Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’administrateur général a initialement suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé en attente d’une enquête relative à des agressions contre des détenus – une fois l’enquête conclue, l’administrateur général a suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé sans traitement pour une période de 30 jours, suspension contre laquelle l’administrateur général avait appliqué la suspension précédente – le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contestant les deux suspensions – la Commission a conclu que la suspension originale en attente de l’enquête était devenue théorique lorsqu’elle a été englobée dans la suspension ultérieure de 30 jours, qui était une seule et unique mesure disciplinaire – la Commission a jugé que la preuve de l’administrateur général était plus crédible que celle du fonctionnaire s’estimant lésé et que la conduite de ce dernier a fait en sorte que l’agression contre un détenu se produise – la Commission a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait omis de signaler adéquatement les incidents au moment approprié – de plus, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas réussi à produire une preuve pour établir qu’une mesure disciplinaire moins sévère que la suspension de 30 jours était plus appropriée dans les circonstances – l’administrateur général a demandé à la Commission de mettre sous scellés le rapport d’enquête – la Commission a ordonné la mise sous scellés du rapport, car la nécessité de protéger le droit à un procès au criminel équitable ainsi que la réputation, la sûreté et la sécurité des personnes nommées dans ce rapport l’emportaient sur le besoin de protéger le droit du public d’avoir accès au rapport. Griefs rejetés. Pièces scellées.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20150928
  • Dossier: 566-02-6867 et 6868
  • Référence: 2015 CRTEFP 79

Devant une formation de la de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

BRUNO ALBANO

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Albano c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui même
Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 17 au 19 février 2015. (Traduction de la CRTEFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Bruno Albano, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un gestionnaire correctionnel auprès du Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou « SCC »). À l’époque pertinente, il était affecté au Pénitencier de Kingston, situé à Kingston, en Ontario.

2 Le 14 octobre 2011, le fonctionnaire s’est vu imposer une suspension sans traitement pour une période indéterminée, à compter du 13 octobre 2011, en attendant une enquête disciplinaire relative à une agression sur un détenu survenue au Pénitencier de Kingston, le 4 octobre 2011. Le 2 novembre 2011, malgré le fait que l’enquête sur l’agression était toujours en cours, le fonctionnaire est retourné au travail dans un poste sans fonction de supervision. Le 25 novembre 2011, le fonctionnaire a présenté un grief contre cette suspension et il a demandé la réparation suivante :

  1. Le rétablissement de sa paie pour les 14 jours;
  2. Le rétablissement des crédits de congé de maladie, de congé d’ancienneté et de congé annuel perdus en raison de la suspension;
  3. le remboursement de tous les frais de retard et de l’intérêt entraîné en raison de la suspension;
  4. le remboursement de toutes les heures supplémentaires perdues, jusqu’à concurrence de 56,75 heures;
  5. des dommages pour contrainte excessive et incidence négative.

3 Le 8 décembre 2011, le fonctionnaire s’est vu imposer une suspension disciplinaire sans traitement de trente (30) jours pour manquement aux devoirs en vertu de la « Règle un » des « Règles de conduite professionnelle » et du « Code de discipline » du SCC et pour avoir violé le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Les 14 jours de suspension purgés du 13 octobre 2011 au 1er novembre 2011 ont été pris en compte dans le calcul de la suspension disciplinaire de 30 jours, et le fonctionnaire a purgé une suspension supplémentaire sans traitement de 16 jours entre le 8 décembre 2011 et le 29 décembre 2011.

4 Le 3 janvier 2012, le fonctionnaire a présenté un grief contre cette suspension de 30 jours qu’il s’est vu imposer le 8 décembre 2011 et il a demandé ce qui suit :

  1. que le rapport d’enquête soit ramené à l’étape d’ébauche pour que les renseignements qu’il a fournis dans sa réfutation soient pris en compte et inclus dans le rapport final;
  2. que sa paie soit rétablie pour la période de 30 jours qui a été perdue et qu’il reçoive tous les crédits de congé annuel, de congé d’ancienneté et de congé de maladie qu’il aurait accumulés durant cette période de 30 jours, qui ont été perdus;
  3. qu’il se voit rembourser tous les frais de retard et les intérêts découlant de sa suspension;
  4. qu’il se voit rembourser toutes les heures supplémentaires qui étaient disponibles durant la période où il a été suspendu, pour un total de 171,5 heures;
  5. qu’il se voit accorder des dommages pour contrainte excessive et pour l’incidence négative que la suspension lui a occasionnée;
  6. qu’il reçoive une lettre d’excuses;
  7. que tous les registres de la procédure disciplinaire, y compris l’enquête, soient retirés de son dossier.

5 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « Loi ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

6 Les événements qui ont mené à la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire découlaient de l’agression d’un membre du personnel par un détenu et des agressions subséquentes par des employés à l’égard de deux détenus au Pénitencier de Kingston, le 4 octobre 2011.

7 L’employeur a appelé trois témoins, et le fonctionnaire a témoigné en son propre nom.

8 Jay Pyke a été le dernier directeur du Pénitencier de Kingston. Il est actuellement le directeur du pénitencier de Joyceville et il occupe ce poste depuis octobre 2013. Il a été directeur du Pénitencier de Kingston entre avril 2010 et sa fermeture en septembre 2013. Il travaille pour le SCC depuis 16 ans et il a occupé des postes de direction, soit comme directeur adjoint des opérations, ou des postes plus élevés, depuis 2007. En plus d’occuper le poste de directeur, il a travaillé comme agent correctionnel (CX), gestionnaire correctionnel, gérant d’unité, agent de libération conditionnelle, directeur adjoint des opérations et sous-directeur.

9 Tim Hamilton était le directeur adjoint des opérations au Pénitencier de Kingston au moment des événements qui ont mené à la mesure disciplinaire. Il est actuellement le directeur adjoint des opérations à l’Établissement de Bath, à Bath, en Ontario. Il a commencé sa carrière au SCC en 1988 en tant que CX-1 et il a été un CX-2 et un gestionnaire correctionnel avant de devenir directeur adjoint des opérations.

10 Scott Edwards est actuellement le sous-commissaire adjoint, Services intégrés, pour le SCC. Avant cela, il a été directeur aux établissements de Pittsburgh et Frontenac, à Kingston, en Ontario, et, avant ces postes, il a été directeur régional des Opérations correctionnelles pour la région de l’Ontario. Sa carrière avec le SCC s’étend sur 26 ans et il a occupé de nombreux postes, notamment CX, gestionnaire correctionnel, directeur adjoint et sous-directeur.

11 Le fonctionnaire est actuellement gestionnaire correctionnel au pénitencier de Joyceville, tout près de Kingston, en Ontario. Il a commencé sa carrière au SCC en 1994 en tant que CX occasionnel. Il est devenu un employé à temps plein nommé pour une période indéterminée en 1998. Il a été un CX-1 et un CX-2 avant de devenir gestionnaire correctionnel. Il est un enquêteur formé. Au cours des années 2011-2012, trois lettres d’éloges ont été placées à son dossier. Il a commencé à travailler comme gestionnaire correctionnel au Pénitencier de Kingston en 2010.

A. Événements du 4 octobre 2011

12 Le 4 octobre 2011, était le jour soulignant le retour du fonctionnaire au Pénitencier de Kingston après deux semaines passées dans la région du Pacifique du SCC où il avait été assigné.

13 Le fonctionnaire était le gestionnaire correctionnel responsable de la partie de l’unité résidentielle du Pénitencier de Kingston, qui comprenait une zone appelée la rangée [traduction] « B supérieure ». La rangée B supérieure était composée de deux niveaux, le premier au troisième étage et l’autre, au quatrième étage. Il y avait 39 cellules réparties sur les deux niveaux. Il y avait un poste de contrôle sécurisé, ou « enceinte vitrée », qui contrôlait l’accès à la rangée et à chaque cellule individuelle. Le gestionnaire correctionnel de la rangée (dans ce cas, le fonctionnaire) a un bureau sur la rangée.

14 Quatre autres gestionnaires correctionnels travaillaient le 4 octobre 2011 : la gestionnaire correctionnelle Fransden, qui était la gestionnaire correctionnelle en service pour tout l’établissement; le gestionnaire correctionnel Liggett et le gestionnaire correctionnel Brian Leeman, qui étaient responsables des autres parties de l’unité résidentielle; le gestionnaire correctionnel Craig James, qui était responsable de l’unité d’isolement.

15 Le directeur Pyke était à l’extérieur de l’établissement et le sous-directeur Mike Jensen était le directeur intérimaire.

16 Vers 10 h 48, le fonctionnaire se trouvait à l’extérieur de la rangée B supérieure dans le cadre d’une rencontre avec M. Hamilton, dans le bureau du directeur adjoint des opérations. Le bureau du directeur adjoint des opérations est situé dans l’immeuble d’administration, qui est à courte distance de l’immeuble des unités résidentielles. À ce moment, deux CX, dont le CX Colin Nagle, effectuaient leur patrouille horaire habituelle sur la rangée B supérieure, lorsque le détenu « A » a agressé le CX Nagle. Au moment où l’agression s’est produite, l’alarme d’émeute a été déclenchée. Lorsqu’il a été avisé de l’alarme d’émeute, le fonctionnaire a immédiatement quitté le bureau du directeur adjoint des opérations pour revenir à la rangée B supérieure.

17 Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage ne pas être immédiatement retourné à la rangée B supérieure, puisqu’il a rencontré plusieurs CX ainsi que le gestionnaire correctionnel Liggett, qui escortaient le détenu A de la rangée B supérieure à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a déclaré avoir demandé au gestionnaire correctionnel Liggett s’ils avaient besoin d’aide pour escorter le détenu A à l’unité d’isolement. Lorsque le gestionnaire correctionnel Liggett lui a répondu [traduction] « Non », le fonctionnaire s’est plutôt rendu à l’infirmerie pour prendre des nouvelles du CX Nagle, puisqu’apparemment personne ne l’y avait accompagné après l’agression.

18 Le fonctionnaire a déclaré s’être rendu à l’infirmerie et avoir pris des nouvelles du CX Nagle. Alors que le fonctionnaire se trouvait à l’infirmerie, le gestionnaire correctionnel James est arrivé et lui a demandé de remplir une évaluation médicale effectuée à la suite d’un incident ayant nécessité le recours à la force au sujet de détenu A qui était à l’unité d’isolement.

19 Le fonctionnaire a déclaré s’être rendu au service du renseignement de sécurité (SRS) pour visionner la vidéo de l’incident avant de se rendre à l’unité d’isolement pour effectuer l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force. Toujours selon le fonctionnaire, après avoir visionné la vidéo, il a quitté le SRS et s’est rendu à l’unité d’isolement, où il a effectué l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force avec une infirmière de l’infirmerie, Catherine Leduc, qui soignait les blessures subies par le détenu A dans la mêlée qui a suivi l’agression par ce dernier du CX Nagle. L’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force a été filmée sur vidéo et, à sa conclusion, le fonctionnaire a indiqué avoir demandé au caméraman de remplir une « Déclaration/Rapport et observations d’un agent » (DROA).

20 M. Hamilton a indiqué dans son témoignage qu’après le déclenchement de l’alarme d’émeute, sa rencontre avec le fonctionnaire a pris fin. Alors que le fonctionnaire se rendait à la rangée B supérieure, M. Hamilton a retrouvé M. Jensen et ils ont visionné la vidéo en direct et archivé la vidéo de la scène et de l’incident. M. Hamilton a déclaré qu’après avoir visionné les vidéos, lui-même et M. Jensen se sont rendus à la rangée B supérieure. Il est ensuite allé à l’unité d’isolement pour faire un suivi et découvrir ce qui s’était produit.

21 L’unité d’isolement est à environ une minute de marche de la rangée B supérieure. Une cellule de détention provisoire et une salle d’entrevue se trouvent tout juste à l’entrée de l’unité d’isolement.

22 M. Hamilton a déclaré qu’après avoir remarqué que l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force était menée sous la supervision du fonctionnaire, il a quitté l’unité d’isolement et s’est rendu à l’infirmerie pour prendre des nouvelles du CX Nagle. Selon M. Hamilton, lui-même et le CX Nagle se sont ensuite rendus au SRS où il a laissé le CX Nagle. M. Hamilton a déclaré qu’il a ensuite quitté le SRS et qu’il est revenu à la rangée B supérieure pour informer le personnel que la rangée devait demeurer en isolement cellulaire.

23 Il y a isolement cellulaire lorsque tous les détenus de la rangée sont enfermés dans leurs cellules.

24 M. Hamilton a déclaré qu’après avoir visité la rangée B supérieure et donné ses instructions personnelles au sujet de l’isolement cellulaire de la rangée, il est retourné à l’unité d’isolement. À son retour à l’unité d’isolement, il a remarqué que l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force au sujet du détenu A était terminée et que le détenu A devait être transféré de l’unité d’isolement à l’infirmerie. M. Hamilton a déclaré qu’il a décidé d’interroger le détenu A avant de le transférer de l’unité d’isolement à l’infirmerie. Le détenu A a été placé dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement. Le fonctionnaire et le gestionnaire correctionnel James étaient présents avec M. Hamilton et le détenu A dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement.

25 Selon le fonctionnaire et M. Hamilton, cette entrevue avec le détenu A a été brève. Le témoignage du fonctionnaire et celui de M. Hamilton différaient au sujet de certains aspects de cette entrevue. M Hamilton a déclaré que la porte était ouverte, alors que le fonctionnaire a déclaré qu’elle était fermée. Selon M. Hamilton, des CX se tenaient debout à l’extérieur de la salle d’entrevue et ils pouvaient entendre ce qui était dit.

26 M. Hamilton a indiqué dans son témoignage que lorsqu’il a interrogé le détenu A au sujet de l’agression contre le CX Nagle, le détenu A a déclaré qu’un autre détenu, le détenu B, l’avait incité à le faire. M. Hamilton a également déclaré que le détenu A avait répété le nom du détenu B plus d’une fois et suffisamment fort pour que les CX dans le couloir l’entendent.Selon le fonctionnaire, le détenu A avait dit aux personnes présentes qu’il avait été incité à commettre l’agression et que l’identité du CX agressé importait peu. Toujours selon le fonctionnaire, M. Hamilton lui a demandé s’il s’agissait du détenu B et le fonctionnaire a déclaré avoir entendu le détenu A répéter le nom du détenu B.

27 M. Hamilton a indiqué dans son témoignage qu’après l’interrogatoire du détenu A dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement, il a demandé au fonctionnaire de retourner à la rangée B supérieure pour effectuer une fouille à la recherche d’armes et d’éléments de preuve. Il a déclaré avoir ordonné de maintenir la rangée en isolement cellulaire et de ne déplacer personne.

28 La cellule du détenu B est située sur la rangée B supérieure.

29 Pendant son témoignage, M. Hamilton a déclaré que lors de l’examen de la vidéo de l’agression contre le CX Nagle, le détenu B était visible et on le voyait entrer dans sa cellule.

30 Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’après le bref interrogatoire du détenu A dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement, il est retourné à la rangée B supérieure, où une fouille était déjà en cours selon lui. Le fonctionnaire a confirmé que lorsqu’il est revenu à la rangée B supérieure, tous les détenus étaient enfermés dans leurs cellules. Il a déclaré que les détenus avaient recouvert les portes et les barreaux de leur cellule de draps ou de couvertures pour empêcher le personnel de voir à l’intérieur. Les gestionnaires correctionnels Leeman et Liggett étaient également présents sur la rangée B supérieure, tout comme plusieurs CX. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’à son retour à la rangée, il s’est rendu au niveau supérieur pour parler avec le représentant des détenus de la rangée dont la cellule se trouvait à ce niveau. Selon le fonctionnaire, le gestionnaire correctionnel Leeman et le gestionnaire correctionnel Liggett étaient au niveau inférieur.

31 Le fonctionnaire a déclaré qu’alors qu’il descendait les marches pour se rendre au niveau inférieur, trois CX déverrouillaient manuellement la porte de la cellule du détenu B, lui passaient des menottes et le faisaient sortir. Selon le fonctionnaire, le gestionnaire correctionnel Leeman était au bas des marches et se tenait directement devant la cellule du détenu B. Selon le fonctionnaire, il a alors demandé au gestionnaire correctionnel Leeman ce qui se passait et ce dernier lui a répondu qu’il ne savait pas.

32 Les trois CX ont passé les menottes au détenu B, l’ont fait sortir de sa cellule ainsi que de la rangée. Le fonctionnaire a déclaré avoir demandé aux trois CX où ils allaient avec le détenu B et ils lui ont répondu qu’ils se rendaient à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage avoir dit au gestionnaire correctionnel Leeman qu’il les accompagnerait. Les trois CX, le détenu B, le gestionnaire correctionnel Leeman et le fonctionnaire ont tous quitté la rangée. Le fonctionnaire a déclaré qu’après avoir quitté la rangée, il avait l’intention de demander aux trois CX en vertu de quelle autorité ils avaient fait sortir le détenu B de sa cellule et l’emmenaient à l’unité d’isolement; cependant, il a été interrompu par le gestionnaire correctionnel Leeman, qui lui a dit qu’il se rendrait à l’unité d’isolement avec les trois CX et le détenu B et qu’il devrait retourner poursuivre la fouille puisqu’il s’agissait de [traduction] « sa rangée ».

33 Les trois CX ont emmené le détenu B à l’unité d’isolement.

34 Peu de temps après avoir été escorté de la rangée B supérieure et après être arrivé à l’unité d’isolement, le détenu B a été agressé.

35 Le fonctionnaire a déclaré avoir regardé les trois CX, le détenu B et le gestionnaire correctionnel Leeman jusqu’à ce qu’ils soient hors de vue avant de retourner à la rangée B supérieure pour superviser la fin de la fouille. Il a indiqué dans son témoignage qu’après la fouille de la rangée, il est allé au poste de contrôle du troisième étage et a tenté d’appeler le gestionnaire correctionnel James à l’unité d’isolement; il a déclaré qu’il n’y avait aucune réponse. Il a déclaré avoir tenté d’appeler le directeur adjoint des opérations dans son bureau et qu’il n’y avait aucune réponse non plus.

36 Le fonctionnaire a dit que comme il ne recevait aucune réponse à l’unité d’isolement ou au bureau du directeur adjoint des opérations, il a quitté la rangée B supérieure et le poste de contrôle du troisième étage et s’est rendu à l’unité d’isolement. Il a dit qu’il avait supposé que le gestionnaire correctionnel Leeman, les trois CX et le détenu B s’y trouvaient. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que lorsqu’il est arrivé à l’unité d’isolement, le seul membre du personnel était le CX Jason Lyons, qui était dans le poste de contrôle. Il lui a demandé où se trouvaient le gestionnaire correctionnel James et le gestionnaire correctionnel Leeman, ce à quoi le CX Lyons lui a répondu qu’il ne le savait pas. Le fonctionnaire a déclaré qu’il lui a alors demandé s’ils avaient été ici, ce à quoi le CX Lyons lui a répondu [traduction] « Non ». Le fonctionnaire a poursuivi son témoignage en disant qu’il allait quitter immédiatement l’unité d’isolement pour savoir pourquoi le détenu B s’y trouvait puisqu’il a dit qu’il ne savait pas pourquoi le détenu B s’y retrouvait. Il a déclaré que le détenu B était dans la cellule d’observation et que ce dernier l’a appelé. Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’est approché pour regarder dans la cellule et il a vu le détenu B assis sur le banc. Selon la déclaration du fonctionnaire, à ce moment, il ne savait pas pourquoi le détenu B aurait voulu lui parler autrement que pour lui demander pourquoi il était à cet endroit et que, par conséquent, le fonctionnaire a conclu qu’il était important de quitter la zone et de trouver la réponse à cette question. Le fonctionnaire a déclaré avoir dit au détenu B [traduction] « Je ne sais pas pourquoi vous êtes en isolement, je vais le découvrir et je vais vous en reparler ». Il a ensuite quitté l’unité d’isolement et il est retourné à la rangée B supérieure, à son bureau, où il a de nouveau tenté de communiquer avec MM. James, Leeman et Hamilton.

37 Le fonctionnaire a déclaré que comme il ne parvenait toujours pas à communiquer avec MM. James, Leeman et Hamilton, il a quitté la rangée B supérieure et s’est rendu au bureau des gestionnaires correctionnels en service. Il a alors parlé avec la gestionnaire correctionnelle en service Fransden, et il lui a demandé si elle savait pourquoi le détenu B avait été emmené à l’unité d’isolement, ce à quoi elle a répondu [traduction] « Non ». Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que la gestionnaire correctionnelle Fransden avait prévu un congé et qu’il l’a donc remplacée comme gestionnaire correctionnel en service. Il a ajouté avoir encore une fois tenté de communiquer avec MM. James, Leeman et Hamilton du bureau des gestionnaires correctionnels en service et qu’il n’y était toujours pas parvenu.

38 Selon le fonctionnaire, à 17 h 30, il a reçu un appel du sous-directeur Jensen, lequel lui a demandé de se rendre à l’unité d’isolement et de ne permettre à personne de parler avec le détenu A ou le détenu B sans la présence d’un gestionnaire correctionnel. Il a également indiqué dans son témoignage qu’il a demandé au sous-directeur Jensen ce qui arrivait et que c’est alors qu’il a appris que des employés avaient agressé des détenus. Le fonctionnaire a déclaré qu’il ne croyait pas le sous-directeur Jensen et le lui avoir dit. Il a ensuite suivi les instructions du sous-directeur; il a verrouillé le bureau des gestionnaires correctionnels en service et il s’est rendu à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a déclaré avoir rencontré le gestionnaire correctionnel Feeney en se rendant à l’unité d’isolement. Ce dernier s’apprêtait à commencer son quart et, par conséquent, le fonctionnaire lui a remis les clés et lui a dit qu’il l’appellerait depuis l’unité d’isolement. Selon le fonctionnaire, après être arrivé à l’unité d’isolement, il a appelé le gestionnaire correctionnel Feeney et l’a informé de ce que le sous-directeur lui avait dit. Il a affirmé être resté à l’unité d’isolement jusqu’à ce qu’il soit remplacé, puis il est rentré chez lui.

39 Les gestionnaires correctionnels Leeman, Liggett, James, Fransden, Feeney et le CX Lyons n’ont pas témoigné devant moi.

40 Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans son témoignage que peu de temps après la rencontre avec le détenu A dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement, une fois revenu à son bureau, il a reçu un appel indiquant que le détenu A était transporté de l’infirmerie à un hôpital. Selon le directeur adjoint des opérations Hamilton, c’est à ce moment que le fonctionnaire et le gestionnaire correctionnel Leeman se sont présentés à son bureau et l’ont avisé que le détenu B était à l’unité d’isolement. Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans son témoignage qu’il a immédiatement envoyé le fonctionnaire à l’unité d’isolement pour observer le détenu B et s’assurer que personne n’entre dans la cellule où il se trouvait ou ne parle avec lui. Il a également déclaré avoir appelé le CX qui se trouvait au poste de contrôle de l’unité d’isolement et lui avoir dit de ne laisser personne entrer ou parler avec le détenu B.

41 La personne qui est responsable de l’établissement a le pouvoir de placer un détenu en isolement. Durant les heures normales de jour, il s’agit du directeur. En l’absence du directeur, c’est le sous-directeur ou un représentant désigné. À ce moment de la journée, comme le directeur Pyke était à l’extérieur de l’établissement, c’est le directeur intérimaire (sous-directeur) Jensen qui avait ce pouvoir.

42 Le directeur intérimaire Jensen n’a pas donné l’ordre de placer le détenu B en isolement. Le directeur adjoint des opérations Hamilton a déclaré ne pas avoir autorisé le transfert du détenu B en isolement.

43 Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans son témoignage qu’il a quitté le Pénitencier de Kingston vers 15 h 20 cette journée-là. Durant la soirée, il a reçu un appel d’un hôpital local l’avisant que le détenu A avait été violemment battu et que le détenu B avait été envoyé à l’hôpital pour un trouble de la vision.

44 M. Pyke a déclaré qu’il se trouvait à Montréal à l’unité spéciale de détention (USD) lorsqu’il a reçu un appel de M. Jensen l’avisant des agressions. Il a déclaré que M. Jensen lui avait dit que le détenu B avait subi des traumatismes sur 80 % de son corps. Comme il était trop tard pour revenir à Kingston cette journée-là, il a quitté Montréal à la première heure, le 5 octobre 2011.

B. Le 5 octobre 2011 et par la suite

45 M. Pyke a indiqué dans son témoignage qu’à son retour au Pénitencier de Kingston, le matin du 5 octobre 2011, il s’est rendu immédiatement au SRS. Il a alors rencontré le coordonnateur des Opérations correctionnelles et il a visionné la vidéo qui était disponible. Il a déclaré qu’il était préoccupé par le manque de renseignements disponibles. Il n’avait aucune DROA ni de rapports sur le recours à la force.

46 M. Pyke a déclaré avoir convoqué un gestionnaire correctionnel en particulier et lui avoir demandé ce qui était arrivé. Il a également déclaré que le gestionnaire correctionnel l’avait informé qu’il avait surpris plusieurs CX en train d’agresser un détenu dans une cellule et que le détenu était menotté. Le gestionnaire correctionnel a rédigé une DROA, qui identifiait un certain nombre de personnes ayant participé à l’agression.

47 M. Pyke a conclu qu’une enquête était requise et, au moyen d’un ordre de convocation en date du 14 octobre 2011, il a ordonné une enquête sur l’agression du personnel et le recours à la force consécutif sur les détenus A et B au Pénitencier de Kingston, le 4 octobre 2011 (l’« enquête »). Cet ordre de convocation visait MM. Edwards et William Garrick de Presidia Security Consulting, une organisation privée à l’extérieur du SCC.

48 M. Pyke a indiqué dans son témoignage qu’il ne se rappelait pas le moment où il a parlé pour la première fois au fonctionnaire au sujet de ce qui était arrivé le 4 octobre 2011; cependant, il se rappelle que lorsqu’il l’a fait, le fonctionnaire l’a amené à croire qu’il ne se trouvait pas près de la cellule du détenu B lorsque ce dernier en est sorti et a été emmené à l’unité d’isolement, où il a été agressé. M. Pyke se rappelle avoir visionné la séquence vidéo de la rangée B supérieure, qui démontrait clairement que le fonctionnaire était dans le secteur.

49 M. Pyke a indiqué dans son témoignage que le processus utilisé par la direction du SCC afin de déterminer si un employé devait être suspendu sans traitement en attendant une enquête repose sur ce qui est appelé le « critère Larson », dont le fondement se trouve dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9. Le SCC a rédigé un document intitulé « Critère Larson », qui établit une série de questions, fondées sur Larson, ainsi que les « Lignes directrices concernant la discipline », à être pris en considération par la direction.

50 M. Pyke a indiqué dans son témoignage qu’en réfléchissant à ce qu’il allait faire en ce qui concerne le fonctionnaire, il était préoccupé par le manque d’explications de ce dernier quant à la raison pour laquelle il avait laissé trois CX retirer le détenu B de sa rangée, peu de temps après que ce dernier ait été désigné comme l’instigateur de l’attaque contre le CX Nagle. Il s’est aussi questionné à savoir pourquoi le fonctionnaire ne s’était pas arrêté pour parler au détenu B lorsque ce dernier l’a appelé alors qu’il se trouvait à l’unité d’isolement peu de temps après avoir été sorti de la rangée B supérieure. M. Pyke a déclaré qu’il y avait un manque de confiance puisque selon lui, le fonctionnaire en savait beaucoup plus que ce qu’il laissait croire et qu’il n’a divulgué les renseignements que lorsqu’il a été pressé de le faire. Un membre du personnel et deux détenus ont été agressés, et le fonctionnaire ne collaborait pas. En tant que gestionnaire correctionnel, le fonctionnaire est tenu de respecter une norme élevée; la confiance est primordiale. Pour la sûreté et la sécurité de l’établissement et de son personnel, le directeur Pyke croyait qu’il valait mieux que le fonctionnaire soit démis de ses fonctions, en attendant d’avoir plus de renseignements.

51 M. Pyke a déclaré avoir suspendu le fonctionnaire le 14 octobre 2011, sans traitement, à compter du 13 octobre 2011, en attendant la conclusion de l’enquête. La lettre de suspension précisait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] La raison de la suspension est la suivante :

Votre participation à l’agression d’un détenu au Pénitencier de Kingston alors que vous étiez en service le 14 octobre 2011. Vous étiez présent en tant que gestionnaire correctionnel, responsable de la rangée en question lorsqu’un détenu a été sorti par les agents correctionnels, sans indication d’en avoir reçu l’autorisation. Malgré les ordres directs du directeur adjoint des opérations de ne déplacer personne de votre rangée, vous n’avez pas remis en question la sortie de ce contrevenant. Votre rôle subséquent dans les cellules d’isolement après l’incident en question présente certaines divergences. Cela est aggravé par le fait que vous avez nié être dans les cellules d’isolement jusqu’à ce que vous soyez confronté à la preuve selon laquelle vous y étiez. […]

[…]

52 Les cellules d’isolement désignent également l’unité d’isolement. L’« unité d’isolement administratif » est un autre nom pour l’unité d’isolement.

53 Selon le directeur Pyke, le 1er novembre 2011, il a réévalué la suspension pour une période indéterminée du fonctionnaire et, selon le critère Larson et les renseignements obtenus durant l’enquête interne du SCC et l’enquête continue de la Police provinciale de l’Ontario (OPP), il a conclu que le fonctionnaire pouvait être réintégré dans des fonctions modifiées en attendant la conclusion de l’enquête (pièce E-2, onglet 5). Le fonctionnaire a été avisé de ce changement de statut au moyen d’une lettre en date du 2 novembre 2011 (pièce E-2, onglet 7).

54 M. Edwards a témoigné devant moi. M. Garrick ne l’a pas fait.

55 M. Edwards a confirmé les étapes que lui-même et M. Garrick ont suivies pour mener l’enquête. Une version caviardée de ce rapport d’enquête final figure à la pièce E-2, onglet 8, dont une copie a été envoyée au fonctionnaire le 10 novembre 2011. Une version non caviardée du rapport d’enquête a été déposée à titre de pièce E-5 et a été fournie au fonctionnaire pendant l’audience.

56 Le rapport d’enquête contient des résumés des divers interrogatoires menés par les enquêteurs. Le rapport d’enquête précise également que les enquêteurs ont interrogé 30 personnes. En plus du fonctionnaire et du directeur adjoint des opérations Hamilton, aucune autre personne interrogée mentionnée dans le rapport d’enquête n’a témoigné devant moi.

57 Une chronologie des événements du 4 octobre 2011 se trouve aux pages 26 à 29 du rapport d’enquête. Cette chronologie est fondée sur des renseignements fournis pendant les interrogatoires et sur le visionnement de la séquence vidéo de la télévision en circuit fermé (TVCF). Selon la chronologie, lorsqu’il était impossible de confirmer l’heure réelle à laquelle un événement a eu lieu, celui-ci était inséré dans la chronologie dans l’ordre où l’événement a été décrit dans les interrogatoires; cependant, aucune heure n’était alors associée à cette activité.

58 Le premier événement indiqué dans la chronologie est l’agression par le détenu A du CX Nagle, qui est enregistré à 10 h 47 min 48 s. Le dernier événement indiqué dans la chronologie est enregistré à 13 h 3 et les registres d’entrée indiquent que deux CX et un agent de police désigné comme un membre de l’[traduction] « équipe d’intervention dans les établissements » entrent dans l’unité d’isolement. M. Edwards a confirmé lorsqu’il a été contre-interrogé par le fonctionnaire que les heures indiquées dans la chronologie étaient celles indiquées par les caméras vidéo de la TVCF.

59 Voici les événements chronologiques clés qui ont eu lieu en fin d’avant-midi et au début de l’après-midi du 4 octobre 2011, comme l’indiquent la pièce E-2, onglet 8 et la pièce E-5, et qui ont une incidence sur les présents griefs :

11 h 35 min 43 s           Le détenu A sort de l’unité d’isolement escorté par les gestionnaires correctionnels James et Albano, le directeur adjoint des opérations Hamilton et deux CX [remarque : l’un des CX est un CX qui, à 11 h 47 min 14 s, fait sortir le détenu B de sa cellule à la rangée B supérieure].

11 h 45                         Un CX retire une clé du poste ou bureau de contrôle de la rangée B supérieure et, avec deux autres CX, fait sortir le détenu B de sa cellule.

11 h 47 min 14 s           Le détenu B, accompagné de cinq CX, entre dans l’unité d’isolement.

Inconnue                       Le détenu est agressé dans une cellule de l’unité d’isolement.

11 h 50 min 24 s           Trois des CX qui sont entrés dans l’unité d’isolement avec le détenu B en ressortent.

11 h 50 min 33 s           Un des CX qui est entré dans l’unité d’isolement avec le détenu B en ressort.

11 h 50 min 46 s           Le dernier CX qui est entré dans l’unité d’isolement avec le détenu B en ressort.

11 h 56 min 23 s           Le gestionnaire correctionnel Leeman entre dans l’unité d’isolement.

11 h 57 min 47 s           Le gestionnaire correctionnel Leeman sort de l’unité d’isolement.

12 h 1 min 34 s            Le gestionnaire correctionnel Albano entre dans l’unité d’isolement.

12 h 3 min 27 s            Le gestionnaire correctionnel Albano sort de l’unité d’isolement.

12 h 21 min 59 s           Le gestionnaire correctionnel James, le gestionnaire correctionnel Albano et deux CX entrent dans l’unité d’isolement.

12 h 22                         Le gestionnaire correctionnel James sort de l’unité d’isolement.

12 h 49                         Le gestionnaire correctionnel James entre dans l’unité d’isolement.

12 h 56                         Le gestionnaire correctionnel Albano sort de l’unité d’isolement.

60 M. Edwards a indiqué dans son témoignage que les cellules individuelles des rangées d’unités résidentielles, y compris la rangée B supérieure, sont ouvertes et fermées de façon électronique à partir du poste de contrôle de la rangée. Ce poste de contrôle est sécurisé. Lorsque le détenu B est sorti de sa cellule de la rangée B supérieure, un CX a obtenu une clé et a manuellement ouvert la porte de la cellule, ce qui n’est pas la procédure normale.

61 Les CX peuvent être classifiés CX-1 ou CX-2. Un CX-1 est un agent correctionnel débutant. Un CX-2 est de niveau plus élevé qu’un CX-1. Un gestionnaire correctionnel est un poste de direction, et les CX relèvent d’un gestionnaire correctionnel.

62 Au moyen d’une lettre en date du 17 novembre 2011, le fonctionnaire a eu pour instruction d’assister à une audience disciplinaire prévue le 21 novembre 2011. Le fonctionnaire a assisté à l’audience disciplinaire du 21 novembre 2011, moment auquel il a fourni à l’employeur un document de six pages intitulé [traduction] « Réfutation à l’égard du rapport d’enquête en date d’octobre 2011 et renseignements pour l’audience disciplinaire » (la « réfutation »), qui figure à la pièce E-2, onglet 10.

63 En plus de la réfutation, le fonctionnaire a effectué quatre DROA sur les incidents du 4 octobre 2011 : une le 4 octobre 2011, terminée à 20 h 49; la deuxième, effectuée le 5 octobre 2011, dont l’heure de réalisation est masquée; une troisième, effectuée le 6 octobre 2011 à 16 h 42; et une dernière, effectuée le 11 octobre 2011 à 8 h. Les trois premières DROA se trouvent à la pièce E-2, onglet 1, et la dernière fait partie de la pièce E-3. La DROA du 4 octobre 2011 est très courte et porte uniquement sur la réalisation de l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force qui a été faite au sujet du détenu A.

64 La DROA du 5 octobre 2011 précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vers l’heure et la date approximatives qui précèdent, l’auteur a eu comme directive de fouiller l’aire commune de la rangée B supérieure pour voir s’il y avait des armes après une agression du CX Nagle. Alors que j’étais sur la rangée, je me suis promené sur le niveau inférieur et j’ai donné la directive à certains des détenus de retirer ce qui recouvrait leur cellule. Je me suis ensuite rendu au niveau supérieur et j’ai fait la même chose. Après avoir terminé au niveau supérieur, j’ai descendu les escaliers et j’ai parlé avec le gestionnaire correctionnel Leeman et je lui ai demandé s’il avait trouvé quelque chose. À ce moment, trois CX ont fait sortir le détenu [B] […] et l’ont escorté de sa cellule. À ce moment, tout semblait normal, le détenu était coopératif et aucune force n’a été utilisée. Le gestionnaire correctionnel Leeman et moi-même avons suivi le CX à l’extérieur de la rangée. Je suis demeuré sur le troisième niveau et j’ai surveillé le CX qui l’escortait en bas des marches. Il n’y avait aucune inquiétude et je suis retourné sur la rangée. J’ai donné aux CX l’instruction de fouiller la cellule du détenu [B] et le CX Nichols a trouvé un drap sur lequel semblait se trouver du sang séché. J’ai demandé au CX Nichols de saisir le drap et de remplir les rapports nécessaires. La porte de la cellule a été sécurisée. Après la fin de la fouille, j’ai quitté la rangée.

[…]

65 La DROA du 6 octobre 2011 précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

DROA de suivi – Vers midi, je me suis rendu à l’Isolement pour voir si on avait besoin de moi puisque plus tôt j’avais complété l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force sur le détenu [A]. Le CX Lyons se trouvait dans le poste de contrôle et il était celui qui a ouvert la barrière de l’Isolement. Personne d’autre n’était visible. J’ai demandé au CX Lyons s’il avait besoin de moi et il a répondu par la négative. Comme je partais, le détenu [B] m’a appelé par mon nom depuis la cellule de détention et j’ai répondu « non, je ne souhaite pas lui parler pour le moment » et je me suis éloigné. Je n’ai jamais arrêté devant la cellule, mais j’y ai jeté un coup d’œil et il était normalement assis sur le banc de ciment. Je n’ai rien remarqué d’autre. J’ai ensuite quitté le secteur. Environ 20 minutes plus tard, je suis retourné à l’Isolement. Je ne me rappelle pas, mais je crois que c’est Tim Hamilton qui m’a donné pour instruction d’y placer un gestionnaire correctionnel et de ne permettre à personne d’entrer dans la cellule de détention, sauf s’il s’agit d’un gestionnaire correctionnel ou du titulaire d’un poste de niveau supérieur. Je suis resté dans le poste de contrôle pendant un certain temps, peut-être 35 minutes, jusqu’à ce que le gestionnaire correctionnel James arrive et me remplace, puisqu’il est le gestionnaire correctionnel de ce secteur. Je suis parti et je suis retourné à mon bureau pour terminer du travail entrepris plus tôt. À 14 h 15, j’ai remplacé la gestionnaire correctionnelle Fransden au bureau de service. Vers 17 h 45, j’ai reçu un appel téléphonique de Mike Jensen. L’ordre a été donné de déplacer [B] à l’Isolement, m’informant de placer un gestionnaire correctionnel à l’Isolement et d’être présent en tout temps lorsqu’un CX se rendait sur la rangée ou pour ouvrir la porte. Je suis allé dans le couloir de l’Isolement et de l’infirmerie et j’ai rencontré des agents et un gestionnaire correctionnel qui venaient de l’infirmerie et je leur ai donné l’ordre d’emmener [B] à l’Isolement. Nous avons placé [B] dans la cellule 8, je crois, fermé la porte et resté au poste de contrôle de l’Isolement jusqu’à que je sois remplacé par la gestionnaire correctionnelle Fransden.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

66 La DROA du 11 octobre 2011 précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’étais présent durant un interrogatoire dans le secteur de l’isolement avec le sujet [le sujet mentionné est le détenu A]; étaient également présents le gestionnaire correctionnel James et le directeur adjoint des opérations Hamilton. La question de savoir pourquoi il avait attaqué un agent à la rangée B supérieure a été posée au sujet. À ce moment, le sujet semblait être dans une condition autre que normale. Le sujet a déclaré qu’il avait agressé l’agent parce qu’il était « mal foutu ». Le gestionnaire correctionnel James l’a interrompu et lui a dit « non, vous m’avez dit que c’était parce que des gars vous ont dit que vous deviez le faire ». Le détenu a répondu oui, et le directeur adjoint des opérations lui a demandé un nom. Le détenu n’a nommé personne à ce moment. Le gestionnaire correctionnel James a continué d’interroger le sujet; à ce moment j’étais distrait par les événements du matin. J’ai entendu le gestionnaire correctionnel James dire à un moment donné « si je n’avais pas été là, vous seriez mort ». À ce moment, j’ai entendu le directeur adjoint des opérations Hamilton lui demander de nouveau un nom. Le sujet a répondu « [B] » et le directeur adjoint des opérations Hamilton l’a répété. Cela pourrait être le contraire, puisque j’étais toujours distrait par les événements qui avaient précédé. À ce moment, l’interrogatoire a pris fin. J’ai rappelé au directeur adjoint des opérations Hamilton que je croyais avoir entendu le sujet dire que c’est deux autres gars qui l’avaient incité à commettre l’agression, et le directeur adjoint des opérations Hamilton l’a confirmé. À ce moment, le directeur adjoint des opérations Hamilton m’a ordonné de déployer des agents afin de mener une fouille de l’aire commune de la rangée B supérieure à la recherche d’armes. J’ai alors quitté le secteur et je me suis rendu à la rangée B supérieure.

[…]

67 La pièce E-1 est une DROA que le directeur adjoint des opérations Hamilton a remplie le 5 octobre 2011 à 15 h et qui précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À la date et à l’heure qui précèdent, je me trouvais dans mon bureau au troisième étage de l’immeuble A3. J’étais avec le gestionnaire correctionnel Bruno Albano. Il a reçu sur sa radio un appel de l’entrée principale indiquant que l’alarme d’émeute du poste de contrôle de la rangée B supérieure avait été déclenchée. M. Albano a immédiatement quitté mon bureau pour se rendre dans ce secteur. Je suis ensuite allé consulter mon écran en direct actif (Omnicast de Gemitec) pour voir ce qui arrivait dans cette rangée. Le directeur intérimaire Mike Jensen est alors entré dans mon bureau puisqu’il savait qu’un incident se déroulait. Nous avons alors vu des agents enfermer tous les détenus dans leur cellule de la rangée B supérieure. Lorsque tous les détenus ont été enfermés, nous avons ouvert la visionneuse d’archives. Nous avons alors vu deux CX procéder à l’isolement cellulaire de la rangée. Alors que les CX sont au troisième niveau, vers la cellule 4-3-B, un détenu frappe le CX au visage. L’agent et le détenu ont alors une empoignade. Le deuxième agent, au début hésitant, fait ce qui semble être une tentative pour contrôler le détenu. Peu de temps par la suite, plusieurs CX se présentent dans le secteur. Il semble que le détenu est sous contrôle et escorté à l’extérieur de la rangée.

Le directeur intérimaire et moi-même nous rendons alors dans le secteur du pavillon et des cellules. Le directeur intérimaire indique qu’il va parler avec le CX dans la rotonde; je lui dis que je me rends à l’Isolement. À l’Isolement, j’ai vu plusieurs agents. Je regarde en bas sur la rangée (côté ouest), le détenu est à mon avis dans la douche car un agent est placé à l’extérieur de la douche, avec une caméra vidéo. Je m’adresse au gestionnaire correctionnel James pour avoir un compte rendu de la situation. Il me dit que le détenu est dans la douche pour se décontaminer, puisque de l’OC a été utilisé. Il m’a dit également que le détenu a déclaré qu’il devait agresser un agent sinon il allait être poignardé. Je demande où se trouve le CX qui a été agressé. Il me répond qu’il est à l’infirmerie. Je quitte alors le secteur et je me rends à l’infirmerie pour voir l’agent. Une infirmière finit d’examiner l’agent, j’escorte le CX Nagle vers la salle de conférence du SRS. Le CX Steve Carson, représentant du SACC, nous accompagne. J’avise M. Nagle et je lui parle de l’incident. Je lui demande s’il y avait d’autres indications qui auraient pu le prévenir de cette agression. Il a répondu par la négative, qu’il ne faisait que la ronde dans les rangées. Le PAE et la GSIC lui ont été offerts; de plus, le gestionnaire correctionnel Pat Laverty est arrivé avec le formulaire 7 de la CSPAAT. J’ai dit à l’agent que j’aimerais qu’il remplisse un rapport détaillé de l’incident s’il s’en sentait capable. L’agent a confirmé qu’il l’était et qu’il rédigerait sa déclaration avant de quitter l’établissement. À ce moment, j’ai demandé que la rangée ait un contrôleur sur place puisque l’ARS parcourait les rangées et prenait des photos.

J’ai alors laissé le CX et je me suis présenté au pavillon et aux cellules. J’indique que la rangée doit demeurer fermée à ce moment-ci puisque l’ARS va prendre des photos des éléments de preuve.

Je quitte alors le pavillon et les cellules et je me présente à l’Isolement. À ce moment, deux infirmières terminent avec le gestionnaire correctionnel B. Albano une évaluation médicale effectuée à la suite d’un incident ayant nécessité le recours à la force. Le gestionnaire correctionnel me dit que le détenu doit aller à l’infirmerie, sur les conseils des infirmières. Le détenu est sorti de la douche. J’avise le gestionnaire correctionnel que je souhaite parler avec le détenu dans la salle d’entrevue ouverte près du poste de contrôle. Le détenu a été interrogé sur ses actions dans l’agression. Le détenu était cohérent et réceptif. Il avait de la rougeur au niveau du visage et j’ai remarqué une égratignure sur son cou. Le détenu n’avait aucune ecchymose ou enflure. Il a déclaré que d’autres détenus l’avaient incité à commettre l’agression et qu’il était passé à l’action. Il a également déclaré qu’il avait consommé des drogues dures depuis la nuit précédente, qu’il était défoncé et qu’il avait les facultés affaiblies. Nous avons parlé de la gravité de l’incident dans un établissement à sécurité maximale et du fait qu’il a eu de la chance que la réaction des agents du poste de contrôle n’a pas été plus sévère. Le détenu a dit que le détenu [B] ainsi qu’une autre personne lui avaient dit de commettre l’agression. Je me suis alors rappelé avoir vu une personne que je croyais être le détenu [B] sur le écran en direct se sauver d’un CX, donnant presque un coup d’épaule pour retourner à sa cellule. Le détenu a ensuite été escorté par le gestionnaire correctionnel James et un CX à l’infirmerie du Pénitencier de Kingston.

J’ai alors quitté l’Isolement pour me rendre au pavillon et aux cellules. J’ai donné l’ordre aux gestionnaires correctionnels Leeman et Albano d’accompagner le CX à la rangée B supérieure dès que l’ARS aura terminé de prendre des photos et de fouiller l’aire commune à la recherche d’armes. J’indique que la rangée doit demeurer fermée et que personne ne doit être déplacé.

Je quitte ensuite ce secteur pour revenir à mon bureau au A3 afin d’envoyer une mise à jour à tout le personnel sur l’agression et l’isolement cellulaire de la rangée.

Après mon retour au bureau, les gestionnaires correctionnels Leeman et Albano arrivent. J’apprends que le détenu [B] est en cellule de détention à l’Isolement. J’ai remis cela en question. Je leur dis que je souhaite que l’un d’eux se présente dans le secteur immédiatement et que personne ne doit parler au détenu tant que l’ARS ne l’a pas interrogé. J’appelle également au poste de contrôle de l’unité d’isolement et j’avise le CX Lyons que la porte de la cellule de détention ne doit pas être ouverte, que personne ne doit parler au détenu et que l’ARS procédera à un interrogatoire.

J’ai ensuite reçu un appel du gestionnaire correctionnel James à l’infirmerie indiquant que le détenu [A] faisait une overdose et qu’une ambulance avait été appelée. J’avise la gestionnaire correctionnelle Fransden de préparer une escorte et du fait que je souhaitais un CX précis sur l’escorte. Je demande le gestionnaire correctionnel intérimaire Long, le CX-1 Wynne et le CX-1 Snider.

Les ARS Blanchard et Malcolm se présentent ensuite au A3 pour faire un compte rendu. Ils m’ont fourni un bref compte rendu indiquant que le détenu [B] n’était pas impliqué. Ils ont fourni le nom d’autres détenus qui avaient été vus plus tôt en train d’échanger des téléviseurs et des effets de la cellule du détenu [A]. Les ARS notent également que le détenu avait des écorchures sur le front. Ils ont questionné le détenu [B] à ce sujet et il a dit qu’il était tombé.

Les ARS ont ensuite informé le directeur intérimaire.

La décision a alors été prise par le directeur intérimaire que le détenu [B] demeurerait à l’isolement et que la rangée B supérieure demeurerait en isolement cellulaire pour la soirée jusqu’à ce qu’une enquête plus approfondie soit menée par les ARS.

J’ai ensuite quitté l’établissement vers 15 h 15. […]

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

68 M. Hamilton a déclaré dans son témoignage en interrogatoire principal qu’après l’interrogatoire du détenu A dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement, il a demandé que la rangée B supérieure soit en isolement cellulaire, que personne n’en soit déplacé. Il a ajouté que le fonctionnaire devait effectuer une fouille de la rangée à la recherche d’armes et d’éléments de preuve. Dans son contre-interrogatoire de M. Hamilton, le fonctionnaire a soumis à ce dernier le paragraphe 3 de la pièce E-1, qui précisait en partie ce qui suit : [traduction] « J’indique que la rangée doit demeurer fermée à ce moment-ci puisque l’ARS va prendre des photos des éléments de preuve ». Lorsque ce paragraphe lui a été soumis, M. Hamilton a déclaré l’avoir dit au fonctionnaire et à M. Leeman.

69 La pièce E-4 est la DROA en date du 4 octobre 2011, à 13 h, de l’infirmière Leduc, qui s’est présentée à l’unité d’isolement afin d’examiner les blessures du détenu A. Le point qu’il convient de mentionner en ce qui concerne ce DROA est qu’il a été rempli à 13 h et qu’il indiquait que le détenu A avait été envoyé au Kingston General Hospital (KGH) parce qu’il avait ingéré une grande quantité de comprimés. Il semble qu’il a été démontré que la DROA de l’infirmière Leduc avait été examinée et signée par le fonctionnaire le 4 octobre 2011.

70 La réfutation comporte six pages. Les quatre premières pages indiquent les points établis dans le rapport d’enquête que le fonctionnaire conteste. La réfutation indique ces divers points en établissant des renvois aux numéros de page et aux numéros de point du rapport d’enquête. Les deux dernières pages de la réfutation contiennent l’analyse par le fonctionnaire du rapport d’enquête.

71 Dans la réfutation, le fonctionnaire aborde les points du rapport d’enquête qui portent sur les faits immédiats entourant la sortie du détenu B de sa cellule de la rangée B supérieure. Voici ses remarques sur ces faits :

Page 2 de la réfutation, qui renvoie à la page 6, point 5, du rapport d’enquête

[Traduction]

Durant l’entrevue, j’ai indiqué que j’ai surveillé les trois agents sortir le détenu de la cellule de la rangée B supérieure. Je n’ai pas confronté les agents de la rangée devant les autres employés ou les détenus. Je croyais que le directeur adjoint des opérations ou un autre gestionnaire correctionnel avait dit au CX d’emmener le détenu à l’Isolement. Je n’étais pas responsable de la situation à ce moment et n’avais aucune raison de croire que quelque chose hors de l’ordinaire se déroulait; il convient également de noter que le gestionnaire correctionnel Leeman était aussi présent et qu’il ne croyait pas non plus qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. La vidéo indiquera que j’ai accompagné le CX ainsi que le détenu à l’extérieur de la rangée, tout comme le gestionnaire correctionnel Leeman. J’avais l’intention à ce moment de les accompagner à l’unité d’isolement afin de découvrir ce qui arrivait. À ce moment le gestionnaire correctionnel Leeman a déclaré qu’il irait plutôt pour que je puisse continuer la fouille de la rangée puisqu’il s’agissait de ma rangée, conformément à la directive originale qui m’avait été donnée par le directeur adjoint des opérations Hamilton. Le gestionnaire correctionnel Leeman a alors accompagné le détenu et les trois agents à l’unité d’isolement alors que je reprenais ma supervision de la fouille.

Page 3 de la réfutation, qui renvoie à la page 12, point 7, du rapport d’enquête

[Traduction]

Le directeur adjoint des opérations Hamilton confirme que j’ai suivi les agents à l’extérieur de la rangée lorsqu’ils ont sorti le détenu de la cellule de la rangée B supérieure. Il indique qu’il a vu cela sur la vidéo, mais le rapport n’indique pas s’il a également vu le gestionnaire correctionnel Leeman suivre les agents à l’extérieur de la rangée. La vidéo le montre clairement.

72 Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré qu’à trois reprises, le 4 octobre 2011, après que le détenu B ait été retiré de sa cellule de la rangée B supérieure, il a tenté de communiquer avec les gestionnaires correctionnels Leeman et James et le directeur adjoint des opérations Hamilton afin de découvrir pourquoi le détenu était retiré de sa cellule et emmené à l’unité d’isolement. Rien dans le rapport d’enquête ne mentionne ces diverses tentatives. Voici la partie du rapport d’enquête qui concerne l’entrevue des enquêteurs avec le fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

À 10 h 58, le 19 octobre 2011, une entrevue a été menée avec le gestionnaire correctionnel Albano. Au début de cette entrevue, le gestionnaire correctionnel Albano a reçu une copie de l’ordre de convocation et du formulaire des droits, des privilèges et des avertissements de l’employé, qu’il a lu et signé. Durant cette entrevue le gestionnaire correctionnel Albano a fourni les renseignements importants suivants :

  • En ce qui concerne le détenu [A], sa principale contribution était de mener une évaluation médicale effectuée à la suite d’un incident ayant nécessité le recours à la force, durant laquelle il a noté que le détenu [A] avait des marques sur le cou et le visage; cependant, il n’a noté aucune blessure sur son corps. Il croyait que ces blessures étaient compatibles avec un incident normal ayant nécessité le recours à la force.
  • Après avoir terminé son DROA sur l’évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force, il a rencontré le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James qui allaient interroger le détenu [A]. Il les a accompagnés mais il n’a rien dit puisqu’il (M. Albano) était très fâché et qu’il a utilisé des « techniques de gestion de la colère » pour se calmer.
  • Durant l’interrogatoire, le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James faisaient la stratégie « du bon et du mauvais policier » afin de tenter d’amener le détenu [A] à donner des renseignements sur la question de savoir si une autre personne l’a incité à agresser le CX Nagle. Le gestionnaire correctionnel James aurait dit quelque chose comme « nous sommes tannés de ces bêtises, donnez-nous un nom. Si ce n’était de moi, vous seriez mort ». Il est presque certain que le directeur adjoint des opérations Hamilton a dit le nom du détenu [B] et que le détenu [A] l’a confirmé.
  • Après l’entrevue, le directeur adjoint des opérations Hamilton lui a demandé de faire une fouille de la rangée B supérieure; il a demandé au gestionnaire correctionnel Leeman de l’aider. Pendant la fouille, il fait remarquer que trois gardiens emmenaient le détenu [B] à l’extérieur de la rangée […]
  • Il ne sait pas comment la porte de la cellule du détenu [B] a été ouverte; cependant, alors qu’ils emmenaient le détenu [B] à l’extérieur de la cellule, ses mains étaient menottées dans le dos. À ce moment, il ne se préoccupait pas du fait que le détenu [B] était emmené puisque cela se produit souvent au Pénitencier de Kingston où d’autres gestionnaires demandent aux gardiens de faire sortir des détenus des cellules et de les emmener à l’Isolement. Il les a surveillés escorter le détenu [B] en bas des marches, tout lui semblait normal, personne ne semblait fâché ou en colère et le détenu ne portait aucune marque au visage.
  • Après avoir terminé la fouille, il s’est rendu à l’unité d’isolement pour voir s’ils avaient besoin de lui; il a vu le détenu [B] assis dans la cellule de détention, la porte fermée; le détenu [B] l’a appelé, mais il n’a pas souhaité lui parler alors il a poursuivi son chemin.
  • Il a alors reçu un appel du directeur adjoint des opérations Hamilton qui lui a dit d’aller s’asseoir dans l’« enceinte vitrée » et de ne laisser personne sous le grade de gestionnaire correctionnel voir les détenus [B] ou [A]. Le gestionnaire correctionnel Albano a déclaré qu’il n’avait posé de question à personne ni parlé à personne au sujet des incidents parce qu’à ce moment, « il ne voulait rien avoir à faire avec la stupidité ». Le gestionnaire correctionnel James s’est présenté à l’unité d’isolement pour le remplacer, et il a repris ses fonctions régulières.
  • Vers 17 h 45, le 4 octobre 2011, il a reçu un appel téléphonique de Mike Jensen qui lui a dit de s’assurer que le détenu [B] était placé dans une cellule à l’Isolement, parce que « les gars leur ont donné une raclée ». Il a alors placé le détenu [B] dans une cellule et a remarqué qu’il avait une petite marque rouge au-dessus de l’œil gauche.
  • Il a demandé au détenu [B] ce qui était arrivé et ce dernier a dit qu’il était « tombé en bas de son lit »; il lui a demandé plusieurs fois s’il souhaitait aller à l’infirmerie (dont une fois consignée par vidéo); cependant, le détenu [B] a refusé chaque fois. Il a ensuite repris ses fonctions régulières.
  • Il a également déclaré qu’à aucun moment le directeur adjoint des opérations Hamilton ne lui a dit de ne laisser personne quitter la rangée B supérieure.
  • Interrogé au sujet des « techniques de distraction », il a dit qu’on ne leur enseignait pas à utiliser des « coups de poing » ou des « coups de pied », en particulier à la tête.

[…]

73 Rien dans la réfutation ne mentionne le fait qu’à trois reprises, le 4 octobre 2011, le fonctionnaire a tenté de communiquer avec les gestionnaires correctionnels Leeman et James et avec le directeur adjoint des opérations Hamilton au sujet du retrait du détenu B de sa cellule de la rangée B supérieure.

74 Le 8 décembre 2011, le directeur Pyke a imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire pour sa participation aux événements qui se sont déroulés le 4 octobre 2011 et par la suite, au sujet du détenu B. La lettre indiquant la mesure disciplinaire en date du 8 décembre 2011 figure à la pièce E-2, onglet 11, et précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En tant que gestionnaire correctionnel responsable de la rangée B supérieure, vous étiez présent lorsqu’un détenu a été retiré de sa cellule par les agents correctionnels, sans indication d’une autorisation. Selon votre propre admission, vous n’avez pas remis en question la sortie de ce détenu de votre rangée.

Votre inaction subséquente après que le détenu a été emmené aux cellules d’isolement constitue un motif de préoccupation puisque selon votre propre admission, vous avez refusé de parler avec le détenu lorsqu’il vous l’a demandé et ne lui avez jeté qu’un coup d’œil. Ce faisant, vous avez laissé passer une excellente occasion de déterminer le mauvais traitement d’un détenu par des agents correctionnels.

J’ai examiné avec soin les faits et circonstances du présent cas et, selon l’enquête et vos propres admissions, j’ai conclu que vous n’avez pas pris la mesure appropriée en tant qu’agent de la paix ou gestionnaire correctionnel, ce qui est particulièrement déconcertant. Ce faisant, vous avez commis un acte grave d’inconduite qui viole clairement les Règles de conduite professionnelle et le Code de discipline – Directive du commissaire (« DC ») – 060 du Service correctionnel du Canada (« SCC »).

En particulier, vous avez contrevenu à ce qui suit en vertu des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du SCC :

Règle 1, Responsabilité dans l’exécution des tâches, liée à ce qui suit :

  • 6 f) omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;
  • 6 g) omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;
  • 6 k) en tant que superviseur ou responsable, ferme les yeux ou omet de prendre des mesures lorsqu’un employé commet une infraction aux Règles de conduite professionnelle, un manquement au Code de discipline, ou toute autre irrégularité dont il prend connaissance;
  • 6 m) exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort.

De plus, je conclus que vos actions violent le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique puisque vous avez contrevenu à la valeur éthique qui consiste à agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public. En tant qu’employé du Service correctionnel du Canada, votre priorité est d’assurer la sécurité de vos employés et des contrevenants et votre absence d’action le 4 octobre 2011 est une contravention directe à cette priorité fondamentale. En outre, en tant que gestionnaire correctionnel et agent de la paix, vous êtes assujetti à une norme de conduite plus élevée que les autres fonctionnaires. Une grande confiance vous est accordée et votre conduite doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux.

Vos actions, ou votre absence d’action, le 4 octobre 2011, sont incompatibles avec ce qui est attendu d’un gestionnaire correctionnel du Service correctionnel du Canada. Pour en arriver à ma décision, j’ai tenu dûment compte de tous les facteurs atténuants et aggravants, y compris vos années de service, votre dossier de rendement et vos déclarations faites pendant l’audience disciplinaire. J’ai également tenu compte de votre omission constante de reconnaître vos erreurs de jugement et du fait que votre absence d’action a permis l’agression d’un détenu.

Étant donné la gravité de votre inconduite, je conclus que le lien de confiance qui est fondamental à la relation d’emploi a été gravement compromis. Par conséquent, en vertu du pouvoir qui m’a été délégué par l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et du pouvoir qui m’a été délégué par le commissaire, j’impose comme sanction disciplinaire une suspension de trente (30) jours sans traitement. Votre suspension sans traitement du 13 octobre 2011 au 1er novembre 2011, inclusivement, sera prise en compte dans le calcul de la suspension. La dernière partie de votre suspension sera purgée du 8 décembre 2011 au 30 décembre 2011, inclusivement.

[…]

75 La lettre du 8 décembre 2011 du directeur Pyke comportait une erreur dans le calcul des derniers jours de la suspension à purger, à l’endroit où elle faisait référence à la période [traduction] « du 8 décembre 2011 au 30 décembre 2011 ». Cette erreur a été corrigée par une lettre modifiée en date du 10 décembre 2011 (pièce E-2, onglet 12) qui précise : [traduction] « du 8 décembre 2011 au 29 décembre 2011, inclusivement ».

76 La « Directive du commissaire 060 » (« DC 060 »), le Code de discipline, publiée sous l’autorité du commissaire du SCC le 2 août 2011, sous l’intitulé « Règles de conduite professionnelle », sous le sous-intitulé « Responsabilité dans l’exécution des tâches » et sous le sous-sous-intitulé « Infractions », établit ce qui suit au paragraphe 6 :

6. Commet une infraction l’employé qui :

[…]

f.   omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;

g.  omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

[…]

k.  en tant que superviseur ou responsable, ferme les yeux ou omet de prendre des mesures lorsqu’un employé commet une infraction aux Règles de conduite professionnelle, un manquement au Code de discipline, ou toute autre irrégularité dont il prend connaissance;

[…]

m. exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort.

[…]

77 Le rapport d’enquête a été publié le 10 novembre 2011 et, selon cette enquête, le directeur Pyke a conclu que le fonctionnaire avait agi d’une manière qui n’était pas appropriée et qui correspondait à une inconduite et que la gravité de l’inconduite justifiait une sanction sous la forme d’une suspension de 30 jours. Comme le fonctionnaire avait déjà été suspendu pour une période de 14 jours, en attendant la conclusion de l’enquête, il n’a eu qu’une autre période de suspension de 16 jours sans traitement.

78 Essentiellement, la suspension initiale de 14 jours du fonctionnaire qui a commencé le 13 octobre 2011, s’est transformée en une suspension disciplinaire de 30 jours.

79 Interrogé par l’avocat de l’employeur quant à savoir ce que le fonctionnaire avait fait de mal, M. Pyke a déclaré qu’il avait omis d’établir pourquoi trois agents correctionnels se trouvaient sur la rangée B supérieure, la rangée dont il était responsable, et pourquoi ils retiraient un détenu de sa cellule qui était en isolement cellulaire. La rangée B supérieure était en isolement cellulaire, et personne ne devait en sortir. M. Pyke a poursuivi en déclarant que le fonctionnaire était responsable de cette rangée et qu’à ce titre, il ne fallait permettre à personne sur la rangée de sortir un détenu de sa cellule et de la rangée. Le directeur Pyke a indiqué que cela était particulièrement vrai lorsqu’une agression sur un agent venait de se produire et que les émotions étaient vives. De plus, le directeur Pyke a déclaré que lorsque le fonctionnaire se trouvait à l’unité d’isolement et que le détenu B a demandé à lui parler, le fonctionnaire lui a répondu qu’il était occupé et il s’est éloigné. Le détenu qui se trouvait à l’unité d’isolement était de sa rangée et venait d’en être retiré. Le fonctionnaire était responsable du détenu B et il a manqué une occasion en ne lui parlant pas puisque, le cas échéant, il aurait pu remarquer que des préjudices avaient été causés ou que quelque chose avait mal tourné.

80 Le fonctionnaire a témoigné au sujet d’un incident qui s’est produit en 2000, au cours duquel un détenu avait été agressé par le personnel; lorsqu’il avait agi, il avait été ostracisé et avait subi du harcèlement de la part de ses collègues.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

1. Mise sous scellés du rapport d’enquête caviardé, pièce E-5

81 L’employeur a soutenu que la question à laquelle il fallait répondre en ce qui concerne la mise sous scellé ou non de la version non caviardée du rapport d’enquête est celle qui correspond au critère qui a été établi dans Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, plus communément appelé « Dagenais/Mentuck ».

82 L’avocat m’a renvoyé à Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2013 CRTFP 40, au paragraphe 4, qui précise ce qui suit :

4      Étant donné que ces fonctionnaires ne sont pas des parties à la plainte dont je suis saisie, j’ai conclu, après avoir pris connaissance du rapport, que d’en permettre la diffusion au public causerait préjudice aux autres employés qui y sont mentionnés. Les informations contenues dans le rapport, si elles n’étaient pas mises sous scellés, pourraient porter atteinte à la réputation d’individus qui ne sont pas en cause dans la plainte dont je suis saisie et qui n’ont pas consenti à la publication des conclusions.[…]

83 L’avocat m’a également renvoyé à Reddy c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2012 CRTFP 94.

84 Selon l’employeur, les renseignements qui ont été caviardés du rapport respectent le critère Dagenais/Mentuck et qu’à ce titre la version non caviardée (pièce E-5) devrait être mise sous scellés.

2. Dossier de la Commission 566-02-6867 : suspension du 13 octobre 2011

85 Il s’agit d’une suspension administrative en attendant la fin d’une enquête. Par conséquent, le dossier ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Rien dans la preuve n’a démontré que cette suspension était liée à une mesure disciplinaire.

86 M. Pyke a expliqué le raisonnement sous-tendant la suspension administrative, soit qu’il fallait assurer la sécurité du personnel et des détenus en attendant la conclusion de l’enquête concernant des agressions sur les employés et les détenus survenues le 4 octobre 2011. Le directeur Pyke a confirmé que lorsqu’il aurait suffisamment de renseignements, il mettrait fin à la suspension administrative et ferait revenir le fonctionnaire au travail.

87 L’employeur m’a renvoyé à Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, et à Petrovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 16.

88 Quoi qu’il en soit, la question est théorique puisque le temps passé en suspension administrative a été inclus dans la sanction disciplinaire (voir Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice),2014 CRTFP 61).

3. Dossier de la Commission 566-02-6868 : suspension du 10 décembre 2011

89 Les questions que je dois poser et examiner sont les suivantes :

  1. Y a-t-il eu une inconduite?
  2. S’il y a eu une inconduite, justifiait-elle une mesure disciplinaire?
  3. Si la conduite justifie une mesure disciplinaire, cette dernière était-elle appropriée?

90 Le fonctionnaire a tenté de minimiser sa participation aux incidents qui ont eu lieu le 4 octobre 2011 et il continue de le faire à ce jour. Selon lui, sa participation était secondaire. Même si le fonctionnaire était présent durant les événements du 4 octobre, il ne reconnaît pas sa responsabilité à titre d’agent responsable de la rangée. Il semble refiler cette responsabilité à une autre personne. Pourtant, selon son témoignage à l’audience, le fonctionnaire se présente comme une personne qui avait la situation bien en main et qui tentait de faire toute la lumière sur ce qui s’était produit. D’une part, il tente de souligner qu’il n’y a pas participé alors que, d’autre part, il tente de démontrer qu’il a été proactif et qu’il tentait d’obtenir des réponses.

91 M. Pyke a déclaré, tant dans son témoignage en interrogatoire principal qu’en contre-interrogatoire, que l’omission du fonctionnaire d’agir a mené directement à la sortie du détenu B de sa cellule et à l’agression subséquente. Il a déclaré que non seulement l’inaction de fonctionnaire a mené à l’agression du détenu B, mais également, après le fait, que le fonctionnaire ne souhaitait pas fournir de renseignements ou demander des renseignements lorsqu’il aurait dû le faire.

92 Le témoignage du fonctionnaire contredit les autres témoignages. Sa mémoire peut ne pas être précise. Le fonctionnaire a déposé quatre DROA, lesquelles contiennent peu de renseignements sur ce qui s’est produit le 4 octobre 2011, malgré le fait qu’il les ait rédigées la journée même et les deux jours suivants. Lorsqu’il a présenté ses éléments de preuve à l’audience, la preuve qui portait sur sa participation était plus complète, pourtant, lorsqu’il a été questionné au sujet des incohérences, il a répondu que l’événement remontait à trois ans et que, par conséquent, il n’était pas certain. Selon la logique, une personne est en meilleure position, peu de temps après les événements, pour se souvenir et raconter les événements, alors que plus le temps passe, moins les souvenirs de cet événement sont précis.

93 Le directeur Pyke a énuméré et répété clairement ce qui n’allait pas avec le comportement du fonctionnaire. Le fonctionnaire était un gestionnaire, et il était responsable de la rangée visée par l’isolement cellulaire et d’où un détenu sous sa responsabilité a été retiré par trois CX qui relevaient de lui pour ensuite être agressé. Il n’a pas pris de mesure pour les arrêter. Le directeur Pyke, le directeur adjoint des opérations Hamilton et M. Edwards ont tous déclaré que ce que les trois CX avaient fait ne correspondait pas à la procédure normale. Le droit de retirer un détenu de sa cellule et de l’emmener à l’unité d’isolement ne peut être accordé qu’en vertu d’un pouvoir précis, qui est détenu par le directeur. En son absence, c’est son représentant désigné qui à ce pouvoir, en l’occurrence, le sous-directeur Jensen.

94 Selon le fonctionnaire, il arrive parfois que des actions soient prises qui ne respectent pas à 100 % la procédure; par exemple, le gestionnaire correctionnel peut être appelé par le directeur adjoint des opérations et être informé qu’un détenu doit être envoyé à l’unité d’isolement.

95 Il semble être clair que les personnes qui étaient au cœur de la situation, le 4 octobre 2011, savaient ce qui se passait ou qu’il était facile pour elles de le découvrir. En fait, elles avaient l’obligation de savoir ce qui se passait ou de le découvrir. Le fonctionnaire semblait toujours porter le blâme sur une autre personne; lorsque le détenu B a été retiré de la cellule, deux autres gestionnaires correctionnels étaient présents qui ne faisaient rien et qui étaient davantage concernés. Le directeur Pyke a été clair : le fonctionnaire était responsable de la rangée B supérieure, et les autres gestionnaires correctionnels ne l’étaient pas.

96 Il est également clair que lorsque le fonctionnaire considérait la rangée B supérieure comme étant sa rangée lorsque cela lui convenait; pourtant, à d’autres moments, lorsque cela ne lui convenait pas, une autre personne en était responsable. À ce sujet, son témoignage au sujet de la sortie du détenu B et flagrant. Le fonctionnaire a laissé entendre que son inaction lorsque le détenu B a été sorti de sa cellule était due au fait que deux autres gestionnaires correctionnels étaient présents; pourtant, du même souffle, il a déclaré qu’il n’avait pas accompagné le détenu B avec les trois CX à l’unité d’isolement parce que le gestionnaire correctionnel Leeman lui avait dit qu’il irait à sa place puisque la rangée B supérieure était la rangée du fonctionnaire. Au moment de retirer le détenu B de sa cellule, le fonctionnaire a laissé entendre qu’il n’était pas responsable; pourtant, quelques minutes plus tard, il ne l’a pas suivi à l’unité d’isolement parce qu’il en était responsable.

97 Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait tenté de découvrir ce qui était arrivé; pourtant, en même temps, il a laissé entendre que les activités se déroulaient comme à l’habitude. Il a déclaré que lorsque les trois CX ont sorti le détenu B de sa cellule, il leur a demandé où ils l’emmenaient mais il ne leur a pas demandé en vertu de quelle autorité. Si les activités quotidiennes se déroulaient comme à l’habitude, pourquoi témoigne-t-il alors en long et en large de la question de découvrir après le fait la raison pour laquelle le détenu B a été sorti de sa cellule et emmené à l’unité d’isolement? Pourquoi les suit-il à l’extérieur de la rangée? Pourquoi se rend-il à l’escalier et revient-il uniquement lorsqu’on lui dit de le faire?

98 Dans son témoignage, le fonctionnaire a laissé entendre que lui-même et le gestionnaire correctionnel Leeman devraient être traités de la même façon parce qu’ils sont tous les deux gestionnaire correctionnel, qu’ils se trouvaient sur la rangée B supérieure lorsque le détenu B a été retiré de sa cellule et qu’ils ont tous les deux accompagné les trois CX à l’extérieur de la rangée. Ce que le fonctionnaire n’arrive pas à saisir c’est que le gestionnaire correctionnel Leeman n’est pas dans la même position que lui en raison des renseignements que le fonctionnaire possédait (contrairement au gestionnaire correctionnel Leeman), soit que le détenu A avait désigné le détenu B comme celui qui l’avait incité à agresser le CX Nagle.

99 Ces renseignements étaient en possession du fonctionnaire, et non des autres gestionnaires correctionnels de la rangée B supérieure. De plus, il s’agissait de renseignements essentiels que toute personne, si elle les avait eus en sa possession, pouvait évaluer et utiliser afin de déterminer si le détenu B était en danger. Toute personne raisonnable, en possession des mêmes renseignements que le fonctionnaire, aurait su que si le détenu B est sous sa responsabilité dans sa rangée, elle devrait garder un œil sur lui.

100 Bien que le fonctionnaire ait dit que la situation était normale ou habituelle, ce n’était pas le cas.

101 Même si les actions du fonctionnaire ne font pas en sorte qu’il se retrouve dans la même position que les employés qui ont fait sortir le détenu B et qui l’ont ensuite agressé, son omission à agir et à assumer ses fonctions constitue une inconduite. Le fonctionnaire avait l’obligation et le devoir de prévenir l’agression, et son comportement a permis que le détenu B soit agressé.

102 Le fonctionnaire a également négligé le détenu B lorsque ce dernier se trouvait à l’unité d’isolement et l’a appelé.

103 La documentation du fonctionnaire était inadéquate pour les renseignements qu’il possédait. Le fonctionnaire a tenté de justifier l’absence de DROA en déclarant qu’il était trop occupé; pourtant, il y a d’importants écarts de temps non justifiés durant lesquels le fonctionnaire aurait pu préparer des rapports appropriés. Si l’on accepte le compte rendu des événements du fonctionnaire, ce dernier était clairement au courant, à 17 h 45, que le détenu B avait été agressé. Le fonctionnaire ne finit son quart qu’à 20 h; pourtant, il n’a pas rédigé de DROA sur les renseignements qu’il avait en main.

104 Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il était [traduction] « dépassé », [traduction] « stressé » et [traduction] « déconcerté » par les événements; pourtant, il n’était pas un nouvel employé, il était un gestionnaire correctionnel d’expérience. Sa stupéfaction le paralysait-elle au point où il ne pouvait remplir une DROA? Pourquoi n’est-ce que lorsqu’il a été confronté par le directeur Pyke qu’il s’est rappelé être allé à l’unité d’isolement à trois reprises? Pourquoi a-t-il fallu qu’on lui rappelle qu’il se trouvait sur la rangée lorsque le détenu B a été sorti et pourquoi ne croyait-il pas le directeur et a-t-il demandé à voir la séquence vidéo?

105 Le fonctionnaire était au cœur des événements qui se sont produits le 4 octobre 2011. Il a  été suspendu sans traitement en attendant une enquête interne et une enquête criminelle de l’OPP; pourtant, une partie du témoignage qu’il a fourni à l’audience sur cette question ne se trouve pas dans ses DROA, dans le rapport d’enquête ou dans sa réfutation. L’employeur a soutenu que cela n’était tout simplement pas crédible. Une personne qui est suspendue sans traitement et qui est visée à la fois par une enquête interne de l’employeur et une enquête criminelle ne voudrait-elle pas s’assurer que le dossier soit clair?

106 Le 4 octobre 2011, le fonctionnaire a délibérément fermé les yeux et s’est retiré d’une situation qu’il savait être explosive. Toutefois, en tant que gestionnaire correctionnel responsable de la rangée B supérieure, ce comportement était problématique pour la sécurité du personnel et des détenus de l’établissement. C’est ce que le directeur Pyke a décrit comme l’omission d’agir et de fournir des renseignements essentiels au sujet de l’incident.

107 En ce qui concerne les mesures disciplinaires imposées aux autres personnes ayant pris part à l’incident du 4 octobre 2011, il n’y a aucune preuve en ce qui concerne les autres membres du personnel, en particulier M. Leeman.

108 Selon l’employeur, une période de 30 jours est appropriée dans les circonstances. Il s’agissait d’un grave incident et un message sérieux devait être envoyé. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé aux paragraphes 45 à 48 de Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2014 CRTFP 89.

109 L’employeur m’a également renvoyé à Gravelle et à Buchanan c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel),2002 CRTFP 91.

110 En ce qui concerne l’autre réparation demandée par le fonctionnaire dans ses deux griefs, nous n’avons entendu aucun élément de preuve quant à l’existence d’autres dommages à l’appui de ses demandes.

B. Pour le fonctionnaire

1. Mise sous scellés du rapport d’enquête caviardé, pièce E-5

111 Le fonctionnaire ne s’est pas prononcé à ce sujet.

2. Dossier de la Commission 566-02-6867 : suspension du 13 octobre 2011

112 La suspension est visée par la mesure disciplinaire. Pour cette raison, les arguments du fonctionnaire ont porté surtout sur le grief relatif à la mesure disciplinaire (dossier de la Commission 566-02-6868).

3. Dossier de la Commission 566-02-6868 : suspension du 10 décembre 2011

113 Le fonctionnaire est un employé de longue date, dévoué et diligent, qui compte 20 ans de service.

114 Les événements du 4 octobre 2011 sont à la fois déplorables et tristes.

115 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’avait pas été négligent et que s’il avait été au courant du danger qui existait cette journée-là, soit que des détenus allaient être agressés, il aurait agi. Il a fait valoir que son objectif était d’empêcher du trouble dans l’établissement. Le fonctionnaire a expliqué qu’un incident s’était produit en 2000, au cours duquel un détenu avait été agressé par le personnel; lorsqu’il avait agi, il avait été ostracisé et subi du harcèlement de la part de ses collègues. Il a fait valoir que cela démontre son intégrité et son effort continu, qu’il n’appuie pas la souffrance et qu’il ne négligera pas les situations qui causeront du tort.

116 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas agi avec malveillance.

117 Le fonctionnaire a soutenu que la peine qu’il a reçue était incompatible avec celle qui a été imposée à d’autres employés. Il a ajouté que d’autres employés au sein de l’établissement avaient agi de la même façon que lui.

118 Le fonctionnaire a soutenu avoir fait de nombreuses choses pour contribuer au bien-être de l’établissement et qu’il a pris les meilleures décisions qu’une autre personne aurait prises à ce moment. Il a déclaré qu’il avait des évaluations du rendement exceptionnelles. Il se conforme aux politiques et aux procédures lorsqu’il traite avec le public et les détenus. Il prend de bonnes décisions et est un exemple de ce que devrait être un employé digne de confiance.

119 Le fonctionnaire a fait valoir que l’interprétation des événements par le directeur Pyke n’était pas appropriée. Selon le directeur, l’omission du fonctionnaire de remettre en question la sortie du détenu B de sa cellule a été un facteur déterminant en ce qui concerne la sévérité de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Le fonctionnaire a soutenu avoir pris des mesures afin de déterminer la raison pour laquelle le détenu B avait été sorti de sa cellule.

120 Le fonctionnaire a déclaré que selon la culture au Pénitencier de Kingston, les détenus étaient retirés des rangées par les gestionnaires correctionnels ou le directeur adjoint des opérations sans que le gestionnaire correctionnel de la rangée le sache. La vidéo montre que le processus de sortie du détenu B était déjà en cours lorsque le fonctionnaire est allé au niveau inférieur de la rangée B supérieure. Deux autres gestionnaires correctionnels étaient déjà présents. Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait demandé ce qui se passait au gestionnaire correctionnel Leeman et que ce dernier lui avait répondu qu’il ne le savait pas. Le fonctionnaire a déclaré qu’il croyait à l’époque que le fait de commencer à questionner ce qui se déroulait aurait pu [traduction] « aggraver » une situation déjà volatile avec les détenus de la rangée B supérieure.

121 Le fonctionnaire a déclaré qu’il était en voie d’accompagner les trois CX et le détenu B à l’unité d’isolement lorsque le gestionnaire correctionnel Leeman lui a dit qu’il les accompagnerait et que le fonctionnaire devrait rester sur la rangée B supérieure, qui était [traduction] « sa rangée ». Le fonctionnaire a soutenu que les gestes qu’il avait posés étaient suffisants et raisonnables dans les circonstances pour déterminer la raison pour laquelle le détenu B était retiré de la rangée.

122 M. Pyke a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas agi avec diligence raisonnable pour compléter les formalités administratives rapidement. Selon le fonctionnaire, il a rempli les documents nécessaires soit le jour de l’incident, soit le jour suivant. Le fonctionnaire a ajouté avoir rempli des DROA de suivi lorsqu’il a pris connaissance d’autres renseignements.

123 M. Pyke a indiqué que le fonctionnaire avait manqué une occasion clé de parler avec le détenu B lorsqu’il était dans l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a indiqué qu’il pensait que le gestionnaire correctionnel Leeman allait s’occuper de découvrir la raison pour laquelle le détenu B avait été retiré de sa cellule et amené à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a indiqué qu’il s’était rendu à l’unité d’isolement pour tenter d’obtenir des renseignements du gestionnaire correctionnel Leeman. Cependant, en l’absence de M. Leeman, il a décidé de tenter de découvrir la raison pour laquelle le détenu B avait été transféré à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a indiqué que, même si le détenu B l’avait appelé par son nom, il n’était pas allé lui parler puisqu’il sentait qu’il n’avait pas les renseignements nécessaires pour discuter avec lui. Le fonctionnaire a également affirmé qu’il croyait que n’importe qui d’autre dans sa situation aurait fait la même chose.

124 Le fonctionnaire a affirmé que le directeur Pyke n’avait pas imposé de mesure disciplinaire dans des situations comparables. Selon lui, la décision du directeur Pyke d’imposer une suspension de 30 jours était excessive, punitive et n’était pas de nature corrective. Rien ne suggère que les actes du fonctionnaire justifiaient une suspension de 30 jours. Selon le fonctionnaire, le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James étaient dans la même salle d’entrevue que le détenu A lorsque ce dernier a mentionné le nom du détenu B et ni l’un ni l’autre n’a rédigé de DROA ce jour-là. Le fonctionnaire a affirmé que ce n’est qu’au retour du directeur Pyke à l’établissement que les DROA ont été rédigés, et ce, même dans le cas du directeur adjoint des opérations qui, compte tenu de son poste, aurait dû être tenu de se conformer à une norme supérieure.

125 Le fonctionnaire a affirmé que le gestionnaire correctionnel Leeman n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires. M. Leeman était sur la rangée B supérieure lorsque des agents ont sorti le détenu B; il a également omis de remplir les documents nécessaires le jour des événements. Le gestionnaire correctionnel Leeman n’a pas posé de questions aux CX qui ont retiré le détenu B de la rangée B supérieure et il n’a pas suivi les trois CX et le détenu B jusqu’à l’unité d’isolement, contrairement à ce qu’il a dit qu’il ferait. Si M. Leeman l’avait fait, il aurait prévenu une agression potentielle sur le détenu B. M. Leeman occupait le même poste que le fonctionnaire. Le traitement du gestionnaire correctionnel Leeman comparé à la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire démontre un traitement inéquitable à l’égard du fonctionnaire.

126 Le fonctionnaire a affirmé que le fait que le directeur Pyke ait pris en compte l’omission du fonctionnaire de parler avec le détenu B lorsque ce dernier était dans l’unité d’isolement contribue à la nature excessive de la suspension disciplinaire de 30 jours. Selon le fonctionnaire, de nombreuses occasions manquées et l’inaction du personnel du Pénitencier de Kingston auraient potentiellement pu empêcher l’agression du détenu B et que l’incidence de ces manquements était plus importante que la détermination que des voies de fait avaient déjà eu lieu.

127 Le fonctionnaire a reconnu qu’il aurait pu s’améliorer à certains égards, dont le fait de documenter avec plus de précision. Il a également souligné que tout humain raisonnable aurait considéré la situation comme une occasion d’apprentissage.

128 Il a affirmé avoir fait de son mieux à l’époque.

129 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’avait pas agi de manière négligente, sans diligence raisonnable ou sans intégrité. Il a agi en fonction d’hypothèses raisonnables que toute personne aurait faites à l’époque.

130 Le fonctionnaire a souligné qu’il avait été sans revenu durant six semaines et qu’il n’avait pas été capable de soutenir sa famille.

131 Le fonctionnaire a affirmé qu’il devrait également être dédommagé pour la perte de 171 heures supplémentaires qu’il n’a pas pu effectuer durant cette période.

132 Le fonctionnaire a affirmé que la mesure disciplinaire consistant en une suspension de 30 jours était sévère et excessive.

C. Réponse de l’employeur

133 Aucune preuve, quelle qu’elle soit, n’a été présentée à l’égard des heures supplémentaires. Le fardeau des dommages incombe au fonctionnaire et ce dernier n’a présenté aucune preuve à ce sujet. Il n’a pas non plus présenté de preuve relative aux heures supplémentaires attribuées ou à celles qu’il a travaillées durant cette année, pas plus qu’il n’a présenté de preuve relative aux heures supplémentaires qui étaient, ou auraient pu être, disponibles durant cette période.

IV. Motifs

A. Mise sous scellés du rapport d’enquête caviardé, pièce E-5

134 Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels,2012CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, la CRTFP a déclaré ce qui suit :

9                     La mise sous scellés de documents ou de dossiers déposés en vue d’une audience judiciaire ou quasi judiciaire va à l’encontre du principe fondamental consacré dans notre système de justice selon lequel les audiences sont publiques et accessibles. La Cour suprême du Canada a statué que l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire était un droit protégé par la Constitution en vertu des dispositions sur la « liberté d’expression » de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII).

10                   Cependant, la liberté d’expression et le principe de transparence et d’accessibilité publique des audiences judiciaires et quasi judiciaires doivent parfois être soupesés en fonction d’autres droits importants, dont le droit à une audience équitable. Bien que les cours de justice et les tribunaux administratifs aient le pouvoir discrétionnaire d’accorder des demandes d’ordonnance de confidentialité, de non-publication et de mise sous scellés de pièces, ce pouvoir discrétionnaire est limité par l’exigence de soupeser ces droits et intérêts concurrents. Dans Dagenais et Mentuck, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’accepter une demande de restriction de l’accès aux procédures judiciaires ou aux documents déposés dans le cadre de ces procédures. Ces décisions ont mené à ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le critère Dagenais/Mentuck.

11                   Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non-publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

  • a. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

  • b. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

135 Les parties du rapport d’enquête qui ont été caviardées comprennent le nom des deux détenus qui ont pris part aux incidents du 4 octobre 2011 et le nom des membres du personnel qui ont été interrogés et ont fait l’objet de l’enquête. À certains endroits, les parties caviardées ont trait à la sûreté et la sécurité du service correctionnel, soit de ses établissements ou des personnes qui y sont en tant que détenus, qui y travaillent en tant que membre du personnel ou d’entrepreneurs ou des personnes qui peuvent visiter un établissement. D’autres parties du rapport d’enquête qui ont été caviardées étaient des analyses et des constatations à l’égard de membres du personnel, dont les faits peuvent être exacts ou non, et peuvent faire l’objet d’autres procédures, y compris des poursuites criminelles.

136 Le droit à un procès équitable lors d’une poursuite criminelle, la réputation d’une personne, la sûreté et la sécurité des personnes qui ont passé du temps dans des établissements correctionnels, qu’il s’agisse de détenus, de membres du personnel, d’entrepreneurs, ou de visiteurs, sont tous reconnus comme des intérêts importants, et la confidentialité des détails de ces faits, sont des intérêts qui l’emportent sur le droit d’accessibilité publique à des parties du rapport d’enquête. Par conséquent, en l’espèce, j’ordonne que la version non caviardée du rapport d’enquête, déposée à titre de pièce E-5, soit scellée.

B. Dossier de la Commission 566-02-6867 : suspension du 13 octobre 2011

137 Le grief relatif à la suspension du 13 octobre 2011 a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Par conséquent, tel qu’il est indiqué au paragraphe 90 de Petrovic, « [p]our se déclarer compétent, un arbitre de grief doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la suspension sans traitement en attendant une enquête était une décision disciplinaire et non administrative. »

138 Le document d’évaluation du critère Larson initial a été rempli par le directeur Pyke, le 11 octobre 2011. Le directeur Pyke a témoigné devant moi au sujet des raisons qui ont mené à la suspension du fonctionnaire peu après. Selon M. Pyke, le fonctionnaire l’a incité à croire que son lien avec les incidents du 4 octobre 2011 était secondaire. À son retour au Pénitencier de Kingston, le jour après les incidents, lors de son examen initial de l’incident, M. Pyke a constaté que le rôle du fonctionnaire était plus important que ce qu’il avait laissé croire au directeur. De plus, M. Pyke était préoccupé par le manque d’explications du fonctionnaire sur les raisons pour lesquelles trois CX ont eu la permission de retirer le détenu B de sa rangée peu après l’identification du détenu B en tant que prétendu instigateur de l’attaque contre CX Nagle. M. Pyke était également préoccupé par la raison pour laquelle le fonctionnaire ne s’était pas arrêté pour parler au détenu B lorsque ce dernier l’a interpellé alors qu’il se trouvait à l’unité d’isolement peu de temps après avoir été retiré de la rangée B supérieure. M. Pyke a indiqué qu’il y a eu un manque de confiance relativement à ce qui s’est passé et que, pour la sûreté et la sécurité de l’établissement et du personnel qui s’y trouve, il était préférable que le fonctionnaire soit suspendu en attendant plus de renseignements. Lorsqu’il a décidé de suspendre le fonctionnaire, le directeur Pyke a décidé qu’il y aurait une évaluation du suivi trois semaines après la suspension.

139 Par lettre en date du 14 octobre 2011, le directeur Pyke a suspendu le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée en attendant la conclusion des enquêtes menées par le SCC et l’OPP. Le directeur Pyke a informé le fonctionnaire que le statut de la suspension pour une période indéterminée serait revu toutes les trois semaines afin d’étudier une possible réintégration et, plus précisément, que le dossier du fonctionnaire serait revu le 3 novembre 2011.

140 En fait, le 1er novembre 2011, le directeur Pyke a réévalué la suspension pour une durée indéterminée du fonctionnaire et a établi, au moyen du critère Larson, et en fonction de renseignements obtenus durant l’enquête interne de SCC et de l’OPP, que le fonctionnaire pouvait être réintégré, quoique seulement dans des fonctions modifiées en attendant les conclusions de l’enquête.

141 Le rapport d’enquête a été publié le 10 novembre 2011 et, en s’y appuyant, le directeur Pyke a conclu que le fonctionnaire avait agi d’une manière qui n’était pas appropriée et qui correspondait à une inconduite. Il a également conclu que la gravité de l’inconduite justifiait une sanction sous la forme d’une suspension de 30 jours. Comme le fonctionnaire avait déjà été suspendu pour une période de 14 jours en attendant la conclusion de l’enquête, il n’a eu qu’une autre période de suspension de 16 jours sans traitement.

142 Essentiellement, la suspension initiale de 14 jours du fonctionnaire, qui a commencé le 13 octobre 2011, s’est transformée en une suspension disciplinaire de 30 jours.

143 Le fait que l’employeur ait imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire sous la forme d’une suspension de 30 jours, en incluant les 14 jours de la suspension qui a commencé le 13 octobre 2011, fait en sorte que la suspension du 13 octobre est théorique. Je suis d’accord avec le raisonnement dans Gravelle selon lequel l’acte de l’employeur, qui a utilisé le temps passé en suspension d’une durée indéterminée pour une partie de la suspension disciplinaire, a fait en sorte que le temps de la suspension devient une seule et unique mesure disciplinaire.

144 Le grief visé par le dossier 566-02-6867 de la Commission est rejeté.

C. Dossier de la Commission 566-02-6868 : suspension du 10 décembre 2011

145 Les audiences d’arbitrage en ce qui concerne les mesures disciplinaires imposées en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sont des audiences de novo, et le fardeau de la preuve incombe au défendeur.

146 Le fondement habituel de l’arbitrage de questions de discipline est d’étudier les trois questions suivantes (voir Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P 162, [1977] 1 CLRBR 1) : Le fonctionnaire a-t-il commis une inconduite? S’il y a eu une inconduite, la discipline imposée par l’employeur était-elle une pénalité appropriée dans les circonstances? Si la discipline imposée n’était pas appropriée, quelle pénalité alternative serait appropriée dans les circonstances?

147 La première question à trancher est de savoir si les actes du fonctionnaire constituaient une inconduite. L’employeur a souligné que le fonctionnaire avait commis une erreur dans l’exercice de ses fonctions et que ce manquement avait mené aux voies de fait contre le détenu B. Le fonctionnaire, bien qu’il ait admis qu’il aurait agi différemment s’il en avait su plus, a souligné qu’il n’avait rien fait de mal et qu’il n’avait pas agi de manière différente que d’autres membres du personnel occupant le même poste ou un poste plus élevé au Pénitencier de Kingston.

148 En ce qui concerne la première question de savoir s’il y a eu inconduite, certains des faits saillants semblent être contestés. La plus grande part des faits présentés par le fonctionnaire à l’appui de sa position vient de son témoignage. À plusieurs occasions, les faits présentés par le fonctionnaire dans son témoignage étaient contraires à ceux présentés par les témoins de l’employeur. La crédibilité est au premier plan de la présente affaire.

149 Les questions liées à la crédibilité sont tranchées au moyen du critère énoncé dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Si l’acceptation de la crédibilité d’un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de l’opinion qu’a ce dernier de l’apparence de sincérité de chaque personne se présentant à la barre des témoins, les conclusions seraient purement arbitraires, et l’administration de la justice dépendrait des talents d’acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qui est considéré comme crédible […] Par son attitude, un témoin peut créer chez le juge de première instance une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances de l’affaire permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Nous ne songeons pas ici aux situations, somme toute assez peu fréquentes, où le témoin est pris en train de dire un mensonge maladroit.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. En somme, pour pouvoir réellement conclure que l’histoire d’un témoin est vraie en pareil cas, celle-ci doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances.

150 Les faits incontestés en ce qui concerne les événements du 4 octobre 2011 sont les suivants :

  1. À 10 h 47 min 48 s, le détenu A commet des voies de fait contre le CX Nagle à la rangée B supérieure du Pénitencier de Kingston. Le détenu A est maîtrisé et amené à l’unité d’isolement.
  2. À 11 h 9, le fonctionnaire entre dans l’unité d’isolement et, lorsqu’il y est, avec l’aide d’un CX et de l’infirmière Leduc, effectue une évaluation médicale ayant nécessité le recours à la force du détenu A.
  3. À 11 h 22, le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James entrent dans l’unité d’isolement.
  4. À un moment, entre 11 h 22 et 11 h 35 min 43 s, le directeur adjoint des opérations Hamilton, le gestionnaire correctionnel James et le fonctionnaire entrent dans la salle d’entrevue où le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James interrogent le détenu A en présence du fonctionnaire. Durant cette entrevue, le détenu A nomme le détenu B comme étant la personne qui l’a incité à agresser le CX Nagle.
  5. À 11 h 35 min 43 s, le détenu A quitte l’unité d’isolement, accompagné par le directeur adjoint des opérations Hamilton, le gestionnaire correctionnel James, le fonctionnaire et deux CX.
  6. À 11 h 45, trois CX retirent le détenu B de sa cellule à la rangée B supérieure. Le gestionnaire correctionnel Leeman et le fonctionnaire étaient tous deux présents lorsque cela est arrivé.
  7. À 11 h 47 min 14 s, le détenu B, escorté par cinq CX, entre dans l’unité d’isolement.
  8. L’un des CX qui a retiré le détenu B de sa cellule et qui l’a escorté dans l’unité d’isolement à 11 h 47 min 14 s était dans l’unité d’isolement lorsque l’entrevue du détenu A a eu lieu entre 11 h 22 et 11 h 35 min 43 s et il a quitté l’unité d’isolement au même moment que le détenu A, le directeur adjoint des opérations Hamilton, le gestionnaire correctionnel James et le fonctionnaire.
  9. Peu après 11 h 47 min 14 s, le détenu B fait l’objet de voies de fait alors qu’il est dans l’unité d’isolement.

151 Entre 11 h 22 et 11 h 35 min 43 s, une entrevue est faite dans la salle d’entrevue de l’unité d’isolement, lors de laquelle le détenu A a nommé le détenu B comme étant l’instigateur allégué en ce qui concerne les voies de fait contre le CX Nagle. Entre ce moment et 11 h 45, en un peu moins de 10 minutes, trois CX sont arrivés à l’entrée de la cellule du détenu B de la rangée B supérieure avec une clé et ont retiré le détenu B de sa cellule. Ils l’ont emmené à l’unité d’isolement, où le détenu B a ensuite été l’objet de voies de fait. Selon le fonctionnaire, la porte de la salle d’entrevue de l’unité d’isolement (où l’identité du détenu B est divulguée) était fermée. Seulement trois membres du personnel étaient dans la salle et pouvaient entendre le détenu A identifier le détenu B en tant qu’instigateur allégué, soit le fonctionnaire, le directeur adjoint des opérations Hamilton et le gestionnaire correctionnel James. Il n’y a absolument aucune preuve que ce soit, provenant d’une quelconque source, démontrant que ce renseignement a été divulgué à qui que ce soit d’autre à un autre moment important. Si ces faits sont jugés exacts, alors le plaignant, le directeur adjoint des opérations Hamilton ou le gestionnaire correctionnel James aurait dû divulguer l’identité du détenu B aux trois CX qui se sont présentés pour retirer le détenu B de sa cellule. Toutefois, il n’y a absolument aucune preuve qu’il s’agisse d’un fait, pas plus qu’il n’y a eu d’allégations à cet égard.

152 Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans sa preuve et a établi dans son DROA (pièce E-1) que, lorsque lui et le gestionnaire correctionnel James ont interrogé le détenu A, la porte de la salle était ouverte et qu’il y avait des CX à l’extérieur de la salle qui pouvaient entendre ce qui s’y passait. Je préfère la preuve du directeur adjoint des opérations Hamilton sur ce point, puisque sa version des faits coïncide avec la prépondérance de la preuve à cet égard. À un moment entre 11 h 22 et 11 h 35 min 43 s, le détenu A a divulgué l’identité du détenu B en tant qu’instigateur allégué des voies de fait contre le CX Nagle. Puisque l’un des CX qui s’est présenté à la cellule du détenu B et qui a aidé à l’en retiré était, en fait, dans l’unité d’isolement au moment de l’entrevue et qu’il est sorti de l’unité d’isolement en même temps que le fonctionnaire, MM. Hamilton et James, et le détenu A, il semble plus vraisemblable qu’il s’agisse de la version réelle des événements et il est beaucoup plus probable que ce soit la manière dont les renseignements ont été obtenus.

153 Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il n’a pas été informé de l’isolement cellulaire par le directeur adjoint des opérations Hamilton. Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans son témoignage, de même que dans son DROA (pièce E-1), qu’il avait ordonné l’isolement cellulaire et donné des instructions précises au fonctionnaire à cet égard. Je préfère la preuve du directeur adjoint des opérations Hamilton sur ce fait également. Un membre du personnel d’un pénitencier à sécurité maximale venait tout juste d’être l’objet de voies de fait. J’ai du mal à accepter qu’un gestionnaire correctionnel avec environ 17 années de service qui travaille au Pénitencier de Kingston ne saurait pas, en guise de bon sens, que la section de l’établissement où les voies de fait ont eu lieu serait en isolement cellulaire, et ce, qu’il ait reçu des instructions à cet égard ou non. Ce qui rend la version du fonctionnaire d’autant plus difficile à accepter est qu’il a souligné qu’à son retour à la rangée B supérieure, après son départ de l’unité d’isolement mais avant le retrait du détenu B de sa cellule, il a constaté que tous les détenus étaient enfermés dans leur cellule et avaient recouvert les portes et les barreaux de leur cellule de couvertures pour empêcher le personnel de voir à l’intérieur. Le fonctionnaire devait certainement savoir que la rangée était en isolation cellulaire, que le directeur adjoint des opérations Hamilton le lui ait dit ou non. En effet, le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il était un enquêteur formé et le directeur adjoint des opérations lui avait donné pour instruction d’effectuer une recherche de preuve dans la rangée. Quel meilleur moyen de sécuriser un secteur pourrait-il y avoir que d’enfermer tout le monde à l’intérieur et, plus précisément, d’enfermer les détenus dans leurs cellules?

154 L’événement le plus important en lien avec la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire a eu lieu lors du retrait du détenu B de sa cellule. Selon la preuve de l’employeur, trois CX ont obtenu une clé du poste de contrôle de la rangée B supérieure et ont manuellement ouvert la porte de la cellule du détenu B pour l’en retirer. Le fonctionnaire n’a pas contesté ce fait. Le fonctionnaire a souligné qu’il était au niveau supérieur de la rangée B supérieure lorsque trois CX ont sorti le détenu B de sa cellule, alors que le gestionnaire correctionnel Leeman était au bas des escaliers (qui menaient au niveau supérieur), juste à l’extérieur de la cellule du détenu B. Le fonctionnaire, cependant, a confirmé qu’il était arrivé au bas des escaliers alors que les trois CX avaient sorti le détenu B de sa cellule et qu’ils étaient toujours sur la rangée B supérieure.

155 La seule preuve de la discussion qui a eu lieu au moment où le détenu B a été sorti de sa cellule est présentée par le fonctionnaire. Ce dernier a indiqué dans son témoignage qu’il avait demandé au gestionnaire correctionnel Leeman ce qui se passait et que ce dernier lui a dit qu’il n’en avait aucune idée. Il a ensuite indiqué qu’il avait demandé aux trois CX où ils emmenaient le détenu B, et qu’ils lui ont répondu qu’ils l’emmenaient à l’unité d’isolement. Le fonctionnaire a ensuite dit que lui et le gestionnaire correctionnel Leeman avaient accompagné les trois CX qui escortaient le détenu B, lequel était coopératif et menotté, en bas de la rangée, puis à l’extérieur. Selon le fonctionnaire, une fois que les six d’entre eux se sont retrouvés à l’extérieur de la rangée, le gestionnaire correctionnel Leeman lui a dit de retourner à la rangée et de poursuivre la recherche, puisque c’était [traduction] « sa rangée ».

156 Le fonctionnaire a indiqué dans la preuve qui m’a été présentée qu’il avait l’intention de découvrir la raison pour laquelle le détenu B avait été retiré de la rangée. Il a indiqué lors de son interrogatoire principal qu’il n’y avait rien d’inhabituel, puisque les détenus étaient souvent sortis de leur rangée pour être amenés à l’isolement. Lors de son contre-interrogatoire à ce sujet, le fonctionnaire a indiqué avoir dit au gestionnaire correctionnel Leeman qu’il irait avec eux à l’unité d’isolement. Il a également indiqué dans sa preuve en interrogatoire principal et, de nouveau, en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas demandé aux trois CX en vertu de quelle autorité ils avaient retiré le détenu B de sa cellule parce qu’il ne voulait pas aggraver les choses avec les détenus.

157 Même s’il y avait une séquence vidéo de la TVCF, aucune n’a été produite en preuve, pas plus que je n’ai été port à croire qu’il y avait une bande audio associée à la séquence.

158 Aucun des trois CX n’a témoigné devant moi. Le détenu B ou le gestionnaire correctionnel Leeman n’ont pas non plus témoigné devant moi.

159 Dans le rapport d’enquête, il n’est pas question (dans la partie qui comprend le résumé des entrevues avec le fonctionnaire) d’une quelconque discussion entre le fonctionnaire, les trois CX et le gestionnaire correctionnel Leeman lorsque le détenu B a été retiré de sa cellule et de la rangée. De plus, aucun des quatre DROA remplis par le fonctionnaire, dont celui du 5 octobre 2011, ne donne de précision quant au retrait du détenu B de sa cellule. Dans sa réfutation (pièce E-2, onglet 10), bien que le fonctionnaire renvoie aux sections concernant le retrait du détenu B de sa cellule, il ne mentionne jamais une quelconque discussion qu’il a prétendument eue avec les trois CX ou avec le gestionnaire correctionnel Leeman. La seule référence faite à une quelconque discussion à ce moment ou aux environs de ce moment, concerne le moment où le gestionnaire correctionnel Leeman a prétendument dit au fonctionnaire, après qu’ils soient sortis de la rangée, qu’il accompagnerait les trois CX et le détenu B à l’unité d’isolement. En fait, le fonctionnaire a précisé, dans sa réfutation, à la deuxième page où il faisait référence au point 5 de la page 6, qu’il [traduction] « n’a pas confronté les agents de la rangée devant les autres employés ou les détenus ».

160 J’ai présenté, aux paragraphes 36 et 37 de la présente décision, ce que le fonctionnaire, dans son témoignage devant moi, a soutenu avoir fait une fois que le détenu B a été retiré de sa cellule. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que, une fois le détenu B retiré de sa cellule, il a tenté à plusieurs reprises, durant une grande partie de l’après-midi du 4 octobre 2011, de communiquer avec le directeur adjoint des opérations Hamilton et les gestionnaires correctionnels Leeman et James. Le fonctionnaire a longuement décrit exactement ce qu’il a fait et à quel moment. Le rapport d’enquête, cependant, présente une chronologie des faits saillants qui ont eu lieu le 4 octobre 2011; les temps des événements ont été vérifiés avec les séquences vidéo de la TVCF. Selon cette chronologie, il est clair que le fonctionnaire est entré dans l’unité d’isolement à 12 h 21 min 59 s, avec le gestionnaire correctionnel James et deux autres CX. Selon cette même chronologie, le gestionnaire correctionnel James est sorti de l’unité d’isolement à 12 h 22 et y est de nouveau entré à 12 h 49 et le fonctionnaire n’a pas quitté l’unité d’isolement avant 12 h 56.

161 Le fonctionnaire a confirmé en contre-interrogatoire qu’il a vu la séquence vidéo de la TVCF, dans laquelle on le voit entrer dans l’unité d’isolement accompagné du gestionnaire correctionnel James et d’autres CX. Lorsqu’il a été confronté à ces faits, il a affirmé qu’il ne s’en souvenait pas.

162 Le témoignage du fonctionnaire ne satisfait pas le critère de Faryna. Le fonctionnaire a allégué dans son témoignage qu’après le retrait du détenu B de sa cellule à 11 h 45, il a tenté durant un certain nombre d’heures, sans succès, de communiquer avec MM. Hamilton, Leeman et James. Pourtant, selon la séquence vidéo de la TVCF, il est entré dans l’unité d’isolement quelque 37 minutes après que le détenu B a été sorti de sa cellule.

163 Le fonctionnaire a également indiqué que, lorsqu’il est allé à l’unité d’isolement, il a spécifiquement demandé au CX Lyons où les gestionnaires correctionnels Leeman et James étaient, ce à quoi le CX Lyons a prétendument répondu qu’il ne le savait pas. Si la séquence vidéo de la TVCF indique que le fonctionnaire est entré dans l’unité d’isolement à un moment exact (12 h 21 min 59 s), alors son témoignage ne peut pas être correct.

164 Le directeur adjoint des opérations Hamilton a indiqué dans son témoignage, et dans son DROA, qu’après avoir quitté l’unité d’isolement, il est retourné à son bureau et que, peu après, les gestionnaires correctionnels Leeman et Albano sont arrivés et lui ont dit que le détenu B était en bas, à l’unité d’isolement. Selon le fonctionnaire, cela n’est pas arrivé. Selon la preuve du directeur adjoint des opérations Hamilton, le fonctionnaire a dit aux gestionnaires correctionnels que l’un d’entre eux devait descendre à l’unité d’isolement et que personne ne devait parler au détenu B avant que les agents du renseignement de sécurité l’interrogent. Il a indiqué avoir alors reçu un appel du gestionnaire correctionnel James à l’infirmerie indiquant que le détenu A faisait une surdose, et il a ensuite communiqué avec la gestionnaire correctionnelle en service pour qu’elle organise une escorte pour emmener le détenu A à l’hôpital.

165 La version du directeur adjoint des opérations Hamilton de ce qui s’est produit coïncide avec deux autres éléments de preuve. D’abord, il y a la pièce E-4, qui est une copie du DROA de l’infirmière Leduc. La preuve principale de ce DROA est la déclaration selon laquelle le détenu A avait ingéré une grande quantité de comprimés, environ une heure avant d’obtenir des soins, et qu’il a été transporté par ambulance à l’urgence du KGH. L’infirmière Leduc a indiqué le moment des incidents à 11 h 30 et l’heure de son DROA à 13 h. Le DROA a été examiné et signé par le fonctionnaire. Les renseignements du DROA de l’infirmière Leduc coïncident avec les renseignements du directeur adjoint des opérations relatifs au détenu A. La preuve du directeur adjoint des opérations Hamilton coïncide également avec la chronologie présentée dans le rapport d’enquête qui consigne les indications de la séquence vidéo de la TVCF selon lesquelles le fonctionnaire est entré dans l’unité d’isolement à 12 h 21 min 59 s, et ne l’a pas quitté avant 12 h 56.

166 Le fonctionnaire a indiqué dans sa preuve devant moi que, lorsqu’il est entré dans l’unité d’isolement la première fois (après le retrait du détenu B de la rangée B supérieure), alors qu’il était sur le point de partir, le détenu B l’a interpellé. Le fonctionnaire a déclaré avoir regardé dans la cellule et avoir dit au détenu B [traduction] « Je ne sais pas pourquoi vous êtes en isolement, je vais le découvrir et je vais vous en reparler ». Dans son DROA en date du 6 octobre 2011, le fonctionnaire a raconté les événements en ces termes : [traduction] « Comme je partais, le détenu [B] m’a appelé par mon nom depuis la cellule de détention et j’ai répondu “non, je ne souhaite pas lui parler pour le moment” et je me suis éloigné ». Dans le résumé des entrevues avec le fonctionnaire que l’on retrouve dans le rapport d’enquête (pièce E-2, onglet 8/pièce E-5), les faits liés à cette partie des événements indiquent simplement que le fonctionnaire ne voulait pas parler au détenu B et qu’il est donc passé devant la cellule de détention. Le fonctionnaire n’a pas du tout mentionné cette partie des événements dans sa réfutation. Lorsque le fonctionnaire a été contre-interrogé sur le rapport d’enquête, il a reconnu ne pas avoir noté dans sa réfutation que c’était incorrect. En contre-interrogatoire, il a affirmé que le détenu B lui avait parlé et qu’il avait parlé au détenu B.

167 La version du plaignant de ce qui s’est passé le 4 octobre 2011 ne résiste pas à un examen approfondi. Il y a trop d’incohérences relativement à des événements principaux. Je préfère donc la preuve produite par MM. Pyke, Edwards et Hamilton. Même si ni M. Pyke ni M. Edwards n’étaient présents le 4 octobre 2011, ils n’étaient également d’aucune manière impliqués dans les incidents. M. Edwards a été appelé pour mener l’enquête. Il est un employé de SCC ayant de l’ancienneté et il a travaillé à tous les niveaux du système pénitencier, y compris en tant que CX et gestionnaire correctionnel. La preuve que j’accepte comme étant fiable de sa part comprend les faits tirés de la séquence vidéo de la TVCF et celle qu’il a présentée en fonction de son expérience d’ancien employé de SCC qui travaille dans les pénitenciers. À cet égard, je me suis fié sur sa preuve voulant que le fait de sortir le détenu B au moyen d’une clé pour la porte de la cellule au lieu de l’habituelle ouverture et fermeture à distance n’était pas une situation normale. Ce fait n’a pas été contesté.

168 À mon avis, il est évident pour une personne raisonnable, a fortiori pour un gestionnaire qui travaille dans un pénitencier à sécurité maximale, que, compte tenu des faits connus par le fonctionnaire après l’entrevue du détenu A en fin d’avant-midi (selon laquelle le détenu B était une personne revêtant un intérêt particulier) et lorsque trois CX se sont présentés, ont déverrouillé la cellule et ont retiré le détenu (pas plus de 9 minutes après que ce dernier a été nommé par le détenu A), que le fonctionnaire aurait dû s’interposer et empêcher le retrait du détenu B. Les excuses du fonctionnaire à cet égard sont intéressées et ne sont simplement pas crédibles. Les détenus de la rangée B supérieure ont non seulement été enfermés dans leurs cellules; ils ont également mis des couvertures et des serviettes sur les barreaux ou aux fenêtres des portes de leur cellule pour que le personnel ne puisse pas voir à l’intérieur. Le détenu B était coopératif et menotté et les seules personnes qui auraient pu voir d’un mauvais œil le fait que le fonctionnaire demande en vertu de quelle autorité ils sortaient le détenu B auraient été les trois CX, lesquels relevaient du fonctionnaire.

169 Je crois que, le matin du 4 octobre 2011, lorsque les trois CX sont arrivés à la rangée B supérieure, le fonctionnaire savait exactement ce qui se passait et qu’il a choisi de faire comme s’il n’avait rien vu. Le fait qu’il n’ait pas empêché les CX de retirer le détenu B de sa cellule a permis les voies de fait contre le détenu B. Selon sa preuve, il a demandé aux trois CX où ils allaient et au gestionnaire correctionnel Leeman ce qui se passait. Si M. Leeman lui a dit qu’il [traduction] « ne le savait pas », la question évidente à se poser était : qui leur a donné l’autorité de sortir le détenu d’une rangée en isolement cellulaire? Le fonctionnaire aurait facilement pu les arrêter. Si renvoyer le détenu B à sa cellule le préoccupait, il aurait pu leur demander à tous de descendre dans son bureau. Il y avait beaucoup de personnel autour et les détenus étaient tous en isolement cellulaire.

170 Je constate également que le fonctionnaire a omis d’effectuer ses fonctions lorsqu’il a rapporté les déclarations des événements du 4 octobre 2011. Le DROA initial du fonctionnaire, qui présentait des renseignements initiaux sur les voies de fait contre le CX Nagle, n’est pas en cause. Cependant, son omission de rendre compte par la suite, jusqu’à ce que le directeur le presse de le faire, associé à son manque complet de candeur lorsqu’il a finalement établi un rapport, franchement, à mon avis, n’étaient rien de plus qu’une tentative de sa part de couvrir sa propre inconduite dans le cadre des événements du 4 octobre 2011.

171 Je constate que le fonctionnaire a violé la DC 060, Code de discipline, comme l’a indiqué le directeur dans sa lettre de discipline en date du 8 décembre 2011, modifiée le 10 décembre 2011.

172 Même si l’on ne m’a pas fourni de copie du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, mon expérience de travail et ma connaissance de ce document, associées au simple fait qu’il est simplement inapproprié et immoral de faire comme si l’on n’était pas au courant d’une possible violence non provoquée contre une personne, et plus encore d’une personne dont vous êtes responsable, ne me laissent aucun doute que le fonctionnaire, le 4 octobre 2011, est allé à l’encontre de la valeur d’agir d’une manière qui soutient la confiance du public.

173 La plupart des éléments de preuve du fonctionnaire étaient fondés sur les actes d’autres personnes le 4 octobre 2011 et, en particulier, sur ceux du CM Leeman. Il a souligné que lui et M. Leeman étaient tous deux gestionnaires correctionnels et qu’ils étaient tous deux présents lorsque le détenu B a été retiré de sa cellule. Il a affirmé que le gestionnaire correctionnel Leeman n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire et que, par conséquent, il n’aurait pas dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire ou, du moins, la mesure disciplinaire qui lui a été imposée aurait dû être moins sévère. Je ne suis pas d’accord. Même si, selon le fonctionnaire, M. Leeman n’a pas fait l’objet de mesure disciplinaire, le fonctionnaire a questionné M. Pyke à ce sujet et M. Pyke ne s’en souvenait pas. C’est le seul élément de preuve présenté quant à ce point. En raison de mes conclusions relatives à la crédibilité du fonctionnaire, je n’accorde aucun poids à la preuve qu’il a produite selon laquelle M. Leeman n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire.

174 Si cette conclusion est erronée et que M. Leeman n’a pas fait l’objet de mesure disciplinaire, la preuve est insuffisante pour établir une comparaison avec les actes du fonctionnaire. Si le fonctionnaire voulait comparer sa conduite et celle de M. Leeman le 4 octobre 2011 et les jours suivants à l’égard des rapports, et en exposer les différences, il aurait dû citer M. Leeman à témoigner et fournir des preuves claires et convaincantes de ce que M. Leeman savait et ne savait pas et de ce qu’il a fait ou pas. Cette information ne m’a pas été présentée.

175 Compte tenu de l’ensemble de mes constatations, les griefs doivent être rejetés.

176 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

177 La pièce E-5, la version non caviardée du rapport d’enquête rédigé par Scott Edwards et William Garrick, est scellée.

178 Le grief relatif à la suspension du 13 octobre 2011, dossier de la CRTFP 566-02-6867, est rejeté.

179 Le grief relatif à la suspension du 10 décembre 2011, faisant l’objet du dossier de la CRTFP 566-02-6868, est rejeté.

Le 28 septembre 2015.

Traduction de la CRTEFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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