Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé un grief alléguant que l'employeur avait violé l'article 43 (élimination de la discrimination) et l'Appendice « C » (réaménagement des effectifs) de la convention collective – le poste du fonctionnaire s'estimant lésé a été aboli et ce dernier a manifesté son intérêt à effectuer un échange de postes avec un autre employé – à la suite d'une entrevue, il a été avisé que sa candidature n'avait pas été retenue parce qu'il ne satisfaisait pas aux critères portant sur le commerce international et la capacité d'analyse et de recherche – l'employeur a accepté de le rencontrer une deuxième fois – pendant l'entrevue, la gestionnaire a indiqué qu'un échange de postes causerait un problème au sein de son équipe en enlevant la possibilité d'avancement pour les membres déjà en place – elle a fait le même commentaire à une autre occasion à la personne avec qui le fonctionnaire s'estimant lésé voulait faire l'échange de postes – lors de l'entrevue, elle a aussi demandé au fonctionnaire s'estimant lésé combien d'années il souhaitait travailler à la fonction publique, ce qu'il percevait comme de la discrimination basée sur l'âge - la candidature du fonctionnaire s'estimant lésé a encore été refusée sous prétexte que la deuxième rencontre n'avait pas permis de démontrer que son expérience et ses études correspondaient à celles requises pour le poste – le fonctionnaire s'estimant lésé a donc décidé de prendre un congé sans solde pour études et a déposé son grief – l'arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait été victime de discrimination – le rôle de l'employeur dans un processus d'échange de postes ne devrait pas être celui d'un observateur passif – l'employeur n'a pas le droit, en vertu de l'ARE, d'exiger qu'on trouve le candidat parfait avant d'accepter l'échange – la preuve a démontré une fermeture d'esprit de la part de l'employeur – l'employeur était plus préoccupé par la réaction des membres de son équipe à un échange de postes que de favoriser le maintien en emploi d'un candidat touché par l'ARE – l'employeur a agi de façon arbitraire et déraisonnable – le fonctionnaire s'estimant lésé avait le droit d'être traité de façon transparente et avec une ouverture d'esprit de la part de la direction. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150601
  • Dossier: 566-02-8057
  • Référence: 2015 CRTEFP 52

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEAN CHÊNEVERT

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

employeur

Répertorié
Chênevert c. Conseil du Trésor (ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Sandra Guéric, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Allison Sephton, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 19 et 20 novembre 2013
les 19 et 20 novembre 2013
le 11 décembre 2013.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s'estimant lésé, Jean Chênevert (le « fonctionnaire »), occupait un poste de conseiller régional classifié au groupe et au niveau CO-02 au sein du Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire (l'« employeur »). Le 13 août 2012, le fonctionnaire a déposé un grief alléguant que l'employeur avait violé l'article 43 (élimination de la discrimination) de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l'« Institut ») pour le groupe Vérification, commerce et achat (AV) (la « convention collective ») et l'Appendice « C » sur le réaménagement des effectifs (« ARE ») qui fait partie de cette convention collective.

2 Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 30 janvier 2013 en vertu de l'alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (LRTFP), soit pour un grief portant sur l'interprétation ou l'application d'une disposition d'une convention collective. Sur l'avis de renvoi à l'arbitrage, l'Institut a indiqué qu'il acceptait de représenter le fonctionnaire conformément au paragraphe 209(2) de la LRTFP.

3 À la même date, soit le 30 janvier 2013, l'Institut a donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), conformément à l'article 210 de la LRTFP, que le grief soulevait une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), c. H-6 (LCDP), à savoir la discrimination basée sur l'âge, parce que l'employeur aurait refusé d'accorder un échange de poste au fonctionnaire, le privant ainsi de demeurer au service de l'employeur. Par lettre datée du 11 février 2013, la CCDP a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) qu'elle n'avait pas l'intention de présenter des observations à cet égard.

4 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

II. Résumé de la preuve

5 Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits (ECF), qu'il convient de reproduire au complet et qui se lit comme suit :

Le présent exposé conjoint des faits établit les faits reconnus par l'Institut Professionnel de la Fonction Publique du Canada (IPFPC) et le Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada) (les « parties ») en lien avec le grief en instance dont le numéro de référence de la CRTFP est 566-02-8057.

Les parties s'entendent sur l'exposé des faits énoncé ci-dessous :

1. Monsieur Chênevert est entré en service à la fonction publique en mai 2000. En 2008, il occupe un poste indéterminé de conseiller régional, groupe et niveau CO-02, à Québec au Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives. À compter de 2010, il occupe par intérim le poste de gestionnaire régional.

2. Le 11 avril 2012, monsieur Chênevert reçoit une lettre de l'employeur l'informant que son poste de conseiller régional sera aboli et qu'il aura 120 jours pour choisir une option en vertu de l'appendice de sa convention collective portant sur le réaménagement des effectifs. La lettre reçue par M. Chênevert est attachée en pièce jointe et cotée « Annexe A » de cet énoncé conjoint des faits, et l'appendice « C » - « réaménagement des effectifs » de la convention collective est attaché en pièce jointe et cotée « Annexe B ».

3. Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) dispose d'une liste d'employés non touchés se portant volontaires pour un échange de postes au sein du ministère. Monsieur Joseph Cogné, agent de développement des marchés (CO-02) à la Direction générale des services à l'industrie et aux marchés (DGSIM), est inscrit sur cette liste.

4. Le 26 juin 2012, monsieur Chênevert soumet son curriculum vitae par courriel à madame Sandra Gagné, directrice du bureau régional d'AAC au Québec, à la DGSIM, et lui manifeste son intérêt à effectuer un échange de poste avec monsieur Cogné. Son curriculum vitae (voir Annexe « C ») fait état, entre autres, de sa formation académique, de ses autres formations et de ses expériences de travail.

5. Le 27 juin 2012, madame Gagné lui répond qu'une entrevue est anticipée pour le 29 juin 2012. Elle lui remet deux documents (descriptions d'emploi) pour l'aider à préparer sa lettre de présentation et l'entrevue. (voir Annexe « D »)

6. Le 28 juin, l'adjointe de madame Gagné confirme l'entrevue du 29 juin. Monsieur Chênevert envoie sa lettre de présentation à madame Gagné (voir Annexe « E »). Sa lettre de présentation traite, entre autres, de son expérience, ses connaissances et ses compétences. L'adjointe de madame Gagné lui envoie l'énoncé de critères de mérite pour l'aider à se préparer à l'entrevue. (voir Annexe « F »).

7. Le 29 juin 2012, monsieur Chênevert rencontre madame Gagné et monsieur Scott Patterson, directeur adjoint à la DGSIM. Lors de la rencontre, quatre questions structurées sont soumises à monsieur Chênevert.

8. Le 6 juillet 2012, monsieur Patterson, alors directeur intérimaire à la DGSIM, signale à monsieur Chênevert que sa candidature n'est pas retenue. Monsieur Chênevert demande une réponse écrite.

9. Le 10 juillet 2012, monsieur Patterson envoie un courriel à monsieur Chênevert résumant la discussion du 6 juillet 2012 au sujet de l'évaluation. (voir Annexe « G »)

10.Madame Gagné reçoit un appel de madame Michaela Huard, directrice exécutive intérimaire au Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives, et accepte de rencontrer monsieur Chênevert de nouveau.

11.17 juillet 2012, monsieur Chênevert écrit à madame Gagné et indique qu'il est disponible le jeudi ou vendredi pour une deuxième rencontre.

12.La deuxième rencontre a lieu le 19 juillet 2012, à Montréal, avec madame Gagné et monsieur Patterson. Monsieur Chênevert leur remet un document expliquant davantage ses compétences et expériences. (voir Annexe « H »)

13.Madame Gagné écrit ensuite à monsieur Chênevert pour l'aviser que l'examen des informations supplémentaires soumises lors de la deuxième rencontre n'ont pas permis de démontrer que son expérience et ses études correspondent à celles requises pour le poste. (voir Annexe « I »)

14.Le 7 août 2012, madame Louise Boudreau, directrice au Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives reçoit le choix d'option de monsieur Chênevert, soit l'option C (ii). Le congé sans solde pour études d'une durée de deux ans de monsieur Chênevert débute le 12 septembre 2012 et se terminera le 11 septembre 2014. Monsieur Chênevert a reçu les versements de mesure de soutien à la transition, de même que les remboursements de frais de scolarité et de livres et d'équipement requis auxquels il a droit en vertu de l'option C (ii).

15.Le 13 août 2012, monsieur Chênevert dépose le présent grief, à l'intérieur des délais prescrits par sa convention collective. (voir Annexe « J »)

16.Le 23 août 2012, après entente avec les représentants des premier et deuxième paliers de grief, le grief est transmis directement au palier final. Le grief est entendu le 27 novembre 2012 et le 4 janvier 2013, madame Johanne Bélisle, sous-ministre adjointe de la Direction générale des ressources humaines, le rejette. (voir Annexe « K »)

17.Le 30 janvier 2013, monsieur Chênevert renvoi son grief à l'arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. (voir Annexe « L »)

Les parties se réservent le droit de présenter d'autres preuves documentaires et orales à l'appui de leurs positions respectives.

[Sic pour l'ensemble de la citation]

6 Quatre témoins ont été entendus pendant l'audience : le fonctionnaire et Joseph Cogné pour celui-ci et Sandra Gagné et Scott Patterson pour l'employeur.

A. Pour le fonctionnaire

1. Témoignage du fonctionnaire

7 Le fonctionnaire a débuté son témoignage en référant à son curriculum vitæ afin de faire état de sa formation scolaire et de ses expériences de travail. À la suite de l'obtention d'un diplôme d'études collégiales en psychologie, le fonctionnaire a entrepris des études universitaires non sanctionnées par un diplôme. Au cours de sa carrière, le fonctionnaire a participé à plusieurs congrès, colloques et séances de formation, dans des domaines tels le leadership des intervenants en développement régional, la gestion d'entreprises et le développement régional. Tel qu'indiqué dans son curriculum vitæ, le fonctionnaire avait acquis une importante expérience en développement rural. Entre autres, il avait démarré sa propre entreprise d'horticulture qu'il a gérée pendant six ans. Selon le fonctionnaire, son expérience lui a valu un statut de professionnel aux yeux de la fonction publique. Depuis son entrée à la fonction publique en 2000, tous ses postes touchaient au développement rural.

8 En vue de l'entrevue avec Mme Gagné et M. Patterson le 29 juin 2012, le fonctionnaire a fait parvenir sa lettre de présentation à Mme Gagné. Comme ce n'est qu'après cet envoi que l'adjointe de Mme Gagné a fait parvenir au fonctionnaire l'énoncé des critères de mérite le 28 juin 2012, il n'a pas eu la possibilité d'en tenir compte afin de préparer sa lettre de présentation.

9 L'énoncé des critères de mérite était pour un poste d'agent de développement des marchés classifié CO-02, à la Direction générale des services à l'industrie et aux marchés (DGSIM) de l'employeur.

10 L'entrevue du 29 juin 2012 a duré une heure. Selon le fonctionnaire, on n'a pas abordé les critères sur lesquels il serait évalué lors de l'entrevue ni élaboré sur la question qu'il satisfaisait déjà à certains critères à titre de CO-02. Il a dit que Mme Gagné ne lui a pas posé de questions sur son curriculum vitæ et n'a pas fait référence à sa lettre de présentation.

11 Lors de la conversation téléphonique entre M. Patterson et le fonctionnaire le 6 juillet 2012, M. Patterson a dit au fonctionnaire qu'il ne satisfaisait pas aux critères du poste, plus particulièrement à l'élément de commerce international et à la capacité d'analyse et de recherche. Le fonctionnaire a demandé une réponse écrite afin de voir l'analyse qui avait été faite pour prendre la décision, puisqu'il avait observé Mme Gagné prendre beaucoup de notes sur une grille de plusieurs pages pendant l'entrevue. Bien qu'il en ait fait la demande dans un courriel le 9 juillet 2012, le fonctionnaire n'a jamais reçu les documents manuscrits.

12 La réponse de M. Patterson, dans un courriel daté du 10 juillet 2012 (annexe G de l'ECF), indiquait que dans l'évaluation du profil du fonctionnaire, on a tenu compte de son curriculum vitæ, de sa lettre de présentation et de son entrevue. Sous le titre « évaluation », on notait ce qui suit :

Parmi les expériences du candidat et aussi par l'entremise de son entrevue, il n'a pas été possible de démontrer que celui-ci possède l'expérience de repérage, de recherche et d'analyse des tendances et potentiels de marchés ou secteurs, ni en commerce internationale ou politiques commerciales. En tenant compte aussi des études du candidat en ressources humaines et andragogie, notre évaluation finale nous amène à la conclusion que le candidat ne possède pas une combinaison acceptable d'études et d'expérience non plus.

13 Croyant que le processus l'avait lésé, le fonctionnaire a fait appel à Michaela Huard, directrice exécutive du Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives. À la suite de son intervention, Mme Gagné a accepté de faire une deuxième rencontre avec le fonctionnaire, qui a eu lieu le 19 juillet 2012, à laquelle a assisté M. Patterson.

14 Le fonctionnaire a dit que d'emblée, Mme Gagné s'était montrée ouverte et elle avait dit qu'elle était transparente et avait un grand sens de l'éthique. Elle a dit qu'elle percevait l'échange de postes comme un processus pour accommoder ceux qui avaient été touchés par le réaménagement des effectifs. De plus, elle a dit que comme il ne s'agissait pas d'un processus de dotation, il n'y avait aucune règle concernant l'échange de postes. Elle a dit qu'elle avait interviewé plusieurs personnes qu'elle n'aurait pas rencontrées dans un processus normal parce qu'ils ne satisfaisaient pas aux critères.

15 Mme Gagné lui a fait comprendre son contexte. Elle a mentionné que si elle acceptait un échange de postes, cela causerait un problème au sein de son équipe, parce que cela enlèverait la possibilité d'avancement au poste CO-02 pour les membres de son équipe. Elle a dit qu'elle avait fait un concours ouvert à l'externe l'année précédente et qu'elle avait eu le plaisir de combler des postes avec des profils parfaits (perfect fit).

16 Le fonctionnaire lui a alors demandé si, considérant son contexte, elle maintenait sa décision et elle aurait répondu par l'affirmatif. Le fonctionnaire a voulu savoir s'il satisfaisait aux exigences du poste autres que l'analyse sectorielle et l'analyse de commerce international. Mme Gagné lui a répondu qu'ils n'avaient pas fait l'évaluation des autres compétences. Le fonctionnaire a quand même décidé de présenter ses qualifications, qu'il avait détaillées dans un document de cinq pages (annexe H de l'ECF).

17 Le fonctionnaire a d'abord présenté ses expériences en analyse. À chacune d'elles, Mme Gagné lui disait immédiatement que ce n'était pas pertinent. Le fonctionnaire a alors décidé de fermer son document, l'a remis à Mme Gagné et lui a dit qu'ils prennent une décision.

18 Le fonctionnaire a dit que la conversation avait bifurqué sur le plan personnel. Mme Gagné voyait son désappointement et lui avait demandé ce qu'il ferait. Il a répondu qu'il avait été admis à un programme universitaire de deuxième cycle, puisque l'université considérait qu'il avait l'équivalent d'un baccalauréat. Il a dit que cela n'était pas facile à son âge. Mme Gagné lui a alors demandé combien d'années il souhaitait travailler à la fonction publique. Il a dit qu'il n'avait que 12 années de contribution à son fonds de pension et voulait travailler aussi longtemps que sa santé le permettait. Le fonctionnaire était surpris et troublé par cette question et a répondu en boutade qu'il devait travailler jusqu'à 80 ans. Il a dit cela puisqu'il avait débuté à la fonction publique à l'âge de 45 ans. Il a témoigné qu'en fait son intention était de travailler jusqu'à ce qu'il atteigne 65 ans. À la suite de l'entrevue, le fonctionnaire est retourné chez lui et a rédigé un compte rendu de la rencontre le même jour.

19 Le lendemain de la rencontre, Mme Gagné a avisé le fonctionnaire par courriel que l'examen des informations supplémentaires soumises lors de la deuxième rencontre n'avait pas permis de démontrer que son expérience et ses études correspondaient à celles requises pour le poste.

20 Le fonctionnaire a témoigné qu'il recevait quotidiennement des courriels d'annonces et de notifications de dotation de la fonction publique. Quand un poste l'intéressait, il demandait à son contact aux ressources humaines de lui acheminer l'annonce du poste, puisque le fonctionnaire n'avait plus accès à l'intranet de l'employeur.

21 Dans un de ces courriels daté du 30 août 2013, une annonce était pour un poste d'agent de développement des marchés classifié CO-02 à la DGSIM de l'employeur. À la demande du fonctionnaire, son contact lui a fait parvenir le jour même l'information concernant ce poste.

22 Puisqu'il s'agissait du même poste pour lequel sa candidature avait été rejetée, le fonctionnaire a fait la comparaison entre les énoncés des critères de mérite et a constaté des distinctions. Dans l'énoncé des critères de mérite de l'annonce du 30 août 2013, les exigences de formation en commerce international ainsi qu'en environnement ou ruralité avaient été éliminées. Quant à l'expérience, les exigences d'expérience en commerce international et politiques commerciales avaient aussi été éliminées dans cet énoncé des critères de mérite. Le fonctionnaire a indiqué que dans l'annonce du 30 août 2013, on avait ajouté l'exigence de l'expérience de la rédaction de notes d'information, de rapports ou d'autres documents à l'intention des gestionnaires.

23 Bien que l'employeur se soit opposé au dépôt de ce document, je l'ai admis sous réserve de l'évaluation de sa valeur probante.

24 En contre-interrogatoire, bien qu'en reconnaissant qu'il n'avait pas fourni d'exemples de son expérience dans son curriculum vitæ, le fonctionnaire a expliqué qu'il s'agissait d'un résumé que Mme Gagné avait demandé rapidement et qu'il n'avait donc pas réécrit. Lors de la première entrevue, il n'avait pas d'exemples pour Mme Gagné et M. Patterson, et ils n'en ont pas demandé.

25 Lors de la deuxième entrevue, le fonctionnaire a fourni un document qui comprenait des exemples de son expérience (annexe H de l'ECF). Il a donné quelques exemples lors de l'entrevue, mais constatant que la décision était déjà prise, il a déposé le document.

26 L'avocate de l'employeur a fait remarquer au fonctionnaire que dans son compte-rendu de la deuxième entrevue, il avait noté que Mme Gagné avait dit qu'elle prendrait connaissance du document en entier avant de faire son évaluation finale.

27 Concernant la partie du compte rendu du fonctionnaire où il avait noté que Mme Gagné avait dit que son embauche causerait des conflits à l'interne de son équipe, puisque certains d'entre eux souhaitaient accéder à un poste de CO-02, l'avocate de l'employeur a fait le commentaire au fonctionnaire que cela n'était pas le souvenir de Mme Gagné. Cependant, l'avocate n'est pas allée plus loin et ne lui a posé aucune question spécifique à propos de sa version de la rencontre.

28 Concernant la discussion à la fin de la deuxième entrevue, le fonctionnaire a avoué que Mme Gagné ne lui avait pas demandé son âge. Lorsque l'avocate de l'employeur a porté à l'attention du fonctionnaire que, dans son courriel du 20 juillet 2012 rejetant sa candidature, Mme Gagné n'avait pas fait mention de son âge, le fonctionnaire a répondu que Mme Gagné « était plus brillante que cela ».

29 Concernant l'énoncé des critères de mérite pour la première entrevue, le fonctionnaire a dit qu'il l'avait reçu moins de 24 heures avant l'entrevue. Comme il devait se rendre à Montréal de Québec, il n'avait pas eu le temps de réviser son curriculum vitæ ou d'écrire une nouvelle lettre de présentation. Par contre, il a eu l'occasion de le faire pour la deuxième entrevue. On ne lui a cependant posé aucune question lors de la deuxième entrevue.

30 À la question s'il avait postulé au poste annoncé le 30 août 2013, le fonctionnaire a répondu que non, vu qu'il venait de signer une lettre d'engagement pour un autre poste à l'extérieur de la fonction publique.

2. Témoignage de Joseph Cogné

31 M. Cogné occupait le poste d'agent de développement des marchés, classifié CO-02, à la DGSIM, et ce depuis 12 ans. En juin 2012, il s'était porté volontaire pour un échange de poste au sein du ministère. Son supérieur immédiat était M. Patterson, directeur intérimaire. Mme Gagné était directrice générale intérimaire. M. Cogné occupait aussi la fonction de délégué syndical.

32 Le fonctionnaire avait communiqué avec M. Cogné puisqu'il avait vu son annonce se portant volontaire pour un échange de postes. Lors de leur discussion téléphonique, le fonctionnaire lui a posé des questions sur le genre de travail, puisqu'il voulait voir s'il avait l'expérience et les compétences pour le poste. À la suite de la discussion, M. Cogné s'est dirigé au bureau de Mme Gagné pour l'informer que le fonctionnaire était intéressé au poste. Mme Gagné lui a dit qu'elle en était déjà au courant, puisqu'elle en avait été informée par la directrice du fonctionnaire.

33 M. Cogné a dit qu'il avait démontré à Mme Gagné beaucoup d'enthousiasme pour le fonctionnaire, puisqu'il était un bon candidat. Mme Gagné a répondu qu'il fallait attendre de recevoir son curriculum vitæ. Lorsqu'il a répété que le fonctionnaire était un bon candidat, Mme Gagné a encore dit qu'il fallait attendre de recevoir son curriculum vitæ. M. Cogné a perçu que Mme Gagné ne partageait pas son enthousiasme et puisqu'il insistait, il a vu que cela ne la convenait pas. Elle semblait connaître l'expérience du fonctionnaire avant même d'avoir reçu son curriculum vitæ.

34 Entre la première entrevue du fonctionnaire le 29 juin 2012 et la deuxième rencontre du 19 juillet 2012, M. Cogné a été convoqué au bureau de Mme Gagné où était présent M. Patterson. Ils lui ont dit d'être très prudent dans ce qu'il disait aux candidats, car en tant que volontaire, il se devait de s'assurer que les postulants avaient l'expérience pour être candidats avant de passer leur curriculum vitæ aux supérieurs. De plus, il fallait faire attention de ne pas susciter des attentes aux candidats potentiels. M. Cogné leur a répondu qu'il ne faisait pas cela.

35 Mme Gagné a dit qu'elle devait revoir le fonctionnaire pour une autre rencontre et qu'il allait recevoir la même réponse qu'il avait eue à la suite de la première entrevue. M. Cogné lui a répondu qu'il ne comprenait pas, puisque le fonctionnaire avait les compétences voulues. Il a constaté que Mme Gagné était contrariée d'après son expression faciale. M. Cogné a dit qu'il était abasourdi.

36 Mme Gagné lui a alors ordonné de ne plus parler aux candidats et de leur dire de faire parvenir leur curriculum vitæ à M. Patterson. Si les curriculum vitæ lui étaient acheminés, M. Cogné devait les envoyer à M. Patterson et ne pas avoir d'échange avec les postulants.

37 Par la suite, M. Cogné a reçu d'autres demandes de candidats, qu'il a transmises à M. Patterson. Pour les appels téléphoniques, il informait les candidats de communiquer avec M. Patterson et en avisait ce dernier.

38 M. Cogné a dit qu'il communiquait avec le Service des ressources humaines à Moncton, puisqu'ils s'occupaient des échanges de poste. À un certain moment, M. Patterson lui a dit qu'il communiquait avec Moncton, ce que M. Cogné lui a confirmé.

39 En septembre 2012, Mme Gagné a convoqué M. Cogné à une rencontre dans une salle de conférence. M. Cogné a dit que Mme Gagné avait commencé en lui disant : « Joseph, d'ici une demi-heure, il faut que tu aies tout compris. » M. Cogné lui a demandé ce qu'il devait comprendre et Mme Gagné a répondu en demandant si elle parlait à l'ami ou au délégué syndical. M. Cogné a répliqué que peu importe, ils n'étaient pas des ennemis.

40 Ils ont parlé du fonctionnaire et des autres candidats pour l'échange des postes. Mme Gagné a dit que si elle faisait un échange de postes, elle se ferait poser des questions par les CO-01 de son équipe qui voulaient une promotion. M. Cogné lui a dit que selon la Directive sur le réaménagement des effectifs dans la convention collective, ce qui compte est le maintien de l'emploi. Il a poursuivi en disant que les CO-01 avaient un emploi, mais que les CO-02, par exemple le fonctionnaire, perdaient leur emploi. Mme Gagné a réitéré qu'elle avait des CO-01 qui attendaient des promotions. Elle a alors mis fin à la rencontre en soulignant que M. Cogné était avide parce qu'il voulait partir et avoir de l'argent, ce à quoi M. Cogné a répondu qu'il avait son emploi et que l'échange de poste était une mesure de maintien à l'emploi.

41 En contre-interrogatoire, M. Cogné a dit que le premier tri des candidats était pour voir si leur formation et leur expérience satisfaisaient aux critères. Il ne participait pas aux décisions sur les candidatures. Il a dit qu'il n'avait pas envoyé d'énoncé des critères de mérite au fonctionnaire.

B. Pour l'employeur

1. Témoignage de Mme Gagné

42 À l'époque pertinente, Mme Gagné était directrice régionale de l'AAC pour le Québec, dont le bureau était logé au sein du DGSIM. En ce qui a trait à ses responsabilités en dotation, elle planifiait les besoins, demandait l'autorisation de combler un poste auprès du conseil de gestion et tenait des concours. Elle avait déjà participé à environ cinq à six processus de dotation.

43 En comparant le rôle du bureau régional au sein de la DGSIM à celui du Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives, Mme Gagné a dit que l'accent du bureau régional était le développement des marchés et l'accès aux marchés étrangers. Il fallait connaître les industries du Québec, de la production agricole à l'exportation. Le travail est fait avec les secteurs principaux, soit du lait, du porc et de l'horticulture. Le bureau régional a aussi le rôle d'agent de liaison du ministère avec l'industrie et le gouvernement provincial.

44 Quant au Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives, il traite tous les dossiers qui ressortent au milieu rural, ce qui peut comprendre l'aspect agricole. Il est logé à l'intérieur d'AAC et le comité de gestion régional regroupe tous les gestionnaires de la région incluant ceux du Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives. Mme Gagné n'a jamais été la directrice du fonctionnaire.

45 Concernant l'échange de postes, Mme Gagné a dit qu'il n'y avait pas de processus prescrit. La gestion avait été avisée de travailler avec les Ressources humaines pour évaluer les candidats. Les employés ont été informés de la possibilité de trouver des individus qui étaient prêts à quitter la fonction publique et à cette fin, le gouvernement a mis en place une banque pour ceux qui voulaient libérer leur poste. La gestion a encouragé ceux qui voulaient libérer leur poste de lui faire part de ceux qui avaient exprimé de l'intérêt pour leur poste. Dans l'équipe de Mme Gagné, deux employés ont exprimé le désir d'échanger leurs postes, l'un classifié EC-07 et l'autre CO-02.

46 Mme Gagné a dit qu'elle et M. Patterson ont reçu une formation sur le réaménagement des effectifs. Ils ont consulté une personne des Ressources humaines du bureau qui s'occupait de la dotation, qui leur a dit qu'il n'y avait pas de processus prescrit pour l'échange de postes. Ils devaient regarder la façon qui convenait le mieux pour faire l'évaluation. Le comité de gestion régional a autorisé l'échange des deux postes en question.

47 Mme Gagné a dit que puisqu'ils venaient de compléter un concours en mars 2012 pour l'embauche de deux CO-02, il était naturel pour eux de reprendre ce qu'ils avaient déjà fait pour l'évaluation. Bien que l'échange de postes n'était pas un concours, c'était une façon de doter un poste. Il fallait voir si les qualifications des candidats étaient conformes aux exigences selon les besoins actuels et futurs du bureau.

48 Mme Gagné a dit qu'elle commençait en regardant le curriculum vitæ d'un candidat. Si les études et l'expérience n'étaient pas parfaitement alignées sur l'énoncé des critères de mérite, le candidat était invité à une entrevue afin d'expliquer pourquoi il pouvait remplir le poste. Mme Gagné a dit qu'ils avaient accordé trois entrevues pour le poste de CO-02. L'échange de postes pour le poste CO-02 n'a pas été donné car aucun des candidats ne satisfaisait aux besoins.

49 Quant à l'énoncé des critères de mérite pour le poste CO-02, celui-ci évolue pour tenir compte des besoins actuels et futurs du bureau. Il s'agit du même énoncé qui avait été utilisé pour le concours de 2012.

50 Mme Gagné a dit que la gestion n'avait pas d'obligation d'accorder un échange de postes et que c'était elle-même qui décidait si l'échange avait lieu. À cet égard, elle a fait référence à un extrait du site intranet du ministère d'une foire aux questions sur l'échange de postes qui se lit comme suit :

[…]

Il est important de noter que la décision de procéder ou non à un éventuel échange de postes revient à la direction. […] Les échanges de postes nécessiteront l'approbation des responsables des directions générales et seront confirmés par le Comité de gestion horizontale.

[…]

51 Dans le même document, la question 6 et sa réponse se lisent comme suit :

Q6. En tant que remplaçant éventuel, mon emploi doit-il refléter exactement celui de l'employé optant? Quels sont certains des éléments à prendre en considération?

Non, mais l'employé optant doit démontrer qu'il ou elle possède les qualifications nécessaires pour occuper le poste du remplaçant. Le gestionnaire responsable devra évaluer l'employé afin de s'assurer qu'il/elle possède les qualifications requises et satisfait aux exigences linguistiques.

[Le passage en évidence l'est dans l'original]

52 Avant l'entrevue avec le fonctionnaire du 29 juin 2012, Mme Gagné avait sa lettre de présentation et son curriculum vitæ. Elle et M. Patterson ont décidé d'appeler le fonctionnaire en entrevue même s'ils étaient d'avis qu'il n'y avait pas une « correspondance parfaite » avec les qualifications recherchées.

53 Lors de l'entrevue, ils ont utilisé les mêmes quatre questions sur les compétences qu'ils avaient utilisées pour le concours de mars 2012, bien qu'ils comprenaient qu'il ne s'agissait pas d'un concours. Ils ont choisi cette méthode pour faciliter les échanges pendant l'entrevue. Les questions ont été données aux candidats avant l'entrevue pour leur donner l'occasion de penser à des exemples à donner.

54 Pendant son entrevue, le fonctionnaire a donné des exemples de son expérience, dont une grande expérience de coordination à faire travailler des intervenants ensemble. Selon Mme Gagné, ils n'ont pas pu déterminer que le fonctionnaire avait une expérience d'analyse de secteur qui lui permettrait de faire l'analyse de la chaîne de valeurs allant de la production à l'exportation.

55 La 4e question de l'entrevue demandait au candidat d'analyser le potentiel pour le développement de nouveaux marchés pour un secteur spécifique de l'industrie agroalimentaire québécoise, par exemple le porc, et de fournir des suggestions à cet égard ainsi qu'une approche analytique.

56 Mme Gagné a dit que la réponse du fonctionnaire à cette question a démontré qu'il avait certaines connaissances de base, mais pas dans les détails de ce que chaque étape nécessite et de la façon de procéder. Selon Mme Gagné, cela n'était pas concluant, car l'approche analytique n'était pas complète. Elle a dit que la lettre de présentation et le curriculum vitæ de fonctionnaire ne démontraient pas l'approche approfondie qu'ils voulaient dans leur bureau. Mme Gagné a dit que selon ces documents, ce n'était pas le fonctionnaire qui faisait l'analyse, mais les personnes qu'il coordonnait. En outre, son analyse était plus socio-économique, qui n'était pas le même degré d'expérience d'analyse qu'ils recherchaient.

57 Concernant l'évaluation des études du fonctionnaire, Mme Gagné a dit que le fonctionnaire n'avait pas de reconnaissance directe pour les études et à la suite de l'entrevue, elle a déterminé que la combinaison de son expérience et de ses études était insuffisante.

58 À la demande de Mme Huard et avec l'approbation de son comité de gestion régional, Mme Gagné a consenti à une deuxième entrevue pour le fonctionnaire qui a eu lieu le 19 juillet 2012 et à laquelle M. Patterson a assisté.

59 Le fonctionnaire a apporté un nouveau document à cette entrevue qui donnait plus de détails sur ses compétences et expériences. Mme Gagné a dit qu'ils n'avaient pas lu le document au complet, mais qu'il n'y avait pas d'éléments nouveaux à la suite d'une lecture rapide, ce qu'ils ont dit au fonctionnaire. Elle a dit au fonctionnaire qu'ils liraient le document afin de déterminer si la conclusion à la suite de la première entrevue allait changer. Après l'entrevue, ils ont lu le document au complet et ont conclu qu'il n'y avait pas assez d'éléments nouveaux pour changer la décision.

60 À la question si elle avait discuté d'autres sujets avec le fonctionnaire, Mme Gagné a répondu que sans se souvenir des mots exacts, elle avait demandé au fonctionnaire quelles seraient ses prochaines étapes, ce à quoi il a répondu qu'il considérait un retour aux études. Elle lui a alors demandé si cela faisait longtemps qu'il travaillait dans la fonction publique, afin de voir comment ses études lui serviraient dans sa carrière.

61 Selon Mme Gagné, elle a posé cette question au fonctionnaire parce qu'elle sentait qu'il était émotif et elle voulait le mettre à l'aise afin de terminer l'entrevue d'une bonne façon. Mme Gagné a dit que cette discussion n'a eu aucun effet sur la décision de ne pas offrir l'échange de postes au fonctionnaire.

62 Mme Gagné a dit que le plan d'affaires de son bureau régional commençait à évoluer en 2012 en mettant l'accent sur l'analyse sectorielle. En mai 2013, dans le ministère, les bureaux régionaux se refocalisaient sur l'analyse stratégique sectorielle, qui était leur fonction de base essentielle. Le bureau régional est proche de l'industrie et fait partie de plusieurs groupes contacts avec les responsables sectoriels de l'industrie.

63 Mme Gagné a dit qu'ils ont revu toutes les activités du bureau régional et ont retenu tout ce qui relevait de l'analyse. Ils ne s'occupaient plus de la coordination des missions étrangères pour le développement des marchés.

64 Quant à l'énoncé des critères de mérite pour deux postes CO-02 du 30 août 2013, Mme Gagné a dit qu'il s'agissait de remplacements pour deux congés de maternité pour la période indiquée, soit d'octobre 2013 à avril 2014. Elle a dit que les changements par rapport au premier énoncé étaient dus à la transformation à partir de mai 2013.

65 Mme Gagné a ensuite abordé ses échanges avec M. Cogné. Il avait mis son nom dans la banque pour l'échange de postes et elle lui a rappelé les grandes lignes de l'échange. Elle lui a dit que lorsqu'une personne exprimait son intérêt, de transmettre ses coordonnés aux gestionnaires. Elle lui a dit de ne pas créer des attentes en lui disant qu'elle conviendrait au poste, puisque cette décision revenait aux gestionnaires.

66 Mme Gagné a dit qu'elle avait discuté avec M. Cogné que l'échange de postes devait répondre aux besoins du bureau et qu'on ne pouvait pas comparer des postes CO-01 avec des postes CO-02 dans un échange de postes. Mme Gagné a dit qu'elle n'avait pas la conviction que M. Cogné avait bien compris le processus.

67 Concernant la partie de son compte rendu de l'entrevue du 19 juillet 2012 où le fonctionnaire avait noté que Mme Gagné avait dit que son embauche causerait des conflits à l'interne de son équipe, puisque certains d'entre eux souhaitaient accéder à un poste CO-02, Mme Gagné a témoigné que cela ne reflétait pas ce qu'elle avait dit au fonctionnaire. Elle lui avait dit que l'énoncé des critères de mérite pour le poste de M. Cogné était en lien avec la dotation qu'ils avaient faite en 2012 et qu'il était important de trouver quelqu'un qui satisfaisait aux exigences. Elle lui a dit de plus que s'ils avaient utilisé un énoncé qui différait de celui du concours, on lui aurait posé des questions. C'était sur la base des documents qu'elle n'avait pas retenu la candidature du fonctionnaire.

68 En contre-interrogatoire, Mme Gagné a reconnu qu'elle n'avait jamais travaillé au Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives. À la question de ce qu'elle entendait du maintien en emploi, elle a dit qu'il y avait des directives et règles à suivre et qu'il s'agissait d'accompagner les employés avec le maximum d'appui pour les aider à faire leur travail. Selon elle, l'échange de postes était une façon de favoriser le maintien d'emploi. Elle a dit que son rôle au bureau régional de Montréal était qu'elle soit au courant des besoins à moyen et long termes.

69 Concernant l'entrevue du 29 juin 2012 et la réponse du fonctionnaire à la 4e question, Mme Gagné ne se souvenait pas si elle lui avait demandé des précisions. Elle a dit qu'elle ne voulait pas aller trop loin parce qu'elle voulait demeurer neutre et laisser le candidat apporter des précisions, puisqu'il ne s'agissait pas d'un concours.

70 Quant à l'expérience du fonctionnaire en analyse, Mme Gagné n'a pas demandé au fonctionnaire qui avait fait l'analyse, mais lui a demandé des exemples. Dans un des exemples, l'analyse avait été faite par un économiste qui faisait partie de l'étude. À la question de savoir si elle avait demandé au fonctionnaire s'il avait fait de l'analyse dans d'autres scénarios, Mme Gagné a répondu qu'il n'était pas nécessaire de le demander si les exemples consistaient en de la coordination. Chaque fois que le fonctionnaire faisait une analyse, il s'agissait d'enjeux dans le secteur rural, tandis qu'elle cherchait de l'analyse de la chaîne de valeurs.

71 Mme Gagné a dit qu'ils demandent à la fin de l'entrevue si le candidat a des questions et le fonctionnaire n'en avait pas.

72 Ils n'avaient pas préparé de questions pour la deuxième entrevue du fonctionnaire. Ils ont choisi l'énoncé des critères de mérite comme outil d'évaluation pour l'échange de postes.

73 Mme Gagné a dit que les CO-01 ne pouvaient pas postuler aux postes CO-02 dans les échanges de postes et que la décision sur l'échange revenait aux gestionnaires.

2. Témoignage de M. Patterson

74 À l'époque pertinente, M. Patterson était directeur régional adjoint au bureau régional du Québec, et ce depuis mars 2009. Il a dit que le mandat de base de son équipe était d'être l'interface principale entre l'industrie et le gouvernement provincial. Ce mandat a évolué avec le temps et était orienté sur le développement des programmes. La raison d'être du bureau devenait celle de l'analyse sectorielle.

75 Les CO-01 et CO-02 du bureau, y compris M. Cogné, se rapportaient à M. Patterson. Il n'y avait aucune relation de travail entre leur organisation et le fonctionnaire.

76 Le rôle des CO-02 comprenait la responsabilité pour un secteur de l'industrie, par exemple le porc, le lait et l'horticulture. La gestion voulait qu'ils deviennent des experts dans ces domaines.

77 M. Patterson avait préparé l'énoncé des critères de mérite qui avait été utilisé pour la dotation en 2012 ainsi que pour l'échange de postes. Il a dit que l'aspect de l'expérience dans l'énoncé demandait de prendre un secteur de l'industrie et de le voir en termes d'une chaîne de valeurs. Il demandait de plus la capacité d'identifier les partenaires de l'industrie et de repérer l'information pertinente du secteur en question. Il fallait aussi créer un profil du secteur afin de comprendre son fonctionnement ainsi que ses opportunités et défis du point de vue du marché.

78 En faisant référence à l'évaluation du fonctionnaire qui lui a été communiquée par M. Patterson dans un courriel du 10 juillet 2012, M. Patterson a dit qu'elle était basée sur le curriculum vitæ du fonctionnaire, sa lettre de présentation et l'entrevue du 29 juin 2012. Selon lui, tous les critères de mérite étaient essentiels pour l'échange de postes.

79 M. Patterson a dit que l'expérience du fonctionnaire était principalement dans une capacité de coordination et de promotion dans le secteur rural ainsi que dans ses postes antérieurs. De plus, il n'était pas clair que les analyses avaient été faites par le fonctionnaire. M. Patterson a dit que les affaires rurales étaient un domaine différent par rapport à une industrie économique, comme le ministère d'AAC.

80 À la question de savoir si lors de la première entrevue il se souvenait de la réponse du fonctionnaire à la 4e question, M. Patterson a dit qu'il s'agissait du secteur porcin et que le fonctionnaire avait articulé un processus par lequel il aurait entrepris une analyse pour identifier les partenaires ainsi que les informations principales. Sa réponse était basée sur sa propre expérience.

81 M. Patterson s'est fait demander, d'après la réponse du fonctionnaire, comment il évaluait la capacité d'analyse. Il a dit qu'il avait couvert quelques-uns des éléments requis et qu'une partie importante de la réponse était à haut niveau. La 4e question était pour évaluer le critère des connaissances.

82 À la question de savoir quelle était son évaluation des connaissances du fonctionnaire, M. Patterson a d'abord dit qu'ils n'attribuaient pas de notes pour chaque critère lors de l'entrevue. Il a dit qu'il caractérisait les connaissances du fonctionnaire comme adéquates. D'après la réponse du fonctionnaire, il n'était pas évident que celui-ci avait de l'expérience en analyse.

83 M. Patterson a dit que la deuxième entrevue avec le fonctionnaire était une autre occasion de démontrer qu'il avait satisfait aux critères essentiels. Cette fois-ci, la deuxième lettre de présentation a clairement ciblé les critères essentiels de l'expérience. Selon M. Patterson, l'entrevue consistait principalement en une discussion des critères et du contenu de la deuxième lettre de présentation.

84 Après l'entrevue, M. Patterson et Mme Gagné ont revu le contenu de la deuxième lettre de présentation et l'ont intégré à toute l'information qu'ils avaient déjà. Ils ont évalué si cette nouvelle information indiquait si les critères d'expérience avaient été satisfaits et ont conclu que le fonctionnaire n'avait pas réussi à le faire.

85 En se référant à la lettre de présentation et les exemples fournis par le fonctionnaire, M. Patterson a dit qu'il n'était pas clair que c'était le fonctionnaire qui était impliqué dans la recherche et l'analyse. Il s'agissait d'un rôle de coordination. Plusieurs autres exemples n'étaient pas liés à un secteur ou à l'industrie, mais plutôt à des questions rurales. M. Patterson a indiqué qu'à un endroit, le fonctionnaire a dit qu'il avait guidé des promoteurs. Selon M. Patterson, le rôle du fonctionnaire n'était ni clair ni direct. En ce qui a trait au fait que le fonctionnaire avait démarré une entreprise d'horticulture, M. Patterson a dit que cela faisait 20 ou 25 ans, que la description était vague et que le fonctionnaire n'avait pas précisé quelle analyse il avait faite à l'époque.

86 Le fonctionnaire a fourni un exemple de coordination d'une équipe de deux personnes afin de réaliser une étude de marché sur la production maraîchère en Gaspésie. Selon M. Patterson, cet exemple ne démontre pas que c'était une expérience que le fonctionnaire avait lui-même acquise.

87 M. Patterson a dit que le fonctionnaire n'avait fourni qu'un seul exemple qui démontrait une expérience dans l'industrie et les marchés. Il s'agissait de recherches et analyses afin de dégager des tendances du marché de l'emploi dans les secteurs d'activité où le travail saisonnier était prédominant. Lorsqu'ils ont mis cet exemple dans le contexte de toute l'information reçue, cet exemple n'était pas suffisant pour satisfaire aux critères. M. Patterson a dit que le poste CO-02 n'était pas un niveau d'entrée.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le fonctionnaire

88 Le fonctionnaire a fait valoir que le cadre juridique dans cette affaire est défini par l'ARE ainsi que par la décision dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor du Canada, 2013 CRTFP 37 (« Alliance et Institut ») (demande de contrôle judiciaire rejetée : 2014 CF 688). Dans cette décision, l'arbitre de grief a déterminé, entre autres, que puisque l'ARE faisait partie intégrante de la convention collective, les règles d'interprétation applicables étaient celles d'interprétation de conventions collectives. L'arbitre de grief a expliqué l'échange de postes comme suit au paragraphe 2 de la décision :

[…] L'appendice sur le réaménagement des effectifs et l'entente sur le réaménagement des effectifs (appelés collectivement l'« ARE/ERE » en l'espèce) établissent certaines procédures que l'employeur doit suivre dans toutes les situations de réaménagement des effectifs, et ce, dans le but d'optimiser les possibilités d'emploi pour les employés touchés et de réduire les répercussions d'un réaménagement des effectifs sur chaque employé. Une des possibilités prévues par l'ARE/ERE est l'échange de postes, processus par lequel un employé qui a été désigné aux fins d'une éventuelle mise en disponibilité (l'« employé optant ») accepte d'échanger son poste avec un employé ayant des compétences similaires qui n'a pas été sélectionné pour une mise en disponibilité (le « remplaçant »). Cet échange de postes permet aux deux employés de se substituer l'un à l'autre relativement à la continuité de l'emploi et aux mesures destinées à atténuer les conséquences de la mise en disponibilité. Les avantages qu'offre l'échange de postes aux deux employés sont évidents : l'employé optant poursuit sa carrière de la même façon que s'il avait été affecté à un autre poste, et le remplaçant reçoit un incitatif financier pour avoir libéré le poste. En principe, un échange de postes n'engendre pas de coûts additionnels pour l'employeur, et ne nuit pas à son objectif de réduction de la taille de l'effectif.

89 Le fonctionnaire a souligné que les objectifs de l'ARE avaient pour but d'optimiser les possibilités d'emploi dans toute la mesure du possible et que l'employeur devait jouer un rôle proactif en favorisant le maintien d'emploi. À cet égard, le fonctionnaire a cité la phrase suivante au paragraphe 33 d'Alliance et Institut :

De façon plus générale, la participation [des ministères] ne peut être symbolique ni de pure forme : il doit y avoir une volonté réelle d'aider les employés désirant échanger leurs postes et d'examiner les demandes d'échange de postes, mais il faut y procéder dans le cadre de l'ARE/ERE.

90 En référant à la clause 6.2.4 de l'ARE, le fonctionnaire a plaidé que la décision de l'employeur à savoir si l'employé optant satisfaisait aux exigences du poste devait être dans le cadre des objectifs de l'ARE et ne devait pas être déraisonnable.

91 Le fonctionnaire a fait valoir qu'un arbitre de grief avait le pouvoir d'évaluer si la décision discrétionnaire de l'employeur était raisonnable, puisqu'il s'agissait d'une décision découlant de l'application de dispositions d'une convention collective. À cet égard, le fonctionnaire a cité Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 4:2326, ainsi que Prévost c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2011 CRTFP 119, aux paragraphes 111 et 128.

92 Le fonctionnaire a fait référence au rôle et aux responsabilités de l'employeur tel qu'il est décrit à la clause 1.1.2 de l'ARE et, à cet égard, il a cité Alliance et Institut au paragraphe 37 :

L'employeur a soutenu que la clause 1.1.2, en vertu de laquelle il doit « [réaliser] une planification efficace des ressources humaines », est également pertinente à l'évaluation par l'employeur des demandes d'échanges de postes puisqu'il lui permettrait de rejeter les demandes qui iraient à l'encontre de l'objectif de planification efficace des ressources humaines. Je ne suis pas d'accord avec cet argument puisque, selon le libellé exprès de l'article 1.1.2, l'exigence de réaliser une planification efficace des ressources humaines vise à « […] réduire au minimum les répercussions d'un réaménagement des effectifs sur les employé-e-s nommés pour une période indéterminée, sur le ministère ou l'organisation et sur la fonction publique ». Je suis donc convaincu que l'employeur ne peut pas invoquer la nécessité de réaliser une planification efficace des ressources humaines comme un motif indépendant pour rejeter les demandes d'échanges de postes.

93 Le fonctionnaire a ensuite abordé les témoignages et a fait valoir que leur crédibilité devait être évaluée selon les critères établis par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354.

94 Le fonctionnaire a soutenu que le témoignage de Mme Gagné avait manqué de cohérence et ne s'accordait pas avec les circonstances probables de cette affaire. Alors qu'elle a dit qu'il n'y avait pas de processus ou de règles prescrites pour l'échange de postes, en contre-interrogatoire, elle a dit qu'il y avait des règles à suivre pour le maintien en emploi. Quant à la comparaison entre les rôles du bureau régional du DGSIM et du Secrétariat aux affaires rurales et aux coopératives, Mme Gagné a reconnu qu'elle n'avait jamais travaillé au Secrétariat et n'avait pas d'expérience dans ce domaine.

95 Le fonctionnaire a avancé que lors de la première entrevue du 29 juin 2012, Mme Gagné ne lui avait pas posé de questions sur son curriculum vitæ ni sur sa lettre de présentation. Quant à la 4e question structurée, Mme Gagné ne se souvenait pas si elle lui avait posé des questions. M. Patterson a témoigné que la 4e question était un scénario hypothétique et ils ne parlaient pas de l'expérience du fonctionnaire. Il s'agissait de connaître ce que le fonctionnaire ferait selon l'hypothèse.

96 Le fonctionnaire a soumis que selon Alliance et Institut, la participation de l'employeur ne peut être symbolique ni de pure forme. Cependant, M. Cogné a témoigné que dès qu'il avait reçu la manifestation d'intérêt du fonctionnaire, il est allé voir Mme Gagné et avait constaté qu'elle ne partageait pas son enthousiasme, et cela avant même qu'elle ait reçu sa lettre de présentation et son curriculum vitæ.

97 Le fonctionnaire a fait valoir que lors de son témoignage, Mme Gagné avait dit qu'elle avait lu le document de la foire aux questions sur l'échange de postes préparé par l'AAC, ainsi que celui de la foire aux questions sur les ententes sur le réaménagement des effectifs préparé par le Conseil du Trésor, sans dire comment elle avait appliqué ces documents à la situation. Le fonctionnaire a soumis que ces documents n'étaient pas pertinents, puisque ce qui est en cause n'est pas la volonté du ministère, mais la décision de Mme Gagné.

98 Le fonctionnaire a soumis que selon la preuve, il est difficile de percevoir où était la volonté réelle d'aider le fonctionnaire et de favoriser le maintien de l'emploi. Selon lui, la preuve démontre que Mme Gagné n'était pas ouverte à donner une deuxième chance au fonctionnaire.

99 À cet égard, le fonctionnaire a référé au témoignage de M. Cogné qui disait qu'entre les deux entrevues, Mme Gagné l'avait fait venir dans son bureau en présence de M. Patterson. Elle a dit à M. Cogné qu'elle devait revoir le fonctionnaire pour un autre entretien et qu'il recevrait la même réponse qu'il avait eue à la suite de la première entrevue.

100 Le fonctionnaire a fait valoir que lors de la deuxième entrevue du 19 juillet 2012, Mme Gagné ne lui avait pas posé de questions. Il a soumis que Mme Gagné lui avait dit que le nouveau document qu'il avait apporté à l'entrevue contenait plus de détails sur ses compétences et expériences, mais il n'y avait pas d'éléments nouveaux à la lecture rapide du document. Elle a dit au fonctionnaire qu'à première vue, elle maintenait la première évaluation, mais qu'ils liraient le document afin de déterminer si la conclusion à la suite de la première entrevue allait changer. Le fonctionnaire a soumis qu'un document ne pouvait à la fois contenir plus de détails et ne rien apporter de nouveau.

101 Le fonctionnaire a fait valoir que c'est alors que la conversation avait tourné sur le plan personnel, quand Mme Gagné lui avait demandé ce qu'il comptait faire. Il a répondu que s'il ne travaillait pas à l'AAC, il allait retourner aux études, ce qui était difficile à son âge. Mme Gagné lui a alors demandé combien de temps il souhaitait travailler à la fonction publique. Le fonctionnaire a été surpris par cette question, et a soumis qu'il était clair que son âge était un fait pertinent pour Mme Gagné. Selon le fonctionnaire, son âge n'était pas pertinent afin de déterminer s'il satisfaisait aux exigences du poste. Le fonctionnaire a plaidé que son âge n'était pas un facteur déterminant dans la décision de Mme Gagné, mais qu'il était néanmoins un des facteurs pris en considération. Le fonctionnaire a soumis que la preuve de cela devait être déterminée selon la prépondérance des probabilités et à cet égard, a cité Bergeron c. Télébec Ltée, 2005 CF 879, au paragraphe 66.

102 Le fonctionnaire a ensuite abordé le sujet que lors de la deuxième entrevue, Mme Gagné lui avait dit que son embauche causerait des conflits au sein de son équipe, puisque certains d'entre eux souhaitaient accéder à un poste de CO-02, tel qu'il l'a décrit au 4e paragraphe de son compte rendu de l'entrevue. Mme Gagné a témoigné que cela ne reflétait pas ce qu'elle avait dit. Elle aurait dit que si elle avait utilisé un énoncé des critères de mérite qui différait de celui qui avait été utilisé lors du concours en dotation pour un poste CO-02 dans son équipe en mars 2012, elle aurait eu des questions de son équipe. Le fonctionnaire a soumis que sur cet élément de preuve, sa version avait été corroborée par le témoignage de M. Cogné et la version de Mme Gagné était incompatible avec la preuve.

103 Le fonctionnaire a poursuivi en traitant de l'énoncé des critères de mérite du 30 août 2013 pour deux postes CO-02 au bureau régional. Mme Gagné a témoigné qu'en mai 2013, dans son ministère, les bureaux régionaux se refocalisaient sur l'analyse stratégique sectorielle et ne s'occupaient plus de coordonner les missions étrangères pour le développement des marchés. La modification de l'énoncé des critères de mérite en août 2013 reflétait cette nouvelle orientation.

104 Le fonctionnaire a soumis que Mme Gagné lui avait dit qu'elle cherchait un candidat avec de l'expérience en analyse sectorielle et en analyse du marché au niveau international. Ces éléments ont été éliminés de l'énoncé des critères de mérite d'août 2013. Le fonctionnaire a fait valoir qu'il était peu probable que Mme Gagné n'ait pas été au courant que ces changements étaient à l'horizon, puisqu'elle était l'agente de liaison de l'AAC au Québec et a témoigné être au courant des besoins actuels et futurs de l'organisation. À cet égard, le fonctionnaire a fait référence à la clause 1.1.2 de l'ARE concernant la planification efficace des ressources humaines, ainsi qu'à la foire aux questions concernant l'échange de postes qui indique que la direction doit prendre en considération les besoins actuels et futurs. Le fonctionnaire a soutenu que sa candidature avait été rejetée pour des raisons qui ne faisaient plus partie de l'énoncé des critères de mérite.

105 Quant à l'évaluation de l'expérience du fonctionnaire, Mme Gagné a dit qu'il avait une expérience de base, mais qu'il n'avait pas démontré clairement qu'il pouvait pousser l'analyse des forces et des faiblesses d'un secteur. Le fonctionnaire a fait valoir qu'il avait fait un survol sans donner des précisions de chaque étape. Il ne s'agit donc pas de son manque d'expérience, mais plutôt d'un manque de détails. Le fonctionnaire a soutenu que Mme Gagné aurait pu lui demander des précisions, mais qu'elle ne l'avait pas fait.

106 Concernant l'évaluation des études du fonctionnaire, Mme Gagné a dit que le fonctionnaire n'avait pas de reconnaissance directe pour les études et à la suite de l'entrevue, elle avait trouvé la combinaison de son expérience et de ses études insuffisante. Le fonctionnaire a référé à la section des qualités essentielles de l'énoncé des critères de mérite pour le poste CO-02 qui stipule un diplôme universitaire ou une combinaison acceptable d'éducation, de formation et d'expérience. Le fonctionnaire a soumis qu'il fallait comprendre du témoignage de Mme Gagné qu'il devait satisfaire aux deux critères, soit d'avoir un diplôme universitaire et une combinaison acceptable. Cependant, il s'agit d'un seul critère. Le fonctionnaire a dit que la combinaison de ses études, de sa formation et de son expérience était reconnue par la fonction publique d'être suffisante pour occuper un poste CO-02 et il avait même occupé un poste CO-03 pendant deux ans.

107 Le fonctionnaire a ensuite abordé le témoignage de M. Patterson. Ses arguments portaient principalement sur l'élément que M. Patterson n'avait pas accordé suffisamment d'importance aux diverses expériences du fonctionnaire tel qu'il était détaillé dans son curriculum vitæ ainsi que dans le document qu'il avait remis lors de la deuxième entrevue. À titre d'exemple, le fonctionnaire a référé à son expérience à Deux-Rivières, qu'il a maintenu satisfaisait spécifiquement à l'expérience recherchée. Un autre exemple était celui de l'entreprise d'horticulture qu'il avait démarrée et maintenue pendant six ans. M. Patterson a témoigné que cette expérience n'était pas valable, parce que trop lointaine. Le fonctionnaire a fait valoir que l'énoncé des critères de mérite ne précisait pas une limite de temps sur les expériences et qu'il ne fallait énumérer que les expériences récentes.

108 Le fonctionnaire a soumis que lorsque M. Patterson s'est fait demander son évaluation de la réponse du fonctionnaire à la 4e question lors de la première entrevue, il a d'abord dit qu'ils n'attribuaient pas de notes pour chaque critère lors de l'entrevue. Il a dit qu'il caractérisait les connaissances du fonctionnaire comme adéquates. Malgré cela, on a par la suite dit au fonctionnaire qu'il n'avait pas l'expérience pertinente.

109 Le fonctionnaire a soumis qu'en se référant à sa lettre de présentation et à ses exemples, M. Patterson a dit qu'il n'était pas clair que c'était le fonctionnaire qui était impliqué dans la recherche et l'analyse. Le fonctionnaire a souligné que M. Patterson ou Mme Gagné aurait pu lui demander des précisions.

110 Le fonctionnaire a plaidé que la décision de lui refuser l'échange de postes était déraisonnable, mal fondée, de mauvaise foi, non équitable et contraire à l'ARE. Il était clair selon lui que Mme Gagné ne le voulait pas et favorisait l'avancement des carrières des CO-01 de son équipe. Il a de plus soumis que, cette décision était arbitraire puisque, selon la preuve, le fonctionnaire avait objectivement démontré qu'il possédait l'expérience requise.

111 Le fonctionnaire a soumis qu'il a subi de la discrimination, puisque la question de Mme Gagné à savoir combien de temps il souhaitait travailler dans la fonction publique ne visait pas à déterminer s'il satisfaisait aux exigences du poste. L'employeur a ainsi violé l'article 43 (élimination de la discrimination) de la convention collective ainsi que la LCDP. Le fonctionnaire a demandé que le grief soit accueilli et qu'une audience supplémentaire ait lieu afin qu'il puisse faire une preuve du préjudice qu'il a subi.

B. Pour l'employeur

112 L'employeur a soumis qu'il y a deux questions en litige : est-ce qu'il y a eu violation de la convention collective?; est-ce qu'il y a eu discrimination envers le fonctionnaire?

113 L'employeur a fait valoir que les objectifs de l'ARE sont des articles généraux introductifs qui ne confèrent pas de droits substantifs aux employés et ne créent pas d'obligations pour l'employeur. Comme ces dispositions n'expliquent que les principes directeurs, il n'est pas possible de violer les objectifs. À l'appui de cet argument, l'employeur a cité les décisions suivantes : Canada (Procureur général) c. Lâm, 2008 CF 874, au paragraphe 28; Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 73, au paragraphe 54 et suivants; Mackwood c. Conseil national de recherches du Canada, 2011 CRTFP 24, aux paragraphes 11 et 12.

114 L'employeur a avancé que les objectifs de l'ARE et ses clauses 1.1.1 et 1.1.2 n'imposent pas à l'employeur l'obligation d'offrir aux employés toutes les possibilités de poursuivre leur carrière dans la fonction publique, mais seulement les possibilités raisonnables. Le fait de donner un poste à une personne non qualifiée n'est pas une possibilité raisonnable et les clauses 6.2.4 et 6.2.6 de l'ARE indiquent que ce n'est pas l'intention de l'échange de postes.

115 Quant à l'argument du fonctionnaire que les actions de la gestion en l'espèce n'étaient pas équitables, l'employeur a soumis qu'il n'y avait pas de preuve à cet effet. Mme Gagné a témoigné que le même processus avait été utilisé pour tous les candidats, soit par l'entremise d'un curriculum vitæ et de l'énoncé des critères de mérite et elle n'avait trouvé aucun candidat qui répondait aux exigences du poste.

116 L'employeur a soumis qu'il s'agissait de déterminer s'il avait agi raisonnablement dans l'exercice de ses pouvoirs en vertu de l'ARE. Selon l'employeur, le jugement de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 11 et 15, s'applique aux décisions de la gestion. En l'espèce, les clauses 6.2.4 et 6.2.6 de l'ARE prévoient le pouvoir exclusif de la direction dans le cadre de l'échange de postes.

117  L'employeur a fait valoir que la gestion avait déterminé que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences du poste en question et celui-ci, à qui incombe le fardeau de la preuve, n'avait pas établi qu'il y avait eu violation de la convention collective. Sur la question du fardeau de la preuve, l'employeur a cité Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 100, au paragraphe 21.

118 L'employeur a avancé que la convention collective n'oblige pas l'employeur d'accorder un échange de postes et les employés ne bénéficient pas de garanties à cet égard. En ce qui a trait à la décision concernant le fonctionnaire, l'employeur a été diligent, transparent et raisonnable et sa décision n'était ni arbitraire ni empreinte de mauvaise foi.

119 En abordant les faits, l'employeur a soumis que Mme Gagné et M. Patterson avaient déterminé le processus avant de commencer leurs évaluations. En voulant être transparents et diligents, ils ont utilisé l'énoncé des critères de mérite de mars 2012, qui reflétait les besoins actuels de la gestion. Quant au témoignage de Mme Gagné voulant qu'il n'y ait pas de processus prescrit pour les échanges de postes, l'employeur s'est référé à l'énoncé des critères de mérite, au curriculum vitæ et à l'entrevue.

120 Avant de rendre la décision, Mme Gagné et M. Patterson ont considéré toute l'information fournie par le fonctionnaire. L'employeur a soumis que lors de la deuxième entrevue, ce n'est qu'à la demande du fonctionnaire que Mme Gagné a informé ce dernier de sa décision. L'employeur a souligné que puisque Mme Gagné avait dit qu'elle était pour lire le document fourni par le fonctionnaire attentivement afin de voir si sa décision à la suite de la première entrevue allait être modifiée, sa décision rendue lors de la deuxième n'était pas une décision finale. Ce n'est qu'après l'entrevue qu'ils ont regardé le document et ont conclu qu'il ne faisait pas état de nouveaux faits suffisants pour changer la décision.

121 Quant à l'argument du fonctionnaire voulant qu'on aurait pu lui demander des précisions sur son expérience, l'employeur a souligné que les documents fournis par le fonctionnaire contenaient plusieurs détails qui ont été considérés par Mme Gagné et M. Patterson. En ce qui a trait à la 4e question, même si M. Patterson a dit que les connaissances du fonctionnaire étaient adéquates, il n'était pas évident qu'il avait l'expérience voulue pour le poste en question. De plus, le seul exemple acceptable à la gestion dans le document fourni par le fonctionnaire n'était pas suffisant pour un poste CO-02, lequel n'était pas un niveau d'entrée.

122 En ce qui a trait à l'énoncé des critères de mérite d'août 2013, l'employeur a soumis que cette information n'était pas disponible lorsque Mme Gagné a pris sa décision et que cette information obtenue par le fonctionnaire après le fait ne peut être prise en considération.

123 Quant à l'argument du fonctionnaire voulant que Mme Gagné favorisait les CO-01 de son équipe, l'employeur a fait valoir que selon Mme Gagné, la discussion n'était pas sur un conflit avec les CO-01, mais la différence entre les CO-01 et les CO-02. L'employeur a soumis que cela n'était pas la raison pour ne pas avoir retenu la candidature du fonctionnaire, et qu'il n'y avait pas de preuve que cela ait été une considération dans la prise de la décision.

124 L'employeur a soumis que l'énoncé des critères de mérite de mars 2012 répondait aux besoins actuels à ce moment-là, et le fonctionnaire ne peut utiliser les changements dans l'énoncé des critères de mérite qui ont eu lieu un an plus tard et le témoignage de conflit entre les CO-01 et CO-02 afin de diminuer la portée de l'évaluation. Le fonctionnaire aurait pu poser sa candidature pour le poste affiché en août 2013, mais ne l'a pas fait. À cet égard, l'employeur a cité Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 100, aux paragraphes 22 et 23.

125 L'employeur a ensuite abordé l'allégation que le fonctionnaire a été victime de discrimination. L'employeur a soumis qu'il n'y avait aucune preuve de discrimination et que le fonctionnaire n'a pas fait une preuve prima facie (à première vue) de discrimination. À l'appui de cet argument, l'employeur a cité les décisions suivantes : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O'Malley »); Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145, aux paragraphes 131 et 133; Rosenthal c. le président de l'Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l'Ontario, 2011 TDFP 22, aux paragraphes 28 à 31.

126 L'employeur a souligné que Mme Gagné avait dit que sa discussion avec le fonctionnaire après la deuxième entrevue n'avait aucun impact sur sa décision et le fonctionnaire devait démontrer que son âge avait été pris en considération par elle.

127 L'employeur a soumis que même si je concluais que l'âge du fonctionnaire avait été pris en considération dans la décision, il demeure qu'il n'avait pas satisfait aux exigences du poste. De plus, le fonctionnaire devait prouver que la décision était discriminatoire ou un subterfuge et il devait démontrer que n'eût été de son âge, il aurait eu droit au poste.

128 L'employeur a fait valoir que Mme Gagné avait dit que la discussion à la fin de la deuxième entrevue avait eu lieu pour alléger l'atmosphère vu le désappointement du fonctionnaire. Elle a expliqué que c'est le fonctionnaire qui avait d'abord mentionné son âge. Selon Mme Gagné, il s'agissait d'une discussion inoffensive et sa décision était basée uniquement sur l'énoncé des critères de mérite et l'expérience du fonctionnaire.

C. Réplique du fonctionnaire

129 Le fonctionnaire a soumis qu'un arbitre de grief avait la compétence pour examiner le contexte dans lequel la décision de la gestion a été prise. En l'espèce, c'est la décision qui est arbitraire, et non pas les critères.

130 Quant à l'argument que lors de la première entrevue, le fonctionnaire n'avait pas fourni d'exemples de ses expériences, il a fait valoir que le questionnaire n'avait pas demandé d'exemples, sauf à la 3e question où il était demandé de décrire « une occasion ».

131 Le fonctionnaire a soumis que, dans son témoignage, M. Patterson avait tenté de créer une hiérarchie de niveaux d'expérience à l'intérieur du poste de CO-02, ce qui n'est pas décrit comme tel.

132 En ce qui a trait à l'allégation de discrimination, le fonctionnaire a fait valoir qu'il y avait deux versions contradictoires. La version de Mme Gagné est que sans se souvenir de ses mots exacts, elle a demandé au fonctionnaire combien d'années de service il avait à la fonction publique afin de savoir comment ses études lui serviraient dans sa carrière. Le fonctionnaire a soumis que cela était illogique. Selon le fonctionnaire, Mme Gagné lui a demandé pendant encore combien de temps il voulait travailler à la fonction publique.

133 Concernant l'argument de l'employeur que n'eût été son âge, le fonctionnaire aurait eu l'échange de postes, le fonctionnaire a soumis que cela voulait dire que l'âge était un facteur déterminant dans la décision. Selon le fonctionnaire, la jurisprudence exige seulement que ce soit un facteur.

IV. Motifs

134 Le grief soulève les questions suivantes : est-ce que l'employeur a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable lorsqu'il a refusé au fonctionnaire sa demande d'échange de postes violant ainsi la convention collective?; est-ce qu'il y a eu discrimination contre le fonctionnaire basée sur l'âge?

A. L'allégation de discrimination

135 Je traiterai d'abord de l'allégation de discrimination du fonctionnaire à savoir que son âge était un facteur dont Mme Gagné a tenu compte dans sa décision de ne pas lui offrir un échange de postes.

136 Lorsqu'il s'agit des questions touchant la LCDP, un arbitre de grief possède les pouvoirs prévus aux alinéas 226(2)a) et b) de la LRTFP, qui se lisent comme suit :

226. (2) L'arbitre de grief et la Commission peuvent, pour instruire toute affaire dont ils sont saisis:

a) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de cette loi sur le droit à la parité salariale pour l'exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l'emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

b) rendre les ordonnances prévues à l'alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

137 Afin de démontrer la discrimination, la personne s'estimant lésée doit d'abord établir une preuve prima facie de discrimination. Le critère d'une telle preuve a été décrit comme suit par la Cour suprême du Canada dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33 :

Comme l'a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l'existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu'ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu'ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l'effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l'intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d'exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l'existence de la discrimination.

138 Si le fonctionnaire réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, il revient à l'employeur de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable qui ne soit pas fondée sur la discrimination. Cette explication ne peut se résumer à un simple prétexte visant à justifier la conduite discriminatoire.

139 L'analyse d'une preuve prima facie a été expliquée comme suit par le juge Juriansz de la Cour d'appel de l'Ontario dans Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 :

[Traduction]

82 […] Le cadre d'une preuve prima facie dans le contexte de la discrimination ne diffère pas de celui utilisé dans de nombreux autres contextes. Sa fonction consiste à attribuer le fardeau légal de preuve et l'obligation tactique pour présenter des éléments de preuve. Il régit l'issue d'une affaire où le défendeur refuse de citer un témoin en réponse à la demande.

83 D'autre part, dans une affaire où le défendeur cite un témoin en réponse à la demande, le cadre d'une preuve prima facie ne sert plus cette fonction. Après une affaire entièrement contestée, la tâche du tribunal consiste à trancher la question ultime de savoir si le défendeur a fait preuve de discrimination envers le demandeur. Lorsque l'affaire est terminée, la question de savoir si le demandeur a présenté une preuve prima facie, une question intérimaire, n'importe plus. La question à trancher est celle de savoir si le demandeur s'est acquitté du fardeau légal de preuve d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu discrimination.

[…]

88 Selon l'approche favorisée par l'avocat des défendeurs, il s'agirait de savoir s'il y a une preuve suffisante à l'appui d'une preuve prima facie qui ne se distingue pas de la question ultime de savoir si, en fin de compte, la discrimination a été établie. Les deux analyses seraient identiques, parce qu'elles tiendraient compte de tous les éléments de preuve versés au dossier. Plutôt que de mener l'analyse deux fois, il serait plus logique pour le tribunal de passer directement à la question ultime de savoir si, d'après l'ensemble de la preuve, il y a eu discrimination.

140 L'employeur a fait valoir que le fonctionnaire n'avait pas fait une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, comme les deux parties ont déposé une preuve concernant l'allégation de discrimination du fonctionnaire, il s'agit maintenant de déterminer si le fonctionnaire a réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu discrimination.

141 L'allégation de discrimination du fonctionnaire repose uniquement sur la discussion entre lui et Mme Gagné à la fin de la deuxième entrevue. Le témoignage du fonctionnaire et son compte rendu écrit, ainsi que le témoignage de Mme Gagné, concordent sur les points suivants : la discussion a pris une tournure sur le plan personnel parce que Mme Gagné était consciente du désappointement du fonctionnaire avec sa décision; Mme Gagné n'a pas demandé l'âge du fonctionnaire; c'est le fonctionnaire qui a soulevé la question de son âge lorsqu'il a dit que de retourner aux études à son âge n'était pas facile.

142 Le fonctionnaire a témoigné qu'à la question de Mme Gagné à savoir combien de temps il comptait travailler à la fonction publique, il lui a dit qu'il n'avait que 12 années de contribution à son fonds de pension et, en boutade, qu'il comptait y travailler jusqu'à 80 ans. Il a témoigné que la question de Mme Gagné le troublait et le laissait penser que son âge avait été pris en considération dans sa décision. Mme Gagné a témoigné qu'elle n'a pas tenu compte de l'âge du fonctionnaire dans sa décision de ne pas lui accorder l'échange de postes.

143 Bien que la version du fonctionnaire puisse soulever certains doutes quant à la motivation de l'employeur, j'estime que la preuve de l'employeur sur la question de l'âge était crédible, concordait avec les faits et a démontré que cette question n'était pas un facteur dans la décision de Mme Gagné. La question de l'âge du fonctionnaire est survenue au cours de la discussion entre Mme Gagné et le fonctionnaire d'une façon qui cadrait avec la version de l'employeur. Il n'est pas suffisant pour le fonctionnaire de penser ou d'avoir l'impression qu'il a subi un effet préjudiciable et que la caractéristique protégée, en l'occurrence son âge, a constitué un facteur dans la manifestation de l'effet préjudiciable, soit le refus de l'échange de postes. Il doit en faire la preuve. Dans les circonstances de cette affaire et vu la preuve déposée par les deux parties, j'estime que le fonctionnaire n'a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a été victime de discrimination de la part de l'employeur.

B. L'échange de postes

144 Tel qu'indiqué dans sa section intitulée « Généralités », l'ARE fait partie de la convention collective. Selon les définitions prévues dans l'ARE, le fonctionnaire est l'employé optant et M. Cogné le remplaçant. L'échange de postes est défini comme suit dans l'ARE :

Échange de postes (alternation) – Un échange a lieu lorsqu'un employé optant (non excédentaire) qui préférerait rester dans l'administration publique centrale échange son poste avec un employé non touché (le remplaçant) qui désire quitter l'administration publique centrale avec une mesure de soutient [sic] à la transition ou une indemnité d'études.

[Le passage en évidence l'est dans l'original]

145 Selon l'employeur, la gestion n'a pas offert au fonctionnaire l'échange de postes parce que celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences du poste en question. Les clauses 6.2.4 et 6.2.6 de l'ARE stipulent que la décision à savoir si un employé optant satisfait aux exigences du poste revient à l'employeur. Ces clauses se lisent comme suit :

6.2.4 Un employé nommé pour une période indéterminée qui souhaite quitter la fonction publique peut manifester l'intérêt d'échanger son poste avec celui d'un employé optant. Il incombe cependant à la direction de décider si l'employé optant répond aux exigences du poste du remplaçant et aux besoins de 'l'administration publique centrale.

6.2.6 L'employé optant qui prend la place d'un employé non touché doit, dans la mesure déterminée par l'Employeur, répondre aux exigences du poste de ce dernier, y compris les exigences linguistiques. L'employé (le remplaçant) qui prend la place d'un employé optant doit répondre aux exigences du poste de ce dernier, sauf s'il n'effectue pas les fonctions de ce poste. L'employé remplaçant sera rayé de l'effectif dans les cinq (5) jours suivant l'échange de postes.

146 Selon l'employeur, le fonctionnaire n'a pas démontré que la décision de la gestion avait violé la convention collective. Toutefois, bien que l'employeur ait un pouvoir décisionnel en vertu de l'ARE, l'exercice de ce pouvoir ne peut être fait de façon déraisonnable, arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Sur ce point, les deux parties s'entendent.

147 L'employeur a fait valoir que sa décision doit être raisonnable et à cet égard, a cité Newfoundland and Labrador Nurses' Union. Dans cette affaire, dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre ayant interprété une convention collective, la Cour suprême du Canada a fait état de certains critères dont doit tenir compte une cour de révision qui examine si une décision d'un tribunal administratif ou décideur spécialisé est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs.

148 Je ne crois pas que les mêmes critères s'appliquent en l'espèce. À la différence d'une cour de révision, le rôle d'un arbitre de grief est de rendre une décision appropriée basée sur la preuve et l'argumentation faites devant lui dans une audience de novo.

149 La jurisprudence arbitrale en matière d'interprétation de conventions collectives de manière raisonnable a été résumée comme suit par l'arbitre de grief dans Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 120, une décision citée dans Alliance et Institut :

22 Dans la jurisprudence arbitrale, de nombreuses discussions ont questionné l'obligation d'un employeur d'administrer la convention collective de manière juste et raisonnable (voir Mitchnick et Etherington, Labour Arbitration in Canada aux paragraphes 16.2 et 16.3 [17.2 et 17.3 dans la 2e édition, 2012]). Dans Blue Line Taxi Co. and R.W.D.S.U., Local 1688(1992), 28 L.A.C. (4th) 280, l'arbitre a résumé la discussion et les conclusions comme suit (aux pages 287-288) :

[Traduction]

[…]

[…] l'employeur a l'obligation [d'administrer la convention collective de manière juste et raisonnable] dans les situations suivantes. Premièrement, lorsqu'une disposition de la convention collective confère expressément un pouvoir discrétionnaire à l'employeur, un arbitre peut conclure que l'intention était que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière juste et raisonnable. Deuxièmement, il a été établi qu'il est implicitement interdit à l'employeur d'agir d'une façon déraisonnable (dans les secteurs n'étant pas régis expressément par la convention collective) qui risquerait d'annuler ou de miner certaines dispositions de la convention : voir Metropolitan Toronto (Municipality) v. C.U.P.E., Loc. 43 (1990), 69 D.L.R. (4th ) 268, 74 O.R. (2d) 239, 39 O.A.C. 82 (Ont. C.A.) [autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 72 D.L.R. (4th) vii], et Re Westin Harbour Castle and Textile Processors, Service Trades, Health Care, Professional & Technical Employees Int'l Union, Loc. 351 (1991), 23 L.A.C. (4th) 354 (Brown).

Selon mon interprétation de la loi, l'employeur sera donc tenu responsable de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de la direction seulement si un lien peut être établi avec la convention collective. Un tel lien peut être trouvé si a) la convention collective confère ou reconnaît expressément un pouvoir discrétionnaire à la direction ou b) si l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire risquerait d'annuler ou de miner certaines dispositions de la convention.

[…]

23 Dans Metropolitan Toronto (Municipality) v. CUPE, Local 43 (1990), 69 D.L.R. (4th) 268, la Cour d'appel de l'Ontario a signalé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il est également vrai que les parties n'ont pas toujours le temps, la motivation ou les ressources nécessaires pour envisager toutes les répercussions possibles de chaque mot. Il y a donc lieu de faire appel à une certaine créativité et de recourir aux principes de l'arbitrage et de faire preuve de façon générale de réalisme. […] L'existence d'un principe ou d'une condition implicite dans l'administration raisonnable d'un contrat a également été reconnue par le juge Craig dans [Wardair Canada Inc. v. C.A.L.F.A.A. (1988), 63 O.R. (2d) 471 (Div. Ct.)] aux pages 476-477.

150 En ce qui a trait aux objectifs de l'ARE, je suis d'accord avec l'argument de l'employeur qu'ils ne confèrent pas de droits substantifs au fonctionnaire. Toutefois, un des principes directeurs des objectifs est de favoriser le maintien d'emploi, exprimé comme suit : « On ne doit toutefois pas considérer que le présent appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d'emploi. » De toute façon, la réclamation du fonctionnaire ne repose pas uniquement sur les objectifs de l'ARE, mais plutôt sur la décision de l'employeur de lui refuser un échange de postes. Comme le pouvoir décisionnel discrétionnaire de l'employeur se trouve dans des dispositions de la convention collective, soit les clauses 6.2.4 et 6.2.6 de l'ARE, un arbitre de grief a la compétence pour déterminer si ce pouvoir a été exercé de façon raisonnable.

151 En examinant la preuve, un premier élément se dégage : c'est M. Cogné qui a eu le premier contact avec le fonctionnaire lorsque ce dernier l'a appelé pour s'enquérir du poste en question. À la suite de sa discussion avec le fonctionnaire, M. Cogné s'est dirigé au bureau de Mme Gagné pour l'informer que le fonctionnaire était intéressé au poste, ce dont elle était déjà au courant. M. Cogné s'est montré très enthousiaste face à la candidature du fonctionnaire et, à deux reprises, a fait part à Mme Gagné qu'il était un bon candidat. À chaque occasion, Mme Gagné lui a répondu qu'il fallait attendre le curriculum vitæ du fonctionnaire. Il a perçu qu'elle ne partageait pas son enthousiasme. Bien que la décision d'accorder un échange de postes revienne à l'employeur, il n'est pas sans intérêt que c'est M. Cogné qui avait occupé ce poste pendant 12 ans.

152 M. Cogné a témoigné que lorsqu'il avait été convoqué à une réunion avec Mme Gagné et M. Patterson entre la première et la deuxième entrevue du fonctionnaire, Mme Gagné lui avait ordonné de ne plus parler aux candidats et de leur dire de faire parvenir leur curriculum vitæ directement à M. Patterson. Cette directive ne semble pas cadrer avec l'extrait suivant de la question no 2 de la foire aux questions préparée par l'AAC :

La Direction générale des ressources humaines d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) a mis en place un processus d'échange de postes pour faciliter le jumelage d'employés optants avec des remplaçants au sein du Ministère. Les employés optants recevront les noms de remplaçants éventuels avec lesquels il peuvent examiner les possibilités d'échange de postes. […]

153 Il est vrai que ce qui est contenu dans la foire aux questions n'a pas la force de la convention collective. Cependant, il me paraît que le but de cet extrait est de favoriser la possibilité pour un employé optant de discuter directement avec un employé remplaçant du poste en question afin de lui permettre d'évaluer d'emblée s'il devait poursuivre sa candidature pour le poste. La directive de Mme Gagné aurait pour effet de priver des employés optants de l'opportunité de discuter directement avec la personne en poste, en l'occurrence M. Cogné. Il me semble que Mme Gagné a pris cette mesure afin de contrôler le processus de sélection à sa propre façon. Écarter M. Cogné comme premier contact avec les candidats n'était pas nécessaire, puisque de toute façon, l'ARE prévoit que c'est à l'employeur que revient le pouvoir décisionnel.

154 En ce qui a trait à la première entrevue du 29 juin 2012, la preuve a démontré que ce n'est que le 28 juin, moins de 24 heures avant l'entrevue, que l'adjointe de Mme Gagné a fait parvenir au fonctionnaire l'énoncé des critères de mérite pour le poste en question, soit après que le fonctionnaire avait fait parvenir sa lettre de présentation à Mme Gagné. Comme il devait se déplacer de Québec à Montréal pour l'entrevue, il n'a donc pas eu l'occasion d'en tenir compte aux fins de réviser son curriculum vitæ ou sa lettre de présentation. Le témoignage de Mme Gagné ainsi que le courriel du 10 juillet 2012 qu'à fait parvenir M. Patterson au fonctionnaire précisent que l'évaluation du fonctionnaire était basée non seulement sur l'entrevue, mais aussi sur sa lettre de présentation et son curriculum vitæ. Le témoignage non contredit du fonctionnaire était que Mme Gagné ne lui avait pas posé de questions sur son curriculum vitæ et n'avait pas référé à sa lettre de présentation. De plus, selon le témoignage du fonctionnaire, Mme Gagné et M. Patterson n'avaient pas abordé les critères sur lesquels il serait évalué lors de l'entrevue ni s'il satisfaisait à certains des critères du poste à titre de CO-02.

155 M. Patterson a témoigné que quant à la réponse du fonctionnaire lors de la première entrevue à la 4e question en termes de sa capacité d'analyse, il a dit que le fonctionnaire avait couvert quelques-uns des éléments dont ils s'attendaient et qu'une partie importante de sa réponse était à haut niveau. Selon M. Patterson, la 4e question était pour évaluer le critère des connaissances. Cependant, M. Patterson a aussi dit qu'ils n'attribuaient pas de notes pour chaque critère lors de l'entrevue et qu'il caractérisait les connaissances du fonctionnaire comme adéquates. Comme c'est M. Patterson qui aurait été le supérieur immédiat du fonctionnaire et qu'il savait ce qu'il recherchait, une personne raisonnable aurait pu conclure que cela était un commentaire positif. Toutefois, selon M. Patterson, il n'était pas évident que le fonctionnaire avait de l'expérience dans une telle analyse. Mme Gagné a témoigné que la réponse du fonctionnaire à la 4e question avait démontré qu'il avait certaines connaissances de base, mais pas dans les détails que chaque étape nécessite. Selon elle, l'approche analytique n'était pas complète. Concernant la réponse du fonctionnaire à la 4e question, Mme Gagné ne se souvenait pas si elle lui avait demandé des précisions. Elle a dit qu'elle ne voulait pas aller trop loin parce qu'elle voulait demeurer neutre et laisser le candidat apporter des précisions.

156 La candidature du fonctionnaire a été refusée principalement parce que, selon l'employeur, le fonctionnaire n'avait pas démontré qu'il possédait une expérience en commerce international ainsi qu'en recherche et en analyse.

157 En ce qui a trait à l'évaluation des études du fonctionnaire, Mme Gagné a trouvé la combinaison de son expérience et de ses études insuffisante. Cette évaluation était incluse dans le courriel de M. Patterson du 10 juillet 2012. Cette conclusion pour le moins laisse à songer, vu que la combinaison de ses études et d'expérience a permis au fonctionnaire d'accéder à un poste CO-02 dans la fonction publique et à un poste de gestionnaire régional intérimaire au groupe et au niveau CO-03 pendant une période de deux ans. De plus, selon le témoignage non contredit du fonctionnaire, lorsqu'il a opté pour l'indemnité d'études en vertu de l'ARE, l'université a reconnu son expérience et ses études comme l'équivalent d'un baccalauréat et l'a admis dans un programme de deuxième cycle.

158 À la suite de l'intervention de Mme Huard, une deuxième entrevue a eu lieu le 19 juillet 2012 pour laquelle le fonctionnaire avait préparé un document de cinq pages qui détaillait ses compétences et expériences. Mme Gagné a témoigné qu'ils n'avaient pas préparé des questions pour cette entrevue.

159 Il me semble que le rôle d'un employeur dans un tel processus ne devrait pas être celui d'un observateur passif. Puisque l'employeur sait ce qu'il recherche, il devrait assumer, au stade de l'entrevue, un rôle actif afin de vérifier si un candidat possède ou non les éléments requis pour l'échange de postes. Les enjeux sont élevés pour l'employé optant, et l'employeur ne peut tout simplement pas prendre l'approche voulant qu'il revienne à l'employé de démontrer qu'il mérite qu'on maintienne son emploi dans la fonction publique. Ce sont les deux parties qui devraient y voir.

160 La preuve démontre que Mme Gagné avait une perception de l'échange de postes qui ne semblait pas cadrer avec les objectifs de l'ARE. À cet égard, l'arbitre de grief dans Alliance et Institut a expliqué le rôle de l'employeur dans l'échange de postes comme suit au paragraphe 33 de sa décision :

[…] De façon plus générale, la participation [des ministères] ne peut être symbolique ni de pure forme : il doit y avoir une volonté réelle d'aider les employés désirant échanger leurs postes et d'examiner les demandes d'échange de postes, mais il faut y procéder dans le cadre de l'ARE/ERE. […]

161 En maintenant une approche passive et en insistant qu'il revenait uniquement au fonctionnaire de démontrer sa capacité de remplir les exigences du poste en question, l'employeur a agi de façon déraisonnable.

162 En raison de l'évaluation qu'il avait reçue de M. Patterson indiquant qu'il ne satisfaisait pas aux exigences d'expérience en analyse sectorielle et en analyse du marché sur le plan international, le fonctionnaire a d'abord demandé s'il satisfaisait aux autres critères du poste. Il a témoigné que la réponse de Mme Gagné était que leur évaluation traitait seulement des deux qualifications essentielles qu'il ne satisfaisait pas et qu'ils n'avaient pas fait l'évaluation des autres compétences. Néanmoins, le fonctionnaire a procédé à la présentation de ses qualifications en commençant avec ses expériences en analyse. À chacune d'elles, Mme Gagné lui disait que son expérience n'était pas pertinente. Le fonctionnaire a donc fermé son document, l'a remis à Mme Gagné et lui a demandé si elle maintenait sa première décision, ce à quoi elle a répondu dans l'affirmatif. Elle a ensuite dit qu'elle prendrait connaissance du document avant de prendre une décision finale. Dans son témoignage, Mme Gagné a dit qu'à la lecture rapide du document du fonctionnaire lors de la deuxième entrevue, il n'y avait pas d'éléments nouveaux. C'est le lendemain de l'entrevue, soit le 20 juillet 2012, que Mme Gagné a informé le fonctionnaire qu'elle refusait sa demande d'échange de postes.

163 Il me semble que Mme Gagné cherchait le candidat parfait pour l'échange de postes. Le fonctionnaire a témoigné que lors de sa deuxième entrevue, Mme Gagné lui a fait part qu'elle avait fait un concours ouvert à l'externe l'année précédente et qu'elle avait eu le plaisir de combler des postes avec des profils parfaits (perfect fit). Mme Gagné a aussi témoigné qu'avant la première entrevue du 29 juin 2012, elle et M. Patterson ont décidé d'inviter le fonctionnaire pour une entrevue même s'ils étaient d'avis qu'il n'y avait pas une « correspondance parfaite » avec les qualifications recherchées. Je ne crois pas, qu'en vertu de l'ARE, l'employeur ait le droit d'exiger qu'on trouve le candidat parfait pour accorder un échange de postes. D'ailleurs, la foire aux questions prévoit ce qui suit à la question 3 :

[…] Cependant, le gestionnaire de l'employé qui se porte volontaire pour l'échange de postes devra évaluer l'employé optant, ainsi que tous les employés optants qui se retrouvent dans la base de données de l'AAC et qui ont manifesté leur intérêt pour le poste, afin de veiller à ce qu'il possède les qualification requises, y compris les exigences linguistiques, pour déterminer le meilleur candidat. […]

164 Dans son argument, l'employeur a convenu que sa décision concernant un échange de postes devait être raisonnable et qu'il avait l'obligation d'offrir aux employés toutes les possibilités raisonnables de poursuivre leur carrière dans la fonction publique. En insistant sur le fait qu'un postulant soit le candidat parfait avant d'accorder un échange de postes, l'employeur crée, de son propre aveu, une exigence déraisonnable.

165 Un des faits de la preuve que j'estime être un facteur important est le témoignage de M. Cogné concernant sa rencontre au bureau de Mme Gagné entre la première entrevue du fonctionnaire et sa deuxième. M. Patterson y assistait. C'est pendant cette réunion que Mme Gagné a dit à M. Cogné qu'elle devait revoir le fonctionnaire pour un autre entretien et qu'il recevrait la même réponse qu'il avait eue après la première entrevue. Lorsque M. Cogné lui a répondu qu'il ne comprenait pas parce que le fonctionnaire avait les compétences voulues, il s'est aperçu que, d'après son expression faciale, Mme Gagné était contrariée. M. Cogné a dit qu'il en était abasourdi. Le témoignage de M. Cogné à cet égard n'a pas été contredit par Mme Gagné ni par M. Patterson. Je crois que cet élément de preuve témoigne d'une fermeture d'esprit de Mme Gagné face à la candidature du fonctionnaire. En raison de cette attitude de Mme Gagné, comment cette dernière pouvait-elle mener la deuxième entrevue en toute bonne foi? Il semble évident que la deuxième entrevue du fonctionnaire était donc vouée à l'échec.

166 Un autre indicatif de l'esprit de Mme Gagné est la preuve concernant sa perception de l'effet qu'aurait un échange de postes sur sa propre équipe. Le fonctionnaire a témoigné que lors de sa deuxième entrevue, Mme Gagné lui avait dit que l'embauche du fonctionnaire causerait des conflits à l'interne parce qu'il y avait des membres de son équipe qui souhaitaient accéder à un poste CO-02. Mme Gagné a témoigné que cela ne reflétait pas ce qu'elle avait dit au fonctionnaire. Elle lui a plutôt dit que l'énoncé des critères de mérite pour le poste en question était en lien avec la dotation qu'ils avaient faite en 2012 et qu'il était important de trouver une personne qui satisfaisait aux exigences. Elle a dit que si elle avait utilisé un énoncé différent de celui du concours de dotation, on lui aurait posé des questions.

167 Sur le même sujet, M. Cogné a témoigné qu'en septembre 2012, Mme Gagné l'avait convoqué dans une salle de conférence où elle lui avait fait part des mêmes propos, soit que si elle faisait un échange de postes, elle se ferait questionner par les CO-01 de son équipe qui désiraient une promotion. M. Cogné lui a répondu que selon l'ARE, ce qui compte est le maintien de l'emploi. Selon Mme Gagné, elle avait discuté avec M. Cogné que l'échange de postes devait répondre aux besoins du bureau et qu'on ne pouvait comparer des CO-01 avec des CO-02 dans un échange de postes.

168 En examinant cet aspect de la preuve, il faut signaler que le fonctionnaire a écrit un compte rendu de l'entretien du 19 juillet 2012 le même jour et le lendemain, donc de façon contemporaine avec l'évènement. Selon son témoignage, c'est Mme Gagné qui a abordé le sujet de l'effet sur son équipe d'accorder un échange de postes. De plus, le témoignage du fonctionnaire à cet égard a été corroboré par le témoignage non-contredit de M. Cogné, qui a aussi dit que c'est Mme Gagné qui a soulevé ce point lors de leur réunion en septembre 2012. Dans les circonstances, j'estime que la version de Mme Gagné sur ce point est incompatible avec la preuve et je retiens les témoignages du fonctionnaire et de M. Cogné. Cette preuve indique que Mme Gagné était plus préoccupée par la réaction des membres de son équipe si elle comblait le poste CO-02 par un échange de postes que de favoriser le maintien en emploi d'un candidat touché par l'ARE.

169 Bien que l'employeur ait fait valoir que les objectifs de l'ARE ne confèrent pas de droits substantifs aux employés, il n'a jamais contesté l'argument du fonctionnaire que l'ARE avait pour but d'optimiser les possibilités d'emploi dans toute la mesure du possible et de favoriser le maintien d'emploi dans la fonction publique. L'employeur a convenu que les clauses 6.4 et 6.2.6 de l'ARE confèrent des droits substantifs aux employés.

170 Ces clauses fondent les objectifs de l'ARE, parmi lesquels figure le maintien d'emploi dans toute la mesure du possible. Je constate que les clauses 6.2.4 et 6.2.6 prévoient qu'il revient à l'employeur de décider si le fonctionnaire répond aux exigences du poste en question. La preuve a démontré que, dans sa décision, Mme Gagné a tenu compte, du moins en partie, de la réaction des membres CO-01 de son équipe. Il s'agit là d'un facteur qui n'avait aucune pertinence à la décision qu'elle devait prendre et qui était contraire à l'esprit et l'intention de l'ARE.

171 Le fonctionnaire a souligné que dans l'énoncé des critères de mérite d'août 2013, les exigences d'expérience en analyse sectorielle et en analyse du marché au niveau international avaient été éliminées. L'employeur s'est opposé au dépôt en preuve de l'énoncé des critères de mérite d'août 2013 pour le motif qu'il n'en était pas au courant avant mai 2013. Je l'ai admis sous réserve de sa force probante.

172 Le fonctionnaire a signalé que Mme Gagné avait affirmé que son rôle d'agent de liaison de l'AAC au Québec demandait qu'elle soit au courant des besoins à moyen et long termes. Selon le fonctionnaire, il était donc peu probable qu'elle ne soit pas au courant que ces changements auraient lieu.

173 Le témoignage de Mme Gagné sur cet élément de la preuve était que le plan d'affaires de son bureau régional commençait à évoluer en 2012 en mettant l'accent sur l'analyse sectorielle, et ce n'était qu'en mai 2013 qu'il avait été déterminé qu'il y aurait un changement au bureau régional qui a mené à l'élimination des exigences au niveau international. Ils ne s'occupaient plus de la coordination des missions étrangères pour le développement des marchés.

174 Il incombe au fonctionnaire le fardeau de la preuve. Même si Mme Gagné était au courant des besoins à moyen et à long termes de son bureau, il n'était pas suffisant d'affirmer qu'il était peu probable qu'elle ne le soit pas concernant l'élimination des exigences sur le plan international. Il aurait fallu une certaine preuve qu'en juillet 2012, ou dans une période rapprochée de cette date, Mme Gagné était au courant desdits changements à venir. Le fonctionnaire n'a pas réussi à démontrer par une prépondérance des probabilités que Mme Gagné avait une telle connaissance.

175 L'employeur a fait valoir que le fonctionnaire n'avait pas postulé au poste affiché en août 2013. Cependant, le témoignage du fonctionnaire en contre-interrogatoire était qu'il n'avait pas postulé parce qu'il avait signé une lettre d'engagement pour un poste à l'extérieur de la fonction publique. Il faut aussi noter que le poste affiché en août 2013 l'était pour un remplacement de congé de maternité d'octobre 2013 à avril 2014, donc un poste de nature temporaire.

176 Tel qu'il est mentionné précédemment dans cette décision, le pouvoir d'accorder un échange de postes revient à la gestion, qui doit évaluer les qualifications du postulant. Mme Gagné a témoigné que c'est elle-même qui décidait si un échange aurait lieu. Toutefois, selon la preuve, j'estime que Mme Gagné n'a pas considéré la candidature du fonctionnaire avec une ouverture d'esprit et conséquemment, sa décision de lui refuser l'échange de postes était déraisonnable. Certes, la position de l'employeur est que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences du poste, et je ne mets pas en doute la sincérité de cette position. Cependant, le fonctionnaire avait le droit d'être traité de façon transparente et avec une ouverture d'esprit de la part de la direction. Il est vrai qu'à la suite de l'intervention de Mme Huard, Mme Gagné a accordé une deuxième entrevue. Toutefois, je ne peux ignorer la preuve voulant qu'elle avait fait savoir à M. Cogné quel serait le résultat de la deuxième entrevue avant même qu'elle n'ait lieu.

177 Dans les circonstances, le grief est accueilli. En ce qui a trait à la question de la mesure corrective appropriée, je ne suis pas prêt à déclarer que l'employeur aurait dû accorder l'échange de postes au fonctionnaire. J'ai simplement conclu que la décision de l'employeur était viciée par une considération inappropriée (l'avancement des CO-01) et une méconnaissance de l'ARE. Par conséquent, les parties devront tenter de s'entendre sur une réparation appropriée, à défaut de quoi une audience sera tenue.

178 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

179 Le grief est accueilli.

180 Je demeure saisi de ce grief pour une période de 90 jours à partir de la date de la présente décision pendant lesquels les parties devront tenter de s'entendre sur une réparation appropriée; en cas d'échec, les parties devront en aviser la Commission afin de prévoir la tenue d'une audience.

Le 1er juin 2015.

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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