Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé conteste son licenciement parce qu'il aurait agressé sexuellement une collègue – l'arbitre de grief a rendu une ordonnance de divulgation dans laquelle il ordonne à l'employeur de fournir, entre autres, une copie non caviardée du rapport d'enquête disciplinaire – la demande de la plaignante de témoigner derrière un écran a été refusée – elle était sortie avec des amis et ils ont rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé à une brasserie – elle a convenu qu'elle avait flirté avec le fonctionnaire s'estimant lésé, mais elle a déclaré avoir refusé ses avances à la brasserie – plus tard le même soir, la plaignante a accepté d'aller dans le camion du fonctionnaire s'estimant lésé, mais elle a refusé ses avances à maintes reprises – le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas tenu compte de ses demandes et l'a agressée sexuellement – il a été accusé d'agression sexuelle et de séquestration, mais les accusations ont plus tard été suspendues – l'employeur a refusé de reporter l'audience disciplinaire du fonctionnaire – le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas témoigné à l'audience du grief – l'employeur a demandé une ordonnance de mise sous scellés en ce qui concerne toutes les pièces qui renvoyaient à la plaignante et l'agent négociateur a indiqué qu'il souscrivait à la demande – les parties ont convenu que, si l'arbitre de grief concluait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait agressé sexuellement la plaignante, son comportement justifiait son licenciement – l'arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait agressé sexuellement la plaignante – le comportement enjôleur de la plaignante ne pouvait pas être interprété comme un consentement à l'activité sexuelle subséquente – la seule preuve de ce qui s'est passé dans le  camion était le témoignage de la plaignante, lequel n'a pas été contredit, puisque le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas témoigné – même si son témoignage comportait des incohérences sur ce qui s'est passé ce soir‑là, son témoignage concernant les événements survenus dans le camion était crédible et indiquait qu'elle n'avait clairement pas consenti à l'activité sexuelle – le défaut de témoigner du fonctionnaire s'estimant lésé devrait entraîner une conclusion défavorable – les problèmes de procédure qui auraient pu avoir lieu ont été entièrement réglés par l'audience de novo qui a eu lieu devant l'arbitre de grief – le rapport disciplinaire avait été considérablement caviardé, d'une manière telle que cela indiquait un préjugé favorable à la protection de la plaignante contre la divulgation de renseignements qui auraient été utiles au fonctionnaire s'estimant lésé – aucun élément de preuve ne permettait de conclure que l'employeur avait fait preuve de malveillance lorsqu'il a fait les caviardages – les actes de l'employeur ne respectent pas le critère requis pour l'octroi de dommages punitifs – l'arbitre de grief a ordonné la mise sous scellés de toutes les pièces qui font référence à la plaignante afin de protéger son identité. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150514
  • Dossier: 566-02-5699
  • Référence: 2015 CRTEFP 45

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DONALD JAMES SATHER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
William H. Kydd, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michael J. Prokosh, avocat
Pour le défendeur:
Barry Benkendorf, avocat
Affaire entendue à Prince Albert (Saskatchewan),
du 26 au 28 août 2013,
et à Saskatoon (Saskatchewan),
le 4 décembre 2013.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Introduction

1 Le 26 avril 2011, Donald James Sather, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire ») a déposé un grief contestant la décision de Service correctionnel du Canada (le « SCC ») en date du 20 avril 2011 de mettre fin à son emploi parce qu'il se serait livré à une agression sexuelle contre une autre de ses employées. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage en application de l'alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « LRTFP »). Le fonctionnaire a été représenté par le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l'« agent négociateur »).

2 Dans son grief, le fonctionnaire a demandé que son licenciement soit déclaré nul et non avenu et qu'il soit remboursé de tout le salaire, des sommes et des droits perdus en raison du licenciement.

3 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, l'arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

II. Questions préliminaires

4 La date de l'audition du grief a été fixée, à l'origine, du 12 au 15 mars 2013 à Saskatoon, en Saskatchewan. Une téléconférence préparatoire à l'audience a été tenue le 4 mars 2013 pour discuter du partage des documents et des questions procédurales. Pendant la téléconférence, l'agent négociateur a indiqué qu'avant le licenciement du fonctionnaire, le SCC avait rédigé un rapport d'enquête disciplinaire, en date du 9 mars 2011 et y avait fait confiance. Une copie de ce rapport a été donnée au fonctionnaire et l'avocat de l'agent négociateur a indiqué que la grande majorité des 53 pages de la copie du fonctionnaire avait été considérablement caviardée. Après avoir entendu les observations de l'avocat, j'ai rendu une ordonnance de communication le 4 mars 2013, dans laquelle j'ordonnais à SCC de produire et de fournir des copies d'un certain nombre de documents, y compris une copie complète et non caviardée du rapport d'enquête disciplinaire.

5 Le 7 mars 2013, l'agent négociateur m'a informé qu'il avait reçu la version non caviardée du rapport d'enquête disciplinaire et qu'il révélait des renseignements pertinents à la capacité du fonctionnaire de bien préparer ses arguments. Ces renseignements comprenaient le nom de témoins, les observations pertinentes faites le soir et le matin en question au sujet des actes, du comportement et des énoncés d'une plaignante que le fonctionnaire aurait agressé sexuellement (et qui sera appelée la « plaignante » tout au long de la présente décision), le nom du restaurant que la plaignante aurait fréquenté le soir en question, un énoncé d'un témoin qui contredirait la version des événements de la plaignante et des énoncés faits par d'autres personnes qui auraient appuyé les arguments du fonctionnaire. J'ai accédé à la demande de remettre à plus tard la date d'audience présentée par l'agent négociateur, laquelle a été fixée de nouveau du 26 au 30 août 2013 à Prince Albert, en Saskatchewan.

6 Le 22 mai 2013, l'agent négociateur a présenté une autre demande à l'ancienne Commission au sujet d'autres documents, concernant principalement l'examen et le caviardage du rapport d'enquête disciplinaire. Des observations écrites ont été reçues et, le 8 août 2013, j'ai rendu une décision dans laquelle j'ai ordonné la production et la communication de documents supplémentaires.

III. L'audience

7 L'audience des questions de fond a été tenue à Prince Albert les 26, 27 et 28 août 2013 et à Saskatoon le 4 décembre 2013.

8 Au début de l'audience, il a été convenu que, pour des raisons de confidentialité, le nom de la plaignante qui a allégué l'agression sexuelle sera anonyme, tel que cela est indiqué ci-dessus.

9 L'avocat de SCC a également soutenu que la plaignante a indiqué qu'elle avait peur du fonctionnaire et qu'elle a demandé d'utiliser un écran lors de son témoignage, ce qui l'empêcherait d'avoir un contact visuel avec lui. L'avocat de l'agent négociateur s'est opposé fortement à cet argument et a invoqué R. c. N.S., 2012 CSC 72, qui porte sur la question de savoir si la plaignante, dans le cas d'une agression sexuelle, qui était musulmane, devrait être autorisée à porter son niqab, qui lui recouvre le visage, pendant son témoignage. La Cour suprême du Canada a renvoyé l'affaire au juge présidant l'enquête préliminaire avec des directives quant à la façon d'établir un équilibre entre les mesures de protection concurrentes prévues à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») quant au droit à un procès équitable et au droit de liberté de religion. Ce faisant, la Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 23 :

23 Au cours des dernières années, le législateur et la Cour ont confirmé la présomption de common law selon laquelle l'accusé, le juge et le jury devraient être en mesure de voir le visage du témoin lors de son témoignage. Pour protéger contre les traumatismes les enfants qui témoignent, le législateur a adopté des dispositions permettant aux enfants de témoigner au moyen d'un système de télévision en circuit fermé ou derrière un écran de manière à ce qu'ils ne puissent pas voir l'accusé : Code criminel, par. 486.2(1). Notre Cour a confirmé la validité de ces dispositifs d'aide au témoignage du fait qu'ils n'empêchent pas l'accusé de voir le témoin : R. c. J.Z.S., 2010 SCC 1, [2010] 1 R.C.S. 3, conf. 2008 BCCA 401, 261 B.C.A.C. 52. […]

10 En l'espèce, il n'y avait aucune protection offerte par la Charte qui soit en concurrence avec le droit du fonctionnaire à un procès équitable. L'écran proposé par l'avocat de SCC aurait empêché le fonctionnaire de voir le témoin. Par conséquent, j'ai rejeté la demande d'utiliser un écran, puisqu'il aurait privé le fonctionnaire d'un procès équitable.

11 Au début de l'audience, l'agent négociateur a indiqué qu'il acceptait que j'aie la compétence nécessaire et qu'il convenait que, s'il est conclu que le fonctionnaire s'était livré à l'agression sexuelle, le licenciement constituait la mesure disciplinaire appropriée.

12 J'ai entendu le témoignage des personnes suivantes pour le compte de SCC :

  1. la plaignante;
  2. Lisa Bevill, une amie de la plaignante et collègue au Pénitencier de la Saskatchewan;
  3. Brent Sorenson, un agent correctionnel employé au Pénitencier de la Saskatchewan;
  4. Devin Murphy, un agent correctionnel employé au Pénitencier de la Saskatchewan;
  5. Connie Johannson, sous-directrice intérimaire, Établissement de Rockwood, Winnipeg, Manitoba;
  6. Sean Bird, directeur intérimaire du Pénitencier de la Saskatchewan en janvier 2011.

13 L'agent négociateur n'a pas cité le fonctionnaire à témoigner. Son seul témoin était Alisa Moan, qui était la gestionnaire de Rogue's Tavern (la « brasserie ») à Prince Albert en janvier 2011.

IV. Contexte

14 En janvier 2011, la plaignante était employée au Pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert. Le 12 janvier 2011, elle et quatre collègues ont partagé un repas et des boissons à une pizzeria et ils ont ensuite assisté à une partie de hockey, où ils ont continué à boire.

15 Lorsque la plaignante et son groupe sont arrivés à la partie, ils ont vu le fonctionnaire pendant un moment et il a dit : [traduction] « Oh, regarde, les rondelles sont arrivées », au grand amusement de son groupe. À la partie, la plaignante a rencontré le fonctionnaire et a discuté brièvement avec lui. Ils travaillaient tous au pénitencier où le fonctionnaire était un agent correctionnel. La plaignante était célibataire et elle savait que le fonctionnaire était marié. Elle l'a décrit comme un ami. Ses amis et elle ont ensuite regardé la partie. Le fonctionnaire ne s'est pas assis avec eux. Selon la preuve, ils ont tous bu lors de la partie.

16 Après la partie, la plaignante et son groupe sont allés à une brasserie locale où ils sont arrivés vers 22 h et où ils ont continué à boire. Quelque temps après, le fonctionnaire est arrivé à la brasserie. Lui aussi a continué à boire.

17 La plaignante a indiqué qu'au cours de la soirée, elle a consommé deux ou trois autres bières à la brasserie, ce qui a fait qu'elle a bu environ cinq à six boissons pendant la soirée.

18 La plaignante a indiqué qu'elle a rencontré le fonctionnaire et elle n'a pas contesté la suggestion selon laquelle elle flirtait avec lui. À un moment donné, ils sont allés à la section du terminal de loterie vidéo (« TLV ») de la brasserie parce que le fonctionnaire avait indiqué qu'il souhaitait lui parler. Elle a affirmé que, pendant qu'ils étaient dans cette section, le fonctionnaire lui a demandé si elle souhaitait [traduction] « avoir une liaison ». Elle a déclaré qu'elle lui a répondu en disant [traduction] « Non, je ne veux pas, tu es marié, tu as une petite amie et je suis avec quelqu'un ». Elle s'est levée et elle est partie. Elle a indiqué qu'elle pouvait voir qu'il était [traduction] « contrarié » par sa réponse.

19 La plaignante a indiqué qu'à ce moment-là, le fonctionnaire se [traduction] « comportait en ivrogne ». En ce qui concerne son propre niveau d'état d'ébriété, elle dit ce qui suit : [traduction] « Je ne pouvais définitivement pas conduire; je ne conduis pas après avoir bu. »

20 La plaignante a indiqué qu'elle souhaitait aller respirer de l'air frais et elle est donc allée dehors. Elle a ensuite envoyé un texto au fonctionnaire et elle lui a demandé de venir dehors pour lui parler, ce qui correspond à sa déclaration écrite à la main qu'elle a rédigée et donnée aux policiers le 12 janvier. Elle a indiqué que le fonctionnaire est venu dehors et qu'elle lui a dit [traduction] « Ne sois pas comme ça » et qu'ils ont discuté davantage. Toutefois, le 13 janvier, elle a indiqué aux enquêteurs que le fonctionnaire lui avait demandé d'aller dehors et de discuter avec lui.

21 Les relevés des appels téléphoniques de SaskTel indiquent que deux messages ont été envoyés du téléphone de la plaignante au téléphone du fonctionnaire, soit un à 0 h 28 et un à 0 h 30.

22 La plaignante a également indiqué qu'elle n'avait pas quitté le bar en même temps que le fonctionnaire. Des bandes-vidéo du parc de stationnement extérieur montrent qu'elle a quitté la brasserie brièvement à 0 h 31 et encore une fois à 0 h 36. La séquence vidéo de 0 h 36 montre également qu'elle et le fonctionnaire sont sortis ensemble par la porte extérieure de la brasserie.

23 Elle a affirmé que, lorsqu'elle est sortie, le fonctionnaire lui a demandé de démarrer son camion et qu'il lui a donné ses clés. Il est ensuite retourné dans la brasserie.

24 À ce stade, le fonctionnaire a apparemment pris deux bières. Mme Moan, la gestionnaire de la brasserie, a indiqué qu'elle avait refusé de le servir parce qu'il était en état d'ébriété et que ces bières devaient appartenir à d'autres personnes.

25 La plaignante portait un T-shirt d'été genre chandail et elle ne portait aucun manteau, chapeau, mitaine ou gant. Elle n'avait pas payé sa note de bar.

26 La plaignante a indiqué que, lorsqu'elle est montée dans le camion du fonctionnaire et a essayé la clé, un symbole indiquant [traduction] « erreur de clé » s'affichait constamment et qu'elle ne pouvait pas démarrer le camion. Elle a indiqué qu'elle est donc retournée dans la brasserie en vue de lui retourner ses clés.

27 Mme Moan avait également assisté à la partie de hockey et elle est arrivée à la brasserie pour travailler vers 21 h 45. Le bar était plein et occupé. Elle a indiqué que c'était moins occupé vers minuit et qu'elle s'est alors assise à la porte principale. Elle connaissait le fonctionnaire de vue, mais elle ne savait pas qu'il était marié. Elle ne connaissait pas la plaignante. Elle a indiqué que le fonctionnaire tenait deux bières dans ses mains et qu'il s'est levé pour partir. Elle a affirmé qu'il semblait être très ivre et, par conséquent, elle a dit : [traduction] « Holà! Où vas-tu? Tu ne conduis pas. » Elle a indiqué que le personnel du bar reconduisait souvent les clients enivrés chez eux.

28 Mme Moan a indiqué que la plaignante était avec le fonctionnaire et qu'elle a tenu les clés à bout de bras et a dit : [traduction] « J'ai ses clés; c'est moi qui conduis ». En contre-interrogatoire, la plaignante a indiqué qu'elle ne se souvenait pas si elle avait dit cela, mais qu'il s'agissait d'une possibilité. Il a été indiqué que, le 25 janvier 2011, elle a dit aux enquêteurs qu'elle n'avait jamais brandi les clés ni dit qu'elle conduirait quiconque. Toutefois, il n'est pas clair si son énoncé visait la question de savoir si elle l'avait dit cela à Mme Moan ou à quiconque en général.

29 Mme Moan a également indiqué que la plaignante [traduction] « avait l'air heureuse » lorsqu'elle a dit qu'elle avait les clés.

30 La vidéo de surveillance montre la plaignante qui quitte la brasserie et le fonctionnaire qui la suit le 13 janvier à 0 h 31. Peu après, la plaignante est entrée dans la brasserie et le fonctionnaire était derrière elle.

31 On peut voir encore une fois, au no 14 du compteur de la bande-vidéo, que la plaignante quitte la brasserie et le fonctionnaire est derrière elle. Le fonctionnaire porte un manteau.

32 On peut voir au no 15 du compteur que Mme Moan a sorti sa tête dehors.

33 On peut voir au no 17 du compteur que le fonctionnaire entre de nouveau dans la brasserie et qu'il est seul.

34 Mme Moan a témoigné qu'après que la porte est fermée, elle n'a pas revu la plaignante. Elle ne connaissait pas la plaignante avant les événements en litige.

35 Lorsque le fonctionnaire est revenu avec les deux bières, il en a laissé échapper une, laquelle s'est fracassée sur le plancher. Mme Moan est ensuite partie pour aller chercher un balai ou une vadrouille pour nettoyer la bouteille cassée et la bière. Lorsqu'elle est revenue, le fonctionnaire était parti.

36 En faisant apparemment allusion aux allégations de la plaignante, Mme Moan avait également indiqué aux enquêteurs [traduction] qu'ils étaient « […] un groupe d'indésirables. La femme savait ce qu'elle faisait. Elle était excitée par le fait qu'elle conduirait son camion. Il n'était pas prévu qu'une personne les suive. » Toutefois, pendant son contre-interrogatoire, il en est ressorti que son interaction avec la plaignante et son examen de cette dernière a duré environ trois secondes et il était évident, selon son contre-interrogatoire, que son opinion était largement fondée sur des conversations qu'elle a eues ensuite avec d'autres personnes.

37 La plaignante a affirmé que, alors qu'elle ne pouvait pas démarrer le camion, elle était en direction de la brasserie quand elle a rencontré le fonctionnaire. Il sortait de la brasserie alors qu'elle est arrivée aux premières marches de l'entrée.

38 La plaignante a informé le fonctionnaire qu'elle ne pouvait pas démarrer le camion et qu'un message d'erreur de clé s'affichait dans son camion. Elle a affirmé qu'il n'a pas répondu, mais qu'il a mis sa main gauche à l'arrière de son cou et a dit [traduction] « Allons-y. »

39 Il l'a dirigée vers le camion, avec sa main à l'arrière de son cou. Elle a indiqué qu'il ne s'agissait pas d'une poigne forte ou douloureuse et qu'elle n'était pas de nature menaçante, mais elle n'était pas de nature amicale non plus. Elle a indiqué qu'une fois qu'ils sont arrivés à son camion, il l'a levée par son pantalon dans le siège passager. Elle ne se souvenait pas s'il avait enlevé sa main de son cou lorsqu'il a ouvert la porte du camion.

40 La plaignante a indiqué qu'elle ne s'attendait pas à quitter la brasserie et, par conséquent, son manteau et son sac à main étaient encore là. Elle ne portait qu'un chandail léger. Le fonctionnaire portait son manteau.

41 La plaignante a affirmé que le fonctionnaire a ensuite conduit le camion derrière la brasserie et s'est arrêté. Elle a indiqué qu'elle avait commencé à avoir peur, mais que, pour une raison quelconque, elle ne pouvait pas ouvrir la porte. Elle a mentionné qu'elle ne pouvait pas ouvrir la porte lorsqu'elle a fait les deux déclarations le 13 janvier et le 14 janvier. Elle a également indiqué que le fonctionnaire tenait son bras lorsqu'elle essayait de sortir du camion. Ce fait n'a pas été mentionné dans la déclaration du 13 janvier.

42 Le fonctionnaire a baissé son pantalon et ses sous-vêtements jusqu'à ses genoux. Il a insisté pour qu'ils aient des relations sexuelles. La plaignante a dit [traduction] « Non cela n'arrivera pas. » et le fonctionnaire a répondu [traduction] « Oui, cela arrivera ».

43 La plaignante a affirmé qu'elle avait extrêmement peur à ce stade et qu'elle lui a demandé à maintes reprises de la reconduire à la brasserie. Elle a déclaré qu'il a plutôt démarré le camion et a conduit en direction sud de Prince Albert et qu'il a quitté la grande route pour une route secondaire. En route, elle lui a demandé constamment de la reconduire à la brasserie, en lui disant [traduction] « Je ne veux pas faire ça. »

44 La plaignante a déclaré qu'après avoir conduit sur la route pendant environ deux kilomètres, le fonctionnaire a arrêté le camion. Elle a encore une fois dit [traduction] « Non, cela n'arrivera pas. » et il l'a forcée à aller sur la banquette arrière. Il a ensuite enlevé ses souliers, ses jeans et ses sous-vêtements et l'a violée. Elle a indiqué qu'elle lui disait qu'elle ne voulait pas pendant qu'il la violait et qu'elle l'a supplié de cesser. Lorsqu'il lui a été demandé en interrogatoire principal d'indiquer la raison pour laquelle elle ne l'a pas battu, elle a indiqué : [traduction] « Il était beaucoup plus fort que moi; j'avais peur. »

45 La plaignante a indiqué qu'après qu'il avait fini, il est retourné au siège du conducteur alors qu'elle est restée sur la banquette arrière et a remis ses vêtements. Elle a plus tard déclaré aux enquêteurs qu'elle n'avait qu'une ecchymose sur sa cuisse et qu'il se pourrait qu'il s'agisse d'une ancienne ecchymose.

46 Après avoir conduit une courte distance, le fonctionnaire a conduit son camion dans le fossé et il y est resté embourbé. La route était enneigée.

47 La plaignante a indiqué qu'à ce stade, elle s'est immédiatement évadée et qu'elle a commencé à s'enfuir. Elle a affirmé qu'elle ne savait pas où elle était et qu'elle s'est donc dirigée vers des lumières.

48 Selon la preuve, la température était de - 17°C et, avec la froideur du vent, elle était de - 26°C. Tel que cela a été indiqué antérieurement, la plaignante portait des vêtements très légers.

49 La plaignante a indiqué que, lorsqu'elle marchait sur la route, elle a envoyé un message à Mme Bevill et à Jillian Carleton, deux amies qu'elle avait laissées à la brasserie pour leur demander de l'aide. Mme Bevill a indiqué qu'elle n'a vu le message que beaucoup plus tard. La plaignante, Mme Bevill et Mme Carleton ont utilisé des téléphones BlackBerry. BlackBerry a confirmé auprès des enquêteurs qu'il était impossible d'obtenir un imprimé du relevé des heures auxquelles les messages ont été envoyés entre les appareils BlackBerry. À peu près au même moment où la plaignante tentait de communiquer avec Mme Bevill et Mme Carleton, elle a reçu un texto de M. Sorenson. Il s'inquiétait parce qu'elle n'était pas retournée à la brasserie. Son texto était le suivant : [traduction] « Où es-tu? » La plaignante a répondu [traduction] « nulle part ». M. Sorenson n'avait pas un BlackBerry et les relevés d'appels téléphoniques de SaskTel indiquent qu'à 0 h 51, un téléphone qui a été déterminé comme appartenant à M. Sorenson a envoyé un message au BlackBerry de la plaignante.

50 M. Sorenson indique qu'il a envoyé un autre message à la plaignante peu après. Les relevés des appels téléphoniques indiquent que ce message a été envoyé à 1 h 11. Cette fois-ci, la plaignante a répondu qu'elle avait besoin d'aide et elle lui a demandé d'aller la chercher.

51 Les relevés des appels téléphoniques indiquent également qu'à 1 h 19, un téléphone qui a été déterminé comme appartenant à Wade Swales a envoyé un message semblable à la plaignante, lui demandant si elle avait besoin d'aide. La plaignante a identifié M. Swales comme un agent correctionnel qui était au bar avec M. Sorenson. La plaignante a répondu en indiquant qu'elle avait besoin d'aide.

52 M. Sorenson et M. Swales ont quitté la brasserie dans le véhicule de M. Sorenson. Ils se sont rendus à l'édifice de physiothérapie Summit. Il était situé sur une route de desserte parallèle à la grande route. Mme Johannson, l'un des enquêteurs nommés par le SCC a indiqué plus tard qu'il se situait à une distance d'environ 2 km de l'endroit où le camion du fonctionnaire était embourbé dans le fossé. M. Sorenson a affirmé que, lorsqu'ils ont trouvé la plaignante, elle était à genoux à cause du froid et elle était en proie à une violente crise qui se manifestait par des pleurs. Elle a signalé à M. Sorenson et à M. Swales qu'elle avait été agressée sexuellement par le fonctionnaire.

53 Devin Murphy était un autre agent correctionnel à la brasserie. Il a indiqué qu'il a reçu un appel téléphonique du fonctionnaire lui demandant de l'aider à sortir son camion du fossé. M. Murphy a indiqué qu'il se souvenait avoir pris bonne note de l'heure de l'appel, soit 1 h 38 ou 1 h 39.

54 M. Murphy a affirmé que, lorsqu'il était au téléphone avec le fonctionnaire en vue d'obtenir une description de l'endroit où il était situé, il a entendu une voix féminine au téléphone. Elle a indiqué qu'elle passait et qu'elle s'est arrêtée afin d'aider le fonctionnaire. M. Murphy a affirmé qu'elle lui a donné des directives pour se rendre au lieu où le véhicule était embourbé.

55 M. Murphy a également fait une déclaration aux enquêteurs dans laquelle il a indiqué que le fonctionnaire lui avait dit que la femme au téléphone était la plaignante.

56 Il n'a pas été suggéré à la plaignante, dans le cadre de son contre-interrogatoire, qu'elle était la femme qui a parlé au téléphone avec M. Murphy. Toutefois, il lui a été demandé de confirmer le caractère exact de son énoncé aux enquêteurs selon lequel [traduction] « […] Lorsque le camion s'est embourbé, j'ai quitté immédiatement le véhicule. Aussitôt que j'étais habillée, je suis partie immédiatement. Je n'ai, à aucun moment, parlé à une personne au téléphone lorsque j'étais dans le camion de Don. » Elle a en fait confirmé le caractère exact de cet énoncé. M. Murphy a indiqué que le fonctionnaire l'a appelé à 1h 38 ou à 1 h 39. À ce moment-là, un certain temps s'était écoulé depuis 0 h 51 et 1 h 11, heures auxquelles M. Sorenson a appelé la plaignante et 1 h 19 heure à laquelle M. Swales a appelé la plaignante et qu'elle a indiqué qu'elle souhaitait que quelqu'un vienne la chercher et qu'elle avait besoin d'aide. Cela indique que, lorsque le fonctionnaire a appelé M. Murphy, la plaignante avait quitté le camion au moins 47 minutes plus tôt.

57 Après avoir reçu l'appel téléphonique du fonctionnaire, M. Murphy a demandé à deux de ses amis qui étaient à la brasserie de l'aider et les trois se sont rendus à l'endroit où se trouvaient le fonctionnaire et son camion. M. Murphy a affirmé qu'ils n'ont pas vu la plaignante en route vers l'endroit où se trouvait le fonctionnaire.

58 M. Murphy a indiqué que lui et les deux agents qui l'ont accompagné ont trouvé le fonctionnaire dans son camion et qu'ils ont tiré son véhicule du fossé. Il a estimé qu'environ 15 minutes s'étaient écoulées entre le moment où il avait parlé à la femme au téléphone à 1 h 38 ou à 1 h 39 et lorsqu'ils ont tiré le camion du fossé.

59 La déclaration de M. Murphy faite aux enquêteurs le 18 janvier ne comprend aucune mention d'empreintes de pneus ou de pied. Dans le cadre de son témoignage, il a indiqué qu'il n'était pas certain s'il y avait des empreintes de véhicule autre que celles du véhicule du fonctionnaire et il a indiqué qu'il n'a pas pris soin de regarder particulièrement pour ces empreintes ni pour des empreintes de pied.

60 Le rapport d'enquête comprenait une preuve des déclarations faites par Marc Lavoie et Cam Yager, qui avaient accompagné M. Murphy lorsque le camion du fonctionnaire a été trouvé et tiré du fossé. M. Lavoie a indiqué qu'il se souvenait d'avoir jeté un coup d'œil relativement à d'autres empreintes de véhicule et qu'il se souvenait que les seules empreintes évidentes étaient celles du camion du fonctionnaire lorsqu'il a glissé dans le fossé. Il ne se souvenait pas si le vent avait été assez fort pour couvrir des empreintes. M. Yager a indiqué qu'il pouvait voir les empreintes dans la neige indiquant que le fonctionnaire avait braqué à droite et ensuite à gauche et qu'il a remarqué qu'il s'agissait des seules empreintes sur ce chemin. Il n'a pas constaté des empreintes de pied dans la neige.

61 Même si, dans leur déclaration, M. Lavoie et M. Yager indiquent qu'ils n'ont vu aucune empreinte de pied et que M. Yager a indiqué que les empreintes de pneus du camion du fonctionnaire étaient les seules empreintes sur le chemin, ni l'un ni l'autre n'a témoigné et, par conséquent, leur déclaration n'a pas été examinée en contre-interrogatoire. La preuve est claire, à partir du témoignage de M. Murphy, qu'il a parlé à une femme au téléphone pendant sa conversation avec le fonctionnaire lorsque ce dernier a indiqué qu'il était dans le fossé et, par conséquent, avant l'arrivée de M. Lavoie et de M. Yager, une femme était dans le camion lorsqu'il était dans le fossé et qui a ensuite quitté le camion. Pour une raison quelconque, ses empreintes de pied n'étaient pas visibles ou n'ont pas été constatées.

62 La plaignante a été reconduite à la brasserie. Mme Bevill l'a emmenée à M. Sorenson où elle a été jointe par ses amis qui avaient été à la brasserie, ainsi que par M. Sorenson, M. Swales et Jason Lacorre, qui est également un agent correctionnel. La plaignante a indiqué que M. Sorenson lui a dit de signaler ce qui s'est produit, alors que, selon son témoignage, M. Sorenson lui a dit [traduction] « Si cela s'est produit, [elle] devrait le signaler. »

63 Vers 5 h, la plaignante s'est rendue au poste de police et a signalé qu'elle avait été agressée sexuellement. À ce moment-là, elle n'a pas indiqué l'auteur de l'agression. Mme Bevill l'a ensuite conduite à un hôpital à proximité et des policiers les ont suivis. À l'hôpital, elle a été examinée par un médecin, qui a utilisé une trousse de prélèvement en cas de viol.

64 Vers 22 h, le fonctionnaire s'est rendu au domicile de M. Sorenson pour discuter des événements. Le fonctionnaire a informé M. Sorenson que M. Lacorre l'avait appelé vers 5 h et l'avait informé des allégations de la plaignante.

65 Plus tard le même jour, la direction du pénitencier a pris connaissance de la présumée agression sexuelle. À 18 h 30, la sous-directrice intérimaire et un directeur adjoint se sont présentés à la résidence de la plaignante. Elle les a informés qu'elle avait été agressée sexuellement par le fonctionnaire.

66 Le lendemain, soit le 14 janvier 2011, le directeur intérimaire Bird a demandé à Mme Johannson et à Ray Tooley, un gestionnaire en libération conditionnelle de SCC à Saskatoon, d'enquêter sur le comportement du fonctionnaire relativement à la présumée agression sexuelle. Le même jour, le fonctionnaire a été suspendu avec paie pendant la tenue d'une enquête sur la question.

67 Pendant son enquête, l'équipe d'enquête a autorisé l'agent négociateur du fonctionnaire à enregistrer toutes les entrevues des agents correctionnels, y compris celle du fonctionnaire. L'équipe d'enquête a fait ses propres enregistrements de ses entrevues avec le fonctionnaire, mais elle n'a pas enregistré ses entrevues de la plaignante.

68 À un moment donné, la plaignante a indiqué verbalement aux enquêteurs en matière de mesures disciplinaires qu'elle ne souhaitait pas être interrogée de nouveau.

69 Le 20 janvier, le fonctionnaire a été accusé d'agression sexuelle et de séquestration.

70 Le 26 janvier, la plaignante a envoyé un message au service de police de Prince Albert indiquant qu'elle ne souhaitait pas poursuivre les chefs d'accusation portés contre le fonctionnaire. Elle a informé l'équipe d'enquête de cela dans le courriel suivant :

[Traduction]

Je suis certaine que je ne serai pas au travail le 26 janvier 2011. Je suis encore réveillée et certaines questions ont été soulevées au cours de la réunion aujourd'hui qui m'ont fait remettre en question certains détails qui ont mené aux événements survenus. Je suis troublée, puisque je n'ai pas dormi et je ne mange pas. J'étais certaine que je me souvenais des petits détails, mais je suis bouleversée par ces derniers. Vous pouvez acheminer le présent courriel à l'équipe, puisque je souhaite être le plus honnête possible. J'étais tellement hystérique ce soir-là que je ne pensais pas à d'autres choses que des événements qui sont survenus. Je ne sais pas si j'étais dehors lorsque je lui ai envoyé un texto pour sortir et venir me parler. Maintenant, je ne suis pas certaine. Peut-être que nous sommes allés dehors ensemble, mais je suis tellement embarrassée parce qu'il se peut que ce soit la manière dont les événements sont survenus. Toutefois, ce n'est simplement pas la façon dont je me souviens. Le soir de l'incident, j'ai essayé de me rappeler de tous les événements qui y ont mené. Je suis très préoccupée et, en raison de l'interrogatoire aujourd'hui, j'ai envoyé un courriel au gendarme Ratt et je lui ai demandé de retirer les accusations. Je sais que je devrais poursuivre les chefs d'accusation, mais je ne peux simplement pas l'affronter. Mon père ne jouit pas d'une bonne santé et je suis certaine que le fait de voir sa fille faire face à une telle situation le tuerait. Il me fait tellement peur. Je ne sais pas quoi faire d'autre. Je croyais être plus forte que cela, mais il semble que je ne le suis pas.

71 En contre-interrogatoire, il a été suggéré à la plaignante que l'épouse du fonctionnaire, un membre de la direction de SCC, était, d'une façon ou d'une autre, la supérieure de la plaignante. Elle a répondu que l'épouse du fonctionnaire n'avait aucun pouvoir à son égard, même indirectement. Elle a nié la suggestion selon laquelle elle était motivée par la préoccupation quant au fait que tout le monde saurait qu'elle a eu des relations sexuelles avec l'époux d'un membre de la direction.

72 Le 2 mars 2011, la plaignante a envoyé un message à l'équipe d'enquête indiquant qu'elle poursuivra les accusations au criminel.

73 M. Tooley et Mme Johannson ont livré leur rapport le 9 mars 2011. Il comprenait les constatations suivantes :

[Traduction]

CONSTATATIONS

L'article 7 de la Directive du commissaire 060 intitulé « Code de conduite » [il devrait s'agir du « Code de discipline »] indique ce qui suit :

« Les relations avec les autres employés doivent favoriser le respect mutuel au sein du Service correctionnel du Canada et améliorer la qualité des services. Les employés sont tenus de contribuer à la création d'un milieu de travail sain, sûr et sécuritaire, exempt de harcèlement et de discrimination. »

L'article 7 indique en outre ce qui suit :

« Commet une infraction l'employé qui :

e. commet un acte de harcèlement, sexuel ou autre, ou de discrimination à l'endroit d'un autre employé. »

L'article 6 de la Directive du commissaire 060 indique ce qui suit :

« Le comportement des employés, qu'ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d'une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. […]

L'article 6 indique en outre « Commet une infraction l'employé qui :

c. se conduit d'une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu'il soit de service ou non. »

Aucune personne, y compris un membre de l'équipe d'enquête, n'était présente près du camion lorsque [la plaignante] allègue avoir été victime de violentes agressions sexuelles de la part de M. Sather. Tel que cela a été indiqué, l'équipe d'enquête doit tirer une conclusion en fonction des renseignements qui ont été fournis par les personnes interrogées et des éléments de preuve qu'elle a obtenus. L'équipe d'enquête est d'avis, en fonction des renseignements disponibles, de la crédibilité de [la plaignante] et de la prépondérance des probabilités que M. Sather a agressé sexuellement [la plaignante] et qu'il a commis les infractions énoncées dans la Directive du commissaire 060, tel que cela est indiqué ci-dessus.

74 Le 11 mars, M. Bird a fourni au fonctionnaire une copie épurée du rapport d'enquête disciplinaire et lui a demandé de lui fournir une réplique ou des renseignements supplémentaires au plus tard le 11 avril 2011. M. Bird l'a informé qu'une audience disciplinaire avait été fixée le mardi 12 avril 2011 à 10 h afin de donner au fonctionnaire la possibilité de présenter ses commentaires et tout renseignement supplémentaire. En contre-interrogatoire, M. Bird n'a pas été en mesure de donner une explication raisonnable de son refus de rejeter la demande de remise à plus tard de la date d'audience disciplinaire présentée par l'avocat du fonctionnaire le 7 avril. Il a répondu le matin du 12 avril qu'il avait fixé de nouveau l'audience qui se tiendra à 14 h le même jour. Selon son explication, il existait deux processus distincts, un processus au criminel et un processus disciplinaire et qu'il n'était pas raisonnable d'ajourner l'audience, puisque le SCC devait la conclure aussitôt que possible.

75 L'article 17 de la convention collective comprend les procédures disciplinaires et les dispositions suivantes :

17.07 Conformément à la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'Employeur permet à l'employé-e l'accès à l'information ayant servi au cours de l'enquête disciplinaire.

76 L'annexe « J » de la convention collective consiste en une lettre d'accord comprenant les dispositions opérationnelles suivantes :

[…]

La présente lettre renvoie aux discussions tenues par les parties au sujet de l'application de la clause 17.07 de la convention collective applicable au groupe Services correctionnels. Pour fin de référence, le texte de cette disposition est reproduit ci-dessous.

[…]

Il est convenu que cette disposition vise à fournir à l'employé-e qui a fait l'objet d'une enquête disciplinaire, l'accès à l'information / document(s) ayant servi au cours de ladite enquête conformément à la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, sans que l'employé-e doive en faire la demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. L'accès prévu au paragraphe 17.07 devrait s'effectuer promptement dans le contexte de l'audition disciplinaire.

La présente lettre d'accord expire le 31 mai 2010.

[…]

77 Le 7 avril 2011, l'avocat du fonctionnaire a rédigé la lettre suivante à l'intention de M. Bird :

[Traduction]

Sachez que nous avons été consultés par M. Sather au sujet de la question indiquée ci-dessus.

Nous demandons respectueusement une copie complète et non épurée du rapport d'enquête disciplinaire relativement à la question et demandons respectueusement en outre que toute audience de la question soit ajournée sine die afin d'accorder une possibilité suffisante pour bien examiner la question et d'y répondre et, en outre, d'éviter que M. Sather ne subisse un préjudice relativement à l'instance criminelle liée à cette question.

Nous estimons que ce qui précède est satisfaisant et nous espérons avoir de vos nouvelles quand bon vous semblera.

78 M. Bird a rejeté la demande au moyen d'une lettre datée du 12 avril 2011. La réunion a été fixée de nouveau à 14 h le même jour. À l'audition du présent grief, M. Bird a reconnu que le rapport caviardé comportait 72 pages (plus les annexes) et que 53 de ces 72 pages avaient été considérablement caviardées.

79 En réinterrogatoire, M. Bird a affirmé qu'il a refusé la demande parce qu'il y avait deux processus distincts, soit a) disciplinaire et b) criminel. Il a également indiqué qu'il n'aurait pas été raisonnable d'ajourner l'audience; elle devait être conclue aussitôt que possible. Il a également indiqué que la lettre de l'avocat du fonctionnaire le 7 avril 2011 ne prévoyait aucune date de rechange de l'audience.

80 Le 20 avril 2011, le fonctionnaire a fourni une lettre de M. Bird qui indiquait la cessation de son emploi. En voici les dispositions pertinentes :

[Traduction]

La présente lettre a pour but de vous informer des résultats de l'enquête disciplinaire portant sur l'allégation selon laquelle vous avez agressé sexuellement [la plaignante] le 12 janvier 2011 ou le 13 janvier 2011 ou aux environs de ces dates.

Afin de déterminer le niveau de la mesure disciplinaire justifiée dans cette affaire, j'ai pris en compte les renseignements recueillis pendant l'enquête disciplinaire et l'audience disciplinaire subséquente tenue le 12 avril 2011.

L'audience disciplinaire a entraîné votre refus de présenter une réplique aux allégations ou de répondre aux questions qui vous ont été posées lors de cette audience.

J'ai accepté les constatations figurant au rapport d'enquête disciplinaire en date du 9 mars 2011 selon lesquelles vous avez « agressé sexuellement [la plaignante] et qu[e] [vous avez] commis les infractions énoncées dans la Directive du commissaire 060, tel que cela est indiqué ci-dessus ».

Après avoir examiné attentivement les constatations de l'enquête disciplinaire, ainsi que tout facteur d'atténuation, y compris la durée de votre service et de votre dossier exempt de mesure disciplinaire, j'ai déterminé que vous n'avez pas agi de manière qui démontre les valeurs et les éthiques requises d'un employé de Service correctionnel du Canada, conformément à ce qui est décrit dans l'énoncé de la mission de Service correctionnel du Canada. Votre comportement a irrémédiablement compromis la relation de confiance, d'intégrité et de crédibilité qui doit exister entre vous et le Service correctionnel du Canada. Je ne peux donc maintenir la confiance en votre capacité de demeurer un employé de Service correctionnel du Canada.

Par conséquent, étant donné la gravité de votre inconduite, une décision de mettre fin à votre emploi pour des raisons disciplinaires a été prise. Par conséquent, en vertu de l'alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et du pouvoir qui m'a été délégué par le sous-ministre, je mets fin à votre emploi avec le Service correctionnel du Canada à compter du 20 avril 2011.

81 Le 26 avril 2011, le fonctionnaire a déposé un grief contestant sa cessation d'emploi. À titre de mesure corrective, il a demandé que son licenciement soit déclaré nul et non avenu et qu'il soit remboursé de tout le salaire, des sommes et des droits perdus en raison du licenciement.

82 Le 3 octobre 2011, une audience préliminaire a été tenue relativement à l'accusation d'agression sexuelle au criminel. Quelque temps avant l'audience préliminaire, le fonctionnaire a obtenu la divulgation d'éléments de preuve au criminel par la Couronne.

83 Le 11 avril 2012, le procureur général de la Saskatchewan a ordonné la suspension des procédures relatives à la mise en accusation de séquestration et d'agression sexuelle.

V. Observations

A. Pour le SCC

1. Preuve de l'agression sexuelle

84 Dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême du Canada a déclaré sans équivoque qu'il n'existe qu'une norme de preuve civile en common law – la preuve selon la prépondérance des probabilités.

85 Le critère applicable à l'agression sexuelle est établi selon ce qui suit dans R. c. Ewanchuk,[1999] 1 R.C.S. 330,aux paragr. 25 et 26 :

[…]

25 L'actus reus de l'agression sexuelle est établi par la preuve de trois éléments : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l'absence de consentement. […] Il suffit que le ministère public prouve que les actes de l'accusé étaient volontaires. La nature sexuelle de l'agression est déterminée objectivement; le ministère public n'a pas besoin de prouver que l'accusé avait quelque mens rea pour ce qui est de la nature sexuelle de son comportement […]

26 Toutefois, l'absence de consentement est subjective et déterminée par rapport à l'état d'esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l'égard des attouchements, lorsqu'ils ont eu lieu […]

86 En l'espèce, la seule constatation raisonnable est de conclure que la plaignante n'a probablement pas consenti subjectivement aux attouchements sexuels de la part du fonctionnaire.

87 La Cour suprême a récemment confirmé de nouveau l'arrêt Ewanchuk dans R. c. J.A., 2011 CSC 28, au paragr. 34. La Cour a conclu ce qui suit :

34 Dans le contexte d'une agression sexuelle, le consentement s'entend, selon le par. 273.1(1), de « l'accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle ». Cette définition indique que le plaignant doit consentir spécifiquement à chacun des actes sexuels et réfute l'argument que le législateur entendait inclure un consentement général donné à l'avance. Comme nous le verrons plus loin, selon la Cour, cette disposition exige que la plaignante consente aux attouchements « lorsqu'ils ont […] lieu » […]

[Le passage en évidence l'est dans l'original]

88 La Cour suprême a également conclu que « [p]our établir si le plaignant était ou non consentant, le seul moment pertinent est celui des attouchements : […]  Le point de vue du plaignant à l'égard des attouchements, avant ou après qu'ils se produisent, n'est pas directement pertinent. »

89 En l'espèce, si le fonctionnaire a soutenu que la relation de nature enjôleuse ou le comportement ambigu antérieur de la plaignante le soir en question lui a donné une raison de croire à l'existence d'un consentement, cela est contraire à la loi.

90 En l'espèce, tout comportement ambigu ou de nature enjôleuse ne suffisait pas pour permettre au fonctionnaire de croire à l'existence d'un consentement, puisque cela est contraire à la loi. Voir R. v. Lavergne-Bowkett,2013 BCSC 1737.

91 La seule façon dont le SCC n'aurait pas été en mesure de s'acquitter de son fardeau d'établir que l'agression sexuelle a eu lieu serait si j'avais décidé que la plaignante n'avait aucune crédibilité.

92 Des incohérences mineures et même des dénégations ou des minimisations du comportement provocateur antérieur ne diminuent pas la nécessité d'examiner tous les éléments de preuve dans le contexte de l'ensemble de la preuve de la plaignante pour déterminer s'il y avait un consentement. Voir R. v. Saadatmandi, 2008 BCSC 250.

93 De plus, en l'espèce, la crédibilité de la plaignante doit être soupesée en fonction du défaut de témoigner du fonctionnaire. Le fonctionnaire ne pouvait pas invoquer la présomption d'innocence pour justifier son défaut de témoigner. Cette présomption ne survient qu'en matière criminelle en vertu du paragraphe 4(6) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, qui prévoit que « [l]e défaut de la personne accusée, ou de son conjoint, de témoigner ne peut faire le sujet de commentaires par le juge ou par l'avocat du poursuivant ». Dans les affaires civiles, comme en l'espèce, il n'existe aucune telle présomption d'innocence. Voir McDougall.

94 En l'espèce, le défaut de témoigner du fonctionnaire devrait entraîner une conclusion défavorable. Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration (4e édition), ont indiqué ce qui suit au paragr. 3:5120 :

[Traduction]

En général, les arbitres de différends ont adopté le même point de vue que celui des tribunaux civils en ce qui concerne les conclusions à tirer du défaut de citer une personne à témoigner qui pourrait avoir été citée et qui pourrait offrir une preuve des questions relevant de ses connaissances. Par conséquent, lorsqu'une partie peut, au moyen de son propre témoignage, éclairer une question et qu'elle omet de le faire, un arbitre de différends a le droit de conclure que ce témoignage n'aurait pas appuyé sa position. De plus, le défaut d'appeler un témoin qui est disponible à être cité à témoigner, lorsque son témoignage est essentiel, peut entraîner la même conclusion et l'acceptation de la preuve non contredite de l'autre partie. En outre, lorsque le témoignage d'un témoin n'est réfuté que par une preuve par ouï-dire lorsqu'il aurait pu avoir été réfuté directement, l'arbitre de différends pourrait accepter la preuve directe de caractère peu satisfaisant.

95 L'ancienne Commission a tiré des conclusions défavorables dans le cadre d'affaires concernant des griefs relatifs à une mesure disciplinaire, comme dans Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64 et Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127.

96 Le défaut de témoigner du fonctionnaire signifie que je devrais conclure que tout aspect de sa preuve en ce qui concerne l'agression sexuelle ne favoriserait pas ses arguments.

97 Même si la présence continue de l'instance criminelle pourrait justifier son silence pendant les processus disciplinaire et d'enquête, la possibilité d'une instance criminelle n'existait plus. Le fonctionnaire n'avait aucune raison de ne pas donner sa version des événements pendant l'audience, sauf qu'il aurait été assujetti à un contre-interrogatoire.

98 La règle établie dans Browne v. Dunn (1894), 6 R. 67 (H.L.) s'applique également en l'espèce. La règle prévoit que [traduction] « […] si l'avocat tient compte de l'invalidation de la crédibilité d'un témoin en déposant une preuve indépendante, le témoin doit être confronté à l'aide de cette preuve en contre-interrogatoire pendant qu'il est encore à la barre de témoins » (voir Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, 3e édition, p. 116).

99 Même si la plaignante a fait l'objet, dans une certaine mesure, d'une contestation relativement à sa version des événements survenus au bar et dans le parc de stationnement, aucune contestation n'a été présentée contre son affirmation qu'elle avait indiqué à maintes reprises et clairement qu'elle ne consentait pas aux avances sexuelles du fonctionnaire. L'avocat du fonctionnaire aurait dû avoir contesté les allégations de la plaignante au moyen d'une question, comme [traduction] « Vous avez consenti à avoir des relations sexuelles avec le fonctionnaire, n'est-ce pas? » et ensuite lui donner une autre version des événements, qu'il aurait ensuite affirmé être le cas. L'omission de l'avocat de faire ainsi l'a empêché de soutenir ensuite qu'il ne faudrait pas croire la plaignante en ce qui concerne le consentement ou toute autre question relevant de son témoignage qui n'a pas été considérablement contestée.

100 La preuve de la plaignante a indiqué qu'elle avait répété à maintes reprises au fonctionnaire qu'elle ne souhaitait pas avoir des relations sexuelles avec lui. Elle lui a dit dans la section du TLV du bar, lorsqu'il a baissé ses pantalons dans son camion stationné derrière la brasserie, lorsqu'ils étaient en route dans la banlieue de la ville, lorsqu'ils étaient stationnés sur la route secondaire et pendant qu'il s'est livré à une agression sexuelle contre elle.

101 Lorsqu'il lui a été demandé en interrogatoire principal d'indiquer la raison pour laquelle elle ne l'a pas battu, la plaignante a indiqué qu'il était beaucoup plus fort qu'elle et qu'elle avait peur.

102 La seule façon que le fonctionnaire aurait pu réfuter cette preuve non contredite de l'absence de consentement aurait été de démontrer que la plaignante était dépourvue de toute crédibilité et, par conséquent, tout son témoignage aurait été rejeté.

103 La jurisprudence, comme le critère applicable à la crédibilité établi dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, qui est souvent cité, indique que la meilleure façon de juger la crédibilité d'un plaignant est de la juger en fonction de la « prépondérance des probabilités » et des circonstances pertinentes. En l'espèce, il existe une quantité importante de preuve corroborant, ce qui permet de confirmer le récit de la plaignante et mine le peu de preuve par ouï-dire que le fonctionnaire a fournie aux enquêteurs.

104 D'autre part, la preuve a permis d'établir que les remarques disculpatoires du fonctionnaire faites à l'agent correctionnel Murphy n'étaient pas véridiques. L'agent Murphy a indiqué que le fonctionnaire lui avait dit que la femme qui lui avait parlé de manière calme au téléphone du fonctionnaire lorsqu'il était dans le fossé était en fait la plaignante. La preuve indique que cela était impossible. La plaignante et M. Sorenson ont indiqué que la plaignante a été récupérée au plus tard à 1 h 29, ce qui a été confirmé par les relevés des appels téléphoniques. L'agent Murphy a indiqué qu'il a reçu l'appel du fonctionnaire et qu'au cours de cet appel, il a parlé à une femme à 1 h 38 ou à 1 h 39. Il a également indiqué qu'il était assez certain de l'heure de l'appel, ce qui a été corroboré par le fait que lui et les autres membres de l'équipe de secours sont partis peu de temps après cet appel et la vidéo indique qu'ils ont quitté le bar à 1 h 54.

105 L'agent Murphy a également indiqué que le fonctionnaire lui avait avoué qu'il avait eu des relations sexuelles avec la plaignante dans son camion.

2. Mauvaise foi présumée

106 Le fonctionnaire a allégué que le SCC a fait preuve de mauvaise foi et qu'il a contrevenu à la clause 17.07 de la convention collective lorsqu'il a omis de lui fournir une version non épurée du rapport d'enquête.

107 Dans sa réponse, le SCC a indiqué que le paragraphe 17.07 et l'annexe « J » de la convention collective indiquent tous les deux particulièrement que le SCC doit fournir à ses employés un accès aux renseignements utilisés dans le cadre d'une enquête disciplinaire assujettie à la Loi sur l'accès à l'information (L.R.C. (1985), ch. A-1) et à la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C. (1985), ch. P-21).

108 En deuxième lieu, même si une inéquité procédurale a eu lieu, elle a été entièrement réparée par l'audience de novo devant moi où le fonctionnaire a été pleinement informé des allégations contre lui et a eu toute possibilité d'y répondre; voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.F.)(QL), qui a été suivi récemment dans Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10, au paragr. 113.

109 Il est clair que le fonctionnaire a toujours été bien informé des allégations contre lui et l'idée qu'il a été défavorisé d'une façon quelconque est fantaisiste. En voici la preuve :

  1. Le fonctionnaire a reçu un appel vers 5 h le 13 janvier 2011 d'un autre agent correctionnel qui avait discuté avec la plaignante qui l'avait informé de ses allégations. Plus tard le même jour, cet agent correctionnel et un autre agent se sont présentés au domicile du fonctionnaire pour l'informer de ce dont ils avaient été informés de la part de la plaignante.
  2. Le fonctionnaire et M. Sorenson ont discuté de la participation de M. Sorenson à 10 h le 13 janvier.
  3. Le 14 janvier 2011, le fonctionnaire a été informé par M. Bird qu'il faisait l'objet d'une enquête en matière d'agression sexuelle.
  4. Le 27 janvier 2011, le fonctionnaire a examiné la déclaration de la plaignante faite la veille auprès de la police, laquelle faisait partie de la divulgation de la Couronne.
  5. Il a reçu la divulgation concernant l'allégation criminelle de la Couronne.
  6. Il a eu de multiples discussions avec ses homologues au sujet des allégations à compter pratiquement du moment de l'incident.
  7. Une enquête préliminaire a été tenue le 3 octobre 2011 au cours de laquelle il pouvait contre-interroger la plaignante.
  8. L'agent négociateur a enregistré toutes les entrevues des agents correctionnels et ses représentants étaient présents en tout temps.

110 Étant donné que le fonctionnaire avait parlé à tous les principaux intervenants, il n'aurait eu aucun doute quant à cette question.

111 Le fonctionnaire n'a pas témoigné au sujet de préjudices ou de difficultés qu'il peut avoir subis.

112 Enfin, rien dans la preuve n'indique comment le fonctionnaire a subi un préjudice en raison de la mauvaise foi.

3. Ordonnance de mise sous scellés

113 Le SCC a demandé que l'ordonnance de mise sous scellés soit délivrée à l'égard de toutes les pièces qui font référence à la plaignante.

B. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

1. Preuve de l'agression sexuelle

114 L'avocat du fonctionnaire était d'accord avec le SCC pour dire que l'actuelle norme de preuve est celle citée dans McDougall, mais il a également renvoyé à la décision de l'ancienne Commission dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 53, qui portait également sur une allégation d'agression sexuelle. Dans cette affaire, l'arbitre de grief a déclaré que l'employeur doit toujours prouver, « […] selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments de sa cause en s'appuyant sur des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes […] ».

115 L'avocat du fonctionnaire a également reconnu que les critères d'évaluation de la crédibilité d'un témoin sont ceux énoncés dans Faryna.

116 L'avocat du fonctionnaire a soutenu que la norme de preuve dans les affaires criminelles est la preuve hors de tout doute raisonnable et qu'elle est donc différente de la norme de preuve dans les affaires civiles; certains principes des affaires criminelles concernant les allégations d'agression sexuelle sont pertinents.

117 Il a renvoyé à R v. Annett, 2007 BCSC 1279, où la plaignante d'une affaire criminelle en matière d'agression sexuelle a été confrontée à un certain nombre de déclarations antérieures contradictoires ainsi qu'à la cohérence des autres témoins qui ont appuyé le compte rendu des événements par l'accusé. La Cour a conclu que la tentative d'explication par la plaignante de ses incohérences n'était pas crédible et qu'elle correspondait à une tentative de masquer son absence de souvenirs de ce qui s'était réellement produit, en raison d'un état d'ébriété. La Cour n'a pas été en mesure de conclure que la Couronne avait établi hors de tout doute raisonnable que la plaignante n'avait pas consenti à l'activité sexuelle. Sur ce point, Annett a invoqué les critères établis dans R. v. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

118 Au paragraphe 34 d'Annett, la Cour déclare ce qui suit :

[Traduction]

34 W.D. exige que la Cour entreprenne l'analyse suivante lorsqu'un accusé témoigne. Si la Cour croit l'accusé, la question devrait être réglée en sa faveur. Même si la Cour ne croit pas l'accusé mais qu'elle a un doute raisonnable après son témoignage, la question devrait être réglée en sa faveur. Troisièmement, même si la Cour ne croit pas l'accusé et qu'elle n'a pas un doute raisonnable après son témoignage, si, après avoir examiné le reste de la preuve elle a un doute raisonnable, elle doit trancher la question en faveur de l'accusé. Enfin, R. v. H. (C.W.) (1991), 3 B.C.A.C. 205 ajoute une quatrième exigence : si la Cour ne peut décider qui elle doit croire, l'accusé doit être acquitté.

119 Au paragraphe 43 d'Annett, la Cour a conclu que [traduction] « selon l'ensemble de la preuve […], la Couronne n'avait pas établi hors de tout doute raisonnable que la plaignante n'avait pas consenti à l'activité sexuelle ».

120 De toute évidence, les résultats sont différents d'une affaire à l'autre, mais les principes sont semblables. En l'espèce, la plaignante a fait un grand nombre de déclarations contradictoires. Le fardeau peut être différent de celui du droit criminel, mais il repose toujours sur l'employeur et les incohérences, en particulier lorsqu'elles sont importantes, ne peuvent être écartées. La question du consentement, comme il est indiqué dans Annett, devrait être fondée sur l'ensemble de la preuve.

121 L'avocat du fonctionnaire a également invoqué R. v. Mosher, 2007 NSSC 189, qui a renvoyé à la déclaration dans Ewanchuk selon laquelle [traduction] « […] on doit apprécier la crédibilité de la plainte de [la plaignante], selon laquelle elle n'a pas voulu la relation et n'y a pas consenti, à la lumière de l'ensemble de la preuve, y compris les paroles et les actes de la plaignante, avant et pendant l'incident ».

122 La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a alors continué à examiner en détail la description par la plaignante de l'agression sexuelle présumée et a conclu que sa description du temps passé avec l'accusé et celle de l'acte sexuel [traduction] « étaient improbables » et que [traduction] « ce témoignage laisse planer la possibilité que la plaignante puisse avoir consenti à un rapport sexuel avec l'accusé et [ayant peur d'une amie qui était la mère du fils de l'accusé] et, sachant quels étaient ses sentiments, elle craignait d'admettre que l'événement était consensuel […] ». La Cour a poursuivi en disant qu'après avoir examiné la preuve physique indépendante, cette dernière n'a pas démontré de façon concluante l'absence de consentement. Selon un résumé de la Cour, elle n'était pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable selon la preuve que la plaignante n'avait pas consenti et que l'accusé avait droit au bénéfice du doute.

123 L'avocat du fonctionnaire a également renvoyé à R. v. L.H.,[2007] O.J. No. 1588 (QL), qui a ainsi résumé un certain nombre de principes extraits de la jurisprudence, commençant au paragraphe 87 :

87      La Cour doit être convaincue hors de tout doute raisonnable de la question de la crédibilité lorsque l'affaire repose sur la preuve contradictoire par deux témoins : Regina v. Selles (1997), 101 O.A.C. 193 (C.A.) aux p. 207 et 208 par le juge Finlayson; M.(N.) v. The Queen, [1994] O.J. No. 1715 (C.A.) (confirmé par [1995] 2 R.C.S. 415). Lorsqu'il y a des incohérences ou des contradictions importantes dans le témoignage d'un plaignant ou lorsqu'elles sont examinées par rapport aux témoignages contradictoires dans l'affaire, le juge des faits doit évaluer avec soin la preuve avant de conclure que la culpabilité a été établie : Regina v. S.W. (1994), 18 O.R. (3d) 509 (C.A.) à 517 par le juge Finlayson (autorisation d'interjeter appel devant la CSC refusée [1994] S.C.C.A. No. 290, [1994] 2 R.S.C. x); Regina v. Oziel, [1997] O.J. No. 1185 (C.A.) aux paragr. 8, 9, par la cour; Regina v. Norman (1993), 87 C.C.C. (3d) 153 (Ont. C.A.) aux p. 172 à 174 par le juge Finlayson, paragr. 87.

88      La preuve sur le comportement seule ne suffit pas pour parvenir à une conclusion de culpabilité : Regina v. K.(A.) (1999), 123 O.A.C. 161 (C.A.) à 172 par le juge Rosenberg.

[…]

90      Le fait qu'un plaignant donne suite à une plainte ne peut pas constituer une preuve qui renforce sa crédibilité – autrement, cela aurait l'effet d'infirmer le fardeau de la preuve : Regina v. A.(G.R.) (1994), 35 C.R. (4th) 340 (Ont. C.A.) au paragr. 3 par la cour; R. v. Islam, [1999] 1 Cr. App. R. 22 (C.A.) à 27. Il se peut que, dans les circonstances d'une affaire donnée, la défense souhaite soulever la question de la plainte tardive pour l'opposer à la véracité du compte rendu par le plaignant de l'agression. L'importance ou la pertinence sur la preuve, le cas échéant, de l'omission par le plaignant de présenter une telle plainte est contextuelle et elle variera d'une affaire à l'autre selon l'évaluation par le juge des faits de la preuve pertinente à l'omission de présenter une plainte contemporaine : The Queen v. D.(D.) (2000), 148 C.C.C. (3d) 41 (S.C.C.) aux pages 64 à 67 par le juge Major; Regina v. M.(P.S.) (1993), 77 C.C.C. (3d) 402 (Ont. C.A.) par le juge Doherty J.A. à 408-409.

[…]

94      L'existence ou l'absence d'un motif d'invention par le plaignant est un facteur pertinent à prendre en considération : The Queen v. K.G.B. (1993), 79 C.C.C. (3d) 257 (S.C.C.) à 300 par le juge en chef Lamer; R. v. Prasad, [2007] A.J. NO. 139 (C.A.) aux paragr. 2 à 8; Regina v. K.(A.),supra à 173; Regina v. M.(W.M.), [1998] O.J. No. 4847 (C.A.) au paragr. 3 par la cour; Regina v. Jackson, [1995] O.J. No. 2471 (C.A.) aux paragr. 4, 5 par la Cour. Je formule cette observation, en tenant compte du fait que le fardeau de production et de persuasion repose sur la poursuite et qu'un accusé n'a pas à prouver un motif d'invention de la part d'un témoin principal de la Couronne. La preuve de la motivation à mentir d'un témoin est pertinente, tout comme pour l'accusé en tant que témoin : Regina v. Murray (1997), 99 O.A.C. 103 (C.A.) aux paragr. 11 à 14 par le juge Charron.

[…]

124 En l'espèce, Mme Johannson, en sa qualité d'enquêtrice, et le SCC, dans son argumentation, ont fait valoir que le fait que la plaignante a déposé une plainte renforce sa crédibilité, alors que la citation dans le dernier extrait, au paragraphe 90, précise que cela est contraire à la loi.

125 En ce qui concerne le paragraphe 94 de cette citation, même si la plaignante a indiqué dans son témoignage que l'épouse du fonctionnaire n'avait pas de pouvoir direct sur elle, il n'est pas crédible qu'elle ne fût pas préoccupée par le fait d'être découverte en train d'avoir une relation sexuelle avec l'époux d'une gestionnaire pénitentiaire.

126 Une comparaison du témoignage de la plaignante, de ses nombreuses déclarations faites dans le cadre de l'enquête et de son témoignage à l'audience préliminaire indique de nombreuses incohérences d'une déclaration à l'autre et des éléments qui ne sont pas réellement vraisemblables en ce qui concerne ce qu'elle a décrit. À un certain nombre d'occasions, elle n'a pu expliquer pourquoi elle n'a pas téléphoné ou envoyé un message texte plus tôt pour demander de l'aide. Elle a indiqué que la porte du camion du côté passager était verrouillée lorsqu'il été reconnu qu'elle ne pouvait être verrouillée de l'intérieur et, à la demande initiale de M. Sorenson sur l'endroit où elle se trouvait, elle a répondu : [traduction] « Nulle part ».

127 Tous les éléments qui précèdent sont des considérations pertinentes en ce qui concerne la crédibilité de la plaignante et la question de savoir si le SCC a prouvé l'absence de consentement. La fonctionnaire a déclaré qu'elle n'est pas crédible.

128 Un exemple de faux témoignage de la part de la plaignante était son récit selon lequel personne n'était présent lorsque le fonctionnaire l'a attrapée par l'arrière du cou et l'a forcée à traverser le parc de stationnement jusqu'à son camion. La vidéo montre qu'après que le fonctionnaire a quitté la brasserie, il était suivi par cinq autres personnes.

129 Un autre exemple est que le seul ensemble d'empreintes de pneus près du camion et du fossé étaient celles du camion de M. Sather, ce qui montre que la femme qui a parlé à M. Murphy avec le téléphone du fonctionnaire n'était pas dans une autre voiture – il s'agissait de la plaignante.

130 L'idée qu'une femme s'arrête au milieu de la nuit pour offrir son aide puis utilise le téléphone du fonctionnaire pour donner des directives ne passe pas le critère de la prépondérance des probabilités.

2. Réparation pour la perte d'emploi

131 Le fonctionnaire a indiqué qu'il ne souhaitait pas une réintégration, mais plutôt des dommages-intérêts. Hay River Health and Social Services Authority v. Public Service Alliance of Canada, (2010) CLAD No. 407 (« Hay River ») (QL), a été invoqué comme une autorité sur la façon de calculer les dommages-intérêts. Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada),2012 CRTFP 96, a également été mentionnée et elle cite et approuve la décision Hay River.

3. Mauvaise foi et conduite malveillante

132 M. Bird a tenté de justifier les caviardages dans les rapports d'enquête en déclarant qu'ils étaient autorisés par l'annexe J de la convention collective. Cependant, cette annexe ne donne pas au SCC le droit de réagir de manière excessive.

133 M. Bird a indiqué qu'il n'avait pas de contrôle sur ce qui était rédigé. Il a dit que le document a été transmis à l'Accès à l'information et protection des renseignements personnels (AIPRP) qui a pris ces décisions.

134 Dans Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, selon le raisonnement de l'ancienne Commission, la Cour suprême du Canada a statué que l'ensemble d'un différend dont l'essence découle de l'interprétation, de l'administration ou de la violation de la convention collective était de la compétence de l'arbitre de grief. L'ancienne Commission a conclu que, pour concrétiser cette tendance, les arbitres de griefs doivent aussi disposer du pouvoir de créer des mesures de réparation qui tiennent compte de cette compétence élargie, y compris le pouvoir d'accorder des dommages punitifs, s'il y a lieu.

135 Le concept des dommages punitifs est bien documenté dans la common law. Le comportement doit être dur, vengeur, répréhensible ou malicieux. Toutefois, il n'y a pas de critères précis pour déterminer ce qui constitue une malveillance. Dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, au paragr. 62, la Cour suprême a déclaré que les dommages-intérêts punitifs sont accordés uniquement « lorsque l'acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu'il justifie une sanction indépendante ». Ainsi, les dommages punitifs sont accordés dans le cas d'un acte fautif qui en soi ouvre droit à une action en justice.

136 Dans Keays, la Cour suprême a prévenu que le pouvoir discrétionnaire de les accorder devrait être exercé avec une très grande prudence à titre exceptionnel seulement. Par exemple, la Cour d'appel fédérale a refusé d'accorder ces dommages-intérêts dans Canada (Procureur général) c. Bédirian, 2007 CAF 221.

137 Dans Robitaille, l'ancienne Commission a conclu que les faits démontraient que l'employeur dans cette affaire ou ses représentants avaient agi délibérément et avec malice à l'égard du fonctionnaire en faisant mener une enquête sans vérification des faits, en ne communiquant au fonctionnaire les éléments essentiels à la plainte que quelques jours avant la tenue de l'enquête, en ne lui communiquant ni la plainte ni le document chronologique des événements préparés au soutien des allégations ainsi qu'une longue liste d'autres actions. L'ancienne Commission a conclu que ces actes étaient destinés à nuire au fonctionnaire et n'étaient pas la simple conséquence de l'enquête ou de la mesure disciplinaire et qu'ils constituaient un comportement malveillant en soi. En outre, l'employeur n'a fourni aucune explication raisonnable pour avoir procédé de la sorte. Par conséquent, l'ancienne Commission a ordonné à l'employeur de verser au fonctionnaire la somme de 50 000 $ en dommages punitifs.

138 En l'espèce, sur les 70 pages du rapport, 53 avaient des caviardages. Il y en avait tant qu'un lecteur ne pouvait comprendre le document. Les caviardages visaient les faits, les noms, les allégations, les sections de synopsis, les analyses, les intitulés, entre autres.

139 Certains caviardages précis visaient des éléments qui auraient été utiles au fonctionnaire. Le nom de Mme Moan a été caviardé, tout comme celui de deux serveuses de la brasserie. Aucun lien n'a été montré pour justifier ces caviardages en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

140 Les caviardages indiquent non seulement l'incompétence, mais également la malveillance. Les représentants du SCC auraient dû savoir ce qu'il était approprié de caviarder et il serait possible de soutenir avec raison que le choix des caviardages était délibéré. Les choix qui ont été faits indiquent que la personne qui a pris ces décisions a agi dans l'idée de nuire au fonctionnaire.

141 Selon les événements survenus, on pensait qu'il fallait conclure qu'une agression sexuelle avait été commise et que le SCC tentait d'empêcher le fonctionnaire de préparer une défense appropriée. Par exemple, le fait que la plaignante a bu de l'alcool a été caviardé à de nombreuses reprises. La consommation d'alcool du fonctionnaire était de bonne guerre, mais pas celle de la plaignante. La déclaration de l'un des agents correctionnels qui se trouvait dans la brasserie cette nuit-là selon laquelle la plaignante [traduction] « lui a mis la main sur les fesses » a été caviardée.

142 Si l'on met de côté la question de savoir si les enquêteurs l'ont trouvé crédible ou non, le fonctionnaire avait le droit de savoir qu'une allégation était faite. Le fait que la plaignante a indiqué verbalement qu'elle ne souhaitait pas être interrogée de nouveau par les enquêteurs disciplinaires a été caviardé. La déclaration de Mme Moan dans le corps du rapport selon laquelle la plaignante était heureuse lorsqu'elle a brandi les clés a été caviardée. La déclaration de M. Murphy selon laquelle la femme à qui il a parlé au téléphone était calme pour une personne qui lançait des allégations a été caviardée.

143 Il semble évident à l'examen de ces caviardages dans leur ensemble qu'une personne avait l'intention de caviarder les points qui pouvaient être favorables au fonctionnaire.

144 De même, le refus du SCC de communiquer les renseignements qu'il avait recueillis à la date de l'entrevue du fonctionnaire le 20 janvier démontre également de la mauvaise foi.

145 L'affaire Tipple c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-14758 (19850128) ne s'applique pas en l'espèce. Cette décision fait référence à des erreurs de procédure.

146 En l'espèce, même si le fonctionnaire avait droit à une défense pleine et entière durant le présent arbitrage, cela ne signifiait pas que le SCC avait carte blanche pour agir de mauvaise foi ou de façon malveillante. S'il y a eu mauvaise foi ou un comportement malveillant, alors Robitaille est toujours judicieuse.

147 Des renseignements transmis par certains collègues du fonctionnaire de façon informelle n'étaient pas une solution de rechange à un avis officiel de la part du SCC selon lequel des allégations avaient été formulées ainsi que des détails de l'allégation et de ses faits justificatifs figurant dans le rapport non caviardé.

4. Ordonnance de mise sous scellés

148 Le SCC a demandé qu'une ordonnance de mise sous scellés soit délivrée à l'égard de toutes les pièces qui font référence à la plaignante. L'agent négociateur a indiqué que sa convention prévoyait que l'une des parties peut avoir accès aux pièces si elle le souhaite.

5. Conclusion défavorable

149 Aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée en ce qui concerne le fait que le fonctionnaire n'a pas témoigné, puisque le fardeau repose sur le SCC. Le fonctionnaire n'avait pas à répondre aux déclarations et spéculations complètement contraires qui découlaient des nombreuses incohérences du témoin principal du SCC.

6. Browne v. Dunn

150 Il est évident que le consentement est la question en litige en l'espèce. L'avocat du fonctionnaire n'a appelé qu'un seul témoin. Durant le témoignage de la plaignante, les déclarations de Mme Moan lui ont été présentées pour qu'elle puisse commenter la preuve qui serait déposée.

VI. Analyse et décision

A. L'agression sexuelle présumée

151 Les parties reconnaissent que, si je conclus que le fonctionnaire a agressé sexuellement la plaignante, ce comportement justifie alors le licenciement. La question consiste simplement à déterminer si le SCC a établi que le fonctionnaire a agressé sexuellement la plaignante.

152 Selon une ancienne jurisprudence, la norme de preuve dans les questions de discipline grave est plus élevée que la prépondérance des probabilités ou le témoignage de l'employeur devrait être examiné plus étroitement, mais ce n'est plus le cas. Dans McDougall, la Cour suprême du Canada a déclaré de façon non équivoque ce qui suit au paragraphe 40 :« Comme l'a fait la Chambre des lords, notre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu'il n'existe au Canada, en common law, qu'une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités. »

153 La Cour a continué en ces termes :

[…]

44 […] À mon avis, la seule façon possible d'arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l'événement a eu lieu.

45 Laisser entendre que, lorsqu'une allégation formulée dans une affaire civile est grave, la preuve offerte doit être examinée plus attentivement suppose que l'examen peut être moins rigoureux dans le cas d'une allégation moins grave. Je crois qu'il est erroné de dire que notre régime juridique admet différents degrés d'examen de la preuve selon la gravité de l'affaire. Il n'existe qu'une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.

[…]

154 La décision faisant autorité en ce qui concerne le critère pour les agressions sexuelles est la décision de la Cour suprême dans Ewanchuk. La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans cette décision :

[…]

25 L'actus reus de l'agression sexuelle est établi par la preuve de trois éléments : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l'absence de consentement. Les deux premiers éléments sont objectifs. Il suffit que le ministère public prouve que les actes de l'accusé étaient volontaires. La nature sexuelle de l'agression est déterminée objectivement; le ministère public n'a pas besoin de prouver que l'accusé avait quelque mens rea pour ce qui est de la nature sexuelle de son comportement […].

Toutefois, l'absence de consentement est subjective et déterminée par rapport à l'état d'esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l'égard des attouchements, lorsqu'ils ont eu lieu.

[…]

31 […] le juge des faits ne peut tirer que l'une ou l'autre des deux conclusions suivantes : la plaignante a consenti ou elle n'a pas consenti. Il n'y a pas de troisième possibilité. Si le juge des faits accepte le témoignage de la plaignante qu'elle n'a pas consenti, même si son comportement contredit fortement cette prétention, l'absence de consentement est établie et le troisième élément de l'actus reus de l'agression sexuelle est prouvé. Dans notre jurisprudence de common law, la doctrine du consentement tacite a été reconnue dans divers contextes, mais pas dans celui de l'agression sexuelle.

[…]

32 En l'espèce, le juge du procès a accepté le témoignage de la plaignante qu'elle n'avait pas consenti. Cela étant, il s'est ensuite donné de mauvaises directives lorsqu'il a pris en compte les actes de la plaignante, mais non son état d'esprit subjectif, pour décider de la question du consentement. Par conséquent, il n'a pas tenu compte de sa conclusion précédente selon laquelle tous les attouchements sexuels de l'accusé étaient non souhaités. Il a plutôt considéré ce qu'il percevait comme un comportement ambigu de la part de la plaignante comme étant l'incapacité du ministère public de prouver l'absence de consentement.

[…]

39 La question n'est pas de savoir si la plaignante aurait préféré ne pas se livrer à l'activité sexuelle, mais plutôt si elle croyait n'avoir le choix qu'entre deux partis : acquiescer ou être violentée. Si la plaignante donne son accord à l'activité sexuelle uniquement parce qu'elle croit sincèrement qu'elle subira de la violence physique si elle ne le fait pas, le droit considère qu'il y a absence de consentement, et le troisième élément de l'actus reus de l'infraction d'agression sexuelle est établi. Le juge des faits doit conclure que la plaignante ne voulait pas subir d'attouchements sexuels et qu'elle a décidé de permettre l'activité sexuelle ou d'y participer en raison d'une crainte sincère. Il n'est pas nécessaire que la crainte de la plaignante soit raisonnable, ni qu'elle ait été communiquée à l'accusé pour que le consentement soit vicié. Bien que la plausibilité de la crainte alléguée et toutes expressions évidentes de cette crainte soient manifestement pertinentes pour apprécier la crédibilité de la prétention de la plaignante qu'elle a consenti sous l'effet de la crainte, la démarche est subjective.

[…]

46 […] [p]our que les actes de l'accusé soient empreints d'innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l'activité sexuelle en question […].

[…]

49 […] la notion de « consentement » signifie que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l'activité sexuelle […].

[…]

[Le passage en évidence l'est dans l'original]

155 De plus, lorsqu'elle a analysé la défense de la croyance sincère mais erronée, la Cour suprême a conclu ce qui suit au paragraphe 52 :

52 Le sens commun devrait dicter que, dès que la plaignante a indiqué qu'elle n'est pas disposée à participer à des contacts sexuels, l'accusé doit s'assurer qu'elle a réellement changé d'avis avant d'engager d'autres gestes intimes. L'accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d'avis et qu'elle consent, et il ne peut pas non plus se livrer à d'autres attouchements sexuels afin de « voir ce qui va se passer ». La poursuite de contacts sexuels après qu'une personne a dit « non » est, à tout le moins, une conduite insouciante qui n'est pas excusable […].

156 La Cour suprême a récemment confirmé Ewanchuk dans J.A. Elle a conclu ce qui suit :

[…]

34 Dans le contexte d'une agression sexuelle, le consentement s'entend, selon le par. 273.1(1), de « l'accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle ». Cette définition indique que le plaignant doit consentir spécifiquement à chacun des actes sexuels et réfute l'argument que le législateur entendait inclure un consentement général donné à l'avance. Comme nous le verrons plus loin, selon la Cour, cette disposition exige que la plaignante consente aux attouchements « lorsqu'ils ont […] lieu » […].

[…]

46 Pour établir si le plaignant était ou non consentant, le seul moment pertinent est celui des attouchements […]. Le point de vue du plaignant à l'égard des attouchements, avant ou après qu'ils se produisent, n'est pas directement pertinent […].

[…]

47 […] rien ne remplace le consentement réel à l'activité sexuelle au moment où elle a lieu. L'accusé ne peut prétendre que le consentement du plaignant était implicite, compte tenu des circonstances ou de la relation qu'il entretenait avec lui. La défense de consentement tacite n'existe pas en matière d'agression sexuelle […].

[…]

157 Par exemple, dans Lavergne-Bowkett, des éléments de preuve ont été présentés en ce qui concerne la volonté de la plaignante dans cette affaire de rester avec l'accusé dans un bar après qu'il a commencé à se frotter contre elle, le fait qu'elle a accepté de revenir à son appartement et son comportement lorsqu'elle a enfilé une tenue d'infirmière sexy et une chemise de nuit orange ainsi que les événements à caractère non sexuel, comme le fait de regarder la télévision et de jouer de la guitare, et ils ont été perçus, dans le cadre de l'analyse, comme faisant partie d'une défense de la croyance sincère mais erronée au consentement. Il a été conclu qu'aucun n'avait entaché le fait que rien dans la preuve n'indiquait que l'accusé a pris des mesures raisonnables pour s'assurer du consentement.

158 Lorsqu'elle a analysé cette affaire, la Cour a déclaré l'accusé coupable au-delà de tout doute raisonnable. Même si la crédibilité de la plaignante a été contestée, les éléments du critère de l'agression sexuelle ont été établis. Il n'y avait aucun élément de preuve indiquant que la plaignante avait subjectivement consenti. La Cour a précisément conclu que le fait de ne pas résister n'était pas un consentement.

159 En l'espèce, la relation dragueuse de la plaignante ou son comportement ambigu avec M. Sather jusqu'au moment où elle est montée pour la première fois dans son camion ne peut indiquer un consentement à une activité sexuelle subséquente. Cela serait contraire à la loi. J'inclus la controverse au sujet de la question de savoir si la plaignante a brandi les clés et, selon Mme Moan, semblait être une participante de plein gré qui partait avec M. Sather dans son camion. Après que la plaignante eut monté dans le camion, la seule preuve est qu'elle a commencé à avoir très peur des intentions du fonctionnaire et qu'elle a indiqué à répétition à M. Sather qu'elle ne voulait pas avoir de rapports sexuels avec lui. Elle n'a changé d'idée et donné son consentement à aucun moment.

160 Le témoignage de la plaignante n'a pas été contredit, puisque seuls elle-même et le fonctionnaire se trouvaient dans le camion et qu'il n'a pas témoigné. Il s'ensuit que la seule façon dont le SCC pouvait montrer qu'il s'était acquitté de son fardeau d'établir que l'agression sexuelle avait eu lieu était au moyen d'une preuve qui aurait révélé que la plaignante n'était pas crédible. Même si le témoignage d'un plaignant peut manquer de crédibilité sur certaines questions, le témoignage de la plaignante quant à l'ensemble des allégations peut résister à l'examen. Il est possible qu'on la croie pour certaines questions et non pour d'autres et quand même conclure qu'elle a été agressée.

161 L'avocat du fonctionnaire a fait un excellent travail d'extraction des incohérences des nombreuses déclarations de la plaignante et de son témoignage à l'audience préliminaire. Il serait étrange et suspect qu'il n'y en ait pas. Une absence totale d'incohérences indiquerait probablement qu'il s'agit d'une histoire inventée. La nature des incohérences revêt le plus d'importance. Certaines, comme la question de savoir si M. Sorensen a dit à la plaignante [traduction] « Vous devriez le signaler » ou [traduction] « Si cela est vrai, vous devriez le signaler » sont compréhensibles, compte tenu de l'état d'esprit probable de la plaignante lorsque la déclaration a été faite. Le fait de laisser tomber un détail dans une déclaration qui est inclus dans une autre est également compréhensible. Dans certains cas, les détails peuvent être trouvés grâce à des questions. Ce qui est plus révélateur est lorsque des détails importants dans différentes déclarations sont contradictoires, ils peuvent exposer des faussetés délibérées.

162 Apparemment, en l'espèce, il y a un problème en ce qui concerne le compte rendu par la plaignante des événements survenus dans le parc de stationnement. Les bandes-vidéo indiquent qu'à 00 h 31, la plaignante a quitté la brasserie avec le fonctionnaire et que, peu de temps par la suite, ils sont revenus tous les deux. Au no 14 du compteur de la même bande-vidéo, la plaignante quitte encore une fois la brasserie avec le fonctionnaire. Au no 15, Mme Moan passe brièvement sa tête par la porte, ce qui semble coïncider avec son témoignage selon lequel elle a dit au fonctionnaire d'arrêter parce qu'il transportait deux bières, qu'il était de toute évidence en état d'ébriété et qu'elle craignait qu'il conduise. À ce moment, Mme Moan a déclaré que la plaignante a brandi les clés et a dit qu'elle conduisait.

163 Au no 17, la bande-vidéo montre le fonctionnaire entrant dans la brasserie, ce qui coïncide avec le témoignage de Mme Moan selon lequel il est revenu en tenant les deux bières. Il en a alors laissé échapper une sur le plancher. Mme Moan est partie chercher quelque chose pour nettoyer le verre et la bière. Lorsqu'elle est revenue, le fonctionnaire était parti. J'accepte le témoignage de Mme Moan sur ce point. La plaignante a indiqué que ce que Mme Moan a dit au sujet du fait qu'elle avait les clés et qu'elle allait conduire était probablement vrai, mais qu'elle n'en avait aucun souvenir.

164 La bande-vidéo indique qu'au no 17, le fonctionnaire entre seul dans la brasserie, laissant la plaignante à l'extérieur. Elle a probablement tenté de démarrer le camion à ce moment, a vu le signal d'erreur du verrou de sécurité et est revenue dans la brasserie pour dire au fonctionnaire qu'elle ne pouvait le démarrer. Elle a alors rencontré le fonctionnaire lorsqu'il a quitté la brasserie, comme l'indique la bande-vidéo à 00 h 38, suivi de peu par cinq autres personnes.

165 Je crois que la preuve indique que la plaignante était une participante de plein gré entraînée vers le camion. Il se peut que le fonctionnaire ait eu sa main à l'arrière de son cou, mais je crois que c'était pour plaisanter plutôt que pour la forcer. Je ne crois donc pas que la preuve appuie son compte rendu du fait qu'elle a été entraînée de force dans le camion. Je crois qu'il est plus probable et conforme à son admission qu'elle le [traduction] « draguait » et que le fonctionnaire n'a pas utilisé la force pour la faire monter dans le camion.

166 Cependant, je conclus que le témoignage de la plaignante est crédible après qu'elle est montée dans le camion et que le fonctionnaire a commencé à conduire. Il faisait 17 degrés sous zéro, elle était légèrement vêtue et avait laissé sa sacoche dans le bar. Selon son témoignage, elle a immédiatement commencé à exiger que le fonctionnaire arrête et la laisse retourner dans le bar. Selon son témoignage, il est clair qu'elle n'a pas consenti à une activité sexuelle.

167 Le critère de la crédibilité a souvent été cité et celui que les deux parties ont invoqué est celui établi dans la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna ainsi :

[Traduction]

[…]

Si l'acceptation de la crédibilité d'un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l'apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l'administration de la justice dépendrait des talents d'acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l'apparence de sincérité n'est qu'un des éléments qui entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'apprécier la crédibilité d'un témoin. Les possibilités qu'avait le témoin d'être au courant des faits, sa capacité d'observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu'il a vu et entendu contribuent, de concert avec d'autres facteurs, à créer ce qu'on appelle la crédibilité […] Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu'il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas somme toute assez peu fréquents où l'on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu'il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l'espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances.

[…]

168 L'avocat du fonctionnaire a fait valoir qu'en l'espèce, il était improbable qu'au milieu de la nuit, une femme arrête pour aider le fonctionnaire, de sorte que la femme calme qui a parlé à M. Murphy devait être la plaignante, ce qui réduit à néant sa crédibilité. Je ne suis pas d'accord. Même si je reconnais qu'un nombre important de femmes peuvent être trop timides ou méfiantes pour arrêter et offrir leur aide, je crois également qu'un nombre important de personnes se seraient arrêtées pour aider une personne qui avait quitté la route pour aboutir dans un fossé, étant donné que c'était le milieu de la nuit et qu'il faisait 17 degrés sous zéro.

169 M. Murphy a déclaré que le fonctionnaire lui a dit que la femme qui lui a parlé calmement avec son téléphone était en fait la plaignante. La preuve indique que cela était impossible. La plaignante et M. Sorensen ont indiqué dans leur témoignage que, comme cela a été vérifié par les registres téléphoniques, la plaignante a été recueillie à 1 h 29. La preuve indique que la plaignante a été recueillie près de deux kilomètres du lieu où le fonctionnaire est tombé dans un fossé. M. Murphy a indiqué dans son témoignage qu'il a reçu l'appel du fonctionnaire, au cours duquel il a parlé avec la femme, de 1 h 38 à 1 h 39. M. Murphy était très certain de ce moment, ce qui a été corroboré par le fait que lui-même et les autres membres de l'équipe de secours sont partis peu de temps après l'appel et qu'ils ont été vus lorsqu'ils ont quitté le bar.

170 Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, j'accepte le fait qu'il est crédible que le témoignage de la plaignante indique, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle a été agressée sexuellement par le fonctionnaire.

171 Des incohérences mineures et même des dénégations ou des minimisations d'un comportement antérieur provocant ne diminuent pas la nécessité d'examiner le témoignage de la plaignante dans son intégralité et dans le contexte de la preuve dans son ensemble, au moment de décider s'il y a eu consentement. Voir Saadatmandi.

172 Tel qu'il a été mentionné ci-dessus, il n'y a pas de présomption d'innocence dans les affaires civiles.

173 L'omission du fonctionnaire de témoigner en l'espèce aurait dû entraîner une conclusion défavorable, comme l'indiquent Brown et Beatty au paragr. 3:5120.

174 L'ancienne Commission a tiré des conclusions défavorables dans des griefs disciplinaires dans des affaires comme Ayangma et Baptiste.

175 L'omission du fonctionnaire de témoigner signifie que je devrais conclure qu'une partie de son témoignage relatif à l'agression sexuelle ne serait pas utile à sa cause.

176 Même si l'existence continue d'une instance criminelle peut justifier le silence durant l'enquête et la procédure disciplinaire, la menace d'une instance criminelle n'existe plus. Le fonctionnaire n'avait aucune raison de ne pas fournir sa version des événements durant l'audience, autre que celle au cours de laquelle il aurait eu à subir un contre-interrogatoire.

177 Je conclus que la preuve montre que l'agression sexuelle a été prouvée et que la cessation d'emploi du fonctionnaire était justifiée.

B. La mauvaise foi et la conduite malveillante présumées

178 En dehors de la question de savoir si le SCC avait fait preuve de mauvaise foi et avait eu une conduite malveillante, la loi précise que les problèmes de procédure sont entièrement réparés par l'audition de novo qui a eu lieu devant l'arbitre : voir Tipple.

179 Le fonctionnaire a fait valoir que le SCC avait fait preuve de mauvaise foi et avait eu une conduite malveillante parce qu'il a manifestement tenté de nuire à sa capacité de se défendre contre les allégations de la plaignante selon lesquelles elle a été agressée sexuellement. Le fonctionnaire a dit que la mauvaise foi et la conduite malveillante étaient démontrées par l'étendue des caviardages dans la copie du rapport d'enquête disciplinaire qui lui a été initialement fournie ainsi que la conduite de M. Bird qui ne lui a pas donné un avis raisonnable pour lui permettre de bien se préparer pour l'audience du 12 avril 2011.

180 Sur les 70 pages du rapport d'enquête disciplinaire, 53 avaient des caviardages. Je souscris à l'observation du fonctionnaire selon laquelle les caviardages indiquaient un préjugé favorable à la protection de la plaignante contre la divulgation de renseignements qui auraient été utiles au fonctionnaire, alors que la même protection ne lui a pas été offerte. Par exemple, les références à la consommation de boissons par la plaignante plus tôt au cours de la soirée ont été caviardées, alors que celles concernant la consommation de boissons par le fonctionnaire ne l'ont pas été.

181 J'ai été franchement étonné par l'étendue des caviardages. Le SCC et M. Bird ont tenté de les justifier en disant qu'ils étaient autorisés par la clause 17.07 et l'annexe J de la convention collective. Pour plus de commodité, ces dispositions prévoient ce qui suit :

17.07 Conformément à la Loisur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'Employeur permet à l'employé-e l'accès à l'information ayant servi au cours de l'enquête disciplinaire.

[…]

Annexe J

La présente lettre renvoie aux discussions tenues par les parties au sujet de l'application de la clause 17.07 de la convention collective applicable au groupe Services correctionnels. Pour fin de référence, le texte de cette disposition est reproduit ci-dessous.

[…]

Il est convenu que cette disposition vise à fournir à l'employé-e qui a fait l'objet d'une enquête disciplinaire, l'accès à l'information / document(s) ayant servi au cours de ladite enquête conformément à la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, sans que l'employé-e doive en faire la demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. L'accès prévu au paragraphe 17.07 devrait s'effectuer promptement dans le contexte de l'audition disciplinaire.

La présente lettre d'accord expire le 31 mai 2010.

[…]

182 M. Bird a déclaré que le rapport avait été envoyé pour examen et que le SCC n'avait aucun contrôle sur l'étendue du caviardage. Aucune des observations qui m'ont été soumises ne concerne les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, je ne peux donc commenter sur la légalité de l'étendue du caviardage. J'ai ordonné la production d'une copie non caviardée du rapport à l'instance préparatoire à l'audition du présent arbitrage. Cela a entraîné ma décision du 8 août 2013, que j'ai mentionnée plus tôt au cours de la présente décision. J'avais le pouvoir de rendre une ordonnance en vertu d'une mesure législative précise, à savoir l'alinéa 226(1)e) de la LRTFP, qui m'accordait le pouvoir, en ma qualité d'arbitre de grief nommé d'« obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont il est saisi ».

183 Toutefois, avant la nomination d'un arbitre de grief, la capacité d'un employé à avoir accès aux renseignements utilisés dans une instance disciplinaire est régie par la clause 17.07 de la convention collective, ce qui veut dire qu'elle est assujettie à la Loi sur l'accès à l'information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui comprendrait les caviardages autorisés par ces lois.

184 Aucun élément de preuve ne m'a été présenté qui pourrait me permettre de conclure que le SCC a été malveillant lorsqu'il a fait les caviardages.

185 Si l'on examine l'audience du 12 avril, M. Bird n'a pas été en mesure de donner une explication raisonnable de son refus de rejeter la demande de remise présentée par l'avocat du fonctionnaire le 7 avril. M. Bird a répondu le matin du 12 avril qu'il avait fixé de nouveau l'audience qui se tiendra à 14 h le même jour. Selon son explication, il existait deux processus distincts, un processus au criminel et un processus disciplinaire et qu'il n'était pas raisonnable d'ajourner l'audience, puisque le SCC devait la conclure aussitôt que possible. Il n'a donné aucune raison pour appuyer la dernière affirmation, et sa réponse dans l'ensemble n'a aucun sens.

186 Lorsqu'il a présenté une demande de dommages punitifs pour mauvaise foi, le fonctionnaire a cité Robitaille, où l'ancienne Commission a conclu que le comportement d'un employeur envers un fonctionnaire était dur, vengeur, répréhensible et malicieux, de sorte que l'acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu'il « justifie une sanction indépendante », selon Keays. La Cour suprême du Canada dans Keays a conclu que les « dommages-intérêts punitifs sont accordés uniquement lorsque l'acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu'il justifie une sanction indépendante ». À mon avis, la malveillance dans le contexte d'actes délibérés signifie que l'acteur était motivé par une intention de nuire ou de blesser. Selon la preuve, M. Bird n'est pas lié aux décisions de caviarder. La seule preuve qui suggère que M. Bird pourrait s'en être pris personnellement au fonctionnaire concernait la décision de refuser la remise. Plutôt que d'éprouver de la malveillance, je crois qu'il est plus probable que M. Bird était motivé par un souhait déplacé d'accélérer l'audience pour des raisons d'efficacité ou par opportunisme, décidant dans le cadre du processus de ne pas tenir compte des droits du fonctionnaire. Ses actions ne reposent donc pas sur l'intention qui se qualifierait d'outrageusement malveillante et ne respectent pas le critère requis pour les dommages-intérêts punitifs.

C. Ordonnance de mise sous scellés

187 Dans Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, la Cour suprême du Canada a utilisé le critère suivant afin de décider dans quelles circonstances une pièce peut être mise sous scellés :

  1. L'ordonnance est-elle nécessaire pour prévenir un risque élevé à l'égard d'un droit important, y compris un intérêt commercial, dans le cadre d'un litige, car d'autres mesures raisonnables ne préviendront pas le risque?; et
  2. Les effets bénéfiques de l'ordonnance, y compris les effets sur les droits des parties civiles à un procès équitable, l'emportent-ils sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur le droit à la liberté d'expression, ce qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans des procédures judiciaires ouvertes et accessibles?

188 En l'espèce, la preuve justifie la conclusion selon laquelle la protection de l'identité de la plaignante revêt un intérêt important et prépondérant, qui justifie la mise sous scellés de toutes les pièces qui font référence à la plaignante afin de protéger son identité.

189 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

190 Le grief est rejeté.

191 Toutes les pièces de la présente affaire qui font référence à la plaignante doivent être mises sous scellés, accompagnées de la disposition selon laquelle l'une ou l'autre des parties a le droit d'avoir accès aux pièces mises sous scellés.

Le 14 mai 2015.

Traduction de la CRTEFP

William H. Kydd,
arbitre de grief

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