Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief alléguant que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation malgré les certificats médicaux attestant son aptitude à reprendre son travail ailleurs qu’à son ancien milieu de travail – la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué avoir subi un comportement intimidant et outrancier de la part d’un collègue de travail sans que la direction n’intervienne – le collègue de travail a déposé une plainte de harcèlement contre la fonctionnaire s’estimant lésée – la plainte a été jugée partiellement fondée – la fonctionnaire s’estimant lésée est tombée malade à la suite du dépôt de la plainte et elle a pris un congé de maladie suivie d’un congé d’invalidité avant de reprendre le travail en affectation intérimaire pour un an dans un milieu de travail autre que celui de son poste d’attache – l’employeur a par la suite proposé qu’elle retourne à son poste d’attache, mais qu’elle soit relocalisée sur un étage auquel son collègue n’avait pas accès – la fonctionnaire s’estimant lésée a refusé, réclamant le droit de faire du télétravail ou de travailler dans un bureau situé ailleurs qu’au 410, avenue Laurier – l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait démontré qu’elle souffrait d’une déficience ou d’une incapacité – bien que subjective, la crainte de la fonctionnaire s’estimant lésée était réellement ressentie par cette dernière et les deux médecins ont affirmé que la fonctionnaire s’estimant lésée était crédible – les médecins ont affirmé que la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait retourner au 410, avenue Laurier, même en étant réinstallée sur un étage sécuritaire auquel son collègue n’aurait pas accès – bien que le stress n’est pas en soi une déficience ou une incapacité, le preuve médicale était concluante et l’employeur n’a pas renvoyé la fonctionnaire s’estimant lésée à un autre médecin de son choix ni offert une contre-expertise médicale – la fonctionnaire s’estimant lésée a donc démontré au moyen d’une preuve prima facie qu’elle souffrait d’une déficience ou d’une incapacité et la mesure d’accommodement proposée par l’employeur n’était pas raisonnable en raison du témoignage catégorique et non-contredit de son médecin – de plus, l’employeur n’a présenté aucune explication à savoir pourquoi la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait pas travailler à partir du bureau de l’employeur situé au 340, avenue Laurier, ou à un des six autres bureaux de l’employeur situés à Ottawa – l’arbitre de grief a ordonné que la fonctionnaire s’estimant lésée soit relocalisée ailleurs qu’au 410, avenue Laurier, et que l’employeur lui rembourse le salaire perdu et lui remette les crédits de congé de maladie qu’elle a utilisés à partir de la date à laquelle elle a remis à l’employeur l’information médicale nécessaire. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-01-25
  • Dossier: 566-02-7700
  • Référence: 2016 CRTEFP 4

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LINE EMOND

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Commission nationale des libérations conditionnelles)

employeur

Répertorié
Emond c. Conseil du Trésor (Commission nationale des libérations conditionnelles)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Chantal Homier Nehmé et Kim Patenaude, avocates
Pour l'employeur:
Michel Girard, avocat
Affaire entendue à Ottawa, Ontario,
le 26 septembre, du 10 au 13 décembre 2013 et le 28 et 29 juillet 2014.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 26 avril 2012, Line Emond, la fonctionnaire s'estimant lésée (la « fonctionnaire ») a déposé un grief contre son employeur, la Commission nationale des libérations conditionnelles (l'« employeur »). Dans son grief, la fonctionnaire a allégué que:

[…] l'employeur ne se conforme pas à la Politique sur l'obligation de prendre des mesures d'adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale du Conseil du trésor suite à mes certificats médicaux.

Les notes médicales montraient clairement que j'étais apte à travailler à compter du 29 novembre 2011 mais pas au 410 avenue Laurier.

Je n'ai reçu aucune offre qui réponde à mes exigences médicale.

Mesure correctives demandées

Je souhaite que toutes décisions administratives relative à mes certificats médicaux soient lues et interprétés par un(e) représentant(e) patronal(e) ayant des compétences médicales.

Qu'on me permettre de faire du télé-travail ou de me trouver un endroit ailleurs qu'au 410 ave. Laurier selon les certificats médicaux déjà reçues par la gestion de la CLCC.

Remboursement pour les heures de congés de maladie utilisés en cours de processus en plus de ceux que je ne peux accumuler depuis que je suis sous les soins de longue durée suite à l'épuisement des mes congés de maladie soit du 29 décembre 2011 à ce jour.

Remboursement pour les heures de vacances perdu depuis que je suis sous les soins de longue durée (29 décembre 2011) en plus de ceux que je ne peux accumuler à ce jour.

Remboursement du « manque à gagner » depuis le 29 décembre 2011, considérant que je suis présentement sous les soins de longue durée parce que l'employeur n'a pas respecté les règlements du conseil du trésor et que je ne perçois actuellement que 70% de mon salaire de base ainsi que tout autres pertes par rapport à mes années de pension.

[Sic pour l'ensemble de la citation]

2 Le 11 octobre 2012, la fonctionnaire a renvoyé son grief à l'arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la« Loi »). Tel qu'il est requis, le 11 octobre 2012, la fonctionnaire a aussi fait parvenir un avis à la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de l'article 210 de la Loi.

3 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

II. Résumé de la preuve

4 Il est admis par les parties que la fonctionnaire est à l'emploi de la Commission des libérations conditionnelles depuis 1975 et qu'au moment du grief, elle occupait un poste de gestionnaire de la qualité et service, classifié au groupe et niveau AS-06. En août 2011, la fonctionnaire a pris un congé de maladie jusqu'en mars 2013. Par la suite, elle a été affectée à Service correctionnel Canada (le « SCC »). L'entente d'affectation était pour une année, soit jusqu'à mars 2014. À cette date, la fonctionnaire devait réintégrer son poste d'attache auprès de son employeur. Lors de la dernière journée d'audience, soit le 29 juillet 2014, la fonctionnaire n'avait toujours pas réintégré son poste d'attache auprès de son employeur au motif que, selon elle, les mesures correctrices demandées dans son grief, notamment sa demande de faire du télétravail ou de travailler ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, n'avaient pas été accordée.

5 Essentiellement, la fonctionnaire a tenté de démontrer tout au long de l'audience que ses ennuis de santé ainsi que son refus de travailler dans l'immeuble situé au 410, avenue Laurier, à Ottawa, étaient le résultat du comportement abusif et intimidant d'un collègue de travail et du manque de soutien de la direction quant aux mesures à prendre pour remédier de façon satisfaisante à la situation.

6 D'entrée de jeu, les avocats des parties m'ont demandé de ne pas nommer le collègue au comportement supposé abusif. J'ai acquiescé à leur demande, notamment parce qu'il n'a pas été cité par les parties à témoigner. Ainsi, dans la décision, je ferai référence au collègue en l'appelant « M. X ». La fonctionnaire et M. X sont tous les deux membres de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat »).

7 Dans ses remarques introductives, l'avocate de la fonctionnaire a maintenu qu'au cours de toutes ses années au service de l'employeur, la fonctionnaire a toujours eu un comportement irréprochable. Le travail de la fonctionnaire était exemplaire et elle dépassait souvent les attentes. Selon l'avocate, les choses se sont gâtées à l'automne 2009 alors que la fonctionnaire a dû subir le comportement outrancier et intimidant de M. X sans que la direction n'intervienne de façon à régler ce problème. Le comportement de M. X a rendu la fonctionnaire malade et cette dernière a pris un congé de maladie en août 2011, et s'est retrouvée en congé d'invalidité jusqu'en mars 2013. En mars 2013, la fonctionnaire a été affectée pour une période d'un an au SCC, ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, où travaille encore M. X.

8 Au dernier jour de l'audience, soit le 29 juillet 2014, la fonctionnaire n'avait toujours pas réintégré son poste d'attache situé au 410, avenue Laurier, au motif que M. X travaillait toujours dans cet immeuble et qu'elle continuait de craindre d'avoir à le rencontrer. L'affectation de la fonctionnaire au SCC n'a pas été prolongée au-delà de mars 2014.

9 Selon l'avocate de la fonctionnaire, celle-ci a continué d'avoir de bons résultats dans le cadre de son affectation au SCC. Par conséquent, le problème concernait M. X et, malheureusement, l'employeur ne s'est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d'adaptation à l'égard de la fonctionnaire. Il incombait à l'employeur d'accommoder la fonctionnaire en lui permettant de faire du télétravail ou en lui trouvant un milieu de travail satisfaisant, de façon permanente, dans un immeuble différent de celui où travaille M. X.

10 Pour sa part, l'avocat de l'employeur a soutenu qu'il s'agit ici d'un conflit entre deux employés, soit la fonctionnaire et M. X, et non pas d'une question d'accommodement. La situation entre les deux s'est toutefois véritablement envenimé lorsque M. X a déposé une plainte de harcèlement contre la fonctionnaire, que cette plainte a été jugée partiellement fondée et que la fonctionnaire a fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Antérieurement, bien que la fonctionnaire et M. X ne se soient jamais entendus, la fonctionnaire n'a jamais porté plainte contre lui. Ce n'est qu'après la plainte de harcèlement de M. X que la fonctionnaire en a présenté une et qu'elle a pris un congé de maladie.

11 L'avocat de l'employeur a insisté sur le fait que l'employeur n'a pratiqué aucune discrimination à l'endroit de la fonctionnaire. Il a ajouté que même si je décidais que l'employeur avait fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire, je devrais conclure que des mesures d'adaptation raisonnables ont été prises à l'endroit de celle-ci. L'avocat a expliqué que pour régler la situation, l'employeur a offert à la fonctionnaire un bureau situé juste à côté de celui du président, au 7e étage du 410, avenue Laurier. L'avocat a précisé que cet étage n'était accessible qu'à certaines personnes bénéficiant d'une autorisation spéciale et que M. X n'y avait pas accès. La fonctionnaire a refusé cette proposition avant même de l'avoir essayée. Quant à la suggestion de la fonctionnaire de faire du télétravail, l'avocat a plaidé que les fonctions exercées par celle-ci étaient spécialisées et qu'elles devaient être exercées au 410, avenue Laurier.

A. Pour la fonctionnaire

12 Kellie Leclerc a témoigné pour la fonctionnaire. Au moment de l'audience, Mme Leclerc était en affectation depuis 2013 auprès de la Commission des droits de la personne. Essentiellement, Mme Leclerc a indiqué que la fonctionnaire était depuis 2008 une collègue de travail avec qui elle entretenait de bonnes relations. Elle a dit être mal à l'aise de témoigner dans cette affaire car elle ne voulait pas être « sur le radar » de M. X. Elle a elle-même éprouvé des difficultés avec M. X.

13 Mme Leclerc a décrit M. X comme étant un homme d'environ 6 pieds et 180 livres. À l'origine, sa relation avec Mr. X était bonne même si ce dernier était bruyant, qu'il faisait des blagues à voix haute et qu'il se permettait même de flatuler, ce qui faisait rire une autre collègue. Lorsque cette collègue est partie, Mme Leclerc a alors occupé le bureau voisin de celui de M. X. Elle a précisé qu'elle et M. X n'occupaient pas des bureaux fermés mais bien des cubicules.

14 Mme Leclerc a témoigné qu'au fil du temps, elle tolérait de moins en moins l'attitude de M. X. Entre autres, elle a raconté que M. X était entré dans son cubicule qu'il avait utilisé son ordinateur sans sa permission. À une autre occasion, il l'a interrompu alors qu'elle discutait avec sa superviseure, pour lui demander son opinion sur une femme qu'il venait de rencontrer. Mme Leclerc a indiqué avoir informé M. X que ces comportements étaient inacceptables, ce qui a déplu à M. X. Mme Leclerc a aussi fait état d'un autre incident où M. X aurait crié après un collègue qui n'avait pas rebranché le ventilateur qu'il lui avait emprunté. Mme Leclerc a expliqué avoir confronté M. X à la suite de cet incident pour lui dire de ne pas crier; ce à quoi il aurait répondu que « de toute façon, tout le monde crie dans le bureau. »

15 Selon Mme Leclerc, M. X dérangeait les autres. Il avait notamment dans son bureau une machine à bruit blanc qu'il faisait fonctionner et qui dérangeait la concentration des autres. Il avait aussi l'habitude de faire des bruits bizarres, comme d'étranges bâillements qui dérangeaient également ceux qui essayaient de travailler. Mme Leclerc a aussi raconté que M. X avait l'étrange habitude de se promener pieds nus dans le bureau et qu'il se lavait ensuite les pieds avec du vinaigre devant les autres qui trouvaient cette pratique dégoutante. Mme Leclerc a témoigné avoir partagé l'information concernant les habitudes de M. X à une collègue, Mme Ward, tel qu'il appert dans les courriels de la pièce G-2.

16 Mme Leclerc a indiqué qu'il était difficile de prévoir les réactions de M. X. Si les rapports avec lui étaient bons, il n'y avait rien à craindre. Toutefois, elle se questionnait quant à sa sécurité lorsque M. X était contrarié. Mme Leclerc a témoigné avoir soulevé la question du comportement de M. X, notamment quant à l'utilisation de la machine à bruit blanc, avec Susanne Brisebois, le 12 juin 2009. Mme Brisebois était alors la supérieure de M. X (pièce G-2). Mme Leclerc a indiqué qu'à la suite des interventions de la direction, M. X a fermé sa machine à bruit blanc. Éventuellement, il a également changé de cubicule et il s'est retrouvé au bout du corridor, tout près du bureau alors occupé par la fonctionnaire.

17 Mme Leclerc a témoigné avoir elle-même approché la fonctionnaire pour voir comment elle s'arrangeait avec M. X. Selon Mme Leclerc, la fonctionnaire semblait soulagée de voir que d'autres employés avaient aussi éprouvé des difficultés avec M. X.

18 Mme Leclerc est partie en congé de maternité en décembre 2010. À ce moment, la fonctionnaire lui a demandé si elle pouvait occuper son cubicule de façon à être plus loin de M. X. Selon Mme Leclerc, la fonctionnaire était alors agitée et stressée. Elle tremblait. Mme Leclerc a indiqué que l'employeur avait aussi un bureau situé au 222, rue Queen, à Ottawa, et qu'à l'occasion il y avait des réunions tenues au moyen de la vidéoconférence dans le bureau de Mme Brisebois.

19 En contre interrogatoire, Mme Leclerc a admis que bien qu'elle ait fait référence à une « kill list » dans un courriel du 12 mai 2009 (pièce G-2), elle n'a jamais contacté la police. Quant à savoir pourquoi elle avait inclus un « happy face » à la fin de ce courriel, Mme Leclerc a répondu que c'était sa façon de rendre plus tolérable une situation qui la mettait inconfortable. Mme Leclerc a admis n'avoir jamais déposé de plainte ou de grief à l'endroit de M. X.

20 Marsha Willard a aussi témoigné pour la fonctionnaire. Mme Willard est agente de support de projet. Elle est classifiée au groupe et niveau AS-02. Lors de l'audience, elle était également présidente de la section locale du syndicat depuis 2009. Elle a travaillé directement avec la fonctionnaire lorsque cette dernière était trésorière pour la section locale du syndicat.

21 Mme Willard a indiqué être mal à l'aise de venir témoigner car bien qu'elle ne craignait pas pour sa vie, elle demeurait inquiète quant aux conséquences de son témoignage. Mme Willard a indiqué qu'en 2010, elle occupait un cubicule tout près de la cuisine et non loin du cubicule de M. X. Il arrivait souvent que M. X s'arrête à son bureau pour parler d'affaires syndicales en se rendant à la cuisine. Mme Willard a décrit M. X comme étant bruyant. Elle a dit qu'il parlait fort, qu'il mettait ses pieds sur le bureau, qu'il sacrait et qu'il utilisait souvent le « f word ».

22 Mme Willard a relaté un incident qui a eu lieu en 2011 où M. X serait venu à son bureau pour discuter du dépôt d'une plainte contre la fonctionnaire. Mme Willard lui a alors dit que son comportement faisait peut-être partie du problème avec la fonctionnaire, à la suite de quoi M. X a « explosé » et l'a accusé de faire preuve de partialité à l'égard de la fonctionnaire. Il lui a également dit qu'elle était une mauvaise représentante syndicale. Mme Ward a affirmé que le superviseur de M. X, Terry Ryan, de même que David Gorman, étaient venus voir ce qui se passait et que M. Ryan avait ordonné à M. X de cesser son tapage. Deux semaines plus tard, Mme Willard est retourné voir M. Ryan pour lui parler de cet incident et ce dernier a alors minimisé l'affaire et lui a conseillé de ne pas s'en faire. Mme Willard a aussi témoigné au sujet du téléphone de M. X qui sonnait très fort, et ce, à tous les 10 minutes lorsque celui-ci avait quitté pour la journée; elle était une des rares personnes encore au bureau après 16 h. Selon Mme Willard, ce manège aurait été orchestré par M. X à partir de chez lui car il voulait déranger. Elle en a informé M. Ryan et les coups de fils ont éventuellement cessé.

23 Mme Willard a affirmé avoir été mise au courant des problèmes entre la fonctionnaire et M. X tout de suite après que ce dernier se soit vu assigner le cubicule voisin de la fonctionnaire. M. X occupait le cubicule 641 alors que la fonctionnaire occupait celui portant le numéro 642 (pièce G-1). La fonctionnaire aurait alors révélé à Mme Willard qu'elle avait de la difficulté à avoir M. X si près d'elle, qu'il faisait des bruits bizarres qui la dérangeaient et la rendaient nerveuse. Mme Willard a alors suggéré à la fonctionnaire de déposer une plainte de harcèlement contre M. X; la fonctionnaire ne l'a pas fait.

24 Mme Willard a indiqué n'avoir jamais été témoin d'un incident entre les deux. Elle a toutefois relaté qu'un jour, la fonctionnaire est sortie de la salle de photocopie en tremblant et qu'elle ne pouvait pas parler. À la suite de cet événement, la fonctionnaire est devenue renfermée, elle demeurait dans son bureau et elle craignait de répondre au téléphone.

25 Mme Willard a témoigné avoir discuté avec la directrice intérimaire de l'époque, Sheila Ouellette, des problèmes de la fonctionnaire à cause du comportement de M. X. Toutefois, tout comme M. Ryan, Mme Ouellette semblait croire que tout ça était dans la tête de la fonctionnaire et que M. X parlait fort, sans plus.

26 Mme Willard a indiqué que son employeur travaillait étroitement avec le SCC, qui avait environ six autres bureaux à Ottawa. Mme Willard a aussi affirmé que deux agents de l'employeur travaillaient au SCC jusqu'en novembre 2014 et qu'à sa connaissance, un employé avait déjà fait du télétravail dans le passé.

27 En contre interrogatoire Mme Willard a admis que même à titre de présidente du local, elle n'a jamais présenté de plainte de harcèlement contre M. X parce qu'elle avait déjà alerté la direction. Mme Willard a affirmé qu'après l'affectation temporaire de M. X au 5e étage (il est revenu en juillet 2013) deux employées sont venues lui dire qu'elles ne voulaient plus travailler comme mentors de M. X parce que ce dernier utilisait un vocabulaire inapproprié. Mme Willard leur aurait alors recommandé d'aller se plaindre auprès de la direction. Mme Willard a aussi admis être amie avec la fonctionnaire et qu'il leur arrivait de covoiturer ensemble et d'aller prendre un café chez Tim Hortons pour discuter, entre autre, d'affaires syndicales.

28 Susanne Joly a aussi témoigné pour la fonctionnaire. Mme Joly occupe un poste d'analyste auprès de l'employeur depuis 1998. Elle connaît la fonctionnaire depuis 2009 et elle a travaillé avec elle dans le passé. Le bureau de Mme Joly est au 6e étage du 410, avenue Laurier. Mme Joly a témoigné qu'un matin, alors que la fonctionnaire était dans son bureau, M. X est passé devant le bureau. Selon Mme Joly, M. X n'avait pas de raison de passer devant son bureau et, selon elle, il est évident qu'il l'a fait délibérément sachant que la fonctionnaire était là. Selon Mme Joly, lorsque la fonctionnaire a vu M. X, elle s'est mise à se frapper la tête avec ses poings. Mme Joly lui aurait alors conseillé de ne pas se laisser affecter comme ça par M. X. Peu après cet incident, la fonctionnaire est allée en congé de maladie. Mme Joly a témoigné n'avoir jamais parlé de cet incident car elle ne voulait pas s'immiscer dans la vie des autres. Mme Joly a indiqué regretter de ne pas en avoir parlé. Elle a admis que lors de cet incident, M. X n'a fait que passer; il n'a rien dit ni fait aucun bruit.

29 Mme Joly a indiqué avoir observé un changement d'humeur chez la fonctionnaire. Elle a dit qu'elle semblait moins intéressée et qu'elle se retirait de plus en plus.

30 Le Dr Georges Ramsay, psychologue, a aussi témoigné pour la fonctionnaire (pièce G-3). Il a rencontré la fonctionnaire la première fois le 14 septembre 2011. Elle lui avait été référée par son médecin de famille, le Dr Luc Duchesne.

31 Le Dr Ramsay a témoigné que lors de cette première rencontre avec la fonctionnaire, celle-ci présentait des symptômes dépressifs de niveau sévère. Elle était triste et épuisée avec peut être certaines idées suicidaires. Selon le Dr Ramsay, la raison donnée par la fonctionnaire pour expliquer son état était qu'un mois avant leur rencontre, soit en août 2011, alors qu'elle était sur le point de partir en vacances, elle avait reçu une lettre l'accusant d'avoir harcelé un collègue de travail. Le Dr Ramsay a témoigné que la fonctionnaire avait très mal réagit à cette accusation de harcèlement; elle avait vu ça comme une atteinte à son intégrité. La fonctionnaire disait que ça faisait 2 ans qu'elle endurait le comportement difficile d'un collègue de travail et que bien que son bureau n'était plus situé à côté de celui de M. X et qu'il était la source de ses problèmes, c'était elle qui était accusée de harcèlement. La fonctionnaire avait alors raconté que M. X faisait des bruits bizarres, qu'il la faisait sursauter, qu'il était assez corpulent et qu'il devenait agressif (pièce G-5, p.6-7). La fonctionnaire en avait aussi contre la façon cavalière dont elle a été informée de la plainte de harcèlement, soit dans le corridor, la veille de son départ en vacances.

32 Selon le Dr Ramsay, la crainte de la fonctionnaire n'était pas spécifique; néanmoins, le niveau d'anxiété de cette dernière était très élevé. Le Dr Ramsay a aussi affirmé que, selon lui, l'élément déclencheur en ce qui concerne l'état de la fonctionnaire était la réception de la plainte de harcèlement juste avant d'aller en vacances. Le Dr Ramsay a rencontré la fonctionnaire à plusieurs reprises par la suite. L'essentiel de ces rencontres se retrouve dans un rapport synthèse préparé par le Dr Ramsay en vue de la présente audience (pièce G-4). L'avocat de l'employeur a soulevé le fait que ce rapport n'avait été porté à son attention quelques jours à peine avant l'audience.

33 Selon le Dr Ramsay, la fonctionnaire se sentait menacée par M. X et elle avait peur que ce dernier soit violent à son endroit. Selon le Dr Ramsay, cette crainte est bien réelle dans l'esprit de la fonctionnaire, elle n'est pas inventée; par conséquent, la proposition de la direction d'accommoder la fonctionnaire en l'installant au 7e étage et en interdisant à M. X d'y accéder, n'était pas suffisante pour calmer la crainte réelle de la fonctionnaire de rencontrer M. X dans l'édifice. Selon le Dr Ramsay, la fonctionnaire, qui craignait pour sa sécurité, n'était pas rassurée par le fait d'être séparée de M. X par quelques étages. Le Dr Ramsay a aussi témoigné que la fonctionnaire voulait et était en état de retourner au travail dès la fin 2011 ou le début 2012, à condition de travailler ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, où se trouvait toujours M. X. Le Dr Ramsay a partagé ses conclusions avec le Dr Duchesne, le médecin de famille de la fonctionnaire, en février 2012 (pièce G-4, p.6; pièce G-5, p.28). Pour le Dr Ramsay, le fait de ramener la fonctionnaire au 410, avenue Laurier, alors que M. X y travaillait toujours, risquait de raviver son stress, qui la rendait malade et, par conséquent, affectait sa capacité à fonctionner. La fonctionnaire resterait vulnérable; le stress qu'elle vivait en côtoyant M. X n'était pas inventé. Le pronostic de retour au travail était bon en autant qu'elle ne retourne pas dans un milieu toxique.

34 En contre interrogatoire, le Dr Ramsay a admis qu'il n'était pas au courant que ses conclusions et son diagnostic n'avait été communiqué à l'employeur qu'en septembre 2013, soit juste avant la présente audience. Le Dr Ramsay a aussi confirmé que l'information dont il disposait lui avait été communiqué par la fonctionnaire et qu'il n'avait jamais vérifié les affirmations de cette dernière auprès de l'employeur. Le Dr Ramsay a toutefois maintenu que bien que l'information quant au comportement de M. X lui ait été donné seulement par la fonctionnaire, il n'en demeure pas moins que lorsqu'un client, en l'occurrence la fonctionnaire, est crédible, la perception de cette dernière devient la réalité sur laquelle il doit se baser pour porter un diagnostic.

35 Dans son témoignage, le Dr Ramsay a aussi convenu n'avoir jamais parlé aux représentants de l'employeur, ni consulté la description de tâche de la fonctionnaire. Quant aux mesures d'adaptation qu'il a mentionné à la p.4 de son rapport synthèse, le Dr Ramsay a convenu qu'il n'était alors pas au courant que l'employeur avait offert de nouvelles mesures d'adaptation à la fonctionnaire, soit de l'installer au 7e étage du 410, avenue Laurier, juste à côté du bureau du Président. De même, il ne savait pas que cet étage n'était accessible qu'à certaines personnes et qu'il fallait un laisser passer pour accéder à l'ascenseur ou aux escaliers qui y menaient. Enfin, il ne savait pas non plus que la fonctionnaire et M. X avaient été avisés d'avertir la direction s'ils se rencontraient. Le Dr Ramsay a toutefois maintenu que ces nouvelles mesures ne changeaient pas son avis sur la question puisque les deux parties travailleraient quand même à proximité. Selon lui, si la fonctionnaire devait retourner travailler au 410, avenue Laurier, alors que M. X y était toujours, elle allait revivre un stress qui affecterait dans sa capacité de fonctionner voire peut être même ramener des réactions suicidaires. Le Dr Ramsay a aussi convenu que bien que, selon lui, il y avait un potentiel de violence advenant une confrontation entre la fonctionnaire et M. X, il ne pouvait conclure qu'il y aurait violence.

36 Le Dr Duchesne a aussi témoigné. Le Dr Duchesne est le médecin de famille de la fonctionnaire depuis au moins 20 ans (pièce G-7). Le Dr Duchesne a témoigné que le 8 juin 2010, la fonctionnaire est allée le voir et qu'elle est plainte des agissements de M. X et du fait que ce dernier rendait sa vie misérable (Pièce G-8, p.3). En février 2010, la fonctionnaire démontrait des signes de « burn out » et le Dr Duchesne l'a placé en congé de maladie du 28 février 2011 au 4 mars 2011. Le 6 septembre 2011, la fonctionnaire est retournée le voir. Elle lui a dit que M. X avait présenté une plainte de harcèlement la visant et qu'elle n'était pas appuyée par la direction. Le Dr Duchesne a alors recommandé que la fonctionnaire soit en congé de maladie pour une autre période de 6 semaines (pièce G-8, p.6). Il a aussi renvoyé la fonctionnaire à un psychologue, soit le Dr Ramsay. Lors de cette consultation qui a eu lieu le 6 septembre 2011, le Dr Duchesne, contrairement au Dr Ramsay, n'a pas jugé que la fonctionnaire avait alors des tendances suicidaires ou d'homicide (pièce G-8, p.6). Le 27 septembre 2011, après avoir vu le Dr Ramsay, la fonctionnaire est retournée voir le Dr Duchesne pour un suivi. Ce dernier a trouvé qu'elle était anxieuse et lui a prescrit un antidépresseur. Après avoir lu la lettre du Dr Ramsay, datée du 23 septembre 2011, (pièce G-5, p.13) il a décidé d'accorder à la fonctionnaire un congé de maladie du 27 septembre 2011 au 31 octobre 2011. Après une autre visite de la fonctionnaire, le 25 octobre 2011, cette dernière a affirmé que son état de santé n'avait pas changé et le Dr Duchesne a prolongé le congé de maladie jusqu'au 30 novembre 2011.

37 Le 29 novembre 2011, le Dr Duchesne a jugé que la fonctionnaire était apte à retourner au travail à temps plein à condition que ce soit ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, dans un environnement où elle n'aurait pas d'occasion de rencontrer M. X (pièce G-8, p.7). Le 8 décembre 2011, la fonctionnaire lui a dit qu'elle avait reçu un appel du bureau lui demandant si elle était prête à retourner au travail. La fonctionnaire lui a dit qu'elle n'était pas en mesure de retourner au travail et le Dr Duchesne a prolongé son congé de maladie jusqu'à la fin décembre 2011.

38 Le Dr Duchesne a témoigné qu'il ne savait pas si la fonctionnaire avait travaillé de la fin décembre 2011 au mois de février 2012. Le 7 février 2012, il a revu la fonctionnaire et il a jugé qu'elle était maintenant apte à retourner au travail, mais toujours à condition de changer d'environnement de travail. Le Dr Duchesne a indiqué avoir reçu une lettre du Dr Ramsay le jour même et que ce dernier partageait son opinion à savoir que le retour au travail de la fonctionnaire devait s'effectuer ailleurs qu'au 410, avenue Laurier (pièce G-5, p. 28).

39 Le Dr Duchesne a témoigné avoir reçu une lettre de Sheila Ouellette, directrice de la performance de l'employeur. Dans cette lettre, Mme Ouellette lui a demandé de préciser quelles étaient les restrictions imposées à la fonctionnaire compte tenu de son état (pièce G-8, p. 24). Le Dr Duchesne a répondu à Mme Ouellette le 29 février 2012. Le 23 mars 2012, dans une autre lettre à Mme Ouellette, le Dr Duchesne a donné des précisions sur les mesures d'adaptation qu'il souhaitait voir mises en place pour la fonctionnaire. Il a notamment réitéré que cette dernière ne pouvait pas travailler dans le même édifice que M. X. Selon le Dr Duchesne, la fonctionnaire était en mesure de retourner au travail de façon progressive à partir du 29 novembre 2011 à la seule condition que ce retour se fasse ailleurs qu'au 410, avenue Laurier (pièce G-8, p. 25-26-27-28). Selon le Dr Duchesne, la fonctionnaire est crédible et il l'a vu une dernière fois avant l'audience, le 28 novembre 2013.

40 Le Dr Duchesne a convenu en contre interrogatoire que la fonctionnaire ne lui avait jamais dit qu'elle craignait que M. X soit violent. Néanmoins, il est convaincu que celle-ci avait réellement peur de M. X. Le Dr Duchesne a aussi convenu que si la fonctionnaire avait parlé de M. X ou mentionné le risque de violence à son égard de la part de M. X, lors des visites du 2 novembre 2010, du 22 février 2011, du 6 septembre 2011, du 27 septembre 2011 et du 25 octobre 2011, il l'aurait mentionné dans ses notes (Pièce G-8, p.3, 4, 6, 7).

41 Dans son témoignage, le Dr Duchesne a admis n'avoir jamais parlé à M. X ni aux représentants de l'employeur. Il a ajouté qu'il n'était pas au courant que la plainte de M. X contre la fonctionnaire avait été trouvée fondée et que cette dernière avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire

42 Quant à la mesure d'adaptation proposée par l'employeur, soit de déplacer la fonctionnaire au 7e étage avec interdiction d'accès pour M. X, le Dr Duchesne a été catégorique dans son témoignage en maintenant que cette mesure ne serait pas suffisante puisque la fonctionnaire continuerait de ne pas se sentir en sécurité et que, par conséquent, elle vivrait un stress émotionnel réel. Le Dr Duchesne a précisé que lui et le Dr Ramsay étaient tous deux d'avis que peu importe les mesures d'adaptation suggérées, ça ne serait pas assez si la fonctionnaire devait retourner au 410, avenue Laurier. Selon lui, elle pourrait retourner au travail en autant que ce soit ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

43 La fonctionnaire a témoigné être une employée de la fonction publique depuis 1996 (Pièce G-9). Après avoir fait beaucoup d'affectations intérimaires, elle a obtenu un poste permanent comme gestionnaire de la qualité des statistiques et données, classifié au groupe et niveau AS-06, chez l'employeur en 2003. Le rendement de la fonctionnaire a toujours été satisfaisant (Pièces G-10 et G-14).

44 Lors de son témoignage, le 12 décembre 2013, la fonctionnaire était alors en détachement pour une période d'un an auprès du SCC. Ladite affectation devait se terminer en mars 2014, date à laquelle la fonctionnaire devait, à défaut de prolonger l'entente d'affectation, réintégrer son poste classifié AS-06 auprès de l'employeur. La fonctionnaire a indiqué que ses tâches au SCC consistaient à refaire la base de données.

45 La fonctionnaire a témoigné sur la nature de ses tâches auprès de l'employeur, qui consistaient notamment à aller chercher de l'information dans la base de données du système de gestion des délinquants. La fonctionnaire devait aussi fournir des données nécessaires pour la rédaction du rapport annuel de l'employeur (pièces G-11, 12 et 13).

46 La fonctionnaire a témoigné qu'à partir de l'automne 2009, sa gestionnaire était Mme Ouellette. La fonctionnaire était la seule à effectuer les tâches de gestionnaire de la qualité des statistiques et données chez l'employeur quoiqu'elle pouvait déléguer certains aspects de son travail à Mathieu Hallé, sans toutefois être sa superviseure. La fonctionnaire a affirmé avoir travaillé sur divers projets, que ce soit chez l'employeur ou auprès du SCC, notamment en 2008 et en 2011. Souvent, le travail se faisait par courriels ou par téléphone; il y avait des réunions mensuelles. La fonctionnaire a affirmé avoir reçu la formation nécessaire et l'équipement requis pour lui permettre de faire son travail à distance, à l'extérieur du bureau.

47 La fonctionnaire a relaté que sa première rencontre avec M. X avait eu lieu en novembre 2009, alors qu'elle occupait un bureau fermé, le bureau 642 et que celui-ci occupait le cubicule situé à côté, le bureau 641 (pièce G-1). La fonctionnaire a décrit M. X comme mesurant environ 6 pieds et comme étant « assez carré ». Elle a dit s'être adressé à M. X une première fois pour lui dire que le fait qu'il se lave les pieds avec du vinaigre dans son cubicule n'était pas approprié. Il lui a dit que c'était sa façon de se nettoyer les pieds. La fonctionnaire a expliqué que M. X portait des sandales en hiver et en été. Elle ne se rappelait pas quel avait été la réaction de M. X. Elle a indiqué avoir signalé à Mme Ouellette que les agissements de M. X la dérangeait; Mme Ouellette lui a alors dit qu'elle allait y voir.

48 La fonctionnaire a témoigné que le matin, M. X arrivait au bureau vers 7 h 15, qu'il ouvrait ses sacs et qu'il allait à la cuisine en faisait beaucoup de bruit. Il faisait réchauffer son repas qui dégageait une forte odeur et qu'il mangeait en faisant encore beaucoup de bruit. Elle a mentionné que si quelqu'un passait devant le bureau de M. X, celui-ci l'interpellait en criant très fort des choses comme : « Hey buddyWhat is going on » tout en utilisant souvent le « F word ». Pour la fonctionnaire, ces discussions n'étaient pas appropriées et n'étaient pas reliées au travail. La fonctionnaire a affirmé en avoir parlé à Mme Ouellette qui lui aurait répondu que M. X avait le droit comme tout le monde de venir travailler. La fonctionnaire croit néanmoins que Mme Ouellette aurait soulevé la question avec M. Ryan, qui était le gestionnaire de M. X.

49 La fonctionnaire a aussi relaté un autre incident où M. X serait venu la voir pour parler d'affaire syndicale. M. X aurait alors été offusqué parce ce que la fonctionnaire lui a répondu que le seul temps où elle pouvait lui parler de ce sujet était soit l'heure de midi ou à 15 h. Par la suite, selon la fonctionnaire, M. X est retourné dans son cubicule et a « bardassé » ses effets. La fonctionnaire a ajouté que M. X faisait du bruit comme ça très souvent, le matin par exemple et plus tard dans l'après-midi quand il quittait. Elle a dit qu'il « bardassait son classeur », ce qui la déconcentrait alors qu'elle essayait de travailler. La fonctionnaire a témoigné que pour éviter tout ce bruit, elle prenait sa pause vers 14 h 30 de façon à ne pas être là quand M. X se préparait à partir. Les heures de travail de la fonctionnaire était de 7 h à 17 h sauf le lundi où elle ne travaillait pas. M. X travaillait de 7 h à 15 h. La fonctionnaire a affirmé avoir demandé à Mme Ouellette de déplacer soit elle ou M. X, car les agissements de ce dernier nuisaient à sa concentration.

50 La fonctionnaire a témoigné que le 4 mai 2010, alors qu'elle était au téléphone avec un collègue, M. X faisait tellement de bruit qu'elle s'est levée pour frapper sur le mur mitoyen de façon à le faire cesser. Dès qu'elle a raccroché, M. X est entré dans son bureau, les poings sur les hanches, et lui a dit : « What is your problem?… there is a line on the floor and do not cross that line because I do not know what will happen…” La fonctionnaire a affirmé avoir eu très peur et elle est sortie, suivi de Mme Ouellette. La fonctionnaire a alors dit à Mme Ouellette qu'elle n'en pouvait plus et qu'elle voulait déménager. Elle est retournée à son bureau 30 minutes plus tard et a contacté le programme d'aide aux employés.

51 La fonctionnaire a témoigné ne pas avoir déposé de plainte contre M. X parce qu'il revenait à la direction de gérer cette situation et que Mme Ouellette lui aurait dit que si elle déposait une plainte, M. X en ferait autant. Pour la fonctionnaire, la suggestion de Mme Ouellette d'aller en médiation avec M. X n'était pas acceptable parce qu'elle ne voyait pas comment on pouvait aller en médiation dans le contexte actuel.

52 La fonctionnaire a témoigné vivre un stress énorme après l'incident du 4 mai 2010. Elle arrivait au travail à 6 h 30 pour ne pas avoir à croiser M. X et n'était productive au travail qu'après 15 h, soit après le départ de M. X. À la fin de l'été 2010, la fonctionnaire a déménagé de bureau pour se retrouver dans un autre bureau fermé, le bureau 644 (pièce G-1). Toutefois, comme ce bureau était situé en face de la cuisine, M. X passait souvent devant en faisant soit des bruits bizarres avec sa bouche, soit il narguait ou il chantait. La fonctionnaire est par la suite déménagée au bureau 661, en décembre 2010, où elle est restée jusqu'à son départ en congé maladie, en septembre 2011.

53 La fonctionnaire a témoigné avoir été avisé le matin du 19 août 2011, soit la veille de son départ pour trois semaines de vacances, que M. X avait déposé une plainte de harcèlement contre elle. Ce jour-là, une lettre de Shelley Trevethan à cet égard lui a été remise par une employée des Ressources humaines, pendant qu'elle se trouvait dans le bureau de M. Hallé (pièce G-15, onglet « A »). La fonctionnaire a indiqué avoir alors pensé : « il va me finir; je suis fini ». Elle a alors regardé la fenêtre et a dit à M. Hallé, « tu me tiens […], si quelque chose m'arrive, je veux que tu appelles ma fille ». La fonctionnaire est alors sortie accompagnée de M. Hallé. En rentrant, elle a fait une demande de congé de maladie à Julie McKenzie, qui remplaçait Mme Ouellette (pièce G-15, onglets 1 et 2).

54 La fonctionnaire a donc quitté le 19 août 2011 pour ses vacances qui se sont avérées ne pas en être compte tenu de la situation. Elle est allée voir le Dr Duchesne car elle ne dormait plus la nuit; ses trois semaines de congé annuels ont été changés en congés de maladie (pièce G-15, onglet 3). La fonctionnaire a indiqué que le 16 novembre 2011, elle n'avait toujours pas eu de nouvelle de la direction concernant les détails de la plainte, bien que la lettre originale de Mme Trevethan ait indiqué qu'elle communiquerait avec la fonctionnaire après le 6 septembre 2011 afin de fixer une date de rencontre (pièce G-15, onglet 8). En novembre 2011, la fonctionnaire était prête à retourner au travail à condition que ce soit en faisant du télétravail ou ailleurs qu'au 410, avenue Laurier. Elle attendait toujours des nouvelles de sa représentante syndicale, Danielle Belleau, qui, de son coté, attendait des réponses de Eric McMullen, des Ressources humaines (pièce G-15, onglets 8-9).

55 Le 22 novembre 2011, la fonctionnaire a reçu une lettre de Caroline Douglas, la remplaçante de Mme Trevethan, qui contenait les détails de la plainte (pièce G-15, onglet 11). Une rencontre a été prévue entre la fonctionnaire et, notamment, Mme Douglas. Le but de cette rencontre était de permettre à la fonctionnaire de répondre aux allégations de la plainte de M. X et par la suite retourner au bureau (pièce G-15, onglet 13). Le 2 décembre 2011, la fonctionnaire a répondu aux allégations et a de plus soumis des notes écrites (pièce G-15, onglet 16). Ce même jour, la fonctionnaire a fait parvenir à Mme Ouellette un certificat médical du Dr Duchesne dans lequel ce dernier précise que la fonctionnaire sera en mesure de reprendre le travail le 2 décembre, en autant que ce soit de façon progressive et ailleurs qu'au 410, avenue Laurier. Le 2 janvier 2012, la situation n'étant toujours pas réglée, la fonctionnaire a présenté à Mme Ouellette un autre billet du Dr Duchesne confirmant que qu'elle serait toujours en congé de maladie du 5 au 28 décembre 2011 et qu'elle devrait être réévaluée avant de reprendre le travail (pièce G-15, tab 22). Le 14 décembre 2011, la fonctionnaire a été avisée qu'elle était dorénavant en congé d'invalidité de longue durée, à partir du 28 décembre 2011 (pièce G-15, onglet 23).

56 La fonctionnaire a témoigné que le 9 janvier 2012, elle a reçu une lettre de Mme Douglas l'avisant qu'une enquête formelle sur la plainte de harcèlement de M. X serait faite et qu'entre temps, la fonctionnaire serait séparée du plaignant en étant relocalisée dans un cubicule situé au 7e étage du 410, avenue Laurier. Il était précisé que M. X ne pouvait avoir accès à cet étage. La fonctionnaire a aussi été informée qu'elle devait aviser Mme Douglas dès que tôt possible si elle rencontrait M. X (pièce G-15, onglet 26). Selon la fonctionnaire, elle ne se sentait toujours pas en sécurité malgré le fait qu'elle serait relocalisée au 7e étage. Selon elle, il y avait toujours un risque que M. X se rende au 7e étage en embarquant dans l'ascenseur avec quelqu'un d'autre qui devait se rendre à cet étage. La fonctionnaire a vu la proposition de Mme Douglas comme une façon de lui dire : « va te cacher plus loin ».

57 Le 19 janvier 2012, la fonctionnaire a été convoquée à une rencontre par Danielle Dumas, qui était en charge de l'enquête sur la plainte de harcèlement de M. X. La fonctionnaire l'a avisé qu'elle refusait de se rendre au 410, avenue Laurier pour cette rencontre. Cette rencontre a finalement eu lieu à Orléans, en banlieue d'Ottawa. À la suite d'un rapport préliminaire, le 5 avril 2012, auquel la fonctionnaire a répondu, le rapport final d'enquête sur la plainte a été communiqué à la fonctionnaire, au début de mai 2012 (pièce G-16).

58 Dans son rapport, Mme Douglas a conclu que des trois allégations contenues dans la plainte de M. X contre la fonctionnaire, une de ces allégations s'est avérée fondée et constituait du harcèlement à l'égard de M. X. À la suite de ce rapport, la fonctionnaire a été convoquée en entrevue disciplinaire et elle a reçue comme sanction une réprimande orale. La fonctionnaire s'est dite humiliée par cette mesure. Le 26 avril 2012, la fonctionnaire a elle-même présentée une plainte de harcèlement contre M. X. Cette plainte a toutefois été rejetée au motif qu'elle avait été déposée en retard.

59 Quant à ses demandes d'adaptation, la fonctionnaire a soutenu qu'elle ne pouvait plus travailler au 410, avenue Laurier, à cause de la présence de M. X. Le 17 janvier 2012, elle a demandé à Mme Ouellette de travailler à partir de Montréal où le conjoint de la fonctionnaire avait obtenu un contrat d'un an et demi. La fonctionnaire a indiqué que l'employeur y a un bureau sur la rue Sherbrooke et qu'elle aurait pu y travailler là (pièce G-15, onglet 28). Ça n'a pas fonctionné. Le 27 janvier 2012, la fonctionnaire a appelé Mme Ouellette pour lui dire qu'elle voulait faire une demande de relocalisation permanente à Montréal (pièce G-15, onglet 32). Mme Ouellette a informé la fonctionnaire, le 3 février 2012, qu'il n'était pas possible de faire du télétravail et que si la fonctionnaire voulait être réinstallée à Montréal, elle devrait suivre la procédure prévue à cette fin dans la convention collective (pièce G-15, onglet 33). La fonctionnaire a répondu qu'elle ne ferait pas de demande de relocalisation pour l'instant (pièce G-15, onglet 33). Elle a toutefois demandé à plusieurs reprises d'être relocalisée dans un autre édifice que le 410, avenue Laurier. Elle a fait cette demande notamment les 8 et 24 février 2012, et les 15 et 25 mars 2012, suite aux certificats médicaux du Dr Duchesne en date du 7 février 2012, du 29 février 2012 et du 23 mars 2012, qui stipulaient que la fonctionnaire ne devait pas retourner travailler au 410, avenue Laurier (pièce G-15, onglets 34-36-38). La fonctionnaire a mentionné avoir discuté une dernière fois, le 31 juillet 2012, des mesures d'adaptation avec le Président, Harvey Cenaiko, Jean Yves Lebel du Syndicat et M. McMullen. La fonctionnaire a affirmé avoir alors expliqué ses craintes au Président auprès de l'employeur et s'être fait dire qu'elle ne devait pas avoir peur. La fonctionnaire a dit ne pas avoir apprécié se faire dire ça par trois hommes.

60 La fonctionnaire a témoigné s'être mise à la recherche d'un emploi ailleurs que chez l'employeur. Elle a notamment fait des appels à environ 6 ou 7 employés du SCC et elle a fait parvenir son c.v. à Phil Chitty du SCC (pièce G-15, onglet 52). En décembre 2012, la fonctionnaire a aussi rencontré Mme Ouellette et M. McMullen, qui lui ont suggéré de regarder les possibilités d'affectation dans un autre ministère. Le 18 février 2013, la fonctionnaire a finalement conclu une entente d'affectation pour une période d'un an au SCC, commençant le 4 mars 2013 (pièce G-58). La fonctionnaire a commencé à travailler auprès du SCC à temps plein, contrairement à la suggestion du Dr Duchesne qui recommandait un retour graduel au travail.

61 Lors de son témoignage, le 12 décembre 2013, la fonctionnaire était encore en affectation auprès de SCC. Elle a affirmé que tout se déroulait bien et que Lyne Garrow, qui était initialement sa superviseure, était très satisfaite de ses services et qu'elle lui avait même fournie une lettre de référence (pièce G-18). Mme Garrow a été remplacée par Pierre Bernier. La fonctionnaire a témoigné aimer son travail au SCC et se sentir libre maintenant.

62 En contre interrogatoire, la fonctionnaire a nié avoir dit à Mme Ouellette qu'une personne comme M. X ne devrait pas être sur terre.

B. Pour l'employeur

63 Mme Douglas a témoigné pour l'employeur. Mme Douglas était à l'époque Directrice de la section de l'accès à l'information. En 2011, elle est aussi devenue la responsable désignée du processus de traitement des plaintes auprès de l'employeur. Mme Douglas a témoigné que lorsque M. X a fait une plainte de harcèlement contre la fonctionnaire, en avril 2011, elle a embauché une firme de l'extérieur pour s'occuper de l'enquête car elle était à court de ressources et qu'elle voulait s'assurer que le dossier soit traité de façon professionnelle.

64 Le 30 novembre 2011, lors d'une réunion ayant pour but de connaître la version de la fonctionnaire à la suite de la plainte de M. X, cette dernière a demandé de faire du télétravail pendant la durée de l'enquête. Mme Douglas lui a répondu qu'elle avait besoin de plus d'information quant à sa situation médicale afin de déterminer si la fonctionnaire et M. X devaient être séparés pendant l'enquête et quelles mesures d'adaptation, le cas échéant, devaient être prises (pièce E-1, onglets 1-3-4). Mme Douglas a témoigné ne toujours pas avoir reçu l'information nécessaire en date du 2 décembre 2011 (Pièce E-1, onglet 5).

65 Le 9 janvier 2012, Mme Douglas a avisé la fonctionnaire et M. X qu'elle allait procéder à une enquête formelle sur la plainte de harcèlement de M. X. Entre-temps, elle a décidé de séparer la fonctionnaire et M. X. La fonctionnaire a donc été assignée au cubicule 703, situé au 7e étage du 410, avenue Laurier; M. X n'avait pas accès à cet étage. De plus, Mme Douglas a informé les parties qu'elle devait être avisée le plus tôt possible si ces derniers devaient se croiser (pièces E-1, onglets 5-6). Selon Mme Douglas, bien que le 9 janvier 2012, elle n'avait toujours pas toute l'information médicale quant aux mesures d'adaptation à prendre dans le cas de la fonctionnaire, il lui apparaissait néanmoins, après consultation avec les Ressources humaines, que la fonctionnaire était dans un état de détresse et qu'il fallait faire quelque chose pour permettre son retour au travail.

66 Mme Douglas a expliqué que, compte tenu des circonstances, il était approprié de relocaliser la fonctionnaire au 7e étage du 410, avenue Laurier. Mme Douglas a expliqué que le 7e étage était un étage particulier où se trouvait notamment le bureau du président de même que ceux des ressources humaines et des services juridiques. Seuls les employés ayant affaire à cet étage peuvent s'y rendre. Ainsi, Mme Douglas a expliqué que les employés qui avaient accès au 7e étage devaient, comme tous les autres employés qui entrent dans l'édifice, passer devant un bureau où était placé un agent de sécurité. Toutefois, les employés autorisés à accéder au 7e étage étaient munis d'une carte d'accès spécial qu'ils utilisaient une fois dans l'ascenseur et qui leur donnaient ainsi accès au 7e étage. Les employés qui n'avaient pas cette carte d'accès spécial ne pouvaient accéder au 7e étage. La même carte d'accès spécial était nécessaire pour accéder au 7e étage par les escaliers. Mme Douglas a témoigné que M. X n'avait pas cette carte d'accès et que, par conséquent, il ne pouvait accéder au 7e étage. De plus, Mme Douglas a expliqué que le cubicule 703, destiné à la fonctionnaire, se trouvait à côté du bureau du président, et qu'il fallait une carte d'accès supplémentaire pour accéder à la suite du président une fois rendu au 7e étage. M. X n'avait pas non plus cette autre carte d'accès. Mme Douglas a témoigné que la fonctionnaire n'a jamais accepté de travailler à partie du cubicule 703. Elle n'y est jamais allée.

67 Mme Douglas a témoigné que le 6 juin 2012, elle a écrit à la fonctionnaire pour l'informer qu'elle était d'accord avec les conclusions de l'enquête sur la plainte de harcèlement de M. X voulant qu'elle ait, dans un cas, harcelé M. X (pièce E-1, onglet 7). Selon Mme Douglas, la fonctionnaire ne l'a pas contacté pour discuter de la sanction disciplinaire. Ce n'est qu'en mars 2013, lors d'une rencontre avec la fonctionnaire, que Mme Douglas lui a donné une réprimande verbale en guise de mesure disciplinaire. Mme Douglas a conclu en disant que la fonctionnaire a aussi présenté une plainte de harcèlement contre M. X mais que cette plainte était survenue après celle de M. X et qu'elle avait été jugée hors délai.

68 En contre interrogatoire, Mme Douglas a expliqué que c'était parce qu'il y avait beaucoup à faire que quatre mois se sont écoulés avant que la fonctionnaire ne soit avisée, le 19 août 2011, de la plainte de M. X . Mme Douglas a aussi convenu que la fonctionnaire disait avoir peur de M. X car il était grand, qu'il parlait fort et qu'il utilisait un langage vulgaire. Mme Douglas a expliqué que bien que quelqu'un puisse essayer de se faufiler au 7e étage sans carte d'accès, le commissionnaire était au courant que seuls les employés avec une carte d'accès pouvaient accéder au 7e étage et que les autres devaient être renvoyés. Mme Douglas a témoigné qu'à sa connaissance, cette situation ne s'était jamais produite. Quant à la plainte de la fonctionnaire contre M. X , selon Mme Douglas, non seulement cette plainte était hors délai mais, en plus, elle ne semblait pas fondée sur le mérite.

69 Mme Ouellette a aussi témoigné dans cette affaire. Mme Ouellette occupe présentement le poste de Directrice intérimaire de la mesure de performance auprès de l'employeur. Mme Ouellette a quelque 30 ans d'expérience chez l'employeur. Elle connaît la fonctionnaire depuis 2008, à l'époque où elles étaient collègues. En 2010, elle est devenue la superviseure de la fonctionnaire. Mme Ouellette a décrit la fonctionnaire comme une personne avec une forte personnalité qui travaille très fort, qui aime que les choses soient faites comme elle le veut et qui s'alarme facilement. Mme Ouellette a indiqué que la fonctionnaire lui avait déjà confié avoir quitté un poste auprès du SCC à la suite d'une mésentente avec son superviseur. Quant à M. X, Mme Ouellette a témoigné être devenue sa superviseure en juillet 2013. Elle a décrit ce dernier comme étant un employé amical qui veut être aimé de tout le monde mais qui, à l'occasion, peut agir de façon maladroite. Par exemple, Mme Ouellette a relaté que M. X pouvait manger des mets chinois pour le petit déjeuner, etc. Elle a dit que dans le passé, M. X a travaillé comme gardien de prison et qu'il est possible qu'il ait de la difficulté à s'ajuster à un environnement de bureau.

70 Mme Ouellette a témoigné que la fonctionnaire s'est plainte au sujet de M. X avant que ce dernier ne fasse sa plainte de harcèlement. La fonctionnaire pensait que M. X était violent; Mme Ouellette voyait plutôt un conflit de personnalité entre les deux. Selon Mme Ouellette, la fonctionnaire reprochait à M. X de faire du bruit lorsqu'il mangeait et aussi de faire des bruits gutturaux. Mme Ouellette a dit avoir alors proposé de déplacer la fonctionnaire trois fois avant que celle–ci accepte. Mme Ouellette a aussi suggéré aux deux parties de participer à une séance informelle de résolution des conflits, ce à quoi la fonctionnaire s'est opposée. Selon Mme Ouellette, la fonctionnaire lui aurait déjà dit qu'une personne comme M. X « ne devrait pas être sur terre ». Mme Ouellette n'a rien fait avec cette déclaration, jugeant que la fonctionnaire ne voulait que ventiler.

71 Mme Ouellette a témoigné avoir discuté avec M. X de son comportement et qu'elle lui avait notamment enjoint de baisser le ton et de cesser de se laver les pieds avec du vinaigre dans son bureau. Selon Mme Ouellette, M. X a alors cessé cette pratique.

72 Mme Ouellette a dit avoir observé que la fonctionnaire évitait M. X. Une fois, Mme Ouellette a vu que M. X marchait derrière la fonctionnaire et cette dernière a alors fait un son guttural. Mme Ouellette a affirmé avoir dit à la fonctionnaire de cesser.

73 Mme Ouellette a témoigné que la fonctionnaire était déménagée du bureau 642 pour s'établir au bureau 645 dans le but de s'éloigner de M. X qui faisait des drôles de bruits gutturaux (pièce G-1). Par la suite, en décembre 2010, la fonctionnaire est déménagée au bureau 661. Il s'agit d'ailleurs du bureau qu'occupait la fonctionnaire lorsqu'elle a reçu la plainte de M. X en août 2011; M. X occupait alors le bureau 641 .La fonctionnaire a occupé le bureau 661 pendant 8 mois, soit jusqu'à ce qu'elle prenne un congé de maladie. Selon Mme Ouellette, pendant cette période de 8 mois, la fonctionnaire ne s'est pas plainte de M. X.

74 Mme Ouellette a témoigné qu'elle ne croyait pas que M. X soit violent; il n'a jamais été violent devant elle. De plus, personne ne s'est plaint que M. X était violent. Mme Ouellette a affirmé que seule la fonctionnaire s'est plainte du comportement de M. X, personne d'autre n'a déposé de plainte à son égard. De même, jamais le syndicat ne l'a contacté pour rapporter le comportement de M. X. Selon Mme Ouellette, M. X faisait l'objet d'intimidation et il se faisait ridiculiser par ses collègues. Ces derniers se moquaient de lui; ils faisaient campagne contre lui. Par exemple, certains fermaient la sonnerie de son téléphone.

75 Mme Ouellette a affirmé avoir tenté de convaincre la fonctionnaire d'aller en médiation avec M. X autour du mois de mai 2010 mais que la fonctionnaire aurait refusé dès le départ.

76 Pendant que la fonctionnaire était en congé de maladie, Mme Ouellette a indiqué avoir reçu deux certificats médicaux du Dr Duchesne, soit le 6 septembre 2011 et le 25 octobre 2011. Les certificats ne mentionnaient pas le stress vécu par la fonctionnaire ni le fait qu'elle ne pouvait travailler au 410, avenue Laurier (pièces E-1, onglets 9-10, G-15, onglets 17-19).

77 Compte tenu de la durée du congé de maladie de la fonctionnaire, le 29 novembre 2011, Mme Ouellette a décidé de demander à cette dernière de confirmer sa date de retour au bureau de lui remettre un plan de réintégration au travail (pièce E-1, onglet 11). Selon la compréhension de Mme Ouellette du courriel de la fonctionnaire en date du 2 décembre 2011, cette dernière ne pouvait réintégrer le 410, avenue Laurier, tant que la plainte de harcèlement ne serait pas réglée.

78 Comme le congé de maladie de la fonctionnaire a été prolongée, (pièce E-1, onglets 15-16), Mme Ouelle a de nouveau demandé à la fonctionnaire, le 13 décembre 2011, de lui remettre un plan de réintégration pour son éventuel retour au travail (pièce E-1, onglet 17). À la fin décembre 2011, bien que la fonctionnaire l'ait avisée que le congé de maladie serait prolongé jusqu'à la fin de janvier 2012, elle n'avait toujours pas soumis de plan de réintégration ni d'information sur un retour autre qu'au 410, avenue Laurier (pièce E-1, onglets 18-19).

79 Le 9 janvier 2012, Mme Douglas a informé la fonctionnaire qu'il y aurait enquête sur la plainte de M. X et qu'entre temps, la fonctionnaire était relocalisée au 7e étage du 410, avenue Laurier (pièce E-21). Mme Ouellette a indiqué avoir reçu un appel de la fonctionnaire, le 27 janvier 2012, lui demandant si elle pouvait travailler à partir de Montréal, son mari s'y étant trouvé un emploi. Mme Ouellette a affirmé que ce n'était pas possible et que si la fonctionnaire voulait travailler à Montréal, elle devait faire une demande de relocalisation en bonne et due forme conformément à la convention collective. Selon Mme Ouellette, la fonctionnaire a alors mentionné être prête à retourner au travail depuis le début de décembre 2011, en autant que ce ne soit pas au 410, avenue Laurier. Mme Ouellette lui a alors encore enjoint de présenter un certificat médical précisant les restrictions qui s'imposaient et d'inclure un plan de réintégration. Entre temps, la fonctionnaire était en congé d'invalidité (pièce E-1, onglets 23-24).

80 Selon Mme Ouellette, la fonctionnaire ne pouvait pas faire de télétravail étant donné la nature de ses tâches. Mme Ouellette a expliqué que la fonctionnaire était la seule qui avait les capacités d'extraire les informations nécessaire du système de données auprès de l'employeur. De plus, selon Mme Ouellette, la fonctionnaire avait à travailler étroitement avec les autres, ce qui aurait été difficile si elle n'était pas présente physiquement au bureau. De plus, dans le cadre de ses fonctions, la fonctionnaire devait fournir un service d'information au client, que ce soit en réponse à des demandes de gestionnaires de l'employeur ou des demandes du SCC. Selon Mme Ouellette, ces demandes sont parfois urgentes et, par conséquent, la personne qui y répond doit être sur place afin de répondre rapidement. Mme Ouellette a aussi ajouté que les fonctions de la fonctionnaire comportaient aussi un volet où cette dernière devait jouer un rôle de mentorat auprès d'un employé junior. Cette tâche requérait donc la présence de la fonctionnaire afin que celle-ci puisse guider et conseiller de façon ponctuelle l'employé junior. Selon Mme Ouellette, le coût était aussi un facteur à considérer, puisqu'il aurait fallu, entre autres, équiper la fonctionnaire avec une ligne sécuritaire. Mme Ouellette a témoigné qu'en l'absence de la fonctionnaire au cours des trois dernières années, l'employeur a dû embaucher une personne qui était à la retraite pour faire le travail de la fonctionnaire et qu'elle-même avait dû assumer certaines de ses responsabilités.

81 Mme Ouellette a donc informé la fonctionnaire que sa présence était requise au 410, avenue Laurier. Le 3 février 2012, elle lui a de nouveau enjoint de soumettre un plan de réintégration (pièce E-1, onglet 25). Le 21 février, Mme Ouellette a remis à la fonctionnaire une lettre ainsi qu'une copie de la description de tâches de cette dernière afin qu'elle les remette au Dr Duchesne pour avoir des précisions quant à la réintégration de la fonctionnaire et sur les mesures d'adaptation requises (pièce E-1, onglet 28).

82 Le 1er mars 2012, la fonctionnaire a fait parvenir à Mme Ouellette la réponse du Dr Duchesne datée du 29 février 2012. Dans sa réponse, le Dr Duchesne a précisé que la fonctionnaire éprouvait toujours des difficultés due au stress, qu'elle avait des problèmes de mémoire et de concentration et qu'elle ne pouvait retourner au 410, avenue Laurier (pièce E-1, onglet 29). À la lumière de ce nouveau certificat médical, Mme Ouellette a témoigné s'être alors interrogée, le 15 mars 2012, sur la capacité de la fonctionnaire de retourner au travail, et ce, même ailleurs qu'au 410, avenue Laurier (pièce E-1, onglet 30). Mme Ouellette a affirmé que la fonctionnaire n'avait jamais mentionné une condition médicale autre que celles mentionnées dans le certificat médical du 29 février 2012.

83 En contre interrogatoire, Mme Ouellette a dit qu'en novembre 2011, elle a pensé permettre à la fonctionnaire de faire du télétravail parce qu'elle croyait qu'elle n'avait pas le choix. Toutefois, après avoir été informée par les ressources humaines que le tout était sujet à la nécessité du service, elle s'est ravisée (pièce G-20). Bien que Mme Ouellette ait témoigné être d'avis que le télétravail de façon permanente n'était pas possible dans le cas de la fonctionnaire, elle a toutefois admis que ça pourrait être possible sur une base temporaire, par exemple pendant une semaine ou deux. Dans son témoignage, Mme Ouellette a indiqué n'avoir jamais vérifié si la fonctionnaire aurait pu travailler au 340, avenue Laurier, où l'employeur y avait un bureau. Mme Ouellette a aussi affirmé qu'elle prenait pour acquis que la fonctionnaire avait des problèmes médicaux puisque sa demande de congé d'invalidité prolongée avait été acceptée.

84 Mme Ouellette a témoigné qu'en décembre 2012, la fonctionnaire a indiqué vouloir travailler dans un autre ministère et qu'à cette fin, des représentants de l'employeur ont distribué son c.v. à l'intérieur de l'organisation. De mars 2013 à avril 2014, la fonctionnaire a été en affectation auprès du SCC. La fonctionnaire a notamment pris des congés de maladie à partir d'avril 2014.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour la fonctionnaire

85 L'avocate a affirmé qu'en l'espèce, la fonctionnaire a démontré qu'elle souffrait d'une déficience qui constitue un motif de distinction illicite et que, par conséquent, elle a été défavorisée dans son milieu de travail. Selon l'avocate, l'employeur avait le devoir de prendre les mesures d'adaptation nécessaires pour permettre à la fonctionnaire de travailler malgré cette déficience. Or, l'employeur ne s'est pas acquitté de son obligation. Selon la jurisprudence, il incombait à l'employeur de démontrer que d'accommoder la fonctionnaire dans ce contexte lui aurait imposé une contrainte excessive. L'employeur ne s'est pas acquitté de ce fardeau de la preuve. Voir Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, paragr. 139-141; Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2007 CRTFP 31, paragr. 127-129.

86 Selon l'avocate, l'employeur cherche à minimiser l'importance du problème en considérant la situation comme un simple conflit de personnalité entre deux employés. Selon elle, il s'agit plutôt d'une situation mal gérée qui a dégénérée et qui a rendu la fonctionnaire malade.

87 L'avocate a maintenu que la preuve est claire et abondante quant au comportement abusif de M. X et de son effet négatif et dommageable sur la fonctionnaire. Par exemple, tous les témoins ont décrit M. X comme ayant un physique imposant et un comportement étrange, inapproprié et abusif en milieu de travail. Mme Willard et Mme Leclerc ont souligné qu'elles avaient elles-mêmes soulevé auprès de la direction les problèmes de la fonctionnaire avec M. X et que la direction n'était pas intervenue. Elles ont relatés avoir remarqué les changements de comportement de la fonctionnaire et que cette dernière semblait ébranlée, stressée et agitée. Pour sa part, Mme Joly a même témoigné au sujet d'un incident où elle aurait vu la fonctionnaire se frapper la tête avec ses poings.

88 L'avocate a plaidé que la fonctionnaire avait informé la direction de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait et qu'elle croyait que M. X était une menace pour sa sécurité, mais la direction n'a pas cru nécessaire d'agir et de régler le problème. L'avocate est revenue sur l'incident du 4 mai 2010, où M. X est entré de façon menaçante dans le bureau de la fonctionnaire et lui a dit « What is your problem […] ». La fonctionnaire était alors allée à l'extérieur, où elle a été rejointe par Mme Ouellette, qui a bien vu que la fonctionnaire était effrayée et sous le choc.

89 Quant au témoignage de Mme Ouellette, l'avocate a indiqué que la fonctionnaire avait alors perdu confiance en sa superviseure en raison de l'inaction de celle-ci. Elle a ajouté que compte tenu de la preuve, il faut privilégier la version de la fonctionnaire dans cette affaire.

90 L'avocate a remarqué que bien que l'employeur ait insisté sur la qualité des informations médicales fournies par la fonctionnaire, ce dernier n'a jamais douté que celle-ci souffrait d'une déficience ni qu'elle avait besoin de mesures d'adaptation. À cet égard, l'employeur a toujours accepté les demandes de congés de maladie de la fonctionnaire et Mme Ouellette a parlé des mesures d'adaptation offertes à la fonctionnaire.

91 Reprenant le témoignage du Dr Ramsay, l'avocate a insisté sur le fait que ce dernier avait déjà vu la fonctionnaire en septembre 2011 et qu'il avait alors identifié des symptômes de sa maladie. L'avocate a plaidé que le Dr Ramsay avait conclu que la fonctionnaire avait mal réagi en août 2011 au dépôt de la plainte de M. X et que la crainte de celle-ci pour sa sécurité était bien réelle. Selon lui, la fonctionnaire demeurerait anxieuse tant que la situation avec M. X ne serait pas réglée.

92 L'avocate a plaidé que le Dr Duchesne avait lui aussi conclu que la fonctionnaire était dans un état de stress en raison de la situation difficile avec M. X. Selon elle, le Dr Duchesne était d'accord pour que la fonctionnaire retourne au travail en novembre 2011, en autant que ce soit ailleurs qu'au 410, avenue Laurier (pièce G-8, p. 20). Ce diagnostic a été réitéré par la suite jusqu'en mars 2012 (pièce G-8, p. 26).

93 Pour l'avocate, la question qui se pose est de savoir si le sentiment de peur de la fonctionnaire est bien réel et non pas si elle a raison d'avoir peur. Les Drs Ramsay et Duchesne ont conclu que la fonctionnaire avait une déficience et qu'elle craignait vraiment d'éprouver une détresse psychologique advenant son retour dans le même édifice que celui où se trouve M. X.

94 Pour l'avocate, non seulement il a été démontré que la fonctionnaire avait une déficience sur laquelle elle n'a aucun contrôle, mais il a aussi été démontré que malgré le souhait de cette dernière et le diagnostic des médecins, l'omission de son employeur de prendre des mesures d'adaptation à son égard a fait en sorte qu'elle n'a pas pu réintégrer son milieu de travail dès le mois de novembre 2011. Les mesures d'adaptation offertes plus tard, à savoir occuper un bureau au 7e étage du 410, avenue Laurier, ne sont pas raisonnables dans les circonstances; par conséquent, l'employeur n'a pas rencontré son obligation d'accommoder la fonctionnaire. L'employeur aurait pu permettre à la fonctionnaire de faire du télétravail ou de travailler ailleurs qu'au 410, avenue Laurier; il ne l'a pas fait.

95 En agissant ainsi, l'employeur a passé outre aux recommandations des médecins de la fonctionnaire. L'avocate a plaidé que bien que l'employeur n'ait pas l'obligation de mettre en place des mesures d'adaptation idéales, il doit quand même répondre aux besoins médicaux de la fonctionnaire. Selon elle, il incombe d'abord à l'employeur de mettre en place les mesures d'adaptation nécessaires. Voir Kelly c. Conseil du Trésor (ministère des transports),2010 CRTFP 80, paragr. 105. À cet égard, l'avocate a fait valoir que les deux médecins avaient affirmé que les mesures proposées par l'employeur n'étaient pas adéquates. Il est aussi important de noter que l'employeur n'a pas fourni de contre-expertise médicale dans cette affaire ni demandé de preuve médicale indépendante.

96 L'avocate a maintenu que l'employeur avait assez d'information pour prendre les mesures d'adaptation adéquates à partir du 29 novembre 2011. Si, toutefois, je devais décider que les informations médicales étaient alors insuffisantes, l'avocate a plaidé qu'à tout le moins il était parfaitement clair, le 23 mars 2012, que les mesures proposées par l'employeur étaient inadéquates dans les circonstances.

97 L'avocate a également plaidé que l'employeur n'avait pas démontré que le fait de trouver un milieu de travail autre que le 410, avenue Laurier, pour la fonctionnaire, constituait une contrainte excessive. L'avocate m'a renvoyé aux facteurs à considérer qui sont énumérés dans ColombieBritannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, (1999) 3 R.C.S. 3 (Meiorin). au paragr. 54, et elle a conclu que l'employeur n'avait pas démontré qu'il y aurait contrainte excessive si la fonctionnaire devait travailler ailleurs qu'au 410, avenue Laurier. Selon l'avocate, l'employeur n'a pas démontré que la fonctionnaire ne pouvait pas préparer des statistiques à partir de son ordinateur ailleurs qu'au 410, avenue Laurier. De plus, l'employeur n'a pas, contrairement à la décision dans Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2007 CRTFP 31, fournit de preuve concrète quant aux éléments qui font en sorte qu'il est impossible pour la fonctionnaire de travailler ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

B. Pour l'employeur

98 D'entrée de jeu, l'avocat de l'employeur m'a demandé de mettre en perspective les témoignages de Mmes Leclerc, Willard et Joly. Selon lui, aucune de ces personnes n'a été témoin d'acte de violence ou d'intimidation de la part de M. X à l'endroit de la fonctionnaire. Ces trois témoins se sont liguées contre M. X et elles ne cherchent qu'à le faire mal paraître. Le fait qu'aucun de ces témoins n'aient fait de plainte à l'endroit de M. X auprès de l'employeur ou auprès du syndicat est significatif. Selon lui, M. X est devenu une cible pour la fonctionnaire et ses trois témoins. À cet égard, il faut retenir le témoignage de Mme Ouellette selon lequel M. X n'était pas violent, qu'il était plutôt étrange et qu'il se faisait ridiculiser et intimider par les autres employés.

99 Selon l'avocat, le conflit entre la fonctionnaire et M. X a pris une toute autre tournure quand celui-ci a fait une plainte de harcèlement contre la fonctionnaire. C'est après cette plainte que la fonctionnaire a commencé à dire qu'elle ne voulait plus travailler dans le même édifice que lui. Selon l'avocat, la direction n'avait alors pas le choix d'enquêter la plainte de M. X surtout que, d'après Mme Ouellette, la fonctionnaire aurait elle aussi fait des bruits gutturaux lorsqu'elle était à proximité de M. X. De plus, la fonctionnaire aurait également dit que quelqu'un comme lui ne devrait pas être sur la terre.

100 L'avocat a plaidé que la direction avait pris des mesures en ce qui concerne le comportement étrange de M. X. Mme Ouellette lui a dit de cesser de se laver avec du vinaigre, elle a offert de déplacer la fonctionnaire et elle lui a proposé de participer à des séances de médiation avec M. X, ce que la fonctionnaire a refusé.

101 Pour l'avocat, dans cette affaire, il revenait à la fonctionnaire de démontrer, dans un premier temps, qu'elle souffrait d'une déficience ou d'une incapacité et, dans un deuxième temps, de démontrer qu'elle avait subi un préjudice de la part de l'employeur. Or, la fonctionnaire ne l'a pas fait . Il s'agit ici d'un conflit au travail entre deux employés et non pas d'une déficience ou d'une incapacité.

102 L'avocat a maintenu que ce n'est qu'après le dépôt de la plainte de M. X que la fonctionnaire a refusé de revenir travailler au 410, avenue Laurier. Qui plus est, ce n'est qu'après le dépôt du grief de la fonctionnaire et quelques jours avant le début de l'audience, en septembre 2013, que le diagnostic du Dr Ramsay a été remis à l'employeur. Quant aux conclusions du Dr Duchesne, bien qu'il ait traité la fonctionnaire avant le dépôt de son grief, ce n'est que le 2 décembre 2011, soit après le dépôt de la plainte de M. X, qu'il a indiqué que la fonctionnaire ne pouvait pas travailler au 410, avenue Laurier. Tous ses éléments, selon l'avocat, démontrent que c'est le dépôt de la plainte de M. X, reçue en août 2011 par la fonctionnaire, qui a été l'élément déclencheur de la décision de la fonctionnaire de ne pas réintégrer le 410, avenue Laurier. L'avocat a insisté sur le fait que pendant les 8 mois qui ont précédé le dépôt de la plainte de M. X, soit de décembre 2010 à août 2011, la fonctionnaire ne s'est pas plainte de M. X, et ce, même si elle occupait un bureau à l'autre bout du corridor de M. X. Par conséquent, ce n'est pas en raison de la situation avec M. X si la fonctionnaire ne voulait plus réintégrer le 410, avenue Laurier, mais bien le dépôt de la plainte de M. X, laquelle a été partiellement accueillie et pour laquelle la fonctionnaire a fait l'objet d'une mesure disciplinaire.

103 L'avocat de l'employeur a plaidé que malgré les demandes répétées de Mme Ouellette en vue d'obtenir plus de détails sur la condition de la fonctionnaire, ce n'est que le 29 février 2012 que le Dr Duchesne les lui a fournis. Par la suite, le Dr Duchesne a dû clarifier dans sa lettre du 23 mars 2012 ce qu'il considérait comme les limites fonctionnelles de la fonctionnaire.

104 L'avocat de l'employeur a fait valoir qu'avant mars 2012, la seule information médicale dont disposait l'employeur était que la fonctionnaire était stressée et qu'elle avait un conflit avec un collègue de travail. Le stress ne constitue pas une déficience ni une incapacité. Au soutien de ses prétentions, l'avocat m'a renvoyé à Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35, paragr. 131, Crowley v. Liquor Control Board of Ontario, 2011 HRTO 1429, paragr. 57-61. Il a aussi plaidé que je devais faire preuve de prudence quant aux témoignages des médecins. Dans les deux cas, ils n'étaient pas au courant de la proposition de l'employeur visant à accommoder la fonctionnaire en la faisant travailler au 7e étage, lequel était contrôlé et accessibles seulement aux détenteurs de cartes d'accès spéciales . Qui plus est, dans le cas du Dr Ramsay, son rapport n'a été remis à l'employeur que quelques jours avant l'audience. L'avocat a plaidé que je devais rendre ma décision en tenant compte de ce que connaissait l'employeur avant le grief. Or, l'employeur n'a été informé de l'opinion du Dr Ramsay que quelques jours avant l'audience. Voir Lowe c. Landmark Transport Inc., 2007 CF 217, paragr. 28. L'avocat a aussi fait valoir que les médecins s'étaient uniquement basés sur ce que leur a dit la fonctionnaire. À titre d'exemple, le Dr Ramsay a indiqué dans son rapport que la fonctionnaire avait dit que M. X était souvent agressif. Toutefois, dans son témoignage, la fonctionnaire n'a relaté qu'un incident, soit celui du 4 mai 2010, où M. X aurait été abusif à son égard. Selon l'avocat, la fonctionnaire exagère la situation.

105 Bien que l'avocat de l'employeur ait plaidé que la fonctionnaire n'avais pas fait la preuve d'une déficience ou d'une incapacité, il n'en demeure pas moins que l'employeur a malgré tout cherché à accommoder cette dernière en lui proposant un bureau au 7e étage du 410, avenue Laurier, où M. X n'avait pas accès; cet étage est réservé aux titulaires d'une carte d'accès spéciale. Quant au télétravail, l'avocat a insisté sur le fait que Mme Ouellette avait clairement indiqué dans son témoignage que compte tenu des fonctions de la fonctionnaire, il ne s'agissait pas d'une option viable puisque la fonctionnaire travaillait de près avec des clients, que l'information était de nature confidentielle et qu'en situations d'urgence, les intervenants, dont la fonctionnaire, devaient pouvoir se réunir rapidement. De plus, le poste de la fonctionnaire comporte un volet de mentorat qu'il est difficile d'exercer à partir de la maison. Finalement, l'avocat a réitéré que l'employeur avait malgré tout cherché à aider la fonctionnaire en faisant circuler son c.v. à des employeurs potentiels.

106 Selon l'avocat de l'employeur, bien que l'employeur ait essayé d'accommoder une situation médicale, ça ne veut pas dire qu'il reconnaît que la fonctionnaire souffre d'une déficience ou d'une incapacité dans le sens où il faut l'accommoder. Si, malgré tout, je devais conclure que la fonctionnaire souffrait effectivement d'une déficience ou d'une incapacité, l'avocat de l'employeur a fait valoir que l'employeur s'était alors acquitté de son obligation de prendre des mesures d'adaptation en offrant à la fonctionnaire de s'installer au 7e étage. Voir Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, paragr. 14-16.

107 Dans cet ordre d'idée, l'avocat de l'employeur a aussi maintenu que toute cette question d'accommodement n'était pas une obligation à sens unique qui repose strictement sur l'employeur. En effet, la fonctionnaire se devait elle aussi de coopérer, ce qu'elle n'a pas fait puisqu'elle ne s'est jamais même présentée au 7e étage du 410, avenue Laurier. De même, cette dernière a refusé l'offre de médiation avec M. X. Par conséquent, selon l'avocat de l'employeur, la fonctionnaire était plutôt sélective quant aux mesures d'adaptation. L'avocat a insisté sur le fait que les mesures d'adaptation n'ont pas à être parfaites. Elles doivent être raisonnables. Dans cette affaire, compte tenu de la preuve médicale dont il disposait, l'employeur a été raisonnable dans son approche. Il a proposé que la fonctionnaire soit placée sur un étage tout juste à côté du bureau du président, où M. X n'avait pas accès. De plus, tant la fonctionnaire que M. X devaient avertir Mme Douglas dès que possible s'ils se rencontraient. Voir Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé),2008 CRTFP 68, paragr. 35-36-37; Callan v. Suncor Inc., 2006 ABCA 15, paragr. 21.

IV. Motifs

108 Tel qu'il est indiqué ci-dessus, au dernier jour d'audience, soit le 29 juillet 2014, la fonctionnaire n'était toujours pas retournée au 410, avenue Laurier, à la suite de son affectation auprès du SCC qui avait pris fin en mars 2014.

109 De plus, je me dois de souligner que la présente décision n'a pas pour but de se prononcer sur les allégations concernant M. X. D'une part, ce n'est pas l'objet du grief, d'autre part, je ne suis en effet pas en position de me prononcer sur le bien-fondé des allégations contre lui. Ce dernier n'a en effet pas été appelé à témoigner. Je dois donc tenir compte qu'il n'a pas eu l'opportunité de donner sa version des faits quant aux événements et comportement reprochés. Je tiens aussi à souligner que, dans cette affaire, les parties m'ont soumis quelques 31 décisions au soutien de leur argument. J'ai consulté ces décisions, je n'y ferai toutefois référence qu'à l'occasion.

110 Bien que je n'aie pas l'intention de me prononcer sur le bien-fondé des allégations contre M. X, il m'apparaît toutefois clairement à la lumière des témoignages, tant du côté de la fonctionnaire que du côté de l'employeur, qu'une situation conflictuelle existe entre la fonctionnaire et M. X. Selon l'avocate de la fonctionnaire, cette situation a rendu la fonctionnaire malade et celle-ci est maintenant déficiente et souffre d'une incapacité. L'avocat de l'employeur a pour sa part fait valoir qu'il s'agissait plutôt d'un conflit de travail auquel l'employeur avait apporté une solution raisonnable.

111 Dans son grief et dans sa preuve appuyée par les témoignages des Drs Ramsay et Duchesne, la fonctionnaire a essentiellement tenté de démontrer que le comportement abusif de M. X lui avait causé un stress émotionnel qui a affecté sa mémoire de même que sa capacité de concentration. En conséquence, elle ne se sent pas en sécurité de travailler dans le même immeuble que M. X (pièce G-15, onglet 36). La fonctionnaire a maintenu qu'elle souffrait d'une déficience à cause du comportement de M. X et a plaidé que l'employeur avait l'obligation de prendre des mesures d'adaptation à son égard. Pour la fonctionnaire, la proposition de l'employeur de la déplacer au 7e étage n'était pas satisfaisante puisqu'il y avait toujours le risque qu'elle rencontre M. X. En conséquence, l'employeur n'a pas rencontré son obligation de prendre des mesures d'adaptation. La fonctionnaire a demandé, entre autres, de pouvoir faire du télétravail ou d'être relocalisé dans un immeuble autre que le 410, avenue Laurier.

112 Essentiellement, les arguments de l'employeur sont que la fonctionnaire ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait parce qu'elle n'a pas démontré qu'elle souffrait d'une déficience ou d'une incapacité protégées. Le fait qu'elle soit stressée ne constitue pas une déficience ou une incapacité. Quant aux diagnostics des médecins, l'avocat de l'employeur a réitéré son objection quant aux témoignages et au rapport du Dr Ramsay au motif que ce dernier a été impliqué dans cette affaire seulement après le dépôt du grief par la fonctionnaire. Qui plus est, l'information de ce dernier n'a été communiqué à l'employeur que quelques jours avant l'audience. L'employeur ne pouvait pas agir en fonction de l'information qu'il n'avait pas. Quant au témoignage du Dr Duchesne, celui–ci a indiqué que la fonctionnaire souffrait de stress, ce qui ne constitue pas une déficience ou une incapacité. De plus, au moment de la rédaction des certificats médicaux, le Dr Duchesne et le Dr Ramsay, n'avaient pas toute l'information relative au contexte dans lequel la fonctionnaire travaillait ni le détail de l'offre de l'employeur de relocaliser la fonctionnaire au 7e étage de l'immeuble. L'avocat a maintenu que si je devais décider que la fonctionnaire souffrait effectivement d'une déficience ou d'une incapacité au moment du grief, je devrais néanmoins conclure que l'employeur a accommodé cette dernière en la déplaçant au 7e étage, soit un étage auquel M. X n'a pas accès, et que tant la fonctionnaire et M. X avaient été avisés d'informer l'employeur s'ils se rencontraient. Selon l'avocat de l'employeur, cet arrangement est des plus raisonnable compte tenu aussi du fait que la fonctionnaire l'a systématiquement refusé sans même l'essayer.

113 Selon moi, les questions qu'il faut se poser sont les suivantes :

· Est-ce que la fonctionnaire a démontré qu'elle souffrait d'une déficience ou d'une incapacité?

· Le cas échéant, est-ce que la proposition de l'employeur de déplacer la fonctionnaire au 7e étage constitue une mesure d'adaptation raisonnable?

A. Est-ce que la fonctionnaire a démontré qu'elle souffrait d'une déficience ou d'uneincapacité

114 Selon Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, qui fait entre autre référence à Andrews c. Law Society of British Columbia, (1989) 1 R.C.S. 143, p. 174, le fonctionnaire qui allègue avoir été victime de discrimination en raison d'une déficience ou d'une incapacité doit présenter une preuve prima facie de discrimination.

115 Selon moi, la preuve a démontré que la fonctionnaire souffrait d'une déficience ou d'une incapacité. La preuve de la fonctionnaire à l'appui de cette question repose en grande partie sur les rapports et les témoignages des Drs Ramsay et Duchesne. Ces derniers ont essentiellement conclu que la fonctionnaire souffrait de stress émotionnel causé par M. X, et que la présence de celui-ci au 410, avenue Laurier, rendait la fonctionnaire craintive pour sa sécurité. Ils ont tous les deux témoigné que la crainte de la fonctionnaire, bien que subjective, était réellement ressentie par cette dernière. Ils ont tous deux affirmé, sans réserve, que la fonctionnaire ne pouvait travailler au 410, avenue Laurier, et ce, malgré les mesures d'adaptation proposées par l'employeur, tant que la situation avec M. X n'était pas résolue. Tous deux ont affirmé que la fonctionnaire était crédible et que sa crainte de M. X était réelle.

116 L'avocat de l'employeur a insisté sur le fait que le Dr Ramsay n'avait été consulté qu'après le dépôt de la plainte de M. X. Par conséquent, selon lui, le véritable élément déclencheur, à l'origine du fait que la fonctionnaire ne peut pas travailler dans le même édifice que M. X, est la plainte de harcèlement présentée par M. X contre la fonctionnaire. De plus l'avocat a plaidé que le rapport du Dr Ramsay n'avait été remis à l'employeur que quelques jours avant l'audience et que, conséquemment, l'employeur ne pouvait évidemment pas le prendre en ligne de compte lorsqu'il a suggéré ses mesures d'adaptation.

117 Bien qu'il est vrai que les événements dans cette affaire semblent se précipiter en août 2011, lorsque la fonctionnaire a reçu la plainte de M. X, il appert néanmoins que le Dr Duchesne a été consulté avant août 2011 relativement aux ennuis de santé de la fonctionnaire découlant de sa relation difficile avec M. X. Déjà, le 8 juin 2010, la fonctionnaire avait consulté le Dr Duchesne quant à ses problèmes de santé et elle avait partagé sa crainte de M. X. Elle avait aussi indiqué qu'elle ne se voyait pas retourner au 410, avenue Laurier (pièce G-8).

118 Je suis d'accord avec l'avocat de l'employeur en ce qui concerne le fait que le témoignage et le rapport du Dr Ramsay soulèvent des questions quant à sa pertinence. En effet, au moment de prendre une décision, l'employeur ne peut évidemment pas adresser des situations et des conditions médicales qui n'ont pas été portées à son attention. Toutefois, je me dois de conclure que pour l'essentiel, le témoignage et le rapport du Dr Ramsay (pièce G-4) concordent entièrement avec le témoignage et les notes médicales du Dr Duchesne, à savoir que la fonctionnaire souffrait de stress causé par la situation avec M. X et que celle-ci craignait pour sa sécurité.

119 L'avocat de l'employeur a soutenu que le Dr Ramsay et le Dr Duchesne, dans leurs évaluations et diagnostics, n'ont pas tenu compte de certains autres facteurs comme le fait que la fonctionnaire avait demandé d'être relocalisée ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, après que M. X ait logé sa plainte de harcèlement en août 2011. Par conséquent, la demande de relocalisation de la fonctionnaire a davantage été motivée par la plainte de M. X que par le risque pour sa sécurité. Bien que l'argument de l'avocat puisse paraître convaincant, particulièrement en ce qui a trait au Dr Ramsay, qui n'a été impliqué qu'après le dépôt de la plainte de M. X, il faut quand même retenir que déjà, le 8 juin 2010, soit un an avant la plainte de M. X, les notes du Dr Duchesne révèle que la fonctionnaire avait exprimé avoir peur de M. X et ne pas savoir si elle pouvait retourner au 410, avenue Laurier en la présence de M. X. (pièce G-8, p.2). À mon avis, la fonctionnaire avait donc déjà formulée en juin 2010, soit avant de recevoir la plainte de harcèlement de M. X, au Dr Duchesne qu'elle craignait M. X et ne voulait pas retourner au 410, avenue Laurier.

120 L'avocat de l'employeur a aussi soumis que tant le Dr Ramsay que le Dr Duchesne s'étaient fiés strictement à ce que la fonctionnaire leur avait dit sans vérifier et consulter un représentant de la gestion afin de mieux comprendre le contexte de travail de celle-ci, les tâches qu'elle effectuaient et surtout la proposition de l'employeur de déménager la fonctionnaire au 7e étage, lequel comprenait des mesures spéciales de sécurité. Il est vrai que le Dr Ramsay et le Dr Duchesne n'ont eu que la version de la fonctionnaire pour rendre leurs diagnostics. Toutefois, les deux ont affirmé à l'audience que ces informations supplémentaires quant à la nature de ses tâches et les mesures particulières visant à séparer la fonctionnaire et M. X ne changeaient pas leur opinion voulant que la fonctionnaire ressentait une crainte réelle qui lui causerait un stress émotionnel advenant un retour au travail au 410, avenue Laurier.

121 L'avocat a insisté sur le fait que la fonctionnaire souffrait de stress, ce qui n'est pas une déficience ou une incapacité selon Riche et que le vrai problème ici était le conflit de travail entre deux personnes plutôt qu'un cas de déficience ou d'incapacité. Je suis d'accord avec lui que le stress ne peut être automatiquement associé à une déficience ou à une incapacité. Toutefois, la preuve médicale dans la présente affaire est concluante, contrairement à la décision dans Riche. Dans Riche, il était question de problèmes d'alcool et d'apnée du sommeil qui se traduisaient par le stress et la dépression. La preuve médicale était limitée à des certificats médicaux. En l'espèce, même en écartant le témoignage du Dr Ramsay, je me dois de prendre en considération que le Dr Duchesne est venu réaffirmer, sans réserve, qu'il maintenait le diagnostic qu'il avait établi dans sa lettre du 23 mars 2012, et que pour lui, la seule façon pour la fonctionnaire de retourner au travail était dans un lieu autre que le 410 avenue Laurier, et ce, en raison du risque toujours présent que la fonctionnaire rencontre M. X. Dans la lettre du 23 mars 2012, le Dr Duchesne a conclu que la fonctionnaire souffrait de :

stress émotionnel découlant de l'enquête qui n'a pas été réglée à ce jour. Par conséquent, elle a des troubles de mémoire et des problèmes de concentration, ce qui aura un impact sur sa capacité à traiter des questions statistiques complexes et certainement sur sa capacité de fonctionner sur une base normale, c'est-à-dire dans le cadre de la résolution de problèmes et de la prise de décisions. Ce ne serait pas une préoccupation si elle était réinstallée ailleurs qu'au 410, avenue Laurier, ou lorsque l'enquête sera terminée. Par conséquent, la patiente n'aurait pas de difficulté si des mesures d'adaptation étaient prises ou si elle était éloignée de l'objet de la plainte.

[Traduction]

[Pièce G-8, certificat médical du 23 mars 2012]

122 L'employeur pour sa part, n'a pas renvoyé la fonctionnaire à un autre médecin de son choix ni offert de contre-expertise à la preuve médicale de la fonctionnaire.

B. L'employeur a-t-il rencontré son obligation de prendre des mesures d'adaptation raisonnables?

123 La fonctionnaire ayant fait la preuve prima facie qu'elle souffre d'une déficience ou incapacité, reste à savoir maintenant si la mesure d'adaptation proposée par l'employeur, en l'occurrence de la déplacer au 7e étage avec tout l'encadrement prévu est raisonnable.

124 Dans son argumentation, l'avocat de l'employeur a plaidé que la fonctionnaire n'a pas fait l'objet de discrimination et que, si je devais décider du contraire, je devrais convenir que la mesure d'adaptation proposée, en l'occurrence le déménagement au 7e étage du 410, avenue Laurier, y compris les mesures de sécurité y afférente empêchant l'accès à cet étage à M. X, est raisonnable.

125 Dans cette affaire, il est difficile de conclure que la mesure proposée par l'employeur est raisonnable, et ce, principalement en raison du témoignage du Dr Duchesne. Tel que mentionne, le témoignage du Dr. Duchesne, n'a pas été contredit par l'employeur. Bien que je me questionne sur les motifs et agissements de la fonctionnaire, celle-ci a refusé la médiation et n'a jamais même essayé de se présenter au 7e étage, il n'en demeure pas moins que le Dr Duchesne a été catégorique dans son témoignage à l'effet que la fonctionnaire avait une crainte réelle et véritable et que sa condition médicale ne s'améliorait pas si elle devait se présenter au 410, avenue Laurier, peu importe les mesures de précaution mise en place par l'employeur.

126 Dans les circonstances, je me dois de m'en remettre à l'expertise du Dr Duchesne qui m'est apparu crédible, désintéressé et convaincu dans son diagnostic. Tel qu'il a été mentionné ci-dessus, le diagnostic du Dr Duchesne n'a pas été contredit ni nuancée par une contre-expertise de l'employeur.

127 Bien que je sois d'accord avec l'avocat de l'employeur que la mesure d'adaptation proposée par l'employeur n'a pas à être parfaite, il n'en demeure pas moins que la proposition de déménager la fonctionnaire au 7e étage, même avec des mesures de précaution, ne suffit pas selon le Dr Duchesne.

128 J'ajouterai de plus que l'employeur ne m'a pas convaincu que la fonctionnaire devait absolument travailler au 410, avenue Laurier. Je ne sais toujours pas quels sont les éléments dans les fonctions exercées par la fonctionnaire qui font que cette dernière doive absolument être au 410, avenue Laurier. J'ai compris du témoignage de Mme Ouellette que l'employeur avait aussi un bureau au 340, avenue Laurier, mais on ne m'a présenté aucune explication à savoir pourquoi la fonctionnaire ne pourrait y travailler. De plus, dans son témoignage, Mme Willard a affirmé que le SCC, avec qui l'employeur a des relations d'affaires, ont des bureaux dans six autres édifices, à Ottawa. Encore là, on ne m'a pas expliqué pourquoi une entente avec le SCC n'aurait pas été possible. Dans les circonstances, je vois mal qu'on ne puisse pas trouver un cubicule à Ottawa, à partir duquel la fonctionnaire pourrait faire son travail. La preuve de l'employeur s'est limitée à affirmer que, de façon générale, les tâches de la fonctionnaire ne pouvait être exercée ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

129 J'aimerais toutefois préciser que ma décision ne saurait être interprétée comme une carte blanche en faveur de la fonctionnaire et ne vise pas à lui permettre d'imposer l'endroit et la façon de travailler dans le futur. En effet, trouver une mesure d'adaptation ne signifie pas s'en remettre à ce que la fonctionnaire croit être le plus avantageux pour elle dans les circonstances. La fonctionnaire doit aussi coopérer et faire preuve de bonne foi. Dans Gibson, l'arbitre de grief a conclu ce qui suit au paragraphe 35 :

Aux paragraphes 43 et 44 de l'arrêt Central Okanagan School District No 23 c. Renaud (1992) R.C.S. 970, la Cour suprême du Canada a indiqué que la […] recherche d'un compromis fait intervenir plusieurs parties […] » . En écrivant cela, la Cour a conclu que le plaignant avait également « l'obligation d'aider à en arriver à un compromis convenable ». Bien que la Cour ait rapidement fait valoir que l'employeur soit le mieux placé « […] pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s'ingérer indûment dans l'exploitation de son entreprise […] », il est clair, à la lecture de cette décision, que le plaignant doit aussi faire sa part.

130 Je suis d'accord avec l'arbitre de grief et j'ajouterai qu'à la suite du témoignage de la fonctionnaire et du Dr Duchesne, j'en conclue que les ennuis de santé de la fonctionnaire sont liés au fait qu'elle est dans le même édifice que M. X. Tant le Dr Duchesne que le Dr Ramsay ont insisté sur le fait que la mesure d'adaptation recherchée consistait à relocaliser la fonctionnaire ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

131 Ainsi, aucune autre mesure n'a été recommandée, par exemple le télétravail, qui reste à la discrétion de l'employeur. Dans les circonstances, je donne suite à la recommandation précise du Dr Duchesne et je conclus que l'obligation de l'employeur se limite ici à relocaliser la fonctionnaire ailleurs à Ottawa, dans un cubicule situé dans un édifice choisi par l'employeur situé ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

132 Bien que je crois qu'il aurait surement été dans l'intérêt de tous de trouver une solution au présent grief bien avant que l'audience ait lieu, je me dois de constater que l'employeur était quand même en droit de savoir de la façon la plus précise possible quelles étaient les restrictions imposées à la fonctionnaire et aussi d'avoir une réponse quant à sa proposition d'adaptation au 7e étage du 410, avenue Laurier. À mon avis, et malgré des demandes répétées en ce sens par Mme Ouellette, ce n'est que le 25 mars 2012 que celle-ci a reçu suffisamment d'information du Dr Duchesne.

133 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

(L'ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

134 L'employeur doit, à sa discrétion, relocaliser la fonctionnaire à Ottawa, dans un édifice situé ailleurs qu'au 410, avenue Laurier.

135 A partir du 25 mars 2012, et à l'exclusion de la période du 1er mars 2013 au 31 mars 2014 et de la période du 22 avril 2014 au 30 septembre 2014, l'employeur devra compenser la différence entre le traitement reçu par la fonctionnaire lorsqu'elle était en soin de longue durée et son salaire.

136 L'employeur devra remettre à la fonctionnaire les congés de maladie et les congés annuels pour la période mentionnée au paragraphe précédent.

137 Je demeurerai saisie de l'affaire pour une période de 90 jours au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre la présente décision à exécution.

Le 25 janvier 2016.

Linda Gobeil,
arbitre de grief

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