Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté deux griefs contestant son licenciement pour incapacité – un grief invoquait une mesure disciplinaire, alors que le deuxième invoquait une violation de l’article « Élimination de la discrimination » de la convention collective – la lettre de licenciement indiquait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été absent du milieu de travail pendant trois ans pour congé de maladie et que la politique de l’Agence du revenu du Canada exigeait que la situation soit réglée, d’autant plus que les documents médicaux indiquaient qu’il souffrait d’une invalidité totale; aucune mesure d’adaptation raisonnable n’avait été établie et le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais consenti à une demande de renvoi à Santé Canada – l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief, soutenant que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été licencié pour des motifs non disciplinaires et que son processus d’examen par un tiers indépendant constituait la procédure d’examen adéquate – le premier grief alléguait clairement une mesure disciplinaire et relevait de la compétence de l’arbitre de grief – en ce qui concerne le grief relatif à la discrimination, l’affaire était identique à une décision antérieure de la Commission et relevait de la compétence de l’arbitre de grief en tant que grief lié à l’application d’une disposition de la convention collective. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date: 20150930
  • Dossier: 566-34-6243 et 6244
  • Référence: 2015 CRTEFP 80

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DAVID GLENN BABB

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Babb c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Christopher Schulz, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Charlene Hall, Agence du revenu du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposée le 24 janvier 2012, et les 25 et 31 octobre 2013.
(Traduction de la CRTEFP)

1 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014‑84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission » ou CRTEFP) qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) dans sa version antérieure à cette date.

Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

2 David Glenn Babb, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), faisait partie du groupe Services des programmes et de l’administration et il était classifié au groupe et niveau CR‑03. Il était un employé de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur » ou l’« ARC »). La convention collective applicable est celle conclue entre l’ARC et l’agent négociateur du fonctionnaire, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC »), pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui venait à échéance le 31 octobre 2010 (la « convention collective »).

3 Le 13 avril 2010, le fonctionnaire a présenté deux griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs afin de contester son licenciement. Le 24 octobre 2011, le fonctionnaire a envoyé par courriel un formulaire 21 au greffe de la Commission, sans documents additionnels. À la première page du formulaire, sur la ligne qui demande le nom du représentant du fonctionnaire, le fonctionnaire a écrit à la main ce qui suit : [traduction] « Ce grief est actuellement entre les mains de l’AFPC, il est possible que vous receviez un autre formulaire. Je tiens à m’assurer du respect des délais. » Selon le formulaire 21, un grief individuel avait été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP (mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire); de l’alinéa 209(1)d) de la LRTFP (rétrogradation ou licenciement d’un employé d’un organisme distinct désigné en vertu du paragraphe 209(3) de la LRTFP pour tout motif qui n’est pas lié à un manquement à la discipline ou à une inconduite); et du sous‑alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP (rétrogradation ou licenciement d’un employé dans l’administration publique centrale en vertu de certaines dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, ch. F-11) pour rendement insuffisant ou pour tout autre motif qui n’est pas lié à un manquement à la discipline ou à une inconduite). Le greffe de la Commission a répondu au courriel le jour suivant, et a informé le fonctionnaire que la Commission ne pouvait ouvrir un dossier tant que le formulaire original et les copies ne lui avaient pas été remis. Le greffe de la Commission a également informé le fonctionnaire qu’étant donné que l’ARC n’avait pas été désignée à titre d’organisme distinct en vertu du paragraphe 209(3) de la LRTFP, il ne pouvait pas renvoyer un grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)d).

4 Le renvoi à l’arbitrage de ce même grief (dossier de la CRTEFP 566‑34‑6243), le 4 novembre 2011 par l’AFPC a été fait en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP seulement. Le deuxième grief (dossier de la CRTEFP 566-34-6244) a été renvoyé au moyen d’un formulaire 20 et alléguait une violation de l’article 19 (« Élimination de la discrimination ») de la convention collective.

5 Étant donné que les griefs du fonctionnaire alléguaient que l’on avait contrevenu à ses droits de la personne, l’AFPC a envoyé un exemplaire du formulaire 24 rempli à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »). La CCDP a informé l’ancienne Commission au moyen de lettres datées du 14 novembre 2011 (dossier de la CRTEFP 566-34-6244) et du 12 décembre 2011 (dossier de la CRTEFP 566-34-6243) qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’arguments sur ces questions.

6 Dans la lettre de licenciement datée du 13 avril 2010, l’employeur a indiqué que le fonctionnaire était absent du milieu de travail, en congé de maladie non payé, depuis le 19 avril 2007 et que la Politique sur les congés non payés de l’ARC exigeait que la direction règle ces situations de congé non payé dans les deux ans qui suivent le début du congé. Selon la lettre, le 11 mai 2009, l’ARC a présenté au fonctionnaire des documents décrivant les différentes options qui s’offraient à lui, notamment le retour au travail ou mettre fin à l’emploi. La lettre mentionnait également que l’ARC avait, de bonne foi, prorogé son congé non payé à quelques reprises, la dernière prorogation se terminant le 31 mars 2010. L’employeur a signalé que, le 2 février 2010, le fonctionnaire avait indiqué qu’il n’était pas apte à retourner au travail et qu’il ne pouvait communiquer aucune date éventuelle de retour au travail. D’après un rapport médical signé par une certaine Dre Ellie Stein et daté du 6 janvier 2010, le fonctionnaire [traduction] « souffr[ait] actuellement d’une invalidité totale ».

7 Selon la lettre de licenciement, la direction a tenté à plusieurs reprises d’obtenir une liste des limites et des restrictions associées à l’état de santé du fonctionnaire afin d’établir une mesure d’adaptation raisonnable et de déterminer une date éventuelle de retour au travail. La direction a accordé six prolongations au congé non payé du fonctionnaire. Malgré ses efforts, le fonctionnaire n’a jamais fourni la liste et n’a jamais donné son consentement à une demande de renvoi à Santé Canada.

8 Selon la lettre de licenciement, le 30 mars 2010, soit le jour avant l’expiration de la dernière prorogation du fonctionnaire qui devait avoir lieu le 31 mars 2010, son gestionnaire a reçu une copie d’une lettre d’une certaine Dre Jennifer Armstrong qui était datée du 30 mars 2010 et qui était adressée à la représentante légale du fonctionnaire, Mary Mackinnon. Selon la lettre, le fonctionnaire avait subi une évaluation neuropsychologique à la suite de laquelle il a été conclu qu’il n’était pas apte à retourner au travail et qu’aucune mesure d’adaptation n’était appropriée ou adéquate compte tenu de son incapacité à travailler. La lettre concluait également que le fonctionnaire avait des problèmes financiers et que, par conséquent, il n’avait pas été en mesure d’obtenir le traitement qui avait été recommandé, et pour lequel il n’avait pas été en mesure d’obtenir un financement auprès du régime d’assurance-maladie de l’Ontario ou de la Sun Life.

10 En conclusion, il était souligné dans la lettre que, compte tenu de la durée de l’absence du fonctionnaire et de son défaut de fournir les renseignements médicaux requis, l’ARC le licenciait pour incapacité.

Dans la cadre de sa réponse aux griefs au dernier palier, l’ARC a déclaré que dans les cas de congé non payé prolongé, la direction doit déterminer si l’employé est en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible et que, à la lumière de la preuve médicale au dossier, ce n’était pas le cas du fonctionnaire. Pour cette raison, l’ARC était convaincue que la décision de le licencier avait été rendue de façon appropriée et de bonne foi.

Résumé de l’argumentation

11 Le 28 novembre 2011, l’ARC a informé l’ancienne Commission qu’elle s’opposait à la compétence de l’ancienne Commission pour entendre et trancher les questions. Elle a allégué que le fonctionnaire avait été licencié pour des motifs non disciplinaires. Elle a fait valoir que, à titre d’employeur distinct, seuls les griefs contestant une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire pouvaient être renvoyés à l’arbitrage. L’ARC a déclaré qu’elle disposait d’un mécanisme de recours distinct (« examen par un tiers indépendant » ou « ETI ») en ce qui concerne les licenciements non disciplinaires.

12 L’AFPC a répondu le 24 janvier 2012 et a allégué que le licenciement de M. Babb était discriminatoire et qu’il contrevenait à l’article 19 de la convention collective ainsi qu’aux articles 3, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (la « LCDP »). En ce qui concerne le processus d’ETI, elle a allégué que l’arbitrage était le seul processus qui permettrait au fonctionnaire d’obtenir un recours adéquat et que les réparations limitées du processus d’ETI lui portaient préjudice. L’AFPC a produit un exemplaire de la directive sur l’ETI avec ses arguments. L’AFPC a cité un extrait de Johal c. Canada (Agence du revenu), 2008 CF 1397, relativement à la proposition selon laquelle un employé sera privé du droit de déposer un grief en raison de l’existence d’un autre recours de réparation seulement si ce recours fournit une [traduction] « réparation véritable ».

13 L’AFPC a soutenu que le processus d’ETI était une tentative de l’employeur de se soustraire à ses obligations en vertu de la LCDP. Elle a allégué que le fonctionnaire avait fait l’objet d’actes discriminatoires au motif d’une invalidité et, par conséquent, qu’il était approprié que je sois saisi de son grief.

14 L’AFPC a fait valoir que les lois en matière de droits de la personne l’emportaient sur d’autres lois, citant Zettel Manufacturing Ltd. v. CAW-Canada, Local 1524, [2006] O.L.A.A. No. 333 (QL). Elle a également cité la décision d’un arbitre de grief de l’ancienne Commission, Lovell et Panula c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 91, dans laquelle l’arbitre de grief a exercé sa compétence sur deux griefs qui contestaient des licenciements pour incapacité et dans lesquels les fonctionnaires avaient formulé des allégations de discrimination, comme en l’espèce. L’arbitre de grief a conclu que les clauses d’une convention collective interdisant la discrimination accordaient des droits importants aux employés et qu’une telle clause pouvait être invoquée pour justifier un grief. Au paragraphe 19 de la décision, l’arbitre de grief a tranché en disant qu’il « […] est clair que le processus d’ETI ne permet absolument pas de tenir compte de la LCDP […] [et] ne peut pas porter sur des allégations de violation de la convention collective ». L’AFPC a également cité le paragraphe 24 de la décision, dans lequel l’arbitre de grief a jugé que les licenciements dans les griefs étaient liés à de longues périodes de congé de maladie et qu’il était vraisemblable que les allégations de discrimination soient liées au bien-fondé des licenciements et, de plus, qu’un arbitre de grief avait compétence pour déterminer si les licenciements découlaient d’une conduite discriminatoire alléguée.

15 L’AFPC a terminé ses arguments en affirmant qu’un arbitre de grief doit exercer sa compétence d’entendre les griefs, car ceux-ci peuvent inclure des éléments de discrimination fondés sur une invalidité et que si ces éléments s’avèrent fondés, ce qui contreviendrait à la LCDP. Étant donné qu’un examinateur dans le cadre du processus d’ETI ne pouvait pas interpréter la LCDP, il ne pouvait pas non plus accorder les mesures correctives connexes. En conséquence, le fait de ne pas accorder compétence dans la présente affaire priverait le fonctionnaire de mesures correctives qui pourraient être ordonnées par un arbitre de grief en application des anciens alinéas 226(1)g) et (h), à présent les alinéas 226(2)a) et b) de la LRTFP.

16 Dans une lettre du greffe de l’ancienne Commission datée du 17 octobre 2013, les parties ont été invitées à déposer leur argumentation finale.

17 L’ARC a présenté une argumentation le 25 octobre 2013. Dans sa présentation, elle a répété son allégation précédente selon laquelle je n’avais pas compétence pour entendre les griefs et que le processus d’ETI constituait le mécanisme de recours approprié. L’ARC a réitéré les faits à l’appui de sa décision de licencier le fonctionnaire et a examiné le cadre réglementaire qui s’appliquait à la présente affaire. Étant donné que le fonctionnaire a indiqué dans son formulaire 21 qu’il renvoyait son grief à l’arbitrage en vertu des alinéas 209(1) a), b) et d) de la LRTFP, elle a passé en revue chacun des motifs du renvoi.

18 L’ARC a affirmé que l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP ne s’appliquait pas, puisque les griefs ne portaient pas sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective et que l’alinéa 209(1)b) ne s’appliquait pas non plus, car il portait expressément sur les licenciements disciplinaires, ce qui n’était pas le cas du grief du fonctionnaire. L’ARC a reconnu que les arguments de l’AFPC alléguaient une violation de la LCDP, mais a fait valoir que [traduction] « [...] la mesure sous‑jacente ayant entraîné son grief » était le fait qu’il avait été licencié pour des motifs non disciplinaires. Elle a allégué que le renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)a) constituait une tentative de contourner le processus d’ETI. L’ARC a indiqué que, si je n’exerçais pas ma compétence à l’égard de ses griefs, le fonctionnaire pourrait choisir de rouvrir sa plainte auprès de la CCDP. Finalement, elle a affirmé que l’alinéa 209(1)d) ne s’appliquait pas, car elle n’avait pas été désignée à titre d’organisme distinct par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 209(3) de la LRTFP. L’ARC n’a présenté aucun argument concernant le sous‑alinéa 209(1)c)(i).

19 Le 31 octobre 2013, l’ancienne Commission a reçu des arguments supplémentaires de l’AFPC. L’AFPC a soulevé que les arguments de l’employeur révélaient que ce dernier n’avait pas contesté le fait que le fonctionnaire était atteint d’une invalidité temporaire au moment de son licenciement et qu’il n’avait pas nié que le fonctionnaire avait été licencié en raison de cette invalidité et de la conclusion selon laquelle il ne se trouvait pas dans une situation lui permettant de retourner au travail dans un avenir prévisible. Par conséquent, l’AFPC a soutenu qu’une preuve prima facie de discrimination avait été établie, puisque la décision de licencier le fonctionnaire était liée à l’invalidité de celui‑ci.

L’AFPC a fait valoir que j’avais compétence, en vertu des alinéas 209(1)a) et 226(1)g), à présent l’alinéa 226(2)a) de la LRTFP, pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective et de la LCDP. Elle a allégué que les arbitres de grief ont le pouvoir d’entendre des griefs portant sur des questions en matière de droits de la personne en vertu de la LCDP depuis le 1 er avril 2005.

20 En réponse à l’allégation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire tentait de contourner le processus de grief, l’AFPC a prétendu que, dans les faits, c’est l’employeur qui en était coupable. Elle a invoqué le fait que l’employeur, en définissant le licenciement comme découlant de l’incapacité du fonctionnaire plutôt que d’une pratique discriminatoire de sa part ou de son défaut de prendre des mesures d’adaptation, avait contourné le processus de grief. Elle a signalé que le libellé du grief était clair et qu’il alléguait une violation des droits de la personne ainsi que l’omission de prendre des mesures d’adaptation.

21 L’AFPC a déclaré que la proposition de l’employeur voulant que le fonctionnaire ouvre de nouveau sa plainte devant la CCDP n’était ni pratique ni conforme à l’intention de la LRTFP, qui vise à résoudre les litiges de façon rapide et efficace.

22L’AFPC s’est appuyée sur la décision d’un arbitre de grief de l’ancienne Commission dans Haynes c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 85, qui a conclu que le dépôt d’un grief et son renvoi à l’arbitrage, plutôt que le dépôt d’une plainte devant la CCDP, étaient la procédure administrative appropriée eu égard à la réparation. L’AFPC a fait valoir que le même raisonnement s’appliquait à la présente affaire.

Motifs

24 J’ai tenu compte des arguments des deux parties et, pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que je devais rejeter l’objection de l’employeur à l’égard de ma compétence pour entendre et trancher ces griefs.

25 En ce qui concerne le grief 566-34-6243, l’AFPC, au nom du fonctionnaire, l’a clairement renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP à titre de grief individuel contestant une mesure disciplinaire. Le grief lui‑même formule une allégation de congédiement abusif et renvoie au fait que le fonctionnaire a fait l’objet de mesures de représailles pour s’être prévalu de ses droits et qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Dans son argument, l’ARC a reconnu que les griefs contestant une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation ou une sanction pécuniaire pouvaient être renvoyés à l’arbitrage. J’en arrive à la conclusion que le grief 566-34-6243 est manifestement un tel grief et que j’ai compétence pour entendre et trancher la question.

26 Pour ce qui est du grief 566-34-6244, j’estime que cette affaire est identique aux faits et aux arguments soulevés dans Lovell et Panula. Dans cette affaire, les fonctionnaires ont soutenu que leurs licenciements motivés de l’ARC pour incapacité étaient discriminatoires et qu’ils contrevenaient à leur convention collective ainsi qu’à la LCDP. Comme dans l’affaire dont je suis saisi, dans Lovell et Panula, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre les griefs au motif qu’ils étaient non disciplinaires et que le mécanisme de recours approprié pour les fonctionnaires était le processus d’ETI. Comme en l’espèce, la directive sur l’ETI de l’employeur indiquait qu’un employé ne pouvait pas demander un ETI s’il « s’est prévalu d’un autre recours administratif prévu par une loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne » et qu’il était interdit à un examinateur de se prononcer sur « […] des questions liées à l’interprétation ou à l’application de la LCDP » (paragraphe 10 de Lovell et Panula).

27 Comme l’a indiqué l’arbitre de grief dans Lovell et Panula, un arbitre de grief n’a habituellement pas compétence en ce qui concerne les licenciements non disciplinaires par l’ARC. Cependant, en l’espèce, la question consiste à déterminer si j’ai compétence pour trancher un grief qui porte sur une violation alléguée de la convention collective et un acte discriminatoire allégué contraire à la LCDP.

28 En examinant ma compétence, je constate que l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP stipule clairement qu’un grief lié à l’application d’une disposition d’une convention collective peut être renvoyée à l’arbitrage, la seule limite étant que, dans le cas d’un tel renvoi, le fonctionnaire ait obtenu le consentement de son agent négociateur. Le grief de M. Babb, bien qu’il soit long et un peu décousu, fait clairement valoir, au deuxième paragraphe, que l’employeur a violé ses droits de la personne. Au paragraphe suivant, le fonctionnaire a allégué que son licenciement était une mesure de représailles en réponse à ses blessures subies au travail, alors que, dans le paragraphe qui suit, il fait référence à une assurance‑invalidité et à une mesure d’adaptation. Un peu plus loin, dans un autre paragraphe, il affirme que l’employeur a exploité sa maladie ou son invalidité. Les autres sections du grief comprennent également plusieurs autres références à la santé et au besoin en mesures d’adaptation du fonctionnaire.

29 D’après une lecture du grief dans son intégralité, il est manifeste que le fonctionnaire conteste son licenciement à plusieurs égards, notamment la violation alléguée de ses droits de la personne. Bien que le grief ne fasse pas mention de l’article 19 de la convention collective, il est manifeste que le caractère véritable de son grief porte sur une violation alléguée de ses droits de la personne. Effectivement, l’employeur, dans son argumentation, n’a pas prétendu que cet aspect du grief l’avait pris par surprise ou que le fonctionnaire, en renvoyant son grief à l’arbitrage, avait modifié les motifs pour lesquels il avait déposé son grief, en violation du principe dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

30 Comme l’ont fait les arbitres de grief dans Lovell et Panula et dans Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145, je conviens que l’article 19 de la convention collective accorde des droits importants aux employés et qu’il peut être invoqué pour justifier un grief. Comme il est indiqué au paragraphe 126 de Souaker, le législateur n’a certainement pas souhaité qu’une violation de la convention collective échappe à l’examen d’un arbitre de grief. Par conséquent, j’en arrive à la conclusion que j’ai compétence relativement à des griefs alléguant une violation de la clause relative à la non‑discrimination de la convention collective, et que ce grief, de par son caractère véritable, constitue un tel grief.

31 Même si un arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP n’est pas lié par des décisions antérieures, il est important de favoriser un climat positif de relations de travail, notamment en n’annulant pas les décisions précédentes sur les mêmes questions, sauf si elles sont manifestement erronées. Cela contribue également à l’uniformité, à la stabilité et à la prévisibilité dans le cadre d’un processus de règlement des différends. Même si une approche maintient l’effet des décisions antérieures, néanmoins, il faut tenir compte des intérêts légitimes de chaque partie.

32 Je dois également souligner le fait que l’employeur a admis la réception des griefs et qu’il a répondu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs sans contester le droit du fonctionnaire de présenter ses griefs.

33 L’intention du Parlement d’accorder à l’arbitre de grief la compétence sur les griefs qui invoquent des violations des droits de la personne est clairement établie au paragraphe 208(2) de la LRTFP, qui précise qu’une personne ne peut pas présenter un grief « […] si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». La LRTFP donne également compétence à l’arbitre de grief pour interpréter et appliquer la LCDP et accorder une réparation en vertu de cette Loi.

34 Par conséquent, je conclus que j’ai compétence pour examiner si le licenciement du fonctionnaire découlait d’une conduite discriminatoire alléguée. L’objection de l’employeur à l’égard de ma compétence est rejetée.

35 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

36 L’objection de l’employeur à l’égard de ma compétence est rejetée.

37 J’ordonne au greffe de la nouvelle Commission de communiquer avec les parties afin de fixer une date d’audience pour ces griefs.

Le 30 septembre 2015.

Traduction de la CRTFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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