Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante avait déposé un grief alléguant que son employeur n’avait pas pris de mesure d’adaptation à son égard, conformément à une décision émise par le Tribunal canadien des droits de la personne en sa faveur – au moment où l’employeur a rendu sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement de griefs, la plaignante avait pris sa retraite de la fonction publique fédérale – la plaignante a allégué que son agent négociateur, le défendeur, a manqué à son devoir de représentation équitable à son égard parce qu’il ne l’a pas adéquatement appuyée lors de la procédure de règlement de griefs et qu’il n’a pas renvoyé son grief à l’arbitrage – la Commission a conclu que la question à trancher était de savoir si le défendeur avait agi de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi – compte tenu du temps requis pour la procédure de règlement de griefs, soit de 2011 à 2015, et la connaissance du défendeur des faits et de la collaboration avec la plaignante, on ne peut conclure que la patience dont a fait preuve le défendeur en attendant six mois pour la réponse au dernier palier de l’employeur relativement au grief, plutôt que d’exiger une réponse plus tôt, peut être interprétée comme étant arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, plus particulièrement si l’on tient compte des pressions quotidiennes sur les ressources de l’agent négociateur et le fait que la mesure d’adaptation n’était plus un problème pour la plaignante puisqu’elle avait pris sa retraite – qui plus est, l’agent du défendeur n’a pas agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire en recommandant que le grief ne soit pas renvoyé à l’arbitrage parce qu’il avait reconnu les faiblesses de l’affaire, notamment la non-disponibilité des témoins essentiels à l’arbitrage – la Commission a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que le défendeur avait agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2015-12-08
  • Dossier: 561-02-762
  • Référence: 2015 CRTEFP 93

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

BERYL NKWAZI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

employeur

Répertorié
Nkwazi c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Beryl Nkwazi se représente elle-même
Pour l'employeur:
Martin Ranger, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 24 juin, le 29 juillet, les 11 et 24 août et les 1er et 8 octobre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Plainte devant la Commissio

1 La plaignante, Beryl Nkwazi, allègue que son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC » ou le « défendeur »), a manqué à son devoir de représentation équitable à son égard. L’IPFPC affirmé s’être acquitté de son devoir envers la plaignante et demande que l’affaire soit rejetée sommairement puisque, à première vue, les allégations ne divulguent aucun manquement au devoir de représentation équitable. Pour les motifs suivants, je conclus que la plainte devrait être rejetée.

II. Résumé de la preuve

2 La présente décision est fondée sur les arguments écrits des parties ainsi que sur la plainte initiale et la réponse y afférente. Les parties ne s’entendent pas quant à leur interprétation des faits. À mon avis, leurs affirmations et leurs documents écrits suffisent pour me permettre de trancher la question. En l’espèce, il s’agit de déterminer si les allégations de la plaignante permettent d’étayer sa prétention voulant que le défendeur a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans le cadre de sa représentation. Dans la négative, la plainte devrait être rejetée sommairement.

3 La plaignante a travaillé à titre d’infirmière autorisée pour Service correctionnel du Canada (« SCC » ou l’« employeur »), au Centre psychiatrique régional, jusqu’à sa retraite, le 12 juin 2014. Elle a déposé une plainte au motif que le défendeur ne l’a pas représenté de manière appropriée devant l’employeur, au point où elle estimait que le défendeur reproduisait, dans une certaine mesure, le harcèlement qu’elle avait subi de la part de l’employeur. Certaines informations sont nécessaires pour comprendre le contexte de la plainte et des mesures prises par le défendeur.

4 En 2001, dans Nkwazi c. Canada (Service correctionnel), 2001 CanLII 6296, le Tribunal canadien des droits de la personne (le « TCDP ») a rendu une décision accueillant en partie la plainte de Mme Nkwazi contre l’employeur. Son contrat de travail occasionnel conclu avec SCC, qui avait été renouvelé neuf fois, n’a soudainement pas été renouvelé. Le TCDP a conclu que le non-renouvellement découlait d’une discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique. Il a ordonné qu’une indemnité monétaire soit remise à Mme Nkwazi et qu’elle soit réintégrée à son poste occasionnel auprès de SCC. Le TCDP a conclu que certaines allégations de discrimination raciale, mais pas toutes, étaient fondées. Plus précisément, il a été conclu que les mesures de l’employeur quant à la formation ou à la rémunération n’étaient pas discriminatoires, mais que le traitement infligé par une ancienne superviseure l’était. De plus, le TCDP a conclu que le traitement insensible de SCC à l’égard de la plaignante au moment du non-renouvellement de son contrat était presque cruel et l’une des mesures correctives consistait à ce que SCC lui envoie une lettre d’excuse officielle.

5 En juin 2011, Mme Nkwazi a déposé un grief affirmant qu’aucune mesure d’adaptation convenable n’avait été prise à son égard à la suite de la décision du TCDP et qu’elle avait été obligée de travailler dans un environnement préjudiciable, puisqu’elle a continué de rencontrer l’ancienne superviseure qui avait fait preuve de harcèlement et de discrimination à son égard. Elle a pris un congé de maladie en 2009. En février 2011, elle a tenté de retourner travailler au SCC en demandant une affectation qui lui permettrait d’éviter tout contact avec son ancienne superviseure, par exemple un quart de nuit.

6 L’ancienne superviseure a pris sa retraite en 2008, mais elle a continué de diriger les groupes d’infirmières en formation en milieu de travail. Après un incident dans l’aire de repos des infirmières qui a fait l’objet d’une plainte déposée par Mme Nkwazi, l’employeur a dit à l’ancienne superviseure de ne pas entrer dans l’aire de repos des infirmières. Mme Nkwazi trouvait très difficile de vivre avec le fait qu’il y avait toujours une possibilité qu’elle rencontre son ancienne superviseure. Elle était d’avis que l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation suffisantes pour répondre à sa demande visant à éviter tout contact avec cette superviseure.

7 Le grief de Mme Nkwazi a été entendu au dernier palier le 19 janvier 2015. Entre-temps, elle a pris sa retraite le 13 juin 2014. Selon ses échanges de courriels avec le défendeur, lesquels ont été joints à sa plainte, Mme Nkwazi semble laisser entendre qu’elle a été forcée à prendre sa retraite. Toutefois, selon ses échanges de courriels avec l’employeur, la décision de prendre sa retraite semble avoir été la sienne.

8 Le 8 avril 2014, Mme Nkwazi a reçu une lettre de son employeur indiquant qu’après un congé non payé de cinq ans, elle devait s’engager à retourner au travail au plus tard le 1er juin 2014, ou prendre sa retraite de la fonction publique. Dans la lettre, il lui était suggéré d’envisager la retraite pour des raisons médicales en guise d’option. Dans sa réponse, Mme Nkwazi semble avoir choisi la retraite régulière, à savoir :

[Tiré d’un courriel en date du 20 mai 2014, de la plaignante à l’employeur :

[Traduction]

J’ai discuté avec une personne au centre de pension et elle m’a dit que toute personne âgée de plus de 60 ans pouvait prendre sa retraite sans aucune raison. La retraite pour des raisons médicales n’est pas pertinente à cet âge. Afin de m’envoyer les formulaires de retraite, ils n’ont besoin que d’une date approximative du dernier jour d’emploi et ils ont dit que le Centre psychiatrique régional devait me donner cette date. La dernière estimation du centre de retraite a été calculée au 12 juin et je demanderai que le dernier jour d’emploi soit le 12 juin 2014, si cela vous convient.

9 Entre l’audience tenue au dernier palier le 19 janvier 2015 et la date à laquelle elle a reçu la réponse au dernier palier de l’employeur à la mi-juillet 2015, Mme Nkwazi n’a reçu aucune nouvelle du défendeur. Entre-temps, le 7 juillet 2015, elle a déposé la présente plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « CRTEFP » ou la « Commission »).

10 Après la décision de l’employeur au dernier palier, l’agent chargé des relations avec les employeurs de l’IPFPC (l’« ARE ») responsable du dossier de Mme Nkwazi, a recommandé que le grief ne soit pas renvoyé à l’arbitrage. Selon sa lettre en date du 24 juillet 2015, sa recommandation était fondée sur le fait que la plaignante avait déjà pris sa retraite et sur le manque d’éléments de preuve à l’appui des allégations de harcèlement et de discrimination. Dans cette lettre, l’ARE a indiqué que Mme Nkwazi pourrait demander un nouvel examen par le président de l’IPFPC, ce qu’elle n’a pas fait. Mme Nkwazi a indiqué dans ses arguments qu’à cette date, elle n’avait plus confiance en l’IPFPC et en sa capacité de défendre ses intérêts.

11 La plaignante a affirmé que le défendeur n’avait pas déployé des efforts suffisants pour communiquer avec les témoins nécessaires en vue d’étayer les allégations du grief.

12 Le défendeur a répondu avoir essayé de communiquer avec les témoins suggérés par la plaignante, mais que soit ces derniers ne pouvaient confirmer le harcèlement soit qu’il avait été impossible de communiquer avec eux.

13 La plaignante et l’ARE ont discuté de la question des témoins avant l’audience du grief au dernier palier. Après l’audience au deuxième palier du grief en matière de discrimination qui a eu lieu le 30 septembre 2014, à l’égard de laquelle la plaignante a remercié l’ARE de sa représentation ([traduction] « Merci beaucoup d’avoir si bien présenté mon cas, vous l’avez fait deux fois mieux que ce que j’aurais fait »), des échanges ont eu lieu au sujet des témoins possibles. La plaignante a d’abord recommandé un témoin. Cette dernière a indiqué à l’ARE qu’elle n’avait pas été témoin du harcèlement allégué.

14 Le 16 octobre 2014, l’ARE a rédigé le courriel suivant à l’intention de la plaignante : [traduction] « Il semble que nous aurons besoin d’autres noms pour étayer toute allégation de harcèlement. Autrement, il nous sera extrêmement difficile de démontrer les allégations exprimées dans le grief. »

15 La plaignante a répondu le même jour et a proposé à l’ARE les noms d’autres témoins possibles. Elle n’a pas été en mesure de fournir les coordonnées d’au moins deux de ces témoins.

16 Le 31 octobre 2014, l’ARE a rédigé un courriel à l’intention de la plaignante dans lequel il a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Veuillez signer la formule de transmission aujourd’hui si vous souhaitez donner suite à votre grief […] J’ai discuté directement avec deux des témoins possibles, dont vous m’avez fourni le nom, et ni l’un ni l’autre n’étaient en mesure d’étayer une preuve de harcèlement. J’ai également envoyé un courriel et laissé des messages la semaine passée aux deux autres témoins dont les coordonnées avaient été fournies, mais ni l’un ni l’autre ne m’a répondu. Je vous tiendrai au courant.

17 Le 21 novembre 2014, la plaignante a rédigé ce qui suit : [traduction] « […] En effet, il n’y a aucun témoin, mais cela ne signifie pas que je n’ai pas fait l’objet de harcèlement et de discrimination. Il se peut également que les témoins ne souhaitent pas intervenir, surtout s’ils travaillent encore là. »

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

18 Dans sa demande à la CRTEFP, la plaignante a déclaré que son employeur avait ignoré ses plaintes de harcèlement et que le défendeur n’avait pas représenté ses intérêts. Elle a dû attendre jusqu’en juillet 2015 pour obtenir une réponse en ce qui concerne l’audience au dernier palier tenue en janvier 2015; le défendeur n’a pris aucune mesure dans le but d’avoir plus rapidement une réponse de l’employeur. La plaignante croit que le défendeur a manqué à son obligation envers elle lorsqu’il ne lui a pas offert suffisamment de soutien.

19 À la fin de la demande à la CRTEFP, Mme Nkwazi a indiqué ce qu’elle voulait obtenir, soit :

[Traduction]

J’espère que ce comité [la Commission] m’appuiera dans le cadre de ma quête visant la consécration totale de ma première plainte de discrimination et des formes ultérieures de traitement différentiel, de harcèlement et d’intimidation de la part de la même personne [l’ancienne superviseure].

20 Selon la plaignante, le défendeur et l’employeur n’ont pas respecté les conditions de la convention collective pertinente lorsqu’ils ont attendu de janvier à juillet 2015 pour répondre au grief au dernier palier (l’employeur parce qu’il n’a pas répondu et le défendeur parce qu’il n’a appliqué les délais).

21 La plaignante affirme que le défendeur a [traduction] « permis » des tactiques dilatoires de la part de l’employeur et qu’il ne s’est donc pas acquitté de son obligation d’appliquer les dispositions de la convention collective applicable (qui prévoit, selon la plaignante, une période de 28 jours pour répondre au dernier palier).

22 En résumé, le défendeur ne s’est pas fait le champion de la cause de la plaignante, conformément à ce qu’elle déclare dans ses arguments du 11 août 2015 :

[Traduction]

[…] la représentation du défendeur n’était ni juste ni authentique, elle n’a pas été faite avec intégrité et comportait une négligence grave ou majeure favorisant l’employeur. Il n’est pas invraisemblable de conclure que la mascarade visait à faire en sorte que la fonctionnaire s’estimant lésée abandonne son grief.

23 Selon les arguments de la plaignante du 24 août 2015, le défendeur n’avait pas bien compris la discrimination et le harcèlement dont elle avait été victime et, par conséquent, il n’a pas agi pour l’aider :

[Traduction]

Seule une personne qui, conformément au vieil adage, "se met dans ma peau" pourrait être en mesure de comprendre mes expériences, il se peut que des personnes n’aient pas été "témoins" du harcèlement dont j’ai été victime, mais je reconnais ce qu’elle [l’ancienne superviseure] faisait. Toutefois, les personnes ont reconnu ma détresse et parfois je souhaite n’y être jamais retournée. Le retour en arrière arrive beaucoup trop tard pour moi.

L’IPFPC a choisi de ne pas bien évaluer mon cas et ma situation et il a plutôt comploté avec l’employeur et la CCDP pour ne pas me représenter de bonne foi comme il devait le faire et il a contrevenu aux principes de représentation équitable pour tous les employés de manière non discriminatoire, tel que cela a déjà été soutenu, aux termes de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

24 Dans son argumentation finale, la plaignante a réitéré son argument voulant que personne n’ait communiqué avec ses témoins, laissant ainsi entendre que le défendeur n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable.

B. Pour le défendeur

25 Selon le défendeur, la plainte est [traduction] « […] vague, imprécise et ne comprend aucun énoncé clair en ce qui concerne les allégations. » En outre, elle était prématurée puisque lorsqu’elle a été déposée, l’employeur n’avait pas encore répondu au dernier palier et le défendeur n’avait pas encore décidé si le grief serait renvoyé à l’arbitrage. La plaignante aurait pu se prévaloir du mécanisme d’appel interne du défendeur pour contester la recommandation de l’ARE en juillet 2015 de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage.

26 Le défendeur a déclaré dans ses arguments qu’il n’estimait pas que les arguments en matière de harcèlement et de discrimination de la plaignante étaient assez solides pour justifier le renvoi à l’arbitrage, notamment en raison de l’absence de témoins indépendants.

27 L’ARE a réellement tenté de communiquer avec les témoins suggérés. Ceux avec qui le défendeur a réussi à communiquer ont déclaré ne pas avoir été témoins de harcèlement. Aucune coordonnée n’a été donnée pour certains témoins.

28 Le défendeur a soutenu avoir agi de manière juste et raisonnable à la lumière de la jurisprudence et des circonstances particulières de l’affaire. La plaignante n’a pas démontré en quoi le défendeur avait manqué à son devoir de représentation équitable. La correspondance du défendeur à l’intention de la plaignante indique que la question a fait l’objet d’un examen sérieux et de bonne foi.

IV. Motifs

29 Le devoir de représentation équitable du défendeur découle de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la « LRTFP ») :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

30 La décision faisant autorité quant à l’interprétation de ce devoir est Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, où figure l’énoncé suivant sur le devoir de représentation équitable, à la page 527 :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

31 La LRTFP ne prévoit pas la représentation exclusive par un agent négociateur aux fins de la procédure de règlement des griefs; aux termes de l’article 208, tout employé peut déposer un grief relativement à une condition d’emploi. Toutefois, l’agent négociateur doit appuyer le renvoi à l’arbitrage si le grief concerne l’application ou l’interprétation d’une convention collective. Il en serait ainsi pour un grief en matière de harcèlement.

32 Le devoir de représentation équitable est reconnu depuis longtemps dans le contexte de la fonction publique fédérale. Les agents négociateurs négocient au nom des employés de leur unité de négociation et le devoir de représentation équitable ne se limite pas à la procédure de règlement des griefs. Il comprend également la représentation des intérêts de l’employé (Benoit c. Trimble, 2014 CRTFP 46, au paragr. 43, confirmée dans 2014 CAF 261).

33 Une plainte contre un agent négociateur en ce qui concerne le manquement à son devoir de représentation équitable vise uniquement les actions de l’agent négociateur alors qu’il représentait l’employé. La question à poser est la suivante : L’agent négociateur a-t-il agi d’une manière qui était discriminatoire, arbitraire ou entachée de mauvaise foi? Sous réserve d’une telle conclusion, la CRTEFP ne peut prendre aucune autre mesure et elle ne peut certainement pas rendre une décision relative au caractère valide du grief sous-jacent.

34 Depuis Gagnon, la CRTEFP et les autres commissions de travail ont rendu de nombreuses décisions relativement au devoir de représentation équitable. Le seuil pour établir un manquement à ce devoir est élevé et il est rare que le bien-fondé de telles plaintes soit démontré. Tel qu’il est énoncé dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128, au paragr. 38 :

[38] Les cas cités s’accordent avec le principe général qui se dégage de la jurisprudence sur le devoir de représentation équitable, à savoir qu’il faut accorder une très grande latitude aux agents négociateurs en matière de représentation. La barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire – ou discriminatoire ou de mauvaise foi – est placée très haut à dessein. J’ai examiné les faits allégués par le plaignant et je ne crois pas qu’ils puissent donner ouverture à un argument valable que la décision de l’AFPC de ne pas appuyer le plaignant a été prise de façon sommaire et superficielle. […]

35 Il a été fait droit aux plaintes dans les cas flagrants de mauvaise foi (Benoit), de conduite arbitraire pure et simple (Taylor c. Alliance de la Fonction publique Canada, 2015 CRTEFP 35 et Perron c. Syndicat des douanes et de l’immigration, 2013 CRTFP 13) ou de négligence grave menant à une conduite arbitraire (Jutras Otto c. Brossard et Kozubal, 2011 CRTFP 107).

36 En l’espèce, la plaignante allègue deux principaux indicateurs relativement à la mauvaise foi et aux actions arbitraires du défendeur, soit le retard indu à obtenir une réponse de l’employeur sans insister sur le respect des délais qui prévalent et l’omission de faire un suivi auprès des témoins. Au moment du dépôt de la plainte, aucune décision n’avait été prise quant au renvoi à l’arbitrage. Lorsque l’IPFPC a répondu à la plainte, l’ARE avait déjà formulé sa recommandation de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage. Par conséquent, en l’espèce, la recommandation a également été prise en compte pour déterminer comment le défendeur a traité avec la plaignante.

37 Étant donné le nombre d’affaires traitées par le défendeur, les attentes de la plaignante en ce qui concerne les délais pourraient être irréalistes. Dans Bahniuk c. Alliance de la fonction publique du Canada,2007 CRTFP 13, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a indiqué ce qui suit au paragr. 57 :

57 M. Bahniuk soulève une préoccupation dans ses divers courriels à propos de l’entente de l’agent négociateur avec l’employeur visant à prolonger les délais relatifs aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs. À son avis, cette prolongation a retardé ses griefs et représente un manquement à l’obligation de représentation équitable. Je comprends que le plaignant se soucie de ce que ses griefs se poursuivent en temps opportun. Toutefois, selon moi, il doit être reconnu que les prolongations des délais sont un aspect normal, voire nécessaire, des détails pratiques de la gestion des griefs. Assurément, un accord visant à prolonger des délais vaut mieux que de laisser des délais arriver à expiration, ce qui menace la validité du grief lui-même. Il y a sans aucun doute des situations où un retard excessif et contestable est causé par des prolongations de délai, mais ce n’est pas ce que la preuve indique en l’espèce.

38 La plaignante soulève une préoccupation quant au délai de janvier 2015 à juillet 2015 pour obtenir une réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été déposé pour la première fois en juin 2011 et il n’a été entendu au deuxième palier qu’en septembre 2014. La plaignante ne fait aucune mention de ce retard en tant qu’indication de représentation inéquitable.

39 Dans sa lettre de juillet 2015 concernant la décision définitive de l’employeur, où il recommande de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage, l’ARE semble laisser entendre que le grief était devenu moins urgent puisqu’il n’était plus question de trouver une mesure d’adaptation convenable, soit la demande initiale de la plaignante dans le grief. Le défendeur a effectivement appuyé le grief jusqu’au dernier palier. L’ARE est évidemment au courant de l’affaire; il en connaît les détails et les lacunes.

40 Étant donné le temps requis par la procédure de règlement des griefs (de 2011 à 2015) et étant donné la connaissance de l’ARE des faits et de la collaboration de Mme Nkwazi, je ne peux conclure que la patience dont a fait preuve le défendeur en attendant six mois pour obtenir la réponse définitive, plutôt que de demander une réponse plus tôt, peut être interprétée comme une indication de la mauvaise foi du défendeur ou de son caractère arbitraire ou discriminatoire.

41 La plaignante a également soulevé des préoccupations quant aux efforts de l’ARE dans le but de trouver des témoins aux actions supposément discriminatoires signalées dans le grief.

42 Compte tenu des efforts de l’ARE pour préparer le dossier de la plaignante (tel qu’il a été démontré, par exemple, dans le courriel du 16 octobre 2014 qui lui a été envoyé pour l’informer que d’autres témoins étaient nécessaires, sans quoi, il serait difficile de prouver les allégations) et étant donné qu’il a fait un suivi lorsqu’il a tenté de trouver les témoins, j’ai du mal à conclure qu’il a fait preuve de mauvaise foi en ce qui concerne la façon dont il a traité cette question.

43 La preuve appuie la prétention de l’ARE selon laquelle il a tenté de communiquer avec les témoins puisque, selon toutes les indications, il avait l’intention de poursuivre le grief au dernier palier. Son manque de succès à assurer la participation des témoins pour étayer le grief de Mme Nkwazi s’explique par le temps écoulé depuis les incidents visés par le grief, ce qui pourrait avoir eu une incidence sur les souvenirs des témoins potentiels en ce qui concerne les événements, la réticence possible de certains témoins à s’impliquer et l’incapacité de l’ARE à communiquer avec au moins deux de ces témoins parce que les coordonnées fournies par la plaignante étaient insuffisantes.

44 En fin de compte, l’ARE a décidé de recommander que le grief ne soit pas renvoyé à l’arbitrage parce qu’il reconnaissait ses lacunes. Cette décision n’était pas fondée sur la discrimination, la mauvaise foi ou un caractère arbitraire, mais plutôt sur l’évaluation d’une personne qui, selon les échanges de courriel, a fait de son mieux pour présenter le grief au dernier palier. La plaignante ne s’est pas opposée à la recommandation et elle n’a pas demandé au défendeur de l’examiner de nouveau.

45 La plaignante semble également laisser entendre que le défendeur n’est pas intervenu dans sa décision de prendre sa retraite. Toutefois, dans ses allégations, il n’est pas question d’une quelconque consultation avec le défendeur au sujet de sa retraite. Toute la correspondance figurant au dossier de retraite est entre la plaignante et l’employeur.

46 Dans ces circonstances, j’ai du mal à conclure que le défendeur a mal agi. Je ne peux conclure qu’il a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire. Il a présenté le grief au dernier palier et, malgré ses efforts consignés, il n’a pas réussi à trouver des témoins qui auraient été utiles au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et essentiels pour passer à l’étape de l’arbitrage.

47 La plainte de Mme Nkwazi doit être rejetée. Ses allégations, même si elles étaient véridiques, ne constituent pas un manquement au devoir de représentation équitable. Tel qu’elle l’a indiqué dans sa plainte, elle cherche une consécration pour les prétendus actes répréhensibles de son employeur. Elle a consacré une grande partie de sa plainte aux allégations de harcèlement et de discrimination de la part de l’employeur. Je ne suis pas saisie du grief et je ne peux le trancher ni prendre une décision quant à son bien-fondé.

48 Pour sa part, le défendeur m’a convaincu qu’il a fait de son mieux pour appuyer Mme Nkwazi dans le cadre de son grief contre l’employeur. Tel que l’indique l’ARE dans sa lettre du 24 juillet 2015 à l’intention de la plaignante, la question relative à la mesure d’adaptation est devenue moins urgente lorsque la plaignante a choisi de prendre sa retraite. Étant donné les pressions quotidiennes sur les ressources de l’agent négociateur, cela est compréhensible. La mesure d’adaptation ne constituait plus une préoccupation; les relations de travail n’étaient plus en jeu. Le grief de harcèlement, aussi réel qu’il l’était pour Mme Nkwazi, constituait une question dont le suivi était difficile pour plusieurs raisons : il y avait un manque de témoin, elle avait été absente du lieu de travail pendant cinq ans et son ancienne superviseure avait pris sa retraite et, par conséquent, elle n’avait aucune autorité à l’égard de la plaignante au moment de dépôt de son grief.

49 Il n’y a aucune raison de remettre en question la sincérité de la plaignante quant à la détresse qu’elle a indiqué avoir subie. Toutefois, la détermination d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée contre le défendeur ne consiste pas à trancher le grief sous-jacent. Au contraire, ma tâche consiste à déterminer si les allégations de la plaignante pourraient étayer un cas de représentation inéquitable contre le défendeur, faisant valoir qu’il a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Les renseignements présentés en l’espèce n’étayent pas une telle conclusion.

50 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

51 La plainte est rejetée.

Le 8 décembre 2015.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans
la fonction publique

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