Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a affirmé que la demande de l'employeur qu'il subisse une évaluation de l'aptitude au travail était un abus de pouvoir et une mesure disciplinaire déguisée – dans sa réponse au grief, l'employeur a précisé que la demande d'évaluation avait été annulée et qu'il acceptait de modifier sa relation hiérarchique lorsqu'il reviendrait au travail, après son congé – lors du renvoi de son grief à l'arbitrage, le fonctionnaire s'estimant lésé a remarqué que l'affaire concernait un congédiement déguisé – l'employeur s'est opposé à la compétence d'un arbitre de grief d'entendre et de trancher les griefs, puisqu'il n'a pris aucune mesure disciplinaire – le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a demandé au fonctionnaire s'estimant lésé de fournir des détails, mais les renseignements fournis n'expliquaient pas la contradiction apparente entre les réponses au grief, lesquelles semblaient accorder la mesure corrective demandée – on a ensuite demandé aux parties de fournir des arguments écrits sur la question de la compétence, mais l'argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé ne présentait que très peu de renseignements supplémentaires – sans tenir compte de la question de savoir si la doctrine du congédiement déguisé s'appliquait à la fonction publique fédérale, l'arbitre de grief a conclu que le grief ne présentait aucune allégation qu'il avait été mis fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé et que la réponse au deuxième palier ne laissait pas entendre que, selon la compréhension de l'employeur, le grief visait une allégation de congédiement – l'employeur avait clairement indiqué que le fonctionnaire s'estimant lésé était libre de retourner au travail sans avoir à subir une évaluation de l'aptitude au travail – l'allégation de congédiement déguisé a été soulevée pour la première fois lors du renvoi à l'arbitrage – par conséquent, même si la doctrine du congédiement déguisé s'appliquait, l'arbitre de grief n'a pas compétence pour l'examiner compte tenu de la décision Burchill – le grief comprenait effectivement une allégation voulant que l'exigence de subir une évaluation de l'aptitude au travail constituait une mesure disciplinaire déguisée – l'employeur a affirmé que sa demande initiale était administrative et non disciplinaire, qu'elle était fondée sur des préoccupations à l'égard de la santé du fonctionnaire s'estimant lésé, et qu'elle constituait un exercice valide des droits de la direction – il a présenté des documents à l'appui de ses préoccupations et le fonctionnaire s'estimant lésé avait communiqué des préoccupations relatives à sa santé dans son grief et dans les documents fournis par l'employeur – le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas contesté la version des faits présentée par l'employeur et n'a pas répondu à l'objection quant à la compétence – il ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait et l'arbitre de grief n'avait pas de fondement suffisant pour conclure que le fonctionnaire d'estimant lésé avait été assujetti à une mesure disciplinaire – l'arbitre de grief n'avait pas compétence pour entendre le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150722
  • Dossier: 566-02-9676
  • Référence: 2015 CRTEFP 64

Devant un arbitre de grief


ENTRE

PAUL ALEXANDER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence de la santé publique du Canada)

employeur

Répertorié
Alexander c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada)

Affaire concernant un grief personnel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ernest J. Guiste, avocat
Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 25 novembre et les 19 et 23 décembre 2014.
(Traduction de la CRTEFP)

Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, s. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, s. 2) dans sa version antérieure à cette date.

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Paul Alexander, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») travaillait comme épidémiologiste, dans un poste classifié EC-05, au Centre de lutte contre les maladies transmissibles et les infections de l’Agence de la santé publique du Canada (l’« ASPC », ou l’« employeur »), au moment où il a déposé le grief qui fait l’objet de la présente décision. Il était couvert par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels (le « syndicat ») pour le groupe Économique et services de sciences sociales, expirant le 21 juin 2014 (la « convention collective »).

2 Le 7 février 2014, le fonctionnaire a déposé un grief qui, bien qu’il ait été présenté sur un formulaire de grief individuel standard, comptait quatre pages manuscrites. Il affirmait ce qui suit :

[Traduction]

[…] L’événement déterminant qui mène au présent grief pour abus de pouvoir et à ma punition, que vous utilisiez les termes mesure disciplinaire déguisée, punition, ciblage ou autre, mon argument culmine maintenant en raison d’une demande d’évaluation de l’aptitude au travail en date du 28 janvier 2014, à laquelle la direction avait fait allusion antérieurement. Cette demande n’est pas fondée et l’outil de l’aptitude a été utilisé ici à titre d’effort voilé pour me punir et en guise de représailles à mon égard parce que j’ai refusé de respecter leur directive de me présenter dans un environnement de travail toxique et, à mon avis, menaçant pour lequel j’ai constamment demandé des corrections, étant donné la possibilité que cela nuise à ma santé. Les seuls moments où je me sentais bien et sans angoisse ou sans ressentir l’effet du stress ou de contrainte sont les moments où j’ai consulté mon médecin parce que je me sentais trop stressé en raison du fait que la direction refusait d’aborder la question que je soulevais régulièrement. Elle a répondu en exigeant que je me présente dans une situation qui était potentiellement toxique et qui, comme je leur ai souligné, nuirait éventuellement à ma santé et à mon bien-être. Cela est une mesure disciplinaire, et je démontrerai qu’il n’y a pas eu de considération pour ma santé ou mon bien-être, et qu’elle savait qu’une aptitude au travail n’était pas nécessaire. J’ai choisi de prendre un congé non payé (CNP) afin de ne pas être congédié, mais mon rôle de soignant est normal.

Les faits que je souhaite examiner qui ont culminé vers la demande d’aptitude du 28 janvier 2014 et qui ont mené à ma situation de CNP sont les suivants :

  1. J’ai décidé de prendre un CNP de soignant pour 5 ans, inquiet d’être congédié, mais je suis dans une situation comme bien des gens qui ont des frères et sœurs ou des parents ou sont eux-mêmes malades, où l’on peut composer normalement si le milieu de travail est normal. C’est le stress causé par le défaut des gestionnaires à régler la question tout en m’ordonnant de m’exposer à une situation potentiellement toxique, en sachant ce que j’avais traversé auparavant et mes demandes d’échapper à une autre exposition de ce genre. Mon stress et mon angoisse sont attribuables aux gestes abusifs et aux représailles de la direction vis-à-vis ma demande d’AIPRP, mon défaut de me conformer, ma belligérance et le fait que j’étais, selon eux, difficile. L’aptitude au travail n’est pas fondée. La demande d’aptitude au travail représente la façon, pour les gestionnaires, d’utiliser le travail pour médicaliser l’employé soulever des préoccupations quant à l’aptitude de l’employé au travail (moi) lorsque les faits présentent autre chose.
  2. Cindy Hyson a tout d’abord refusé ma demande de déposer un grief, en février 2009, contre un abus par Denise Gravel au début de mon emploi.
  3. Cindy Hyson a promis régulièrement que je n’aurais jamais à relever de Denise Gravel de quelque manière que ce soit en raison des gestes haineux de cette dernière dans le passé. Toutes les décisions de carrière que j’ai prises avant et après les mesures du PARD et des réorganisations, se sont faites en fonction des promesses de C. Hyson.
  4. C. Hyson a menti ouvertement en affirmant que la situation n’a pas eu lieu en 2009, ce qui est présentement l’objet de ma demande de ne pas relever de D. Gravel raison de répercussions éventuelles.

    Je prétends qu’il y a eu utilisation arbitraire et malicieuse, presque rancunière de l’outil d’aptitude qui, bien qu’il ait un fondement, n’était pas nécessaire dans mon affaire et a servi de représailles et de punition.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

3 La dernière page du grief était une note à l’intention du syndicat du fonctionnaire, dans laquelle ce dernier a identifié les enjeux de la convention collective qui devaient être réglés dans le cadre du grief, ou séparément.

4 Comme mesure corrective, le fonctionnaire voulait se faire rembourser tous les congés non payés utilisés depuis avril 2013, à l’exception des congés de maladie avec certificat médical, au motif que les congés avaient été pris pour éviter d’avoir à se présenter dans un environnement de travail toxique. Le fonctionnaire voulait aussi que certains gestionnaires soient réprimandés et envoyés en formation pour résolution de conflit, harcèlement, traitement différentiel et abus de pouvoir. Le fonctionnaire a demandé que deux des gestionnaires soient congédiés immédiatement et qu’un autre gestionnaire soit réprimandé et que tous soient assujettis aux mêmes pertes qu’il avait subies. Le fonctionnaire voulait aussi que soit retirée son obligation de fournir une évaluation de l’aptitude au travail.

5 Un document de deux pages dactylographiées en date du 15 février 2014 était joint au grief et semblait être un deuxième grief. Même s’il semblait avoir été déposé auprès de l’employeur comme grief distinct, le deuxième grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage conformément à la procédure de l’ancienne Commission. Le greffe de l’ancienne Commission a informé les parties que le second grief ne serait pas considéré comme un renvoi distinct à l’arbitrage puisque le document dactylographié n’avait pas été renvoyé convenablement. Le fonctionnaire n’a pas répondu ou ne s’est pas opposé à cet avis; par conséquent, l’affaire ne fait pas partie de la présente décision.

6 Le 20 février 2014, l’employeur a refusé le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Cependant, dans une réponse au deuxième palier en date du 5 mars 2014, l’employeur a précisé que le retour au travail du fonctionnaire, prévu le 1er avril 2015, ne dépendait pas d’une évaluation de son aptitude au travail. Il a aussi précisé qu’à son retour au travail, le fonctionnaire ne relèverait pas du gestionnaire dont il s’était plaint dans son grief. Dans la réponse au grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, en date du 4 avril 2014, l’employeur a réitéré qu’il avait annulé l’obligation pour le fonctionnaire d’obtenir une évaluation de son aptitude au travail avant son retour au travail.

7 Le 18 mars 2014, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, avant de recevoir la réponse au grief au dernier palier. Le fonctionnaire a noté sur le formulaire de renvoi que l’affaire concernait un congédiement déguisé.

8 Le 1er mai 2014, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief à entendre le grief. À titre de renseignement général, l’employeur a noté que le fonctionnaire avait soumis une demande pour qu’il y ait un changement au rapport hiérarchique en 2013 parce que, selon lui, le fait de relever d’une certaine gestionnaire le mettrait dans un environnement de travail toxique et mettrait sa santé en danger. L’employeur a affirmé que puisque le fonctionnaire n’avait pas justifié son allégation, sa demande avait été refusée. Entre juillet 2013 et janvier 2014, le fonctionnaire a pris plusieurs périodes de congé payé. Au 8 janvier 2014, il avait épuisé tous ses crédits de congés payés et il a demandé un congé de cinq ans en vertu de la disposition de la convention collective sur les congés non payés, pour prodiguer des soins à un membre de la famille immédiate.

9 L’employeur a affirmé qu’il avait accordé la demande du fonctionnaire pour un congé non payé de cinq ans, mais qu’il lui avait dit qu’avant son retour au travail, il devrait subir une évaluation de l’aptitude au travail. L’employeur a affirmé que la décision d’exiger cette évaluation avait été prise en raison du comportement du fonctionnaire, qui comprenait une structure désorganisée, un contenu incohérent, et parfois l’emploi d’un ton menaçant et intimidant dans ses messages écrits, ainsi que ses commentaires relativement à sa mauvaise santé et ses demandes de mesures d’adaptation.

10 Même si l’employeur a accordé la demande de congé non payé au fonctionnaire, environ deux semaines après avoir soumis sa demande, le fonctionnaire l’a retirée et a informé l’employeur qu’il souhaitait retourner au travail. Le fonctionnaire a refusé à plusieurs reprises les demandes visant à lui faire subir une évaluation de son médecin. Le fonctionnaire a reçu l’autorisation de retourner au travail le 1er avril 2014, sans évaluation de l’aptitude au travail, bien que l’employeur l’ait informé que les renseignements de son médecin seraient appréciés afin de s’assurer de mettre en œuvre, sans tarder, toute demande de mesures d’adaptation.

11 Malgré la croyance du fonctionnaire que certaines des questions que l’employeur avait soulevées constituaient une mesure disciplinaire déguisée, l’employeur a soutenu qu’au moment du dépôt du grief, il n’avait pris aucune mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire contre le fonctionnaire. L’employeur a aussi noté que puisque le fonctionnaire n’était pas représenté par son syndicat, il ne pouvait pas soulever de questions portant sur la convention collective. Par conséquent, l’employeur a conclu que le grief devrait être refusé au motif que je n’avais pas compétence.

12 Le 21 mai 2014, le fonctionnaire a répondu à l’objection de l’employeur quant à la compétence. Le fonctionnaire a affirmé avoir été sujet à un congédiement déguisé en raison des actions de l’employeur et que celui-ci l’avait exclu du milieu de travail et avait interrompu sa paie. Le fonctionnaire a aussi allégué que l’employeur l’avait [traduction] « récemment » congédié, malgré son allégation de congédiement déguisé. Il a affirmé que l’ancienne Commission avait compétence et que l’objection de l’employeur était sans fondement.

13 En plus des faits que l’employeur a affirmé dans son objection quant à la compétence, les réponses au grief aux deuxième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs laissaient entendre que l’employeur avait retiré sa demande voulant que le fonctionnaire subisse une évaluation de l’aptitude au travail comme condition de son retour au travail, et ce, avant que le grief ne soit renvoyé à l’arbitrage. La nature exacte de l’affaire renvoyée à l’arbitrage n’était pas claire parce que le fonctionnaire avait lié les allégations de congédiement et de mesure disciplinaire déguisés à la demande d’évaluation de l’aptitude au travail. Par conséquent, j’ai demandé au greffe de l’ancienne Commission d’exiger du fonctionnaire qu’il fournisse des précisions au sujet de son grief, accompagnées de pièces justificatives. Plus précisément, on a demandé au fonctionnaire de fournir une copie de la lettre de congédiement si, comme l’a allégué le fonctionnaire, l’employeur a mis fin à son emploi.

14 Le 4 septembre 2014, le fonctionnaire a répondu à la demande de fournir des précisions au sujet de son grief. Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait été congédié de façon déguisée lorsque l’employeur lui a [traduction] « interdit » de travailler et a interrompu sa paie car il s’était plaint d’une relation hiérarchique qui, à son avis, l’exposerait à un préjudice et au harcèlement. Le fonctionnaire a affirmé que l’employeur lui avait refusé l’accès au lieu de travail jusqu’à ce qu’il obtienne un certificat médical, malgré l’absence de fondement juridique pour cette exigence. Il a affirmé qu’à ce moment-là, il était sur le point de prendre un congé parental non payé, mais qu’il avait retiré sa demande. Le fonctionnaire a aussi affirmé que depuis, l’employeur l’avait congédié. Il a soutenu que l’arbitrage était nécessaire en raison des questions de crédibilité.

15 À la lumière de l’objection de l’employeur quant à la compétence, j’ai déterminé qu’avant de prévoir une audience sur le fond du grief, la question de compétence devait être réglée, et ce, malgré le fait que le fonctionnaire avait fourni peu de renseignements supplémentaires à l’énoncé de son grief. Par conséquent, en vertu des pouvoirs conférés par l’ancien article 41 de la LRTFP, j’ai demandé des arguments écrits sur la question de la compétence. Les parties ont été avisées que, à moins que les faits affirmés ne puissent être tranchés sans audience, je pourrais rendre une décision en fonction de leurs arguments et du dossier existant.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

16 L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas fait l’objet d’une  [traduction] « […] mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] » comme le prévoit l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, soit au moment de déposer son grief ou au moment du renvoi du grief à l’arbitrage. Selon la formulation du grief, il semble que le fonctionnaire considérait la demande de l’employeur de subir une évaluation de l’aptitude au travail avant son retour au travail après un congé comme une [traduction] « mesure disciplinaire déguisée, une punition, un ciblage ». Le fonctionnaire a également décrit comme étant disciplinaire la prétendue demande de l’employeur de se rendre dans un milieu de travail qui était, à son avis, toxique. Ni l’une ni l’autre de ces allégations ne constitue une « mesure disciplinaire » au sens de l’alinéa 209(1)b).

17 L’employeur a affirmé que le fonctionnaire avait été absent du milieu de travail, en congé, pendant plusieurs périodes en 2013. Le fonctionnaire a été en congé de maladie pendant la majorité des mois d’octobre et de novembre et pendant tout le mois de décembre 2013. Il était encore en congé de maladie en janvier 2014. Après avoir épuisé tous ses crédits de congés de maladie le 7 janvier 2014, le fonctionnaire a examiné l’option d’un congé non payé, mais a changé d’idée le 20 janvier 2014.

18  À la suite d’un échange de courriels du 20 au 22 janvier 2014, entre le fonctionnaire et sa gestionnaire, l’employeur a suggéré au fonctionnaire de consulter un médecin de Santé Canada pour évaluer son aptitude au travail. Cette demande était basée sur des préoccupations relatives au ton et au contenu des courriels du fonctionnaire qui renvoyaient à ses préoccupations relatives à son environnement de travail et sa croyance qu’il souffrait, entre autres, d’une forme de stress post-traumatique quelconque. Le 22 janvier 2014, le fonctionnaire s’est engagé à fournir des certificats médicaux pour ses absences entre les 8 et 20 janvier 2014. L’employeur a noté que dans le courriel du 22 janvier 2014, le fonctionnaire a mentionné le fait qu’il ne se sentait pas bien. Le lendemain, la gestionnaire du fonctionnaire a précisé par courriel l’objectif de la demande d’évaluation de l’aptitude au travail. Elle a aussi répondu à la préoccupation du fonctionnaire quant à sa relation hiérarchique, et a noté que le fonctionnaire et la superviseure en question avaient accepté de participer à un règlement de conflit.

19 Le 28 janvier 2014, le fonctionnaire a présenté une demande de congé non payé pour une période de cinq ans dans le but de prendre soin d’un membre de la famille immédiate. Le même jour, l’employeur a accepté, par le biais d’une lettre, la demande de congé du fonctionnaire, dans laquelle l’employeur a réitéré son exigence que le fonctionnaire se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail avant son retour de congé; la lettre incluait les motifs sous-jacents à cette évaluation. Cette lettre constituait le fondement du grief.

20 L’employeur a soutenu qu’il était clair, dans la lettre, qu’il n’y avait pas d’intention disciplinaire dans le fait d’exiger du fonctionnaire qu’il subisse une évaluation de l’aptitude au travail. Il y avait des préoccupations légitimes quant à sa santé, dont certaines avaient été soulevées par le fonctionnaire lui-même. L’employeur a aussi soutenu qu’il était pratique courante d’exiger une évaluation de l’aptitude au travail après une absence prolongée du lieu de travail, conformément à son obligation d’assurer un milieu de travail sécuritaire et de veiller à ce que toute mesure d’adaptation nécessaire soit respectée.

21 Citant Theaker c. administrateur général (ministère de la Justice), 2013 CRTFP 163, l’employeur a soutenu qu’il avait un intérêt opérationnel légitime pour s’assurer que le fonctionnaire était apte à retourner au travail et que toutes les mesures d’adaptation nécessaires avaient été identifiées. L’employeur a aussi noté que Theaker établissait les critères pour déterminer si une demande d’évaluation de l’aptitude au travail constituait une mesure disciplinaire.

22 L’employeur a soutenu qu’il incombait au fonctionnaire d’établir qu’il y avait eu mesure disciplinaire. Il m’a renvoyé à Theaker et Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CRTFP 130 (confirmé en partie dans Chamberlain c. Procureur général du Canada, 2012 CF 1027, aux paragraphes 51 à 59); Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 FC 1176, et il a soutenu qu’il incombait au fonctionnaire d’établir qu’il y avait eu un comportement fautif sous-jacent et de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait l’intention de lui imposer une mesure disciplinaire.

23 L’employeur a soumis que l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il devait se rendre dans une situation de travail potentiellement toxique, ne satisfaisait pas non plus à l’exigence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP démontrant qu’il subissait réellement une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire.

24 L’employeur a aussi affirmé que la mesure corrective demandée par le fonctionnaire ne pouvait pas être mise en place. Les demandes du fonctionnaire voulant que tous ses congés utilisés après avril 2013 soient rétablis dans ses banques et que son salaire accumulé à partir du 9 janvier 2014 lui soit versé étaient théoriques parce qu’on a mis fin à son emploi environ trois mois et demi après le dépôt du grief en question. De façon similaire, sa demande voulant que l’exigence de l’évaluation de l’aptitude au travail soit retirée était théorique. Sa demande voulant que ses anciens superviseurs fassent l’objet d’une mesure disciplinaire était hors de la compétence d’un arbitre de grief en vertu de la LRTFP. L’employeur a aussi noté que la demande du fonctionnaire voulant que ses anciens superviseurs suivent de la formation, notamment en matière de harcèlement, aurait été plus appropriée dans le contexte d’un grief en vertu de la convention collective, ce que le fonctionnaire ne pouvait pas faire en l’absence de soutien de son syndicat.

B. Pour le fonctionnaire

25 Le fonctionnaire a soumis que la question de la compétence de l’employeur comportait des considérations aussi bien dans les faits qu’en droit. Il a affirmé que la question de savoir si un congédiement déguisé pouvait être soulevé en vertu de la LRTFP n’avait pas encore été déterminée de manière concluante. Dans les circonstances où un syndicat refuse de représenter un fonctionnaire, comme c’est le cas ici, il faudrait conclure qu’un congédiement déguisé a eu lieu, et l’on ne devrait pas reprocher au fonctionnaire de ne pas avoir produit un grief pour licenciement en temps opportun.

26 Le fonctionnaire a affirmé que la question selon laquelle les mesures de l’employeur visant à lui faire subir une évaluation de l’aptitude au travail et ensuite de le suspendre et finalement le licencier, constituaient une mesure disciplinaire, implique des questions de fait et de droit et ne devrait pas être soumise à l’arbitrage hors de tout contexte.

27 La question de savoir si l’employeur a reçu l’avis de l’intention du fonctionnaire de présenter un grief concernant son licenciement implique aussi une recherche des faits. Il existe un conflit important par rapport aux faits reliés à ce sujet qui nécessite un arbitrage.

28 Le fonctionnaire a aussi ajouté à ses soumissions écrites, un document intitulé [traduction] « Avis de motion » dans lequel il a demandé une audience probante complète pour traiter de la question de la compétence et de l’abus de procédure qu’il avait soulevée. Le fonctionnaire a aussi demandé une ordonnance réglant toute irrégularité procédurale dans son affirmation de ses droits et tout autre recours juste et non contraire aux intérêts de la justice et du public.

29 Le fonctionnaire a fondé ses demandes contenues dans l’avis de motion sur les motifs selon lesquels la question de compétence ne pouvait pas être décidée hors de tout contexte, et qu’elle nécessitait une audience probante et que le fait que le syndicat ne lui accorde pas de soutien, jumelé au caractère déraisonnable et illégal de la conduite de l’employeur menant à son licenciement et par la suite, constituait un abus de procédure. Il a affirmé avoir procuré à l’employeur un avis de son intention de présenter un grief concernant son licenciement, mais que son employeur avait refusé de consentir et que le syndicat refusait de l’appuyer. Il a soutenu que les questions présentées par le grief exigeaient un niveau élevé d’équité procédurale.

C. Réfutation de l’employeur

30 L’employeur a soutenu que la compétence est une question préliminaire et qu’il serait contraire à l’intention et à l’objectif de la LRTFP de procéder à une audience avant d’avoir déterminé s’il y a compétence en vertu de ses dispositions.

31 L’employeur a noté qu’une partie importante des soumissions du fonctionnaire concernaient des allégations liées à sa relation avec son syndicat et son refus de le représenter, lesquelles sont hors de la portée du grief en question. L’employeur a affirmé que la correspondance par courriel entre le fonctionnaire et son représentant syndical, jointe aux arguments du fonctionnaire, appuyait son argument que le grief en question ne se rapportait pas à une mesure disciplinaire.

32 L’employeur a affirmé que les renvois du fonctionnaire à son licenciement étaient trompeurs. Le grief en question visait une demande que le fonctionnaire se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail. Il a été licencié environ trois mois et demi après la date de son grief; ainsi, son licenciement ne fait pas l’objet du grief à l’étude.

III. Motifs

33 Le fond du grief dont je suis saisi est une allégation selon laquelle la demande de l’employeur du 28 janvier 2014, voulant que le fonctionnaire se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail constitue une mesure disciplinaire déguisée. Le fonctionnaire a allégué que la demande de l’employeur l’avait empêché de retourner au travail après un congé qu’il avait demandé puis annulé et que, par conséquent, il était en congé non payé. Outre les demandes du fonctionnaire que certains gestionnaires soient disciplinés, congédiés ou envoyés à différents types de formation, la mesure corrective demandée par le fonctionnaire appuie le fait que l’évaluation de l’aptitude au travail constitue la question principale soulevée par le grief.

34 Dans la réponse au deuxième palier à ce grief et d’autres, en date du 5 mars 2014, et dans la réponse au troisième palier à ces mêmes griefs, en date du 4 avril 2014, l’employeur a confirmé que le retour au travail n’était pas conditionnel à une évaluation de son aptitude au travail. De plus, l’employeur a confirmé un changement à la relation hiérarchique du fonctionnaire à son retour au travail. Dans la réponse au troisième palier, l’employeur a affirmé avoir compris que la demande d’évaluation de l’aptitude au travail avait déjà été annulée et qu’un changement au rapport hiérarchique du fonctionnaire avait été apporté. Par conséquent, l’employeur a jugé que ces parties des griefs étaient réglées

35 Le fonctionnaire a renvoyé ce grief à l’arbitrage le 18 mars 2014, soit après avoir reçu la deuxième réponse de l’employeur, mais avant l’émission de la réponse au palier final. Dans la section de l’« Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel, formulaire 21 » de l’ancienne Commission, qui identifiait la disposition de la LRTFP en vertu de laquelle le grief était renvoyé, le fonctionnaire a noté l’alinéa 209(1)b) et souligné les mots « disciplinaire » et « sanction pécuniaire ». En marge, une note manuscrite indique [traduction] « congédiement déguisé ». Étant donné l’apparente contradiction entre les réponses au grief aux deuxième et troisième paliers et son renvoi à l’arbitrage, particulièrement puisqu’il s’agit d’une affaire visant un congédiement déguisé, on a demandé au fonctionnaire de fournir à l’ancienne Commission les particularités de son grief et tous les documents à l’appui.

36 La réponse du fonctionnaire à la demande de l’ancienne Commission pour des précisions n’expliquait pas la contradiction apparente entre les réponses au grief, qui semblaient accorder la mesure corrective demandée dans son grief. Il a plutôt affirmé qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé puisque l’employeur lui avait « interdit » de travailler et avait cessé de le payer lorsqu’il s’est plaint de la relation hiérarchique. Le fonctionnaire a aussi allégué que l’employeur lui avait refusé l’accès au milieu de travail jusqu’à ce qu’il se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail. L’employeur a affirmé qu’une audience probante complète était nécessaire.

37 La réponse du fonctionnaire à ma demande d’arguments écrits sur la question de la compétence de l’employeur a suscité très peu de renseignements supplémentaires. Le fonctionnaire a réitéré son affirmation selon laquelle il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et a noté que la question de savoir si les mesures de l’employeur constituaient une mesure disciplinaire comportait des questions de fait et de droit, lesquelles ne pouvaient pas être arbitrées sans audience.

38 Ma compétence à cet égard se limite à un grief qui est renvoyé de manière appropriée à l’arbitrage en vertu de paragraphe 209(1) de la LRTFP, qui prévoit en partie ce qui suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel […]

39 Ce paragraphe a été interprété, depuis Burchill c. Procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), comme étant une restriction du droit d’un fonctionnaire s’estimant lésé de soulever des questions de fond à l’arbitrage qui n’étaient pas explicitement ou implicitement contenues dans le grief. Parce que ma compétence à entendre le grief découle du paragraphe 209(1) de la LRTFP, je dois être certain que le grief renvoyé à l’arbitrage est essentiellement le même que celui présenté dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, peu importe si une objection est soulevée voulant que ce ne soit pas le cas.

40 La doctrine du congédiement déguisé se trouve principalement dans le secteur privé non syndiqué. Dans Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32, on le décrit au paragraphe 174 comme suit :

 [174] Ce principe, sous le régime de la common law, s’applique à des contrats d’emploi entre un employé et son employeur. Ces contrats comprennent généralement des modalités expresses et tacites et peuvent être résiliés au gré de l’employeur, la seule réserve étant qu’en l’absence de justification, celui-ci doit donner un avis approprié (ou une indemnité tenant lieu de préavis). Ces contrats régissent généralement un poste précis auquel des tâches, des responsabilités et un salaire précis sont associés. Ils comprennent rarement des modalités permettant à l’employeur de les modifier de façon unilatérale, voire n’en comprennent jamais. Par exemple, une réduction considérable des tâches et des responsabilités d’un employé pourrait être considérée comme un manquement fondamental au contrat existant. Ce manquement pourrait ainsi faire en sorte que l’employé estime qu’il a été licencié, c’est-à-dire qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il pourrait alors poursuivre l’employeur pour congédiement abusif.

41 Si l’on met de côté la question de savoir si la doctrine du congédiement déguisé s’applique à la fonction publique fédérale, qui est examinée dans Hassard, il est clair qu’à la base, elle vise une allégation qu’il y a eu un licenciement découlant d’une violation fondamentale du contrat d’emploi.

42 Le grief dont je suis saisi ne contient aucune allégation qu’il a été mis fin à l’emploi du fonctionnaire, ni qu’une telle allégation y soit implicite. La réponse de l’employeur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs ne laissait pas non plus entendre que, selon sa compréhension, le grief comportait une allégation que le fonctionnaire avait été congédié. Par ailleurs, l’employeur a exprimé clairement que le fonctionnaire était libre de retourner au travail sans avoir à subir une évaluation de l’aptitude au travail. Étant donné ces faits, je juge que l’allégation de congédiement déguisé a été soulevée pour la première fois dans le renvoi à l’arbitrage et que, par conséquent, même si la doctrine est pertinente à la fonction publique fédérale, je n’ai pas compétence pour l’examiner.

43 Cependant, il est allégué dans le grief que l’exigence voulant que le fonctionnaire se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail constituait une mesure disciplinaire déguisée. Même si l’employeur avait retiré l’exigence relative à l’évaluation de l’aptitude au travail au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, il est possible qu’il y ait des questions correctrices résiduelles qui pourraient faire l’objet d’une audience d’arbitrage et, à cet égard, l’objection de l’employeur quant à la compétence devient pertinente.

44 Selon l’employeur, sa demande initiale voulant que le fonctionnaire subisse une évaluation de l’aptitude au travail s’appuyait sur son observation de son comportement et constituait un exercice valide de ses droits de gestion. Il s’agissait d’une mesure administrative, et non d’une mesure disciplinaire. L’employeur a produit des documents comme preuve des motifs de sa préoccupation à l’égard de la santé du fonctionnaire. Je note que le fonctionnaire a aussi exprimé des préoccupations concernant sa santé, tant dans son grief que dans les documents soumis par l’employeur.

45 Le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve et aucun argument lorsqu’il a été invité à fournir des précisions ou des arguments à l’appui de sa position au-delà de la simple affirmation que la question nécessitait une audience. Le fonctionnaire n’a pas contesté la version des faits présentée par l’employeur et n’a pas répondu à son objection quant à la compétence. Il lui incombait de le faire.

46 Parce que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, je conclu que je n’ai pas de fondement suffisant pour conclure qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Par conséquent, je ne peux pas juger que je possède la compétence nécessaire pour entendre le grief.

47 Le fonctionnaire et l’employeur ont renvoyé au licenciement du fonctionnaire quelques mois après le dépôt du grief dont je suis saisi. Cette question ne pas fait partie du grief et doit être déposée et renvoyée à l’arbitrage conformément à la LRTFP et au Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79).

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

49 Le grief est rejeté.

Le 22 juillet 2015.

Traduction de la CRTEFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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