Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a allégué que le défaut de l'employeur de prolonger sa nomination intérimaire constituait une discrimination fondée sur l'incapacité – la fonctionnaire s'estimant lésée a éprouvé des problèmes au niveau de ses hanches et elle a demandé et obtenu des mesures d'adaptation à son poste intérimaire de niveau CR-05 – elle devait subir une intervention chirurgicale et a informé l'employeur qu'elle serait en congé pour une période prolongée – l'employeur a prolongé à deux reprises le poste intérimaire de la fonctionnaire s'estimant lésée, malgré le fait qu'elle était en congé de convalescence, mais il a fait valoir qu'il ne savait pas qu'elle était en congé et que, lorsqu'il l'a réalisé, il l'a informée que sa nomination intérimaire ne serait pas prolongée davantage puisqu'elle n'était pas disponible pour travailler – après sa convalescence, la fonctionnaire s'estimant lésée est retournée au travail à son poste d'attache CR-03 et, environ trois mois plus tard, une autre nomination intérimaire à un poste CR-05 lui a été offerte et elle l'a acceptée – l'arbitre de grief a conclu que le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée n'était pas disponible pour travailler et qu'il n'y avait aucune certitude quant à la date à laquelle elle pourrait revenir était fatal à sa revendication – l'obligation de prendre des mesures d'adaptation a pour but d'éliminer les obstacles au travail; elle ne va pas jusqu'à obliger un employeur à rémunérer un employé qui ne travaille pas – le résultat aurait pu être différent si l'employeur avait su que la fonctionnaire s'estimant lésée serait de retour à une date précise au cours de la période intérimaire ou s'il avait reçu une demande de mesures d'adaptation pour son retour au travail à cette date précise. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150529
  • Dossier: 566-02-8294
  • Référence: 2015 CRTEFP 50

Devant un arbitre de grief


ENTRE

HEATHER TIMMONS

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration)

employeur

Répertorié
Timmons c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Sydney (Nouvelle-Écosse),
le 10 mars 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Introduction

1 La question soulevée en l'espèce consistait à savoir si l'omission de l'employeur de prolonger la durée d'un poste intérimaire à durée limitée à un employé qui n'était pas disponible pour exercer les fonctions de ce poste parce qu'il ou elle était en congé de maladie constitue une discrimination fondée sur l'incapacité.

2 J'ai entendu l'affaire à Sydney, en Nouvelle-Écosse, le 10 mars 2015. J'ai entendu le témoignage de Heather Timmons, la fonctionnaire s'estimant lésée (la « fonctionnaire »). J'ai également entendu le témoignage de Beth Keough, qui était, pendant la majorité de la période pertinente, la gestionnaire des opérations au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (l'« employeur ») situé à Sydney et qui a témoigné au nom de l'employeur. Chacune des parties a également déposé en preuve un certain nombre de pièces.

3 Les faits n'ont essentiellement pas été contestés. La question centrale était fondée sur les inférences ou les conclusions juridiques fondées sur ces faits. Pour ce motif, je présenterai simplement les faits selon ma conclusion fondée sur les éléments de preuve.

4 La fonctionnaire était représentée par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). L'AFPC et le Conseil du Trésor sont des parties à une convention collective (le groupe Services des programmes et de l'administration – tous les employés) qui est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »).

5 Le 6 mars 2013, l'AFPC a donné un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de ce qu'elle a indiqué être l'omission de l'employeur de prendre des mesures d'adaptation relativement à l'incapacité temporaire de la fonctionnaire en refusant de lui permettre de continuer à occuper son poste intérimaire. En guise de réparation, l'AFPC a demandé une déclaration de discrimination, telle qu'elle a été alléguée, et une ordonnance selon laquelle la perte de salaire et d'autres prestations soient remboursées à la fonctionnaire, ainsi que tout préjudice moral qui en découle. Le 20 mars 2013, la CCDP a indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de présenter des arguments relatifs à l'affaire, mais elle a demandé un avis concernant son issue.

6 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014, continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

II. Les faits

7 À titre de contexte, la fonctionnaire est devenue une employée nommée pour une période indéterminée de l'employeur en 2000 ou environ en cette année. Pendant toutes les périodes pertinentes, elle occupait un poste permanent au groupe et au niveau CR-03 au bureau de l'employeur situé à Sydney. Elle a indiqué qu'à titre de CR-03, les fonctions comprenaient ce qui suit : vider les chariots pour le courrier, pousser ces derniers (pendant qu'ils étaient pleins) d'un endroit à un autre pour livrer le courrier, distribuer le courrier d'une équipe à une autre, placer des dossiers sur des tablettes et en enlever et balayer différents documents.

8 Le 30 novembre 2010, on a offert à la fonctionnaire un poste intérimaire au groupe et au niveau CR-05 au bureau de Sydney du 30 novembre 2010 au 31 mars 2011 (pièce G1). L'offre indiquait que malgré la période indiquée, sa [traduction] « […] nomination pourrait être pour une période plus courte, selon les exigences opérationnelles ». Le numéro du processus de dotation (ci-après la « nomination ») pour l'offre du poste intérimaire était 10-IMC-IA-SYD-006. La fonctionnaire a accepté le poste le 3 décembre 2010 (pièce G1 et pièce E9, onglet 1).

9 La fonctionnaire a indiqué que le travail d'un CR-05 est essentiellement le même que celui d'un CR-03, mais qu'il comprend une saisie de données plus importante et un certain contact avec les clients.

10 À ce moment-là, la fonctionnaire éprouvait – et ce, depuis un certain temps – des difficultés croissantes liées à ses hanches. Elle avait commencé à éprouver une douleur, particulièrement lorsqu'elle marchait pendant une période prolongée et lorsqu'elle soulevait des objets lourds. À un moment donné, son nom a été inscrit sur une liste d'attente à l'hôpital relativement à une chirurgie aux deux hanches.

11 En janvier 2011, le médecin de famille de la fonctionnaire a signé une lettre (la « lettre de janvier 2011 ») dans laquelle il demande que des [traduction] « […] mesures d'adaptation spéciales soient prises à l'égard de Heather Timmons compte tenu de la douleur débilitante à ses hanches en raison de l'arthrite afin qu'elle puisse continuer de travailler malgré son incapacité » (pièce E9, onglet 14). Les mesures d'adaptation comprenaient la capacité de travailler à domicile pendant une partie de la journée et une chaise ergonomique. L'employeur a mis en application un contrat de télétravail qui permettait à la fonctionnaire de travailler à domicile chaque après-midi (pièce E9, onglet 14).

12 Je souligne que la fonctionnaire a affirmé qu'avant la rédaction de la lettre, elle avait discuté de sa situation et du régime de travail de rechange proposé avec son médecin. Il avait approuvé la proposition et lui avait demandé de rédiger une lettre à cet effet. Il a ensuite signé la lettre rédigée – la lettre de janvier 2011.

13 Conformément à la demande du médecin de la fonctionnaire, l'employeur a également effectué une évaluation ergonomique de la situation de travail de la fonctionnaire. Un rapport, daté du 26 janvier 2011, indiquait les difficultés que la fonctionnaire éprouvait avec ses hanches et sa cuisse droite et l'incidence de ces difficultés sur sa capacité de travailler (pièce E9, onglet 16). À ce moment-là, elle travaillait cinq heures par jour au lieu de travail et le reste de ses heures de travail à domicile. Un certain nombre de recommandations ont été formulées et la fonctionnaire a indiqué que l'employeur les a mis en œuvre.

14 Le 10 février 2011, le médecin de famille de la fonctionnaire a signé une autre lettre (la « lettre du 10 février ») dans laquelle il indique que la fonctionnaire éprouvait toujours des difficultés relativement à son horaire de travail et des arrangements actuels et il a recommandé un régime de travail de rechange (pièce E9, onglet 15). La recommandation comprenait le travail à domicile pendant une partie de la semaine ce qui [traduction] « […] permettrait de réduire les déplacements et le transport de sa serviette, ce qui aggravait son état sous-jacent ». Il a ajouté que le régime de travail de rechange proposé serait [traduction] « […] temporaire et durerait jusqu'à ce qu'elle ait subi la chirurgie pour remplacer sa hanche ou jusqu'à ce qu'il soit trop difficile pour Heather de continuer » (pièce E9, onglet 15).

15 Tout comme pour la lettre de janvier 2011, la fonctionnaire a discuté du contenu de la lettre du 10 février d'abord avec son médecin de famille. Elle l'a ensuite rédigée et il l'a signée.

16 En raison de cette demande, l'employeur a modifié le contrat de télétravail (pièce E9, onglet 15). (Pendant que j'examine ce point, je souligne que la fonctionnaire a reconnu et convenu que l'employeur a toujours accordé les mesures d'adaptation recommandées ou demandée par elle ou son médecin.. Elle n'avait aucune plainte en ce qui concerne les mesures prises par son employeur relativement aux mesures d'adaptation qu'elle a demandées ou qui lui ont été fournies en tout temps).

17 À un moment donné pendant cette période, la fonctionnaire a été informée qu'elle subirait la première de ses chirurgies à sa hanche en avril 2011. Elle a également été informée qu'il lui faudra plus de 9 mois, jusqu'à un an, pour se rétablir. Elle a informé sa superviseure de l'équipe, Janet Harvey, des deux chirurgies et du fait qu'elle sera en congé pendant une période prolongée.

18 La fonctionnaire a rempli les deux premiers rapports de la série « Demande de congé et rapport d'absence », dont les deux étaient datés du 11 mars 2011 (pièce E9, onglets 5 à 11). Le premier des deux rapports indiquait que la fonctionnaire serait en « congé de maladie avec certificat » (c'est-à-dire, en congé de maladie payé) pendant la période du 4 avril au 20 avril 2011. Le deuxième indiquait qu'elle serait en congé de maladie non payé du 20 avril jusqu'au 30 juin 2011 (pièce E9, onglets 5 et 6).

19 La date de début de congé de maladie avec certificat – le 4 avril 2011 – découlait de sa chirurgie prévue pour remplacer sa hanche le 1er avril 2011.

20 Toutefois, ce qui n'est pas clair est la date à laquelle ces rapports ont été présentés à l'employeur – ou au moins consultés par ce dernier. Tel que cela a déjà été indiqué, les deux rapports étaient datés du 24 mars. Elle a affirmé qu'elle avait présenté les renseignements à une personne du secteur des Ressources humaines de l'employeur. Toutefois, les rapports n'ont pas été consignés par l'employeur avant le 11 avril 2011. En outre, Mme Harvey, qui était alors la gestionnaire intérimaire des opérations, n'avait ni approuvé ni signé les Demandes de congés et rapport d'absenceen tant qu'« agente autorisée » avant le 20 avril 2011 (pièce E9, onglets 5 et 6). Les deux rapports indiquaient qu'un certificat était « à suivre ».

21 La question de savoir quand l'employeur a été informé que la fonctionnaire était en fait en congé de maladie revêt une certaine importance. La position que l'employeur a adoptée tout au long de cette affaire a toujours été que les postes intérimaires sont offerts uniquement aux employés qui sont disponibles pour travailler – c'est-à-dire, ceux qui sont prêts, disposés et aptes à exercer les fonctions précises du poste intérimaire. Toutefois, le 28 mars 2011, l'employeur a offert ce qui suit à la fonctionnaire : [traduction] « […] une prolongation de [sa] nomination intérimaire à compter du 1er avril 2011 et prenant fin le 30 juin 2011 » (pièce E9, onglet 2). L'offre indiquait que toutes les conditions de l'offre initiale du 30 novembre continuaient de s'appliquer et que, malgré la période précisée, la durée de sa nomination pourrait être plus courte, selon les exigences opérationnelles (pièce E9, onglet 2). L'offre était signée par Rose Anne Poirier, qui était, à ce moment-là, la directrice par intérim au bureau de Sydney. La lettre indiquait que toute question relative à l'offre devrait être adressée à Mme Keough, gestionnaire des opérations. La fonctionnaire a accepté l'offre de prolongation le 28 mars.

22 Quoi qu'il en soit, la fonctionnaire était en congé à compter du 4 avril 2011 (pièces G5 et E9, onglet 5). Elle a présenté une demande auprès de la société d'assurance de l'employeur qui verse les prestations d'invalidité de longue durée (ILD), soit la Financière Sun Life. Elle a affirmé qu'il y avait une période d'attente d'environ 13 semaines avant que sa demande ne puisse être mise au point et acceptée, période pendant laquelle elle ne travaillait pas et touchait des prestations d'assurance-emploi.

23 Le 5 juillet 2011, le chirurgien orthopédiste de la fonctionnaire a signé une lettre indiquant que la fonctionnaire était [traduction] « […] sous mes soins et elle doit s'absenter du travail pour une période indéfinie » (pièce G3). Le secteur des Ressources humaines de l'employeur a reçu la lettre à un moment donné entre le 5 et le 20 juillet (pièce E9, onglet 7). La note indiquant que le rapport a été reçu a été inscrite sur la troisième Demande de congé et rapport d'absence présentée par la fonctionnaire qu'elle a signée le 24 mars, mais qui n'a pas été consignée dans le système de l'employeur qu'à un moment donné après cette date (la date de consignation est illisible). Toutefois, il est clair que Mme Keough a autorisé la demande de congé le 20 juillet (pièce E9, onglet 7).

24 Le conflit entre la thèse et la réalité (en ce qui concerne la position de l'employeur) devient plus pertinent lorsque l'on tient compte du fait que le 6 juillet 2011, l'employeur a encore offert à la fonctionnaire une prolongation du poste intérimaire. Mme Poirier, qui était à ce moment-là la directrice par intérim au bureau de Sydney, a signé une offre de prolonger la nomination intérimaire de la fonctionnaire à compter du 1er juillet et prenant fin le 30 mars 2012 (pièce G4). La fonctionnaire a accepté cette offre le 12 juillet 2011 (pièce G4). L'offre devait commencer le 1er juillet 2011 et prendre fin le 30 mars 2012, même si, encore une fois, sa durée aurait pu être plus courte, selon les exigences opérationnelles (pièce E9, onglet 3).

25 La question centrale du grief concerne le conflit entre la position de l'employeur quant au grief et ce qu'il a fait en pratique. En bref, l'employeur a offert à la fonctionnaire deux prolongations de son poste intérimaire CR-05, malgré le fait qu'elle était en congé afin de se rétablir de la chirurgie à sa hanche. Les deux offres ont été présentées à un moment où au moins une personne de la structure de direction de l'employeur savait qu'elle était absente du travail – et qu'elle le serait sans doute pendant une période indéterminée. Si, comme l'employeur l'a soutenu plus tard, il ne faisait des offres qu'aux employés qui étaient disponibles pour faire le travail en question, il faut alors se demander pourquoi il a fait des offres à une personne qu'il savait ne pourrait probablement pas travailler pendant les périodes indiquées dans les offres.

26 Selon la position de base de l'employeur, la personne autorisée à faire l'offre ou à prolonger les postes intérimaires ne « savait » pas que la fonctionnaire n'était pas en fait disponible pour faire le travail exigé par la personne qui occupe le poste intérimaire. La réponse de l'employeur à cette question était fondée en grande partie sur le témoignage de Mme Keough tant en ce qui concerne ce qui précède que la façon dont les offres de postes intérimaires étaient déterminées.

27 Mme Keough a indiqué que les niveaux de dotation sont déterminés en fonction de son budget. Les gestionnaires des différents secteurs (y compris le sien) du bureau recevraient un budget au début de chaque exercice, ainsi que le niveau de résultats attendus que le bureau doit réaliser. Selon cette exigence et ce budget, les gestionnaires détermineraient les ressources humaines nécessaires pour réaliser ces résultats attendus tout en respectant ce budget. Les ressources humaines requises pourraient être fournies au moyen de postes occasionnels ou intérimaires, y compris les postes intérimaires CR-05.

28 Une fois que les gestionnaires conviennent du mélange de ressources humaines requises, ils obtiendraient l'approbation de leur directeur. Après avoir obtenu l'approbation, les gestionnaires informeraient le secteur des Ressources humaines du nombre de postes – et le type de poste – requis. Le secteur des Ressources humaines appliquerait ensuite les critères de sélection appropriés au répertoire d'employés qualifiés disponibles pour doter ces postes. Les gestionnaires vérifieraient la liste d'employés qualifiés avant que les lettres d'offres soient envoyées. Le directeur, à qui le pouvoir délégué a été conféré, signerait ensuite les lettres.

29 Toutes ces offres visaient les périodes qui se terminaient au plus tard le 31 mars de chaque année – la fin d'exercice. Elles visaient parfois des périodes plus courtes qui se terminaient avant la fin d'exercice, plus particulièrement s'il existait une incertitude quant à savoir si le financement prévu ou les exigences opérationnelles se réaliseraient. Elles indiquaient toutes que la durée du poste pourrait être plus courte que celle précisée dans les lettres en raison de modifications apportées au financement ou d'exigences opérationnelles qui pourraient éliminer la nécessité du poste avant le 31 mars.

30 En ce qui concerne les arguments de la fonctionnaire, Mme Keough a déclaré que lorsque l'offre initiale a été envoyée à la fonctionnaire en novembre 2010, cette dernière travaillait au bureau. Mme Keough sait que la fonctionnaire avait des problèmes médicaux, mais elle ne connaissait pas la date à laquelle elle devait subir sa chirurgie à la hanche. En contre-interrogatoire, elle a indiqué qu'il y a environ 300 employés au bureau, dont de nombreux sont en congé de maladie à un moment donné, et, par conséquent, même si les gestionnaires savent que certains employés sont en congé à un moment donné, ils ne savent pas nécessairement la nature du congé de maladie ou sa durée possible.

31 Mme Keough a également indiqué que lorsque la deuxième offre de prolongation a été envoyée le 28 mars 2011, elle ne savait pas qu'il était prévu que la fonctionnaire soit absente du travail en raison d'une chirurgie à la hanche qu'elle allait subir le 1er avril. Mme Keough a indiqué que le fait qu'elle n'en était pas au courant pourrait être attribuable, en partie, au fait qu'elle eût pris un congé au printemps ou au début de l'été de 2011. Elle a reconnu avoir été consciente, quoique vaguement, du fait que la fonctionnaire [traduction] « pourrait être absente pendant une certaine période à court terme », mais elle ne savait pas qu'il était prévu que la fonctionnaire soit absente du travail pendant une période indéfinie lorsque la prochaine lettre d'offre de prolongation a été envoyée le 6 juillet 2011. Selon son témoignage, ce n'était qu'au 20 juillet 2011, lorsqu'elle a signé la Demande de congé et rapport d'absence de la fonctionnaire, qu'elle est devenue au courant de ce fait. Elle a également indiqué, en contre-interrogatoire, que l'offre du 6 juillet a été faite par Mme Poirier, qui travaillait alors à titre intérimaire et qu'il s'agissait en fait d'une erreur. Elle a dit ce qui suit : [traduction] « Si la fonctionnaire n'était pas disponible pour travailler, l'offre du poste intérimaire n'aurait pas dû lui avoir été faite ».

32 Mme Keough a indiqué qu'elle se préoccupait toujours à s'assurer qu'une personne soit disponible pour exercer les fonctions du poste afin de répondre aux exigences opérationnelles du secteur. L'absence d'un employé pendant une semaine ou deux n'aurait pas eu une incidence importante sur ces exigences, mais les absences d'une durée plus longue auraient pu entraîner l'accumulation du travail alors qu'il n'y a personne pour le faire. Elle a dit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[S]i un employé n'est pas ici pour faire le travail, pourquoi est-ce que je lui offrirais une affectation intérimaire? Sans égard de la question de savoir s'il est malade, il n'est pas disponible pour faire le travail nécessaire. Cela s'applique également à tous les employés, peu importe la raison pour laquelle ils ne sont pas disponibles. Ma question est la suivante : Sont-ils présents pour faire le travail qui doit être fait?

33 En revenant à la chronologie, le 19 juillet 2011, la société d'assurance (Financière Sun Life) qui verse les prestations d'ILD à la fonctionnaire l'a informé qu'elle avait accepté sa demande d'ILD, à compter du 1er juillet 2011 (pièce G5).

34 Le 14 septembre 2011, Mme Keough a également signé la Demande de congé et rapport d'absence de la fonctionnaire. Le 21 décembre 2011, la fonctionnaire a signé une autre Demande de congé et rapport d'absence qui indiquait qu'elle serait absente du travail et en congé de maladie non payé pendant la période allant du 2 janvier au 31 mars 2012. Dans le rapport, une personne (Mme Keogh croyait qu'il s'agissait peut-être d'une personne du secteur des Ressources humaines) avait ajouté la note manuscrite suivante : [traduction] « formulaire médical présenté (indéfinie) » (pièce E9, onglet 9). Mme Keough a signé le rapport à titre de l'agente autorisée le 28 décembre 2011 (pièce E9, onglet 9).

35 Étant donné la date de la demande de congé, je suppose que la phrase [traduction] « formulaire médical présenté (indéfinie) » renvoie au rapport du chirurgien orthopédiste daté du 5 juillet 2011.

36 La fonctionnaire a indiqué qu'elle avait rencontré sa superviseure, Mme Harvey, le 28 mars 2012. Elle lui avait dit qu'elle subirait sa deuxième chirurgie à sa hanche bientôt et qu'il [traduction] « se pourrait qu'elle puisse retourner au travail en juin ». Mme Harvey lui a demandé si elle avait obtenu une note de son médecin pour confirmer ces renseignements.

37 À ce moment-là, Mme Harvey a également informé la fonctionnaire que sa nomination intérimaire à titre de CR-05 (qui venait à échéance le 30 mars) ne serait pas prolongée puisqu'elle n'était pas disponible pour travailler. La fonctionnaire a affirmé qu'elle croyait que cette décision était injuste parce que ce [traduction] « n'était pas de [s]a faute » qu'elle n'était pas disponible pour travailler à compter du 1er avril 2012.

38 La fonctionnaire a indiqué qu'elle est allée au bureau de son médecin pour obtenir une note, qu'elle a donnée à son employeur le lendemain. La note, datée du 29 mars, était signée par le chirurgien orthopédiste de la fonctionnaire. Elle indiquait ce qui suit au sujet de la fonctionnaire : [traduction] « […] [elle] est sous mes soins [et] ne sera pas en mesure de travailler avant la fin de mai 2012. Elle fera l'objet d'un autre examen à ce moment-là » (pièce G6).

39 Je souligne que le 28 mars 2012, la fonctionnaire avait également signé une autre Demande de congé et rapport d'absence. Une personne (probablement des Ressources humaines) a ajouté la note suivante : [traduction] « Note du médecin interprétée aux RH comme visant la période indiquée ci-dessus (du 29 mars à la fin de mai). » La période de congé de maladie non payé a été indiquée comme la période du 1er avril au 31 mai 2012. L'agente autorisée (signature illisible) a signé le formulaire le 13 avril 2012 (pièce E9, onglet 10).

40 La fonctionnaire a subi sa deuxième chirurgie à la hanche en février 2012. Elle a indiqué qu'on lui avait dit – et qu'elle s'en attendait – que la période de rétablissement de la deuxième chirurgie est quelque peu moins longue que celle pour la première.

41 Lorsqu'on l'a interrogée sur la décision de l'employeur de ne pas prolonger le poste intérimaire de la fonctionnaire, en mars 2010, Mme Keough a témoigné qu'il y avait deux points saillants. D'abord, la fonctionnaire n'était pas en mesure de travailler avant la fin du mois de mai 2012, à tout le moins. Ensuite, il n'y avait [traduction] « aucune garantie selon laquelle elle retournerait au travail à ce moment »; on indiquait seulement que son état serait évalué. Cela étant le cas, elle était d'avis que le poste intérimaire de la fonctionnaire ne pourrait être renouvelé au 1er avril, « car elle n'était pas disponible et elle ne serait pas au travail pour accomplir le travail que [Mme Keough] lui demandait de faire ». Elle a convenu qu'elle savait à ce moment que la fonctionnaire n'était pas au travail, mais en congé de maladie, et qu'elle recevait des prestations d'AILD. Elle était également au courant que la fonctionnaire était en congé puisqu'elle avait subi une chirurgie à la hanche.

42 Étant donné qu'elle était préoccupée par le fait que la décision de l'employeur de ne pas renouveler son poste intérimaire était injuste, la fonctionnaire  a déposé un grief le 24 avril 2012. Elle a invoqué que le défaut de l'employeur de prolonger ou de réinstaurer son poste intérimaire de niveau CR-05 constituait une discrimination fondée sur l'incapacité (pièce E9, onglet 21).

43 Le 16 mai 2012, le chirurgien orthopédiste de la fonctionnaire a rempli un formulaire, dans lequel il indiquait que cette dernière pouvait travailler selon des « tâches ou heures modifiées », en ajoutant qu'elle pourrait « retourner progressivement au travail » en date du 7 juin 2012 (pièce G7). La fonctionnaire a témoigné que par « retour progressif au travail », son médecin et la Sun Life croyaient qu'elle pourrait retourner au travail selon un horaire modifié en juin.

44 Le 16 mai 2012, la fonctionnaire a soumis une Demande de congé et rapport d'absence. Un employé (probablement des Ressources humaines) a indiqué le commentaire « (retour progressif le 4 juin) ». Il était indiqué que la période de congé de maladie non payé s'étendait du 1er juin 2012 à 7 h au 1er juin 2012 à 15 h. L'agent autorisé (signature illisible) a signé le formulaire le 16 mai 2012 (pièce E9, onglet 11).

45 L'employeur a communiqué à titre de preuve un plan de « retour au travail progressif » non daté, préparé par la Financière Sun Life, l'entreprise d'AILD. Dans le plan, le nom de Mme Keough est indiqué comme personne-ressource de l'employeur. Il y est indiqué que la « date de début prévue du retour au travail » de la fonctionnaire serait le 4 juin 2012. À cette date, on s'attendait à ce qu'elle travaille des quarts de quatre heures pendant trois jours pour la première semaine, des quarts de six heures pendant trois jours pour la deuxième semaine et des quarts de 7,5 heures pendant trois jours pour la troisième semaine. Par la suite, le nombre de jours augmenterait graduellement jusqu'à ce qu'elle soit de retour à temps plein, le 9 juillet 2012 (pièce E9, onglet 20).

46 La fonctionnaire est retournée au travail selon l'horaire modifié recommandé indiqué dans le plan de la Financière Sun Life. Elle est retournée accomplir les fonctions liées à son poste permanent habituel de CR-03. Elle a graduellement occupé des fonctions à temps plein et, le 6 septembre 2012, on lui a offert un nouveau poste intérimaire, encore à un niveau CR-05 (pièce G8). L'offre portait un nouveau numéro de processus de dotation, différent de celui attribué à l'offre du 30 novembre 2010 (pièces G8 et G1). Elle l'a accepté.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

47 Le représentant de la fonctionnaire a mentionné que la question dans cette affaire en est tout simplement une de discrimination et d'omission de prendre des mesures d'adaptation. La discrimination résidait dans le défaut de l'employeur de prolonger le poste intérimaire CR-05 en mars 2012. L'employeur ne lui a pas offert de prolongation parce qu'elle n'était pas disponible pour travailler, selon lui, parce qu'elle se rétablissait d'une chirurgie à la hanche. Par conséquent, le refus de l'employeur à prolonger son poste intérimaire est le fruit d'une discrimination fondée sur une incapacité physique.

48 Le représentant de la fonctionnaire a invoqué qu'on ne pouvait créditer la position de l'employeur de ne pas prolonger son poste intérimaire parce qu'elle n'était pas disponible pour travailler. Il a choisi de prolonger deux fois le même poste intérimaire, et ce, même s'il savait – ou pouvait être réputé savoir – qu'elle n'était pas au travail pendant une période indéterminée en raison de ses chirurgies à la hanche. Étant donné que l'employeur a prolongé le poste intérimaire de la fonctionnaire à ces deux reprises – lorsqu'il savait qu'elle n'était pas disponible pour travailler –, il ne pouvait pas changer subitement de position ou de conduite.

49 Le représentant de la fonctionnaire a également mentionné que si l'incapacité physique constituait la raison pour laquelle la fonctionnaire ne pouvait être disponible pour travailler, l'employeur n'aurait pas pu refuser de renouveler son poste intérimaire. Dans ce cas, cela signifierait qu'il a refusé un poste à un employé en raison d'une incapacité, et donc, que l'employée a été victime de discrimination fondée sur l'incapacité, ce qui constitue un motif interdit en vertu des deux conventions collectives et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

50 Par conséquent, le représentant a indiqué qu'un employé qui occupait un poste intérimaire, mais qui est devenu incapable d'accomplir les tâches associées à ce poste ne se serait jamais vu refuser une prolongation de ce poste intérimaire. Le refus de renouveler dans de tels cas pourrait être considéré uniquement comme un refus fondé sur l'incapacité physique et serait donc discriminatoire.

51 Le représentant de la fonctionnaire a allégué, à titre subsidiaire, que le 28 mars 2012, l'employeur savait que la fonctionnaire pourrait retourner au travail à la fin du mois de mai 2012. Cela étant le cas, l'employeur aurait dû songer à lui offrir un poste intérimaire adapté à cette date.

52 Même si le défaut de l'employeur de prolonger le poste intérimaire pour la période postérieure à mars 2012 pourrait être justifié par le manque de disponibilité de la fonctionnaire, cette justification n'a plus aucun effet pour la période pendant laquelle elle aurait pu être disponible. L'employeur possédait un certificat médical indiquant que la fonctionnaire pourrait être apte à retourner au travail après mai 2012. Cela étant le cas, l'employeur aurait dû lui offrir une prolongation du poste intérimaire à cette date.

53 Le représentant de la fonctionnaire a indiqué qu'en vertu de l'un ou l'autre des arguments, le refus de l'employeur de prolonger le poste intérimaire constituait une discrimination fondée sur l'incapacité physique. Le fardeau de la preuve d'une exigence professionnelle justifiée pour étayer cette discrimination a ensuite été transféré à l'employeur, et aucune preuve de la sorte n'a été présentée dans le cadre de cette affaire. Cela étant le cas, le grief devrait être accueilli.

54 Au moment de présenter ses arguments, le représentant de la fonctionnaire s'est fondé sur les décisions English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CRTFP 24; Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, 2003 TCDP 2; Coast Mountain Bus Company Ltd. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers of Canada (CAW-Canada), Local 111, 2010 BCCA 447.

55 À titre de mesure corrective, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que cette dernière devrait se voir accorder un montant pour perte de revenu, correspondant à la différence entre son revenu au niveau CR-03 et celui qu'elle aurait tiré si son poste intérimaire de niveau CR-05 avait été prolongé le 1er avril 2012 ou, autrement, en date du 4 juin 2012, lorsqu'elle est retournée au travail à temps plein. Le point limite, dans l'une ou l'autre des situations, correspond au 10 septembre 2012, lorsque son poste intérimaire a été renouvelé.

B. Pour l'employeur

56 L'avocat de l'employeur a soutenu que les pouvoirs et les arguments effectués au nom de la fonctionnaire se fondaient sur des faits et des questions issus du licenciement d'employés aux prises avec des incapacités mentales ou physiques. La présente affaire ne porte pas sur un licenciement. Elle porte plutôt sur la question de déterminer si une employée était admissible, en vertu de la convention collective, à être rémunérée pour accomplir des tâches à titre intérimaire. La clause 64.07a) de l'article 64 (Administration de la paye) prévoit ce qui suit :

64.07a)    Lorsque l'employé-e est tenu par l'Employeur d'exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d'un niveau de classification supérieur et qu'il ou elle exécute ces fonctions pendant au moins trois (3) jours de travail ou postes consécutifs, il ou elle touche, pendant la période d'intérim, une rémunération d'intérim calculée à compter de la date à laquelle il ou elle commence à remplir ces fonctions, comme s'il ou elle avait été nommé à ce niveau supérieur.

57 L'avocat de l'employeur a soutenu que la clause 64.07a) de la convention collective signifie qu'il n'y a aucun droit fondamental d'être rémunéré à titre intérimaire. Cela signifie uniquement que si un employé accomplit réellement les fonctions d'un poste de niveau supérieur, il est admissible à une rémunération supérieure pour ce travail. Il a poursuivi en soutenant qu'il n'y a aucun droit fondamental à se voir offrir un poste intérimaire. Il n'y a non plus aucune garantie selon laquelle ce poste sera renouvelé.

58 L'avocat de l'employeur a reconnu que, si un employé exige la prise de mesures d'adaptation pour accomplir des fonctions propres à un poste intérimaire, l'employeur est obligé de prendre de telles mesures. Toutefois, l'obligation de prendre des mesures d'adaptation correspond à l'obligation de prendre des mesures d'adaptation relatives à la capacité de travailler; elle n'existe pas si un employé n'est pas disponible pour travailler.

59 L'avocat de l'employeur a soutenu que le défaut d'offrir de renouveler ou de prolonger le poste intérimaire n'était pas le fruit d'une discrimination fondée sur une incapacité. Si la fonctionnaire n'était pas disponible pour travailler – avec ou sans la prise de mesures d'adaptation – l'employeur n'était nullement obligé de présenter une telle offre. L'employeur a besoin d'employés afin d'accomplir le travail requis pour répondre à ses exigences opérationnelles. Il serait illogique pour lui d'offrir le poste à des employés qui ne sont pas, en toutes circonstances, disponibles pour effectuer ce travail.

60 L'avocat de l'employeur a également soutenu que la preuve n'allait pas aussi loin que ce que laisse entendre le représentant de la fonctionnaire. En mars 2012, l'employeur possédait des renseignements selon lesquels a) la fonctionnaire ne serait pas prête à retourner au travail avant la fin du mois de mai et b) sa capacité de retourner au travail après cette date serait évaluée. Il n'était aucunement garanti qu'elle pourrait retourner au travail – seulement que sa capacité de retourner au travail serait évaluée. Rien dans ces renseignements n'a constitué une assurance que la fonctionnaire serait disponible pour travailler à un moment donné – certainement pas à la fin du mois de mai 2012.

61 L'avocat de l'employeur a soutenu qu'à la lumière des faits, il n'y a aucune preuve de défaut de prendre des mesures d'adaptation à l'endroit de la fonctionnaire. La preuve était claire – et la fonctionnaire l'a reconnu – que l'employeur n'avait jamais refusé une demande de mesures d'adaptation pour ses difficultés physiques. La vraie question, par conséquent, n'est pas la prise de mesures d'adaptation, mais la rémunération. L'avocat de l'employeur a soutenu qu'effectivement, la fonctionnaire invoquait qu'elle devrait être rémunérée pendant qu'elle était en congé de maladie à un poste intérimaire de groupe et niveau CR-05, plutôt qu'à son groupe et niveau CR-03.

62 L'avocat de l'employeur a d'abord souligné qu'une telle mesure d'adaptation n'a jamais été demandée. Toutefois, même si la fonctionnaire l'avait demandé, elle n'aurait jamais été admissible à l'obtenir. L'obligation de prendre des mesures d'adaptation correspond à l'obligation d'aider un employé aux prises avec une incapacité mentale ou physique à travailler; voir Hydro Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, aux paragraphes 14, 15, 18 et 19. Il ne s'agit pas de rémunérer des employés qui n'accomplissent aucun travail à une échelle supérieure.

63 En ce qui concerne l'autre argument du représentant de la fonctionnaire – qu'il y avait une obligation de prendre des mesures d'adaptation à l'endroit de la fonctionnaire en la rétablissant dans un poste de niveau CR-05 en juin 2012 plutôt qu'à un poste de niveau CR-03 –, l'avocat a souligné qu'il n'y avait aucune preuve qu'une telle demande avait été présentée à l'employeur. Il n'avait non plus aucune preuve selon laquelle les tâches liées au poste intérimaire de niveau CR-05 étaient plus faciles à accomplir que celles liées à son poste permanent de niveau CR-03. Par conséquent, rien n'aurait pu suggérer à l'employeur que le retour progressif au travail amorcé en juin 2012 aurait pu être effectué à un poste de groupe et niveau CR-05 plutôt que CR-03.

64 L'avocat de l'employeur a soutenu que le seul fait que la fonctionnaire soit membre d'un groupe protégé – les personnes handicapées – n'établit pas un cas de discrimination prima facie; voir    Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 49. Le fait d'alléguer simplement la discrimination ne suffit pas; voir Togola c. Conseil du Trésor (ministère de l'Emploi et du Développement social) 2014 CRTFP 1, aux paragraphes 101 et 106; Teti c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) 2013 CRTFP 112, au paragraphe 115; Taticek c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada),2015 CRTEFP 12. Le fait que le poste intérimaire de la fonctionnaire a été renouvelé par le passé ne la rend pas admissible en soi à un autre renouvellement; voir Dauphinais c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) 2011 CRTFP 96, au paragraphe 22.

65 Enfin, l'avocat de l'employeur a soutenu que la réparation demandée par la fonctionnaire – soit d'être rémunérée comme si elle avait occupé un poste de niveau CR-05 – constituerait en fait une décision de dotation. Les arbitres de grief n'ont pas la compétence pour accorder directement des postes aux employés et ils ne peuvent donc le faire indirectement, en accordant un poste comme si un fonctionnaire s'estimant lésé l'occupait. Par conséquent, l'avocat a demandé une ordonnance de rejet du grief.

C. Réponse de la fonctionnaire s'estimant lésée

66 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que la preuve était évidente, qu'en mars 2012, l'employeur savait que la fonctionnaire était incapable de travailler puisqu'elle devait se rétablir de sa chirurgie à la hanche. En d'autres termes, l'employeur savait que son incapacité à être disponible pour travailler au début du mois d'avril était le fruit d'une incapacité. Cela étant le cas, l'employeur avait une obligation de prendre des mesures d'adaptation à l'égard de la fonctionnaire, ce qu'il a omis de faire.

III. Analyse et décision

67 Je débuterai en soulignant que je n'ai pas été convaincu que la clause 64.07a) de la convention collective a une application quelconque pour les questions présentées dans l'affaire. Selon l'interprétation franche, elle porte sur des situations dans lesquelles l'employeur exige à un employé d'accomplir le travail d'un autre employé à un niveau de classification plus élevé et, qui plus est, elle est uniquement déclenchée lorsque l'employé accomplit réellement le travail en question. La question qui m'est présentée, par contre, porte sur une offre de travail dans un poste intérimaire, et non sur une exigence selon laquelle le travail doit être effectué. Elle ne porte pas non plus sur l'accomplissement réel du travail lié au poste en question.

68 Il m'est apparu clair, selon la preuve, que dans le cours normal des choses, la fonctionnaire se serait vue offrir une prolongation de son poste intérimaire de niveau CR-05 en mars 2012, si elle avait été prête à commencer à occuper ce poste dès le 1er avril 2012. Elle possédait les qualifications et l'expérience requises pour accomplir le travail qu'implique ce poste. Elle s'était vue offrir ce poste selon ce motif au tout début. La nature satisfaisante de son travail dans ce poste intérimaire est montrée par les offres de l'employeur de prolonger la nomination et par la décision de ce dernier de lui présenter une nouvelle offre en septembre 2012.

69 Sur ces faits, il m'apparaît également évident que la seule raison pour laquelle la fonctionnaire ne s'est pas vue offrir une prolongation de son poste intérimaire en mars 2012 est le fait qu'elle n'était pas disponible pour travailler le 1er avril 2012 et parce que la date à laquelle elle deviendrait disponible pour travailler par la suite était incertaine.

70 En ce qui concerne le dernier point, je n'ai pas été convaincu par l'argument selon lequel l'employeur savait, en mars 2012, que la fonctionnaire serait en mesure de commencer à travailler à la fin du mois de mai 2012. Ce fait n'était pas une évidence. L'employeur savait que la fonctionnaire avait subi une chirurgie à la hanche, qu'elle n'était pas disponible pour travailler en mars 2012 puisqu'elle se rétablissait de cette chirurgie, qu'elle ne serait pas disponible pour travailler avant la fin du mois de mai 2012 à tout le moins et que sa capacité de travailler – et, probablement les limites au travail, le cas échéant – serait évaluée après la fin du mois de mai 2012. Rien dans ces preuves ne parle de l'assurance qu'elle serait en mesure de retourner travailler à quelque titre que ce soit, à une date donnée. Le premier avis que l'employeur a reçu afin d'indiquer que la fonctionnaire retournerait progressivement au travail à une date déterminée (à compter du 4 juin) n'a pas été présenté avant la Demande de congé et rapport d'absence qu'elle a signé le 16 mai 2012, soit bien après que l'employeur a pris ses décisions relativement aux offres de postes intérimaires.

71 À mon avis, cette constatation est fatale pour le grief de la fonctionnaire. L'obligation de prendre des mesures d'adaptation a comme but d'éliminer les obstacles au travail fondés sur des motifs interdits. Afin de l'expliquer de façon plus précise, l'obligation de prendre des mesures d'adaptation pour une incapacité physique a comme but de permettre à la personne aux prises avec cette incapacité de pouvoir travailler malgré tout. Ce but ne s'étend pas à l'obligation d'un employeur de rémunérer un employé qui n'effectue aucun travail. Comme l'indique la Cour suprême du Canada dans Hydro-Québec, au paragraphe 19 :

L'obligation d'accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l'employeur l'obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L'obligation d'accommodement qui incombe à l'employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l'employé dans un avenir prévisible.

72 Le résultat aurait pu être différent si, en premier lieu, l'employeur avait su, en mars 2012, que la fonctionnaire serait en mesure de retourner au travail à une date précise de la période de l'affectation intérimaire, ou si, en deuxième lieu, la fonctionnaire avait présenté une demande à l'employeur afin de prendre des mesures d'adaptation pour lui permettre de retourner dans le poste intérimaire à cette date précise. Dans les deux cas, la preuve selon laquelle la fonctionnaire devait pouvoir retourner au travail pendant la période de l'affectation intérimaire aurait déclenché l'obligation de prendre des mesures d'adaptation, parce qu'elle aurait indiqué que la fonctionnaire était prête à s'acquitter de sa partie de la relation d'emploi.

73 En ce qui concerne le premier point, je suis prêt à accepter, aux fins de l'argument, qu'un employeur puisse être tenu de modifier la date de début d'un emploi (lorsque cette dernière constitue une condition d'emploi) afin de prendre des mesures d'adaptation à l'égard d'un candidat qui souhaite poser sa candidature pour ce poste, mais dont la capacité à commencer le travail à cette date est entravée par une incapacité. Cela, comme je l'ai indiqué, n'était toutefois pas le cas. Ni l'employeur, ni, quant à cela, la fonctionnaire, ne connaissaient, en mars 2012, le moment où elle serait en mesure de retourner au travail.

74 En ce qui concerne le deuxième point, je reconnais qu'il n'est pas toujours nécessaire de demander explicitement des mesures d'adaptation. C'est particulièrement vrai lorsqu'il est ou il semble évident pour un employeur qu'une certaine forme de mesures d'adaptation est requise pour permettre à un employé d'accomplir ses fonctions. Dans cette affaire, toutefois, la fonctionnaire ne travaillait pas du tout. Ni elle, ni ses fournisseurs de soins n'ont indiqué la date à laquelle elle serait en mesure de retourner au travail ou, lorsqu'elle est retournée au travail, le type de mesures d'adaptation dont elle aurait besoin. Par conséquent, rien dans la preuve visant à justifier une décision selon laquelle l'employeur aurait dû tenir compte de la possibilité de prendre des mesures d'adaptation à son égard à son retour en lui offrant un poste intérimaire de niveau CR-05 plutôt que son poste actuel de niveau CR-03.

75 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

76 Le grief est rejeté.

Le 29 mai 2015.

Traduction de la CRTEFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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