Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La défenderesse a mis en suspens le grief visant le harcèlement de la plaignante – après une longue période, la plaignante a agi de son propre chef et a présenté un grief au troisième palier  – elle a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre la défenderesse, alléguant que cette dernière ne l’avait pas représentée lors de l’audience et qu’elle avait laissé entendre qu’elle la représenterait – la plaignante a allégué que la défenderesse n’a pas satisfait son devoir de représentation équitable en agissant de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi – la formation de la Commission a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour conclure que l’agent de relations de travail (ART) de la défenderesse avait agi de manière arbitraire, discriminatoire et que ses actes étaient de mauvaise foi – cependant, elle a jugé que l’ART avait agi de manière négligente – il aurait dû informer la plaignante dès la première occasion que son grief avait été mis en suspens – la plaignante n’aurait pas dû avoir à communiquer avec le superviseur de l’ART pour recevoir une explication relativement au délai dans le traitement de son grief et pour être informé des priorités de la défenderesse – de plus, l’ART aurait dû faire preuve de franchise à l’égard de la plaignante et lui indiquer qu’il ne se trouvait pas dans une situation, compte tenu de sa charge de travail et des priorités de la défenderesse, pour mener une vérification et une analyse de son grief en temps opportun – de plus, il n’aurait pas dû donner l’impression à la plaignante que la raison pour laquelle les dates provisoires d’audiences n’avaient pas été fixées incombait au Ministère – si elle avait été informée rapidement de tout cela, la plaignante aurait pu choisir plus tôt de donner suite à l’audience sans l’aide de la défenderesse, ou elle aurait pu être en mesure de prendre une décision éclairée relativement au fait de demeurer sur la liste d’attente en vue d’être représentée – quoi qu’il en soit, la formation de la Commission a confirmé que son rôle était de se prononcer sur le processus décisionnel de la défenderesse, et non sur le fond de sa décision – la formation a conclu que le fait que le grief de la plaignante ait été mis plus loin sur la liste d’attente était en raison du mode de tri de la défenderesse et ne constituait pas une preuve de conduite discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi de sa part. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150707
  • Dossier: 561-02-615
  • Référence: 2015 CRTEFP 61

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

VALRIE BAILEY

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Bailey c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Gary Stern, avocat
Pour la défenderesse:
Jacek Janczur, Alliance de la Fonction publique du Canada
Affaire entendue à Winnipeg, Manitoba
du 18 au 20 février 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Plainte devant la Commission

1 La plaignante, Valrie Bailey, a allégué que la défenderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, avait enfreint l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la « Loi »). Elle a allégué que la défenderesse n’avait pas assuré sa représentation à l’audience d’un grief au troisième palier d’un grief de harcèlement, qu’elle lui avait fait croire qu’elle serait représentée pour ce grief, qu’elle avait fait preuve de discrimination à son égard au motif qu’elle n’était plus un membre cotisant à son organisation, et qu’elle avait agi de façon arbitraire et discriminatoire à son égard. Elle a allégué que, dans ses rapports avec elle, la défenderesse avait omis d’agir de bonne foi.

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013

II. Résumé de la preuve

A. Pour la plaignante

3 La plaignante a témoigné qu’elle était une femme originaire de la Jamaïque âgée de 64 ans. Elle a commencé à travailler pour son employeur, Affaires indiennes et du Nord Canada, en 1982. À un certain moment après 2009, l’employeur est devenu Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, mais il sera désigné comme « AINC » aux fins de la présente décision. Pendant la période pertinente à la présente plainte, la plaignante était au service d’AINC et elle occupait un poste classifié CR-04 dans lequel elle traitait les paiements de transfert aux Premières Nations.

4 En 2009, la plaignante a déposé un grief dans lequel elle contestait le harcèlement, la discrimination et l’abus de pouvoir (le « grief de harcèlement »; pièce 28).

5 En 2011, la plaignante a été assujettie à un présumé départ à la retraite forcé et à une rétrogradation, qui devaient également faire l’objet d’un grief (le « grief de départ à la retraite »), même si elle n’a pas déposé de grief à ce sujet. Elle a supposé que ces questions seraient incluses dans son premier grief.

6 Une médiation entreprise relativement au grief de harcèlement a échoué et le grief a été rejeté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a ensuite été renvoyé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, ce qui a nécessité l’approbation du siège national de la défenderesse ainsi que sa représentation.

7 Raymond Brossard, un agent des relations de travail au service de la défenderesse, a été affecté à la représentation de la plaignante dans le cadre de son grief au dernier palier en 2011. La plaignante ne l’a jamais rencontré en personne. Elle ne lui a jamais parlé de l’audience de son grief au troisième palier ou à propos du dépôt du grief de départ à la retraite. Les seules communications qu’elle a eues avec lui se sont déroulées par courriel.

8 Le 20 janvier 2011, M. Brossard a envoyé un courriel à la plaignante pour l’informer qu’aucun dossier ne serait ouvert en son nom tant que la défenderesse n’aurait pas reçu tous les documents requis de la part des représentants de son agent négociateur local. M. Brossard a demandé que ces documents lui soient envoyés au plus tard à la fermeture des bureaux, le 28 janvier 2011 (pièce 4).

9 Le courriel a été envoyé à l’adresse courriel au travail de la plaignante. Elle se trouvait en Jamaïque à ce moment-là et elle n’a vu ce courriel qu’à son retour au travail, en mars 2011. Elle a immédiatement communiqué avec M. Brossard et lui a envoyé les renseignements demandés par courrier en mars 2011. Il a accusé réception des documents le 23 mars 2011 (pièce 5).

10 Selon la plaignante, en mars 2011, elle était toujours victime de harcèlement. On lui a offert une mutation d’une durée indéterminée à un poste classifié CR-03, avec date d’entrée en vigueur le 1er avril 2011, lequel elle a accepté le 28 mars 2011 (pièce 6). Selon elle, si elle n’avait pas choisi d’accepter la mutation, elle aurait été placée dans un couloir, sans ordinateur ni téléphone. Cette rétrogradation a donné lieu à une réduction importante de son salaire. Lorsqu’elle s’est plainte de la mutation au directeur des Ressources humaines d’AINC, dans la région du Manitoba, on a informé la plaignante qu’il n’y avait aucun autre endroit où la placer. Elle devait accepter un poste situé dans un espace de travail partagé ou prendre sa retraite. Il n’y avait pas d’autres choix. Plutôt que d’accepter la rétrogradation et d’être placée dans le couloir, elle a décidé de prendre sa retraite, malgré le fait qu’elle avait signé la lettre d’offre relative au poste classifié CR-03.

11 Le 4 avril 2011, la plaignante a informé M. Brossard par courriel qu’elle ne serait plus au service d’AINC, car on l’avait forcée à prendre sa retraite (pièce 7). Elle l’a informé qu’elle souhaitait donner suite à son grief de harcèlement au troisième palier, car elle estimait qu’on avait porté atteinte à ses droits de la personne, et que l’on continuait à y porter atteinte. Elle voulait de l’aide pour donner suite au grief de harcèlement. Elle n’a reçu aucune communication de M. Brossard ou de quiconque de la part du Syndicat des employées et employés nationaux (l’« élément constitutif ») de la défenderesse, au siège national de la défenderesse, pendant la période comprise entre le 23 mars 2011 et la fin avril 2011. Selon son témoignage, on l’a ignorée.

12 Le 1er mai 2011, la plaignante a une fois de plus envoyé un courriel à M. Brossard (pièce 8) pour lui poser des questions quant au statut de son grief. Entre le 1er mai 2011 et le 30 décembre 2011, elle n’a reçu aucune communication de M. Brossard ou de son bureau. Elle était convaincue qu’on l’ignorait. Lorsque son courriel à Doug Marshall, le président de l’élément constitutif (pièce 9) est demeuré sans réponse, elle en a conclu, en ses propres mots que [traduction] « même le grand patron » l’ignorait.

13 Le 24 janvier 2012, la plaignante a reçu un courriel de M. Brossard (pièce 10). Il l’a informé qu’un examen de son grief était nécessaire afin de déterminer où il s’inscrivait dans la liste des priorités des griefs. L’élément constitutif avait reçu un volume élevé de griefs en 2011. On devait accorder la priorité aux cas concernant un licenciement, une suspension et l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Il a poursuivi en l’informant que, jusqu’à ce que des dates provisoires soient fixées pour l’audience de son grief au troisième palier, celui-ci serait en suspens. Il a insisté sur le fait que cela ne signifiait pas que son grief était ignoré ou qu’il avait été égaré. La plaignante était contrariée par les commentaires de M. Brossard; elle ne comprenait pas pourquoi son grief ne constituait pas une priorité pour lui.

14 Entre le 25 janvier 2012 et le 29 mai 2012, la plaignante n’a pas reçu d’autre correspondance de M. Brossard ou de son bureau. Une fois encore, elle a eu l’impression qu’on l’ignorait.

15 Le 30 mai 2012, la plaignante a envoyé un courriel à M. Brossard (pièce 11). Elle voulait en savoir plus sur le statut des dossiers de son grief et sa position dans la liste d’attente des griefs. Cette fois, dans l’espoir, comme elle l’a exprimé [traduction] « d’allumer un feu » sous M. Brossard, elle a envoyé une copie conforme à son patron, Franco Picciano. Constatant qu’elle ne recevait aucune réponse, elle a envoyé un courriel directement à M. Picciano, le 15 juillet 2012 (pièce 12), dans lequel elle a demandé une mise à jour au plus tard le 20 juillet 2012, à défaut de quoi elle adresserait sa demande de renseignements directement à AINC.

16 M. Picciano a répondu à la plaignante le 15 juillet 2012. Il lui a répondu que la priorité de la défenderesse était les 16 000 membres de la défenderesse qui avaient reçu des avis de réaménagement des effectifs, dont 4 000 d’entre eux étaient des membres de l’élément constitutif. M. Picciano a demandé à M. Brossard de communiquer une mise à jour à la plaignante dès qu’il le pourrait (pièce 13). Selon la plaignante, elle n’était manifestement pas une priorité pour la défenderesse, même si elle avait été harcelée, rétrogradée et forcée à prendre sa retraite.

17 M. Brossard a répondu par courriel à la plaignante le 16 juillet 2012 (pièce 14) et lui a indiqué qu’elle avait utilisé une adresse de courriel inexacte pour lui écrire et qu’il n’avait pas reçu ses demandes de renseignements par courriel. C’était la raison pour laquelle elle n’avait reçu aucune mise à jour en six semaines. Il a confirmé que son dossier ne se trouvait pas actuellement sur la liste des griefs devant être entendus au dernier palier dans la région du Manitoba. Il en a conclu que c’était parce qu’elle n’était plus employée par AINC. Dans le seul but de s’assurer qu’il avait une copie de son grief, elle lui a renvoyé les documents le 30 juillet 2012 (pièce 15).

18 Entre le 30 juillet 2012 et le 8 septembre 2012, la plaignante n’a reçu aucune nouvelle de M. Brossard ou de l’élément constitutif. Elle a de nouveau fait un suivi le 9 septembre 2012 (pièce 16). Une fois de plus, M. Brossard l’a informée qu’il n’y avait eu aucun changement dans son cas (pièce 17).

19 M. Brossard a continué de l’ignorer et, le 15 novembre 2012, la plaignante a demandé à connaître de façon détaillée son plan pour donner suite à l’audience de son grief au troisième palier, et ce, au plus tard le 23 novembre 2012. Elle a indiqué que, s’il omettait d’y donner suite immédiatement en son nom, elle n’aurait d’autre choix que d’avoir recours à d’autres moyens, notamment en présentant une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») pour non-représentation (pièce 18).

20 La plaignante a attendu sa réponse jusqu’au 6 janvier 2013. Comme elle n’a pas eu de nouvelles, elle a informé MM. Brossard et Picciano qu’en raison de l’absence de réponse à ses demandes de renseignements, elle a conclu que la défenderesse refusait de la représenter dans la poursuite de son grief (pièce 19). Le problème est qu’elle ne pouvait pas y donner suite au troisième palier sans l’appui de la défenderesse.

21 Le jour suivant, le 7 janvier 2013, M. Brossard a répondu à la plaignante et lui a indiqué que son hypothèse était inexacte. Son dossier était toujours en suspens, en attente d’un examen complet et d’une analyse, et que cela demeurerait ainsi jusqu’à ce que d’autres dossiers plus pressants aient été réglés. Il a expliqué qu’il se concentrait sur le fait de sauver autant de postes que possible dans la fonction publique et que le réaménagement des effectifs, combiné à son horaire d’audiences de griefs, l’accablait (pièce 20).

22 C’était la première fois que la plaignante entendait que son grief était en suspens. Elle n’y avait jamais consenti. Quant à l’analyse, elle s’est demandé combien de temps il fallait à la défenderesse pour examiner et évaluer un dossier qui ne faisait que 60 pages.

23 Insatisfaite de la réponse de M. Brossard, la plaignante a communiqué avec AINC et a organisé elle-même la tenue d’une audience du grief au troisième palier. Elle a informé M. Brossard de la date du 8 février 2013 (pièce 21). Elle s’attendait à ce qu’il soit présent et qu’il la représente.

24 Le 11 février 2013, M. Brossard a accusé réception de son courriel du 8 février. Il l’a informée qu’il n’était pas disponible à la date prévue et qu’en organisant elle-même la tenue de l’audience au troisième palier, il supposait qu’elle avait l’intention de se représenter elle-même. Il lui a demandé de confirmer ses intentions (pièce 22). Si elle avait l’intention de se représenter elle-même à l’audience, M. Brossard le lui autorisait.

25 La plaignante a effectivement communiqué avec M. Brossard le 26 février 2013, en indiquant qu’il devrait transmettre ses coordonnées au représentant d’AINC pour qu’il puisse participer à l’audience de grief et la représenter (pièce 23).

26 Le 27 février 2012, M. Brossard a informé la plaignante que, étant donné qu’elle avait reçu l’approbation pour donner suite à son grief sans être représentée par la défenderesse, il n’avait aucune raison de participer à l’audience du 4 mars 2013. La mesure qu’elle avait prise en organisant la tenue de l’audience au troisième palier en dehors de la procédure normale de règlement des griefs a été interprétée comme une confirmation de son intention de se représenter elle-même et de donner suite à son grief (pièce 24).

27 La plaignante a témoigné en disant qu’en aucun moment elle n’a eu l’intention de se représenter elle-même. Le 28 février 2013, elle a communiqué avec M. Brossard par courriel et lui a posé la question suivante : [traduction] « Êtes-vous en train de me dire que vous ne me représenterez pas? » (pièce 25). Même si elle n’a pas reçu de réponse, elle croyait toujours qu’il participerait à l’audience du 4 mars 2013.

28 L’audience du grief au troisième palier a eu lieu au domicile de la plaignante. Aucun représentant de l’agent négociateur n’était présent. L’audience portait sur ses allégations de harcèlement et les questions liées à la rétrogradation, au départ à la retraite forcé et au licenciement. AINC a rejeté toutes les allégations.

29 En ce qui concerne le traitement de ses griefs, la plaignante a témoigné en disant qu’elle n’était pas en mesure de traiter avec les représentants de son agent négociateur local. M. Brossard était la seule personne avec laquelle elle pouvait traiter. Elle a attendu qu’il communique avec elle pour qu’elle puisse déposer un grief concernant son licenciement, mais il ne l’a jamais fait. Il n’a pas non plus traité le grief de harcèlement en temps opportun. Même si elle ne se trouvait plus dans le milieu de travail, il était important que l’on s’occupe de son grief de harcèlement. Il ne s’agissait pas que d’une question de principe; elle voulait également que son licenciement soit inclus dans le cadre des allégations de harcèlement. Selon elle, le licenciement était une continuation du harcèlement.

B. Pour la défenderesse

30 M. Brossard est un agent des relations de travail au service de la défenderesse depuis 2005. Il a été affecté à AINC ainsi qu’à d’autres portefeuilles. En 2011, il était responsable d’environ 5 000 membres et comptait environ 40 dossiers de grief actifs. Au moment de la présente audience, il comptait environ 133 dossiers de grief actifs.

31 Le grief de la plaignante (pièce 28) a été porté à l’attention de M. Brossard en janvier 2011. Après l’avoir reçu, il a envoyé un courriel au représentant local pour demander des détails et il a constaté des incohérences dans le formulaire de transmission. La demande de renseignements supplémentaires (pièce 4) envoyée à la plaignante le 20 janvier 2011 était en réponse à une télécopie des formulaires de grief envoyée le 14 janvier 2011. Dans ce courriel, M. Brossard a fourni un résumé de ce qu’il savait à propos de la situation. Il a dressé la liste des documents dont il avait besoin pour donner suite au grief. Pour ouvrir un dossier au troisième palier, il avait besoin du formulaire de grief, de tous les formulaires de transmission, d’un renvoi au dernier palier, de tous les documents à l’appui du grief, de la fiche de renseignements du délégué et des réponses de l’employeur à tous les paliers. Il n’avait reçu aucun de ces documents, même s’il avait reçu le rapport du délégué et une copie du rapport d’enquête sur le harcèlement.

32 Dès son retour de la Jamaïque, la plaignante a transmis à M. Brossard environ 60 pages de documents. Cependant, il avait toujours besoin de quelque chose pour appuyer ses allégations, par exemple, des courriels entre elles et les personnes qui, selon ses allégations, la harcelaient.

33 M. Brossard n’a pas procédé à un examen des documents fournis à ce moment, car il était occupé avec d’autres dossiers. Il lui aurait fallu quelques jours pour examiner le dossier de façon appropriée et assurer un suivi avec la plaignante. Il a demandé à AINC de mettre le dossier en suspens pour lui donner le temps de le faire. Si le harcèlement présumé et le départ à la retraite forcé présumé étaient liés, il aurait été en mesure de faire cette détermination dans le cadre de son examen du dossier. Lorsque la plaignante a envoyé des courriels de suivi, M. Brossard n’a pas toujours répondu immédiatement, car le dossier était en suspens et il n’y avait aucune urgence de répondre. Cependant, il a éventuellement répondu.

34 Le Plan d’action pour la réduction du déficit (PARD) du gouvernement fédéral a eu d’énormes répercussions sur la charge de travail de M. Brossard. Il était tenu de s’asseoir avec tous les ministères dans son portefeuille et de déterminer le nombre d’employés touchés par le réaménagement des effectifs. Le but de ce projet était de sauver environ 16 000 emplois au sein de l’unité de négociation.

35 En 2012, les noms des personnes touchées par le réaménagement des effectifs ont été identifiés. À partir de ce moment-là, le rôle de M. Brossard s’est accru et est devenu plus exigeant. Son rôle consistait à s’assurer que, si un poste était déclaré touché, le ministère démontre que le poste était éliminé ou qu’il n’y avait pas suffisamment de travail.

36 En dépit du fait qu’il était occupé par le réaménagement des effectifs, M. Brossard était en contact avec AINC au sujet du grief de la plaignante. Le 22 mars 2011, il a confirmé auprès d’un représentant des relations de travail d’AINC que le grief de la plaignante devrait être tenu en suspens. Il devait informer les relations de travail ministérielles d’AINC lorsqu’il serait prêt à préparer la tenue de l’audience du grief au troisième palier. Le 14 janvier 2011, il a initialement informé AINC que la défenderesse n’était pas prête à donner suite à l’audience du grief de la plaignante, car il n’avait pas reçu tous les renseignements en provenance de la région.

37 Il n’existe aucun délai précis à l’intérieur duquel un grief en suspens doit être entendu. Le fait de mettre son grief en suspens n’avait aucune incidence sur les droits de la plaignante. On ne lui a pas demandé si elle acceptait que son grief soit mis en suspens. Ce n’était pas nécessaire; cette décision revenait à M. Brossard.

38 Le 23 mars 2011, la plaignante a informé M. Brossard (pièce 7) qu’elle n’avait plus d’emploi et qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite. Malgré cela, elle a souligné qu’elle souhaitait donner suite à son grief de harcèlement. Son seul grief était le grief de harcèlement, qui n’avait aucun lien avec la question de son départ à la retraite. À aucun autre moment, elle n’a indiqué qu’elle souhaitait donner suite au grief de départ à la retraite. Le fait d’être à la retraite n’avait aucune incidence sur la façon dont son grief était traité. M. Brossard n’a reçu aucun document de sa part ou de la part des représentants locaux de la défenderesse selon lequel elle contestait son départ à la retraite.

39 Le siège national de la défenderesse classe tous les griefs par ordre de priorité. Les griefs portant sur un licenciement, une mesure disciplinaire et les questions liées aux mesures d’adaptation ont priorité. Ceux portant sur des contraventions à la convention collective sont placés sur une liste d’attente. Étant donné que le grief de la plaignante ne portait pas sur une mesure disciplinaire ou des questions liées à des mesures d’adaptation, une analyse du dossier était requise pour déterminer ce qui devait être fait. Une autre question liée à la détermination de la priorité de son grief était qu’elle était à la retraite et qu’elle ne se trouvait plus dans le milieu de travail.

40 La plaignante a allégué que de longues périodes se sont écoulées pendant lesquelles elle n’a eu aucune nouvelle de M. Brossard. Elle a prétendu qu’elle lui avait envoyé des courriels auxquels il n’a pas répondu. Les courriels auxquels M. Brossard n’a pas répondu avaient été envoyés par la plaignante à une adresse courriel inexacte. M. Brossard ne les a pas reçus. Elle a reçu une réponse pour les autres demandes de mises à jour. À un certain moment, elle a attendu six semaines pour recevoir une réponse de M. Brossard à l’une de ces demandes de renseignements, ce qui, selon lui, n’a rien d’inhabituel compte tenu de son horaire.

41 La plaignante a été informée que son grief était en suspens pour la première fois le 7 janvier 2013. Comme elle n’y avait pas consenti, une fois qu’elle a été informée qu’elle avait la possibilité de donner suite à son grief en se représentant elle-même, elle a pris l’initiative de communiquer directement avec la Direction générale des relations de travail d’AINC dans le but d’organiser la tenue d’une audience du grief au troisième palier. Elle a tenté d’obtenir une date d’audience et elle y est parvenue. Elle en a donc informé M. Brossard. En traitant avec Pascal Arcand, d’AINC, pour organiser la tenue d’une audience, elle lui a indiqué qu’elle se représenterait elle-même et que la défenderesse n’était plus responsable du dossier. Dans un courriel qu’elle lui a envoyé, elle a clairement indiqué qu’elle n’avait eu d’autre choix que de continuer en se représentant elle-même (voir les courriels aux pièces 31 et 32).

42 Malgré le fait que la plaignante ait entrepris de se représenter elle-même, M. Brossard a confirmé que les questions étaient tenues en suspens dans l’attente d’une analyse et d’un examen complet; la défenderesse n’a jamais indiqué qu’elle refusait de représenter la plaignante (voir son courriel du 7 janvier 2013, envoyé à 6 h 50; pièce 31).

43 Malgré le fait qu’elle avait été informée que sa décision de se représenter elle-même signifiait que la défenderesse ne participerait pas à l’audience, la plaignante a choisi d’organiser la tenue de l’audience de son grief au troisième palier. Elle n’a pas informé M. Brossard de la date et de l’heure (voir le courriel à la pièce 21). En aucun moment, elle ne lui a indiqué qu’elle s’attendait à ce qu’il soit présent et qu’il la représente. En fait, il a indiqué que la défenderesse n’a vu aucune exigence relative à sa présence ou à sa participation, étant donné que la plaignante avait mentionné son intention de se représenter elle-même. Il n’a pas indiqué qu’il n’était pas disponible à la date qu’elle avait prévue pour l’audience du grief au troisième palier en raison d’un conflit d’horaire. M. Brossard a également parlé à M. Arcand, qui lui a conseillé que, étant donné le fait que la plaignante avait choisi de se représenter elle-même, il n’était pas nécessaire qu’un représentant de la défenderesse soit présent à la rencontre qu’elle avait organisée avec l’employeur, et c’est pourquoi il ne s’est pas présenté.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

44 Les documents parlent d’eux-mêmes. Il n’est pas contesté que le répondant n’a pas représenté la plaignante à l’audience de son grief au troisième palier à propos du harcèlement présumé et son départ à la retraite forcé. La plaignante est honnête et crédible, ce qui n’est pas le cas de la défenderesse. La défenderesse a prétendu avoir examiné son dossier, mais elle n’avait pas le dossier complet. Elle avait suffisamment de renseignements disponibles pour lui permettre d’examiner et d’évaluer ce qui se trouvait dans le dossier, ce qui est exactement ce que M. Brossard a éventuellement fait (pièce 24). Pour arriver à la conclusion que le dossier n’était pas admissible à l’arbitrage, il devait l’avoir examiné. Le dossier comprenait environ 60 pages de documents. Cette quantité de documents n’aurait pas dû prendre deux jours à examiner et à analyser. En termes simples, M. Brossard n’a pas été en mesure de trouver le temps dans son horaire surchargé pour s’occuper des besoins de la plaignante.

45 Il n’y avait aucune raison d’appuyer la conclusion de M. Brossard, dans son courriel du 27 février 2013 à la plaignante (pièce 24), selon laquelle les questions n’étaient pas admissibles à l’arbitrage. Le courriel n’était qu’une façade pour créer un argument crédible selon lequel elle avait choisi de se représenter elle-même en donnant suite à sa demande contre son employeur par elle-même.

46 La plaignante a le droit en tant que membre de l’unité de négociation de déposer un grief et que celui-ci soit entendu en temps opportun. Au cours d’une période de deux ans, la défenderesse n’a rien fait pour faire avancer son dossier. Elle a tenté de justifier son inaction en faisant valoir que le réaménagement des effectifs en cours à ce moment était sa priorité et que cela occupait tout son effectif.

47 La défenderesse n’a fait aucun effort pour établir un lien entre le départ à la retraite forcé d’AINC de la plaignante et le grief de harcèlement. De nombreuses pièces ont été présentées dans lesquelles la plaignante a demandé une mise à jour sur les efforts de la défenderesse à son égard; aucune mise à jour ne lui a été présentée. Elle avait le droit de connaître l’état de ses griefs en temps opportun. Pour recevoir une réponse de M. Brossard, elle a dû communiquer avec le patron de celui-ci.

48 En termes simples, M. Brossard n’a pas fait son travail. Il n’a pas représenté la plaignante ou n’a pas agi dans le meilleur de ses intérêts. Le fait qu’il ait mis son dossier en suspens sans son consentement et sans l’en informer laisse perplexe, étant donné que la défenderesse a l’obligation de représenter ses membres. Au lieu de cela, M. Brossard a donné à la plaignante des réponses fausses ou trompeuses en déclarant qu’il examinait et évaluait son dossier. Il n’était pas au courant de son courriel à l’employeur l’informant qu’elle se représenterait elle-même (pièce 32) et, par conséquent, ce ne pouvait être, en partie, la raison pour laquelle il n’a pas participé à l’audience du grief au troisième palier qu’elle avait organisée.

49 Malgré son courriel indiquant qu’elle se représentait elle-même, la plaignante s’attendait pleinement à ce que M. Brossard participe à la rencontre et qu’il la représente. C’est la raison pour laquelle elle l’a informé de la date. Lorsqu’il a été informé qu’elle avait organisé la tenue de l’audience par elle-même, il n’était pas trop tard pour qu’il intervienne, qu’il prenne les choses en main et qu’il prévoie une date d’audience où il était disponible. Sa preuve n’a pas satisfait l’[traduction] « épreuve olfactive ». Il a tenté de justifier son inactivité en jetant le blâme sur la plaignante pour avoir pris les choses en main.

50 Le critère lié à un manquement à l’obligation de représentation équitable est présenté dans Jutras Otto c. Brossard et Kozubal, 2011 CRTFP 107, au paragr. 54 (Jutras Otto no 1). Pour contrevenir à l’obligation de représentation équitable, la conduite de l’agent négociateur doit être arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

51 Dans cette affaire, la défenderesse a agi de façon arbitraire en omettant d’examiner le dossier de la plaignante, en omettant de répondre à ses courriels, en omettant d’analyser les documents qu’elle a fournis et en mettant le dossier en suspens. Elle aurait dû enquêter sur ses allégations de départ à la retraite forcé et son lien avec son grief de harcèlement, cependant, elle n’a rien fait. Le traitement arbitraire de M. Brossard à l’égard du dossier de la plaignante équivalait à une négligence grave.

52 Le fait que la défenderesse accorde la priorité aux griefs concernant un licenciement, une mesure disciplinaire et des mesures d’adaptation dans son tri des griefs est une preuve du traitement discriminatoire dont la plaignante a fait l’objet. Pendant 22 mois, rien n’a été fait dans son dossier, pas même une évaluation. Le fait de favoriser un groupe de griefs par rapport à un autre est un acte discriminatoire.

53 En convenant avec AINC de mettre le dossier de la plaignante en suspens et en omettant de l’informer avant 2013, M. Brossard a agi de mauvaise foi. Selon ses observations, il a examiné le dossier et il allait organiser la tenue d’une audience, même si, pendant tout ce temps, il savait que le dossier était en suspens. Il ne s’est pas conduit honnêtement avec la plaignante.

54 La plaignante cherche à obtenir une ordonnance de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « CRTEFP ») en vue de proroger le délai pour déposer le grief de départ à la retraite et que son grief de harcèlement fasse l’objet d’une nouvelle audience, après quoi les questions devraient être renvoyées à l’arbitrage. On devrait ordonner à la défenderesse d’obtenir le consentement de l’employé et, si le consentement n’est pas accordé, on devrait ordonner à la défenderesse de demander une prorogation des délais pour déposer le grief de harcèlement à la CRTEFP. Elle a demandé que sa demande de prorogation du délai pour déposer son grief de licenciement soit accordée, car il ne satisfait pas aux paramètres de l’article 190 de la Loi. Ces mesures de réparation sont conformes à celles que l’ancienne Commission a accordées dans Jutras Otto c. Brossard et Kozubal, 2012 CRTFP 15 (Jutras Otto no 2).

B. Pour la défenderesse

55 Le vrai critère relativement à un défaut de respecter l’obligation de représentation équitable a été établi par la Cour suprême du Canada dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39. L’ancienne Commission l’a adopté dans Jutras Otto no 1 et dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95. Dans Jutras Otto no 1 et dans Ménard, il n’a pas été conclu que la défenderesse avait commis un acte discriminatoire ou de mauvaise foi. La défenderesse a fait valoir que la question dans ces deux affaires consistait à savoir si le temps écoulé avant de traiter un grief avait été arbitraire. La défenderesse a également fait valoir que, dans son application du critère dans Noël, l’ancienne Commission avait déterminé que ce ne l’était pas.

56 Il incombe à la plaignante d’établir qu’un agent négociateur a omis de respecter son obligation de représentation équitable (voir Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, au paragr. 31). Le rôle de la CRTEFP consiste à trancher le processus de prise de décisions de l’agent négociateur et non le bien-fondé de ses décisions (voir Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au paragr. 17).

57 La plaignante ne s’est pas acquittée de ce fardeau. L’employeur a tenté de régler le grief de harcèlement. Devant son échec, les allégations de harcèlement de la plaignante ont fait l’objet d’une enquête. Elle n’a pas demandé à la défenderesse de l’aider pendant le processus d’enquête, même si elle l’a aidée pendant la médiation. Lorsque son grief est arrivé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, M. Brossard a été affecté à son traitement à partir du siège national de la défenderesse.

58 À partir du 23 janvier 2011, il était la seule personne autorisée à organiser la tenue d’une audience au troisième palier concernant la défenderesse, car AINC faisait partie du portefeuille des employeurs avec qui il traitait. Peu de temps après avoir reçu le dossier des représentants locaux, il a écrit à la plaignante et lui a demandé plus de renseignements (pièce 4). Plus particulièrement, il a demandé tous les renseignements à l’appui des allégations, pas seulement une liste des allégations. Elle a témoigné n’avoir jamais fourni ces documents. Son cas était complexe; il exigeait une analyse afin de le préparer et de le présenter de façon efficace.

59 Les actes de discrimination et de harcèlement sont fondamentalement difficiles à prouver et les employés de la défenderesse, comme M. Brossard, doivent y consacrer beaucoup de temps. Pendant la période pertinente, il avait une charge de travail très lourde, occasionnée par la mise en disponibilité imminente de milliers de membres de la défenderesse en raison du PARD.

60 Avec le recul, il est impossible de savoir ce qui se serait produit si la plaignante n’avait pas pris sa retraite en 2011. Le fait qu’elle ait quitté son emploi constitue l’incident critique. Dans la priorité des dossiers de grief, si elle était demeurée au service de l’employeur, son dossier aurait été plus haut sur la liste d’attente. Étant donné qu’elle n’était plus dans le lieu de travail, elle n’était plus victime de harcèlement, ce qui est exactement ce qu’elle demandait dans son grief (pièce 28). La défenderesse a fait valoir que, même si le grief avait été accueilli, l’employeur n’aurait eu aucune réparation à lui offrir, puisqu’elle ne se trouvait plus au lieu de travail.

61 Dans son grief, la plaignante n’a jamais mentionné qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite; elle n’a pas non plus déposé un deuxième grief alléguant qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite. La plainte qui a été déposée (pièce 1) ne fait aucune mention de l’allégation selon laquelle la défenderesse a refusé de traiter le grief de départ à la retraite. Le seul grief dont il est question est le grief de harcèlement. Le fait que la plaignante ignorait qu’elle devait s’adresser à son représentant local pour déposer un grief de licenciement n’a aucun sens. Elle connaissait manifestement le processus lorsqu’elle s’est adressée aux représentants locaux pour déposer un grief de harcèlement. Lorsqu’elle a allégué qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite, elle ne faisait qu’informer M. Brossard qu’elle n’était plus dans le lieu de travail, mais qu’elle voulait toujours que l’on donne suite à son grief de harcèlement. Elle ne lui a pas dit de déposer le grief de départ à la retraite. Les employés entreprennent des griefs individuels. Un agent négociateur n’oblige pas un employé à déposer un grief.

62 Aucun élément de preuve n’a été présenté à la CRTEFP voulant que la plaignante ait été forcée de prendre sa retraite. Le document de la paie déposé en tant que pièce 27 indiquait qu’elle avait pris sa retraite en raison d’un réaménagement des effectifs. Son allégation selon laquelle elle a accepté un poste classifié CR-03 contre son gré et sous la menace d’un licenciement n’est pas crédible. Dans le document de la paie, elle ne fait aucune mention de contrainte, de mesure coercitive ou de désaccord. Son témoignage était vague, incohérent et allait dans tous les sens. Il est impossible de tirer la conclusion que son départ à la retraite était une question litigieuse.

63 Même si la CRTEFP arrivait à la conclusion que la plaignante avait demandé le dépôt du grief de départ à la retraite et que la défenderesse avait effectivement omis de le déposer, cela modifierait le motif de la plainte et, par conséquent, la règle dans Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), s’appliquerait. La plaignante ne pouvait pas modifier les motifs de sa plainte à l’audience.

64 L’argument de la plaignante selon lequel le grief de départ à la retraite était un prolongement du grief de harcèlement est également sans fondement. Lorsqu’il est question de griefs continus, la question se rapporte aux délais, et non à l’ajout de questions à un grief actuel.

65 Lorsqu’il entreprend de représenter un employé, l’agent négociateur doit le faire de bonne foi, sans négligence grave et sans hostilité envers l’employé. Le pouvoir discrétionnaire de l’agent négociateur doit être exercé de bonne foi, après un examen approfondi du cas et après avoir réfléchi à toutes les considérations pertinentes, en tenant compte de l’importance du grief et de sa conséquence pour les intérêts légitimes de l’employé et de l’agent négociateur, ainsi que des motifs appropriés seulement (voir Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79, au paragr. 126). En l’espèce, il n’y a aucun doute que la plaignante voulait que son grief soit entendu, mais son souhait devait être examiné conjointement avec la charge de travail de M. Brossard, les documents envoyés ou non, selon le cas, et le statut du grief de la plaignante, qui était en suspens.

66 M. Picciano a indiqué à la plaignante que la charge de travail de M. Brossard était accablante (pièce 13) en raison du réaménagement des effectifs auquel étaient confrontés les ministères à ce moment. En 2011 et en 2012, le PARD était mis en œuvre et le réaménagement des effectifs accaparait l’essentiel des ressources de la défenderesse. La gestion du dossier par M. Brossard n’était pas discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi.

67 La défenderesse n’a pas refusé de représenter la plaignante, mais l’a informée que si elle avait l’intention d’être représentée, elle devrait attendre. Le simple fait de lui demander si elle avait l’intention d’aller de l’avant et de se représenter elle-même ne constituait pas un refus de la représenter.

68 Il aurait pu y avoir une plus grande communication, mais même cela ne constitue pas un manquement à l’obligation de représenter. Les communications entre M. Brossard et la plaignante n’ont pas abouti dans le vide total (voir les courriels dans les pièces 4, 5, 10, 14 et 22). Le processus utilisé pour trier les griefs est uniforme à l’échelle de l’élément constitutif. Les employés de la défenderesse qui utilisent ce processus de triage n’agissent pas de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

69 Il s’est peut-être écoulé plus de temps que l’aurait souhaité la plaignante pour que son grief avance dans la liste d’attente. Idéalement, il aurait avancé plus rapidement; cependant, d’autres priorités sont survenues et celles-ci n’étaient pas arbitraires ou ne dépendaient pas de la volonté de la défenderesse. La défenderesse a pris la mesure appropriée afin de protéger le grief de la plaignante en le mettant en suspens, ce qui a suspendu les délais et protégé son droit que son grief soit entendu. Il s’agit d’une option offerte aux parties par consentement mutuel, conformément à la convention collective (pièce 30).

70 Le fait que la plaignante ait été en mesure d’organiser la tenue d’une audience de grief au troisième palier montre de façon évidente qu’il n’y a pas eu d’incidence sur le grief de cette dernière du fait d’avoir été mis en suspens. Même si elle n’avait pas décidé de se représenter elle-même, éventuellement, son grief aurait été entendu au troisième palier. Le défaut de l’informer que la défenderesse s’était entendue avec l’employeur pour mettre son dossier en suspens n’équivalait pas à un manquement à l’obligation de représentation équitable.

C. Réfutation de la plaignante

71 Selon Savoury, au moment d’évaluer si un agent négociateur a omis de respecter son obligation de représentation équitable, un arbitre de grief doit examiner la gravité du grief ainsi que le temps qu’il a fallu pour le régler.

72 Dans cette affaire, M. Brossard n’a pris aucune mesure à l’égard du dossier de la plaignante entre janvier 2011 et janvier 2013. S’il avait besoin de renseignements supplémentaires concernant son grief, il avait accès à d’autres moyens pour les obtenir que d’attendre qu’elle les lui fournisse. Puisqu’il la représentait, il avait une obligation d’enquêter, y compris lorsqu’elle a allégué qu’elle avait été forcée de prendre sa retraite. En termes simples, M. Brossard n’a pas pris son dossier au sérieux. Il aurait dû effectuer un suivi auprès d’elle en ce qui a trait à son allégation selon laquelle elle a été forcée de prendre sa retraite. Il aurait dû prévoir qu’elle voulait que cette allégation soit également traitée.

73 En organisant par elle-même la tenue de l’audience de son grief au troisième palier, elle ne faisait que sauter la file d’attente. Malgré l’observation de l’employeur selon laquelle elle se représentait elle-même, elle attendait toujours de la défenderesse qu’elle la représente à l’audience. Elle a été induite en erreur lorsqu’on lui a indiqué qu’elle pouvait donner suite à son grief par elle-même, puisqu’il n’était pas admissible à l’arbitrage. Si M. Brossard avait réellement eu l’intention de la représenter, il aurait pu retarder l’audience au troisième palier prévue lorsqu’il en a été informé et qu’il avait déterminé qu’il n’allait pas pouvoir y participer. Le fait de donner à la plaignante l’option de se représenter elle-même était l’équivalent de ne pas la représenter. Il l’a induit en erreur.

74 M. Brossard a fait valoir qu’il n’y avait aucun désavantage au fait que le dossier de la plaignante soit mis en suspens, mais cela avait une incidence sur elle. Elle était dans l’attente de l’audience de son grief au troisième palier.

IV. Motifs

75 En termes simples, il s’agit d’une affaire où la plaignante était insatisfaite du temps qu’il a fallu à la défenderesse pour traiter son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Elle était insatisfaite de la place qu’elle occupait dans la liste d’attente des griefs de la défenderesse et elle a pris les choses en main et a organisé elle-même la tenue de l’audience. Les résultats de son geste d’avoir pris les choses en main n’ont pas été ceux qu’elle espérait; elle a donc cherché une autre façon de faire bouger les choses en s’attaquant au traitement de son grief par la défenderesse devant cette tribune. La défenderesse, d’autre part, voudrait qu’elle soit prise à son propre piège; elle doit assumer les conséquences d’avoir entrepris de se représenter elle-même plutôt que d’attendre le temps requis pendant que son grief était sur la liste d’attente.

76 La plaignante a fait valoir qu’elle ne s’était représentée elle-même que dans le cadre du processus d’organisation de l’audience, toutefois, dans son courriel à l’employeur (pièce 32), elle a clairement indiqué son intention de se représenter elle-même et de donner suite à l’audience au troisième palier, comme suit :

[Traduction]

Veuillez trouver ci-joint les copies d’un grief présenté à la direction, AADNC (AINC), région du Manitoba, aux environs du 28 octobre 2009.

Vous trouverez également ci-joint les allégations et les transmissions.

Il s’est écoulé un temps considérable depuis que ce grief a été renvoyé au troisième palier. Jusqu’à présent, plusieurs tentatives en vue d’inciter le représentant du Syndicat à proposer une date pour faire avancer le grief en vue de la tenue d’une audience au troisième palier se sont avérées improductives. En dépit de cela, la nature des griefs n’exige pas l’appui du Syndicat, en conséquence, je vous informe que je n’ai d’autre choix que d’y donner suite à ce moment en me représentant moi-même. Je demande donc la tenue d’une audience au troisième palier dans les meilleurs délais.

Vous pouvez communiquer avec moi au numéro de téléphone indiqué ci-dessous ou répondre au présent courriel.

Je vous remercie.

Respectueusement soumis.

Valrie Bailey

[Le numéro de téléphone a été caviardé]

77 À ce stade, malgré le fait que la plaignante ait informé M. Brossard des dates, elle avait manifestement assumé la responsabilité relative à son dossier de grief. Le simple fait de communiquer les dates à M. Brossard et de s’attendre à ce qu’il soit présent à l’audience, notamment alors qu’il lui avait déjà indiqué que son grief serait traité conformément à la liste des priorités établies de la défenderesse, n’est pas l’équivalent de lui demander de la représenter et qu’il refuse.

78 Même si l’approche passive de M. Brossard relativement à la communication avec la plaignante laisse beaucoup à désirer et lui a causé beaucoup d’anxiété, cela n’équivaut pas à un défaut de respecter l’obligation de représentation équitable. La défenderesse avait clairement établi une liste de priorités à l’égard desquelles les griefs ont été évalués et placés dans la file d’attente. Comme l’a souligné la Commission dans Perron c. Syndicat des douanes et de l’immigration, 2013 CRTFP 13, au paragr. 25, « rien n’empêche un syndicat de prioriser l’ordre utilisé pour faire la représentation des griefs pourvu que cet ordre soit basé sur des critères qui ne sont pas arbitraires ou discriminatoires ». De plus, l’administration des griefs est seulement l’une des nombreuses obligations d’un agent négociateur qui est priorisée. Entre 2011 et 2013, la priorité de la défenderesse était le réaménagement des effectifs, lequel touchait environ 16 000 de ses membres. Le gestionnaire de M. Brossard l’a confirmé comme suit dans sa correspondance par courriel à la plaignante, qui a demandé son intervention (pièce 13) :

[Traduction]

Bonjour Val,

Comme vous pouvez le comprendre, la priorité a été le RE. Plus de 16 000 membres de l’AFPC ont reçu des avis aux employés touchés – environ 4 000 membres du SEN.

Je demanderai à Ray de vous présenter une mise à jour, au moyen de ce courriel, dès qu’il a un moment. Cependant, je peux vous dire qu’il travaille les fins de semaine pour être en mesure de gérer sa charge de travail.

Je vous remercie de votre patience continue.

79 Ce n’est pas le rôle de la CRTEFP d’évaluer la validité des priorités de la défenderesse et la façon dont elle a choisi de les traiter. Le « rôle de la Commission est plutôt de statuer si les défendeurs ont agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel en lien avec la question de la représentation » (voir Jutras Otto no 1, au paragr. 61). Selon Savoury, au paragr. 127 :

127 En fin de compte, la décision que prend un syndicat à l’égard de la représentation de ses membres ne sera pas perturbée en l’absence d‘éléments de mauvaise foi ou de comportement arbitraire, capricieux ou discriminatoire ou abusif pour autant que le syndicat ait satisfait aux critères précités.

80 Les critères auxquels l’arbitre de grief a fait référence sont ceux désignés comme étant le critère pour déterminer l’existence d’un manquement à l’obligation de représentation équitable établi dans Noël et adopté par l’ancienne Commission dans Jutras Otto no 1 et Ménard.

81 Il incombait à la plaignante d’établir que la défenderesse s’était comportée d’une façon qui équivalait à de la mauvaise foi ou que les actions de M. Brossard en sa qualité de représentant étaient arbitraires, capricieuses, discriminatoires ou abusives. C’est ce que l’ancienne Commission a affirmé dans Ouellet, au paragr. 31, comme suit :

Dans une plainte fondée sur l’article 187, c’est le fonctionnaire qui a le fardeau de présenter des faits suffisants pour établir que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable.

82 Dans des procédures devant la CRTEFP, la norme de la preuve est la norme civile. La question à trancher devient alors celle de savoir si la plaignante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse a omis de respecter son obligation de représentation équitable envers elle. Le témoignage et la preuve documentaire présentée établissaient qu’elle était insatisfaite de la place qu’elle occupait dans la liste d’attente des griefs et qu’elle souhaitait que son grief soit traité d’une façon plus expéditive. À cette fin, elle a retiré le dossier des mains de la défenderesse et y a donné suite par elle-même, comme elle en avait le droit, compte tenu de la nature du grief.

83 La preuve selon laquelle M. Brossard a agi d’une façon capricieuse, discriminatoire ou abusive est insuffisante. La preuve a établi qu’il était très occupé et qu’il ne considérait pas qu’un grief en suspens était une priorité. Cependant, les mesures qu’il a prises étaient négligentes. Il aurait dû informer la plaignante dès la première occasion que son grief avait été mis en suspens. Elle n’aurait pas dû avoir à s’adresser à son superviseur pour recevoir une explication relativement au délai dans le traitement de son grief et pour être informée des priorités de la défenderesse. En outre, M. Brossard aurait dû faire preuve de franchise envers la plaignante et lui indiquer qu’il ne se trouvait pas dans une situation, compte tenu de sa charge de travail et des priorités indiquées ci-dessus, pour mener une vérification et une analyse complètes de son grief pendant un temps considérable. Qui plus est, il n’aurait pas dû donner l’impression à la plaignante que la raison pour laquelle des dates provisoires pour l’audience n’avaient pas été fixées incombait à AINC. Il aurait pu, et il aurait dû, communiquer tous ces renseignements à la plaignante d’une façon plus sensible et en temps opportun. S’il l’avait fait, la plaignante aurait peut-être choisi plus tôt de donner suite à l’audience de son grief au troisième palier sans l’aide de la défenderesse, ou elle aurait peut-être été en mesure de prendre une décision éclairée quant à savoir si elle allait attendre qu’il la représente. Néanmoins, je ne suis pas convaincue que, dans sa représentation de la plaignante, la défenderesse a agi d’une façon qui était arbitraire, discriminatoire, gravement négligente ou de mauvaise foi, au sens conféré à ces concepts dans Noël.

84 L’avocat de la plaignante a fait valoir que la gestion arbitraire de son dossier par M. Brossard et que son défaut de traiter son grief de harcèlement en temps opportun et d’inclure un grief lié à un départ à la retraite forcé présumé comme preuve de harcèlement continu dont elle était victime équivalaient à une grave négligence dans le traitement de son dossier. Bien que j’aie trouvé que ses actions étaient négligentes, la preuve à l’appui de cet argument est insuffisante.

85 Le rôle de la CRTEFP est de prendre une décision relativement au processus de prise de décisions de l’agent négociateur et non sur le fondement de sa décision, comme il est indiqué dans Halfacree, au paragr. 17 :

17. La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision. Pour que la Commission intervienne, un plaignant doit d’abord, à tout le moins, établir qu’il y a eu une violation de l’article 187 de la Loi.

86 Dans cette affaire, le processus de prise de décisions de la défenderesse a fait en sorte que le grief de harcèlement de la plaignante a été trié et mis dans une liste d’attente. Le dossier a été tenu en suspens jusqu’au moment où les parties pouvaient le traiter par entente mutuelle, conformément à la convention collective qui s’applique. Ce n’est pas le rôle de la CRTEFP de trancher le caractère approprié des priorités de la défenderesse en l’absence d’une preuve suffisante selon laquelle celles-ci étaient arbitraires, discriminatoires ou établies de mauvaise foi. Le simple fait que l’on ait accordé une importance moindre au grief de la plaignante dans la file d’attente, alors que l’on a accordé une plus grande importance à d’autres est une fonction du processus de tri et ne constitue pas une preuve d’une conduite discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi de la part de la défenderesse.

87 Quant à la question de savoir si la défenderesse devait donner suite à un grief au nom de la plaignante relativement à un départ à la retraite forcé, la preuve est insuffisante pour appuyer le fait qu’elle a demandé à la défenderesse de donner suite à un tel grief en son nom. La seule communication qu’elle a envoyée à propos de son départ à la retraite forcé présumé a été lorsqu’elle a informé M. Brossard de ce qui suit par courriel (voir la pièce 7) :

[Traduction]

Bonjour Raymond,

À compter du 4 avril, je ne serai plus au service d’Affaires indiennes et du Nord au motif que j’ai été forcée de prendre ma retraite. J’aimerais toutefois poursuivre mon grief au troisième palier, car j’estime qu’on a porté atteinte à mes droits de la personne et qu’on y porte toujours atteinte.

Je suis en congé jusqu’à cette date, veuillez donc envoyer toute correspondance à cette adresse de courriel ou appelez-moi au xxx-xxx-xxxx.

Je vous remercie.

Val

 [Le numéro de téléphone a été caviardé]

[Sic tout au long de l’extrait]

88 Nulle part dans cette correspondance la plaignante ne demande à la défenderesse d’entreprendre un grief en son nom relativement à son départ à la retraite.

89 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :

V. Ordonnance

90 La plainte est rejetée.

Le 7 juillet 2015.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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