Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Trois employés du Service correctionnel du Canada ont déposé un grief alléguant que l'employeur n'avait pas réparti les heures supplémentaires équitablement en violation de leur convention collective – les fonctionnaires s'estimant lésés ont allégué que, dans le cadre de plusieurs quarts de travail, leur employeur leur avait attribué moins d'heures supplémentaires qu'à d'autres employés – les fonctionnaires s'estimant lésés ont témoigné'ils étaient disposés à travailler des heures supplémentaires lors des quarts de travail en question – l'avocat de l'employeur n'a cité aucun témoin à comparaître – le syndicat a demandé à la Commission de rouvrir l'affaire parce qu'il s'était appuyé sur la liste de témoins potentiels de l'employeur afin de citer des témoins à comparaître – la Commission a rejeté la demande du syndicat – sans un engagement prévoyant l'assignation de témoins en particulier, le partage des listes de témoins potentiels est une question de courtoisie et non une obligation – il incombait au syndicat de démontrer qu'il y avait eu contravention de la disposition sur les heures supplémentaires de la convention collective – les fonctionnaires s'estimant lésés et leurs représentants n'ont produit aucun élément de preuve démontrant que l'employeur n'avait pas réparti les heures supplémentaires équitablement – les audiences d'arbitrage sont des audiences de novo – les griefs et les réponses de l'employeur doivent être démontrés et ne peuvent être invoqués comme preuve. Les griefs sont rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150323
  • Dossier: 566-02-4076 à 4078
  • Référence: 2015 CRTEFP 28

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique


ENTRE

BRADLEY EDMUNDS, ROBERT GARDINER ET ALLAN ERWIN

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Edmunds et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Sheryl Ferguson, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour l'employeur:
Allison Sephton, avocate
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 3 mars 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

1 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

2 Bradley Edmunds, Robert Gardiner et Allan Erwin, les fonctionnaires s'estimant lésés (les « fonctionnaires »), sont des agents correctionnels, dont leur poste est classifié au groupe et niveau CX-01, employés par le Service correctionnel du Canada (l'« employeur »). Au moment du dépôt des griefs, ils travaillaient au Pénitencier de Kingston à Kingston, en Ontario, et étaient visés par la convention collective entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers– Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat ») pour le groupe des Services correctionnels, ayant une date d'expiration au 31 mai 2010 (la « convention collective »).

3 Le 15 février 2010, M. Edmunds a déposé un grief qui a allégué ce qui suit [traduction] : « Je dépose un grief contre le fait que, pendant le quart de soir du 2010-01-23 ou aux environs de ce moment et/ou pendant le quart du matin du 2010-01-24 ou aux environs de ce moment, j'ai été inscrit en vue de faire des heures supplémentaires qui ont par la suite été attribuées à des employés ayant accompli plus d'heures [supplémentaires] que moi ». À titre de mesure corrective, il a demandé d'être rémunéré selon le taux applicable pour les quarts de travail en heures supplémentaires et d'être indemnisé pour le kilométrage au taux applicable, en plus de tous les autres droits prévus en vertu de la convention collective qu'il pourrait avoir, y compris tous les [traduction] « […] dommages réels, moraux ou exemplaires, devant être appliqués rétroactivement ainsi que les intérêts juridiques, sans porter atteinte aux autres droits acquis ».

4 M. Gardiner a également déposé un grief le 15 février 2010, qui alléguait ce qui suit : [traduction] « Je dépose un grief parce que le 8 février 2010 ou aux environs de cette date, j'ai été inscrit en vue de faire des heures supplémentaires dans le SHTD et je n'ai pas été embauché, alors que d'autres ont été embauchés à ma place et comptaient moins d'heures que moi. » À l'audience, le syndicat a précisé que le fonctionnaire avait l'intention de dire [traduction] « qui comptaient plus d'heures » que lui. L'employeur ne s'est pas opposé à cette correction. À titre de mesure corrective, le fonctionnaire a demandé d'être indemnisé pour les heures supplémentaires manquées et le kilométrage qu'on lui aurait versés s'il avait accompli les heures supplémentaires, en plus de tous les autres droits qu'il pourrait avoir en vertu de la convention collective, ainsi que tous les [traduction] « […] dommages réels, moraux ou exemplaires à appliquer rétroactivement avec les intérêts juridiques sans porter atteinte aux autres droits acquis ».

5 Le 15 avril 2010, M. Erwin a déposé un grief qui alléguait ce qui suit : [traduction] « Je dépose un grief contre le fait que je n'ai pas été appelé pour faire un quart de travail du matin en heures supplémentaires de 12,5 heures le 2010-03-22 ou aux environs de cette date. Je comptais moins d'heures supplémentaires que la personne qui a été embauchée. » À titre de mesure corrective, il a demandé d'être indemnisé pour le quart de travail en heures supplémentaires perdu au taux de rémunération applicable et pour le kilométrage.

6 L'employeur a rejeté les griefs de MM. Edmunds et Gardiner au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 28 septembre 2010 et le grief de M. Erwin, le 29 septembre 2010. Les trois griefs ont été renvoyés à l'arbitrage le 15 juillet 2010, avant de recevoir une réponse au dernier palier.

II. Résumé de la preuve

7 Les fonctionnaires ont témoigné et ils ont déposé quatre documents en preuve, dont la convention collective. L'employeur n'a appelé aucun témoin.

8 M. Gardiner a témoigné qu'il déposait un grief contre le fait qu'il avait été inscrit en vue de faire des heures supplémentaires, mais qu'une personne comptant un plus grand nombre d'heures que lui avait été appelée pour faire des heures supplémentaires. Il a reconnu la feuille d'inscription pour les heures supplémentaires qu'il avait présentée pour la semaine du 8 au 14 février 2010 (pièce G-2). Il a déclaré que, comme il est indiqué dans la feuille d'inscription, il avait indiqué sa disponibilité en vue de faire des heures supplémentaires pour l'ensemble du bloc de 24 heures du lundi 8 février 2010. Il était disponible le jour en question et était prêt à répondre au téléphone s'il avait été appelé pour les faire.

9 En contre-interrogatoire, M. Gardiner s'est fait demander s'il était d'accord avec le fait qu'on lui avait offert 134,5 heures supplémentaires entre le 1er novembre 2009 et le 31 mars 2010. Il a affirmé qu'il ne s'en souvenait pas, mais lorsqu'on lui a montré le registre de ses heures tenu par l'employeur, il a affirmé qu'il n'avait aucune raison de contester ce document, même s'il ne l'avait jamais vu auparavant. Il a déclaré qu'il ne savait pas qu'on lui avait offert le deuxième nombre d'heures supplémentaires le plus élevé que tout autre CX-01 au Pénitencier de Kingston à ce moment, mais qu'il n'avait aucune raison pour remettre ce fait en question. Il a reconnu qu'il avait un taux de disponibilité élevé pour faire des heures supplémentaires. Il a également reconnu qu'il ne savait pas si des heures supplémentaires étaient offertes pour tous les quarts. Il a déclaré qu'il croyait que la politique sur les heures supplémentaires prévoyait que les heures supplémentaires devaient être offertes à la personne ayant accumulé le nombre d'heures supplémentaires le moins élevé. Il a convenu que s'il y avait des personnes ayant accumulé moins d'heures supplémentaires que lui, on ne lui offrirait pas de faire des heures supplémentaires, et il avait convenu qu'il ne serait pas nécessairement appelé pour faire des heures supplémentaires simplement en raison du fait qu'il avait indiqué qu'il était disponible pour les faire.

10 Pendant son réinterrogatoire, M. Gardiner a affirmé qu'il n'avait jamais vu la politique sur les heures de travail. Il a aussi déclaré que le processus d'inscription pour faire des heures supplémentaires fait partie du système électronique d'établissement des horaires de travail.

11 M. Edmunds a témoigné que son grief portait sur le fait que les heures supplémentaires avaient été offertes à quelqu'un ayant accumulé plus d'heures que lui. Il a également déclaré qu'il avait retiré son grief à l'égard du fait que l'employeur avait omis de l'appeler pour faire des heures supplémentaires le 23 janvier 2010, car il avait appris que des heures supplémentaires n'avaient pas été offertes pour ce quart. Il a reconnu la feuille d'inscription pour les heures supplémentaires qu'il avait présentée pour la semaine du 18 au 24 janvier 2010 (pièce G-3). Il était disponible pour les trois quarts le 24 janvier 2010. Il a expliqué que, même s'il y avait des périodes pendant lesquelles il n'était pas disponible pour faire des heures supplémentaires, au moment en question, il était prêt et disponible afin de travailler, car son épouse était enceinte de sept mois et il croyait qu'il s'agirait de sa dernière occasion d'effectuer des heures supplémentaires avant l'arrivée du bébé.

12 En contre-interrogation, M. Edmunds a reconnu que même s'il s'était rendu disponible pour faire des heures supplémentaires, il n'y avait aucune garantie que des heures supplémentaires seraient offertes pour les quarts en question. Il a également convenu que même si des heures supplémentaires avaient été offertes pour un quart, celles-ci ne lui seraient pas nécessairement offertes. Cependant, il a déclaré qu'il espérait qu'elles seraient offertes de façon équitable.

13 M. Edmunds a reconnu que pour la période d'octobre à décembre 2009, il était en congé parental. On lui a montré les registres tenus par l'employeur sur ses heures supplémentaires accumulées entre le 1er novembre 2009 et le 31 mars 2010, et on lui a demandé de confirmer que, malgré son congé parental, il avait accumulé 82,25 heures supplémentaires. Il a déclaré qu'il n'arrivait pas à se souvenir combien d'heures il avait accumulées, mais qu'il ne pouvait pas contester les registres tenus par l'employeur.

14 M. Erwin a témoigné que son grief portait sur le fait de ne pas avoir été appelé pour faire des heures supplémentaires le 22 mars 2010. Il a reconnu la feuille d'inscription pour les heures supplémentaires qu'il avait présentée et qui indiquait sa disponibilité pour les quarts du matin et du soir le 22 mars 2010 (pièce G-4). Il a déclaré qu'en 2010, il était fréquemment disponible pour faire des heures supplémentaires et que, lorsqu'il s'est inscrit, il s'est assuré qu'il était disponible. Il a déclaré qu'il pouvait y avoir des périodes au cours de l'année où il n'était pas disponible.

15 En contre-interrogatoire, M. Erwin a convenu que, même s'il s'était mis en disponibilité pour faire des heures supplémentaires pendant des quarts précis, il n'y avait aucune garantie qu'on offrirait des heures supplémentaires pour ces quarts. Il a également convenu que même si des heures supplémentaires étaient offertes, il n'y avait aucune garantie qu'il serait la personne appelée, selon la politique sur les heures supplémentaires. Il a déclaré qu'il n'avait aucune raison de contester le registre tenu par l'employeur selon lequel entre le 1er novembre 2009 et le 31 mars 2010, on lui avait offert 68,25 heures supplémentaires.

16 En réinterrogatoire, il a déclaré qu'il croyait que la politique sur les heures supplémentaires prévoyait que les heures supplémentaires seraient offertes à l'agent correctionnel disponible ayant accumulé le moins d'heures supplémentaires. Il a également déclaré qu'il n'avait jamais vu le registre de ses heures supplémentaires tenu par l'employeur auparavant.

III. Demande de réouverture de la cause

17 À la conclusion du témoignage de M. Erwin, la représentante du syndicat a déclaré qu'elle n'avait pas d'autre témoin. Lorsqu'on l'a questionnée directement si sa cause était close, elle a déclaré qu'elle l'était.

18 Après une pause d'une courte durée, l'employeur est revenu à l'audience pour commencer la présentation de sa preuve. À ce moment, l'avocate de l'employeur a déclaré qu'elle n'appellerait aucun témoin à témoigner. En réponse à une question de ma part, elle a expliqué qu'elle ne déposait pas une requête en non-lieu, mais qu'elle était tout simplement prête à passer à l'argument sur le bien-fondé sans présenter une preuve, car elle estimait que les fonctionnaires n'avaient pas réussi à présenter une preuve qu'elle se devait de réfuter ou d'expliquer.

19 La représentante du syndicat a ensuite demandé d'être autorisée à rouvrir la cause des fonctionnaires au motif qu'elle s'était fiée à sa croyance que l'employeur appellerait des témoins importants pour sa cause. Elle a témoigné qu'elle avait fondé sa croyance sur la liste des témoins éventuels que l'avocate de l'employeur lui avait remise. L'avocate de l'employeur a toutefois nié s'être engagée de quelque façon que ce soit d'appeler des témoins et a déclaré que, dans les faits, elle avait informé la représentante du syndicat avant la tenue de l'audience qu'il était possible que l'employeur n'appelle pas certains des témoins identifiés précédemment.

20 La représentante du syndicat a soutenu qu'elle s'était fiée au fait que l'avocate de l'employeur lui avait dit qu'elle appellerait certains témoins et qu'il serait injuste de ne pas accorder au syndicat la possibilité de rouvrir sa cause afin d'appeler les témoins en question. Elle a déclaré que j'avais le pouvoir discrétionnaire de lui permettre de rouvrir sa cause et que je devrais exercer ce pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Elle a souligné que l'intention des relations de travail consiste à résoudre les problèmes et que le fait de passer directement à l'argument sans lui permettre de présenter d'autres éléments de preuve ne favoriserait pas la résolution des problèmes liés aux relations de travail. Elle a également déclaré que l'objet de l'arbitrage ne consiste pas à être légaliste et que les non-juristes devraient être en mesure de présenter des éléments de preuve, ce qu'ils ne sont pas en mesure de faire dans un environnement excessivement légaliste et technique. En outre, elle a soutenu que les fonctionnaires ne devraient pas être pénalisés en raison de son erreur.

21 J'ai rejeté la demande en vue de permettre au syndicat de rouvrir sa cause afin d'appeler d'autres témoins. La représentante du syndicat a été très claire sur le fait que sa preuve était close après avoir appelé trois témoins. Le fait de lui permettre de rouvrir sa preuve après que l'avocate de l'employeur s'est levée pour commencer la présentation de sa preuve irait à l'encontre de la procédure établie. De plus, agir ainsi aurait eu pour effet de refuser à l'employeur la possibilité de poursuivre sa preuve telle qu'il l'avait prévu.

22 La représentante du syndicat a fait valoir qu'elle s'était fiée à sa croyance que l'employeur appellerait les témoins dont elle avait besoin pour présenter sa preuve, selon la liste des témoins éventuels que l'avocate de l'employeur lui avait communiquée. Je n'ai nullement l'intention de décourager les parties de communiquer des renseignements avant la tenue de l'audience, comme les listes de témoins éventuels, car cela s'avère utile au processus d'audience. Cependant, l'avocate de l'employeur a insisté sur le fait qu'elle ne s'était pas engagée à appeler des témoins en particulier et, en fait, même avant le début de l'audience, qu'elle avait informé le syndicat qu'elle n'appellerait pas tous les noms figurant sur la liste. En l'absence d'un engagement d'appeler des témoins particuliers, je crois que la communication de telles listes est une courtoisie, non pas une obligation et qu'aucune des parties ne devrait s'y fier.

23 Je n'accepte pas la suggestion selon laquelle le rejet de la demande du syndicat de rouvrir sa preuve dans ces circonstances serait excessivement légaliste ou technique. Le syndicat a omis de présenter les éléments de preuve qu'il considérait comme nécessaires afin d'établir sa preuve. Il incombait au syndicat de présenter sa preuve, non pas à l'employeur. À ce sujet, les commentaires formulés par la Cour fédérale dans Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785, s'appliquent :

[…]

13 […] Aucune des parties, en particulier la partie défenderesse, n'est obligée de présenter des éléments de preuve. Le plaignant doit établir le bien-fondé de sa cause au moyen de ses propres éléments de preuve, en recourant au besoin à un bref d'assignation. Le plaignant ne peut tenir pour acquis que le défendeur présentera des éléments de preuve, ni même espérer qu'il le fasse.

14 Certes, le Tribunal doit examiner tous les éléments de preuve qui sont régulièrement portés à sa connaissance, mais il n'est nullement tenu de forcer une partie à lui soumettre des éléments de preuve. Le défendeur ne peut être contraint à présenter des éléments de preuve.

15 Ainsi, si au terme de l'exposé de la cause du plaignant le défendeur estime que le plaignant n'a pas établi le bien-fondé, même apparent, de sa cause, il lui est tout à fait loisible de demander au Tribunal de rendre sa décision sur le seul fondement des éléments de preuve dont il dispose. […]

[…]

24 De plus, je n'accepte pas la suggestion du syndicat voulant qu'on doive lui accorder une certaine latitude dans la conduite de l'audience en raison du fait que sa représentante n'est pas une avocate. Je constate que la représentante du syndicat est une employée chevronnée du syndicat et qu'elle a comparu devant l'ancienne Commission en un certain nombre d'occasions dans le passé. Qui plus est, l'affaire en question ne constituait pas un point de droit obscur. L'exigence voulant que les fonctionnaires produisent les éléments de preuve nécessaires pour établir leur cause est un principe de droit fondamental.

25 Pour ces motifs, j'ai rejeté la demande du syndicat de rouvrir sa cause et j'ai instruit les parties de présenter leurs arguments sur le bien-fondé des griefs dont je suis saisie.

IV. Résumé de l'argumentation

A. Pour le syndicat

26 Le syndicat a fait valoir que l'on pouvait se fier aux griefs et aux réponses de l'employeur à l'égard de ceux-ci pour établir les faits. Les fonctionnaires ont indiqué les quarts pour lesquels ils croyaient que l'on aurait dû leur offrir des heures supplémentaires. Même s'ils peuvent ne pas toujours avoir été disponibles pour faire des heures supplémentaires, ils ont témoigné qu'ils l'étaient pour les quarts en question.

27 La clause 21.10a) de la convention collective prévoit que les heures supplémentaires doivent être réparties sur une base équitable parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Je ne suis saisie d'aucun élément de preuve relatif à une entente locale qui aurait permis à l'employeur de répartir les heures d'une façon différente. Qui plus est, aucune politique sur les heures supplémentaires n'a été déposée en preuve.

28 Les griefs devraient être accueillis au motif de la réponse de l'employeur à leur égard.

B. Pour l'employeur

29 L'employeur a fait valoir que les plaidoiries et les réponses aux griefs au dossier ne constituent pas des éléments de preuve. Dans Tshibangu c. Administrateur général (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2011 CRTFP 143, l'arbitre de grief a statué que les documents au dossier ne constituaient pas des éléments de preuve. Dans Pilon c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 97, il a été souligné que l'arbitrage de grief est une audience de novo. Par conséquent, les faits allégués pendant la procédure de règlement des griefs, y compris ceux contenus dans les réponses aux griefs, doivent être prouvés à l'audience d'arbitrage de grief. L'employeur a également cité Gilkinson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 111 (une demande de contrôle judiciaire présentée par le fonctionnaire s'estimant lésé devant la Cour d'appel, dossier A-559-12, a été rejetée lorsqu'il a omis d'y donner suite), concernant la proposition voulant que les exposés introductifs, les arguments et les plaidoiries ne constituent pas des éléments de preuve et, notamment, a souligné les commentaires de l'arbitre de grief aux paragraphes 53 et 54, ainsi rédigés :

53. Dans le cas qui nous occupe, aucune preuve de cette nature ne m'a été présentée. Le représentant du plaignant a choisi de conclure sa preuve sans faire entendre quelque témoin, bien que deux témoins avaient été dûment cités à comparaître et qu'un d'eux était effectivement présent à l'audience, et bien que je lui aie demandé de reconsidérer sa décision. Le défendeur n'a pas non plus présenté de preuve. Le fardeau de la preuve incombait cependant au plaignant. Je ne peux faire retomber la charge de la preuve sur le défendeur au motif que le représentant du plaignant a choisi de présenter la cause du plaignant d'une manière plutôt que d'une autre.

54. Je ne peux non plus recueillir moi-même des preuves ou formuler des hypothèses de faits, à moins dans ce dernier cas que de telles hypothèses proviennent de la preuve dûment présentée en l'espèce, tel qu'il est énoncé au paragraphe 9 de National Association of Broadcast Employees and Technicians v. Baton Broadcasting (1970), 21 L.A.C. 7 :

[Traduction]

[…] Il incombe à la partie de présenter en preuve ce qui est nécessaire afin d'établir tous les faits requis afin que présentation de cela cause de cette partie soit une réussite […] À moins que les parties aient convenu de l'existence de certains faits ou que ceux-ci aient été établis en preuve, il n'y a aucune cause devant moi.

30 Il est clair selon la loi que le fardeau de la preuve incombait aux fonctionnaires et qu'ils devaient établir une preuve prima facie. Citant Beauregard c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-22259 à 22263 (19921022), l'employeur a également souligné qu'il existait de la jurisprudence de l'ancienne Commission concernant les requêtes en non-lieu portant sur l'exigence d'une partie ayant le fardeau de la preuve d'établir une preuve prima facie.

31 En l'espèce, le seul élément de preuve présenté était que les fonctionnaires étaient disponibles afin de faire des heures supplémentaires les dates en question. L'employeur a fait valoir que les fonctionnaires n'avaient pas réussi à prouver qu'ils n'avaient pas été appelés pour faire des heures supplémentaires les dates en question et, par conséquent, ils ne se sont même pas acquittés du fardeau de la preuve initial.

32 Citant Roireau et Gamache c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 85, et Canada (Procureur général) c. Bucholtz, 2011 CF 1259, l'employeur a souligné qu'il incombait aux fonctionnaires de présenter des éléments de preuve concrets d'un écart dans les heures supplémentaires réparties entre des employés facilement disponibles ne pouvant s'expliquer que par une répartition inéquitable. Comme il est indiqué dans Bucholtz,au paragr. 57, satisfaire à ce fardeau de la preuve est une tâche complexe, car le fonctionnaire doit « […] compiler les statistiques sur les heures supplémentaires et démontrer qu'il y a un écart qui ne peut être expliqué en faisant renvoi à la disponibilité variable des employés ou à quelque autre variable confusionnelle ».

33 Les décisions Canada (Procureur général) c. McManaman, 2013 CF 1064,et Baldasaro et Thiessen c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 54, établissent que le caractère équitable de la répartition des heures supplémentaires ne peut pas être évalué sur la base d'une seule journée, mais qu'il doit être apprécié sur période de temps raisonnable. Dans Bucholtz, la Cour fédérale a fait référence à un critère à trois volets pour établir si la répartition des heures supplémentaires est équitable. Selon ce critère, il faut évaluer l'équitabilité sur une période raisonnable, il faut comparer les heures supplémentaires du fonctionnaire s'estimant lésé accumulées à celles consacrées aux autres employés dans des circonstances similaires sur la même période et, dans le cadre de cette comparaison, il faut tenir compte des variantes pouvant servir à expliquer tout écart observé.

34 En l'espèce, il n'y a tout simplement aucun élément de preuve répondant au critère établi dans Bucholtz. Par conséquent, les fonctionnaires ne se sont pas acquittés de leur fardeau de la preuve et les griefs devraient être rejetés.

C. Réplique du syndicat

35 Le syndicat a affirmé que la jurisprudence citée par l'employeur se rapportait à des cas traitant de la politique de l'employeur sur les heures supplémentaires, qui n'a pas été déposée en preuve. Par conséquent, la jurisprudence n'est pas pertinente.

36 Le syndicat a réitéré que je pourrais me fier aux renseignements contenus dans le dossier par l'intermédiaire des griefs et des réponses.

V. Motifs

37 Les griefs dont je suis saisie allèguent que les fonctionnaires étaient disponibles pour faire des heures supplémentaires, mais qu'ils ont été écartés en faveur d'employés ayant accumulé un plus grand nombre d'heures supplémentaires. Bien que les griefs n'allèguent pas expressément une contravention de la clause 21.10 de la convention collective, les parties ont convenu qu'il s'agit de la disposition en litige. Cette clause prévoit ce qui suit :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

L'Employeur fait tout effort raisonnable pour :

a) répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé-e-s qualifiés facilement disponibles,

**

b) attribuer du travail en temps supplémentaire aux employé-e-s faisant partie du même groupe et niveau par rapport au poste à combler, p. ex. Agent correctionnel 1 (CX-1) à agent correctionnel 1 (CX-1), agent correctionnel 2 (CX-2) à agent correctionnel 2 (CX-2), etc.

Cependant, il est possible pour une section locale de convenir par entente écrite avec le directeur de l'établissement d'une méthode différente en ce qui a trait à l'attribution du temps supplémentaire.

et

c) donner aux employé-e-s, qui sont obligés de travailler des heures supplémentaires, un préavis suffisant de cette obligation.

38 Il est évident qu'il incombait aux fonctionnaires d'établir une contravention de la convention collective. Toutefois, hormis le fait qu'ils ont témoigné qu'ils étaient disponibles pour les quarts en question, ils n'ont présenté aucun élément de preuve pour établir que des heures supplémentaires ont été offertes relativement aux quarts en question ou que, si elles ont été offertes, elles ont été réparties de façon inéquitable. Même si le syndicat a fait valoir que je pouvais me fier aux griefs et aux réponses de l'employeur à leur égard en tant qu'éléments de preuve, je suis en désaccord. Les griefs et les réponses contiennent des affirmations qui doivent être établies en preuve, rien de plus. Ce ne sont pas des éléments de preuve.

39 En conséquence, je ne suis saisie d'aucun élément de preuve qui me permettrait de tirer une conclusion selon laquelle l'employeur a fait défaut de répartir les heures supplémentaires sur une base équitable parmi les employés qualifiés facilement disponible, en contravention de la clause 21.10 de la convention collective. En conséquence, je dois rejeter les griefs.

40 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

41 Le grief 566-02-4076 est rejeté et j'ordonne la fermeture du dossier.

42 Le grief 566-02-4077 est rejeté et j'ordonne la fermeture du dossier.

43 Le grief 566-02-4078 est rejeté et j'ordonne la fermeture du dossier.

Le 23 mars 2015.

Traduction de la CRTEFP

Kate Rogers,
une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique

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