Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte dans laquelle elle a allégué que l'élément de la défenderesse, le Syndicat des employées et employés nationaux, de par ses actes, avait manqué à son devoir de représentation équitable lors du traitement de deux griefs présentés par la plaignante – les griefs de la plaignante concernaient sa rétrogradation permanente à la suite d'une plainte fondée de harcèlement contre la plaignante (le « grief visant la rétrogradation ») et ses allégations selon lesquelles elle a été victime de harcèlement par la direction (le « grief visant le harcèlement ») – selon la Déclaration de principe 23 de l'AFPC, la représentation est refusée (sauf pour la question du quantum) à un employé contre qui une allégation de harcèlement a été déposée – à titre préliminaire, la demande de la défenderesse pour un ajournement de l'audience pour une période indéterminée n'a pu être conciliée à l'intérêt public et aux intérêts légitimes de la plaignante – à la lecture de l'alinéa 192(1)d) de la LRTFP, l'arbitre de grief a déterminé que l'intention du législateur était que le devoir de représentation équitable s'applique aussi à certaines affaires que les employés peuvent présenter sans l'approbation de leur agent négociateur et, le cas échéant, que la Commission examine les faits sous‑jacents à une telle plainte afin de voir s'il est raisonnable d'imposer à l'organisation syndicale les critères visés par l'article 187 de la LRTFP – l'arbitre de grief a jugé que la Déclaration de principe 23 était arbitraire puisque la décision relative à la question de savoir si la défenderesse représentera les intérêts d'un employé dépend d'un facteur non pertinent, à savoir si une plainte de harcèlement a été déposée contre cet employé – l'arbitre de grief a conclu que la défenderesse avait agi de manière arbitraire en refusant de représenter la plaignante relativement à son grief visant la rétrogradation pour toute autre question que celle du quantum de la discipline – l'arbitre de grief a également conclu que la défenderesse avait agi de manière arbitraire lorsqu'elle a informé la plaignante, trois ans après que l'affaire ait été portée à son attention, qu'elle ne la représenterait pas relativement à son grief pour harcèlement – en ce qui concerne la réparation, l'arbitre de grief a déterminé qu'il n'avait pas compétence pour adjuger des dépens à la plaignante – l'arbitre de grief a déterminé que sa compétence, aux termes du paragraphe 192(1) de la LRTFP, comprenait une ordonnance voulant que la défenderesse verse à la plaignante ses frais d'avocats et des indemnités raisonnables pour l'arbitrage à venir du grief visant la rétrogradation puisque cette ordonnance de réparation était logiquement liée à la contravention dont il est question en l'espèce. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date: 20150420
  • Dossier: 561-02-602
  • Référence: 2015 CRTEFP 35

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique


ENTRE

SHARON-ROSE TAYLOR

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Taylor c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte déposée conformément à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
William S. Gardner, avocat
Pour la défenderesse:
Rebecca Thompson, Alliance de la Fonction publique du Canada
Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 9 et 10 décembre 2014, et les 4 et 5 février 2015.
(Arguments écrits déposés les 18 et 24 février 2015.)
(Traduction de la CRTEFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 26 février 2013, Sharon-Rose Taylor (la « plaignante ») a déposé une plainte dans laquelle elle prétendait que l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'AFPC ou la « défenderesse »), par les actes de son élément, le Syndicat des employées et employés nationaux (SEN), avait manqué à son devoir de représentation équitable, énoncée à l'article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP), quant à la manière dont elle s'est occupée de deux griefs qu'elle a présentés.

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013. De plus, en vertu de l'article 395 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, le commissaire de l'ancienne Commission saisi de cette affaire avant le 1er novembre 2014 a les mêmes attributions qu'une formation de la Commission.

3 Selon la plainte, la défenderesse était le « Syndicat des employées et employés nationaux / Alliance de la Fonction publique du Canada ». Cependant, puisque l'agent négociateur accrédité est l'AFPC, et non le SEN, la défenderesse appropriée est l'AFPC et la plainte a été modifiée en conséquence : voir Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52.

4 Les griefs de la plaignante concernaient sa rétrogradation en novembre 2009 (le « grief visant la rétrogradation ») et ses allégations selon lesquelles elle a été victime de harcèlement de la part de la direction (le « grief visant le harcèlement »). La plaignante a présenté ces deux griefs après que les représentants du SEN lui ont conseillé de le faire et ont accepté de la représenter. Cependant, après de nombreux échanges sur une période de trois ans entre la plaignante et le SEN, qui portaient sur ses griefs, elle a conclu en novembre 2012 que le SEN refusait de la représenter. Elle a alors eu recours aux services d'un avocat afin de présenter les griefs en son nom (le grief visant la rétrogradation a été mis au rôle aux fins d'arbitrage en avril 2015), et elle a déposé la présente plainte contre la défenderesse, dans laquelle la principale réparation qu'elle demande est une ordonnance selon laquelle la défenderesse doit payer ses frais de représentation en justice à l'arbitrage. Il convient de noter qu'elle a pris une retraite anticipée de la fonction publique en mars 2013.

5 Le texte des articles 185, 187 et 241 de la LRTFP est présenté ci-dessous, de même qu'une partie des articles 190, 192 et 208 :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s'entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l'organisation syndicale, ainsi qu'à ses dirigeants et représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l'unité dont elle est l'agent négociateur.

[…]

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l'employeur, l'organisation syndicale ou toute personne s'est livré à une pratique déloyale au sens de l'article 185.

[…]

192. (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l'égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu'elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

[…]

d) en cas de contravention par une organisation syndicale de l'article 187, lui enjoindre d'exercer, au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, selon elle, il aurait dû exercer ou d'aider le fonctionnaire à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire;

[…]

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i) soit de toute disposition d'une loi ou d'un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d'emploi.

[…]

Réserve

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l'interprétation ou l'application à son égard de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qu'à condition d'avoir obtenu l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention collective ou la décision arbitrale et d'être représenté par cet agent.

[…]

241. (1) Les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d'invalidation pour vice de forme ou de procédure.

Procédure de grief

(2) Pour l'application du paragraphe (1), l'omission de présenter le grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable ne constitue pas un vice de forme ou de procédure.

II. Demande d'ajournement de la date d'audience

6 Durant les deux premiers jours de l'audience, en décembre 2014, la défenderesse était représentée par Ray Domeij, agent aux griefs et à l'arbitrage du bureau régional de Calgary. Malheureusement, M. Domeij est tombé gravement malade durant la période des fêtes. Une note de son médecin, en date du 12 janvier 2015, indiquait qu'il entreprenait des examens et des traitements et qu'il ne pourrait pas travailler avant une nouvelle évaluation trois ou quatre mois plus tard. L'audience devait reprendre les 4 et 5 février 2015. Le 8 janvier, la défenderesse a demandé un ajournement de la date d'audience, en ajoutant qu'elle était [traduction] « […] incertaine de la période nécessaire à la guérison de M. Domeij pour le moment ». La plaignante s'est opposée à un ajournement pour une période indéterminée.

7 J'ai alors tenu deux téléconférences sur la demande d'ajournement avec un représentant de la défenderesse et l'avocat de la plaignante. Durant la première, tenue le 16 janvier, la défenderesse s'est engagée à voir si elle pouvait s'organiser autrement pour poursuivre l'audience, par exemple attribuer le dossier à un autre représentant ou avoir recours aux services d'un avocat externe de manière à permettre la reprise de l'audience, à une date que les parties considèrent comme mutuellement convenable avant la fin de mars 2015. Durant la deuxième, tenue le 23 janvier, la défenderesse a déclaré qu'elle n'avait personne de disponible pour reprendre le dossier à tout moment avant septembre 2015 et que, compte tenu des coûts, elle n'était pas disposée à avoir recours aux services d'un avocat externe. J'ai alors demandé aux deux parties de présenter de brefs arguments écrits sur la demande d'ajournement.

8 À l'appui de la demande d'ajournement pour une période indéterminée, la défenderesse a affirmé que ce serait une violation de la justice naturelle, plus précisément de son droit à l'assistance d'un avocat, de rejeter la demande. Parachuter un nouveau représentant dans une audience déjà tenue durant deux jours serait préjudiciable à sa capacité de présenter son affaire. Ce préjudice pour la défenderesse serait important, alors qu'un délai de quelques mois ne porterait aucune atteinte à la plaignante. Il ne peut y avoir aucun doute à l'égard du fait que la demande d'ajournement, qui est le résultat de la maladie regrettable de M. Domeij, avait un motif répréhensible. La défenderesse a mentionné Witherspoon c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2007 CRTFP 36; Yarney c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé),2013 CRTFP 45; Howitt c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2013 CRTFP 51.

9 La plaignante soutenait que la défenderesse avait eu une possibilité suffisante de s'organiser autrement pour sa représentation après la maladie de M. Domeij. Accorder un ajournement pour une période indéterminée porterait un préjudice inhérent pour la plaignante. De plus, puisqu'elle devait payer son propre représentant pour cette plainte et pour l'arbitrage du grief visant la rétrogradation, l'ajournement de la date d'audience pourrait [traduction] « […] retarder sa possibilité d'obtenir réparation ». Un retard augmenterait inévitablement ses frais d'avocat. Accorder un ajournement jusqu'au moment du retour au travail de M. Domeij serait déraisonnable, puisqu'il n'y avait aucune garantie qu'il serait un jour en mesure de le faire. De plus, la note de son médecin indiquait simplement que, dans trois ou quatre mois, il serait réévalué. Un report de sept mois ou plus (p. ex. jusqu'à septembre 2015, au plus tôt), comme le demandait la défenderesse, serait déraisonnable et serait contraire aux politiques de la Commission, en particulier puisque la demande a été faite au milieu de l'audience. Il n'est pas dans l'intérêt public de retarder sans raison valable le règlement des différends liés au lieu de travail. De plus, puisque très peu des faits de cette affaire étaient en litige, il n'y aurait pas de préjudice important pour la défenderesse à instruire l'affaire avec un représentant différent. Cela était particulièrement vrai puisqu'un agent principal du SEN (Franco Picciano) était présent tout au long des audiences à titre de conseiller pour M. Domeij. La plaignante a mentionné Barzotto c. Makuch et al., dossier de la CRTFP 161-02-520 (19881205), et Chow c. Conseil du Trésor (Statistique Canada),2006 CRTFP 71.

10 Le 27 janvier 2015, j'ai instruit le greffe de la Commission d'informer les parties que la demande d'ajournement de la défenderesse était rejetée. Les motifs de cette décision sont expliqués ci-après.

11 D'abord, je remarque que la Commission est expressément habilitée par l'article 21 du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79) à « […] ajourner toute audience et fixer les date, heure et lieu et les modalités de la nouvelle audience ». Le principal point à considérer par la Commission lorsqu'elle décide d'exercer son pourvoir d'ajournement des audiences est d'évaluer le préjudice qui résulterait vraisemblablement du fait d'accéder ou non à la demande.

12 Puisqu'il n'y avait essentiellement aucun différend quant aux faits et que la preuve était principalement composée de correspondance par courriel entre les parties, je suis convaincu que le préjudice pour la défenderesse causé par un changement de représentant serait minime. J'estime également qu'il est réaliste d'attendre de M. Picciano – un agent principal du SEN qui prenait part au différend relatif aux griefs de la plaignante et qui était présent à titre de conseiller pour M. Domeij durant la première étape de l'audience – qu'il soit en mesure de faire le point de manière complète et compétente, avec tout nouveau représentant, ce qui réduit encore plus la possibilité de préjudice possible pour la défenderesse.

13 En ce qui concerne le préjudice pour la plaignante, je suis d'accord avec elle pour dire qu'un retard lui porterait un préjudice inhérent, même si la principale réparation qu'elle demande est une indemnité pécuniaire. Elle a évidemment un grand investissement émotionnel quant à l'issue de cette affaire et des arbitrages de griefs connexes. Il est naturel qu'un plaideur veuille mener un tel différend à son règlement définitif le plus rapidement possible.

14 Cependant, mis à part le préjudice aux parties, un autre point à considérer est l'intérêt public à l'égard de l'application efficace et rapide de la justice. Comme l'a indiqué l'arbitre de grief dans Fletcher c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 39 au paragr. 36, lorsqu'il a rejeté une demande d'ajournement pour une période indéterminée : « J'estime qu'il y a un troisième intérêt en jeu en l'espèce […] Il s'agit de l'intérêt du public à l'égard d'une administration efficiente de la justice qui évite les délais indus, favorise le règlement final des différends et est respectée par les parties. »

15 Dans les circonstances propres à cette affaire, un ajournement pour une période indéterminée, d'au moins sept mois, jusqu'en septembre 2015 au plus tôt, tel que le demande la défenderesse, est manifestement irréaliste et déraisonnable. La défenderesse s'est vue offrir un ajournement d'un mois ou deux, jusqu'à la fin de mars 2015, ce qui lui aurait permis de s'organiser autrement, mais elle a rejeté cette offre au motif qu'elle n'avait personne pour la représenter à cette date et qu'elle ne voulait pas avoir recours aux services d'un avocat externe compte tenu des coûts. Cette position de la défenderesse, à mon avis, ne peut pas être conciliée avec l'intérêt du public et les intérêts légitimes de la plaignante.

16 C'était pour toutes ces raisons que j'ai décidé de rejeter la demande de la défenderesse.

17 Il convient que j'ajoute que, lorsque l'audience a repris le 4 février 2015, la défenderesse était représentée par Rebecca Thompson, une autre de ses agents aux griefs et à l'arbitrage. On m'a informé que, lorsque la défenderesse m'a dit, le 23 janvier, qu'elle n'avait personne de disponible pour gérer l'affaire avant septembre 2015, Mme Thompson devait prendre part à une audience différente les 4 et 5 février, mais que l'autre audience a été ajournée quelque temps avant le 28 janvier.

III. Les faits convenus

18 Même s'il n'y avait aucun exposé conjoint des faits, les faits suivants, qui consistent en grande partie d'échanges de courriels, n'étaient pas contestés.

19 En 2009, la plaignante occupait le poste de gestionnaire, Terres et ressources, Direction des terres, de la région du Manitoba à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (le « Ministère » ou AADNC), et était affectée à Winnipeg, au Manitoba. Son poste était classifié au groupe et au niveau PM-06 et elle faisait partie d'une unité de négociation représentée par l'AFPC. Elle avait commencé à travailler au Ministère, à un autre poste, en 1999.

20 En février 2009, une des employées qui relevait de la plaignante a prétendu que la plaignante l'avait harcelée (la « plainte de harcèlement »). Après enquête, le Ministère a conclu que la plaignante avait effectivement harcelé l'employée en question. Le 13 novembre 2009, le Ministère a rétrogradé la plaignante au poste PM-05, spécialiste en développement social opérationnel, à titre de mesure disciplinaire en raison du harcèlement. Il devait s'agir d'une rétrogradation permanente. Sa rémunération annuelle a été réduite d'environ 19 000 $ en conséquence. La plaignante a été escortée en dehors de son lieu de travail ce jour-là et on lui a dit de ne pas y retourner avant d'avoir été sommée de se présenter à une réunion que le Ministère prévoyait convoquer.

21 La plaignante a été un membre actif du SEN; elle y a occupé plusieurs postes, y compris celui de déléguée syndicale et de présidente de sa section locale. Immédiatement après la réunion du 13 novembre, elle a communiqué avec Raymond Brossard, l'agent des relations de travail responsable des employés travaillant au Ministère, afin de discuter de la présentation d'un grief. M. Brossard lui a dit que, même si elle devrait présenter un grief, il ne serait pas en mesure de la représenter ou de la conseiller puisqu'il avait représenté l'employée qui avait déposé la plainte de harcèlement contre elle. Il serait en situation de conflit d'intérêts, lui a-t-il dit. Il a dit qu'il renverrait le dossier de la plaignante à un de ses collègues, Jim MacDonald, qui était aussi un agent des relations de travail au SEN. Il a donné à la plaignante les coordonnées de M. MacDonald.

22 M. MacDonald, qui, comme M. Brossard, était situé à Ottawa, a parlé à la plaignante par téléphone et lui a conseillé de préparer une ébauche de grief. La plaignante l'a fait, en collaboration avec un ami, Grant Rodgers, qui était précédemment un représentant du personnel du Manitoba Government and General Employees' Union. L'ébauche du grief a été envoyée par télécopieur à M. MacDonald le 18 novembre 2009. M. MacDonald a téléphoné à la plaignante un peu plus tard et a suggéré un changement mineur à l'ébauche. Il a aussi suggéré qu'elle devrait présenter deux griefs; un contre la rétrogradation, l'autre pour les allégations de harcèlement contre l'employeur. Il lui a dit qu'elle devrait écrire le nom et les coordonnées de M. MacDonald à la section 2 des formules de grief. (La section 2 est intitulée : « À remplir par le représentant de l'agent négociateur s'il y a lieu » et la section indique : « Par la présente, j'autorise la présentation du grief relatif à une convention collective ou à une décision arbitrale, et j'accepte de représenter l'employé ».) M. MacDonald lui a dit de ne rien écrire à la ligne de la section 2 où le représentant de l'agent négociateur devait signer. Même si la plaignante savait que la section 2 n'était pas applicable à ses griefs, puisqu'ils ne se rapportaient pas à une convention collective ou à une décision arbitrale; elle a respecté toutes les directives et les propositions de M. MacDonald.

23 Le Ministère a convoqué une réunion le 30 novembre 2009, afin de discuter de ses attentes à l'égard de la plaignante quant à son nouveau poste de travail de spécialiste en développement social opérationnel. Tracy Fleck, directrice générale régionale associée intérimaire, de même que Diane Bodner et Curtis Connon, tous deux conseillers en ressources humaines, étaient présents à la réunion, pour le Ministère. La plaignante était présente, en compagnie de M. Rodgers. Elle détenait les deux formules de grief remplies avec elle à la réunion. À un moment de la réunion, la plaignante a remis les deux griefs à la direction et M. Connon en a pris possession. Contrairement au protocole établi, aucun des représentants du Ministère n'a signé les formules pour en accuser réception. Il a été convenu que la plaignante commencerait à son nouveau poste le lundi suivant.

24 La plaignante est retournée au travail comme prévu. Cependant, elle a indiqué dans son témoignage qu'elle a trouvé que l'environnement était hostile et qu'elle se sentait humiliée dans son nouveau rôle. Par conséquent, elle subissait beaucoup de stress. Le 10 janvier 2010, suivant le conseil de son médecin, elle a pris un congé de maladie.

25 En juin 2011, après environ 17 mois en congé, la plaignante se sentait mieux et commençait à penser à revenir au travail. Elle a envoyé un courriel à M. MacDonald, le 6 juin 2011, pour lui demander de faire avancer ses deux griefs. M. MacDonald lui a répondu par courriel le 24 juin 2011 pour lui indiquer que, même s'il a reçu une copie des griefs, le Ministère ne semblait pas en avoir accusé réception et n'avait pris aucune mesure pour organiser une réunion au troisième palier pour en discuter. Il a assuré la plaignante qu'il tentait de relancer le grief.

26 Les 19 et 25 juillet 2011, n'ayant reçu aucun suivi de M. MacDonald, la plaignante lui a de nouveau envoyé des courriels pour s'enquérir de ses griefs.

27 Le 3 août 2011, tout juste revenu de ses vacances, M. MacDonald a répondu à la plaignante par courriel et il s'est ensuivi un échange d'une multitude de courriels dans lesquels M. MacDonald indiquait qu'il tentait toujours d'obtenir la position du Ministère et dans lesquels la plaignante le poussait à faire avancer le dossier. (Tout au long de cet échange, et dans la plus grande partie de la correspondance ultérieure, la plaignante faisait référence à ses « griefs », alors que M. MacDonald mentionnait son « grief »). Le 30 août, il lui a écrit pour l'informer qu'il devait rencontrer le Ministère la semaine suivante pour [traduction] « […] en finir avec la confusion entourant votre grief ». Le 24 octobre, n'ayant reçu aucun suivi de M. MacDonald, la plaignante lui a de nouveau envoyé un courriel pour lui demander s'il avait progressé. Le 26 octobre, il a répondu pour dire que Pascal Arcand, le conseiller de la direction des relations de travail du Ministère, qu'il avait rencontré, était parti en congé et devait revenir en novembre. Finalement, le 14 novembre, M. MacDonald a signalé à la plaignante par courriel qu'il venait d'avoir des nouvelles de M. Arcand. Voici le texte de ce courriel :

[Traduction]

Selon ses commentaires, il semble que votre grief était tenu en suspens au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs (la région) au lieu d'avoir été envoyé au troisième palier. Ce manquement à communiquer immédiatement votre grief au troisième palier a donné lieu au retard que vous avez subi jusqu'à présent. Nous devons maintenant attendre pour voir la réaction de l'employeur à mon courriel. J'espère qu'une présentation au troisième palier peut être organisée dans les quelques prochaines semaines.

28 Toujours le 14 novembre, M. MacDonald a écrit le message suivant à M. Arcand :

[Traduction]

En ce qui concerne Sharon-Rose Taylor, sa position est que ses griefs ont été présentés à l'employeur en 2009, en présence d'un témoin, et que le représentant de l'employeur les a reçus en mains propres (même si le représentant de l'employeur a omis de les accepter à cette époque). Diane Bodner et Curtis Cannon [sic] (et maintenant vous-même) ont tous confirmé que l'employeur était en possession de ces griefs depuis 2009.

L'employeur semblait contester le fait qu'ils n'étaient pas « […] acceptés par le représentant de l'AFPC qui y était nommé ». Je présume qu'AADNC fait référence à la section 2 des formules de grief où je suis nommé en tant que représentant de l'AFPC.

[…]

Nous soutenons, dans tous les cas, que le Syndicat n'a pas à accepter cette formule de grief.

De plus, puisque le grief porte sur une rétrogradation, la clause 18.24 de la convention collective prévoit qu'il doit être directement présenté au dernier palier. Le grief a été présenté au représentant délégué de l'employeur au niveau régional; par conséquent, le grief aurait dû être directement communiqué au représentant délégué de la direction pour le troisième palier. Je crois que ça n'a pas été effectué par le représentant de l'employeur de la région qui a accepté les griefs. C'est pourquoi vous ne pouviez pas trouver un dossier au troisième palier.

Compte tenu de ce qui précède, je vous suggère d'obtenir le dossier de la région pour qu'il puisse être convenablement traité au troisième palier. Le SEN acceptera une prorogation du délai pour une période raisonnable afin de vous permettre d'obtenir le dossier de la région. Lorsque vous l'avez reçu, veuillez communiquer avec moi afin que nous puissions discuter des prochaines étapes.

29 En février 2012, la plaignante prévoyait un retour au travail. (Elle avait été retardée dans le suivi de ses griefs en raison de quelques graves questions familiales, a-t-elle indiqué dans son témoignage, y compris le décès d'un frère et la maladie de sa mère.) Ce mois-là, il y a eu quelques correspondances avec M. MacDonald au sujet de son retour au travail, y compris quelques arrangements dont elle pourrait avoir besoin. Le 5 mars 2012, M. MacDonald a envoyé un courriel à la plaignante au sujet de ses plans de retour au travail. Dans le même courriel, reproduit ci-dessous, il a indiqué qu'il y avait des problèmes avec ses griefs qui devaient être traités.

[Traduction]

En ce qui concerne vos griefs, il pourrait y avoir d'importants retards pour leur règlement.

Nous sommes au courant d'un (1) grief en rapport à votre rétrogradation. Il s'agit du grief pour lequel j'ai été désigné de vous aider. Nous avons aussi remarqué que vous avez présenté un grief de « harcèlement » à la même époque, mais nous n'avons pas reçu vos « allégations » à l'appui de ce grief.

De plus, certaines questions se posent quant à la validité de ces griefs. Aucun des griefs n'a été signé par la direction pour indiquer qu'il a été reçu, [sic] pas plus qu'ils n'ont été signés par le Syndicat. Ces affaires peuvent devoir être réglées avant que l'un ou l'autre des griefs progresse.

30 Le 23 juin 2012, ou vers cette date, la plaignante est retournée au travail, à temps partiel. Ses quelques premiers mois de travail ont été très stressants pour elle, a-t-elle indiqué dans son témoignage, en raison du décès de fraîche date de son père et de l'hospitalisation récente de sa mère.

31 Le 29 octobre 2012, la plaignante a envoyé un courriel à M. MacDonald afin de lui fournir les allégations qu'elle prévoyait mettre en avant afin de soutenir son grief visant le harcèlement (et qu'il avait demandé le 5 mars 2012). Ces allégations étaient comprises dans de nombreuses longues pièces jointes à son courriel. Le 25 novembre, puisqu'elle n'avait reçu aucune réponse de M. MacDonald, (sauf une « réponse automatique d'absence du bureau », qui indiquait qu'il serait en congé jusqu'au 30 octobre), la plaignante a de nouveau envoyé ses courriels et ses pièces jointes. En référence à ses griefs, elle a ajouté qu'elle [traduction] « était très impatiente que ces affaires soient réglées, puisqu'[elle trouvait] qu'il était de plus en plus difficile de rester dans son lieu de travail ».

32 M. MacDonald a répondu par courriel le 26 novembre 2012. En voici des extraits :

[Traduction]

[…] Cependant, en fonction des commentaires faits dans votre plus récent courriel, le fait qu'il puisse y avoir un malentendu au sujet du fait que j'ai été désigné pour vous fournir une représentation me préoccupe. On ne m'a pas demandé d'intervenir en votre nom en ce qui concerne le bien-fondé de griefs ou de toute plainte de harcèlement. Le confrère Raymond Brossard reste l'agent des relations de travail (ART) pour de telles affaires au nom des membres du SEN employés par AADNC.

En ce qui concerne ma participation, on me dit qu'une plainte de harcèlement a été déposée contre vous par un autre membre du SEN qui a eu gain de cause et que votre employeur a imposé une mesure disciplinaire en conséquence. Par conséquent, aux termes de la Déclaration de principes 23 de l'AFPC, j'ai été désigné pour vous représenter uniquement sur le « quantum » de la sanction disciplinaire qui a été imposée. Mon rôle est d'examiner ce dossier pour déterminer si une rétrogradation permanente était une réponse appropriée compte tenu des circonstances et, à défaut, de communiquer des observations à votre employeur pour tenter de réduire cette sanction.

À cet égard, je souscris en grande partie à votre position. Une rétrogradation est considérée comme une sanction très grave et, dans les circonstances, je ne crois pas qu'elle aurait dû être appliquée à titre permanent. Comme vous le dites, une sanction disciplinaire devrait avoir un caractère de réparation, et non de punition. Je suis donc prêt à rencontrer votre employeur seulement dans le but de tenter de commuer votre rétrogradation et que vous soyez réintégrée au groupe et au niveau de votre ancien poste de gestionnaire.

Lorsque j'aurai examiné tous les renseignements que vous avez fournis, je communiquerai avec vous pour vous faire part de toute question que je peux avoir. Après cela, j'organiserai une réunion avec votre employeur afin de plaider votre cause pour tenter d'obtenir une réduction du quantum de la mesure disciplinaire.

Soyons optimisme, nous aurons gain de cause. Cependant, si ce n'est pas le cas, je communiquerai votre dossier à la Section des griefs et de l'arbitrage de l'AFPC afin de déterminer si d'autres mesures seront prises par le Syndicat en votre nom.

Pour toute autre affaire de relations de travail en lien avec votre poste, Raymond Brossard reste l'ART désigné pour AADNC […]

33 La Déclaration de principes 23 de l'AFPC mentionnée dans ce courriel indiquait que le harcèlement était « tout à fait contraire aux principes de solidarité syndicale, de dignité et de respect » et que l'AFPC ne « tolère aucune forme de harcèlement ou de discrimination ». La Déclaration précise le rôle que l'AFPC peut jouer lorsqu'une plainte de harcèlement au travail est déposée, en fonction de trois principes, reproduits ci-dessous.

1.       Le rôle du Syndicat dans la représentation des employées et employés faisant l'objet de harcèlement au travail doit être en accord avec sa condamnation du harcèlement;

2.       [V]ous pouvez demander et obtenir la représentation du Syndicat à moins qu'il ne soit clair que les allégations, à première vue, ne satisfont pas [sic] la définition de harcèlement applicable à votre milieu de travail. Selon votre lieu de travail, la définition de harcèlement se trouve soit dans votre convention collective, soit dans une politique de l'employeur; et

3.       [S]i vous faites l'objet d'une allégation de harcèlement, le syndicat peut vous fournir des renseignements sur la procédure prévue. S'il a été décidé que vous avez de fait usé de harcèlement à l'endroit d'une autre personne et que vous êtes frappé de mesures correctives, telles qu'une sanction disciplinaire ou une mutation à un autre poste, le Syndicat peut assurer votre représentation lorsqu'il croit raisonnablement que les mesures prises à votre endroit sont trop sévères ou injustifiées dans les circonstances.

34 Dans la suite de la Déclaration de principes, on indique que, puisque l'employeur est responsable d'assurer un milieu de travail exempt de harcèlement, l'employeur « […] doit donc évaluer la validité d'une plainte, décider s'il y a lieu d'enquêter ou non et, dans l'affirmative, rendre une décision ». Dans une liste de Questions-réponses diffusées avec la Déclaration de principes (sans précisions sur le diffuseur, soit l'AFPC ou le SEN), on précisait ce qui suit :

[…] Si l'intimé est frappé de sanctions disciplinaires en raison du grief ou de la plainte, il peut présenter une demande de représentation au Syndicat. Le Syndicat examinera si les sanctions disciplinaires imposées étaient justifiées ou excessives ou si toute mesure corrective subséquente était raisonnable avant de décider d'offrir ou non un service de représentation. […]

35 La plaignante a répondu au courriel de M. MacDonald du 26 novembre 2012 le jour même. Elle se demandait pourquoi le SEN séparait ses deux griefs l'un de l'autre, puisqu'ils étaient [traduction] « très inter-reliés », mais elle ne s'est pas opposé, à ce titre, à quoi que ce soit du courriel de M. MacDonald.

36 Le même jour, la plaignante a envoyé un courriel à M. Brossard pour lui demander, conformément au courriel de M. MacDonald reçu plus tôt ce jour-là, de faire avancer son grief visant le harcèlement au dernier palier (le troisième).

37 Le 28 novembre, M. Brossard a répondu à la plainte. Il a confirmé qu'il était l'agent de relations de travail désigné pour les membres du SEN à AADNC. Il a ensuite ajouté ce qui suit :

[Traduction]

J'ai lu attentivement tous les documents […] que vous avez communiqués à Jim [MacDonald] (dans votre courriel du 26 novembre) en ce qui a trait à votre représentation de sa part quant au quantum de la mesure disciplinaire imposée. Son objectif sera d'affirmer que la mesure disciplinaire était peut-être excessive. Je peux seulement supposer à ce stade que vous avez mal interprété ses commentaires dans le courriel qu'il vous a envoyé.

Veuillez noter que l'ensemble de ces documents peuvent être utilisés par Jim dans sa présentation de l'affaire. Je peux vous assurer que le SEN n'a aucun grief actuellement actif dans notre base de données, que ce soit en raison de harcèlement ou d'autres raisons. Ceux que nous avions sont mentionnés ci-dessus, et seront pris en compte par Jim pour sa présentation. Pour toute nouvelle question qui justifie l'implication du SEN, je vous suggère de communiquer avec les représentants de la section locale.

J'espère avoir été en mesure d'apporter des précisions sur la question.

38 La plaignante a envoyé un courriel en réponse à M. Brossard le 28 novembre et en a envoyé une copie conforme à M. MacDonald. Voici un extrait de ce courriel :

[Traduction]

[…] Je demande votre indulgence, mais je ne suis toujours pas certaine. Au moment de la rétrogradation et du débrayage, j'ai présenté deux griefs : un grief de harcèlement contre la direction; l'autre grief contre la rétrogradation. Ils devaient être présentés ensemble ou traités en tant qu'éléments indissociables de la mauvaise conduite contre moi, la rétrogradation en étant un exemple important.

Veuillez confirmer que ces deux griefs seront présentés simultanément.

39 Le 29 novembre 2012, M. MacDonald a envoyé à la plaignante le courriel qui constitue le point culminant de cette correspondance prolongée qui avait commencé avec sa rétrogradation trois ans plus tôt. C'était ce courriel qui a provoqué le présent grief. Il est reproduit ci-après :

[Traduction]

Bonjour,

En fonction de la plus récente correspondance entre vous et moi et entre vous et Raymond, j'ai examiné tout ce que j'avais au dossier pour votre ou vos « grief(s) ».

Le SEN continue d'avoir d'importantes préoccupations « de procédure » relativement à votre ou vos grief(s) et des éléments devront être traités et corrigés avant que nous puissions vous représenter pour votre ou vos grief(s). La préoccupation procédurale qui pourrait être la principale source de complications a trait au fait que, malgré les nombreux courriels que nous avons échangés, vous n'avez toujours pas fourni au Syndicat de copie complètement approuvée de votre ou vos grief(s).

Plus tôt aujourd'hui, j'ai rencontré Raymond et mon superviseur, Franco Picciano, afin de discuter de votre situation. Raymond a confirmé que vous ne lui avez pas non plus communiqué de copie correctement approuvée de votre ou vos grief(s). Même si votre employeur a reconnu avoir reçu des formules de grief de votre part en 2009, il s'était lui aussi dit préoccupé par le fait que les formules de grief qu'il a reçues n'étaient pas correctement remplies ni présentées.

Selon ce qui précède, d'un point de vue « de procédure », nous n'avons pas de « grief ». Ni votre grief « visant la rétrogradation », ni votre grief « visant le harcèlement » n'ont, [sic] à un quelconque moment, été officiellement reçus ou enregistrés par le Syndicat ou par l'employeur. En d'autres mots, votre employeur peut présenter un argument juridique tout à fait convaincant et légitime selon lequel votre grief n'existe tout simplement pas.

Par conséquent, pour que le Syndicat puisse continuer de vous représenter, avant d'aller plus loin, le Syndicat devra procéder à une validation selon laquelle vos griefs ont été dûment signés et correctement présentés à votre employeur et [sic] ont été produits à temps.

De plus, lors de l'examen initial des documents fournis au Syndicat le 29 octobre 2012 et puisque la plupart des documents, sinon tous, semblent être liés aux événements qui ont mené à la procédure de plainte de harcèlement initiée par un autre membre du SEN où vous étiez nommée la « défenderesse » et où vous étiez accusée d'être la « harceleuse » et qui se sont produits durant cette procédure, Cette procédure a depuis été conclue et il a été jugé que les allégations portées contre vous étaient « fondées ». Vous aviez amplement eu l'occasion de faire part de toute préoccupation ou de toute opinion que vous aviez durant le traitement de cette plainte. Les affaires résiduelles consécutives à cette plainte viennent tout juste d'être terminées. Le Syndicat ne prendra pas part à la réouverture de cette affaire. Par conséquent, nous ne vous représenterons pas à cet égard.

Dans tous les cas, si vous êtes incapable de fournir la validation requise pour votre grief ou vos griefs vous pouvez toujours le ou les poursuivre vous-même, à vos frais. Cependant, si vous choisissez de le faire, vous devez tout de même surmonter les mêmes obstacles de procédure que ceux susmentionnés.

Pour toute question ou préoccupation relatives à ce qui précède, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

40 Le 5 décembre 2012, la plaignante a envoyé un courriel de trois mots à messieurs MacDonald, Brossard et Picciano, qui disait [traduction] « Honte à vous ». Elle n'a eu aucune autre communication avec eux.

IV. Autre preuve

41 La plaignante a indiqué dans son témoignage que, lorsqu'elle a lu le courriel de M. MacDonald du 29 novembre 2012, elle avait l'impression que le syndicat l'avait [traduction] « frappée ». M. MacDonald, a-t-elle indiqué, a [traduction] « mis un terme » à sa représentation par ce courriel. À part son refus de la représenter, M. MacDonald avait à tort décrit ses allégations à l'appui du grief visant le harcèlement comme ayant principalement trait à la plainte de harcèlement déposée contre elle. Elle a indiqué dans son témoignage qu'il était évident, selon les documents qu'elle avait envoyés à M. MacDonald le 29 octobre 2012, qu'elle alléguait que la direction l'avait harcelée et que ses allégations n'avaient rien à voir avec sa relation avec l'employée qui avait déposé la plainte de harcèlement contre elle. De plus, elle n'avait aucun moyen de fournir les documents pour lesquels M. MacDonald insistait afin de les obtenir, à savoir les reçus des griefs signés par la direction, car aucun document de ce genre n'existait, comme M. MacDonald devait le savoir, selon leur échange de courriel. Après avoir reçu le courriel de M. MacDonald du 29 novembre 2012, elle a personnellement communiqué avec des fonctionnaires des relations de travail du Ministère à Ottawa pour organiser une réunion de grief au troisième palier, sans en informer le SEN. (Elle a ajouté que M. Rodgers l'a représentée à la réunion de grief au troisième palier, tenue le 4 mars 2013, et que les griefs ont été rejetés sur le fond, sans que le Ministère ne soulève d'objections procédurales à leur égard.)

42 En contre-interrogatoire, la plaignante a reconnu qu'elle avait reçu une formation de déléguée du SEN, en 2001 ou en 2002, et qu'elle avait représenté quelques membres dans des affaires disciplinaires, dont au moins deux ont donné lieu au dépôt de griefs. Elle connaissait donc quelque peu la procédure applicable aux griefs. La pratique, lorsqu'elle a commencé à représenter les membres, était que la direction devait fournir un reçu au fonctionnaire s'estimant lésé au dépôt du grief, mais que cette pratique n'était pas constamment suivie. Elle a soulevé la question auprès de la direction. À un moment, les délégués signifiaient personnellement les griefs aux Ressources humaines, après avoir obtenu des reçus signés des gestionnaires appropriés. Aux environs de 2007, cependant, lorsque Mme Bodner est devenue conseillère en ressources humaines, la plaignante a cessé de demander des reçus signés en croyant qu'ils n'étaient pas nécessaires. Elle savait que ses griefs devaient être présentés au troisième palier, p. ex. à Ottawa, mais elle supposait que, si elle les remettait à un agent des ressources humaines à Winnipeg, ils seraient communiqués à la bonne personne. M. Brossard, de plus, lui a dit de les présenter à Winnipeg.

43 La plaignante a indiqué dans son témoignage qu'elle n'avait reçu aucune représentation du SEN en lien avec la plainte de harcèlement puisque l'employé qui l'a déposée était représenté par le SEN. Pour cette raison, elle a décidé d'éviter de demander au SEN de la représenter à la réunion du 13 novembre 2009, lorsqu'elle a été rétrogradée, ou à la réunion de suivi suivante, le 30 novembre 2009. Tous les représentants du SEN à Winnipeg, selon son témoignage, ont pris part, d'une manière ou d'une autre, à la représentation de l'autre employé. Elle avait cependant parlé à M. Brossard durant la période entre les deux réunions. M. Brossard l'a informée qu'il était plus important de présenter les griefs rapidement que d'obtenir les formules de grief signées par M. MacDonald. Même si elle savait qu'elle n'avait pas besoin de la signature de M. MacDonald à la section 2 des formules de grief, elle a suivi le conseil de M. MacDonald et a écrit son nom à la section 2.

44 Lorsque la plaignante a remis les formules de grief au Ministère le 30 novembre 2009, elle savait que la direction avait une date limite pour répondre aux griefs. Elle n'a pas fait de suivi auprès de la direction, cependant, lorsque la date limite n'avait pas été respectée. Non seulement elle a eu des problèmes de santé à l'époque, mais elle a aussi supposé qu'elle pouvait laisser M. MacDonald s'en occuper.

45 La plaignante a indiqué dans son témoignage qu'elle comprenait qu'aucune mesure ne serait prise à l'égard de ses griefs alors qu'elle était en congé de maladie prolongé, puisque les griefs étaient « tenus en suspens » dans de telles circonstances. M. MacDonald le lui a dit et cela lui semblait logique. (Dans son témoignage, M. Connon a confirmé que c'était la pratique.)

46 La plaignante a indiqué dans son témoignage qu'elle n'avait pas de plaintes sur l'aide que lui a apportée M. MacDonald relativement à son retour au travail.

47 On a demandé à M. Connon, lors de son témoignage, s'il avait indiqué à qui que ce soit au SEN que le Ministère ne traiterait pas des griefs puisqu'aucun reçu n'avait été délivré au moment de leur présentation. Il a nié avoir jamais dit quoi que ce soit à ce sujet. Il ne se souvenait pas que M. Arcand l'ait informé de problèmes de procédures liés aux griefs. Normalement, un grief serait signé, aux fins d'accusé de réception, par le représentant de la direction à qui il a été présenté. La pratique n'était pas qu'un agent des ressources humaines fournisse le reçu signé.

48 M. Picciano a témoigné sur la Déclaration de principes 23 de l'AFPC. Elle a été adoptée par les membres de l'AFPC lors d'un congrès en avril 2009, après des consultations approfondies avec les éléments de l'AFPC et le SEN l'a aussi adoptée. Elle était conçue pour permettre à l'AFPC de gérer le sujet de plaintes dans lesquelles un employé portait une accusation de harcèlement contre un autre employé. Selon cette Déclaration, si un employé présentait une plainte qui, à première vue, alléguait du harcèlement par un autre employé, l'AFPC et ses éléments ne représenteraient pas la défenderesse, sauf pour expliquer le processus à cette employée ou pour contester le quantum de la mesure disciplinaire imposée à cette employée en raison du harcèlement. La défenderesse, selon M. Picciano, ne pouvait pas soutenir, au nom de l'employée plaignante, qu'il y a eu harcèlement, en même temps qu'il affirmait, au nom de l'employée accusée, qu'il n'y a pas eu de harcèlement. Il niait que cette Déclaration de principes, sur laquelle les membres se sont prononcés démocratiquement, était arbitraire. Elle faisait partie du [traduction] « code de gouvernance du syndicat », a-t-il indiqué.

49 M. Picciano a examiné les mesures prises par le SEN lorsqu'il décidait s'il devait représenter des employés (sur les autres affaires que les allégations de harcèlement). Les normes suivies par le SEN étaient fondées sur les décisions de cette Commission sur le devoir de représentation équitable et assuraient que le SEN faisait preuve de « diligence raisonnable », a-t-il précisé. L'employée était intégralement concernée. Si le SEN avait décidé de ne pas continuer de représenter un employé, il aurait envoyé une « lettre de clôture » à l'employé afin de confirmer et d'expliquer sa décision. La procédure de lettre de clôture était généralement connue par les employés. La plaignante avait des connaissances personnelles des lettres de clôture, puisqu'elle en avait reçu une de l'AFPC en 2002, dans une affaire sans liens avec la présente. Elle aurait donc dû savoir, selon M. Picciano, que le courriel de M. MacDonald du 29 novembre 2012 n'était pas un refus de représentation continue.

50 M. Picciano a ajouté que le SEN comptait des avocats dans son personnel pour conseiller et représenter les employés.

51 À son avis, M. MacDonald avait simplement demandé des renseignements à la plaignante dans son courriel du 29 novembre 2012 et, au lieu de fournir les renseignements, elle a choisi de rompre la communication avec le SEN.

52 M. Picciano a initialement indiqué dans son témoignage qu'il y avait au moins deux vices de procédure dans les griefs de la plaignante qui auraient pu les empêcher d'être traités sur le fond, à savoir l'absence d'une formule de transmission des griefs signée et l'absence de preuve quant à la date à laquelle les griefs ont été présentés au début. Il a décrit cela comme de la [traduction] « paperasse bâclée » par la plaignante et le Ministère. Cependant, sous pression, il a reconnu qu'il n'était au courant d'aucune affaire dans laquelle un grief a été rejeté en raison de vice de ce type.

53 M. MacDonald a indiqué dans son témoignage qu'il a commencé à travailler pour le SEN en 2009, après plus de 30 ans dans le domaine des relations de travail, dont une bonne partie en tant que représentant de l'employeur. Lorsqu'il a été désigné pour le dossier de la plaignante, il était d'avis que sa rétrogradation permanente pour harcèlement n'était pas convenable. Le quantum de la mesure disciplinaire imposée à une employée en raison du harcèlement était un sujet sur lequel le SEN pouvait représenter l'employée aux termes de la Déclaration de principes 23. Jusqu'à ce que la plaignante soit revenue au travail après son long congé de maladie, il ne pouvait pas faire grand-chose relativement à son grief contre sa rétrogradation. Il savait qu'elle voulait aussi donner suite à un grief visant le harcèlement qu'elle avait présenté, mais il n'a eu aucun détail précis sur ses allégations à l'appui de ce grief avant l'automne 2012.

54 Lorsque le retour au travail de la plaignante était imminent, a indiqué M. MacDonald, il l'a aidée avec sa demande de certains arrangements. En particulier, son médecin avait indiqué qu'elle ne devait pas retourner au même bureau que celui auquel elle avait travaillé précédemment. Trouver un autre travail pour la plaignante s'est révélé être un long processus. Il avait compris que le retour au travail était une réussite, mais il a plus tard appris que la plaignante avait décidé de prendre une retraite anticipée.

55 Lorsque la plaignante a parlé pour la première fois à M. MacDonald au sujet de son grief visant la rétrogradation en novembre 2009, il lui a demandé une copie de la formule de grief. La plaignante, a-t-il indiqué, avait des difficultés à le trouver. De plus, le grief visant la rétrogradation, aux termes de la convention collective, aurait dû aller directement au troisième palier et il a demandé à la plaignante de lui fournir une copie des formules de transmission des griefs qui donnait l'instruction d'envoyer les griefs au troisième palier. Il a parlé à M. Arcand, le conseiller de la direction des relations de travail du Ministère, ou lui a envoyé des courriels, environ six fois, pour tenter de trouver ces documents. M. Arcand ne pouvait pas les trouver, mais, éventuellement, M. MacDonald a reçu une copie du grief de M. Connon, même s'il était à peine lisible. La plaignante, en fait, ne lui a jamais fourni de copie. À part la lisibilité limite de la formule qu'il a reçue de M. Connon, il a remarqué que la direction ne l'avait ni signée ni datée pour en accuser réception. Malgré plusieurs demandes, la plaignante ne lui a jamais fourni de copie du grief avec un accusé de réception ou une formule de transmission de grief.

56 Dans son courriel à la plaignante du 29 novembre 2012, M. MacDonald a indiqué dans son témoignage qu'il lui a dit qu'il ne pouvait pas la représenter pour le grief relatif à la rétrogradation sans un grief correctement approuvé. Cela n'était pas, insiste-t-il, un refus de la représenter; il s'agissait simplement d'une demande pour qu'elle lui fournisse le document dont il avait besoin.

57 En ce qui concerne le grief visant le harcèlement, M. MacDonald a initialement indiqué que les documents qu'elle lui a envoyés le 29 octobre 2012 ne comprenaient rien de nouveau. Il a indiqué qu'il s'agissait simplement d'une [traduction] « reprise » de la position qu'elle avait présentée dans le cadre de la plainte de harcèlement déposée contre elle en 2009. Toutes ses allégations de harcèlement, a-t-il prétendu, ont été examinées par l'enquêteur en matière de harcèlement, qui a eu l'occasion de répondre quant à l'affaire contre elle. Cependant, en contre-interrogatoire, après qu'on lui ait précisément demandé de profiter d'une pause de l'audience pour examiner les allégations de harcèlement de la plaignante, il a reconnu que certaines n'avaient aucun lien avec les questions soulevées dans la plainte de harcèlement déposée contre elle.

58 M. MacDonald a ajouté qu'il n'a pas été informé de la tenue d'une réunion au troisième palier sur les griefs de la plaignante et qu'il était surpris d'apprendre que la plaignante les a elle-même portés à ce palier. Il n'a pas non plus été informé du rejet du grief visant la rétrogradation au troisième palier et de son renvoi en arbitrage.

59 M. MacDonald a indiqué que lui et M. Arcand avaient tous deux l'impression que le grief visant la rétrogradation ne résisterait pas à un examen approfondi à l'arbitrage, même si M. Arcand n'avait pas explicitement exprimé la position du Ministère sur la validité procédurale du grief. Le premier problème avec le grief, selon M. MacDonald, était qu'il n'y avait rien sur la formule de grief pour indiquer que le Ministère avait accepté le grief, même si M. Connon et Mme Bodner avaient confirmé que le grief était en leur possession. De plus, indique-t-il dans son témoignage, aucune des parties n'avait attribué de numéro de référence au grief. Il n'a pas non plus été signé et daté par le Ministère. De plus, il y avait eu un problème avec l'absence de formule de transmission. Les avocats du Conseil du Trésor, selon M. MacDonald, étaient très stricts sur la question du respect des exigences de procédure, y compris les délais. Il a reconnu en contre-interrogatoire, cependant, que la plaignante lui a dit la date à laquelle elle a présenté le grief et qu'il n'avait aucune raison de douter d'elle sur ce point. Si le grief a effectivement été reçu par le Ministère le 30 novembre 2009, comme le prétendait la plaignante, il était présenté dans les délais prescrits.

V. Argumentation des parties

60 La plaignante affirmait que la préoccupation de la défenderesse quant aux aspects de forme ou de procédure de ses griefs démontrait son approche arbitraire et de mauvaise foi pour la représenter. Toutes ces présumées questions de procédure étaient soulevées par les représentants du SEN, principalement M. MacDonald. Aucune n'a été soulevée par le Ministère. Rien ne prouvait que ces questions de procédure étaient fondées d'une quelconque manière. La manière dont la plaignante a été traitée par son propre syndicat était [traduction] « choquante » et [traduction] « arrogante ». Elle a donné à la défenderesse tous les documents qu'elle avait; pourtant, le SEN continuait de lui demander plus de documents, sans lesquels il ne la représenterait pas. Il s'agit de l'essence même d'une conduite de mauvaise foi de la part d'un agent négociateur.

61 Il était clair, selon les allégations de harcèlement que la plaignante a envoyées au SEN le 29 octobre 2012, que sa plainte de harcèlement allait bien au-delà de la portée de la plainte de harcèlement déposée contre elle, comme M. MacDonald l'a reconnu en contre-interrogatoire. Cependant, M. MacDonald a refusé, au nom du SEN, de la représenter pour son grief visant le harcèlement, au motif fallacieux qu'elle tentait de rouvrir la plainte de harcèlement.

62 Quant à la Déclaration de principes 23 de l'AFPC, la plaignante a affirmé qu'il s'agissait d'une [traduction] « […] infraction institutionnalisée du devoir de représentation équitable ». Aux termes de cette Déclaration, la défenderesse ne devait pas elle-même rendre de décision sur le fond des arguments d'un employé lorsque l'employé est accusé de harcèlement. Il s'agit d'une conduite arbitraire, puisque la décision de représenter l'employé ne tenait, en aucun compte, des faits propres à l'affaire. Il s'agissait également de discrimination, puisque la défenderesse a pris parti et a abandonné un employé à son sort. Le fait que cette Déclaration a été démocratiquement adoptée par la défenderesse ne l'a pas sauvée. Toutes les décisions du SEN dans l'affaire de la plaignante étaient entachées par la Déclaration de principes 23.

63 La plaignante demandait les réparations suivantes :

  1. Une déclaration selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable;
  2. Une déclaration selon laquelle la Déclaration de principes 23 de l'AFPC n'était pas valide et violait le devoir de représentation équitable de la défenderesse;
  3. Une ordonnance selon laquelle la défenderesse aide la plaignante en lui versant des frais d'avocats raisonnables pour l'arbitrage du grief visant la rétrogradation;
  4. Une ordonnance selon laquelle la défenderesse verse une contribution aux frais engagés par la plaignante en lien avec la présente plainte.

64 Au cours des arguments de la plaignante, les décisions et les arrêts suivants ont été mentionnés : Re Vogel, [2006] M.L.B.D. No. 12 (QL); Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354; Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509; Central Park Lodges, [1998] O.L.R.D. No. 3606 (QL); Noël c. Société d'énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207; Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79; Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103; Lavoie, 2012 CCRI 636; Benoit c. Trimble et al., 2014 CRTFP 46; Riley, 2008 CCRI 19; Bristol Aerospace Ltd., [2013] M.L.B.D. No. 48 (QL); Scott, 2014 CCRI 710; et E.P. v. CUPE 500, 2014 CanLII 81077 (MB LB).

65 La défenderesse a affirmé que la plaignante avait la charge de prouver la violation du devoir de représentation équitable. La Commission ne doit pas tenter de dicter à la défenderesse la manière dont elle doit tenir ses affaires. La Commission n'a pas non plus pour rôle d'être un mécanisme d'appel vers lequel les employés auxquels on a refusé la représentation par le Syndicat peuvent se tourner pour obtenir un redressement.

66 La défenderesse a soutenu que, lorsqu'un employé en a accusé un autre de harcèlement, elle ne pouvait pas être mise dans la position de représenter les deux. La Déclaration de principes 23 de l'AFPC a été approuvée et adoptée par les membres pour régler ce dilemme. Une situation semblable s'est posée lorsque deux employés étaient en concours pour le même poste, et, dans Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, la Cour suprême du Canada a expressément indiqué, à la page 1329, que, dans une telle situation, le choix d'un syndicat de soutenir une demande au détriment d'une autre ne pouvait pas faire l'objet d'une objection. La Déclaration de principes 23 respectait entièrement la déclaration de la Cour dans Gendron. Qui plus est, la Déclaration a été démocratiquement adoptée par les membres. La défenderesse n'a pas agi arbitrairement ou de mauvaise foi lorsqu'elle a respecté la Déclaration de principes dans cette affaire.

67 La défenderesse a aussi affirmé que, lorsqu'elle a signé sa carte de membre de l'AFPC, la plaignante a accepté d'être liée par toutes les politiques de l'AFPC, y compris par la Déclaration de principes 23. Dans ces circonstances, elle ne peut pratiquement pas demander à la défenderesse de violer la Déclaration de principes 23 dans son affaire.

68 La défenderesse a affirmé que la plaignante a omis de porter certains faits pertinents à son attention. Si le SEN avait eu une divulgation complète de la plaignante, son approche de sa représentation continue aurait pu être différente. La défenderesse a affirmé que [traduction] « [l]a plaignante n'a pas coopéré pour fournir les renseignements demandés par M. MacDonald ». Des employés ne peuvent pas vraiment alléguer une violation du devoir de représentation équitable lorsqu'ils ont omis de faire un effort sincère pour porter tous les renseignements pertinents à l'attention du Syndicat. La défenderesse a affirmé que [traduction] « [l]e syndicat a fait tout ce qui était en son pouvoir pour représenter la plaignante ».

69 Dans tous les cas, aux dires de la défenderesse, le SEN n'a pas refusé de continuer de représenter la plaignante. Le Ministère a parlé au SEN de ses objections de nature procédurales à ces griefs et le SEN a pris une décision raisonnable, compte tenu de son expérience, de ne pas poursuivre l'affaire tant que les objections étaient en suspens. La plaignante a alors choisi de poursuivre par elle-même. La défenderesse a affirmé que [traduction] « [s]es choix ne sont pas la responsabilité du syndicat ». Puisqu'elle n'a pas invité la défenderesse à la représenter à la réunion au troisième palier ou à l'arbitrage, il serait extraordinaire, poursuit la défenderesse, qu'elle reçoive l'ordre de payer un avocat pour la représenter en arbitrage.

70 En ce qui concerne la demande de la plaignante concernant ses frais pour cette plainte, il a été maintenu que les frais ne peuvent pas être octroyés aux termes de la LRTFP – voir Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218 (appel rejeté pour d'autres questions : 2012 CAF 270).

71 La défenderesse a affirmé que, si la Commission devait décider qu'il y a eu violation du devoir de représentation équitable, la seule réparation possible serait de renvoyer le dossier à la défenderesse pour que sa section des griefs et de l'arbitrage évalue si elle soutient l'arbitrage du grief.

72 La défenderesse a cité les autres cas suivants : Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28; Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32; Gagnon.

VI. Argumentation supplémentaire

73 À la clôture des arguments des parties, je leur ai demandé de soumettre des arguments sur une autre affaire, qui n'a pas été complètement traitée. J'ai expliqué que le devoir de représentation équitable avait à l'origine été précisé par les tribunaux afin de s'assurer qu'un agent négociateur n'abuserait pas de ses pouvoirs exclusifs pour représenter ses membres dans des arbitrages de griefs. Selon les premières affaires, il semblait vraisemblable que, si les employés avaient le pouvoir de présenter des griefs en arbitrage, sans le soutien de leur agent négociateur, les tribunaux n'auraient pas jugé utile de développer cet aspect du devoir de représentation équitable. Selon l'article 208 de la LRTFP, cependant, les fonctionnaires ont le droit de présenter un grief en arbitrage (sauf s'ils ont trait aux dispositions d'une convention collective ou d'une décision arbitrale). J'ai attiré l'attention des parties sur l'article 187 de la LRTFP, qui ne présente aucune restriction formelle aux paramètres du devoir de représentation équitable. J'ai aussi attiré leur attention sur l'alinéa 192(1)d) de la LRTFP, qui porte sur les réparations associées aux violations du devoir de représentation équitable, selon lequel il est évident que la Commission peut accorder des réparations même lorsque l'employé était autorisé à prendre des mesures sans le soutien du Syndicat. Dans ces circonstances, j'ai demandé des arguments sur les questions suivantes : a) si, dans sa décision, la Commission (ou l'ancienne Commission) a présenté des directives sur le devoir prévu par la législation qu'ont les organisations syndicales de représenter des plaignants dans des affaires pour lesquelles le soutien des organisations syndicales n'était pas requis; b) en l'absence de telles directives, quelle position la Commission devrait-elle adopter sur la question?

74 Selon la défenderesse, la Commission n'a pas déjà adopté de position à l'égard du sujet visé. Elle a affirmé que la Commission devrait estimer que, lorsqu'un plaignant n'est pas d'accord avec le syndicat au sujet de la poursuite d'un grief et qu'il l'a présenté sans représentation du syndicat, rien ne permet d'imposer une obligation de représentation équitable au Syndicat. La Commission devrait [traduction] « […] proportionnellement retirer le devoir imposé aux syndicats » dans les situations où l'employé avait le pouvoir de présenter un grief sans représentation du Syndicat. Comme autre argument, la défenderesse a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…] [à] tout le moins, dans des situations où les agents négociateurs n'ont pas l'obligation dans le cadre de leur mandat prescrit par la loi de représenter les employés, et lorsque les employés ont le choix de se représenter eux-mêmes, le devoir de représentation équitable devrait être proportionnellement réduit. […]

Les agents négociateurs ne devraient pas avoir d'obligations lorsque les employés ont choisi de se représenter eux-mêmes. La défenderesse a cité les cas suivants : Lopez v. C.U.P.E., [1989] O.L.R.B. Rep. May 464; Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada et autres, 2008 CRTFP 3; Kraniauskas c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al., 2008 CRTFP 27; Brown c. Syndicat des employés du Solliciteur général et Edmunds, 2013 CRTFP 48; Sahota et al. c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 114; Bracciale c. Alliance de la Fonction Publique du Canada (Syndicat des employé(e)s de l'impôt, section locale 00048), 2000 CRTFP 88; Shutiak et al. c. Syndicat des employé(e)s de l'impôt– Betty Bannon, présidente nationale, 2008 CRTFP 103.

75 Selon la plaignante, l'ancienne Commission avait déclaré, dans Elliott, que le devoir de représentation équitable s'appliquait aux griefs qu'un employé pouvait effectuer sans le soutien de l'agent négociateur si les griefs étaient liés à un aspect de la relation d'emploi visée par la LRTFP. En particulier, l'ancienne Commission avait indiqué dans cette décision que les griefs liés aux affaires disciplinaires provenaient de cette catégorie. Dans Brown, l'ancienne Commission a suivi l'opinion présentée dans Elliott. La plaignante a affirmé qu'il y avait des raisons de principe convaincantes à cette conclusion, qui était aussi conforme à la formulation de la LRTFP. De plus, si l'obligation de représentation équitable ne s'appliquait pas aux représentations pour les griefs que les employés peuvent présenter sans le soutien de leur syndicat, l'agent négociateur serait libéré de la norme de représentation contenue dans l'article 187 de la LRTFP s'il choisit de les représenter, ce qui serait un résultat illogique qui pourrait à peine avoir été voulu par le législateur.

VII. Motifs de décision

A. Portée du devoir de représentation équitable

76 La première affaire que je veux traiter est la portée du devoir de représentation équitable aux termes de la LRTFP, en particulier en ce qui a trait aux griefs qu'un employé a le droit de présenter conformément à l'article 208, sans le soutien de l'agent négociateur.

77 Dans Elliott, l'employé se plaignait de la représentation qu'il a reçue de son agent négociateur en lien avec une demande de prestation en vertu de la législation provinciale des accidents du travail. L'organisation syndicale affirmait que le devoir de représentation équitable ne s'appliquait aucunement aux demandes de ce genre. L'ancienne Commission, après avoir examiné les origines du devoir de représentation équitable, a conclu que la LRTFP ne s'appliquait à aucun des aspects de la relation qui n'étaient pas visés par la LRTFP, telle la demande de prestations d'accidents du travail en litige dans cette affaire. Cependant, même si l'affaire n'avaitpas trait aux griefs, l'ancienne Commission s'est dite d'avis que l'obligation s'appliquait aux griefs, même lorsque les employés n'avaient pas besoin du soutien de leur agent négociateur. Voici ce que l'ancienne Commission a écrit (aux paragraphes 184 à 187) :

184 Tout comme dans le secteur privé, la LRTFP accorde aux syndicats des pouvoirs de représentation importants. Par exemple, un agent négociateur accrédité en vertu de la LRTFP a le droit exclusif de négocier pour les membres de son unité (alinéa 67a)). Un fonctionnaire ne peut présenter un grief individuel relatif à l'interprétation ou à l'application d'une disposition d'une convention collective à moins d'avoir l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation et d'être représenté par lui (paragraphe 208(4)). D'après moi, le devoir de représentation juste s'applique à ces questions, car elles sont énoncées dans la LRTFP et concernent la relation des fonctionnaires avec leur employeur. De plus, à la lumière de la genèse du devoir de représentation juste, le fait que le syndicat a des droits de représentation exclusifs dans la négociation d'une convention collective et des droits d'approbation exclusifs à l'égard de ces griefs étaye encore plus la conclusion selon laquelle le devoir de représentation juste s'applique à ces questions.

185 Toutefois, le devoir de représentation juste dans la fonction publique fédérale n'est pas entièrement basé, comme dans le secteur privé, sur le caractère exclusif de la représentation syndicale. Par exemple, à mon avis (et c'est un obiter dictum, car je n'ai pas à trancher cette question), ce devoir s'appliquerait aux griefs liés à une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la Loi, bien que l'agent négociateur n'ait aucun droit de veto à l'égard de ces griefs. Le fonctionnaire n'a pas besoin de l'approbation du syndicat pour présenter son grief à l'employeur et il peut se représenter lui-même ou choisir qui il veut comme représentant. Là encore, d'après moi, le devoir de représentation juste couvre ces types de griefs, car ceux-ci, comme je l'ai expliqué précédemment, se rapportent à un aspect de la relation employeur-employés qui est régie par la LRTFP. Dans ces affaires, le syndicat doit, à mon avis, agir d'une manière conforme à l'article 187 de la LRTFP.

186 Je ne suis au courant d'aucun cas qui traite de la question de savoir si le devoir de représentation juste s'applique aux affaires de nature disciplinaire, mais la Commission a en fait dans le passé appliqué à des affaires de cet ordre le devoir de représentation juste. Par exemple, la décision Pavlik c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-02-792 (19970324), ainsi que la décision Ruda c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-02-821 (19971007), traitaient de congédiement de nature disciplinaire et, dans les deux cas, l'ancienne CRTFP a examiné la question de savoir si le devoir de représentation juste avait été violé par le syndicat étant donné la manière dont ce dernier avait représenté, à l'étape de l'arbitrage, le fonctionnaire s'estimant lésé.

187 On ne peut dire que la portée du devoir de représentation juste que prévoit la LRTFP se limite aux questions de convention collective comme dans le secteur privé. Comme je l'ai expliqué ci-dessus, le devoir de représentation juste s'applique d'après moi à l'arbitrage de questions disciplinaires en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la Loi, quoique ces questions ne soient pas habituellement traitées dans les conventions collectives de la fonction publique fédérale parce qu'elles sont visées à la LRTFP elle-même. Voilà la raison pour laquelle, à mon avis, l'article 187 ne renvoie pas à la convention collective. Si tel avait été le cas, cela aurait empêché que le devoir de représentation juste s'applique dans les affaires d'ordre disciplinaire.

78 Dans Brown, l'ancienne Commission a accepté le raisonnement précisé dans Elliott afin de soutenir sa conclusion selon laquelle le devoir de représentation équitable ne s'étendait pas à la représentation d'employés qui ont déposé une plainte devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13). Voir aussi Lai c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 33; Ouellet c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2007 CRTFP 112; Tran v. Professional Institute of the Public Service of Canada, 2014 CRTFP 71. (La Commission a récemment appliqué cette série de décisions dans Abeysuriya c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 26).

79 Comme l'ancienne Commission l'a remarqué au paragraphe 186 de Elliott, dans le passé, elle a examiné la possible infraction au devoir de représentation équitable en lien avec les griefs de rétrogradation sans décider d'abord si l'obligation pouvait en principe, s'appliquer à de tels griefs.

80 Même si l'ancienne Commission a soutenu, dans Elliott, que la volonté des législateurs ne pouvait pas être que l'article 187 de la LRTFP s'applique aux affaires qui ne sont pas visées par la LRTFP, les commentaires faits dans cette affaire au sujet des griefs disciplinaires n'étaient clairement pas nécessaires à la décision (comme l'ancienne Commission l'a elle-même indiquée), puisque cette affaire n'avait pas du tout trait aux griefs. De plus, les décisions citées par l'ancienne Commission dans Elliott, au paragraphe 186, ne tranchaient pas l'application de l'article 187 de la LRTFP au grief disciplinaire, mais supposaient simplement qu'elle s'appliquait. Dans ces circonstances, j'approche cette question en l'espèce en considérant qu'il s'agit d'une question sur laquelle l'ancienne Commission ne s'est pas prononcée et que la Commission n'a pas encore tranchée.

81 Selon ma lecture de l'alinéa 192(1)d) de la LRTFP, citée plus tôt dans la présente décision, il semble que les législateurs voulaient que le devoir de représentation équitable s'applique aussi à certaines affaires que les employés peuvent présenter sans l'approbation de leur agent négociateur. Cette disposition autorise la Commission, dans le cas d'une infraction à l'article 187, à ordonner à une organisation syndicale « […] d'exercer, au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, selon elle, il aurait dû exercer ou d'aider le fonctionnaire à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire […] ». Conformément à cette disposition, il existait donc des procédures qu'un employé avait le droit d'exercer sans l'aide de l'organisation syndicale, mais que l'organisation syndicale aurait dû exercer « au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, […] il aurait dû exercer ou d'aider le fonctionnaire à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire ».

82 La question la plus difficile est de cerner les procédures auxquelles renvoie l'alinéa 192(1)d) que l'organisation syndicale aurait dû exercer « au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, […] il aurait dû exercer » ou elle aurait dû « aider le fonctionnaire à les exercer lui-même […] ». Je doute que les législateurs aient voulu que la Commission déclare de façon prospective que certaines catégories de procédures étaient celles pour lesquelles les organisations syndicales avaient un devoir prévu par l'article 187, de représenter les employés. Plutôt, à mon avis, ils attendaient vraisemblablement de la Commission qu'elle examine les faits sous-jacents à toute plainte afin de voir si, rétrospectivement, il était raisonnable d'imposer à l'organisation syndicale les normes de l'article 187. Je fonde cette conclusion sur les déductions auxquelles donne lieu la formulation de la disposition. En particulier, si le législateur avait voulu que le devoir de représentation équitable s'applique à certaines catégories de procédures, je me serais attendu à en trouver une liste dans la LRTFP. À mon avis, la Commission doit donc tenir compte de chaque plainte sur le fond lorsqu'elle détermine si l'organisation syndicale « aurait dû » agir pour aider le fonctionnaire.

83 Je dois donc porter mon attention sur les deux griefs de la plaignante, qu'il serait approprié d'examiner séparément.

B. Grief visant la rétrogradation

84 En ce qui concerne le grief visant la rétrogradation, je remarque les faits suivants :

  • La rétrogradation constituait une sanction pécuniaire importante pour la plaignante, soit d'environ 19 000 $ par année, en plus d'être un grand recul pour sa carrière et a donné lieu à de l'humiliation et du stress, ce qui a fait en sorte qu'elle a quitté son travail durant près de deux ans et demi.
  • La plaignante a suivi le conseil des agents du SEN lorsqu'elle a ébauché son grief, y compris pour l'ajout du nom de M. MacDonald à titre de représentant.
  • Le grief a été présenté au Ministère le 30 novembre 2009. Conformément à la pratique habituelle, la plaignante aurait dû demander une copie de la formule de grief comprenant la signature de la direction et la date de réception. Cependant, les fonctionnaires du Ministère n'en ont pas signé de copie ni ne l'ont daté.
  • Même s'il y a eu quelques discussions entre M. MacDonald et le Ministère, au sujet du traitement du grief, en particulier sur de possibles vices de procédure et sur sa transmission effective au troisième palier, le Ministère n'a jamais adopté la position qu'il était en défaut d'une quelconque manière.
  • M. MacDonald a indiqué ce qui suit dans son courriel du 29 novembre 2012 :

    [Traduction]

    Par conséquent, pour que le Syndicat puisse continuer de vous représenter, avant d'aller plus loin, le Syndicat devra procéder à la validation du fait que vos griefs ont été dûment signés et correctement produits auprès de votre employeur et [sic] ont été rapidement produits.

  • Il s'agissait de la première fois qu'il lui demandait précisément cette validation, même s'il avait précédemment mentionné de possibles problèmes soulevés par l'absence d'une formule correctement approuvée.
  • La défenderesse avait informé la plaignante, le 26 novembre 2012, qu'elle la représenterait sur la question du « quantum » de la mesure disciplinaire, mais qu'il ne pouvait pas la représenter quant à savoir si certaines mesures disciplinaires avaient un motif valable. Cette position reposait sur la Déclaration de principes 23 de l'AFPC sur la représentation des employés accusés de harcèlement. C'était la première fois que le syndicat attirait son attention sur la Déclaration de principes 23 ou lui disait que la représentation serait limitée au « quantum ».
  • La plaignante a interprété le courriel du 29 novembre en tant que refus de continuer à la représenter. Elle a cessé toute communication avec la défenderesse, mis à part un courriel qu'elle a envoyé le 5 décembre et qui indiquait « Honte à vous ».

85 Comme cela a éventuellement été reconnu dans le témoignage des témoins de la défenderesse et dans les arguments de la défenderesse, aucun des vices de forme ou de procédure mentionnés par M. MacDonald n'aurait empêché le traitement du grief sur le fond à l'arbitrage (ou au troisième palier). Comme toute personne prenant part aux procédures de règlement des griefs devrait bien le savoir, les tribunaux ont soutenu à plusieurs reprises que les arbitres de différends (et les arbitres de grief) doivent s'engager à régler les griefs sur le fond et que l'on devrait éviter de donner priorité aux questions de forme ou de procédure : voir, par exemple, Galloway Lumber Co. Ltd. v. Labour Relations Board of British Columbia, [1965] S.C.R. 222; Blouin Drywall Contractors Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 2486 (1975), 57 D.L.R. (3e) 199 (Ont. C.A.); Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157. De plus, à l'article 241 de la LRTFP, le législateur a précisément limité les répercussions des irrégularités techniques (voir, par exemple, Martel et Carroll c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada),2007 CRTFP 35; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d'inspection des aliments,2008 CRTFP 78; Association des juristes du ministère de la Justice c. Conseil du Trésor,2009 CRTFP 20; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2009 CRTFP 23; Perron c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada),2013 CRTFP 109). Je remarque aussi que M. Picciano a indiqué dans son témoignage que le SEN comptait des avocats dans son personnel pour conseiller et représenter les employés. Dans ces circonstances, il est difficile de savoir si, à partir de la preuve, M. MacDonald croyait honnêtement, en novembre 2012, que les vices étaient possiblement fatals ou s'il faisait preuve d'un excès de bureaucratie en insistant pour mettre les points sur les « i » et les barres aux « t » avant de demander une réunion au troisième palier pour le grief.

86 Cependant, malgré le zèle de M. MacDonald pour régler toutes les irrégularités de procédure possibles, même si elles n'avaient possiblement aucun effet envisageable sur la compétence d'un arbitre de grief, la demande qu'il a faite dans son courriel du 29 novembre 2012, bien que non pertinente, était simple. Tout ce qu'il demandait était [traduction] « […] la validation du fait que vos griefs ont été dûment signés et correctement produits auprès de votre employeur et [sic] ont été rapidement produits ». Contrairement aux observations dans les arguments de la plaignante, le courriel, à mon avis, ne confirme pas l'interprétation que la défenderesse insistait pour obtenir des documents que la plaignante n'avait pas. Sa demande de « valider » n'était pas une insistance pour obtenir des documents précis de la plaignante. Une telle « validation » pouvait se présenter sous bon nombre de formes. Même si je peux complètement comprendre que la plaignante ait pu être exaspérée par le ton pessimiste, antagoniste et bureaucratique adopté par M. MacDonald dans ce courriel après qu'il a apparemment été son représentant durant trois ans, je suis non seulement convaincu qu'il n'avait aucune intention de refuser de continuer à la représenter pour son grief visant la rétrogradation, mais aussi que le courriel ne peut pas raisonnablement être interprété comme un refus de continuer de la représenter.

87 Les deux parties ont abordé cette plainte en considérant que la plaignante a rompu toute communication avec la défenderesse pour deux motifs, à savoir l'hypothétique objection procédurale aux griefs de M. MacDonald et la Déclaration de principes 23 de la défenderesse, même si le fait que cette dernière question a été soulevée dans le courriel du 26 novembre 2012 n'a pas suscité d'opposition immédiate de la plaignante. Dans son courriel du 26 novembre 2012, M. MacDonald lui a dit pour la première fois que, compte tenu de la Déclaration de principes 23 de l'AFPC, son mandat serait limité à demander une réduction du quantum de la mesure disciplinaire qui lui serait imposée. En d'autres mots, en tant que représentant de la plaignante, il serait empêché de contester la conclusion du Ministère selon laquelle elle était coupable d'avoir harcelé l'autre employée, mais ferait valoir qu'une rétrogradation permanente qui donne lieu à une réduction de sa rémunération annuelle de 19 000 $ était excessive.

88 M. MacDonald (en respectant la Déclaration de principes) a donc établi une distinction entre, d'un côté, la décision du Ministère selon laquelle la plaignante a harcelé l'autre employée et, de l'autre côté, sa décision de la rétrograder. La défenderesse était seulement prête à la représenter sur cette dernière question. Je doute que cette distinction soit viable. La stratégie évidente et naturelle pour tout représentant syndical qui demande la réduction d'une sanction disciplinaire est de tenter de minimiser la gravité de l'infraction en raison de laquelle l'employé a fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Je ne comprends pas la manière dont un syndicat peut faire un travail consciencieux pour convaincre un arbitre de grief qu'une rétrogradation permanente était excessive sans examiner en profondeur les allégations de harcèlement et, presque certainement, sans contester, le récit de la personne ayant déposé une plainte. Cependant, puisque je n'ai entendu aucun argument sur cette question précise, je n'ai pas l'intention de l'examiner plus en profondeur.

89 La Déclaration de principes 23 de l'AFPC a été conçue pour définir l'approche de la défenderesse en lien avec le harcèlement, en particulier dans des situations où un seul employé en a accusé un autre de harcèlement. La principale préoccupation de l'AFPC, selon les témoins cités en son nom et conformément à ses arguments, était d'éviter de devoir représenter à la fois l'accusatrice et l'accusée lorsqu'une plainte de harcèlement est faite. L'autre préoccupation implicite dans la Déclaration de principes était que défendre un employé accusé de harcèlement pouvait être perçu comme une tolérance du harcèlement au lieu de travail.

90 Même si aucune partie n'y a fait référence, je remarque que, conformément aux questions-réponses qui accompagnent la Déclaration de principes, la défenderesse, lorsqu'elle représente un employé auquel on a imposé des mesures disciplinaires après une plainte de harcèlement, est sensée « […] [examiner] si les sanctions disciplinaires imposées étaient justifiées […] ». M. MacDonald et le SEN, cependant, ont adopté la position selon laquelle, puisque la plaignante a été accusée de harcèlement, la Déclaration de principes l'empêchait de la représenter pour d'autres affaires que le quantum de la mesure disciplinaire. Cette position était acceptée dans les arguments de la défenderesse. Cette affirmation des questions-réponses semble être en contradiction avec d'autres parties de la Déclaration de principes. Dans ces circonstances, et en l'absence d'arguments sur cette question, je n'attacherai aucune importance à l'affirmation en question.

91 Dans ses arguments, la défenderesse a soutenu, entre autres choses, que, dans Gendron, la Cour suprême du Canada a accepté le fait que le devoir de représentation équitable permet à un agent négociateur de favoriser les intérêts d'un employé au détriment d'un autre, qui est ce que prévoit la Déclaration de principes 23 en rejetant la représentation d'un employé accusé de harcèlement en garantissant une représentation à l'employé qui affirme avoir été harcelé.

92 L'affaire Gendron portait sur un concours pour un poste dans lequel le candidat retenu s'est opposé à la représentation de trois candidats non retenus par l'agent négociateur. Aux pages 1328-1329, la Cour s'est prononcée en ces termes :

[…] Comme l'indique la présente situation, un syndicat doit, dans certaines circonstances, faire un choix entre des intérêts opposés pour résoudre un différend. En l'espèce, le choix du syndicat était clair en raison de l'erreur manifeste commise dans le processus de sélection. Le syndicat n'avait d'autre choix que d'adopter la position qui serait conforme à l'interprétation appropriée de la convention collective. Lorsque les employés ont des intérêts opposés, le syndicat peut choisir de défendre un ensemble d'intérêts au détriment d'un autre pourvu que sa décision ne découle pas des motifs irréguliers décrits précédemment et pourvu qu'il examine tous les facteurs pertinents. Le choix de présenter une demande plutôt qu'une autre ne peut en soi faire l'objet d'une objection. Ce sont plutôt les motifs sous-jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l'objet d'une objection.

93 L'arrêt Gendron, à mon avis, ne soutient aucunement la Déclaration de principes 23 de l'AFPC. Selon la Cour, un agent négociateur peut choisir de représenter les intérêts d'un employé plutôt qu'un autre, seulement s'il « […] examine tous les facteurs pertinents ». Dans le contexte en l'espèce, le facteur le plus pertinent est de déterminer s'il y a eu harcèlement. Pourtant, la Déclaration de principes 23 indique simplement que la représentation est refusée (sauf pour la question du quantum) à un employé contre lequel une allégation a été déposée sans qu'il soit nécessaire d'évaluer la validité ou la véracité de l'allégation de harcèlement.

94 Je suis en accord avec la plaignante lorsqu'elle affirme que cette Déclaration de principes est arbitraire puisque la question de savoir si la défenderesse représentera les intérêts d'un employé dépend d'un facteur non pertinent, à savoir si une plainte de harcèlement a été déposée contre cet employé. À mon avis, refuser de représenter un employé faussement accusé de harcèlement tout en représentant l'accusatrice, un résultat auquel peut facilement mener la Déclaration de principes 23, ne servirait aucune fin légitime du syndicat et ne serait pas sauvé par le raisonnement présenté dans l'arrêt Gendron. Contrairement aux propositions de la Déclaration de principes, représenter un employé accusé de harcèlement ne démontre pas plus de tolérance du harcèlement que la représentation d'un employé accusé de voies de fait ou de vol. La défenderesse n'a fait aucune tentative pour expliquer ou justifier sa croyance selon laquelle représenter un employé accusé de harcèlement serait une atteinte, ou serait considéré comme une atteinte, à son engagement envers un lieu de travail sans harcèlement.

95 La défenderesse a également affirmé que la Déclaration de principes 23, puisqu'elle a été démocratiquement adoptée pour réglementer la manière dont elle menait ses affaires, devait être remise en question par la Commission. Dans Bremsak, l'ancienne Commission a rejeté l'argument selon lequel elle devrait s'en remettre aux politiques du syndicat pour décider si la LRTFP a été violée. La politique du syndicat que l'ancienne Commission avait examiné dans cette affaire prévoyait qu'un membre qui avait renvoyé une affaire à une procédure externe sur une question syndicale interne serait suspendu de tout poste auquel il a été élu jusqu'au règlement de la procédure externe. Dans cette affaire, l'employée, qui avait déposé une plainte auprès de l'ancienne Commission contre son syndicat, a été suspendue du poste auquel elle a été élue conformément à la politique du syndicat. Elle a alors déposé une autre plainte à l'ancienne Commission, pour alléguer que sa suspension était en violation du sous-alinéa 188e)(ii) de la LRTFP, qui interdit toute discrimination contre un fonctionnaire en raison du dépôt d'une plainte en vertu de la LRTFP. L'ancienne Commission a conclu que, même si la situation n'était pas simple, la politique du Syndicat manquait de « pondération » et était « trop étendue ». La Commission a maintenu que le syndicat s'était livré à une pratique déloyale de travail en appliquant sa politique. Ce que la Commission a écrit à ce sujet est ainsi formulé (au paragraphe 117) :

Je reconnais que tout cela est complexe, mais je suis néanmoins incapable d'admettre que, chaque fois qu'un membre élu présente une demande à un organisme extérieur, une suspension doit lui être imposée ou que la suspension doit s'appliquer à toutes les fonctions du poste en question. Un critère quelconque de proportionnalité est nécessaire, selon moi, afin de pondérer les divers facteurs en cause, de manière à ce que les intérêts légitimes de l'agent négociateur soient protégés et à ce que les actes préjudiciables d'un dirigeant élu ne nuisent pas à ces intérêts. Je ne trouve malheureusement aucun critère de ce genre dans la politique en litige et je constate que sa portée est beaucoup trop étendue. […]

96 En ce qui concerne l'argument de la défenderesse selon lequel, lorsque la plaignante a signé sa carte de membre, elle était liée au respect de la Déclaration de principes 23 et ne pouvait pas demander à la Commission d'y contrevenir, je remarquerai simplement que, de manière générale, les parties n'ont pas la liberté de se soustraire à leurs obligations prévues par la LRTFP.

97 Pour ces raisons, je conclus par conséquent que la défenderesse a agi de manière arbitraire lorsqu'elle a refusé de représenter la plaignante pour son grief relatif à sa rétrogradation pour toute autre chose que le quantum de la mesure disciplinaire.

C. Grief visant le harcèlement

98 Le grief visant le harcèlement a été préparé et présenté à l'employeur en même temps que le grief visant la rétrogradation. Dans son courriel du 29 novembre 2012, M. MacDonald a indiqué dans les termes suivants que la défenderesse ne représenterait pas la plaignante pour le grief visant le harcèlement.

[Traduction]

De plus, lors de l'examen initial des documents fournis au Syndicat le 29 octobre 2012 et puisque, la plupart des documents, sinon tous, semblent liés aux événements qui ont mené à la procédure de plainte de harcèlement initiée par un autre membre du SEN où vous étiez nommée la « défenderesse » et où vous étiez accusée d'être la « harceleuse » et qui se sont produits durant cette procédure. Cette procédure a depuis été conclue et il a été jugé que les allégations portées contre vous étaient « fondées ». Vous avez amplement eu l'occasion de faire part de toute préoccupation ou de toute opinion que vous aviez durant le traitement de cette plainte. Les affaires résiduelles consécutives à cette plainte viennent tout juste d'être complétées. Le syndicat ne prendra pas part à la réouverture de cette affaire. Par conséquent, nous ne vous représenterons pas à cet égard.

99 M. MacDonald a reconnu en contre-interrogatoire qu'il a commis une erreur lorsqu'il a soutenu que le grief visant le harcèlement était simplement une [traduction] « reprise » de la position adoptée par la plaignante lorsqu'elle a été la cible de plainte de harcèlement en février 2009. Il semblerait donc que, lorsqu'il a écrit son courriel du 29 novembre 2012, il a omis de lire ou, peut-être, de comprendre entièrement, les allégations que la plaignante lui a transmises le 29 octobre 2012. La réalité, comme il l'a reconnu durant son contre-interrogatoire, était que les allégations allaient bien au-delà des questions traitées dans la plainte de harcèlement et portaient principalement sur le harcèlement de la plaignante par la direction.

100 Ainsi, même si la Déclaration de principes 23 était la raison donnée par la défenderesse pour refuser de représenter la plaignante pour sa plainte visant le harcèlement, la Déclaration de principes n'avait pas, ou peu, de choses en commun avec la plainte de harcèlement. La raison réelle du refus était la croyance erronée de M. MacDonald sur la nature de ces griefs.

101 Il a été jugé de nombreuses fois que l'obligation de représentation équitable n'impose pas aux organisations syndicales de norme de compétence pour la représentation d'employés pour les griefs. Elles doivent avoir droit à une marge d'erreur large. Cependant, je ne connais aucune affaire dans laquelle le manquement d'une organisation syndicale à lire ou à comprendre des documents simples en sa possession, qui a causé son refus de représenter un employé, était considéré comme faisant partie de cette marge d'erreur.

102 Par conséquent, je suis convaincu que la défenderesse a agi de manière arbitraire lorsqu'elle a informé la plaignante trois ans après que l'affaire a été portée à son attention qu'elle ne représenterait pas la plaignante pour son grief visant le harcèlement.

D. Conclusions et réparations

103 Ayant conclu que la défenderesse a agi de manière arbitraire lorsqu'elle a limité la portée de sa représentation de la plaignante pour le grief visant la rétrogradation et lorsqu'elle a refusé de la représenter pour son grief visant le harcèlement, je dois déterminer si une quelconque réparation existe pour la plaignante, en sus d'une déclaration selon laquelle la défenderesse a violé l'article 187 de la LRTFP, étant donné qu'elle ne dépendait pas législativement de la représentation de la défenderesse et était libre de présenter les deux griefs sans le soutien de la défenderesse.

104 Concernant le grief visant la rétrogradation, je suis convaincu que la plaignante a droit à une réparation de nature compensatoire. Sans me prononcer sur le besoin que de tels facteurs soient présents en tant que condition pour accorder une telle réparation, j'estime que trois éléments dans cette affaire militent en faveur de ce résultat.

105 Premièrement, la plaignante avait à l'origine consulté la défenderesse au sujet de ce grief en novembre 2009, immédiatement après que la sanction lui a été imposée. La défenderesse l'a conseillée sur la présentation d'un grief et a accepté de la représenter. La défenderesse n'a pas mentionné qu'elle représenterait la plaignante seulement sur le « quantum » de la mesure disciplinaire avant le 26 novembre 2012, trois ans plus tard, malgré de nombreuses communications entre-temps entre la plaignante et M. MacDonald. Si la plaignante avait été informée en novembre 2009 des paramètres très étroits de la représentation qu'elle recevrait de la défenderesse, elle aurait pu poursuivre d'autres possibilités. Elle aurait pu, par exemple, avoir eu recours aux services d'un avocat rapidement en novembre 2009, ce qui lui aurait, sans aucun doute, permis d'avoir une audience d'arbitrage mise au rôle bien avant avril 2015. La défenderesse lui a permis de croire durant trois ans qu'elle lui fournirait une représentation complète de ses intérêts. L'attente ainsi créée est qu'elle a droit à une certaine protection. À mon avis, cette caractéristique de l'affaire suggère fortement que la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une réparation à la plaignante.

106 Deuxièmement, la rétrogradation permanente de la plaignante, qui a donné lieu à une réduction de sa rémunération de 19 000 $, était évidemment une sanction très grave. À mon avis, cela aussi suggère que l'arbitrage du grief de la plaignante est quelque chose que la défenderesse aurait dû « […] exercer, au nom du fonctionnaire […] » (pour citer l'alinéa 192(1)d) de la LRTFP).

107 Troisièmement, je remarque que les rétrogradations disciplinaires ont seulement été introduites dans ce secteur en 2003, lorsque la LRTFP a été adoptée. Avant cette adoption, la rétrogradation dans la fonction publique était uniquement possible en raison d'incompétence ou d'incapacité (aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33]). Il y a eu relativement peu de décisions d'arbitrages aux termes de la LRTFP qui portaient sur ce type de sanction disciplinaire. Dans ces circonstances, la décision sur l'arbitrage du grief visant la rétrogradation de la plaignante pouvait bien avoir une grande valeur de précédent, avec des implications qui s'étendent bien au-delà de son affaire individuelle. Cela suggère aussi, à mon avis, que la défenderesse, avec sa responsabilité de représenter tellement d'employés de ce secteur, aurait dû agir au nom de la plaignante.

108 La défenderesse a confirmé que, si je constatais une violation de l'article 187 de la LRTFP, la seule réparation que je pourrais envisager d'accorder serait un renvoi du grief à la section des griefs et de l'arbitrage de l'AFPC pour qu'elle évalue si l'AFPC devrait soutenir la plaignante à l'arbitrage. À mon avis, une telle ordonnance, même si elle est possiblement appropriée dans certains cas de violation de l'article 187, serait plutôt inadéquate en l'espèce. Nous pouvons supposer que la section des griefs et de l'arbitrage de l'AFPC, étant constitutionnellement tenue de respecter la Déclaration de principes 23, accepterait, tout au plus, de représenter la plaignante à l'égard de la sanction qui lui a été imposée en raison des allégations de harcèlement. La question plus large de savoir si elle a en fait harcelé l'autre employée serait presque certainement au-delà de ce que la défenderesse présenterait à l'arbitrage, compte tenu de la Déclaration de principes 23. Cependant, comme je l'ai conclu, la Déclaration de principes est au cœur même de la violation de l'article 187. La réparation suggérée par la défenderesse en l'espèce serait par conséquent illusoire et inadéquate.

109 À mon avis, la réparation appropriée (en plus d'une déclaration selon laquelle la défenderesse a violé l'article 187) serait une ordonnance selon laquelle la défenderesse doit verser à la plaignante ses frais d'avocats et des indemnités raisonnables pour l'arbitrage du grief, de la manière convenue entre les parties. Si aucune entente n'est convenue, les parties peuvent déposer des arguments écrits à cet égard auprès de la Commission et la Commission rendra sa décision. Même en l'absence d'objection à la compétence de la Commission de rendre une telle décision, je dois indiquer que je suis convaincu que la compétence de la Commission, aux termes du paragraphe 192(1) de le LRTFP, de pouvoir « […] rendre à l'égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu'elle estime indiquée dans les circonstances […] » est suffisamment large pour viser cette réparation : voir Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 124, au paragr. 29, reproduit en partie ci-dessous :

[…] le mot « notamment » du paragraphe 192(1) de la Loi sert à introduire ou à « noter » les mesures particulières adaptées à diverses contraventions de la Loi. Il ne doit cependant pas être compris comme limitant les pouvoirs de la Commission d'ordonner d'autres mesures, pourvu que ces mesures aient un lien logique avec la contravention commise.

Cette ordonnance de réparation est logiquement rattachée à l'infraction commise en l'espèce. Dans Riley, 2008 CCRI 419 (demande de contrôle judiciaire rejetée, sub nomine Amalgamated Transit Union, Section locale 1374 c. Certains employés de Greyhound Canada Transportation Corporation, 2010 CAF 11), mentionnée dans les arguments de la plaignante, le Conseil canadien des relations industrielles a jugé que ses pouvoirs de redressement pour une plainte de cette nature s'étendaient à ordonner à un agent négociateur de payer des frais d'avocats et des indemnités raisonnables des plaignants qui ont fait appel aux services d'un avocat pour les représenter dans une procédure d'arbitrage des différends.

110 En ce qui concerne le grief de harcèlement, j'ai pris acte de mon avis selon lequel la défenderesse a agi de manière arbitraire lorsqu'elle a refusé de la représenter. Le grief contre le harcèlement, cependant, ne peut pas être renvoyé en arbitrage et la plaignante n'a demandé aucune réparation précise relativement au refus de la défenderesse au-delà d'une déclaration selon laquelle le refus était en violation de l'article 187. Une déclaration à cet effet sera formulée.

111 La plaignante a aussi demandé le remboursement de ses dépens concernant la plainte. Je suis convaincu, conformément à la décision Robitaille, que je n'ai aucune compétence pour adjuger des dépens de la présente plainte.

112 Je dois ajouter que ce ne serait pas approprié, dans le cadre de la présente plainte relative à l'article 187, que la Commission déclare la Déclaration de principes 23 de l'AFPC invalide, comme la plaignante l'a demandé.

113 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

114 La plainte est accueillie. Je déclare que la défenderesse a violé l'article 187 de la LRTFP. J'ordonne à la défenderesse d'indemniser la plaignante en lui versant ses dépens et des indemnités raisonnables pour l'arbitrage du grief visant la rétrogradation, de la manière convenue entre les parties. Si aucune entente n'est convenue, les parties peuvent déposer des arguments écrits à cet égard auprès de la Commission et la Commission rendra sa décision.

Le 20 avril 2015.

Traduction de la CRTEFP

Michael Bendel,
une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique

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