Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur et un employé ont déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en se basant sur les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), alléguant la discrimination fondée sur le genre en ce qui concerne le salaire et les prestations d’emploi – en vertu de l’article 396 de la Loi d’exécution du budget de 2009 (L.C. 2009, ch. 2), la plainte a été renvoyée à la Commission et traitée par cette dernière – les plaignants ont soutenu qu’un écart salarial existait entre les groupes FI-1 et FI-2 à prédominance féminine et le groupe de comparaison masculin – à la clôture de la preuve des plaignants, l’employeur a présenté une requête de non lieu – l’employeur a soutenu que les plaignants n’avaient pas présenté une preuve prima facie suffisante pour établir que la valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels avait été évaluée de façon fiable – les parties ont reconnu qu’il s’agissait d’une situation où il était approprié que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire et examine la requête de non lieu étant donné qu’une autre période de dix jours d’audience était prévue, ce qui aurait entraîné des dépenses importantes pour les parties – les plaignants ont déposé la preuve d’un expert en équité salariale qui a utilisé un plan d’évaluation d’emploi pour évaluer et noter les postes du groupe des plaignants et du groupe de comparaison – les données de cette étude devaient servir de fondement pour une analyse statistique afin d’établir l’écart salarial entre les deux groupes – la Commission a trouvé une multitude d’erreurs et d’incohérences dans les données de l’expert et a conclu qu’une personne raisonnable serait d’avis que le travail du groupe à prédominance féminine et les comparateurs masculins n’ont pas été évalués de façon fiable – selon la prépondérance des probabilités, l’étude d’évaluation des emplois n’était pas fiable. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi d’exécution du budget de 2009

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  • Date: 20150616
  • Dossier: 666-02-7
  • Référence: 2015 CRTEFP 56

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

KAREN HALL ET ASSOCIATION CANADIENNE DES AGENTS FINANCIERS

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Hall et Association canadienne des agents financiers c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte renvoyée à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique visée au paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
James Cameron et Viviane Gates, avocats
Pour le défendeur:
Lynn Marchildon et Talitha Nabbali, avocates
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 20 au 24 avril 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Plainte devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

1 Le 23 avril 2009, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a renvoyé cette plainte à la Commission des relations de travail dans la fonction publique en application du paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009 (la « LEB »), L.C. 2009, ch. 2, qui est entrée en vigueur le 12 mars 2009. L’article 396 prévoit ce qui suit :

396. (1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

(2) La Commission statue sur les plaintes conformément au présent article.

(3) La Commission dispose, pour statuer sur les plaintes, en plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, même après l’entrée en vigueur de l’article 399.

(4) La Commission procède à un examen sommaire de la plainte et la renvoie à l’employeur qui en fait l’objet ou à celui-ci et à l’agent négociateur des employés qui l’ont déposée, selon ce qu’elle estime indiqué, à moins qu’elle ne l’estime irrecevable pour le motif qu’elle est futile ou vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

(5) La Commission peut aider l’employeur ou l’employeur et l’agent négociateur, selon le cas, à qui elle a renvoyé la plainte au titre du paragraphe (4) à régler les questions en litige de la façon qu’elle juge indiquée.

(6) Si l’employeur ou l’employeur et l’agent négociateur, selon le cas, ne règlent pas les questions en litige dans les cent quatre-vingts jours suivant la date à laquelle la plainte leur a été renvoyée ou dans le délai supérieur précisé par la Commission, celle-ci fixe une date pour l’audition de la plainte.

(7) La Commission établit sa propre procédure; elle est toutefois tenue de donner à l’employeur ou à l’employeur et à l’agent négociateur, selon le cas, toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et leurs arguments.

(8) La Commission rend une décision écrite et motivée sur la plainte et en envoie copie à l’employeur ou à l’employeur et à l’agent négociateur, selon le cas, et aux employés.

(9) La Commission peut, à l’égard des plaintes visées au présent article, rendre toute ordonnance que le membre instructeur est habilité à rendre au titre de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire et que pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 394.

2 Le 6 mars 2009, Karen Hall et l’Association canadienne des agents financiers (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne fondée sur les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »), L.R.C. (1985), ch. H-6. La plaignante, Mme Hall, prétend qu’elle a fait l’objet de discrimination en raison de son sexe quant au salaire et à sa capacité à recevoir des prestations d’emploi.

3 L’article 7 de la LCDP prévoit ce qui suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

4 L’article 10 de la LCDP prévoit ce qui suit :

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

5 L’article 11 de la LCDP prévoit ce qui suit :

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

(2) Le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.

(3) Les établissements distincts qu’un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l’application du présent article, ne constituer qu’un seul et même établissement.

(4) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).

(5) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

(6) Il est interdit à l’employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.

(7) Pour l’application du présent article, « salaire » s’entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;

b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;

c) des rétributions en nature;

d) des cotisations de l’employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d’assurance contre l’invalidité prolongée et aux régimes d’assurance-maladie de toute nature;

e) des autres avantages reçus directement ou indirectement de l’employeur.

6 Le 10 juin 2009, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a examiné la plainte en application du paragraphe 396(4) de la LEB et l’a renvoyée au Conseil du Trésor, l’employeur visé par la plainte, et à l’agent négociateur (la plaignante, l’Association canadienne des agents financiers). Étant donné que les parties n’ont pas réglé la question dans les 180 jours suivant le renvoi, la CRTFP a prévu la tenue d’une audience sur la question, aux termes du paragraphe 396(6) de la LEB.

7 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En application de l’article 441 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, la nouvelle Commission a remplacé l’ancienne Commission aux fins de l’article 396 de la LEB.

II. Résumé de la preuve

8 Les parties ont présenté un long exposé conjoint des faits, qui a été marqué comme la pièce 2, ainsi qu’un livre des documents conjoints (pièce 3). Dans l’exposé conjoint des faits, elles ont présenté les faits ayant donné lieu à la plainte, un résumé de l’historique de l’équité salariale dans la fonction publique canadienne, un historique du groupe Gestion financière (FI), les qualifications et la nature du travail de ce groupe, ainsi qu’un portrait de sa composition actuelle.

9 Les parties ont également convenu que le critère approprié pour déterminer s’il existe un écart salarial fondé sur le sexe entre un groupe à prédominance féminine et un groupe à prédominance masculine est celui établi dans les opinions de la majorité et les opinions dissidentes dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56 (le « critère Postes Canada »). On a interjeté appel de cette affaire devant la Cour suprême du Canada, qui était d’accord avec les motifs dissidents de l’instance inférieure (Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57). Selon le critère Postes Canada, les éléments suivants doivent être prouvés, selon la prépondérance des probabilités, pour établir une preuve prima facie de discrimination en vertu de l’article 11 de la LCDP :

  1. Le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l’autre sexe.
  2. Le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine qui sont comparés sont composés d’employés qui travaillent dans le même établissement.
  3. La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation qui s’ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.
  4. Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu’il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine étant moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ».

10 Les avocats de la plaignante ont présenté la preuve de quatre témoins au cours des trois journées complètes de l’audience, dont Mme Hall, Milton Isaacs, Paul Durber et Alan Sunter. La preuve de M. Durber, qui a mené l’étude d’évaluation des emplois qui constituait la base de la conclusion de M. Sunter selon laquelle il existait un écart de rémunération entre les groupes FI-1 et FI-2 combinés à prédominance féminine et le groupe comparateur masculin tel qu’il est décrit dans la plainte, s’est étendue sur deux de ces journées.

11 M. Isaacs, l’actuel président de l’ACAF, a témoigné en ce qui concerne les nombreux changements qu’il a observés dans la nature des processus comptables du gouvernement fédéral pendant sa carrière dans le groupe FI, qui a commencé en 1980. Les processus comptables dont il était responsable ont évolué à partir de la comptabilité de caisse en faveur de la comptabilité d’exercice, qui est beaucoup plus complexe. Cela a changé l’ampleur et l’étendue des compétences du groupe FI, tout comme l’introduction d’un système d’information de gestion d’entreprise, ce qui a obligé les membres du groupe FI à mieux comprendre les programmes qui y étaient intégrés. La norme de classification ne tient pas compte de cette évolution du travail, car elle n’existait pas au moment de la rédaction de la norme. La norme actuelle ne tient pas compte de la complexité du travail exécuté à l’heure actuelle.

12 Dans sa preuve, M. Isaacs a fait référence à l’effort du Conseil du Trésor, à compter de 1995, afin d’élaborer un nouveau système de classification (la Norme générale de classification (NGC)), un projet qui a été abandonné ultérieurement. M. Isaacs a souligné que, pendant ce processus, l’employeur a été surpris d’apprendre à propos du niveau et de la complexité du travail du groupe FI. Il a signalé que, pour n’avoir aucune incidence sur les recettes, l’agent négociateur avait fait de nombreux compromis qui, en fin de compte, ont dilué la description de travail du groupe FI. Selon M. Isaacs, lorsque la NGC a été terminée, les membres du comité de la NGC pouvaient constater que les membres du groupe FI étaient analogues à des [traduction] « pilotes de chasse », mais que, sur papier, ils étaient des [traduction] « pilotes de Piper ». Cela représentait un mouvement par rapport à la norme originale, mais toujours loin du niveau de pilote de chasse. L’ancienne norme pour le groupe FI était l’équivalent de [traduction] « conduire une voiture ».

13 M. Isaacs est président de l’ACAF depuis 2005. En 2007, l’ACAF a mis sur pied un comité pour examiner les écarts dans les descriptions de travail et la classification du groupe FI. Les changements liés au niveau de classification et de salaire sont liés par l’intermédiaire du processus de négociation collective. L’employeur éprouvait des problèmes de recrutement, plus particulièrement aux niveaux FI-3 et FI-4. En conséquence, une indemnité transitoire a été mise en œuvre pour ces niveaux. Les niveaux inférieurs ont été traités différemment, car ils ne présentaient aucun problème de recrutement.

14 M. Isaacs a conclu son témoignage en indiquant que le travail des employés du groupe FI était devenu plus complexe, qu’il exerçait une plus grande influence et qu’il nécessitait un plus grand jugement professionnel à tous les niveaux, ce qui n’est pas [traduction] « traditionnellement considéré comme des caractéristiques féminines ». L’ACAF souhaite que la complexité accrue soit reconnue dans les salaires de tous les niveaux. À cette fin, l’ACAF travaille en collaboration avec l’employeur pour mettre à niveau le système de classification et trouver de nouvelles données de référence.

15 La plaignante, Mme Hall, a témoigné qu’en tant que FI-1 et FI-2, elle a participé à la prévision financière, à la gestion financière, à l’établissement du budget, à la facturation de partenaires contractuels et à la prestation de conseils à ses clients. Dans le cadre de son poste FI-3 actuel, elle exerce ces fonctions en plus de responsabilités en matière de supervision. Les différences entre les niveaux FI-1 et FI-2 étaient le profil des clients et les responsabilités budgétaires. Il n’y a eu aucun changement quant au travail lorsque l’employeur a modifié la norme de qualification afin d’inclure une accréditation de comptable reconnue.

16 Mme Hall a dirigé l’équipe mettant en œuvre le règlement sur l’équité salariale de la Gendarmerie royale du Canada en 2007. Elle a présenté des renseignements aux employés de la fonction publique sur le plan de mise en œuvre. Quatre paiements différents ont été effectués, avec les calculs requis pour chacun. Au cours de cette période, elle s’est aperçue qu’il y avait un élément de prédominance féminine au sein de la population du groupe FI. Il lui semblait que la rémunération des membres du groupe FI était inférieure à d’autres groupes professionnels qui étaient à prédominance masculine. Avec les responsabilités accrues, l’écart s’est accentué. Avec chaque augmentation des fonctions, les membres du groupe FI ont accusé du retard, en raison de l’effet de capitalisation des paiements.

17 En tant que directrice de l’ACAF, Mme Hall a été affectée au Comité sur l’équité salariale de l’agent négociateur. Elle a participé à des groupes de discussion avec des membres du groupe FI et a reçu une éducation sur l’équité salariale. Après que les membres du groupe Administration des programmes ont reçu leur règlement au titre de l’équité salariale, elle a décidé de déposer sa plainte dans l’espoir que le système de classification du groupe FI changerait. Les tentatives de changer le système par l’intermédiaire de la négociation collective n’ont pas réussi, elle a donc déposé la plainte du 8 mars 2009, dans l’espoir qu’un processus plus officiel donnerait lieu à un système de classification qui valoriserait équitablement son travail.

18 M. Durber est bien connu dans les cercles des litiges en matière d’équité salariale dans la fonction publique, ayant été un témoin expert dans les audiences de nombreuses plaintes devant la CCDP et cette Commission. Les parties ont convenu qu’il était admissible en tant que témoin expert sur l’équité salariale, y compris l’estimation des différences salariales fondées sur le sexe dans le contexte de la fonction publique fédérale (pièce 5).

19 Pendant son témoignage, M. Durber a expliqué les résultats de son étude originale et son étude en réponse aux préoccupations soulevées par les experts de l’employeur (pièce 4, onglets C (1) et C (2)). Il a également présenté la pièce 11, un rapport de données à jour dans lequel il avait corrigé certaines anomalies.

20 M. Durber a témoigné en disant que, pour réussir en vertu de l’article 11 de la LCDP dans le cadre d’une plainte en matière d’équité salariale, le travail en cause doit être effectué par des hommes et des femmes. Il a expliqué l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (DORS/86-1082); le règlement applicable à l’équité salariale en vertu de la LCDP exige qu’un groupe à prédominance féminine soit identifié pour déclencher une plainte. Ensuite, un groupe à prédominance masculine comparateur doit être identifié. Afin d’évaluer la prédominance, la composition des groupes selon le sexe est examinée jusqu’au moment correspondant à un an avant la formulation de la plainte. Dans cette affaire, M. Durber a combiné les niveaux FI-1 et FI-2 afin de constituer un groupe à prédominance féminine. Les groupes comparateurs qu’il a examinés étaient ceux énoncés dans la plainte de Mme Hall (Commerce (CO), Systèmes d’ordinateurs (CS), Génie (EN-ENG), Météorologie (MT)). Dans le cadre de ses évaluations, il a déterminé que le groupe CO aurait dû être exclu du groupe comparateur, car il était sans distinction de sexe.

21 Dans son explication de son processus, M. Durber a expliqué son choix du [traduction] « Plan d’évaluation équitable des emplois de la Nouvelle-Zélande » (pièce C (1), annexe A; le « plan de la Nouvelle-Zélande ») à titre d’outil approprié pour son évaluation des emplois en question. Il a également expliqué son processus d’évaluation, qui était un exercice sur papier qu’il a mené seul dans le cadre duquel il a passé en revue un échantillon de 110 descriptions de travail. Le plan de la Nouvelle-Zélande, même s’il a été abandonné par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande à son étape de test beta, était approprié, selon M. Durber aux fins de l’étude sur l’équité salariale dans la présente affaire. Il a modifié le plan afin de l’utiliser dans cette affaire et n’a pas utilisé un questionnaire ou interviewer des titulaires des postes examinés, comme il est établi dans le plan de la Nouvelle-Zélande [traduction] « Guide de l’utilisation de l’évaluation équitable des emplois » (pièce 15); il n’a pas non plus appliqué le facteur de la taille des unités dans ses évaluations du facteur 6 (Ressources) et du facteur 7 (Résultats organisationnels), même si cela avait accru les cotes générales attribuées jusqu’à un maximum de 1,8 fois la cote de ces facteurs, selon la taille de l’organisation. Malgré les exigences du guide des utilisateurs du plan de la Nouvelle-Zélande, que M. Durber a choisi de ne pas suivre, la qualité des renseignements sur les emplois qu’il a obtenus, selon lui, satisfaisait aux exigences de l’article 11 de la LCDP.

22 En contre-interrogatoire, M. Durber a admis qu’il n’a constaté aucun de ces changements dans le plan et qu’il n’avait pas expliqué sa justification pour les changements dans son rapport ou dans son rapport en réponse.

23 M. Durber a témoigné en disant que ses conclusions dans le rapport original, tel que cela est indiqué dans son rapport en réponse, étaient fiables une fois les erreurs administratives corrigées, et qu’elles indiquaient clairement qu’il existait un écart de rémunération fondé sur le sexe. Le poids qu’il a accordé aux différents facteurs était raisonnable. Les corrections entre le rapport original et le rapport en réponse ont réduit l’écart de rémunération fondé sur le sexe, mais il demeurait évident. Avec cette idée à l’esprit, il a réussi à évaluer le travail de la plaignante et des groupes comparateurs en examinant un échantillon de renseignements sur les emplois adéquat en utilisant un plan sans distinction de sexe. Selon ses résultats, en 25 observations, les membres des groupes FI-1 et FI-2 à prédominance féminine recevaient une rémunération inférieure à celle des membres des groupes comparateurs. Il avait suffisamment d’observations selon lesquelles les comparateurs masculins recevaient une rémunération plus élevée que les membres du groupe de la plaignante ayant la même cote d’évaluation de l’emploi qu’il a été en mesure de tirer une ligne de rémunération.

24 Le défendeur a demandé à ses propres experts d’évaluer le rapport de M. Durber, qui a indiqué ce qu’il désignait comme des erreurs administratives dans l’ensemble de données sur lequel il avait fondé ses conclusions, qui ont été corrigées et présentées dans son rapport en réponse. D’autres révisions à ces données ont été apportées après le rapport en réponse et ont été présentées comme pièce 11. En conséquence, la moyenne entre les deux rapports variait légèrement. L’étendue des cotes pour les postes du groupe FI-1 était de 375 à 500, alors que la moyenne pour les comparateurs masculins était de 400 à 500. Cette même tendance a été observée pour les postes FI-2. En conséquence, M. Durber est arrivé à la conclusion qu’en moyenne, les groupes FI et les comparateurs avaient un travail d’une valeur égale, ce qui suffisait à satisfaire à la partie 3 du critère Postes Canada.

25 Selon M. Durber, les articles 7 et 10 de la LCDP traitent de la discrimination systémique découlant des politiques et des procédures pouvant avoir une incidence sur le salaire fondée sur, entre autres choses, la structure de la rémunération. La norme du groupe FI, utilisée pour classer les emplois FI dans la fonction publique, est dépassée et ne se conforme pas aux quatre facteurs identifiés par la LCDP. La norme nie aux membres des groupes à prédominance féminine (FI-1 et FI-2) l’accès aux échelons supérieurs de la grille des salaires (FI-3 et FI-4).

26 Dans le cadre d’un très long contre-interrogatoire, M. Durber a admis que sa préoccupation principale était la valeur des postes du groupe FI. Il a admis qu’il a utilisé des emplois dont les cotes étaient en dehors de l’étendue de ses calculs. En outre, il a admis qu’il avait inclus des évaluations du groupe CO sans distinction de sexe comme comparateurs. À tout le moins, dans un cas, il était en désaccord avec la classification d’un poste par l’employeur, il l’a changé à ce qu’elle aurait dû être, à son avis.

27 Les pièces 19, 20 et 21, qui relevaient de nombreuses incohérences et erreurs dans le rapport de M. Durber, lui ont été présentées en contre-interrogatoire. À un moment, l’audience a été ajournée tôt et des copies de ces pièces ont été présentées à M. Durber pour lui permettre de les examiner et on lui a demandé de préparer ses réponses aux lacunes qu’on avait relevées dans ses données. Il devait ensuite informer la formation de la Commission de ses constatations le jour suivant.

28 Certaines des incohérences, omissions ou erreurs relevées par l’avocate du défendeur ont été imputées par M. Durber à des erreurs administratives. Cela comprenait des graphiques non remplis et des courbes de régression manquantes. D’autres étaient des erreurs comme celles présentées dans la pièce 19, qui dresse la liste de cinq groupes différents dont les descriptions de travail génériques sont identiques et auxquels on a attribué des cotes différentes. M. Durber tenait à les corriger et a offert de présenter d’autres données révisées. Dans l’ensemble, il a admis avoir commis des erreurs dans le total des points accordé à 18 des 110 évaluations. Aux pièces 20 et 21, 65 erreurs supplémentaires ont été relevées. De ce nombre, M. Durber a accepté avoir commis 20 erreurs et a déclaré que les 45 erreurs restantes étaient en fait des affirmations exactes, mais que les conclusions tirées par l’avocate du défendeur étaient trompeuses, car il était convaincu que sa compréhension du travail était solide et que ses évaluations étaient exactes. Il a affirmé à plusieurs reprises en contre-interrogatoire que les erreurs n’auraient pas dû se produire, peu importe si la réponse était d’être pleinement d’accord avec l’avocate de l’employeur ou d’être d’accord avec elle, mais il affirme que ses conclusions étaient trompeuses, car la correction des données n’aurait pas été importante.

29 Le deuxième jour du témoignage de M. Durber, avant l’ajournement précoce de l’audience, et pendant que l’examen des pièces 19 et 20 était en cours, on lui a demandé s’il avait [traduction] « récapitulé » ses données. Il s’agit du processus dans le cadre duquel les cotes sont examinées pour vérifier si l’une d’elles « détonne », ce qui exigerait une enquête plus poussée. La réponse de M. Durber à la question était qu’il ne l’avait pas fait, car il ne considérait pas que ce processus était pertinent.

30 Le jour suivant, à la lumière du nombre d’erreurs examinées, M. Durber a insisté sur le fait qu’il avait effectivement mené un exercice de « récapitulation » à l’égard des données et qu’il n’avait omis que des erreurs administratives. Il est devenu émotif, hautement sur la défensive et non réceptif dans son témoignage concernant les écarts dans les données. À un certain moment, il a admis qu’environ 40 % du total des cotes dans son rapport était erroné. Il a reconnu que de nombreuses erreurs typographiques et de référence ont été relevées, qui auraient dû être relevées avant que son rapport ou l’une de ces dernières réitérations des données aient été publiés. Cependant, il a témoigné que ces erreurs auraient une incidence minimale sur ses résultats généraux. Au total, 41 cotes d’évaluation des emplois pourraient être erronées d’après ces incohérences et sa modification apportée à l’outil utilisé dans ces évaluations. À la fin de son témoignage, M. Durber a offert une fois de plus de corriger les données et de présenter une version à jour à la Commission. L’avocate du défendeur s’est opposée vigoureusement à son offre et la Commission l’a refusée.

31 M. Durber a témoigné sur l’effet d’une contravention à l’article 11 de la LCDP à l’égard d’une plainte en vertu des articles 7 et 10. Un acte discriminatoire en vertu de ces articles découle des politiques et des procédures pouvant avoir une incidence sur le salaire. On utilise un tel système pour le classement des emplois, et ce classement est utilisé pour négocier les salaires dans le cadre d’une négociation collective. Dans cette affaire, la structure actuelle des emplois ne mesure pas le travail lié à la gestion financière et ne se conforme pas aux quatre facteurs établis dans l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. M. Durber a témoigné en disant que la norme actuelle du groupe FI omet de nombreuses caractéristiques du travail des femmes, même s’il n’a présenté aucune précision quant à ces lacunes. À son avis, la plainte est fondée, car, selon son évaluation des comparateurs masculins, la norme nie aux femmes membres du groupe FI l’accès aux échelons de salaire supérieurs. Le refus de l’accès à la parité salariale a une cause systémique, qui repose sur la norme FI en soi et apparaît de façon manifeste dans les résultats de son étude.

32 M. Sunter a témoigné en tant qu’expert en statistique, y compris en ce qui a trait à l’estimation des différences fondées sur le sexe dans le contexte de la fonction publique fédérale. Il a effectué l’analyse statistique des données de M. Durber qui ont servi à calculer l’écart de rémunération. Son analyse avait pour but de confirmer la conclusion de M. Durber de façon plus précise. D’après ces données, il a effectué son analyse de la régression et est arrivé à la conclusion qu’il existait un écart de rémunération d’environ 4 557 $ au niveau FI-1 et de 2 878 $ au niveau FI-2. M. Durber a fourni à M. Sunter toutes les données qu’il a utilisées; M. Sunter a supposé que celles-ci étaient exactes. Il a déclaré que, dans le cadre de son analyse, il a relevé certaines erreurs dans les données de M. Durber, qui ont légèrement réduit les écarts de rémunération relevés dans les conclusions de M. Durber. Les données de M. Durber étaient le seul fondement de son analyse statistique, même s’il a relevé des erreurs dans leur contenu. En contre-interrogatoire, M. Sunter a admis que toutes les données ne lui avaient pas été communiquées, car certaines évaluations étaient manquantes et qu’au moins une évaluation d’emploi avait été incluse deux fois. Il ignorait également que M. Durber n’avait pas appliqué la formule d’augmentation pour les facteurs 6 et 7 du plan de la Nouvelle-Zélande, tel qu’il était requis dans son manuel.

33 En contre-interrogatoire, on lui a demandé d’examiner les pièces 19, 20 et 21 et de commenter l’incidence que ces erreurs pourraient avoir sur ses conclusions. On a soulevé auprès de M. Durber que, si les erreurs étaient corrigées, la question de la fiabilité des conclusions se posait, mais que, si les erreurs demeuraient, c’est la question de la partialité qui était soulevée. M. Sunter n’a pas été en mesure de témoigner de l’incidence que ces erreurs pourraient avoir sur son rapport, car il en ignorait l’importance. Si les erreurs étaient de l’ordre de 7 % à 10 %, M. Sunter ne serait pas préoccupé. Les erreurs plus importantes donnaient lieu de se préoccuper. Les données devraient être corrigées et faire l’objet d’une nouvelle analyse.

34 À la clôture de la preuve, l’avocate du défendeur a présenté une requête en non-lieu, tout en indiquant clairement que, si cette requête était rejetée, elle avait l’intention de présenter une preuve. Le fondement de cette requête était que la plaignante n’avait pas présenté une preuve prima facie suffisante pour satisfaire à la partie 3 du critère Postes Canada et pour établir que la valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels avait été évaluée d’une façon fiable. On a ensuite entendu les arguments sur la requête.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

35 Le critère pour un non-lieu est la question de savoir si la plaignante s’est acquittée du fardeau d’établir une preuve prima facie. Dans cette affaire, la plaignante n’a pas établi que, selon une base prima facie, les valeurs des emplois de la plaignante et des groupes comparateurs ont été déterminées d’une façon fiable. Plus particulièrement, le rapport de M. Durber ne satisfait pas à l’exigence de la partie 3 du critère Postes Canada. Le défendeur a clairement établi que les données de M. Durber ne sont pas fiables et que cela vaut également pour toutes les conclusions tirées à partir de celles-ci.

36 La CRTFP s’est penchée sur son pouvoir d’examiner une requête en non-lieu dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al., 2013 CRTFP 22, confirmé pour d’autres motifs dans 2014 CAF 11. La formation dans cette affaire est arrivée à la conclusion suivante au paragraphe 91 :

91 […] Le pouvoir d’entendre une demande de non-lieu est discrétionnaire et est rattaché aux pouvoirs qu’une formation de la CRTFP possède pour établir ses pratiques et ses procédures. Il ne s’agit pas d’une procédure qui est souvent ou facilement acceptée, mais elle peut permettre à une partie de soutenir que l’affaire n’est pas défendable. […]

37 Cela pourrait s’avérer une affaire appropriée pour que la Commission exerce ce pouvoir discrétionnaire, compte tenu du coût pour l’ensemble des parties à la lumière de l’échec évident de la plaignante de prouver au moyen d’une preuve prima facie que les emplois avaient été évalués d’une façon fiable.

38 La Cour fédérale, dans Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785 au paragr. 24, a considéré que ce qui suit constituait une preuve prima facie, citant Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears [1985] 2 R.C.S. 536, dans le contexte d’une plainte en matière de droits de la personne :

[…]

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

[…]

39 Au moment de déterminer si une preuve prima facie a été établie, la preuve à examiner n’est pas seulement celle obtenue pendant l’interrogatoire principal. Il faut également tenir compte du contre-interrogatoire. La preuve de M. Durber dans son ensemble n’était pas fiable et ne fournissait aucun sens crédible quant à la valeur du travail examiné. Il était l’expert en évaluation des emplois auquel on s’était fié pour établir les valeurs des emplois que M. Sunter a utilisées dans le cadre de son analyse statistique. En examinant l’ensemble de la preuve de M. Durber ainsi que les incohérences et les corrections continues aux cotes des emplois, il n’y a aucune façon de déterminer si ses cotes seront fiables.

40 Avant d’être contre-interrogé, M. Durber a présenté trois itérations de ses cotes. Il a eu trois possibilités de les corriger. Entre son rapport initial et son rapport en réponse, il a corrigé 18 cotes totales. Dans la pièce 11, il a apporté neuf corrections supplémentaires. Après la pièce 11, 66 autres incohérences dans ses cotes ont été relevées, qui peuvent toutes avoir été des erreurs réelles ayant eu une incidence sur les cotes totales. Il a admis que 41 de ces erreurs étaient imputables aux cotes et qu’elles avaient une incidence sur les totaux des emplois.

41 Parmi les erreurs relevées à la pièce 21, 31 des 41 erreurs étaient liées aux emplois du comparateur masculin. Vingt-cinq de ces erreurs laissent supposer que les comparateurs masculins étaient sous-estimés, ce qui faisait en sorte que ces emplois étaient surpayés comparativement au travail des femmes ayant la même valeur. Des 10 emplois féminins inclus dans les 41 emplois identifiés, 6 erreurs auraient pu donner lieu à la surévaluation des emplois féminins, faisant en sorte qu’ils soient sous-payés comparativement à leurs comparateurs.

42 Lorsqu’il a été confronté à la pièce 19, décrivant les cinq groupes de description de travail génériques évalués différemment, M. Durber a tenté d’apporter des corrections à ses données alors qu’il témoignait. À la fin de son témoignage, il a offert de présenter une nouvelle itération de ses données. Une personne raisonnable ne peut pas tirer la conclusion, compte tenu des incohérences et des erreurs dans les données de M. Durber et des itérations des données qu’il a présentées, que les valeurs des emplois ont été évaluées d’une façon fiable. En conséquence, la plaignante n’a pas satisfait à la troisième partie du critère Postes Canada. Étant donné qu’il s’agit d’une lacune fatale à l’établissement d’un acte discriminatoire fondé sur le sexe en ce qui a trait à la rémunération, la plainte devrait être rejetée.

B. Pour la plaignante

43 La plaignante a accepté le fait que cette Commission a le pouvoir de déterminer si la plaignante a satisfait à son fardeau de la preuve prima facie. Il s’agit d’un fardeau civil régulier et non pas du fardeau de la preuve criminel au-delà de tout doute raisonnable. La troisième partie du critère de Postes Canada exige que la valeur du travail soit évaluée de façon fiable pour tirer une conclusion selon laquelle le groupe plaignant et le groupe comparateur exécutent un travail d’une valeur égale. La perfection n’est pas requise. Si la Commission est convaincue que 50 % plus 1 des évaluations ont été menées d’une façon fiable, le fardeau de la preuve a été satisfait.

44 Étant donné que 110 emplois ont été évalués à l’égard de 12 facteurs chacun, il est hautement probable que des erreurs aient été commises. La question consiste à déterminer si ces erreurs ont orienté les salaires dans une direction ou dans l’autre. M. Sunter a témoigné qu’il prévoyait une variation des cotes de l’ordre de 7 % à 10 % pour n’importe quelle classification. D’un point de vue statistique, ces écarts sont acceptables. Lorsqu’il a été questionné à propos de la pièce 21, M. Sunter a déclaré que certaines des erreurs ne le préoccupaient pas d’un point de vue statistique, alors que l’importance d’autres erreurs le préoccupait et exigeait un examen approfondi.

45 Au moment de déterminer s’il y a une preuve suffisante pour satisfaire à la partie 3 du critère Postes Canada, il faut tenir compte de la combinaison des preuves de MM. Durber et Sunter. La plaignante s’est fiée à l’écart de rémunération établi par M. Sunter. Une partie de la considération quant à savoir si la preuve était suffisante doit être tirée du témoignage de M. Durber.

IV. Motifs

46 Les parties ont convenu que, si je tire la conclusion que l’évaluation par M. Durber des emplois de la plaignante et des comparateurs ne satisfait pas au critère de fiabilité tel qu’il est établi à la partie 3 du critère Postes Canada, cela est fatal à la réussite de la présente plainte. Les calculs et les conclusions de M. Sunter dépendaient de la fiabilité des données qui lui avaient été communiquées aux fins d’analyse.

47 Selon la preuve présentée, j’entretiens de sérieux doutes quant à la fiabilité de l’analyse de M. Durber. Sa décision de ne pas suivre le manuel du plan de la Nouvelle-Zélande, qui décrit l’utilisation appropriée de l’outil d’évaluation et recommande clairement que l’évaluation soit menée par un groupe, que des questionnaires soient conçus et utilisés et que des entrevues soient menées lorsque cela est nécessaire, et son choix d’ignorer les taux d’augmentation pour les facteurs 6 et 7, le cas échéant, constituent une préoccupation particulière. Une autre préoccupation est qu’il a apporté ces changements au plan et qu’il ne les a pas indiqués dans aucun de ses rapports.

48 En outre, entre la date de son rapport initial et la date de son témoignage, M. Durber a publié trois itérations de ces données, toutes étant différentes de celles qu’il a fournies à M. Sunter. De plus, il a concédé que les pièces 19, 20 et 21 signalaient d’autres erreurs ou omissions dans ses données, qui n’auraient pas dû se produire et pour lesquelles il avait peu d’explications, voire aucunes.

49 L’avocat de la plaignante a suggéré que j’évalue la preuve de M. Durber afin de conclure si l’étude sur l’évaluation des emplois qu’il avait menée était fiable. J’ai trouvé que M. Durber avait parlé avec beaucoup d’autorité pendant l’interrogatoire principal, mais que, lorsqu’il a été confronté au volume important des incohérences dans ses données, il est devenu émotif, agressif, peu collaboratif et peu réceptif. Il a effectivement admis un nombre important d’erreurs, qu’il a rejetées comme étant des erreurs administratives ou des choses qu’il avait tout simplement omises. Il a également admis d’autres erreurs, qui ont eu une incidence directe sur les cotes totales de certains emplois. Il n’avait aucune explication réelle quant à la raison pour laquelle il avait attribué une cote différente à des descriptions de travail génériques identiques, hormis le fait de dire, lorsqu’on a insisté sur ce point, qu’une erreur avait été commise. Il n’a pas non plus présenté une raison quelconque pour avoir procédé à une nouvelle classification unilatérale à tout le moins d’un poste, selon sa détermination que sa classification était inadéquate. Même s’il n’avait pas vu la nécessité d’effectuer une récapitulation de ses données, il a ultérieurement insisté sur le fait qu’il avait procédé à un tel exercice.

50 Malgré les explications limitées de M. Durber, je ne peux pas ignorer la multitude d’erreurs et d’incohérences dans ses données. L’importance de ce nombre, combinée à son choix de n’utiliser que des parties d’un outil qu’il avait choisi pour évaluer le travail en question, me préoccupe. J’ai tenu compte du témoignage de M. Sunter sur l’incidence que ces erreurs auraient pu avoir sur son analyse de régression et de ses affirmations selon lesquelles certaines d’entre elles avaient une incidence importante et qu’elles exigeraient un examen de son analyse.

51 Si j’accepte sans hésitation le témoignage de M. Durber, y compris l’exactitude de ses données, je pourrais être en mesure de conclure que la plaignante a établi une preuve prima facie de sexisme. Cependant, étant donné le nombre considérable d’erreurs et d’anomalies relevées dans ses données, il semble que son approche relative à la collecte, à l’évaluation, à l’enregistrement et à la validation de ses données était moins que fiable. Ses réponses à toute contestation de ses données s’appliquent également de façon directe à la fiabilité de ses données, mais ne constituent pas le seul fondement de ma conclusion selon laquelle la plaignante n’a pas établi que les exigences de la partie 3 du critère Postes Canada ont été satisfaites.

52 Même si le comportement d’un témoin pendant son témoignage est un élément à prendre en considération au moment de déterminer sa crédibilité, cela ne saurait être le seul fondement permettant d’évaluer sa crédibilité. Comme il est indiqué au paragraphe 233 de Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70 (en référence à Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354) :

233. Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la personne qui entend la preuve ne doit pas se fier uniquement à l’impression laissée par le témoin, mais doit fonder son jugement sur un examen de la manière dont le témoignage donné s’inscrit dans l’ensemble de la preuve, compte tenu des autres témoignages, des faits établis, d’une probabilité raisonnable des événements et de son expérience des affaires humaines […]

53 Mes conclusions ne sont pas fondées uniquement sur l’impression laissée par M. Durber. C’est une combinaison de l’ensemble de son témoignage sur deux journées et demie d’audience, les pièces, la modification de son témoignage ainsi que sa réaction émotive à l’égard d’un examen approfondi de ses données qui me porte à tirer la conclusion que le résultat de son étude n’est pas fiable et qu’il existe des motifs pour remettre en question la crédibilité de ses données. Mes constatations sont également fondées sur l’explication présentée par M. Sunter en ce qui a trait à l’incidence de données inexactes sur ses calculs et à la possibilité de l’introduction d’un préjugé dans l’étude.

54 L’avocat de la plaignante a soutenu que, pour établir une preuve prima facie dans la présente affaire, il n’avait qu’à démontrer que 50 % plus un des résultats sont exacts. Il est manifeste que 31 des 41 emplois comparateurs masculins présentaient des erreurs dans les données rapportées et que 25 de ces 31 résultats laissent entendre que les emplois comparateurs masculins avaient été sous-évalués, donnant l’impression qu’ils étaient surpayés. Six des 10 évaluations d’emplois féminins présentaient des erreurs qui donnaient l’impression qu’ils étaient surévalués et sous-payés. Cinq groupes de descriptions de travail génériques identiques, représentant un total de 13 descriptions de travail, avaient obtenu des cotes totales différentes au sein de chacun des 5 groupes. Dans les résultats de l’analyse des descriptions de travail, on a relevé 66 erreurs, ce qui pourrait correspondre à 66 erreurs réelles. M. Durber a admis qu’il faudrait tout au plus 41 de ces erreurs pour modifier les cotes totales pour cette description de travail. Parmi les autres erreurs supplémentaires, on compte les 19 postes que M. Durber a désignés comme étant mal classés et son inclusion des descriptions de travail CO, alors qu’il a admis qu’elles n’auraient pas dû être incluses, car il s’agit d’un groupe sans distinction de sexe.

55 Je reconnais que M. Durber a évalué 110 postes et 1 200 facteurs dans le cadre de son étude. Le fait d’utiliser la suggestion de l’avocat de la plaignante selon laquelle, dans la mesure où 601 de ceux-ci sont exacts, la plaignante s’est acquittée du fardeau de la preuve, cela n’est pas une approche réaliste afin de déterminer la fiabilité des données de M. Durber. L’employeur a fait valoir qu’une personne raisonnable examinant le nombre considérable d’erreurs et d’incohérences dans les données de M. Durber arriverait à la conclusion que le travail du groupe à prédominance féminine et les comparateurs masculins n’ont pas été évalués d’une façon fiable. Je suis d’accord avec lui.

56 La preuve de M. Durber, à l’appui de la partie de la plainte portant sur des contraventions aux articles 7 et 10 de la LCDP, était également fondée sur ses données qui, selon lui, indiquaient que le groupe combiné des FI-1 et FI-2 à prédominance féminine était par ailleurs assujetti à une discrimination systémique en matière de rémunération. Ses données n’appuient pas cette affirmation. Les erreurs qui m’ont mené à conclure que ses données ne sont pas fiables aux fins de l’équité salariale aux termes de l’article 11 de la LCDP font en sorte que toute conclusion de préjugé systémique contre les femmes dans les groupes FI-1 et FI-2 combinés est tout aussi peu fiable. Il n’y avait aucun autre élément de preuve appuyant une conclusion selon laquelle on avait contrevenu aux articles 7 et 10 de la LCDP.

57 Comme l’a souligné l’arbitre de grief dans Bremsak au paragraphe 91, le pouvoir d’entendre une demande en non-lieu est discrétionnaire et accessoire aux pouvoirs d’une formation de la Commission. Il ne s’agit pas d’une pratique habituelle de la Commission; elle n’est pas non plus facilement acceptée. Dans la présente affaire, comme en ont convenu les avocats des deux parties, il s’agirait d’une situation appropriée pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’examiner la requête en non-lieu de l’employeur, étant donné que 10 jours d’audience supplémentaires étaient prévus, ce qui entraînerait des dépenses importantes pour les parties. Les parties ont également convenu dans leur demande conjointe qu’une décision soit prononcée à l’audience le même jour afin d’éviter d’engager d’autres dépenses accessoires à l’audience de la présente affaire.

58 Pour tous ces motifs, je conclus que l’étude d’évaluation des emplois menée par M. Durber est, selon la prépondérance des probabilités, peu fiable. Puisqu’il s’agit d’une exigence de la partie 3 du critère Postes Canada, la plaignante n’a pas établi selon une base prima facie que la valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée d’une façon fiable.

59 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

60 La plainte est rejetée.

Le 16 juin 2015.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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