Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a été jugée qualifiée et placée dans un bassin de candidats qualifiés, mais elle n’a pas été sélectionnée aux fins de nomination. La plaignante soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature et qu’il a utilisé des critères inappropriés relativement au choix de la bonne personne. L’intimé a déterminé que ces critères reposeraient sur trois qualités personnelles. Par conséquent, les candidats faisant partie du bassin qui ont obtenu les notes les plus élevées pour ces critères ont été nommés en premier. Selon la plaignante, les critères utilisés par l’intimé pour le choix de la bonne personne ne correspondaient pas aux critères suggérés par sa superviseure. L’intimé a expliqué qu’il n’était pas possible de suivre les recommandations de la superviseure, car les qualifications suggérées ne faisaient pas partie de l’énoncé des critères de mérite. La plaignante affirme également que les critères utilisés pour le choix de la bonne personne ne permettaient pas aux évaluateurs de prendre en considération les années d’expérience qu’elle possédait dans l’exercice des fonctions du poste. Elle ajoute que l’intimé lui a donné des notes trop faibles pour les questions sur les qualités personnelles, en particulier « l’esprit d’initiative ». Elle souligne qu’en raison des limites inhérentes au poste, le comité d’évaluation n’a pas tenu compte des restrictions organisationnelles entravant sa capacité à prendre des initiatives sans consulter ses superviseurs. Les éléments de preuve ont permis de démontrer que la présidente du comité d’évaluation était au courant de la portée des pouvoirs de la plaignante quant à ses fonctions. Décision Le Tribunal conclut que les critères utilisés par le comité d’évaluation pour le choix de la bonne personne reposaient sur des critères faisant partie de l’énoncé des critères de mérite. Les critères qui auraient dû être appliqués selon la plaignante étaient les critères recommandés par sa superviseure, mais ils ne faisaient pas partie de l’énoncé des critères de mérite. Pour ce qui est des années d’expérience de la plaignante, le Tribunal conclut que celle-ci n’a pas démontré que l’intimé avait entravé son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de ses années d’expérience dans les critères relatifs au choix de la bonne personne. L’intimé a tenu compte de l’expérience de la plaignante pour évaluer sa candidature, car il l’a jugée qualifiée. Cependant, l’expérience ne faisait pas partie des critères retenus pour le choix de la bonne personne. Selon le Tribunal, aucun élément de preuve n’indique que la note accordée pour l’évaluation de « l’esprit d’initiative » était déraisonnable ou inéquitable étant donné ce que le comité savait du poste et des restrictions organisationnelles et la réponse donnée par la plaignante à la question. Aucun élément de preuve ne montre que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la candidature de la plaignante. La plainte est rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2013-0097
Rendue à :
Ottawa, le 13 mars 2014

JO-ANN STAMP
Plaignante
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Eugene F. Williams, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Stamp c. Commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2014 TDFP 4

Motifs de décision


Introduction

1La plaignante, Jo-Ann Stamp, a posé sa candidature dans un processus de nomination interne annoncé visant des postes de coordonnateur local, Amélioration de la qualité et agrément, de groupe et niveau AS­03. La plaignante a été jugée qualifiée et placée dans un bassin de candidats qualifiés. Elle n’a cependant pas été sélectionnée aux fins de nomination.

2La plaignante soutient que l’intimé, le commissaire du Service correctionnel du Canada (SCC), a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature et a utilisé des critères inappropriés relativement au choix de la bonne personne, critères qui ont notamment entravé la capacité de la Direction générale des ressources humaines (RH) à prendre sa candidature en considération pour doter le poste.

3L’intimé nie les allégations d’abus de pouvoir. Il soutient que la plaignante n’a pas été nommée au poste car elle n’était pas la bonne personne. Il affirme en outre avoir choisi et utilisé des outils de sélection appropriés. Il soutient qu’il a évalué comme il se doit tous les candidats et que la sélection de la personne nommée était fondée sur le mérite.

4La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais elle a soumis une observation écrite concernant ses lignes directrices et ses politiques applicables en l’espèce. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

5Pour les motifs exposés ci-dessous, la plainte est rejetée. Le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) conclut que la plaignante n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le processus de nomination ni dans la sélection de la personne nommée au poste.

Contexte

6Le 7 février 2011, l’intimé a publié une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice pour doter 11 postes de coordonnateur local, Amélioration de la qualité et agrément, de groupe et niveau AS-03, dans quatre villes en Ontario (Kingston, Gravenhurst, Kitchener et Campbellford) pour une durée déterminée ou indéterminée (les postes). La date de clôture pour la présentation des candidatures était le 14 février 2011. La plaignante a posé sa candidature.

7Le processus de nomination comportait plusieurs étapes. Les candidats devaient posséder les qualifications essentielles. Les personnes qui les possédaient étaient ensuite évaluées au moyen des lettres qu’elles avaient soumises. Les exemples présentés servaient à déterminer si les candidats possédaient les qualifications constituant un atout suivantes : connaissance des méthodes et des outils d’amélioration de la qualité, connaissance du processus d’agrément en matière de services de santé et capacité d’animer des réunions.

8Au terme des deux premières étapes du processus de nomination, seules 50 des 180 personnes qui avaient présenté leur candidature ont été convoquées à l’examen écrit, qui a eu lieu en octobre 2011. Les candidats qui ont réussi l’examen ont été rencontrés en entrevue en décembre 2011, en personne ou par vidéoconférence, par un comité composé de trois personnes. Les candidats qui ont réussi l’entrevue devaient ensuite fournir le nom de répondants, qui devaient à leur tour remplir un questionnaire écrit. Après l’évaluation des réponses fournies par les répondants, la candidature des personnes qui possédaient toutes les qualifications a été placée dans un bassin de candidats qualifiés.

9Les nominations ont été effectuées à partir de ce bassin de candidats en fonction des critères relatifs au choix de la bonne personne. L’intimé a déterminé que ces critères reposeraient sur trois des qualités personnelles figurant à l’énoncé des critères de mérite (ECM), soit « bonnes relations interpersonnelles », « initiative » et « esprit d’équipe ». Des candidats faisant partie du bassin ont été nommés en fonction des notes qu’ils avaient obtenues à l’entrevue et à la vérification des références pour leurs qualités personnelles. Ceux qui ont obtenu les notes les plus élevées ont été nommés en premier.

10La plaignante a réussi toutes les étapes de l’évaluation et a été placée dans le bassin, mais elle n’a pas été nommée au poste de l’Établissement Fenbrook à Gravenhurst, même si elle l’occupait à titre intérimaire depuis plusieurs années. Un autre candidat a obtenu des notes plus élevées qu’elle à l’évaluation des critères relatifs au choix de la bonne personne et a été nommé au poste de cet établissement. De plus, d’autres candidats ont été nommés aux postes situés aux autres endroits étant donné qu’ils avaient obtenu des notes plus élevées que la plaignante pour les critères relatifs au choix de la bonne personne.

11Le 11 mars 2013, la plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

12À l’audience, la plaignante a abandonné son allégation de favoritisme personnel, qui n’était appuyée par aucun élément de preuve. De plus, la plaignante n’a présenté aucune allégation ni aucun élément de preuve selon lesquels la personne nommée ne possédait pas les qualifications essentielles ou les qualifications liées aux qualités personnelles.

Questions en litige

13Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en n’évaluant pas adéquatement les candidats en fonction de l’ECM?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en utilisant des critères relatifs au choix de la bonne personne qui entravaient sa capacité à sélectionner la plaignante dans le processus de nomination en cause?
  3. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante?

Analyse

14En vertu de l’article 77(1) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou elle n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. Une erreur ou une omission dans le processus de nomination peut constituer un abus de pouvoir. Ce sont la nature et la gravité de l’erreur qui déterminent s’il s’agit d’un abus de pouvoir. Comme il est indiqué dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 66, « l’abus de pouvoir comprendra toujours une conduite irrégulière, mais la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non ».

15Il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir relativement à une plainte déposée en vertu de l’article 77 de la LEFP. Voir, par exemple, la décision Tibbs, para. 49 à 55.

Question 1 :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en n’évaluant pas adéquatement les candidats en fonction de l’ECM?

16La plaignante affirme que les critères retenus par l’intimé pour le choix de la bonne personne ne correspondaient pas aux qualifications essentielles énumérées dans l’ECM. La plaignante soutient aussi que ces critères ne correspondaient pas aux responsabilités et aux exigences du poste.

17L’article 36 de la LEFP attribue un pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires délégataires pour le choix et l’utilisation des méthodes d’évaluation. Toutefois, ce pouvoir n’est pas absolu. En effet, le Tribunal peut déterminer qu’il y a eu abus de pouvoir si, par exemple, il est établi que la méthode d’évaluation comporte une faille fondamentale. L’utilisation de méthodes d’évaluation qui ne permettent pas d’évaluer les qualifications, qui sont déraisonnables ou discriminatoires ou qui entraînent des résultats inéquitables peut constituer un abus de pouvoir. Voir, par exemple, la décision Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de développement international, 2009 TDFP 0026.

Allégation selon laquelle les critères relatifs au choix de la bonne personne ne correspondaient pas aux qualifications essentielles énumérées dans l’ECM

18La plaignante a expliqué qu’elle avait accepté, en 2008, un poste à l’Établissement Fenbrook de Gravenhurst en tant que coordonnatrice par intérim, Amélioration de la qualité. Il s’agissait pour elle d’une occasion de perfectionnement. Les fonctions ont évolué et, à la suite de sa classification en 2011, le poste est devenu un poste de coordonnateur local, de groupe et niveau AS-03. La plaignante a reçu une rémunération à titre d’AS-03 par intérim d’octobre 2011 à 2013, alors qu’elle était sous la supervision de la chef des Services de santé, Sue Groody.

19La plaignante soutient que les critères retenus par l’intimé pour le choix de la bonne personne ne correspondaient pas à certaines exigences déterminées par Mme Groody. Mme Groody devait recommander au comité des critères relatifs au choix de la bonne personne, et elle a inclus les critères suivants dans sa recommandation : « expérience de l’utilisation des méthodes et des outils d’amélioration de la qualité », « expérience du processus d’agrément dans les services de santé » et « expérience de l’animation de réunions » [traduction]. Mme Groody a aussi recommandé les critères suivants : « expérience de l’établissement des exigences pour les programmes nécessaires, par exemple en ce qui concerne l’entretien de l’équipement médical », « études et formation en soins infirmiers » et « expérience de la compilation de données en vue de l’amélioration des services » [traduction].

20Lori Francis, gestionnaire régionale, planification de la politique, SCC, région de l’Ontario, était la gestionnaire délégataire et la présidente du comité pour ce processus de nomination. Mme Francis a expliqué qu’elle était chargée de surveiller le processus d’agrément et les activités pharmacologiques aux établissements du SCC en Ontario. Mme Francis a instauré un programme de perfectionnement qui a donné lieu à la création et à la classification du poste de coordonnateur local à l’échelle du SCC. D’après Mme Francis, l’administration centrale a conçu l’ECM et les outils d’évaluation devant être utilisés dans toutes les régions pour le processus de nomination.

21Mme Francis affirme que tous les candidats ont été évalués à l’aide des mêmes méthodes d’évaluation pour ce qui est des qualifications essentielles et des qualifications constituant un atout énumérées dans l’ECM. Au terme des deux premières étapes de l’évaluation, les candidats retenus devaient effectuer un examen comprenant un exercice à l’ordinateur. Les candidats qui réussissaient l’examen étaient rencontrés en entrevue, et ceux qui réussissaient l’entrevue devaient fournir le nom de répondants. Les répondants désignés par les candidats devaient ensuite remplir un questionnaire écrit, et leurs réponses étaient notées et combinées aux notes obtenues par les candidats à l’entrevue pour les qualités personnelles, de façon à former la note finale pour les qualifications constituant un atout faisant l’objet de l’évaluation.

22Mme Francis a expliqué qu’il y avait eu du retard dans la nomination des personnes aux postes, car il fallait évaluer les bénéficiaires de priorité touchés par le Plan d’action pour la réduction du déficit. Mme Francis et les autres membres du comité ont consulté les chefs des Services de santé des établissements en ce qui concerne les critères relatifs au choix de la bonne personne, puis ont établi que les qualités personnelles, soit « bonnes relations interpersonnelles », « initiative » et « esprit d’équipe » dans la prestation des services, constitueraient les critères relatifs au choix de la bonne personne et serviraient à la sélection des personnes qui seraient nommées à partir du bassin.

23Mme Francis a également expliqué que le comité n’avait pas suivi la recommandation de Mme Groody, qui consistait à inclure les critères suivants, lesquels ne faisaient pas partie de l’ECM : « expérience de l’utilisation des méthodes et des outils d’amélioration de la qualité », « expérience du processus d’agrément dans les services de santé », « expérience de l’animation de réunions », « expérience de l’établissement des exigences pour les programmes nécessaires, par exemple en ce qui concerne l’entretien de l’équipement médical », études et formation en soins infirmiers » et « expérience de la compilation de données en vue de l’amélioration des services ». Selon Mme Francis, les critères relatifs au choix de la bonne personne devaient être établis en fonction de l’ECM.

24Un échange de courriels daté du 18 septembre 2012 entre Mme Francis et un membre du comité d’évaluation, Adele Anderson, Ressources humaines, SCC, Ontario, a été déposé comme élément de preuve à l’audience. Dans cet échange de courriels, Mme Francis écrit ce qui suit à Mme Anderson : « après examen de l’ECM, nous avons déterminé qu’aux trois emplacements, les bonnes personnes seraient celles qui auraient obtenu les notes les plus élevées pour les qualités personnelles » [traduction]. Pour répondre à Mme Anderson, qui demandait une justification pour le choix de ces critères, Mme Francis a indiqué que les bonnes relations interpersonnelles, l’initiative et l’esprit d’équipe dans la prestation des services étaient importants pour assurer le respect des exigences et des normes d’agrément relativement à ces postes AS-03.

25La plaignante soutient que cette approche ne tient pas compte de l’évaluation des notes obtenues par les candidats pour les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout énumérées dans l’ECM. Selon la plaignante, l’intimé a déterminé que son expérience de travail et ses résultats antérieurs pour les qualifications constituant un atout n’étaient pas pertinents au regard du processus d’évaluation puisqu’il a omis d’inclure des éléments relatifs à ces qualifications dans le choix de la bonne personne; l’intimé n’a pas tenu compte, par exemple, des résultats qu’elle a obtenus pour l’examen écrit et de son expérience de l’utilisation des méthodes et des outils d’amélioration de la qualité, de l’application du processus d’agrément et de l’animation de réunions. La plaignante ajoute qu’en adoptant une telle approche, l’intimé n’a pas évalué comme il se doit les candidats. Selon la plaignante, cette omission pourrait avoir une incidence sur les nominations effectuées à partir de ce bassin dans le futur.

26La plaignante soutient aussi qu’étant donné que Mme Groody a décrit les critères relatifs au choix de la bonne personne pour les établissements Fenbrook/Beaver Creek dans le courriel qu’elle a envoyé le 27 janvier 2012 à la section des RH, le comité aurait dû suivre cette recommandation. La plaignante ajoute que les critères utilisés pour le choix de la bonne personne à l’Établissement Fenbrook étaient inappropriés, car ils avaient empêché la chef des Services de santé de cet établissement de trouver un candidat possédant de l’expérience dans deux domaines essentiels pour répondre à ses besoins organisationnels.

27La plaignante estime que les recommandations de Mme Groody respectaient l’ECM, car si Mme Groody demandait de l’expérience, ce qu’elle demandait en fait, c’était des connaissances. Autrement dit, selon la plaignante, les critères relatifs au choix de la bonne personne recommandés par Mme Groody respectaient l’ECM et correspondaient aux besoins propres à l’établissement où la nomination a été effectuée.

28Le fait de nommer une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles pour un poste constitue un abus de pouvoir puisque la nomination n’est pas fondée sur le mérite. Voir, par exemple, la décision Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044, para. 36 à 38.

29En vertu de l’article 30(2) de la LEFP, l’administrateur général peut établir les qualifications. Dans la décision Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, para. 42, le Tribunal a déterminé ce qui suit en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire accordé aux délégués de la CFP et aux administrateurs généraux :

Aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’ils souhaitent doter et pour choisir la personne qui non seulement satisfait aux qualifications essentielles mais représente la bonne personne pour occuper le poste visé.

30Un gestionnaire délégataire peut décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant une combinaison de qualifications essentielles et de qualifications constituant un atout pour établir les critères relatifs au choix de la bonne personne. Le Tribunal a expliqué ce qui suit dans la décision Marcil c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 0031, para. 48 :

Le terme « bonne personne » ne se trouve pas dans la LEFP. Il est toutefois utilisé dans la collectivité des ressources humaines pour décrire le principe qui permet de décider quel candidat sera nommé parmi les personnes qualifiées dans un processus de nomination. Le mérite et les autres critères pris en compte pour nommer une personne sont inscrits dans une justification du choix de la bonne personne. Le Tribunal a également utilisé ce terme pour illustrer le pouvoir discrétionnaire qu’ont les gestionnaires de choisir, parmi les candidats qualifiés, la personne qui, selon eux, convient le mieux pour le poste à doter.

31D’après les éléments de preuve présentés à l’audience, le Tribunal estime que les critères utilisés par le comité d’évaluation pour le choix de la bonne personne correspondaient aux critères énumérés dans l’ECM. Les candidats qui faisaient partie du bassin avaient démontré qu’ils possédaient toutes les qualifications essentielles et les qualifications constituant un aout exigées pour le poste. Par conséquent, aucun fait n’appuie l’allégation de la plaignante selon laquelle l’approche de l’intimé empêchait la prise en considération des notes obtenues par les candidats pour les qualifications essentielles. La plaignante et les autres personnes faisant partie du bassin avaient déjà démontré qu’elles possédaient les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout. De plus, l’annonce de possibilité d’emploi et les qualifications essentielles étaient les mêmes pour plusieurs postes à doter dans les quatre emplacements. Par conséquent, l’intimé pouvait sélectionner les mêmes qualifications à évaluer pour tous les postes.

32Les critères retenus par le comité pour le choix de la bonne personne ont été déterminés après consultation des gestionnaires hiérarchiques responsables du programme. Ces critères ont été adéquatement étayés et ils respectaient l’ECM. Les critères qui auraient dû être appliqués selon la plaignante étaient ceux que Mme Groody avait recommandés. Le comité d’évaluation n’a pas suivi sa recommandation, car elle visait des qualifications qui ne faisaient pas partie de l’ECM. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que les candidats n'ont pas été évalués en fonction de l’ECM.

33La plaignante craignait aussi d’avoir été désavantagée à l’entrevue, car le mauvais fonctionnement d’une imprimante l’avait empêchée de peaufiner un des exercices à l’ordinateur. Selon le Tribunal, les difficultés que la plaignante a rencontrées avec l’imprimante ne lui ont pas nui, car elle a obtenu la note de passage pour cette qualification. La plaignante a été jugée qualifiée pour le poste, mais n’a pas été nommée parce que d’autres candidats avaient obtenu de meilleures notes qu’elle pour les critères relatifs au choix de la bonne personne. La note obtenue par la plaignante pour l’exercice à l’ordinateur ne faisait pas partie de la note devant servir au choix de la bonne personne. De plus, le mauvais fonctionnement de l’imprimante n’entraînera pour la plaignante aucun préjudice inéquitable si d’autres nominations sont effectuées à partir de ce bassin. À la lumière des éléments de preuve, les prochaines nominations seront elles aussi effectuées en fonction des critères relatifs au choix de la bonne personne.

Question 2 :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en utilisant des critères relatifs au choix de la bonne personne qui entravaient sa capacité à sélectionner la plaignante dans le processus de nomination en cause?

34La plaignante soutient que la décision du comité d’évaluation de restreindre les critères relatifs au choix de la personne aux notes obtenues pour les qualités personnelles a entravé sa capacité de prendre en considération la candidature de la plaignante dans le processus d’évaluation.

35Dans la décision Bowman c. le Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012, le Tribunal aborde la signification d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’un processus de nomination, et ce, en ces termes :

121 […] Le concept de pouvoir discrétionnaire renvoie aux décisions pour lesquelles la loi ne dicte pas un résultat précis. Le pouvoir discrétionnaire dans le domaine administratif comprend le pouvoir de choisir parmi plus d’une possibilité. Bien entendu, le pouvoir discrétionnaire conféré au comité d’évaluation n’était pas absolu. Le Tribunal a énoncé ce qui suit au paragraphe 68 de la décision Tibbs : « Le pouvoir discrétionnaire dans les processus de dotation doit être exercé conformément à la nature et à l’objet de la LEFP. » Cette approche a été confirmée par le Tribunal dans des décisions ultérieures.

122 Il est tout aussi important de préciser que le pouvoir discrétionnaire conféré aux décideurs délégataires doit être exercé conformément aux principes du droit administratif. Il a été bien établi qu’on ne peut pas adopter des politiques ou des lignes directrices qui entraveraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire des décideurs. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut appliquer ce pouvoir à tous les cas. Chaque cas doit être examiné sur le fond. (Voir, par exemple : Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S.et Dorothea Knitting Mills Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national – M.R.N.), [2005] A.C.F. no 394, 295 F.T.R. 314 (C.F.P.I.).)

123 Ainsi, lorsqu’on accorde à un délégué un pouvoir discrétionnaire, comme c’est le cas en l’espèce, et qu’au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire il ne s’appuie que sur l’application d’une ligne directrice pour évaluer une qualification essentielle en particulier, cela peut constituer un abus de pouvoir. On peut déterminer qu’une application stricte de la ligne directrice entrave la capacité du délégué de tenir compte des cas individuels avec un esprit ouvert.

36La plaignante affirme que les critères utilisés pour le choix de la bonne personne n’ont pas permis aux évaluateurs de prendre en considération les années d’expérience qu’elle possédait dans l’exercice des fonctions du poste.

37À part l’allégation de la plaignante selon laquelle le comité a entravé sa capacité à prendre sa candidature en considération dans le processus d’évaluation, aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience en ce sens. En fait, la preuve était clairement à l’effet contraire. Mme Francis affirme avoir consulté les chefs des Services de santé, les gestionnaires directement responsables de la supervision des postes, pour obtenir leur avis. Elle soutient que le comité a tenu compte de leur avis et qu’il a examiné l’ECM avant d’établir les critères relatifs au choix de la bonne personne pour tous les postes.

38Les critères établis pour le choix de la bonne personne étaient objectifs et reposaient sur les notes obtenues par les candidats à l’entrevue et à la vérification des références. Comme il a été déterminé précédemment, un pouvoir discrétionnaire considérable est accordé aux gestionnaires pour l’établissement des qualifications requises pour le poste qu’ils veulent doter. Ce principe s’applique aussi à l’établissement des critères relatifs au choix de la bonne personne. En l’espèce, l’intimé a décidé d’utiliser trois qualités personnelles comme critères relatifs au choix de la bonne personne, et non l’expérience. Mme Francis a expliqué que ces critères avaient été choisis car ils étaient importants pour le respect des exigences et des normes d’agrément relatives aux postes AS-03. L’intimé a tenu compte de l’expérience de la plaignante dans l’évaluation de sa candidature, car il l’a jugée qualifiée; toutefois, l’expérience ne faisait pas partie des critères retenus pour le choix de la bonne personne. Le fait que la plaignante ne souscrive pas aux critères établis par le comité d’évaluation pour le choix de la bonne personne ne signifie pas qu’il y a eu abus de pouvoir. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait entravé son pouvoir discrétionnaire dans le processus de nomination en ne tenant pas compte de ses années d’expérience dans les critères relatifs au choix de la bonne personne.

Question 3 :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante?

39La plaignante soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature en lui donnant des notes trop faibles pour les questions liées aux qualités personnelles. Plus précisément, la plaignante affirme que ses réponses aux questions d’entrevue portant sur l’« initiative » se rapportaient aux fonctions qu’elle exerçait. Elle estime qu’en raison des limites inhérentes au poste, le comité d’évaluation n’a pas tenu compte des restrictions organisationnelles entravant sa capacité à prendre des initiatives sans consulter ses superviseurs. La plaignante soutient que le comité d’évaluation a appliqué trop sévèrement les lignes directrices relatives à l’initiative et n’a pas reconnu qu’elle devait collaborer avec sa chef pour son travail. Par conséquent, comme le comité n’a pas tenu compte de ces contraintes lorsqu’il a évalué l’initiative, il a donné à la plaignante une note plus faible pour ce critère.

40Pendant la portion de l’entrevue portant sur l’initiative, la plaignante devait fournir des exemples de « projets/tâches [qu’elle] avait entrepris de son propre chef » [traduction]. La plaignante a décrit le programme de marche et de mise en forme dont elle s’est occupée à l’Établissement Fenbrook. Les deux personnes qui l’ont rencontrée en entrevue ont consigné sa réponse et lui ont donné la note de passage (et non la note maximale). Mme Francis était au courant de la portée des pouvoirs de la plaignante quant à ses fonctions. Dans l’ensemble, la plaignante a obtenu les notes de passage à la portion de l’entrevue portant sur les qualités personnelles.

41Mme Francis affirme que, pendant l’entrevue, la plaignante n’a pas précisé qu’elle avait lancé le programme de marche et de mise en forme de sa propre initiative. Mme Francis a reconnu que la plaignante avait décrit en détail le programme en question, mais a souligné qu’elle n’avait pas fourni de renseignements indiquant qu’elle avait lancé le projet. La plaignante n’a obtenu que la note de passage en raison de cette omission.

42Le Tribunal a été saisi de nombreux cas où le plaignant contestait la note qui lui avait été accordée. Le rôle du Tribunal ne consiste pas à réévaluer le plaignant, mais plutôt à déterminer s’il y a eu des failles dans le processus d’évaluation. Il peut conclure qu’il y a eu abus de pouvoir quand le plaignant démontre que la méthode utilisée ne permettait pas d’évaluer les qualifications requises pour le poste, qu’elle était déraisonnable ou discriminatoire ou que le processus comportait une faille. Si le processus comporte une faille, le résultat ne peut pas être considéré comme raisonnable ou équitable. Voir, par exemple, les décisions Bowman c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012, et Jacobsen c. Sous‑ministre d’Environnement Canada, 2009 TDFP 0008.

43À la lumière des éléments de preuve présentés à l’audience, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix de l’initiative comme qualification essentielle pour le poste ni dans la façon de l’évaluer. Comme le Tribunal l’a déjà expliqué à maintes reprises, les gestionnaires doivent établir les qualifications requises pour le travail à effectuer. Voir, par exemple, la décision Neil c. Sous­ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 0004, para. 46. Les éléments de preuve présentés à l’audience amènent le Tribunal à conclure que Mme Francis connaissait la nature du travail associé au poste à doter, car elle était la gestionnaire responsable de sa création et de sa classification.

44La plaignante devait fournir aux évaluateurs des exemples qui démontraient son esprit d’initiative. En l’espèce, la plaignante n’a pas démontré que le comité avait évalué sa réponse ou l’avait notée de façon inappropriée.

45Le Tribunal estime qu’aucun élément de preuve ne montre que la note était déraisonnable ou inéquitable étant donné ce que le comité savait du poste et des restrictions organisationnelles et la réponse donnée par la plaignante à la question.

46Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature.

Décision

47Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la plainte est rejetée.


Eugene Williams
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2013-0097
Intitulé de la cause :
Jo-Ann Stamp et le Commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 19 et 20 novembre 2013
Date des motifs :
Le 13 mars 2014

COMPARUTIONS :

Pour la plaignante :
Eric Stamp
Pour l’intimé :
Christine Diguer
Pour la Commission
de la fonction publique :
Claude Zaor
(observations écrites)
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