En 2011, il a été condamné pour trafic de drogue. Selon le témoignage de l'agent Kushnier, M. Ritchie a été arrêté en juin 2011 et son affaire était devant les tribunaux au moment de la présente audience.

12 Selon l'agent Kushnier, au début des premières étapes du projet Dolphin, les enquêteurs ont reçu des renseignements selon lesquels le fonctionnaire, qui socialisait avec M. Muzzi, facilitait les expéditions de drogue au-delà de la frontière. Il a témoigné que les enquêteurs avaient été en mesure de corroborer la relation entre le fonctionnaire et M. Muzzi. Des photographies affichées sur la page Facebook du fonctionnaire le montraient avec M. Muzzi. En outre, des photographies de la surveillance de M. Muzzi le montraient se tenant à l'extérieur d'un bar local en compagnie du fonctionnaire. En contre-interrogatoire, il a reconnu que, même s'il existait de l'information préliminaire selon laquelle le fonctionnaire prenait part à la facilitation du transport de substances contrôlées au-delà de la frontière, celui-ci n'a pas été interviewé relativement à un crime quelconque, n'a jamais été accusé, et aucun mandat de perquisition n'a été exécuté à son égard.

13 Le sergent Davis a témoigné que lorsque le fonctionnaire a été identifié comme un suspect éventuel par les enquêteurs, il a communiqué avec l'ASFC à titre de courtoisie professionnelle pour les informer d'un manquement potentiel à la sécurité. Il a parlé à Dave MacDonald, chef du renseignement pour l'ASFC, et à Mme Paterson, Normes professionnelles, de l'enquête policière sur le crime organisé et a expliqué qu'on avait identifié le fonctionnaire comme étant une cible possible en raison de son association avec M. Muzzi et d'autres trafiquants de drogue connus. Il leur a demandé de ne pas informer le fonctionnaire de l'enquête, à moins que ce soit pour une question de sécurité, car la police ne voulait pas compromettre l'enquête. Le sergent Davis a également témoigné, en contre-interrogatoire, qu'il avait eu plusieurs discussions à propos du fonctionnaire avec M. Gauthier, un agent du renseignement de l'ASFC, à Thunder Bay.

14 L'agent Kushnier et le sergent Davis ont témoigné que les données recueillies dans le cadre du projet Dauphin étaient exhaustives et que la police continuait d'enquêter et de suivre les indices obtenus dans le cadre de l'enquête. En contre-interrogatoire, le sergent Davis a déclaré que, même si le fonctionnaire n'a jamais été interviewé par la police pendant le projet Dolphin, il était une personne d'intérêt selon les renseignements que la police avait reçus; il ne pouvait divulguer ces renseignements.

15 Mme Paterson a témoigné qu'elle avait d'abord parlé avec le sergent Davis en octobre 2010. Comme il a demandé à l'ASFC de ne prendre aucune mesure fondée sur ces renseignements, aucune enquête officielle n'a été lancée. Elle a déclaré qu'il n'était pas inhabituel pour la police de demander à l'ASFC de reporter une enquête afin de protéger une enquête criminelle. Même si aucune enquête n'était en cours à ce moment, elle a commencé une enquête préliminaire. Elle a procédé à un examen de la boîte aux lettres électronique du fonctionnaire. Elle a effectué des recherches dans la base de données et a mené une vérification de l'utilisation des systèmes de l'ASFC par le fonctionnaire. Elle a expliqué qu'il s'agissait de mesures qu'elle pouvait prendre en arrière-plan sans alerter le fonctionnaire.

16 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a reconnu que l'amitié du fonctionnaire avec des personnes d'intérêt pour la police avait été portée à l'attention de l'employeur dès 2008, lorsque M. Gauthier avait signalé ses préoccupations à ses officiers supérieurs. En outre, en septembre 2008, la division de Thunder Bay de la GRC a remis à l'employeur des copies de photographies provenant de Facebook sur lesquelles on peut voir le fonctionnaire et M. Muzzi, ainsi que les rapports sur les numéros composés (RNC) liés aux appels téléphoniques effectués par le fonctionnaire. À l'époque, la GRC avait également demandé à l'employeur de s'abstenir de mener une enquête afin de protéger son enquête préliminaire sur le crime organisé. En raison de la demande de la police, l'ASFC n'a donc pas lancé une enquête officielle sur les associations du fonctionnaire en 2008 ou en octobre 2010.

17 En septembre 2012, Mme Schuler est devenue la directrice du district Nord-Ouest de l'Ontario. Peu de temps après avoir commencé à occuper son poste, elle a effectué une visite de la région, dont Thunder Bay, en octobre 2012. Pendant ses rencontres avec la direction locale, on l'a informée de l'amitié du fonctionnaire avec une personne faisant partie du crime organisé. On lui a également dit que le fonctionnaire avait refusé de procéder à la fouille, au point d'entrée de Pigeon River, d'une personne faisant l'objet d'un avis de surveillance en raison de son amitié avec cette personne.

18 Selon Mme Schuler, les allégations étaient suffisamment graves pour justifier la tenue d'une enquête. Elle a parlé avec Mme Reza et Ken McCarthy, le directeur des Normes professionnelles. Ils ont décidé qu'une enquête serait menée par les Normes professionnelles et, par conséquent, le dossier a été attribué à Mme Paterson. Mme Schuler a expliqué qu'elle n'avait joué aucun rôle dans l'enquête et qu'elle n'avait pas pris part au dossier avant la publication du rapport de Mme Paterson.

19 Mme Paterson a témoigné que, en octobre 2012, elle a commencé une enquête officielle sur les allégations voulant que le fonctionnaire fût associé avec des personnes soupçonnées d'être liées au crime organisé, comme MM. Muzzi, Gordon et Ritchie. Elle a passé en revue les données historiques qui avaient été fournies aux Normes professionnelles par la police dans le passé relativement aux associations du fonctionnaire avec ces individus. Ces renseignements comprenaient des photographies publiées sur Facebook, des rapports de renseignements de l'ASFC, le RNC et la liste des sujets et des véhicules potentiellement visés fournie par le SPTB.

20 Mme Paterson a également examiné la couverture médiatique des arrestations effectuées dans le cadre du projet Dolphin. Elle a confirmé que M. Muzzi avait été arrêté en juin 2011 et qu'il avait été incarcéré. En avril 2012, MM. Gordon et Ritchie ont été arrêtés et accusés, d'autres chefs d'accusation ont été déposés à l'endroit de M. Muzzi. Elle a appris que la cousine du fonctionnaire, Rebecca Stokaluk, avait également été arrêtée, même si aucun chef d'accusation n'avait été déposé contre elle. Elle a examiné le Système intégré d'exécution des douanes (SIED) et a confirmé que M. Muzzi avait fait l'objet d'un avis de surveillance émis en octobre 2008, que MM. Ritchie et Gordon avaient également fait l'objet d'avis de surveillance émis en août 2009 et que la sœur de M. Muzzi, Rosella Muzzi, avait fait l'objet d'un avis de surveillance émis en mars 2010.

21 Au moyen du RNC, Mme Paterson a comparé l'utilisation que le fonctionnaire faisait de son téléphone et son horaire de travail. Elle a confirmé avec le fonctionnaire que le numéro de téléphone inscrit dans le RNC était bien son numéro de téléphone à domicile. Elle a témoigné que, sur une période de 11 mois où les numéros ont été inscrits, on a relevé plus de 90 appels téléphoniques entre M. Muzzi et le fonctionnaire. En contre-interrogatoire, elle a reconnu que les appels téléphoniques avaient été effectués à partir et à destination du téléphone au domicile du fonctionnaire et que, lorsqu'elle a comparé les appels à son horaire de travail, il était évident qu'il n'était pas en service.

22 Mme Paterson a également mené un examen de l'historique des déplacements de la liste des cibles criminelles et des véhicules fournis par le SPTB et a comparé leur historique de déplacements avec l'horaire de travail du fonctionnaire. Elle a déclaré qu'elle ne croyait pas que le fonctionnaire ait procédé au traitement de ces personnes pour leur permettre de traverser la frontière. Cependant, elle a également déclaré que les déplacements de M. Muzzi étaient essentiellement effectués par avion, par l'Aéroport international Pearson, et qu'elle ne se souvenait pas si elle avait déjà vérifié l'historique des déplacements de son véhicule, qui faisait également l'objet d'un avis de surveillance.

23 Mme Paterson a témoigné que sa recherche initiale l'avait portée à croire que le fonctionnaire avait accédé au réseau de façon inappropriée à plusieurs reprises. Selon les renseignements en sa possession, il a créé des avis de surveillance dans le SIED pour MM. Gordon et Ritchie le 2 juillet 2009. À son avis, il s'agissait d'un conflit d'intérêts. Selon elle, il incombe à tout employé de l'ASFC de se récuser en cas de conflit d'intérêts. Étant donné que le fonctionnaire était personnellement associé à M. Gordon en raison d'un lien familial et qu'il connaissait M. Ritchie, elle croyait qu'il n'aurait pas dû participer à la publication des avis de surveillance. Elle a témoigné que les renseignements sur les avis de surveillance étaient critiques et qu'il est important de ne pas les compromettre.

24 Selon les renseignements de Mme Paterson, le 29 juillet 2009, le fonctionnaire avait effectué une deuxième requête dans le réseau au sujet de l'avis de surveillance dont M. Ritchie était l'objet. Selon le témoignage de Mme Paterson, l'importance de la requête relevait du fait que M. Ritchie avait été intercepté à l'Aéroport international Pearson et que celle-ci avait été faite après l'arrivée de M. Ritchie. Le fonctionnaire n'avait aucune raison d'ordre professionnel pour effectuer cette requête à ce moment, car il ne travaillait pas sur ce dossier. Par conséquent, Mme Paterson s'est demandé s'il avait divulgué de façon inappropriée des renseignements au sujet de la surveillance.

25 Mme Paterson a témoigné que, après avoir examiné les renseignements généraux dont elle disposait, elle a interviewé le fonctionnaire. Elle a passé en revue ses antécédents d'emploi et a confirmé sa compréhension du Code de conduite de l'ASFC et des politiques concernant l'usage des réseaux de l'employeur. Elle a témoigné qu'il lui avait n'avoir jamais accédé à des dossiers du réseau sans autorisation.

26 Mme Paterson a questionné le fonctionnaire au sujet de son amitié avec les personnes identifiées comme des personnes d'intérêt par la police. En réponse à ses questions, le fonctionnaire a reconnu qu'il connaissait M. Gordon depuis un certain nombre d'années. Il a dit que M. Gordon vivait avec sa cousine, Rebecca, et qu'ils socialisaient environ une fois par mois, se visitant au domicile de l'un ou l'autre. Il a toutefois affirmé qu'il n'entretenait aucune relation personnelle avec M. Ritchie et qu'il le connaissait uniquement par l'intermédiaire d'autres personnes. Il n'était pas en mesure de dire si M. Ritchie était déjà venu à son domicile pendant les fins de semaine au cours desquelles il tenait une fête portes ouvertes. Il croyait s'être trouvé occasionnellement au même endroit, au même moment.

27 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a reconnu que les renseignements communiqués par le fonctionnaire constituaient la seule preuve dont elle disposait quant à une relation personnelle entre le fonctionnaire et M. Gordon. En ce qui concerne l'association du fonctionnaire avec M. Ritchie, elle a également reconnu qu'elle ne disposait que de la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il connaissait M. Ritchie, rien de plus.

28 Pendant son entrevue avec Mme Paterson, le fonctionnaire a également reconnu qu'il était ami avec M. Muzzi. Il lui a dit qu'il connaissait M. Muzzi depuis environ 10 ans, soit depuis qu'il était âgé de 17 ans. Il a reconnu qu'il était présent à la fête d'anniversaire de M. Muzzi en 2008, au cours de laquelle M. Muzzi a reçu une décharge électrique d'un pistolet taser et a été arrêté par la police. Il lui a également dit qu'il savait que M. Muzzi voyageait fréquemment, mais qu'il n'avait jamais réfléchi à la façon dont ses déplacements étaient financés. Pendant son entrevue, le fonctionnaire a également informé Mme Paterson qu'il avait rendu visite à M. Muzzi à la prison en octobre 2012. Elle a témoigné qu'il lui avait dit qu'il avait rendu visite à M. Muzzi à deux reprises depuis son incarcération et que M. Muzzi l'avait appelé depuis la prison pour lui souhaiter bon anniversaire.

29 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a reconnu que le fonctionnaire lui avait dit qu'il était présent à la fête d'anniversaire de M. Muzzi en 2008, mais qu'il n'était pas présent lorsque M. Muzzi a reçu la décharge d'un pistolet taser et a été arrêté. Elle a toutefois déclaré que ce qui était important pour elle à propos de cet événement était que le fonctionnaire savait que M. Muzzi avait été arrêté. Elle a également convenu que le fonctionnaire lui avait dit qu'il ne savait pas comment M. Muzzi pouvait se permettre son style de vie, mais qu'il supposait que c'était en raison du fait qu'il vivait avec sa mère et qu'il occupait deux emplois. Elle a également reconnu que les seuls renseignements dont elle disposait concernant la visite du fonctionnaire à M. Muzzi à la prison provenaient du fonctionnaire lui-même et que le fonctionnaire lui avait également dit qu'il était possible qu'il ait accompagné la mère ou la sœur de M. Muzzi dans le cadre d'une visite à la prison.

30 Mme Patterson a témoigné avoir questionné le fonctionnaire à propos des avis de surveillance qu'il avait émis. Au début, il ne se souvenait pas d'avoir émis les avis de surveillance, qui concernaient des stupéfiants, à l'égard de MM. Gordon et Ritchie. Il a déclaré qu'il était perplexe, car il évitait habituellement tout ce qui touchait des personnes qu'il connaissait. Il lui a également dit qu'il n'était au fait d'aucune rétroaction ou interception découlant de ces avis de surveillance.

31 Mme Paterson a témoigné que le fonctionnaire s'était souvenu que M. Gauthier lui avait demandé d'émettre les avis de surveillance uniquement après qu'elle lui ait dit que les vérifications démontraient qu'il en avait personnellement fait la requête. Il lui a dit qu'il ne voulait pas sous-entendre que M. Gauthier avait commis une irrégularité, mais qu'il n'était pas inhabituel de demander aux ASF travaillant au port d'entrée de Pigeon River d'émettre de tels avis de surveillance. Le fonctionnaire a également déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir fait une requête concernant la surveillance de M. Ritchie le 29 juillet 2009, mais a déclaré qu'il ne divulguerait jamais ces renseignements.

32 Mme Paterson a questionné le fonctionnaire à propos de ce qu'il savait des arrestations menées en avril 2012 à la suite du projet Dolphin. Il lui a dit qu'il savait que la maison de Mme Stokaluk avait fait l'objet d'une perquisition et qu'elle avait été arrêtée, même s'il croyait que les chefs d'accusation contre elle avaient été abandonnés. Il a dit à Mme Paterson que ses connaissances concernant les arrestations provenaient de ce qu'on en disait en ville ou de renseignements qui lui avaient été communiqués par la sœur ou des amis de Mme Stokaluk. Le fonctionnaire a indiqué à Mme Paterson qu'il avait pris connaissance des arrestations précédentes dans le cadre du projet Dolphin en juin 2011 par l'intermédiaire des médias. Il a déclaré avoir cherché des renseignements sur les arrestations dans les sites de médias de source ouverte.

33 Mme Paterson a témoigné avoir questionné le fonctionnaire à propos des deux incidents qui ont été portés à son attention par l'intermédiaire des rapports de renseignements. Plus particulièrement, elle a posé des questions au fonctionnaire concernant une allégation voulant qu'il se trouvait à un bar lors de l'arrestation de deux hommes et qu'il s'était identifié et avait utilisé son insigne de l'ASFC dans une tentative d'empêcher les arrestations. Le fonctionnaire a nié qu'il se trouvait au bar pendant le moment en question. Mme Paterson a reconnu qu'elle n'avait aucune preuve indiquant qu'il se trouvait au bar au moment en question. Elle lui a également posé des questions à propos d'une allégation voulant que Rozella Muzzi ait mentionné son nom alors qu'elle était questionnée aux douanes des É.-U. Il lui a répondu que, même s'il connaissait Mme Muzzi depuis environ 10 ans, il ignorait pourquoi elle aurait mentionné son nom alors qu'elle était questionnée aux douanes des É.-U. Il a ajouté qu'il n'aurait conseillé à personne d'utiliser son nom dans de telles circonstances.

34 Pendant son entrevue avec le fonctionnaire, Mme Paterson l'a également questionné à propos des photographies affichées sur son compte Facebook que le SPTB avait transmises à l'employeur. Le fonctionnaire a désigné un certain nombre de photographies le montrant avec d'autres employés de l'ASFC, des amis et M. Muzzi. Certaines photographies avaient été prises à l'occasion d'un tournoi de golf et montraient le fonctionnaire vêtu d'une casquette faisant partie de l'uniforme de l'ASFC, ce qui l'identifiait clairement comme un employé de l'ASFC.

35 Mme Paterson a témoigné qu'elle avait confirmé auprès du fonctionnaire sa participation à une présentation du renseignement donnée conjointement par le SPTB et le renseignement de l'ASFC sur les bandes de motards. Il se souvenait d'avoir participé à cet événement, mais il ne se souvenait pas que M. Muzzi avait été identifié par son nom et par une photographie en tant qu'associé de la bande de motards des Hells Angels.

36 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a déclaré que le dossier de formation du fonctionnaire faisait partie de son dossier personnel, qu'elle a passé en revue. Elle a déclaré qu'elle n'était pas en mesure de dire s'il y avait plus d'une séance de formation sur les bandes de motards. Le sergent Davis lui a dit que le fonctionnaire avait participé à la séance de renseignement qu'il avait donné conjointement avec des présentateurs de l'ASFC. Elle croyait que M. Gauthier et quelqu'un de l'Administration centrale de l'ASFC étaient des présentateurs de l'ASFC. On ne lui a communiqué aucun renseignement laissant entendre que le partenaire du fonctionnaire, M. Bakovic, était l'un des présentateurs. Elle a déclaré qu'elle avait regardé l'affiche de M. Muzzi qui, selon le sergent Davis, avait été présentée pendant la séance, mais elle n'a vu aucun autre renseignement tiré de la séance et n'a vu aucune feuille de présence. Elle a reconnu qu'il était possible qu'il y ait eu plus d'une séance de formation sur les bandes de motards.

37 Mme Paterson a également interviewé M. Gauthier dans le cadre de la préparation de son rapport. Elle a témoigné qu'elle voulait confirmer la déclaration du fonctionnaire selon laquelle M. Gauthier lui avait demandé d'émettre les avis de surveillance à l'égard de MM. Gordon et Ritchie. Elle a déclaré que M. Gauthier lui avait expliqué qu'il avait reçu des renseignements des douanes des É.-U. concernant une interception. En raison de l'importance des renseignements qu'il avait reçus, il voulait que les avis de surveillance soient créés immédiatement, mais il n'était pas en service et il n'avait pas accès au réseau. Par conséquent, il a appelé au point d'entrée de Pigeon River et a demandé à l'agent qui avait répondu au téléphone, en l'occurrence le fonctionnaire, d'émettre les avis de surveillance.

38 M. Gauthier a indiqué à Mme Paterson qu'il était au courant du projet Dolphin et des préoccupations soulevées par le SPTB à l'égard du fonctionnaire. Il lui a dit qu'il avait entretenu une relation sociale avec le fonctionnaire, mais qu'il y avait mis fin, car il était préoccupé par le fait que son emploi pourrait être compromis en raison de l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi. Il a indiqué à Mme Paterson qu'il avait parlé au fonctionnaire à propos de sa relation avec M. Muzzi.

39 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a reconnu qu'elle doutait que M. Gauthier puisse avoir demandé au fonctionnaire de créer les avis de surveillance relatifs à MM. Gordon et Ritchie. Elle a reconnu qu'elle croyait qu'il était mal de demander au fonctionnaire d'afficher les avis de surveillance, alors que M. Gauthier aurait pu le demander à une autre personne. Selon elle, le fonctionnaire aurait dû se récuser et ne pas afficher les avis de surveillance, car il se trouvait en situation de conflit d'intérêts.

40 Une fois ses entrevues et l'examen de ses recherches terminés, Mme Paterson a rédigé son rapport (pièce E-5). Elle a témoigné avoir conclu que les allégations selon lesquelles le fonctionnaire était associé à des personnes liées au crime organisé étaient fondées. Elle a examiné la confirmation, signée par le fonctionnaire en 2002, qu'il avait reçue le Code d'éthique et de conduite (pièce E-6) et qu'il avait accepté d'y être lié. Elle a examiné l'offre d'emploi d'une durée déterminée faite au fonctionnaire en mai 2004, acceptée et signée par lui (pièce E-7), qui indiquait à titre de condition d'emploi, qu'il était tenu de respecter le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat de l'employeur ainsi qu'une reconnaissance similaire signée lorsqu'il a accepté l'offre d'emploi d'une durée indéterminée en juin 2007 (pièce E-8). Mme Paterson a témoigné que, selon elle, ces documents démontraient qu'on avait rappelé au fonctionnaire ses obligations en un certain nombre d'occasions. Malgré cela, il a entretenu ses liens d'amitié avec M. Muzzi et d'autres personnes pendant une longue période, et il s'est montré peu collaboratif, que ce soit avec l'employeur ou pendant son entrevue avec lui.

41 En contre-interrogatoire, on a questionné Mme Patterson en ce qui a trait à sa conclusion selon laquelle le fonctionnaire n'avait pas divulgué de renseignements à propos de son amitié avec M. Muzzi à l'employeur. Plus particulièrement, on lui a demandé si elle savait que le fonctionnaire avait divulgué son amitié avec M. Muzzi à son superintendant, Robert Lefeuvre. Elle a expliqué qu'elle ignorait tout de M. Lefeuvre, mais elle a confirmé que le fonctionnaire n'avait effectué aucune divulgation officielle de conflit d'intérêts. Lorsqu'interrogée de nouveau, Mme Paterson a expliqué que le fonctionnaire ne lui avait pas parlé d'une divulgation quelconque à M. Lefeuvre.

42 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a également été questionnée au sujet du fait que M. Gauthier était au courant de l'amitié entre le fonctionnaire et M. Muzzi et sur la raison pour laquelle elle a conclu que cela ne constituait pas une divulgation. Elle a souligné que M. Gauthier n'était pas le supérieur du fonctionnaire, mais plutôt un collègue. Elle a convenu que M. Gauthier lui avait dit qu'il était au fait de la relation entre le fonctionnaire et M. Muzzi, et ce, depuis des années. Il lui a dit qu'il l'avait signalé à ses supérieurs en 2008, et que ces renseignements avaient été transmis aux Normes professionnelles, mais que la police leur avait demandé de suspendre toute mesure visant à commencer une enquête. Elle a expliqué que, pendant son entrevue avec elle, M. Gauthier lui a dit qu'il avait averti le fonctionnaire de se préoccuper de son amitié avec M. Muzzi, car cela pourrait nuire à sa carrière.

43 Lorsqu'interrogée de nouveau, Mme Paterson a souligné que M. Gauthier avait fourni un rapport de renseignements en 2008 (pièce E-9), qui a été signalé et communiqué aux échelons supérieurs des Normes professionnelles. Elle a déclaré que le rapport n'avait pas fait l'objet d'un suivi avec M. Gauthier, car il ne voulait pas y prendre part.

44 En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Paterson si M. Muzzi était un criminel connu au moment de son enquête. Elle a déclaré que, même s'il n'avait pas été condamné d'un crime au moment de l'enquête, des chefs d'accusation avaient été déposés à son égard. Elle a déclaré qu'elle ne pouvait pas se rappeler particulièrement comment la surveillance de l'ASFC l'avait décrit, mais elle croyait que celle-ci disait qu'il était associé aux Hells Angels et au crime organisé.

45 On a également questionné Mme Paterson en contre-interrogatoire à propos de sa conclusion selon laquelle le fonctionnaire n'avait pas été coopératif dans le cadre de son entrevue avec elle. Elle a déclaré qu'elle trouvait qu'il était évasif à propos des avis de surveillance qu'il avait affichés pour le compte de M. Gauthier. Elle a affirmé que, en règle générale, les ASF n'émettent pas d'avis de surveillance, elle a donc trouvé difficile de croire qu'il ne se souvenait pas d'avoir émis les avis de surveillance en question. Mme Paterson a déclaré qu'elle croyait que le fonctionnaire était vague à propos de sa compréhension de la façon dont M. Muzzi pouvait se permettre son style de vie, à propos de sa compréhension de ce qui constituait un conflit d'intérêts et à propos de ses connaissances relatives à l'arrestation de M. Muzzi. Selon elle, il a hésité à reconnaître sa relation avec M. Muzzi et la raison pour laquelle l'arrestation de M. Muzzi était importante.

46 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a été questionnée à propos d'un incident concernant Maria Muzzi, une sœur de M. Muzzi, qui a été arrêtée au point d'entrée de Pigeon River. Au moment de son arrestation, Mme Muzzi conduisait la voiture de M. Muzzi, laquelle faisait l'objet d'un avis de surveillance. Le fonctionnaire et son partenaire, M. Bakovic, étaient en service. Ils ont conclu qu'il n'était pas nécessaire d'effectuer un examen secondaire du véhicule. Mme Paterson a déclaré qu'elle ignorait si le fonctionnaire ou M. Bakovic avaient fait l'objet d'une mesure disciplinaire relativement à cet incident et si l'incident avait fait l'objet d'une enquête. Elle a reconnu qu'elle n'en avait pas parlé avec M. Gauthier. Elle a déclaré qu'elle croyait que le fonctionnaire aurait dû se récuser de toute participation à l'examen de M. Muzzi et de son véhicule. Elle a souligné que la question du retrait d'un ASF lorsque ce dernier se trouve en présence d'une personne qu'il connait à la frontière fait partie de la formation de base des ASF.

47 En contre-interrogatoire, Mme Paterson a également été questionnée à propos des notes de son entrevue avec le fonctionnaire (pièce G-3). Elle a reconnu que, même si elle croyait avoir enregistré la séance avec le fonctionnaire, l'enregistreur n'a pas fonctionné et il n'y avait pas de bande. Elle a été questionnée plus particulièrement sur sa déclaration dans le rapport selon laquelle le fonctionnaire entretenait une relation personnelle avec M. Gordon et se rendait à son domicile mensuellement. On lui a demandé d'expliquer comment elle pouvait faire une telle déclaration, alors que le fonctionnaire avait uniquement reconnu qu'il voyait sa cousine tous les mois ou tous les quelques mois, et que M. Gordon se trouvait avec sa cousine. Mme Paterson a déclaré qu'elle avait interprété la déclaration du fonctionnaire comme indiquant une relation personnelle, étant donné que M. Gordon vivait avec la cousine du fonctionnaire.

48 Mme Paterson a témoigné qu'après avoir rédigé son rapport, celui-ci avait été présenté au directeur général des Normes professionnelles, qui l'a examiné et l'a approuvé. Mme Paterson a déclaré n'avoir joué aucun autre rôle et qu'elle n'avait plus participé de quelque manière que ce soit au cas du fonctionnaire.

49 Mme Schuler a témoigné qu'une copie du rapport avait été envoyée au fonctionnaire et que ce dernier a eu toutes les occasions de formuler des commentaires. Tous les facteurs atténuants seraient consignés, puis le rapport serait remis à Mme Reza aux fins de décision. Dans ce cas, le 23 janvier 2013, le fonctionnaire a présenté une réponse détaillée à l'égard du rapport (pièce E-2). Il a présenté d'autres arguments après l'entrevue de recherche de faits qu'elle a tenu avec lui le 11 février 2013. Elle a expliqué ne pas avoir pris la décision de mettre fin à l'emploi du fonctionnaire. Cette décision a été prise par Mme Reza.

50 Mme Reza a témoigné qu'elle est devenue la directrice générale de la région du Nord de l'Ontario en septembre 2012. Trois semaines après avoir commencé son emploi, elle a reçu un appel téléphonique du directeur général de l'ASFC, Valeurs et éthique, qui l'a informé que le Commissariat à l'intégrité du secteur public du Canada était sur le point d'entreprendre une enquête relativement à des préoccupations au point d'entrée de Pigeon River. On lui a indiqué qu'il s'agissait d'une enquête indépendante et autonome qui aboutirait à un rapport au Parlement. On l'a également informée qu'elle n'aurait pas accès à ce rapport, mais qu'elle en était informée car les enquêteurs pourraient avoir besoin d'un accès aux systèmes et aux employés.

51 Peu après avoir reçu cette information, Mme Schuler est revenue de sa tournée de la région du Nord de l'Ontario. Elle a indiqué à Mme Reza qu'il y avait des préoccupations au point d'entrée de Pigeon River selon lesquelles un ASF, M. Stokaluk, entretenait des liens étroits avec des personnes associées au crime organisé. Elle a dit à Mme Reza qu'elle voulait renvoyer la question aux Normes professionnelles aux fins d'une enquête. Mme Reza a témoigné que, en tant qu'autorité déléguée dans la région, elle a approuvé le renvoi de l'affaire aux Normes professionnelles. Toutefois, parce que l'enquête a été menée de façon autonome, elle n'y a participé que marginalement.

52 Mme Reza a témoigné qu'après son renvoi de la question, les Normes professionnelles lui ont parlé de l'enquête préliminaire qui avait débuté à la suite de l'information du SPTB voulant que le fonctionnaire entretienne une relation avec M. Muzzi. Elle a déclaré qu'étant donné les renseignements qui avaient déjà été fournis à l'ASFC par le SPTB et étant donné que les arrestations avaient eu lieu en 2011 et 2012, il était évident qu'il existait une relation clairement établie entre le fonctionnaire et des membres du crime organisé. Compte tenu de ces renseignements, elle croyait qu'il était nécessaire de prendre toutes les mesures requises pour réduire au minimum les risques pour les voyageurs, les autres employés et les organismes d'application de la loi partenaire au point d'entrée. Il était nécessaire d'assurer un environnement sécuritaire et elle croyait que la présence du fonctionnaire dans le milieu de travail ajoutait un risque inutile. Pour cette raison, elle a décidé de suspendre le fonctionnaire en attendant les résultats de l'enquête, à compter du 23 octobre 2012 (pièce E-10). Le 14 novembre 2012, elle a envoyé une autre lettre au fonctionnaire afin de préciser qu'il serait rémunéré pour le travail accompli le 23 octobre 2012. La lettre précisait également les motifs de la suspension pour une période indéterminée et que le fonctionnaire ne serait autorisé à accéder aux installations de l'ASFC que pour participer aux entrevues menées dans le cadre de l'enquête.

53 Mme Reza a témoigné avoir reçu le rapport d'enquête (pièce E-5) à la mi-décembre 2012. Selon elle, le rapport avait établi que le fonctionnaire entretenait des liens avec le crime organisé et que ces liens n'étaient pas passagers ou transitoires, et qu'il s'agissait d'associations de longue date. Elle a souligné que, dans son entrevue avec l'enquêteur, résumée au paragraphe 14 du rapport (pièce E-5), le fonctionnaire a reconnu qu'il continuait à entretenir une relation avec M. Muzzi et qu'il lui avait rendu visite en prison à deux reprises et qu'il avait reçu un appel téléphonique. Elle a témoigné qu'elle croyait que le fonctionnaire ne devrait pas prendre part à ce type de fraternisation. Il était un agent de la paix et, par conséquent, il avait tort d'entretenir une association de cette nature.

54 Mme Reza a témoigné qu'elle avait également remarqué dans le rapport que le fonctionnaire n'avait fait aucune tentative visant à porter la relation qu'il entretenait avec M. Muzzi à l'attention de la direction. Elle a indiqué que, en tant que directrice générale régionale, elle signait fréquemment des divulgations de conflits. Il arrivait fréquemment aux ASF de faire de telles divulgations, car ils vivent souvent dans de petites communautés et connaissent différents types de personnes. La sensibilisation à l'égard des conflits d'intérêts fait partie de la culture de l'ASFC, et la divulgation est une pratique bien établie. Les agents sont tenus d'effectuer des évaluations selon le bon sens et de faire preuve de franchise.

55 Mme Reza a expliqué que les ASF étaient régis par le Code de valeurs et d'éthique du secteur public (pièce E-14) et le Code de conduite de l'ASFC, qui établit les principes directeurs pour le comportement au travail et hors travail. Ces principes sont également enseignés pendant la formation que reçoivent les ASF au centre de formation de Rigaud, au Québec. Dans le cadre de la formation de base, on enseigne aux agents de ne pas utiliser les systèmes de l'ASFC à l'égard des personnes qu'ils connaissent. On leur enseigne à se récuser. Le fonctionnaire a été formé pour être un agent de la paix.

56 Elle a affirmé l'existence d'un processus officiel et d'un processus informel de divulgation des conflits d'intérêts. Une divulgation officielle est d'abord faite au gestionnaire. Par la suite, la divulgation est renvoyée à un secteur central et acheminée à Ottawa, où des recommandations sont formulées à la suite d'un examen. Elle a témoigné que, en règle générale, lorsque des employés font des divulgations de conflits d'intérêts, il est plus probable qu'ils fassent preuve de franchise et qu'ils aient conscience de la situation et qu'ils reconnaissent les freins et les contrepoids dans le système. Cependant, elle a vu très peu d'espace en ce qui concerne les freins et contrepoids relativement au fonctionnaire, car il n'a donné aucune possibilité à l'employeur de tenir une discussion à propos du conflit éventuel découlant de ses associations.

57 Mme Reza a témoigné qu'après avoir lu le rapport d'enquête (pièce E-5), elle a discuté avec Mme Schuler et avec ses conseillers des Relations de travail. En janvier 2013, le fonctionnaire a eu l'occasion de passer en revue le rapport et de formuler d'autres arguments, de présenter une contre-preuve ou de reconnaître son erreur, mais il n'a fourni aucune nouvelle preuve et n'a pas reconnu le risque associé à son comportement. Elle a déclaré que, lorsqu'elle a passé en revue le rapport d'enquête et les notes de l'entrevue, elle a retenu que le fonctionnaire était un ASF armé qui entretenait une relation avec une personne accusée d'infractions en matière de drogue et que la drogue traversait la frontière. Ce risque ainsi que celui pour la réputation de l'ASFC auprès d'autres organismes d'application de la loi l'ont porté à tirer la conclusion que la présence du fonctionnaire dans le milieu de travail n'était pas appropriée. Par conséquent, elle a décidé qu'il devait être congédié.

58 Mme Reza a signé la lettre de congédiement envoyée au fonctionnaire (pièce E-4), dans laquelle il était indiqué qu'il avait été déterminé qu'il avait contrevenu au Code de conduite de l'ASFC et au Code de valeurs et d'éthique dans le secteur public. Elle a affirmé que, bien que le renvoi au Code de conduite dans la lettre de congédiement s'appliquait au Code de conduite en vigueur à l'époque du congédiement (pièce E-13) et au Code de valeurs et d'éthique (pièce E-14), il s'appliquait également au Code de conduite de l'ASFC précédent qui était en vigueur en 2008 (pièce E-12), puisqu'il traitait de la conduite hors travail. Elle a souligné que le libellé à la page 12 du Code de conduite actuel (pièce E-13) portait sur la conduite hors travail. Le Code précédent contenait un libellé similaire, également à la page 12.

59 Mme Reza a témoigné que le fonctionnaire s'associait à des éléments criminels durant ses heures hors travail et qu'elle ne pouvait concilier ce comportement et les obligations du fonctionnaire en tant qu'ASF. Elle a déclaré que le comportement du fonctionnaire était le même depuis 2008 et qu'il n'avait fait aucune tentative claire de s'en dissocier. En raison des amitiés du fonctionnaire, l'employeur ne pouvait être certain de la façon dont il réagirait et, par conséquent, on ne pouvait lui faire confiance. Selon elle, aucune option autre que le congédiement n'était facilement disponible. Le fonctionnaire était un agent de la paix et ses fonctions ne pouvaient être modifiées afin de s'adapter au risque posé par ses amitiés.

60 En contre-interrogatoire, Mme Reza a reconnu qu'elle n'avait pas passé en revue les notes de l'enquêteur et qu'elle n'avait pas tenté de valider le rapport d'enquête ou de lire les renseignements généraux. Elle n'a pas vu la réponse détaillée du fonctionnaire relativement au rapport. Elle a déclaré qu'elle savait uniquement ce que lui avaient dit les Normes professionnelles ou ce qu'elle avait lu dans le rapport. À son avis, les renseignements généraux étaient contextuels. Elle a déclaré que les questions qu'elle avait posées au sujet du rapport n'avaient pour but que d'en apprendre davantage sur les avis de surveillances émis par le fonctionnaire.

61 À la question de savoir pourquoi le fonctionnaire avait été retiré du milieu de travail et suspendu pendant l'enquête, Mme Reza a expliqué que les renseignements à propos de la conduite du fonctionnaire provenaient de l'information qui avait été fournie par le commissaire à l'intégrité du secteur public à propos d'une enquête menée au point d'entrée de Pigeon River, ainsi que de l'information fournie par Mme Schuler, qui a soulevé des préoccupations à son retour de sa tournée de la région. Compte tenu de ces faits, Mme Reza a décidé de suspendre le fonctionnaire en raison du risque qu'il posait. Elle a déclaré qu'elle croyait que le jugement du fonctionnaire était compromis. La frontière est le premier point d'entrée de la drogue; par conséquent, l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi posait un risque. Elle a reconnu n'avoir reçu aucune plainte à son sujet de la part de ses collègues, à l'exception du surintendant Carey dont les préoccupations pourraient provenir d'autres questions.

62 Lorsqu'elle a été questionnée en contre-interrogatoire à propos de la façon dont l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi contrevenait au Code de conduite, Mme Reza a expliqué qu'elle croyait que le fait que le service de police ait communiqué avec l'employeur à propos du fonctionnaire laissait entendre que le fonctionnaire avait porté atteinte à la réputation de l'ASFC. Son comportement avait une incidence défavorable sur l'ASFC. Ce qui préoccupait l'employeur à l'égard de la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail était son amitié avec des personnes d'intérêt pour la police. Par exemple, en 2012, M. Muzzi a été arrêté et détenu. Ce fait avait une incidence négative sur l'ASFC. Mme Reza a cependant reconnu qu'on n'avait jamais laissé entendre que M. Muzzi avait déjà traversé la frontière pendant que le fonctionnaire se trouvait au travail ou que le fonctionnaire participait à des activités criminelles. Elle a convenu que, en dehors de ses préoccupations liées au risque et à la réputation, rien ne laissait entendre que le fonctionnaire ne pouvait s'acquitter des fonctions de son poste.

63 Mme Reza a confirmé qu'avant de prendre une décision à propos du fonctionnaire, elle a consulté à l'interne. Elle a discuté avec le dirigeant des Normes professionnelles et à d'autres personnes. Les discussions portaient principalement sur les associations connues du fonctionnaire et, plus précisément, sur son amitié avec M. Muzzi. Elle a déclaré qu'en raison de la nature confidentielle de l'affaire, elle n'a pas consulté la direction locale.

64 Mme Reza a été questionnée à propos du fait que l'employeur était au courant de l'association du fonctionnaire avec M. Muzzi depuis un certain nombre d'années, mais qu'il n'avait pris aucune mesure avant 2013. Elle a expliqué que l'employeur avait une tradition de reporter ses propres enquêtes lorsque des enquêtes policières étaient en cours sur une même affaire. Une enquête criminelle l'emportait toujours sur une enquête interne. Elle a expliqué qu'il y avait eu des arrestations à la suite du projet Dolphin en avril 2012, avant qu'elle devienne directrice générale régionale. Lorsqu'elle a commencé à occuper ce poste, elle a examiné l'affaire et, après avoir soupesé tous les renseignements, soit quatre mois plus tard, des mesures ont été prises.

65 M. Yaworski a témoigné qu'il avait reçu une copie numérisée du registre des visiteurs de la prison du district de Thunder Bay (pièce E-15). Selon le document, le fonctionnaire avait visité la prison. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il n'avait pas demandé à la prison de signaler toutes les visites effectuées par le fonctionnaire, mais il a simplement présenté l'ordonnance de production accordée à l'employeur par la CRTFP (pièce E-16).

66 M. Bakovic a témoigné avoir rencontré le fonctionnaire lorsqu'il a commencé à travailler avec lui, environ neuf ans auparavant. Ils étaient partenaires depuis environ sept ans et ils étaient des amis proches. Il était le garçon d'honneur au mariage du fonctionnaire.

67 Il a déclaré qu'il connaissait M. Muzzi. Ils étaient allés à la même école, quoique M. Muzzi le devançait d'un an ou deux. Il ne connaissait pas bien M. Muzzi et n'est entré en contact avec lui seulement lorsqu'il a commencé à faire partie de l'entourage du fonctionnaire. M. Muzzi était un ami du fonctionnaire et il arrivait qu'ils le rencontrent au bar. Il a affirmé qu'il passait beaucoup de temps avec le fonctionnaire. Il ne se souvenait que d'une seule occasion où M. Muzzi s'était présenté à la maison du fonctionnaire. Le fonctionnaire tenait une fête d'anniversaire et beaucoup de personnes étaient présentes, y compris d'autres ASF, lorsque M. Muzzi est arrivé.

68 M. Bakovic a témoigné qu'il n'avait jamais vu M. Muzzi à la frontière et que, à sa connaissance, M. Muzzi n'avait jamais traversé la frontière au point d'entrée de Pigeon River pendant que le fonctionnaire travaillait. Il ignorait à quel moment M. Muzzi avait été inscrit sur la liste de surveillance. La participation de M. Muzzi à des activités criminelles n'a été confirmée qu'au moment de son arrestation. Avant cet événement, il s'agissait uniquement de spéculation. La surveillance reportée pour M. Muzzi consistait en une surveillance normale en matière de drogue, qui exigeait des agents qu'ils procèdent à une fouille du véhicule de M. Muzzi et à prendre note des contacts de son téléphone cellulaire. M. Bakovic croyait qu'on lui avait peut-être demandé une fois au cours de sa carrière d'émettre un avis de surveillance, mais qu'il était possible que M. Gauthier ait demandé à un ASF d'émettre un avis de surveillance en son nom. Il est également possible qu'il ait été présent lorsque M. Gauthier a demandé au fonctionnaire d'émettre des avis de surveillances à l'égard de MM. Gordon et Ritchie, mais il ne connaissait aucun de ces individus. Il a expliqué que les agents qui émettaient des avis de surveillance avaient l'habitude de vérifier le SIED pour obtenir des renseignements ou des directives et d'entrer la surveillance dans le SIED. Les agents utilisaient le SIED quotidiennement.

69 M. Bakovic s'est souvenu d'une conversation entre le fonctionnaire et M. Lefeuvre. Il a souligné que, même s'il ne se rappelait pas quand la conversation a eu lieu, il se souvenait que le fonctionnaire avait demandé au surintendant Lefeuvre quel était le processus pour traiter un ami qui figurait sur la liste de surveillance. M. Lefeuvre lui avait répondu qu'il devrait se récuser. M. Bakovic se rappelait que M. Lefeuvre a dit [traduction] : « Tenez-vous à carreau, ne faites pas d'inspection secondaire, ne vous en mêlez pas et tout se passera bien ». M. Bakovic a témoigné que M. Lefeuvre n'avait pas demandé au fonctionnaire de remplir des documents quelconques.

70 En contre-interrogatoire, M. Bakovic a reconnu que le fonctionnaire n'avait pas communiqué de détails à M. Lefeuvre sur son amitié avec M. Muzzi. Il a déclaré que le fonctionnaire avait simplement indiqué qu'il connaissait M. Muzzi et que ce dernier faisait l'objet d'une surveillance. Il a confirmé que M. Lefeuvre était décédé peu de temps après le congédiement du fonctionnaire.

71 M. Bakovic a témoigné que le fonctionnaire et lui travaillaient en une occasion où Maria Muzzi a traversé la frontière en compagnie d'une amie. L'agent à l'inspection primaire, que M. Bakovic n'a pas été en mesure d'identifier, avait remis au fonctionnaire le passeport de Mme Muzzi ainsi que le numéro d'immatriculation de son véhicule. Lorsque le numéro d'immatriculation du véhicule a été consigné dans le système, il a été relevé qu'il faisait l'objet d'un avis de surveillance. Le fonctionnaire et lui ont appelé M. Gauthier pour obtenir des directives. Lorsque le fonctionnaire a dit à M. Gauthier que la personne faisant l'objet de la surveillance, M. Muzzi, ne se trouvait pas dans la voiture, M. Gauthier lui a répondu que si M. Muzzi ne se trouvait pas dans la voiture, ils pouvaient laisser partir Mme Muzzi. M. Bakovic a déclaré qui ni le fonctionnaire ni lui n'avaient été questionnés à propos de cet incident. Le fonctionnaire a écrit un sommaire de la surveillance dans lequel il a affirmé qu'il avait communiqué avec M. Gauthier, qui lui a dit qu'il pouvait laisser partir Mme Muzzi et que M. Bakovic en avait été témoin. M. Bakovic a témoigné qu'il croyait que le fait qu'ils n'aient pas entendu parler de cette affaire par la suite signifiait que les mesures qu'ils avaient prises étaient les bonnes.

72 En 2009, M. Bakovic agissait à titre de conférencier dans le cadre d'une séance de formation sur les gangs présentée au personnel de l'ASFC et des douanes et du contrôle de la frontière des É.-U. Le sergent Davis était un conférencier. Dans le cadre de la présentation, le sergent Davis a apporté des bulletins et des photographies des noms des associés des Hells Angels. M. Muzzi a été identifié comme étant un associé non confirmé des Hells Angels. Ce bulletin a été remis à M. Gauthier et versé au dossier de sécurité au point d'entrée de Pigeon River. Il a été placé dans un cabinet contenant leurs rapports sur le renseignement et la sécurité. N'importe qui pouvait avoir accès au dossier.

73 M. Bakovic s'est souvenu avoir reçu le nouveau Code de conduite de l'employeur (pièce E-13), mais il ne se souvenait pas à quel moment il l'avait reçu. Il croyait qu'il avait été envoyé par courriel et qu'il était accompagné de directives concernant l'examen de ce document.

74 M. Gauthier a témoigné avoir été informé par le SPTB et la PPO de l'amitié entre le fonctionnaire et M. Muzzi, il y a un certain nombre d'années. En 2008, après l'émission de l'avis de surveillance concernant M. Muzzi, il a participé à une partie de poker au domicile du fonctionnaire. Pendant qu'il s'y trouvait, M. Muzzi est entré, a salué tout le monde, puis s'est assis à la table pour jouer au poker. Le fonctionnaire a dit à M. Muzzi qu'il aurait dû l'informer qu'il allait venir, puis la partie s'est poursuivie, avec la participation de M. Muzzi. M. Bakovic et un autre ASF étaient également présents. M. Gauthier est parti et n'a plus jamais rencontré M. Muzzi.

75 En contre-interrogatoire, M. Gauthier a expliqué qu'il a quitté la partie de poker lorsque M. Muzzi est arrivé, parce que ce dernier était un trafiquant de drogue et un membre du crime organisé. M. Gauthier ne voulait pas se trouver au même endroit que lui. À son avis, la perception est la réalité. Il croyait que la présence de M. Muzzi à la partie de poker le plaçait dans une situation compromettante et qu'il s'agissait d'un conflit d'intérêts. Il a développé cette croyance en raison de son expérience et de la nature de son travail. Il travaille en étroite collaboration avec la police et il était préoccupé par le fait que son intégrité pourrait être remise en question. Cependant, il occupait un poste différent de celui d'un ASF.

76 M. Gauthier a témoigné qu'il avait discuté avec la direction au point d'entrée de Pigeon River de la relation entre le fonctionnaire et M. Muzzi. Plus particulièrement, il a parlé à M. Lefeuvre pendant qu'il se rendait avec lui à une réunion en 2009 ou 2010, après l'émission de l'avis de surveillance sur M. Muzzi. Il a indiqué à M. Lefeuvre que, parce que les personnes étaient au courant de l'amitié entre le fonctionnaire et M. Muzzi, il avait parlé au SPTB et à la PPO. On lui a dit qu'il n'y avait aucune preuve selon laquelle le fonctionnaire faisait quoi que ce soit de mal ou d'illégal aux fins de l'AFSC. M. Gauthier a préparé une déclaration à propos de sa conversation avec M. Lefeuvre aux fins de l'audience d'arbitrage (pièce G-4).

77 M. Gauthier a témoigné que le travail du fonctionnaire à la frontière avait été remis en question par d'autres en raison de son amitié avec M. Muzzi. C'est la raison pour laquelle il a effectué une vérification auprès de la police à propos du fonctionnaire. Il est toutefois arrivé à la conclusion que l'association du fonctionnaire avec M. Muzzi n'avait eu aucune incidence sur son travail. Il a affirmé que, en tant qu'agent du renseignement, il n'était pas préoccupé par le fait que le fonctionnaire accomplisse ses fonctions à la frontière. Il a aussi précisé qu'aucun des collègues du fonctionnaire ne s'en était plaint. En réponse à une question que je lui ai posée, M. Gauthier a indiqué que, même si les renseignements de la police l'ont amené à conclure que le fonctionnaire ne posait pas un risque pour la sécurité à la frontière, il était toujours préoccupé par les perceptions découlant de l'amitié entre le fonctionnaire et M. Muzzi.

78 En contre-interrogatoire, M. Gauthier a déclaré qu'il n'avait eu qu'une conversation avec M. Lefeuvre et qu'il ne lui avait pas communiqué beaucoup de détails à propos de la relation entre M. Muzzi et le fonctionnaire. Il a expliqué qu'il avait préparé la déclaration (pièce G-4) à la demande de M. Bakovic en prévision de la présente audience.

79 En contre-interrogatoire, M. Gauthier a été questionné au sujet de la conversation qu'il a eue avec le fonctionnaire à propos de son amitié avec M. Muzzi. Il a dit au fonctionnaire qu'il croyait que [traduction] « cela paraissait mal pour un ASF d'être vu en compagnie de quelqu'un comme ça ». Il n'a pas dit au fonctionnaire que cette relation ne posait pas un problème pour un ASF, mais il ignorait comment le fonctionnaire avait perçu ses commentaires. Il a expliqué que le fonctionnaire l'avait écouté et qu'il lui avait répondu qu'il ne faisait rien de mal. M. Muzzi était un ami et c'était tout ce qu'il y avait à dire.

80 M. Gauthier a indiqué qu'après l'incident de la partie de poker au domicile du fonctionnaire, il a choisi d'éviter de socialiser avec ce dernier. Même s'il était ami avec le fonctionnaire et qu'ils faisaient partie d'un groupe de personnes qui avaient des intérêts communs, il ne voulait pas se retrouver dans une situation similaire.

81 M. Gauthier a préparé la déclaration déposée en tant que pièce E-9. Je lui ai demandé s'il pouvait se rappeler à quel moment il avait fait cette déclaration, mais il ne s'en souvenait pas. Il a indiqué qu'il l'avait remise à son superviseur, M. MacDonald, sans les documents annexés à la pièce E-9. Il a affirmé qu'il était au courant du contenu de la déclaration de M. Roberts annexée à la pièce E-9, car ce dernier lui avait fait part de ses préoccupations, cependant, il ne se souvenait pas des événements décrits dans la déclaration par M. Davey et il croyait qu'il était possible que ces renseignements ne soient pas exacts.

82 Le fonctionnaire a témoigné qu'il était âgé de 17 ans lorsqu'il a rencontré M. Muzzi, qui était plus jeune que lui de quelques années. À cette époque, ils socialisaient régulièrement et faisaient partie d'un même groupe d'amis à l'école. Au fil des ans, ils sont demeurés amis. En vieillissant, ils ont commencé à aller boire dans les bars ensemble et à socialiser. Il connaissait la famille de M. Muzzi et il était déjà allé souper chez lui. Il voyait régulièrement M. Muzzi dans les bars, à leurs domiciles respectifs ainsi qu'au gymnase, et ils se parlaient souvent. Il a publié des photos de lui en compagnie de M. Muzzi sur sa page Facebook (pièce E-18). Il a indiqué qu'ils étaient demeurés amis jusqu'au dépôt des accusations criminelles contre M. Muzzi. À ce stade, il a tenté de supprimer les photos de Facebook, puis il a visité M. Muzzi à la prison pour lui dire qu'ils ne pouvaient plus être amis.

83 Selon le fonctionnaire, il a initialement pris connaissance de la participation de M. Muzzi à des activités criminelles lorsque l'avis de surveillance dont M. Muzzi faisait l'objet a été émis ou lorsque M. Gauthier lui a dit qu'il ne devrait pas socialiser avec M. Muzzi. Cependant, à un autre moment de son témoignage, il a indiqué qu'il n'avait été informé du fait que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police qu'après l'arrestation de ce dernier en avril 2011. Il a témoigné qu'il ne croyait pas qu'il y avait un problème réel lorsque M. Gauthier lui a parlé de son amitié avec M. Muzzi. Il croyait qu'un grand nombre de personnes faisaient l'objet d'avis de surveillance et que, s'il y avait eu un problème quelconque relativement à son amitié, son employeur lui en aurait parlé.

84 Le fonctionnaire se souvenait de la partie de poker décrite dans le cadre du témoignage de M. Gauthier. Il a indiqué qu'il ne pouvait pas contester la description des événements tels qu'ils avaient été présentés par M. Gauthier. Il a expliqué qu'il ne s'agissait que d'une partie de poker avec des amis. M. Muzzi est arrivé, s'est présenté, s'est assis et a pris un verre. M. Gauthier est parti et a ensuite fait part de ses préoccupations au fonctionnaire. Il a indiqué au fonctionnaire qu'il aurait dû le prévenir qu'il était possible que M. Muzzi se présente à la partie de poker. D'après son témoignage, le fonctionnaire comprenait que les préoccupations de M. Gauthier découlaient du fait qu'il était un agent du renseignement. Il a toutefois ajouté que M. Gauthier ne lui avait pas dit à l'époque que M. Muzzi menait des activités liées au crime organisé.

85 Le fonctionnaire n'arrivait pas à se souvenir à quel moment le nom de M. Muzzi était apparu sur la liste de surveillance, mais il se souvenait de la conversation à ce sujet avec M. Lefeuvre. Il a témoigné qu'il s'agissait d'une discussion ouverte à la réception du point d'entrée de Pigeon River. Il a déclaré qu'ils parlaient des avis de surveillance. Il croyait que la conversation avait peut-être été déclenchée par le fait qu'il avait appris que le nom de M. Muzzi figurait sur la liste de surveillance. Il a demandé à M. Lefeuvre quel était le processus à suivre si une personne qu'il connaissait personnellement figurait dans le livre de surveillance. Il a témoigné avoir dit à M. Lefeuvre qu'il connaissait plusieurs personnes dont les noms figuraient dans le classeur de surveillance, et a spécifiquement mentionné M. Muzzi. Il n'a pas identifié les autres, mais il a indiqué qu'il avait de nombreux cercles d'amis de l'école et qu'ils les fréquentaient.

86 Le fonctionnaire a affirmé que M. Lefeuvre lui avait dit que s'il se récusait, il n'y aurait aucun problème. On ne lui a pas demandé de remplir un formulaire sur les conflits d'intérêts ou de faire quoi que ce soit d'autre sinon que de se récuser et d'acheminer l'examen à un autre ASF.

87 Le fonctionnaire se souvenait de sa participation à une séance de formation de l'ASFC sur les gangs en 2009. Il a affirmé que M. Bakovic et le sergent Davis étaient des conférenciers, mais il ne se souvenait pas si le nom de M. Muzzi avait été mentionné. Il se souvenait également d'avoir entendu parler de l'incident où M. Muzzi a reçu une décharge d'un pistolet taser et a été arrêté pendant sa fête d'anniversaire. Le fonctionnaire a déclaré qu'il n'était pas présent pendant ces événements et ne se souvenait pas comment ou à quel moment il en avait entendu parler. Il ignorait si M. Muzzi avait par la suite été accusé d'une infraction.

88 On a posé des questions au fonctionnaire sur son association avec MM. Gordon et Ritchie. Il a témoigné qu'il connaissait M. Gordon, qui avait fréquenté sa cousine. Ils se rencontraient dans les réunions familiales. Sa cousine était également amie avec la sœur de M. Muzzi, Rosella, et M. Gordon était un bon ami de M. Muzzi. Pour cette raison, il arrivait parfois que le fonctionnaire les rencontre au domicile des Muzzi ou à des barbecues. Il avait également l'habitude de se rendre au domicile de sa cousine une fois tous les deux mois pour la visiter et l'aider avec des travaux à la maison. Sa cousine et M. Gordon venaient parfois aux fêtes portes ouvertes qu'il organisait certains vendredis soir et qu'entre 10 à 30 personnes pouvaient s'y présenter. Il ne se souvenait pas comment il avait été informé des arrestations de sa cousine et de M. Gordon. Le fonctionnaire a affirmé qu'il ne connaissait pas bien M. Ritchie. Il le connaissait de vue, mais n'avait aucun lien social avec lui.

89 Le 23 octobre 2012, Tracy Gagnon, chef intérimaire des Opérations, lui a remis une lettre de suspension (pièce E-10). À la fin de son quart de travail, Mme Gagnon et un autre gestionnaire l'ont conduit dans une salle de conférence. Ces derniers lui ont dit qu'il n'avait pas besoin d'un représentant syndical, car il ne s'agissait pas d'une affaire disciplinaire. À ce moment, on ne lui a pas indiqué le motif de sa suspension, mais on lui a dit que quelqu'un communiquerait avec lui ultérieurement. Il a dû remettre l'ensemble de son équipement et de ses documents de l'ASFC, et il a été escorté jusqu'à son casier où on lui a demandé de retirer tout ce qui n'appartenait pas à l'ASFC. On lui a indiqué qu'il ne devait parler à quiconque de ce qui se passait. Il a ensuite été escorté à l'extérieur de l'immeuble. Il se souvenait que tout s'était produit très rapidement.

90 Le 14 novembre 2012, le fonctionnaire a reçu la lettre de Mme Reza (pièce E-11), dans laquelle étaient définis les motifs de sa suspension pour une période indéterminée. À un certain moment après avoir reçu cette lettre, Mme Paterson a communiqué avec lui et lui a demandé de participer à une entrevue d'enquête. On lui a dit qu'il était tenu de collaborer à tous les égards et qu'il avait le droit d'être accompagné par un représentant syndical à l'entrevue.

91 Le fonctionnaire a témoigné qu'il était en proie à beaucoup de stress à l'époque et qu'il recevait des soins médicaux. Il a déclaré qu'il était [traduction] « complètement à l'envers » au moment de l'entrevue, ce que son représentant syndical a expliqué à Mme Paterson. Malgré cela, le fonctionnaire a eu l'impression que l'entrevue était plutôt un interrogatoire. Il sentait que l'on contestait ses réponses. Il a tenté de corrigé ce qu'il croyait être de la désinformation de la part de Mme Paterson, mais il ne croyait pas qu'elle l'avait entendu. Il a déclaré qu'elle l'avait fait sentir comme s'il mentait. Qui plus est, même si elle lui a dit que l'entrevue était enregistrée, elle ne l'a pas informé que l'enregistrement ne fonctionnait pas. Il a témoigné qu'il croyait avoir passé en revue les notes de Mme Paterson et qu'il avait signé chaque page, mais il était en proie à beaucoup de stress et il n'en était pas sûr.

92 Le fonctionnaire a préparé une réponse au rapport d'enquête (pièce E-2). Il a témoigné qu'il croyait que l'enquêteur s'était fié à un Code de conduite (pièce E-13) qui n'était pas en vigueur au moment de l'arrestation de M. Muzzi. Ce Code de conduite est entré en vigueur en septembre 2012 et il ne l'a jamais vu. Il n'a jamais vu non plus le nouveau formulaire pour déclarer les conflits d'intérêts, car il ne se trouvait pas au milieu de travail au moment de sa suspension en octobre 2012. Pendant la période en cause, un Code de conduite différent (pièce E-12) était en vigueur. Même s'il a admis qu'il ne connaissait pas bien l'une ou l'autre des versions du Code de conduite, il estimait que sa conduite hors du travail ne l'avait pas placé dans une situation de conflit d'intérêts. Il a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir reçu une formation sur les conflits d'intérêts à Rigaud. Qui plus est, personne ne lui a dit qu'il était tenu de divulguer des renseignements à propos de ses connaissances avant de se présenter à l'entrevue avec Mme Paterson. Il ne tentait pas de dissimuler quoi que ce soit. Si quelqu'un le lui avait demandé, il aurait passé en revue le livre de surveillance et aurait identifié toutes les personnes y figurant qu'il connaissait.

93 Le fonctionnaire a témoigné qu'après avoir préparé sa réponse au rapport d'enquête, il y a eu une téléconférence avec Mme Schuler et Mme Gagnon. Mme Schuler voulait obtenir des précisions sur l'incident où M. Bakovic et lui avaient traité la sœur de M. Muzzi aux douanes. Peu après cette téléconférence, il a reçu la lettre de congédiement (pièce E-4).

94 Le fonctionnaire a déclaré qu'il n'avait eu aucun contact avec M. Muzzi depuis son arrestation, hormis une visite qu'il lui a rendue à la prison. Le reste de la famille de M. Muzzi ne vit plus à Thunder Bay. Il voit toujours sa cousine et M. Gordon.

95 En contre-interrogatoire, on a demandé au fonctionnaire comment il pouvait ignorer que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police, compte tenu du fait qu'un avis de surveillance avait été émis à son égard et que M. Muzzi avait reçu une décharge d'un pistolet taser et qu'il avait été arrêté lors de sa fête d'anniversaire dans un restaurant local. Le fonctionnaire a déclaré qu'il n'était pas présent lorsque M. Muzzi a reçu la décharge d'un pistolet taser et qu'il ignorait ce qui s'était produit. Quant à l'avis de surveillance, le fonctionnaire a affirmé qu'il pouvait y avoir de nombreuses raisons d'émettre un avis de surveillance et qu'il était, en ses mots, [traduction] « ouvert à l'interprétation » quant à savoir si l'avis de surveillance signifiait que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police.

96 Lorsqu'il a été questionné sur sa compréhension des conflits d'intérêts en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu'il croyait que cela ne s'appliquait qu'aux questions liées aux opérations. Il n'a jamais considéré que certains événements concernant M. Muzzi et d'autres devraient être signalés. Il a déclaré qu'il n'avait jamais dissimulé son amitié avec M. Muzzi et que personne ne lui avait fait part de préoccupation en ce sens. Même lorsque M. Muzzi, sa cousine et son conjoint ont été arrêtés pour des infractions liées aux stupéfiants, il ne lui est pas venu à l'esprit qu'il devait le signaler. Même si son frère avait été arrêté, il ne l'aurait pas signalé.

97 Le fonctionnaire a reconnu que, dans les offres d'emploi qu'il a signées (pièces E-7 et E-8), on faisait référence à son obligation de signaler les conflits d'intérêts réels, perçus ou éventuels, mais il ne croyait pas que ses relations avec les personnes en question constituaient un conflit d'intérêts. Il n'avait aucun rapport professionnel avec ces personnes. De toute façon, il croyait que l'employeur était au fait de ses relations. Cependant, il a reconnu qu'il n'avait communiqué aucun détail à M. Lefeuvre en 2009, en dehors du fait qu'il connaissait M. Muzzi et d'autres personnes dont les noms étaient inscrits dans le classeur des avis de surveillance. Il a également reconnu qu'un certain nombre d'événements avaient eu lieu après 2009 et qu'ils ne les avaient pas signalés. À la question de savoir s'il croyait qu'il avait une obligation de signaler les événements subséquents, il a affirmé qu'il ne connaissait pas le processus relatif aux conflits d'intérêts.

98 À la question de savoir s'il croyait que sa conduite résisterait à un examen minutieux du public, comme l'exige le Code de valeur et d'éthique du secteur public (pièce E-14), et s'il croyait que le public pourrait être préoccupé par son amitié avec une personne arrêtée pour des infractions liées aux stupéfiants, le fonctionnaire a indiqué que, selon lui, il s'agissait d'une question ouverte quant à savoir si cela constituerait un problème. Il croyait que les personnes connaissaient les faits et que, par exemple, l'arrestation de sa cousine n'avait rien à voir avec lui.

99 Interrogé sur le fait qu'il avait rendu visite à M. Muzzi en prison, le fonctionnaire a déclaré qu'il ne croyait pas qu'il était nécessaire de le divulguer. Il a affirmé qu'il n'avait rien à cacher et qu'il aurait rempli tous les formulaires nécessaires si cela avait été porté à son attention. Il ne faisait que rendre visite à un ami de longue date. Thunder Bay est une petite ville et cette amitié n'était pas un secret. Si l'employeur en avait été préoccupé, il aurait pu le transférer à un autre emplacement. Il a déclaré qu'il ne voyait pas en quoi la visite qu'il avait rendue à M. Muzzi à la prison avait rompu le lien de confiance avec son employeur. Il ne se serait jamais identifié en tant qu'employé de l'ASFC et il n'aurait rien fait pouvant porter atteinte à la réputation de l'ASFC.

100 Le fonctionnaire a reconnu que, même si Thunder Bay est une petite ville, M. Bakovic avait réussi à éviter de connaître M. Muzzi, et ce, malgré le fait qu'ils ont été à la même école. Ce n'est que lorsque M. Bakovic a commencé à travailler et à socialiser avec le fonctionnaire qu'il a fait la connaissance de M. Muzzi. Le fonctionnaire a également reconnu que M. Gauthier évitait de se trouver en présence de M. Muzzi. Cependant, il a refusé de spéculer quant à la raison pour laquelle M. Gauthier évitait M. Muzzi, même si on lui a rappelé la preuve de M. Gauthier concernant leur conversation au sujet de la réputation de M. Muzzi.

101 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a indiqué qu'il n'avait jamais été mis dans une situation où il a eu à choisir entre les intérêts de l'employeur et son amitié avec M. Muzzi. Lorsque la sœur de M. Muzzi a été arrêtée à la frontière en raison de l'avis de surveillance concernant le véhicule de M. Muzzi, qu'elle conduisait, il a suivi la procédure. Dans son esprit, il n'y avait aucun conflit d'intérêts réel, apparent ou perçu.

102 Le fonctionnaire a reconnu avoir probablement reçu le nouveau Code de conduite (pièce E-13), qui avait été envoyé par courriel à tous les employés dans la région en septembre 2012 (pièce E-19), mais que, même s'il est possible qu'il l'ait reçu, il ne se souvenait pas d'une discussion quelconque à ce sujet ni que la question avait été soulevée pendant la réunion du personnel à l'automne 2012. Il ne se souvenait pas non plus d'avoir reçu une formation sur le Code de valeurs et d'éthique du secteur public (pièce E-14). Il a également indiqué qu'il avait rendu visite à M. Muzzi en prison en septembre 2011, avant l'entrée en vigueur du nouveau Code de conduite (pièce E-13) en 2012.

103 En réponse aux questions au sujet de sa compréhension des conflits d'intérêts, le fonctionnaire a déclaré qu'il croyait que cela ne concernait que les intérêts commerciaux et, plus précisément, des situations où les employés pourraient participer à du travail à l'extérieur ou s'associer à des entreprises qui pourraient avoir une incidence sur l'ASFC. Il a reconnu qu'un ASF est un agent de la paix et qu'il est tenu de respecter les lois et les règlements qui les régissent. Il a également reconnu qu'il pourrait y avoir lieu de se questionner si un policier, qui est également un agent de la paix, socialisait avec des personnes prenant part à des activités criminelles. Il a reconnu que le public ou l'employeur pourrait percevoir ce type de comportement comme posant un risque. Il a affirmé qu'il n'avait pas envisagé comment ses actions pouvaient être perçues, et que, selon les connaissances qu'il avait maintenant, il aurait pu prendre de meilleures décisions. Il a ajouté qu'il éprouvait des remords.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

104 L'employeur a soutenu que les faits du cas ne sont pas compliqués. Le fonctionnaire a été embauché par l'employeur en tant qu'étudiant en 2002 et est devenu un employé nommé pour une période indéterminée en 2007. Au cours de sa période d'emploi, il a entretenu des amitiés avec des personnes d'intérêt pour la police et l'employeur et il a omis de divulguer ces amitiés conformément au Code de conduite de l'ASFC et le Code de valeur et d'éthique du secteur public.

105 La preuve a établi que le fonctionnaire avait entretenu des amitiés avec M. Muzzi, sa cousine, Mme Stokaluk, et son conjoint, M. Gordon ainsi qu'avec M. Ritchie. Le fonctionnaire a minimisé ces amitiés lorsque cela lui convenait. À l'audience, il a prétendu que M. Muzzi n'était pas une personne qu'il connaissait bien, malgré le fait qu'il était suffisamment proche de M. Muzzi pour participer régulièrement aux soupers familiaux des Muzzi et qu'il avait conduit la mère et la sœur de M. Muzzi à la prison afin de visiter ce dernier. Il a reconnu qu'il fréquentait régulièrement sa cousine et son conjoint, M. Gordon.

106 En juin 2011, M. Muzzi a été arrêté, incarcéré et accusé d'infractions criminelles graves, y compris des infractions liées aux stupéfiants, à la suite d'une enquête continue d'un groupe de travail de la police fédérale, provinciale et locale sur le crime organisé et le trafic de drogue appelé le projet Dolphin. En avril 2012, une autre ronde d'arrestations découlant de l'enquête conjointe a donné lieu au dépôt d'autres chefs d'accusation à l'égard de M. Muzzi ainsi qu'aux arrestations de Mme Stokaluk et de M. Gordon.

107 Au cours de la durée de son emploi, le fonctionnaire a eu de nombreuses occasions d'informer l'employeur des relations qu'il entretenait avec les personnes en cause. Il aurait pu le faire lorsque M. Muzzi a reçu une décharge d'un pistolet taser et qu'il a été arrêté par le SPTB en 2008, ou lorsque les premiers avis de surveillance à l'égard de M. Muzzi ont été entrés dans le système en octobre 2008. Il aurait également pu le faire lorsqu'il a affiché les avis de surveillance à l'égard de MM. Ritchie et Gordon. Même s'il a tenté de minimiser l'importance des avis de surveillance, il ne s'agit pas d'occurrences courantes et elles constituent l'un des outils utilisés par l'AFSC pour identifier les personnes d'intérêt. On ne demande pas de façon routinière aux employés d'émettre des avis de surveillance. En conséquence, il est peu probable que le fonctionnaire ait oublié qu'on lui a demandé d'émettre un avis de surveillance à l'égard d'une personne qu'il connaissait bien.

108 De plus, le fonctionnaire aurait pu déclarer son amitié avec M. Muzzi après la présentation du SPTB à laquelle il a participé en 2009 et au cours de laquelle M. Muzzi a été identifié en tant que personne d'intérêt pour la police. Il aurait également pu le faire en mars 2010, lorsque M. Bakovic et lui ont arrêté la sœur de M. Muzzi à la frontière en raison de l'avis de surveillance concernant le véhicule qu'elle conduisait, qui appartenait à son frère. Enfin, il aurait pu le faire lorsque M. Muzzi a été arrêté en juin 2011 ou lorsque sa cousine et M. Gordon ont été arrêtés en 2012, ou même avant de rendre visite à M. Muzzi en prison en 2011.

109 Le fonctionnaire n'a pas divulgué ses relations avec ces individus à l'employeur. Même s'il a témoigné l'avoir fait, les renseignements qu'il a communiqués étaient extrêmement limités et bien moindres que ce qui était requis par l'employeur pour rendre une décision éclairée à propos du conflit d'intérêts.

110 Le fonctionnaire a allégué qu'il avait divulgué son amitié avec M. Muzzi en 2009, pendant une discussion avec M. Bakovic et le surintendant, M. Lefeuvre, sur la façon de gérer une situation concernant un avis de surveillance qui porte sur un ami. Toutefois, selon l'employeur, cette discussion ne constituait pas une divulgation. M. Bakovic a confirmé dans son témoignage que le fonctionnaire n'avait communiqué aucun détail sur sa relation avec M. Muzzi ou avec d'autres. Au mieux, la conversation a démontré que le fonctionnaire reconnaissait qu'il pourrait y avoir un problème. Il s'agit toutefois de la seule occasion où le fonctionnaire a soulevé cette question. En outre, la conversation du fonctionnaire avec son superviseur a eu lieu en 2009 et, par conséquent, elle ne portait aucunement sur les événements qui se sont produits par la suite.

111 Pendant toute la durée de son emploi, le fonctionnaire a eu de nombreuses occasions de divulguer ses amitiés, mais il ne l'a pas fait. Il a plutôt choisi d'ignorer chacun des signes d'avertissement évidents et il a refusé de voir le conflit d'intérêts qui aurait été évident pour toute personne raisonnable. Il n'a pas reconnu l'existence d'un conflit d'intérêts et il n'a perçu aucun conflit éventuel. À l'audience d'arbitrage, il a déclaré que si son frère avait été arrêté, cela n'aurait pas constitué un conflit d'intérêts et il ne l'aurait pas divulgué à l'employeur. L'employeur a souligné que le fonctionnaire n'a semblé comprendre en quoi consistait un conflit d'intérêts que lorsque je l'ai questionné.

112 Entre 2008 et 2009, la GRC a informé l'employeur à propos de l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi, mais lui a demandé de ne prendre aucune mesure à l'égard de cette information en raison d'une enquête en cours. En 2010, le SPTB a également informé l'employeur de la relation douteuse qu'entretenait le fonctionnaire avec M. Muzzi et d'autres personnes visées par la police dans le cadre du projet Dolphin. Une fois de plus, on a demandé à l'employeur de ne prendre aucune mesure à l'égard de cette information pour protéger l'enquête de police.

113 La preuve a établi qu'il y avait eu un changement à la direction de l'ASFC dans la région du Nord-Ouest et, en septembre 2012, Mme Schuler est devenue la nouvelle directrice, tandis que Mme Reza est devenue la nouvelle directrice générale régionale. Peu de temps après avoir été nommée directrice, Mme Schuler a effectué une visite pour rencontrer le personnel de la région. Au cours de cette visite, des questions ont été soulevées à propos de l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi et d'autres personnes. En raison des renseignements qu'elle a reçus, Mme Schuler a demandé aux Normes professionnelles d'enquêter sur les amitiés douteuses du fonctionnaire. Bien qu'une enquête préliminaire ait été menée lorsque la police a soulevé pour la première fois la question des relations du fonctionnaire, celle-ci n'a pas été terminée puisque la police avait demandé à l'ASFC d'assurer la confidentialité de cette information afin de protéger son enquête. Cependant, la nouvelle direction régionale de l'ASFC a décidé qu'il était temps d'agir. En raison des allégations graves, le fonctionnaire a été suspendu pour une période indéterminée pour des motifs de sécurité en attendant les résultats de l'enquête.

114 Le rapport d'enquête a été signé à la mi-décembre 2012. On a donné au fonctionnaire la possibilité de le passer en revue. Le 28 janvier et le 11 février 2013, il a présenté ses commentaires en ce qui concerne le rapport; ses commentaires ont été pris en compte. D'après tous les documents dont il disposait, l'employeur a décidé de mettre fin à l'emploi du fonctionnaire.

115 Selon les arguments de l'employeur, la décision de mettre fin à l'emploi du fonctionnaire était raisonnable et a été rendue en temps opportun. Il m'a renvoyé à Nicolas c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2014 CRTFP 40, et il a déclaré qu'il était raisonnable d'attendre que la police ait terminé son enquête. Dans les circonstances du cas, l'employeur a respecté les souhaits de la police et n'a pris des mesures que lorsqu'il était raisonnable de le faire.

116 L'employeur a soutenu que les faits du cas s'étiraient sur une longue période et qu'il a aurait pu choisir n'importe quel moment où il aurait été raisonnable d'agir, mais, peu importe où le trait était tiré, le congédiement était justifié. Le fonctionnaire a nié connaître les codes sur les conflits d'intérêts, ce qui ne constitue pas une position acceptable. Il les a reçus et les a signés afin d'en accuser réception. Citant Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61, au paragraphe 83, l'employeur a fait valoir que le fonctionnaire est réputé avoir lu les codes et qu'il est tenu de les respecter.

117 L'employeur a souligné qu'il était également établi dans Gravelle qu'il n'était pas nécessaire de prouver tous les éléments relatifs aux motifs de la mesure disciplinaire, s'il y un seul acte d'inconduite pouvant justifier le congédiement et que les principes relatifs aux mesures disciplinaires progressives ne s'appliquent pas dans les cas où une inconduite suffisamment grave pour justifier le congédiement a été démontrée.

118 Des questions similaires à celles du cas présent ont été tranchées dans Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138. Dans cette affaire, le fonctionnaire était un agent correctionnel qui a été congédié car il avait organisé la commandite d'un tournoi de poker avec un membre du crime organisé et parce qu'il avait rencontré une personne associée aux motards criminels en deux occasions. L'arbitre de grief a confirmé le congédiement. Il a conclu que le fonctionnaire et les motards criminels étaient plus que de simples connaissances. Elle a soutenu que le lien de confiance avec l'employeur avait été rompu et que le fonctionnaire poserait un risque pour la sécurité s'il était réintégré dans ses fonctions. La décision a été confirmée dans un contrôle judiciaire dans Lapostolle c. Procureur général du Canada, 2013 FC 895.

119 L'employeur a soutenu que, dans Lapostolle, le lien de confiance avec le fonctionnaire dans cette affaire avait été rompu. Mme Reza a témoigné qu'elle ne pouvait pas avoir un agent avec un jugement aussi douteux travaillant à la frontière. Il s'agit d'une question de bon sens. Personne ne considérerait qu'il est raisonnable de rendre visite à M. Muzzi à la prison après avoir été accusé d'infractions liées aux stupéfiants. Cet acte en soi justifierait un congédiement.

120 Relativement à la question de la suspension pour une période indéterminée, l'employeur a fait valoir qu'il s'agissait d'une suspension administrative, mais que, dans la présente affaire, celle-ci était également théorique. L'employeur a antidaté le congédiement du fonctionnaire à la date du début de la suspension. Citant Gravelle, l'employeur a soutenu qu'il était permis d'antidater le congédiement au premier jour de la suspension. Cependant, même si la suspension n'était pas théorique, l'enquête disciplinaire a eu lieu à l'intérieur d'un délai raisonnable et la suspension en soi n'était pas de nature disciplinaire.

121 L'employeur a demandé que les deux griefs soient rejetés.

B. Pour le fonctionnaire

122 Le fonctionnaire a indiqué que l'enquête de police, le projet Dolphin, avait commencé en 2010. C'est alors qu'on a demandé à l'employeur de ne prendre aucune mesure à l'égard de l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi. Cependant, l'employeur était au courant de la relation entre le fonctionnaire et M. Muzzi depuis 2007. S'il était préoccupé à ce sujet, il aurait pu demander des explications en tout temps avant 2010. Effectivement, il incombait à l'employeur d'en faire part au fonctionnaire. L'employeur a déclaré que la visite du fonctionnaire à la prison pour voir M. Muzzi  était suffisante pour déclencher l'enquête, cependant cette visite a eu lieu dans les trois mois qui ont suivi l'arrestation de M. Muzzi et plusieurs mois avant le congédiement du fonctionnaire. Si l'employeur considérait véritablement que la visite à la prison était un problème, il aurait dû le congédier à ce moment et non pas des mois plus tard.

123 M. Muzzi a été arrêté en 2011 et sa première condamnation a été prononcée après cette date. Si l'employé savait alors qu'il était lié à des gangs de criminels ou à la drogue, l'employeur n'avait aucun motif de ne pas dire au fonctionnaire que sa relation avec M. Muzzi n'était pas appropriée. L'employeur aurait pu convoquer le fonctionnaire après l'arrestation de M. Muzzi et lui dire qu'il y avait un problème.

124 M. Gauthier était au courant de la relation du fonctionnaire avec M. Muzzi et en a informé son superviseur. Le surintendant Lefeuvre savait également que M. Muzzi était l'ami du fonctionnaire, car ce dernier avait soulevé ce sujet lorsque le nom de M. Muzzi est apparu pour la première fois sur la liste des avis de surveillance. Le fonctionnaire a respecté la politique, qui exigeait qu'il parle à son gestionnaire ou qu'il remplisse un formulaire sur les conflits d'intérêts.

125 L'employeur a soutenu que le fonctionnaire était coupable d'une inconduite grave en raison de son association présumée avec des criminels connus, mais, bien que Mme Stokaluk ait été arrêtée, elle n'a jamais été accusée d'une infraction criminelle. Même si M. Gordon a été accusé d'une infraction, il n'a pas été condamné. M. Muzzi se trouvait en prison, mais il n'avait pas été condamné pour une infraction quelconque au moment du congédiement du fonctionnaire et le seul contact qu'avait eu le fonctionnaire avec lui à ce moment était cette visite unique à la prison. Au moment où le fonctionnaire a entretenu une relation avec ces individus, ceux-ci n'étaient pas des criminels reconnus. Avant que M. Muzzi ne soit accusé d'une infraction, personne, pas même le fonctionnaire, ne savait qu'il prenait part à des activités criminelles. Absolument aucun élément de preuve n'a été présenté voulant que M. Muzzi ait mené ses activités en présence du fonctionnaire.

126 Aucune preuve n'a été présentée voulant que le fonctionnaire ait placé son amitié devant les intérêts de l'employeur. La meilleure preuve que l'employeur a pu trouver concernant un conflit d'intérêts est celle voulant que le fonctionnaire ait émis des avis de surveillance à l'égard de MM. Gordon et Ritchie, mais c'est M. Gauthier qui lui avait demandé de le faire. L'employeur a confirmé que M. Muzzi n'avait jamais traversé la frontière pendant que le fonctionnaire était en devoir. M. Bakovic travaillait avec le fonctionnaire. Il a témoigné qu'il n'avait jamais vu le fonctionnaire mêlé à une situation de conflit d'intérêts, ou agir de quelque façon qui aurait représenté une menace pour l'ASFC ou le public ou d'une façon ayant rendu difficile pour l'employeur de gérer ses opérations. M. Gauthier était peut-être préoccupé par l'amitié du fonctionnaire avec M. Muzzi, mais en tant qu'agent du renseignement, ses intérêts étaient considérablement différents de ceux du fonctionnaire.

127 Le fonctionnaire a été honnête et ouvert envers l'employeur. Il n'a jamais nié son amitié avec M. Muzzi. Il en a informé l'employeur lorsque le nom de M. Muzzi est apparu dans un avis de surveillance. Il a donné à l'employeur plus de renseignements que ce qu'il avait appris dans le cadre de son enquête. Par exemple, il a indiqué à l'employeur qu'il avait rendu visite à M. Muzzi à la prison, car il ne disposait pas de cette information.

128 Citant Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 4:1520 et Re Lumber & Sawmill Workers' Union, Local 2537 and KVP Co. Ltd. (1965), 16 L.A.C. 73, le fonctionnaire a fait valoir que le Code de conduite relevait du pouvoir d'établir des règles de l'employeur et qu'il devait être conforme aux principes établis dans KVP. Plus précisément, une règle de l'employeur doit aller de pair avec la convention collective, être raisonnable, claire et sans équivoque, être portée à l'attention de l'employé et être appliquée de façon uniforme. Le fonctionnaire a fait valoir que, dans cette affaire, le Code de conduite n'avait pas été appliqué uniformément car, selon la preuve, d'autres employés de l'ASFC étaient présents lors d'occasions où le fonctionnaire a rencontré M. Muzzi, soit des fêtes ou dans les bars, mais seul le fonctionnaire a fait l'objet de mesures disciplinaires.

129 Le fonctionnaire a affirmé que la question à trancher consiste à déterminer si l'infraction alléguée est suffisamment grave pour justifier une mesure disciplinaire et si l'employeur a tenu compte des facteurs atténuants dans son évaluation. Le fonctionnaire a fait valoir que, selon la preuve, la sanction du congédiement ne pouvait être maintenue. Au moment où le congédiement a été imposé, il n'y avait aucun danger pour l'employeur ou ses opérations. Il avait toléré la situation pendant des années. Mais, en 2012, M. Muzzi était en prison et le fonctionnaire avait mis fin à son amitié avec lui, il n'y avait donc plus de problème. L'employeur a attendu trop longtemps avant d'agir. En outre, il n'y avait aucune preuve selon laquelle l'employeur a tenu compte des facteurs atténuants. Le fonctionnaire a cité Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, BCLRB Decision No. 46/76 (QL) et Re United Steel Workers of America, Local 3257 v. The Steel Equipment Co. Ltd (1964), 14 L.A.C. 356.

130 Citant Brown and Beatty au paragraphe 7:3010 et Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers Int'l Union, Local 9-670, [1967] O.L.A.A. No. 4, le fonctionnaire a déclaré qu'il n'existait aucune preuve voulant que son comportement l'ait rendu inapte à remplir ses fonctions, qu'il était coupable d'une infraction grave du Code criminel, que ses collègues aient refusé de travailler avec lui, que l'employeur avait éprouvé des difficultés quelconques à exercer ses fonctions ou que les actions du fonctionnaire avaient porté atteinte à sa réputation. Le fonctionnaire a également cité Re Niagara Falls (City) v. C.U.P.E., Local 133 (1991), 24 L.A.C. (4e) 124 et Re Government of Province of Alberta and Alberta Union of Provincial Employees (1988), 35 L.A.C. (3e) 353. Il a souligné que, dans Niagara Falls, le fonctionnaire a été condamné pour possession d'héroïne et trafic de drogue et que, dans Government of Alberta, le fonctionnaire vivait avec un homme qui était membre d'un gang de motards et qui était recherché par la police. Dans ces deux affaires, les fonctionnaires ont été réintégrés dans leurs fonctions.

131 Le fonctionnaire a cité Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26, Pike c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 1, et MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90. Il a souligné qu'il était important de tenir compte que, dans chacun de ces cas, il y avait un conflit d'intérêts réel par opposition à un conflit d'intérêts perçu et que la sanction imposée dans chaque cas reflétait la culpabilité.

132 Le fonctionnaire a fait valoir que les faits dans les affaires citées par l'employeur étaient différents des circonstances le concernant. Par exemple, dans Gravelle, le fonctionnaire a réalisé des gains personnels découlant de ses amitiés douteuses, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Qui plus est, le fonctionnaire n'a pas ouvertement affiché une relation quelconque avec des criminels connus. Il convient toutefois de souligner que, dans les affaires citées par l'employeur, les fonctionnaires ont reçu des avertissements à propos de leur comportement. Le fonctionnaire a souligné qu'il n'a reçu aucun avertissement malgré le fait que l'employeur était au courant de son amitié avec M. Muzzi et qu'il en avait été informé bien avant que le SPTB commence le projet Dolphin.

133 Le fonctionnaire a fait valoir qu'il ne s'était rien produit en octobre 2012 justifiant son retrait du milieu de travail en vertu d'une suspension indéterminée. L'employeur n'a présenté aucune preuve selon laquelle il posait un risque dans le milieu de travail. À ce moment, M. Muzzi n'avait même pas été condamné. Le fonctionnaire a soutenu que l'employeur n'avait pas respecté les critères établis dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9.

134 Le fonctionnaire a demandé que ses griefs soient accueillis intégralement, qu'il soit réintégré dans ses fonctions à compter de la première journée de sa suspension sans salaire et qu'il reçoive l'intégralité de ses traitements et de ses avantages en guise d'indemnisation. Subsidiairement, s'il y a des motifs à l'appui de certaines mesures disciplinaires, le fonctionnaire a demandé d'être réintégré à ses fonctions avec une sanction réduite.

C. Réplique de l'employeur

135 En réponse à l'allégation du fonctionnaire selon laquelle il n'y avait aucun motif de congédiement en raison de l'absence de preuve voulant qu'il ait placé les intérêts de ses amitiés au-dessus de ses intérêts professionnels ou que son comportement l'ait rendu inapte à remplir les fonctions de son poste, l'employeur a souligné que le fonctionnaire n'avait pas été congédié en raison d'allégations liées à son rendement au travail. Son congédiement découle du fait que son comportement a rompu le lien de confiance.

136 En réponse à l'allégation voulant que l'employeur n'ait pas fait preuve d'uniformité dans son approche, car d'autres employés, comme M. Bakovic, connaissaient également M. Muzzi, mais n'ont pas fait l'objet de mesures disciplinaires, l'employeur a souligné que selon le témoignage de M. Bakovic, il existait une distinction claire entre sa relation avec M. Muzzi et celle entre le fonctionnaire et M. Muzzi.

137 L'employeur a affirmé que l'argument du fonctionnaire était contradictoire et démontrait qu'il ne comprenait pas les questions ayant mené à son congédiement. D'une part, il a fait valoir que l'employeur aurait dû agir plus tôt, car il était au courant de la relation entre le fonctionnaire et M. Muzzi depuis 2008, d'autre part, il a soutenu avoir fait preuve de franchise et d'ouverture, car, pendant l'enquête, il a divulgué beaucoup de renseignements que l'employeur n'avait pas auparavant. Il a également fait valoir que personne ne l'avait prévenu que ses amitiés posaient un problème et, parallèlement, il a soutenu que les individus en question n'étaient pas des criminels reconnus et qu'ils n'étaient pas des amis particulièrement proches. En présentant des arguments des deux côtés, le fonctionnaire a démontré son manque de compréhension à l'égard des questions.

IV. Motifs

138 Le 13 février 2013, le fonctionnaire a été congédié. Ce congédiement a été antidaté au 24 octobre 2012, date à laquelle il a été suspendu sans salaire dans l'attente du résultat d'une enquête disciplinaire sur des allégations voulant qu'il soit associé à des criminels connus.

139 La lettre de congédiement (pièce E-4) mentionnait l'enquête disciplinaire et soulignait sa conclusion selon laquelle les actions du fonctionnaire avaient contrevenu au Code de conduite de l'ASFC et au Code de valeurs et d'éthique du secteur public. Les motifs du congédiement étaient présentés comme suit :

[Traduction]

Vos actions sont incompatibles avec les fonctions que vous accomplissez ainsi qu'avec les lois et les règlements que vous devez appliquer en tant qu'agent des services frontaliers, et ont eu une incidence négative sur la réputation de l'ASFC et de ses employés. Le choix de vos associations est indéfendable, il ne peut être ni excusé ni toléré. En tant qu'agent des services frontaliers, vous êtes tenu de respecter une norme élevée lorsqu'il est question de respecter le Code de conduite et le Code de valeur et d'éthique du secteur public. Ces documents représentent les principes en vertu desquels nous nous acquittons de nos rôles et de nos responsabilités, et ils font partie des conditions de votre emploi au sein de la fonction publique. Vous avez irrémédiablement rompu le lien de confiance requis pour être un employé de l'Agence des services frontaliers du Canada.

140 Les dispositions pertinentes du Code de conduite de l'ASFC (pièce E-12) en vigueur pendant la période d'emploi du fonctionnaire jusqu'au mois de septembre 2012, se lisent comme suit :

[Traduction]

Normes de conduites attendues

[…]

m) Conduite hors du travail

Votre conduite hors du travail est habituellement une question privée. Cependant, cela peut devenir une question de travail si votre conduite :

  • nuit à la réputation de l'Agence ou au programme;
  • vous rend inapte à remplir une exigence de vos fonctions;
  • amène vos compagnons de travail à refuser de travailler avec vous ou les rendent réticents à le faire ou incapables de le faire;
  • vous rend coupable d'une grave infraction au Code criminel du Canada portant atteinte à la réputation de l'Agence et à celle de ses employés. Par exemple, la nature des accusations criminelles peut être incompatible avec les fonctions d'agent de la paix;
  • rend difficile pour l'Agence de gérer efficacement ses opérations et/ou diriger son effectif…

Vous devez aviser votre gestionnaire, dans les plus brefs délais, si vous êtes arrêté, détenu ou accusé, au Canada ou à l'extérieur du Canada, pour un acte sérieux ou une infraction à une loi ou à un règlement de la législation fédérale liée à vos fonctions officielles, dont le Code criminel du Canada. Si vous écopez d'une contravention au moment où vous étiez au volant d'un véhicule appartenant au gouvernement ou loué par celui-ci, vous devez la signaler.

141 Le 5 septembre 2012, le président de l'ASFC a envoyé un courriel à tous les employés auquel était annexé un nouveau Code de conduite de l'ASFC (pièces E-13 et E-19). Le 10 septembre 2012, Mme Reza a envoyé une copie du nouveau Code de conduite de l'ASFC par courriel à tous les employés dans sa région, qui comprenait Thunder Bay. Le fonctionnaire a reconnu qu'il l'avait probablement reçu. Les dispositions pertinentes de la section 4, Conduite privée hors du travail et activités extérieures (à la page 12), du nouveau Code de conduite (pièce E-13), se lisent comme suit :

Nos valeurs liées au respect, à l'intégrité et au professionnalisme nous guident dans l'exécution de nos fonctions. Elles peuvent aussi porter sur nos temps libres, et principalement lors de nos activités sur les médias sociaux, de nature politique ainsi que pour un emploi à l'extérieur de la fonction publique.

Nous reconnaissons que notre conduite hors travail est habituellement une question privée. Cependant, cela peut devenir une question reliée au travail s'il y a des conséquences négatives sur l'Agence. Nous évitons ces activités, dont celles qui :

nuisent à la réputation de l'Agence, de ses employés, y compris les gestionnaires et de ses programmes;

nous rendent inaptes à remplir nos fonctions de manière satisfaisante;

mènent d'autres employés à refuser de travailler avec nous, à y être réticents ou à en être incapables;

nous rendent coupables d'une infraction au Code criminel;

rendent difficile pour l'Agence de gérer efficacement ses opérations et/ou diriger son effectif.

Nous devons éviter toute activité qui nous rend, ou qui rend l'Agence, vulnérable en nous associant, en dehors de nos fonctions officielles, avec des individus ou des groupes qui sont ou sont soupçonnés d'être liés à des activités criminelles.

[Je souligne]

142 Les deux Codes de conduite de l'ASFC en vigueur pendant la période d'emploi du fonctionnaire comprenaient des dispositions sur les conflits d'intérêts. En outre, le Code de valeurs et d'éthique du secteur public (pièce E-14) mentionné dans la lettre de congédiement comprenait l'exigence comportementale suivante pour les employés du secteur public sous l'en-tête « Intégrité » :

3. Intégrité

Les fonctionnaires servent l'intérêt public.

3.1     Ils se conduisent toujours avec intégrité et d'une manière qui puisse résister à l'examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

3.2     Ils n'utilisent jamais leur rôle officiel en vue d'obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu'un.

3.3     Ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans l'intérêt public, tout conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs responsabilités officielles et leurs affaires personnelles.

3.4     Ils agissent de manière à préserver la confiance de leur employeur.

143 L'employeur a allégué que le fonctionnaire avait entretenu une relation personnelle, hors travail, avec MM. Muzzi, Gordon et Ritchie. M. Muzzi a été arrêté et accusé d'infractions liées au trafic de drogue et d'être un dirigeant d'une organisation criminelle en 2011 et en 2012. Il a par la suite plaidé coupable aux chefs d'accusation. M. Gordon a été arrêté, accusé et condamné relativement à des infractions liées à la drogue en 2011. M. Ritchie a été arrêté et accusé relativement à des infractions liées à la drogue en 2011, mais n'avait pas été condamné au moment de l'audience. En outre, la cousine du fonctionnaire a été arrêtée et accusée relativement à des infractions liées à la drogue; les chefs d'accusation ont cependant été abandonnés.

144 Le fonctionnaire n'a pas nié entretenir une relation avec M. Muzzi. Il a témoigné qu'ils se connaissaient depuis l'adolescence. Ils socialisaient dans les bars, au gymnase et à leurs domiciles. Il était invité à souper au domicile de la famille de M. Muzzi. Sa page Facebook comprenait des photos de lui en compagnie de M. Muzzi. Il a affirmé être demeuré ami avec M. Muzzi jusqu'à ce qu'il lui rende visite à la prison en septembre 2011 pour lui expliquer qu'ils ne pouvaient plus être amis.

145 Le fonctionnaire a également reconnu que M. Gordon était le conjoint de fait de sa cousine. Il socialisait assez régulièrement avec sa cousine, se rencontrant à l'occasion de réunions familiales, se rendant visite à leurs domiciles respectifs tous les mois ou tous les deux mois et, à l'occasion, se rencontrant au domicile de M. Muzzi, car sa cousine était une amie de la sœur de M. Muzzi. M. Gordon était présent lors de ces occasions. Il a déclaré qu'il continuait d'entretenir une relation avec sa cousine et, par conséquent, avec M. Gordon.

146 Le fonctionnaire a déclaré qu'il connaissait M. Ritchie en tant que connaissance passagère. Il ne socialisait pas avec lui et ne le connaissait pas particulièrement. Étant donné qu'aucune preuve n'a été présentée afin de contredire cette déclaration, je l'accepte comme un fait.

147 Même si le fonctionnaire a fait preuve d'ouverture en reconnaissant son association avec MM. Muzzi et Gordon, il a été moins direct lorsqu'il a été question de reconnaître leur criminalité. À un moment lors de la présentation de sa preuve, il a témoigné qu'il avait été informé pour la première fois de l'activité criminelle de M. Muzzi lors de l'émission de l'avis de surveillance à son égard, mais plus loin dans son témoignage, il a affirmé qu'il n'avait été informé que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police que lors de son arrestation en avril 2011. Il a laissé entendre qu'un avis de surveillance pouvait être émis pour de nombreuses raisons et qu'il était, en ses mots, [traduction] « ouvert à l'interprétation » quant à savoir si l'avis signifiait que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police. Il a également indiqué qu'il n'avait été informé des activités criminelles de M. Gordon que lorsqu'il a été arrêté.

148 Je n'accepte pas la déclaration du fonctionnaire voulant qu'il ait été informé de la criminalité de MM. Muzzi et Gordon uniquement lors de leur arrestation. Je crois qu'il savait que M. Muzzi était une personne d'intérêt pour la police au moins depuis 2008, lorsque l'avis de surveillance a été émis car, comme en a témoigné M. Bakovic, il s'agissait d'un avis de surveillance normale en matière de drogue. En outre, à la suite de la partie de poker, également en 2008, M. Gauthier a indiqué au fonctionnaire qu'il ne devrait pas socialiser avec M. Muzzi en raison de ses liens criminels. De même, en 2009, le fonctionnaire a émis un avis de surveillance à l'égard de M. Gordon lui-même et, par conséquent, il savait que M. Gordon était une personne d'intérêt pour la police et l'ASFC.

149 Le fonctionnaire a également fait valoir que, pendant la période au cours de laquelle il a entretenu des relations avec MM. Muzzi et Gordon, ils n'étaient pas des criminels connus, comme il est énoncé dans la lettre de congédiement, car ils n'avaient pas été condamnés relativement à des infractions criminelles. Toutefois, d'après la preuve dont je suis saisi, au moment du congédiement du fonctionnaire, M. Gordon avait été condamné pour au moins une infraction liée à la drogue et M. Muzzi était incarcéré relativement à un certain nombre de chefs d'accusation de trafic de drogue et d'infractions connexes.

150 Qui plus est, je ne crois pas que l'utilisation de l'expression [traduction] « criminel connu » dans la lettre de congédiement exige une condamnation réelle relativement à une infraction criminelle. La lettre ne devrait pas être lue de façon aussi rigide que le laisse entendre le fonctionnaire. Le but était d'informer le fonctionnaire des motifs du congédiement et je ne crois pas que, après avoir lu la lettre, il pourrait subsister un doute quelconque quant aux motifs des préoccupations de l'employeur. Quoi qu'il en soit, tel qu'on l'utilise dans la lettre, l'expression peut viser les personnes soupçonnées d'infractions criminelles, tout comme celles accusées et condamnées relativement à celles-ci, car la lettre racontait la conduite reprochée en vertu du Code de conduite (pièce E-12) en vigueur au moment du congédiement du fonctionnaire, qui demandait aux ASF d'éviter de « [s'associer], en dehors de nos fonctions officielles, avec des individus ou des groupes qui sont ou sont soupçonnés d'être liés à des activités criminelles ».

151 D'après les admissions du fonctionnaire et la preuve présentée à l'audience, je conclus que le fonctionnaire a entretenu, hors travail, des relations sociales avec MM. Muzzi et Gordon, lesquels peuvent être qualifiés de criminels reconnus. La question qui reste à trancher consiste à déterminer si ce comportement justifiait le congédiement du fonctionnaire.

152 Je crois qu'il existe une croyance largement répandue voulant que les relations d'une personne dans ses temps libres ne regardent aucunement l'employeur. Notre système de justice criminelle repose sur le principe selon lequel les personnes sont tenues responsables de ce qu'elles font, pas des personnes qu'elles connaissent. J'imagine que la plupart des gens s'attendent à ce que ce principe se transpose dans d'autres domaines de la vie et du droit. Cependant, la culpabilité par association n'est pas l'enjeu de la présente affaire. L'employeur n'a pas allégué, voire même laisser entendre que, parce que le fonctionnaire était associé à des trafiquants de drogue dans ses temps libres, il devait également être un trafiquant de drogue. Là n'était pas sa préoccupation. Il a reconnu qu'il ne détenait aucune preuve d'agissement criminel au travail de la part du fonctionnaire ou de problèmes liés à son rendement au travail.

153 Les préoccupations de l'employeur découlent du comportement du fonctionnaire hors travail. À titre de règle générale, les employeurs n'ont pas compétence sur le comportement hors travail des employés. Mais, comme c'est souvent le cas avec les règles générales, il existe des exceptions. La décision dans Millhaven Fibres Ltd. a établi au paragraphe 20 une liste de critères souvent citée pouvant justifier l'incursion d'un employeur dans la vie privée d'un employé. La voici :

[Traduction]

Bref, pour que le renvoi puisse se fonder sur une raison justifiable liée à la conduite de l'employé ailleurs qu'à son travail, la Compagnie doit démontrer ce qui suit :

  1. que la conduite du fonctionnaire porte atteinte à la réputation ou aux produits de la Compagnie;
  2. que le comportement du fonctionnaire fasse en sorte que l'employé soit incapable de remplir ses fonctions de façon satisfaisante;
  3. que le comportement du fonctionnaire entraîne le refus, la réticence ou l'incapacité des autres employés de travailler avec lui;
  4. que le fonctionnaire soit coupable d'une infraction grave au Code criminel et que, partant, sa conduite a entaché la réputation de la Compagnie et de son personnel;
  5. que la conduite du fonctionnaire rende difficile pour la Compagnie d'exercer ses fonctions qui consistent à gérer efficacement ses opérations et de diriger avec efficience son effectif.

154 Les critères établis dans Millhaven Fibres Ltd. constituent le fondement de la disposition de l'employeur relative à la conduite hors travail établie dans les deux versions du Code de conduite de l'ASFC. L'employeur a allégué que les associations du fonctionnaire, alors qu'il n'était pas au travail, avec des personnes soupçonnées ou condamnées relativement à des infractions criminelles relevaient de sa compétence, car ces associations avaient le potentiel de porter atteinte à sa réputation et étaient incompatibles avec les obligations de son poste. Comme en a témoigné Mme Reza, la frontière représente le premier point d'entrée des drogues illégales. Par conséquent, la fraternisation du fonctionnaire hors travail avec des trafiquants de drogue a été perçue par l'employeur comme un conflit d'intérêts et comme posant un risque réel à la réputation de l'ASFC, notamment auprès d'autres organismes d'application de la loi.

155 Je tire la conclusion qu'il existe un lien évident entre la conduite de fonctionnaire hors travail et les intérêts de l'employeur. Dans Lapostolle, qui a été confirmé par la Cour fédérale dans 2013 CF 895, l'arbitre de grief de la CRTFP s'est penché sur le grief d'un agent correctionnel congédié en raison d'une association hors travail avec une personne liée au crime organisé. L'arbitre de grief a écrit ce qui suit au paragraphe 71 :

L'exercice d'une charge publique, dont les fonctions comprennent l'exercice de l'autorité du gouvernement dans le milieu carcéral, exige des caractéristiques personnelles d'équité et d'intégrité. Qui accepte le métier d'agent correctionnel, accepte aussi les contraintes personnelles qui vont avec ce métier, soit de privilégier les intérêts de l'employeur et d'agir en tout temps avec probité, même à l'extérieur des heures de travail. Ce type de contrainte n'est pas unique à l'agent correctionnel, mais fait partie de tout autre emploi qui comprend des fonctions d'agent de la paix. Ce sont les principes énoncés dans Flewwelling et Dionne avec lesquels je suis d'accord. Par conséquent, je rejette l'objection du fonctionnaire à l'effet que l'employeur n'a pas le droit de regard sur les activités qui relèvent de sa vie privée.

156 De manière semblable, dans Nicolas, l'arbitre de grief de la CRTFP a examiné le congédiement d'un agent des pêches qui, selon ce qui a été découvert, consommait des drogues illégales et était associé avec des trafiquants de drogue, entre autres choses. L'arbitre de grief a demandé, pour la forme, au paragraphe 108 : « Comment peut-on s'attendre que l'employeur soit pris au sérieux auprès de la population pour qui l'industrie de la pêche est capitale si un de ses agents a un comportement qui va totalement à l'encontre de ce pourquoi il a été embauché? » Elle est arrivée à la conclusion que la conduite du fonctionnaire avait porté atteinte à la réputation de l'employeur et avait conclu ce qui suit au paragraphe 110 :

[…] il n'en demeure pas moins qu'un agent des pêches qui doit faire respecter la loi, se doit d'éviter de côtoyer et socialiser avec des personnes reconnues comme braconniers ou trafiquants de drogue ou susceptibles de faire l'objet d'une enquête le lendemain de la part de l'employeur ou de la SQ. Qui plus est, un agent des pêches ne peut avoir sous son toit des personnes dont le passé peut, avec raison, soulever des questions quant à l'impartialité et la neutralité de cet agent des pêches.

157 Dans d'autres affaires, on est également arrivé à la conclusion qu'il existait un lien entre les intérêts légitimes de l'employeur et les associations d'un employé hors du travail. Dans Wells et le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-2-27802 (19971125), l'arbitre de grief a conclu qu'un agent correctionnel qui a socialisé pendant un certain nombre d'années avec un trafiquant de drogue avait porté atteinte à sa crédibilité au point où il ne pouvait plus être efficace dans l'exercice de ses fonctions à titre d'agent correctionnel. Dans Re Ville de Granby et Fraternité des Policiers de Granby Inc. (1981), 3 L.A.C. (3e) 443, il a été conclu qu'un policier qui fraternisait avec une personne ayant un dossier criminel se trouvait dans une position de conflit d'intérêts et qu'il avait eu une conduite qui nuisait à son efficacité en tant que policier.

158 Dans le cas présent, le fonctionnaire a entretenu une amitié de longue date avec une personne qui était soupçonnée de prendre part au trafic de drogue et il le savait ou aurait dû le savoir. Il a également entretenu une relation sociale avec sa cousine et son conjoint, qui était également soupçonné d'être un trafiquant de drogue. Ces relations étaient incompatibles avec son emploi à titre d'agent des douanes (ASF). En tant qu'agent des douanes, le fonctionnaire était également un agent de la paix qui avait pour tâche d'appliquer les lois du Canada, notamment celles visant l'importation de stupéfiants. En maintenant ses associations avec les personnes en question, le fonctionnaire se trouvait en situation de conflit d'intérêts et a contrevenu aux dispositions des deux codes de conduite en vigueur pendant la durée de son emploi.

159 Le fonctionnaire a témoigné qu'il ne connaissait pas le processus de l'employeur relativement aux conflits d'intérêts et qu'il n'était pas sûr d'avoir lu le nouveau Code de conduite de l'ASFC (pièce E-13) introduit en septembre 2012, même s'il croyait l'avoir probablement reçu. Toutefois, en 2002 et en 2004, lorsqu'il a accepté un emploi temporaire à l'ASFC, et en 2007, lorsqu'il a accepté un poste à temps plein d'une durée indéterminée, il a signé des offres d'emplois par l'intermédiaire desquelles il a reconnu avoir lu et compris les codes en vigueur à l'époque (pièces E-6, E-7 et E-8). La déclaration dans la lettre d'offre d'emploi d'une durée indéterminée qui a été acceptée et signée en 2007 (pièce E-8) se lit comme suit :

[Traduction]

J'aimerais vous signaler que les employés de la fonction publique du Canada sont tenus d'observer le Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique. Ce Code est une politique fondamentale de la gestion des ressources humaines et fait partie de vos conditions d'emploi. En acceptant la présente offre, vous attestez que vous avez lu le Code. Le Code peut être consulté à l'adresse ci-dessous.

[…]

Si, après avoir lu le Code, vous pensez que vous risquez de vous trouver en situation de conflit d'intérêts réel, perçu ou potentiel, vous devez remplir dans les 60 jours le […] Rapport confidentiel, que vous trouverez ci-joint. Un fonctionnaire désigné prendra une décision concernant votre cas et vous informera en conséquence. Le rapport peut être obtenu auprès de votre conseiller en ressources humaines.

[…]

160 Le fonctionnaire était requis en vertu des conditions d'emploi de respecter les dispositions du Code de conduite en vigueur en tout temps. Son ignorance apparente des dispositions ne le dispensait pas de cette exigence. Il a témoigné qu'il croyait que les conflits d'intérêts ne s'appliquaient qu'aux intérêts commerciaux et qu'il n'avait pas compris que ses relations hors du travail pouvaient être perçues comme un conflit. Cependant, à mon avis, le bon sens en soi aurait dû lui indiquer que le fait de fraterniser avec des personnes soupçonnées de trafic de drogue représentait un conflit d'intérêts pour un agent de la paix ayant la responsabilité d'appliquer les lois contre l'importation de stupéfiants.

161 Même si le fonctionnaire a déclaré qu'il ignorait les exigences relatives aux conflits d'intérêts et les dispositions du Code de l'ASFC relatives aux comportements hors travail, il a déclaré qu'il avait, de toute façon, informé l'employeur de son amitié avec M. Muzzi. Il a déclaré avoir dit à son superviseur, M. Lefeuvre, en 2009, qu'il connaissait M. Muzzi, lequel était l'objet d'un avis de surveillance. Cependant, j'en conclus qu'il n'a pas fait une tentative importante de divulguer à son employeur ses associations avec des personnes d'intérêt pour la police. Tant M. Bakovic, qui était présent à l'époque, et lui-même, ont témoigné que le fonctionnaire n'avait présenté aucun détail sur l'étendue de sa relation avec M. Muzzi. Aucun élément de preuve n'a été présenté selon lequel il aurait mentionné son lien avec M. Gordon.

162 Je ne suis pas d'avis que la conversation avec M. Lefeuvre qui, tout compte fait, était une conversation banale non détaillée dans un bureau à aire ouverte, constituait une divulgation au sens du Code de conduite. Qui plus est, il s'agissait de l'unique fois où le fonctionnaire a tenté de discuter de l'affaire. Lorsqu'on lui a demandé pour quelle raison il n'avait pas signalé ses relations à la suite des arrestations relativement à des chefs d'accusation liés aux stupéfiants de MM. Muzzi et Gordon et de sa cousine, il a déclaré qu'il n'aurait rien dit à l'employeur même si son frère avait été arrêté. Il a témoigné qu'il n'avait jamais dissimulé ses relations et, puisque personne n'a soulevé cette question auprès de lui, il croyait qu'il n'y avait aucun problème.

163 Le fonctionnaire a également fait valoir que l'employeur était au courant de ses associations hors travail depuis 2008 et qu'il ne l'avait jamais averti ou pris une mesure quelconque à ce sujet avant de le suspendre en octobre 2012. Il a laissé entendre que le fait que l'on ait tardé à prendre des mesures était une indication que son comportement était toléré et que, de toute façon, au moment où l'employeur a agi, tout risque causé par ses associations était passé. Pour ce motif uniquement, selon le fonctionnaire, le congédiement était inapproprié.

164 Je n'accepte pas l'argument du fonctionnaire selon lequel le défaut de l'employeur de le prévenir au sujet de ses amitiés hors travail avec des personnes soupçonnées de trafic de drogue équivalait à tolérer l'infraction. Il n'est tout simplement pas raisonnable qu'un agent des douanes suppose qu'une amitié avec des personnes soupçonnées d'une activité criminelle directement liée aux fonctions d'un ASF serait tolérée par l'employeur. Qui plus est, selon la preuve, le fonctionnaire a même ignoré l'avertissement amical de M. Gauthier à la suite de la partie de poker à laquelle avait participé M. Muzzi. Je suis d'accord avec l'arbitre de grief dans Lapostolle, lorsqu'elle a écrit ce qui suit, au paragraphe 91 :

[…] Il me semble anormal qu'un employé du SCC s'affiche avec des personnes qui sont ouvertement associées avec les motards criminels et se tienne dans des endroits reconnus comme étant fréquentés par eux, même s'il n'est pas en devoir. J'estime que cette conduite est incompatible avec les fonctions d'un agent de la paix qui traite régulièrement avec les gens de ce milieu dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Il n'est pas nécessaire pour l'employeur de prohiber des comportements qui, de toute évidence, sont répréhensibles aux yeux de tous. Le vol est un comportement inacceptable, même s'il n'existe aucune directive à ce sujet. Le même principe s'applique en matière de fréquentations.

165 Dans cette affaire, le fonctionnaire a déclaré que son amitié avec M. Muzzi était connue. Il a publié des photos de lui-même avec M. Muzzi sur sa page Facebook. Il n'y avait aucune tentative d'être discret. Cependant, l'amitié avec M. Muzzi allait clairement à l'encontre de la raison précise de son travail. Il n'aurait pas dû avoir besoin d'un avertissement de l'employeur pour lui indiquer que c'était problématique.

166 Il n'existe aucun doute qu'il y a eu un certain retard lié à l'imposition d'une sanction disciplinaire dans cette affaire. La preuve est claire que la GRC, en 2008, a porté à l'attention de l'employeur les associations du fonctionnaire avec des personnes faisant l'objet d'enquêtes relativement à des infractions liées à la drogue et que le SPTB avait également soulevé la question auprès de l'employeur en 2010. En outre, des éléments de preuve non contestés ont démontré que les deux corps de police ont demandé à l'employeur de ne prendre aucune mesure relativement aux renseignements qui lui avaient été fournis, et ce, afin de protéger une enquête criminelle à grande échelle, qui a abouti au dépôt de chefs d'accusation criminels contre les connaissances du fonctionnaire en juin 2011 et en avril 2012. Mme Reza a témoigné qu'il existait une tradition au sein de l'ASFC consistant à accorder la préséance aux enquêtes policières par rapport aux enquêtes internes.

167 Dans certaines circonstances, le retard lié à l'imposition d'une mesure disciplinaire peut avoir une incidence sur le droit de l'employeur d'imposer la mesure disciplinaire. Dans British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees' Union (Lawrie Grievance) (1995), 47 L.A.C. (4e) 238, le fonctionnaire a été congédié plus d'un an après l'incident allégué. La preuve dont était saisi l'arbitre de grief était que l'employeur avait reporté sa propre enquête sur des allégations de nature criminelles formulées contre le fonctionnaire à la demande la police, qui menait également une enquête. L'employeur a commencé son enquête uniquement lorsque celle de la police a été complétée. La décision de congédier le fonctionnaire a été rendue environ quatre mois après que l'employeur a commencé sa propre enquête. Le fonctionnaire a fait valoir que le congédiement devrait être annulé en raison du délai déraisonnable.

168 L'arbitre de grief dans cette affaire a soutenu que l'obligation de l'employeur d'imposer une mesure disciplinaire à l'intérieur d'un délai raisonnable était une obligation procédurale, plutôt qu'une obligation réelle, et qu'elle était fondée sur les répercussions que le retard de la mesure disciplinaire pourrait avoir sur le fonctionnaire. Les répercussions pourraient inclure [traduction] « une conclusion que l'inconduite potentielle a été tolérée et/ou un préjudice en réponse à la mesure disciplinaire une fois qu'elle a été finalement imposée ». Il est arrivé à la conclusion que, dans cette affaire, une partie du retard n'était pas justifié par l'employeur, mais qu'il n'y avait aucune preuve selon laquelle le retard avait causé un préjudice quelconque au fonctionnaire, et que le fonctionnaire ne pouvait pas, compte tenu de son rôle en tant qu'agent de la paix, avoir l'impression que sa conduite était tolérée ou acceptée par l'employeur. Voir également AFG Industries Ltd. v. Aluminum, Brick and Glass Workers International Union, Local 295G (1998), 54 C.L.A.S. 53, et Metropolitan Toronto (Municipality) and Canadian Union of Public Employees, Local 79 (Dalton Grievance) (1999), 78 L.A.C. (4e) 1.

169 Dans les circonstances en l'espèce, j'en conclus qu'il était raisonnable de l'employeur de reporter ses mesures à l'égard du fonctionnaire tant que la police prenait part à une enquête internationale à grande échelle sur le trafic de drogue et le crime organisé. La preuve dont je suis saisie était que l'enquête avait abouti à des arrestations en juin 2011 et en avril 2012. Bien qu'il y ait eu un certain délai entre les arrestations en juin 2012 et la décision de l'employeur en octobre 2012 de suspendre le fonctionnaire en attente des résultats de son enquête préliminaire, je n'estime pas que la durée du délai était inhabituelle. De plus, le fonctionnaire n'a présenté aucune preuve qu'il a subi un préjudice en raison de ce délai.

170 Étant donné la preuve dont je suis saisie, j'en conclus qu'il existait des motifs pour prendre des mesures disciplinaires à l'égard du fonctionnaire et que le délai dans l'imposition de ces mesures disciplinaires n'était pas déraisonnable dans ces circonstances. L'employeur a fait valoir que le lien de confiance avec le fonctionnaire a été irrémédiablement rompu et que, par conséquent, le congédiement était une sanction appropriée. Je partage cet avis.

171 Pendant toute la durée de l'emploi du fonctionnaire à l'ASFC, il y a eu un certain nombre d'occasions où il aurait dû s'apercevoir que certaines de ses relations entraient en conflit avec les obligations de son poste en tant qu'agent de la paix. Le fait qu'il n'ait pas décelé un problème lorsque l'avis de surveillance à l'égard de M. Muzzi a été émis en 2008, qu'il ait émis l'avis de surveillance à l'égard de M. Gordon en 2009, que M. Gauthier lui ait dit en 2009 qu'il y avait un problème, que M. Muzzi, sa cousine et M. Gordon aient été arrêtés en 2011 et en 2012, ou qu'il ait rendu visite à M. Muzzi en prison à la 2011, est une indication claire qu'il ne comprenait pas son rôle en tant qu'agent de la paix. Selon son témoignage, il n'a pas divulgué ses relations à la suite des arrestations en 2011 et en 2012, car il n'avait pas perçu le conflit. Il ne traitait pas avec ces personnes au travail et, par conséquent, cela ne posait aucun problème. Il a déclaré qu'il n'aurait pas dit à l'employeur si son frère avait été arrêté. À son avis, il incombait à l'employeur de lui indiquer qu'il y avait un problème.

172 Je crois que le manque de compréhension du fonctionnaire à l'égard de la question fait en sorte que son retour au milieu de travail représente un risque véritable. Il n'a reconnu la possibilité d'un conflit d'intérêts qu'après que je lui aie posé quelques questions insistantes. C'était trop peu, trop tard. Par conséquent, je conclus que l'employeur a démontré que la conduite du fonctionnaire sur un certain nombre d'années a nui à sa capacité d'accomplir ses fonctions efficacement et contrevenait au Code de conduite de l'ASFC. J'arrive également à la conclusion que la sanction du congédiement était raisonnable dans toutes les circonstances de la présente affaire.

173 Le fonctionnaire a été suspendu sans salaire à compter du 24 octobre 2012, dans l'attente du résultat de l'enquête préliminaire. Son congédiement a été antidaté pour entrer en vigueur le 24 octobre 2012. L'employeur a soutenu que le grief contre la suspension pour une période indéterminée devrait être rejeté aux motifs qu'il est théorique ou, subsidiairement, au motif que je n'ai pas compétence pour entendre le grief, car la suspension était de nature administrative, plutôt que de nature disciplinaire et, par conséquent, il ne correspond pas aux paramètres du paragraphe 209(1) de la LRTFP.

174 Je suis d'accord avec le raisonnement dans Gravelle sur ce point. En antidatant le congédiement à la date de la suspension, l'employeur a créé une mesure disciplinaire unique. Si j'avais tranché en faveur du fonctionnaire, j'aurais eu la liberté de rétablir la situation du fonctionnaire telle qu'elle était en date du 24 octobre 2012. Mais, ayant tranché que le congédiement était justifié, celui-ci entrait en vigueur le 24 octobre 2012. Par conséquent, j'arrive à la conclusion que le grief à l'égard de la suspension pour une période indéterminée est théorique.

175 Pour tous les motifs indiqués ci-dessus, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

176 Le grief 566-02-8997 est rejeté.

177 Le grief 566-02-8995 est rejeté.

178 Le grief 566-02-8994 a été retiré à l'audience et le dossier doit être fermé.

Le 9 mars 2015.

Traduction de la CRTEFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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