Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé est un technicien en électronique – il a demandé une rémunération de ses heures supplémentaires pour la période au cours de laquelle il était à bord d'un navire mais était endormi – le fonctionnaire s'estimant lésé effectuait des essais en mer et a terminé son travail en soirée – il a mangé et est allé se coucher – alors qu'il dormait, le navire est entré dans le port d'Halifax – le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé d'être rémunéré pour la période comprise entre 1 h (le moment où le navire a traversé les limites du port) et 9 h, au moment où il est descendu – l'employeur a fait valoir que la clause relative aux heures supplémentaires de la convention collective ne s'appliquait pas et qu'elle était supplantée par la clause 23.04, qui est intitulée « Service en mer à bord d'un navire de surface » et qui prévoyait une rémunération pour les essais en mer pour toutes les heures passées à bord jusqu'à une heure après avoir atteint les limites du port sur le chemin du retour définitif – il a également soutenu que le fait de dormir à bord ne pouvait être considéré comme du « travail » au sens de la convention collective – la formation de la Commission a conclu qu'en l'absence de la clause 23.04, le fonctionnaire s'estimant lésé aurait eu droit à une rémunération au taux régulier ou applicable prévu par la convention collective puisque son temps ne lui appartenait pas – son temps était mobilisé par les activités de l'employeur – mais les parties s'étaient entendues sur le fait que durant les essais en mer, un employé serait rémunéré selon différents motifs, en vertu de la clause 23.04 – la clause 23.04 était silencieuse au sujet du temps passé à bord après la limite d'une heure et elle cessait d'avoir effet une heure après que le navire a franchi les limites du port – la rémunération était donc visée par les taux de rémunération réguliers ou applicables – le résultat subsidiaire, soit que l'employeur n'avait pas l'obligation de rémunérer un employé pour le temps passé à bord d'un navire une heure après qu'il a franchi les limites du port, ne peut être correct. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150407
  • Dossier: 566-02-9716
  • Référence: 2015 CRTEFP 32

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique


ENTRE

JOHN HUTCHISON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Hutchison c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Raymond Larkin, c.r. et Jillian Houlihan, co-avocate
Pour l'employeur:
Sean Kelly, avocat
Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
le 8 janvier 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Introduction

1 Un employé qui dort peut-il être considéré comme étant « au travail » et être rémunéré? C'est la question que je dois trancher.

2 Le Conseil de l'est des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral (le « Conseil ») est l'agent négociateur des employés qui sont membres des dix syndicats affiliés travaillant à l'Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott (« IMF CS ») à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), John Hutchison, est membre de l'unité de négociation représentée par le Conseil. Pendant toute la période pertinente, le ministère de la Défense nationale (c'est-à-dire le Conseil du Trésor ou l'« employeur ») et le Conseil étaient parties à une entente qu'ils ont conclue et dont la date d'expiration était le 31 décembre 2011 (la « convention collective »). Les parties ont accepté que la convention collective demeure en vigueur aux fins du présent grief.

3 Le fonctionnaire est un technicien en électronique travaillant au chantier de l'Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott (« IMF CS ») de l'employeur situé à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Du 1er au 2 décembre 2012, il était à bord du NCSM Toronto durant des essais en mer qui ont été menés d'abord à l'extérieur puis à l'intérieur des limites du port d'Halifax. Pendant une partie de ce temps, le fonctionnaire effectuait divers tests sur de l'équipement électronique à bord du navire. Le reste du temps, il ne travaillait pas et passait son temps à parler, à manger ou à lire. Le navire a commencé à revenir au port d'Halifax au début de la soirée du 1er décembre 2012. Le fonctionnaire est allé se coucher alors qu'il était à bord ce soir-là. Le navire a traversé les limites du port vers minuit, alors que le fonctionnaire dormait, et il est entré dans le bassin de Bedford pour effectuer d'autres essais (auxquels n'a pas participé le fonctionnaire). Le fonctionnaire a été emmené du navire au moyen d'une embarcation gonflable à coque rigide (« RHIB ») vers 9 h, le dimanche 2 décembre 2012, et il est revenu à la rive.

4 La question qui est alors soulevée concerne le droit du fonctionnaire, le cas échéant, à une rémunération pour la période qui suit l'heure après que le navire a traversé les limites du port (vers minuit) et son retour à la rive vers 9 h. Selon le fonctionnaire, il a droit à une paie à tarif double en vertu des dispositions de la convention collective. La réponse de l'employeur, d'un autre côté, comportait deux volets. Soit le fonctionnaire n'avait pas droit à une rémunération en vertu de la convention collective selon les faits du présent cas, soit il avait droit uniquement à une paie au tarif régulier. Il l'a donc payé au taux horaire régulier. Selon le grief dont je suis saisi, il faut déterminer qui du fonctionnaire ou de l'employeur a raison.

5 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

II. L'audience

6 Le Conseil a appelé le fonctionnaire à témoigner. Il a été contre-interrogé. L'employeur a appelé le premier maître James Pitt, qui était responsable de l'organisation des tests à mener durant les essais en mer. Il a été contre-interrogé. Comme l'indique clairement l'introduction, les faits ne sont pas réellement contestés. Il n'est donc pas nécessaire de préciser le témoignage de chacun. J'indiquerai simplement les faits selon ces témoignages ainsi que les quelques documents qui ont été déposés en preuve.

III. Les faits

7 Le fonctionnaire travaille au chantier de l'IMF CS à Halifax, en Nouvelle-Écosse, comme technicien en électronique. Son travail comporte l'entretien correctif et préventif sur des systèmes électriques de navires. Son travail est habituellement accompli au chantier ou sur les navires, alors qu'ils y sont amarrés. Cependant, les essais des systèmes électriques d'un navire sont parfois tels qu'ils doivent être effectués en mer à l'extérieur des limites du port. Par exemple, il peut être nécessaire de faire l'essai du matériel de visée et de repérage de l'aéronef d'un navire. Ces tests ne peuvent être effectués dans le port d'Halifax en raison de l'interférence électrique. Ils sont donc effectués durant des essais en mer à l'extérieur des limites du port. Durant ces essais, des techniciens comme le fonctionnaire voyageront à bord du navire alors qu'il se rend au site de l'essai. Durant ces essais en mer, un certain nombre de tests différents seront effectués sur divers équipements. Lorsque le travail ou les tâches qui ont été assignés à des techniciens donnés sont terminés, le reste du temps que ces derniers passent à bord leur appartient : ils peuvent manger, jouer aux cartes, regarder des films, lire ou dormir alors qu'ils attendent que le navire retourne au port. Si le navire retourne au poste d'amarrage, les techniciens en descendent simplement. Si le navire demeure au port pour effectuer d'autres tests, les techniciens qui ne sont plus obligés d'y rester peuvent être emmenés hors du navire à bord d'une RHIB (embarcation gonflable à coque rigide).

8 Les heures normales de travail du fonctionnaire sont de 7 h 45 à 16 h 15, du lundi au vendredi.

9 En décembre 2012, il était prévu que le NCSM Toronto fasse des essais en mer. Le fonctionnaire a été informé qu'il serait affecté à certains tests de certains équipements à bord. Il a été avisé qu'il devait être à bord du navire à 6 h 45 le samedi matin, 1er décembre 2012. Le navire a quitté le quai à 7 h puis a quitté le port. Une fois à bord, le fonctionnaire s'est vu attribuer une cabine où il pouvait entreposer ses effets personnels et dormir. À ce moment, on s'attendait à ce que les essais en mer le tiennent éloigné du port pendant la nuit. Le navire a mis quelques heures pour atteindre l'endroit où les essais devaient être effectués. Pendant ce temps, le fonctionnaire et les autres techniciens étaient assis, parlant et attendant.

10 Les essais ont commencé cet après-midi-là. Le travail du fonctionnaire a commencé à ce moment et était essentiellement terminé au souper à 18 h. Il n'avait aucune autre tâche à ce moment. Il a mangé et est allé se coucher. (Il avait travaillé tard le vendredi précédent et il était fatigué.) Il s'est réveillé à 7 h le dimanche 2 décembre, pour apprendre que le navire effectuait certains tests dans le bassin de Bedford (qui est situé dans la partie supérieure du port d'Halifax). Il a découvert que le navire était entré dans le port d'Halifax (franchissant les limites supérieures du port) durant la nuit précédente, il croyait qu'il était peut-être 23 h. Le premier maître James Pitt a indiqué dans son témoignage que selon son souvenir, le navire a franchi les limites du port vers minuit. Le fonctionnaire a également appris que vers 1 h ou 1 h 30 ce matin-là, un autre groupe de techniciens avait été emmené par RHIB au navire après qu'il est entré dans le port, de sorte que d'autres tests pouvaient être effectués. Le fonctionnaire avait déjeuné et il a donc été emmené du navire par RHIB vers 9 h.

11 Je me dois de signaler qu'il n'est pas contesté que le fonctionnaire n'aurait pu être emmené hors du navire par le RHIB qui avait emmené les autres travailleurs au navire plus tôt ce matin-là. Il dormait à ce moment-là. Néanmoins, il aurait pu être réveillé pour savoir s'il souhaitait partir à ce moment ou attendre le retour du navire au poste d'amarrage plus tard ce matin-là. Le premier maître James Pitt a indiqué dans son témoignage, ce que j'accepte, que sa décision de ne pas réveiller le fonctionnaire pour lui donner l'option était fondée sur sa préoccupation quant à la sécurité de ce dernier (croyant à juste titre qu'il aurait à conduire jusqu'à la maison très tôt le matin). En affirmant cela, je ne veux pas dire qu'il n'y avait aucun élément de preuve d'une réelle préoccupation quant à la sécurité, seulement que la décision du premier maître Pitt a été prise de bonne foi.

IV. La convention collective

12 J'indique ici les parties pertinentes de la convention collective.

13 Les premières parties concernent les définitions figurant à l'article 2 (Interprétation et définitions). La clause 2.01 comprend les définitions suivantes :

[…]

k. « limites du port » désigne une ligne est-ouest de 063 degrés (relèvement astronomique) allant de York Redoubt jusqu'à la plage Maughers sur l'île McNabbs. Le secteur situé au nord de cette ligne constitue la région du port de Halifax et comprend le bassin Bedford;

[…]

o. « travail supplémentaire » désigne tout travail exécuté en dehors de l'horaire de travail d'un employé;

[…]

q. « essais en mer » désigne les essais effectués hors des limites portuaires;

14 Comme il est indiqué ci-dessus, les heures normales de travail du fonctionnaire étaient de 7 h 45 à 16 h 15, du lundi au vendredi, selon les clauses 15.01b)(ii) et 15.02b).

15 La clause 15.10a) prévoit le taux de rémunération des employés tenus de travailler un jour de repos (ce qui, dans ce cas-ci, aurait été un samedi ou un dimanche) :

15.10 Rémunération des heures supplémentaires

     Sous réserve de la clause 15.14, les heures supplémentaires effectuées sont rémunérées aux taux suivants :

a.  deux (2) fois le taux normal pour chaque heure effectuée en sus de huit (8) heures au cours d'une période de travail ininterrompue ou en sus de huit (8) heures au cours de la même journée jusqu'à un maximum de seize (16) heures au cours d'une période de travail ininterrompue, ainsi que pour toutes les heures effectuées un jour de repos jusqu'à concurrence de seize (16) heures;

16 L'article 23 (Indemnités) contient la clause 23.04, sur laquelle une grande partie de l'argument reposait :

23.04 Service en mer à bord d'un navire de surface

     Lorsque l'employé est tenu de se rendre en mer, c'est-à-dire en dehors des limites d'un port, à bord d'un navire afin d'effectuer des essais, de réparer des défauts ou de se débarrasser de munitions, il est rémunéré pour toutes les heures passées à bord jusqu'à une (1) heure après avoir atteint les limites du port sur le chemin du retour définitif, selon les conditions suivantes :

a.  pour les douze (12) premières heures ou moins passées à bord, au taux de rémunération applicable;

b.  pour toutes les heures passées à bord en sus de douze (12) heures, au taux de rémunération applicable pour toutes les heures de travail et au taux de rémunération normal pour toutes les heures non travaillées.

Aux fins de la présente clause, l'employé est censé travailler s'il remplit effectivement les fonctions de son poste ou aide à les remplir, ou s'il a reçu des instructions expresses d'être disponible pour travailler au lieu précis où le travail est exécuté.

V. Arguments des parties

A. Pour le Conseil

17 L'avocat du Conseil a soutenu que deux questions devaient être tranchées :

  1. La clause 23.04 s'appliquait-elle à un employé qui se trouvait à bord d'un navire de surface une heure après qu'il a traversé les limites du port?
  2. Si non, le temps qu'il a passé à bord du navire était-il du « travail exécuté » au sens des dispositions relative aux heures supplémentaires de la clause 15.10a)?

18 L'avocat a fait valoir que la réponse à la première question était « non » et que celle à la deuxième question était « oui ».

19 Pour ce qui est de la première question, l'avocat a noté que les faits étaient clairs et non contestés. Le NCSM Toronto effectuait des essais en mer à l'extérieur des limites du port. Lorsqu'il était à l'extérieur de ces limites, la clause 23.04 s'appliquait. Cependant, le navire est entré de nouveau dans le port d'Halifax et a traversé les limites du port vers minuit le matin du dimanche, 2 décembre 2012. Selon son libellé, la clause 23.04 a cessé de s'appliquer une heure après ce moment. Ainsi, la période entre 1 h ce matin-là jusque vers 9 h, moment où le fonctionnaire est retourné à la rive, ne pouvait être couverte par la clause 23.04. La rémunération pour cette période, le cas échéant, devait être visée par une autre clause de la convention collective.

20 Ce qui a amené l'avocat à la deuxième question. Il a fait valoir que la jurisprudence arbitrale précisait que le « temps mobilisé », soit une période pendant laquelle le temps d'un employé ne lui appartenait pas, pouvait être considéré comme du « travail » au sens de la clause 15.10a).

21 L'avocat s'est fondé sur une longue suite de décisions arbitrales et judiciaires portant sur la question du moment où un employé peut être considéré comme [traduction] « au travail » ou [traduction] « travaillant », même s'il n'effectue pas réellement les tâches pour lesquelles il est employé. Essentiellement, lorsqu'un employé doit être en disponibilité pour effectuer du travail, qu'il doit voyager pour accomplir une tâche ou encore s'il est tenu de rester sur le site du travail même s'il ne travaille pas de sorte que son temps peut être considéré comme « mobilisé » par l'employeur, alors il sera considéré comme « au travail » au sens des dispositions concernant la rémunération d'une convention collective. En présentant cet argument, il a mentionné et invoqué les décisions suivantes : Duggan c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-2-15033 (19850903); O'Leary c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-2-15198 et 15199 (19950619), appel rejeté dans Canada (Treasury Board) v. O'Leary, [1987] F.C.J. No. 162 (C.A.); Falconer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-2-15281 et 15336 (19860619), appel rejeté dans Canada (Treasury Board) v. Falconer, [1987] F.C.J. No. 163 (C.A.F.); Isnor c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-16622 (19870909); Apesland c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-2-15259 (19870727), appel rejeté dans Apesland v. Canada (Treasury Board), [1988] F.C.J. No. 451 (C.A.F.); Paton c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossier de la CRTFP 166-2-17754 (19890705), appel accueilli dans Canada (Procureur général) c. Paton [1990] A.C.F. no 25 (C.A.F.); Boyd c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossiers de la CRTFP 166-2-18340 à 18344 (19891123); Martin c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la CRTFP 166-2-19004 (19891124).

22 Dans le cas devant moi, le fonctionnaire pouvait être considéré comme mobilisé par l'employeur pour la période qui suit l'heure après que le navire a traversé les limites du port et qu'il a été laissé à la rive. Il n'importait pas de savoir que pendant une grande partie de cette période, il était endormi ou il prenait son déjeuner. Son temps ne lui appartenait pas. Cela étant le cas, il devait être considéré comme « au travail » selon la définition élargie de travail créée dans la jurisprudence relative au « temps mobilisé ». Ainsi, il avait droit au taux des heures supplémentaires précisé à la clause 15.10a) et il aurait dû recevoir le tarif double plutôt que son tarif normal.

23 L'avocat a donc fait valoir que le grief devrait être accueilli.

B. Pour l'employeur

24 L'avocat de l'employeur a commencé par reconnaître que les faits n'étaient pas contestés. Il a souscrit à la qualification par l'avocat du Conseil de la première question, soit la question de savoir si la clause 23.04 s'appliquait, mais il a fait valoir que la deuxième question était légèrement différente et qu'elle était la suivante : le fait de dormir sur un navire constitue-t-il du travail au sens de la convention collective?

25 L'avocat a fait valoir que la clause 23.04 s'appliquait et que le fait de dormir à bord ne constituait pas du travail.

26 L'avocat de l'employeur a soutenu que l'agent négociateur avait le fardeau d'établir qu'il y avait eu violation de la convention collective : Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 100. Il a toutefois souscrit à mon observation selon laquelle les questions d'interprétation ne sont pas déterminées par le fardeau, même si dès que l'interprétation appropriée est trouvée, le fardeau d'établir une violation repose sur le proposant.

27 L'avocat a fait valoir que le droit à un avantage pécuniaire ou à une rémunération doit être clairement établi : Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, aux paragraphes 50 et 51; Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, aux paragraphes 25 à 27. Il a également fait valoir que les clauses doivent être interprétées dans le contexte global de l'entente dans son ensemble : Chafe au paragraphe 51. En outre, une disposition particulière l'emporte sur une disposition générale. Ainsi les dispositions de l'article 15 (Durée du travail et heures supplémentaires), dont la nature était générale et qui étaient conçues (selon lui) pour le cas habituel ou ordinaire, étaient supplantées par les dispositions précises de la clause 23.04. Il voulait dire que comme le fonctionnaire se trouvait en mer durant l'essai en mer, les parties devaient avoir souhaité que la rémunération pour ces activités – le moment et la façon dont elle serait calculée – devait être traitée en vertu de la clause 23.04 et non de la clause 15.04. (Je remarque ici que l'avocat a reconnu que normalement, il faudrait probablement à un navire de surface environ une heure pour aller des limites du port à son poste d'amarrage au chantier.)

28 L'avocat a également fait valoir que comme le fait remarquer Isnor, les décisions antérieures concernaient des conventions collectives qui n'avaient que des dispositions portant sur la rémunération des heures régulières et des heures supplémentaires. Elles n'avaient pas et ne concernaient pas une convention collective qui contenait une clause portant précisément sur une situation où les employés étaient « mobilisés » à bord. D'un autre côté, les parties dans l'affaire dont je suis saisi étaient précisément visées par cette situation et il faut comprendre qu'elles ont accepté que la clause 23.04 s'appliquerait de façon à écarter la jurisprudence relative au « temps mobilisé ».

29 L'avocat a en outre soutenu que le fait que la rémunération prévue à la clause 23.04 a cessé une heure après que le navire a traversé les limites du port ne signifie pas que la clause a cessé de s'appliquer à ce moment. Cela établit simplement la limite extérieure de la rémunération pendant qu'il y a un essai en mer. Selon l'avocat, en fait, l'employeur n'était pas réellement obligé de verser quoi que ce soit au fonctionnaire une heure après que le navire a traversé les limites du port et qu'il l'a fait uniquement pour avoir de bonnes relations de travail.

30 L'avocat s'est ensuite penché sur ce qu'il a appelé son argument subsidiaire. Le fait de dormir à bord ne pouvait être considéré comme du « travail » au sens de la clause 15.10. Pour la même raison, cela ne pouvait être considéré comme du « travail supplémentaire », selon la définition prévue par la convention collective, parce qu'il ne s'agissait pas de « travail exécuté ».

31 L'avocat de l'employeur n'a pas contesté l'historique général du concept du « temps mobilisé » indiqué dans les décisions invoquées par l'avocat du Conseil. Cependant, il a soutenu que la jurisprudence était dépassée et qu'elle avait été supplantée (ou peut-être peaufinée) par les décisions plus récentes dans Martin v. Canada (Treasury Board), [1990] F.C.J. No. 939 (C.A.); Lecours c. Conseil du Trésor (Transports Canada), 2002 CRTFP 28; BC Ferry Services Inc. v. British Columbia Ferry and Marine Workers' Union (Captive Time on Northern Vessels Grievance) [2007] B.C.C.A.A.A. No. 188. Il a fait valoir que dans tous ces cas – et dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Paton – une tentative d'appliquer la définition élargie de travail aux employés à bord de navires qui ne travaillaient pas réellement avait échouée. Selon lui, il serait également absurde de se trouver dans une situation où les employés étaient payés au moyen d'un taux des heures normales (selon la clause 23.04) alors qu'ils sont en mer (mais qu'ils ne travaillent pas) et qu'ils reçoivent un tarif double dès qu'ils ont traversé les limites du port (alors qu'ils ne travaillent toujours pas).

32 L'avocat de l'employeur a donc fait valoir que le grief devrait être rejeté.

C. Réponse au nom du Conseil

33 En réponse, l'avocat du Conseil a soutenu que la clause 23.04 n'était pas un code complet qui excluait toutes les autres dispositions. Elle s'applique plutôt selon ses modalités. Lorsque ces modalités cessent d'exister, la clause 23.04 ne s'applique plus. La question de la rémunération de la période qu'un employé a passée à l'extérieur des limites précisées à la clause 23.04 doit donc être déterminée conformément aux dispositions générales relatives à la rémunération. Il a également soumis que si l'argument de l'avocat de l'employeur sur ce point était correct, alors un employé pourrait être gardé sur un navire pendant des heures sans aucune rémunération et cela serait absurde selon lui.

34 L'avocat du Conseil a soutenu que les décisions plus récentes invoquées par l'employeur étaient des cas dont le libellé ou les faits en litige étaient différents. Par exemple, dans Lecours, la disposition applicable concernait les heures [traduction] « réellement travaillées ». C'est sans surprise que l'arbitre de grief dans ce cas a conclu que le « temps mobilisé […] ne peut constituer des heures effectivement travaillées », au paragr. 39; voir également la décision de la Cour d'appel fédérale dans Paton. La décision dans Martin était fondée sur une conclusion selon laquelle la période en question (patrouilles de l'arrière-pays par des gardiens de parc) faisait partie de la description de travail et ne pouvait donc être considérée comme du temps mobilisé. De même, le cas BC Ferry était différent parce qu'il concernait l'équipage d'un navire, plutôt que des employés emmenés à bord pour effectuer des tâches particulières.

D. Arguments supplémentaires

35 Après l'audience, j'ai commencé mon examen de la jurisprudence invoquée par les avocats. Ce faisant, j'ai noté que dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Paton, l'omission de l'arbitre de grief de porter une attention particulière à une clause de la convention collective qui concernait le temps de déplacement avait été critiquée. J'ai également noté que la convention collective devant moi contient une clause sur le déplacement : article 17 (Déplacement). En particulier, la clause 17.03 porte sur les taux de rémunération d'un employé qui était « tenu par l'Employeur de se rendre à un endroit qui est éloigné de son lieu de travail normal […] ».

36 Les avocats n'ont pas soulevé l'article 17 dans leurs arguments oraux présentés devant moi à l'audience. Je leur ai donc demandé de présenter des arguments écrits concernant la question de savoir si l'article 17 s'appliquait aux faits de l'espèce.

37 Dans des arguments écrits en date du 23 janvier 2015, l'avocat de l'employeur a fait valoir que l'article 17 (en particulier la clause 17.03) ne s'appliquait pas puisque selon les faits le navire était le lieu de travail normal du fonctionnaire et que les parties avaient prévu dans leurs négociations que la clause 23.04 s'appliquerait précisément à un employé qui devait aller à un essai en mer. Il a également fait valoir qu'en tout état de cause, la question n'avait jamais été soulevée durant la procédure de règlement des griefs ni dans le cadre d'arguments oraux et qu'elle ne pouvait donc pas être soulevée maintenant : Burchill v. Attorney General of Canada, [1981] 1 F.C. 109 (C.A.); Grierson-Heffernan c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 30.

38 Dans des arguments écrits en date du 23 janvier 2015, l'avocat du Conseil a fait remarquer que la question n'avait pas été soulevée à l'audience et qu'en conséquence il n'avait pas eu l'occasion de déposer une preuve à ce sujet. Il a poursuivi en faisant valoir que la clause 17.03 ne s'appliquait pas puisque selon les faits, le fonctionnaire ne s'était pas [traduction] « déplacé » au sens envisagé par la clause 17.03. Les employés qui travaillent sur un navire dans le bassin de Bedford ne seraient pas payés, selon lui, en vertu de la disposition concernant les déplacements pour les transferts en provenance et à destination des chantiers. L'avocat a également fait valoir que si je conclus que la clause 17.03 s'applique, alors une rémunération pourrait devoir être versée en vertu d'un certain nombre de dispositions.

39 Après avoir examiné ces arguments, j'ai conclu qu'il ne serait pas approprié de ma part d'examiner la question de savoir si la clause 17.03 s'appliquait. La principale raison est celle soulevée par l'avocat de l'employeur – elle n'a jamais été invoquée durant la procédure de règlement des griefs : Burchill. Toutefois, l'argument de l'avocat du Conseil m'a également convaincu que l'omission de soulever la question plus tôt signifiait qu'il n'avait pu déposer une preuve à ce sujet. J'ai donc décidé de fonder ma décision uniquement sur la preuve et les arguments déposés à l'audience.

VI. Analyse et décision

40 La question dont je suis saisi est la suivante : comment un employé, dont la rémunération est calculée en fonction des heures travaillées, est-il rémunéré pour le déplacement à destination et en provenance d'un lieu où il effectue réellement le travail pour lequel il est normalement rémunéré? Les éléments qui suivent semblent constituer la jurisprudence, dans la mesure où ils sont pertinents aux faits établis devant moi.

A. La règle générale – travail et travail mobilisé

41 De façon générale, le temps pris par un employé pour se déplacer à destination et en provenance de son lieu de travail normal n'est pas rémunéré, sous réserve de toute disposition prévoyant le contraire dans une convention collective. Ce n'est pas considéré comme du [traduction] « travail » ou du [traduction] « temps au travail » selon le sens de ces mots utilisés dans une convention collective, du moins en ce qui concerne la question de la rémunération : voir par exemple Grégoire et al. c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2009 CRTFP 146; Stafford c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2011 CRTFP 123.

42 Il existe trois exceptions fondamentales à cette règle générale. Il s'agit de situations dans lesquelles le concept de travail a été élargi afin de couvrir la période au cours de laquelle un employé n'effectue pas activement ses fonctions d'emploi normales.

43 La première exception s'applique lorsque le déplacement est un incident nécessaire à la tâche précise requise par l'employeur (par exemple transporter une personne expulsée vers le pays où elle est expulsée). Dans de tels cas, les arbitres et les tribunaux ont conclu que les temps de déplacement nécessaires pour accomplir cette tâche précise ainsi que le trajet de retour et toute période d'attente avant d'entreprendre le retour seront considérés comme du travail et seront rémunérés comme tels : voir par exemple, Duggan et Apesland.

44 Une deuxième exception survient lorsqu'un employé est tenu d'être en disponibilité, prêt et apte à effectuer une tâche requise. Ces employés peuvent être considérés comme étant au travail, même si le moment de la tâche à effectuer n'est pas connu et même si l'employé est par ailleurs libre de faire ce qu'il veut jusqu'à la tâche à effectuer (dans la mesure où il demeure apte et prêt à faire la tâche) : Isnor. Comme l'arbitre de grief l'a conclu dans ce cas, « l'expression "heures de travail" figurant à la clause 23.04b) [de la convention collective] ne se limite pas au travail intellectuel et physique réellement effectué, mais qu'elle s'applique également à la "période d'attente" pendant laquelle l'employé doit se tenir disponible et être prêt et apte à travailler » : p. 6.

45 La troisième exception s'applique lorsque la nature du travail oblige l'employé à passer des périodes prolongées loin de son lieu de travail normal. Un exemple est le cas d'un préposé à l'entretien qui est affecté à un navire dans le but d'effectuer des tests ou des réparations sur le navire en mer. La tâche précise en question peut nécessiter uniquement quelques heures du temps de l'employé, mais la tâche en soi doit être effectuée en mer. Ainsi, afin de se rendre au lieu où le travail sera effectué et d'en revenir, l'employé doit passer plusieurs autres heures à bord. Dans de tels cas, les arbitres de grief ont conclu que les employés sont « mobilisés » par leur employeur, au sens où leur temps libre ne leur appartient plus à strictement parler : voir par exemple Falconer dont la décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale; O'Leary dont la décision a aussi été confirmée par la Cour d'appel fédérale. Comme l'a noté l'arbitre de grief dans O'Leary : « […] [à] la fin de la journée de travail, ils n'ont pu quitter le lieu de travail et vaquer aux occupations de leur choix » : page 9. Cela étant le cas, ils « ont travaillé » et ils avaient donc droit à être rémunérés conformément aux dispositions applicables de la disposition collective.

46 Un autre exemple de cette exception se trouve dans Boyd. Les fonctionnaires s'estimant lésés étaient membres de l'équipage du CSS Hudson. Selon la clause 23.03 de la convention collective pertinente, les membres de l'équipage d'un navire devaient se présenter à bord du navire une heure avant l'heure de départ. La clause 23.04 prévoyait alors que lorsque le navire est à son port d'attache et qu'un employé s'est présenté à bord, ce dernier avait droit de toucher la plus élevée des rémunérations suivantes : a) le « taux applicable pour le travail effectué ce jour-là » ou b) une heure de rémunération au taux des heures normales. Le jour en question, les fonctionnaires s'estimant lésés se sont présentés à bord au moment précisé, mais le navire n'a quitté le port que 27 heures plus tard (en raison de problèmes de moteur). Cependant, les fonctionnaires s'estimant lésés avaient dû rester à bord, même s'ils se trouvaient au port d'attache et même s'ils n'avaient rien à faire pendant la réparation des moteurs du navire.

47 Les fonctionnaires s'estimant lésés avaient réclamé une rémunération en vertu de la clause 23.04a) pour le temps d'immobilisation avant le départ au motif qu'ils étaient tenus de demeurer à bord et qu'ils étaient donc effectivement au travail. D'un autre côté, l'employeur a soutenu que comme ils n'ont effectué aucun travail, ils n'avaient droit qu'à la rémunération en vertu de la clause 23.04b).

48 L'arbitre de grief n'a pas accepté l'argument de l'employeur. Il a fait remarquer qu'il y avait une distinction claire entre le temps passé sur un navire en mer et lorsque le navire est au port d'attache. Dans le premier cas, « le navire est en fait l'endroit où les membres d'équipage habitent et qu'il fait partie de leur milieu normal. La notion de quart appliquée au domaine maritime ("sea watch") renforce le principe voulant que, pour un équipage qui est en mer, il faille établir une distinction entre le "temps de panne" passé à bord du navire et les heures consacrées à diverses tâches, l'employé n'ayant droit à une rémunération que dans la seconde éventualité » : page 8.

49 Différentes considérations s'appliquaient lorsque le navire était au port d'attache, un fait reconnu dans son opinion par la clause 23.04 :

La raison est assez évidente : dans ce dernier cas, le capitaine peut obliger l'équipage à demeurer à bord pendant la panne, ou il peut lui accorder la permission de quitter le navire et d'utiliser son temps comme bon lui semble. Il est tout à fait logique – en fait, il serait injuste qu'il en fût autrement – que si les officiers du navire obligent l'équipage à rester à bord dans les circonstances décrites à la clause 23.04, alors les heures passées à bord doivent être considérées comme des heures effectuées et les employés doivent être rémunérés en conséquence. (page 8)

50 Il a donc accueilli le grief.

51 Ainsi, en résumé, on peut affirmer dans le cas des employés payés au taux horaire que la définition de « travail » dans une convention collective n'est pas nécessairement limitée à la période au cours de laquelle un employé effectue des tâches pour lesquelles il est employé. Dans la situation appropriée (sous réserve de tout élément contraire dans la convention collective), elle peut être élargie afin d'inclure le temps non travaillé qui néanmoins n'est plus véritablement le temps propre de l'employé, parce qu'il doit se déplacer à l'extérieur de son lieu normal de travail afin d'effectuer la tâche ou parce que sa liberté d'action est restreinte ou limitée par l'employeur pour ses propres fins d'une certaine façon : voir la décision de la Cour d'appel fédérale dans Paton.

B. Réponse à la définition élargie de travail

52 Cette définition élargie du travail qui peut être rémunéré soulève des préoccupations évidentes pour les employeurs comme le MDN dont les activités obligent parfois les employés à passer de grandes parties de leur temps non travaillé en mer alors qu'ils effectuent des essais en mer. Le problème peut ne pas être aussi aigu pour ce qui est des employés salariés (comme les membres des Forces armées), mais la jurisprudence actuelle pourrait créer des dépenses importantes dans le cas des employés ayant une rémunération horaire.

53 Une façon évidente de contourner ce problème est de créer les limites ou des définitions explicites du moment ou de la façon dont ce temps « non travaillé » peut être rémunéré, s'il doit l'être. Cependant, du moins dans le cas de travail syndiqué, ces limites doivent figurer dans la convention collective elle-même.

54 Par exemple, Martin concernait un gardien de parc qui travaillait au parc national Banff. Les gardiens de parc faisaient un cycle de 14 jours, 9 jours de travail et 5 jours de congé. La convention collective en question comportait des dispositions distinctes sur la rémunération des heures régulières et des heures supplémentaires pour le « travail ». Les gardiens étaient rémunérés au taux régulier jusqu'à une moyenne de 75 heures sur une période de deux semaines pour les heures supplémentaires au tarif et demi ou double pour toutes les autres heures travaillées (selon la nature des heures supplémentaires et le moment où elles étaient effectuées).

55 Les gardiens de parc travaillaient dans l'« avant-pays » ou l'« arrière-pays ». Le travail dans l'avant-pays comportait des tâches normales effectuées dans les parties du parc facilement accessibles par voiture, ce qui signifiait que le gardien pouvait se déplacer entre chez lui et le travail chaque jour. D'un autre côté, le travail dans l'arrière-pays comportait des patrouilles des régions éloignées du parc accessibles uniquement à dos de cheval. Ces patrouilles de l'arrière-pays étaient en général effectuées sur une période de neuf jours. Les gardiens voyageaient à dos de cheval dans l'arrière-pays; ils faisaient du camping la nuit ou habitaient dans l'un des quelques chalets entretenus par l'employeur dans le parc. De longues distances étaient parcourues chaque jour. Les gardiens devaient appliquer les lois et les règlements liés au parc durant leurs patrouilles. Ils passaient la majorité de leurs jours et de leurs nuits seuls. Ils consacraient leur soirée à la lecture, à des parties de cartes ou au sommeil.

56 Les sentiments d'isolement et de solitude des patrouilles de l'arrière-pays ont amené les gardiens à tenter de convaincre l'employeur durant la négociation collective de prévoir une indemnité pour ce travail. L'employeur a refusé, étant d'avis que cela n'avait pas été un problème dans le passé. Le fonctionnaire, qui avait pris part à ces négociations, a alors décidé d'obtenir une telle rémunération en vertu de la convention collective existante. Il a déposé un grief dans lequel il soutenait que le fait de se trouver dans l'arrière-pays équivalait à être [traduction] « mobilisé » de la même façon que l'étaient les fonctionnaires dans Falconer et O'Leary.

57 L'arbitre de grief n'a pas accepté cet argument. Il a noté que les dispositions relatives aux heures supplémentaires de la convention collective s'appliquaient à tous les gardiens. Selon son raisonnement, si les parties avaient compris que les patrouilles dans l'arrière-pays étaient composées de journées de 24 heures, il n'aurait pas fallu établir de différence entre les taux de rémunération des heures régulière et des heures supplémentaires pour les gardiens. Cela étant le cas, la seule façon dont les dispositions relatives aux heures supplémentaires pouvaient s'appliquer aux gardiens alors qu'ils étaient en patrouille dans l'arrière-pays était le cas où les parties avaient supposé que dans le cadre normal de leur travail, les gardiens dans l'arrière-pays ne « travaillaient » pas alors qu'ils faisaient une patrouille. Comme il l'a fait remarquer à la page 9, [traduction] « […] le fait de payer les heures supplémentaires ("travail en dehors des heures normales") n'aurait aucun sens si toutes les heures normales consacrées aux patrouilles à "l'arrière-pays" devaient d'entrée de jeu être considérées comme du travail ». En outre, il aurait été simple de préciser cette intention en déclarant explicitement que pendant qu'ils effectuent les patrouilles de l'arrière-pays, les gardiens seraient considérés comme étant payés de façon continue. Il n'y a pas de tel libellé. Le grief a été rejeté.

58 Dans Paton, un employé du ministère des Pêches et des Océans devait passer du temps à bord du CSS Tully afin d'effectuer certaines tâches. La convention collective contenait des dispositions sur la rémunération portant sur les heures régulières, les heures supplémentaires et le temps de déplacement. Le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu qu'il était au travail pendant tout le temps où il se trouvait à bord. L'arbitre de grief, appliquant le raisonnement du « temps mobilisé », était d'accord.

59 En appel, la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision. Elle a fait remarquer que l'arbitre de grief n'a pas appliqué la clause M-28.05 de la convention collective qui portait explicitement sur les circonstances où un employé était tenu de se déplacer « à bord d'un moyen de transport quelconque dans lequel il [l'employé] voyage et/ou qui lui sert de logement (je souligne) ». Selon cette clause, un employé devait recevoir la plus élevée de sa rémunération journalière normale pour un jour de travail normal ou d'« une rémunération pour les heures effectivement travaillées ». La Cour d'appel fédérale a conclu que l'utilisation du mot « effectivement » dans la clause « visait à véhiculer un sens qui décrivait le travail dans le sens normal de s'adonner à des fonctions particulières ». Elle a poursuivi en disant : « Le renvoi au logement dans la clause en question implique que, si un employé est visé par la clause M-28.05, alors seul le temps effectivement passé à travailler comptera pour le traitement et que le soi-disant "temps mobilisé" passé sur le navire ne doit pas être considéré comme des heures effectivement travaillées. »

60 Cela étant le cas, la règle relative au temps mobilisé avait été explicitement écartée par la convention collective, et les dispositions sur la rémunération de la clause M-28.05, plutôt que celles visant la paie normale, s'appliquaient.

61 Dans le passé, l'employeur de l'affaire dont je suis saisi semble au départ avoir tenté de traiter la question au moyen d'Ordres permanents de la base (« OPB »). Dans Falconer, un renvoi est fait à l'existence d'un OPB pour des employés qui sont en mer alors qu'ils effectuent des essais en mer. L'OPB a créé des règles spéciales de rémunération pour le temps passé en mer alors qu'ils ne travaillaient pas réellement : voir la discussion dans Falconer. La difficulté (une difficulté précisée dans Falconer) était que l'OPB ne faisait pas partie de la convention collective applicable et qu'il ne pouvait donc remplacer le sens, normal ou élargi, de « travail » prévu à la convention collective. En conséquence, le raisonnement du temps mobilisé a été jugé applicable dans ce cas.

62 La réponse des parties semblerait découler de la négociation de ce qui est devenu la clause 23.04 de la convention collective qui nous concerne. (Je remarque à cet égard que le libellé de la clause 23.04 reprend dans une certaine mesure, même s'il n'est pas identique, celui de l'OPB mentionné dans la décision de 1986 de Falconer.) Je me penche maintenant sur la clause 23.04 dans le contexte de la convention collective dans son ensemble, ainsi que la jurisprudence arbitrale et judiciaire déjà examinée.

C. Clause 23.04

63 Selon les décisions déjà examinées, je crois qu'il est clair qu'en l'absence de la clause 23.04, le fonctionnaire aurait eu droit à une rémunération au taux régulier ou applicable prévu par la convention collective. Le temps passé par le fonctionnaire à bord du navire qui se rendait au lieu où les essais en mer ont été effectués et en revenait ne lui appartenait pas. Son temps était mobilisé pour les activités de l'employeur. Ainsi, selon les autorités déjà examinées, comme Falconer et O'Leary, il aurait eu le droit d'être considéré comme au travail est rémunéré comme tel en vertu de la convention collective.

64 Les parties s'étaient toutefois entendues sur le fait que durant les essais en mer, un employé dans la position du fonctionnaire serait rémunéré selon différents motifs. Il serait rémunéré selon la clause 23.04 « pour toutes les heures passées à bord jusqu'à une (1) heure après avoir atteint les limites du port sur le chemin du retour définitif ».

65 La clause 23.04 ne dit rien au sujet du temps passé à bord après la limite d'une heure. Cette omission peut découler d'une entente des parties selon laquelle, dans le cours normal, un navire qui revient d'essais en mer serait au quai une heure après avoir traversé les limites du port. Peu importe la raison, la clause 23.04 cesse à première vue d'avoir effet une heure après que le navire franchit les limites du port. Cela étant le cas, un employé dans la position du fonctionnaire doit revenir aux taux de rémunération réguliers ou applicables prévus par la convention collective. En l'espèce, il s'agirait du tarif double payable en vertu de la clause 15.10a) pour du travail un jour de repos (sous réserve d'une déduction pour tout ce qui a déjà été payé jusqu'à ce moment).

66 Je comprends que le fonctionnaire ne travaillait pas réellement entre vers minuit lorsque le bateau a traversé les limites du port et 9 h lorsqu'il est arrivé au quai – il dormait. Toutefois, la jurisprudence relative au temps mobilisé, que l'employeur doit connaître, est claire. Ce qui importe n'est pas ce que l'employé faisait ou ne faisait pas durant ce moment, même s'il faisait exactement ce qu'il aurait fait si le temps lui avait appartenu. Il importe plutôt de savoir si ce temps était coincé dans la portée des activités de l'employeur. Cela suffit pour dire qu'il était mobilisé.

67 Le résultat subsidiaire, soit que l'employeur n'avait pas l'obligation de rémunérer un employé pour le temps passé à bord d'un navire une heure après qu'il a franchi les limites du port, ne peut être le résultat escompté. Le temps des employés qui reçoivent une rémunération horaire a de la valeur. Son utilisation, ou la restriction de son utilisation, a un coût pour l'employeur – un coût indiqué dans la convention collective. En effet, conclure autrement signifierait que l'employeur pourrait garder le fonctionnaire à bord jusqu'à ce qui lui convienne de le laisser quitter le navire sans rémunérer l'employé pour ce temps. Les parties auraient pu négocier un tel résultat. Toutefois, une telle clause ne figure pas dans la convention collective déposée devant moi.

68 Je dois également dire que le résultat aurait été différent si la fonctionnaire avait été réveillé à 1 h et s'était vu offert l'option d'être emmené du navire par RHIB. Dans cette éventualité, s'il avait choisi de rester au lit, il n'aurait plus été visé par l'exception relative au temps mobilisé; son temps aurait été le sien et il n'aurait pas eu droit à une rémunération : voir par exemple Lecours au paragr. 39.

69 Un dernier point. Naturellement, les témoins n'étaient pas clairs quant aux heures auxquelles le navire a traversé les limites du port d'Halifax le matin du 2 décembre 2012 et son amarrage subséquent. Cela n'est pas surprenant étant donné que l'accent de leur litige portait sur la question de savoir si la jurisprudence relative au temps mobilisé était compatible à la clause 23.04 et comment elle l'était. Par conséquent, je crois qu'il est approprié dans les circonstances de conserver ma compétence en ce qui concerne le calcul des montants dus au fonctionnaire, puisque la conclusion dépend essentiellement des renseignements les plus susceptibles d'être à la disposition de l'employeur.

70 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

71 Le grief est accueilli et le fonctionnaire devra recevoir un tarif double en vertu de la clause 15.10a) pour le temps passé à bord du NCSM Toronto pour la période entre une heure après qu'il a traversé les limites du port d'Halifax le matin du dimanche 2 décembre 2012 et son amarrage, sous réserve d'une déduction de tout montant moindre versé au fonctionnaire par l'employeur pour cette période.

72 Je demeure saisi de la question du montant à verser pendant 30 jours suivant la publication de la présente décision dans l'éventualité où les parties ne peuvent parvenir à une entente quant au montant final.

Le 7 avril 2015.

Traduction de la CRTEFP

Augustus Richardson,
une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.