Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté à leur institution financière des lettres de confirmation d’emploi ou n’apparaissait pas la date de la fin de leurs termes d’emploi que leur employeur y avait incluse – l’employeur a imposé une suspension de 20 jours à chacun d’eux – ils ont contesté leurs suspensions – la Commission a conclu que le lien de confiance qu’un employeur peut exiger d’un employé n’avait pas été irrémédiablement brisé –  la Commission a aussi conclu que la réputation de l’employeur n’avait pas été entachée par les gestes des fonctionnaires – la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas établi que les fonctionnaires auraient profité d’un avantage personnel découlant de leurs gestes – enfin, la Commission a conclu que les suspensions étaient excessives. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et fonction publique et dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20151006
  • Dossier: 566 34 9573 à 9578
  • Référence: 2015 CRTEFP 82

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

STEEVE DALLAIRE ET MÉLANIE VILLENEUVE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Dallaire et Villeneuve c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Jean Sébastien Schetagne, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Kétia Calix, avocate
Affaire entendue à Saguenay (Québec),
les 17 et 18 février 2015.

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Steeve Dallaire et Mélanie Villeneuve, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), sont des conjoints au service de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur » ou l’« ARC ») pour des périodes déterminées successives depuis février 2008, dans le cas de Mme Villeneuve, et depuis novembre 2011, dans le cas de M. Dallaire. Leurs termes d’emploi ont été maintes fois renouvelés pour des périodes de 6 ou 12 mois avec modifications. Le 1er mars 2013, l’employeur a imposé à chacun des fonctionnaires une suspension sans solde de 20 jours, soit du 4 mars au 28 mars 2013 inclusivement. De plus, le 12 mars 2013, l’employeur a informé les fonctionnaires que leurs termes d’emploi respectifs au sein de l’ARC ne seraient pas renouvelés et se termineraient le 28 mars 2013, comme prévu.

2 Les fonctionnaires ont renvoyé six griefs à l’arbitrage : les dossiers 566-34-9573 et 9576 contestent la décision de l’employeur de ne pas renouveler leurs termes d’emploi et de retirer leurs noms du répertoire de rappel de l’ARC; les dossiers 566-34-9574 et 9577 contestent la décision de l’employeur de leur imposer une suspension de 20 jours et de retirer leurs noms du répertoire de rappel de l’ARC; les dossiers 566-34-9575 et 9578 contestent le non-respect de la procédure de griefs prévue par la convention collective. À titre de mesures correctives, les fonctionnaires ont demandé que les mesures disciplinaires soient annulées, qu’ils soient réintégrés dans leurs postes, que leurs noms soient réinsérés aux répertoires de rappel de l’ARC et que leurs termes d’emploi soient renouvelés.

3 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

4 L’employeur s’est opposé à ma compétence pour entendre les griefs portant sur sa décision de ne pas renouveler les termes d’emploi des fonctionnaires et de retirer leurs noms du répertoire de rappel de l’ARC (dossiers 566-34-9573 et 566-34-9576) au motif que ceux-ci n’avaient pas fait l’objet d’une des mesures visées par l’article 209 de la LRTFP. Il a maintenu que cette décision avait été prise conformément aux dispositions sur les nominations pour une durée déterminée et à l’article 58 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) (la « LEFP »). L’employeur s’est également opposé à ma compétence d’accorder certaines des mesures correctives demandées par les fonctionnaires, soit la réintégration de ceux-ci dans leurs postes, la réinsertion de leurs noms aux répertoires de rappel de l’ARC et le renouvellement de leurs termes d’emploi.

5 L’article 209 de la LRTFP prévoit ce qui suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a)  soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b)  soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c)  soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de laLoi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d)  soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

6 L’article 58 de la LEFP prévoit ce qui suit :

58. (1) Sous réserve de l’article 59, le fonctionnaire nommé ou muté pour une durée déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de la période fixée ou de toute période de prolongation fixée en vertu du paragraphe (2).

(2) L’administrateur général peut prolonger la durée déterminée; cette prolongation ne constitue pas une nomination ni une mutation et ne donne à personne le droit de présenter une plainte en vertu de l’article 77.

(3) Le présent article ne s’applique pas aux nominations intérimaires.

7 Je note cependant que l’article 58 de la LEFP ne s’applique pas aux personnes au service de l’ARC (Loi sur l’Agence de revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, art. 53).

8 Au début de l’audience, le représentant des fonctionnaires a concédé que je n’avais pas compétence pour entendre les griefs portant sur la décision de l’employeur de ne pas renouveler les termes d’emploi des fonctionnaires (dossiers 566-34-9573 et 9576) et que je n’avais pas le pouvoir d’octroyer les mesures correctives énumérées dans l’objection de l’employeur. Il a donc abandonné ces griefs au nom des fonctionnaires, ainsi que ceux portant sur le non-respect de la procédure des griefs (dossiers 566-34-9575 et 9578). M. Schetagne a indiqué que les fonctionnaires procéderaient uniquement à l’audience des griefs portant sur les mesures disciplinaires imposées par l’employeur, c’est-à-dire les 20 jours de suspension sans solde imposés à chacun des deux fonctionnaires.

II. Résumé de la preuve

9 Les faits pertinents relatifs aux questions toujours en litige devant moi sont simples et largement incontestés. Les fonctionnaires occupaient des postes d’agents au traitement des cotisations, comptes et au traitement des prestations, classifiés au groupe et niveau SP-04, au centre fiscal de Jonquière de l’ARC. Ils faisaient partie de l’équipe de l’examen des prestations, laquelle était composée d’une douzaine d’employés embauchés successivement pour des périodes déterminées, à partir d’un répertoire de rappel d’employés temporaires bilingues. En partie, leurs tâches consistaient à vérifier l’authenticité de documents fournis par des contribuables qui désirent bénéficier de certains crédits d’impôt ou prestations prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Ces tâches nécessitaient un bon sens de l’observation et un bon jugement.

10 À l’époque pertinente, les fonctionnaires louaient un logement à Chicoutimi, au Québec, et désiraient acheter une maison. Ils ont consulté un courtier hypothécaire dans le but d’obtenir un prêt hypothécaire d’une institution financière. Dans le cadre de cet exercice, les fonctionnaires devaient fournir au courtier hypothécaire une lettre de confirmation d’emploi. Le 17 janvier 2013, Mme Villeneuve a demandé à une gestionnaire de l’ARC, Annie Desgagné, de lui fournir une lettre confirmant son emploi à l’ARC, le poste qu’elle occupait, son salaire annuel et sa date initiale d’embauche à l’ARC. Elle a demandé une lettre identique pour son conjoint, M. Dallaire.

11 Le 18 janvier 2013, Mme Desgagné a remis aux fonctionnaires les lettres de confirmation d’emploi contenant l’information demandée, ainsi que les dates de début et de fin du plus récent terme d’emploi des fonctionnaires, soit du 26 octobre 2012 au 28 mars 2013. Cet ajout n’a pas plu aux fonctionnaires, notamment parce que cette information n’avait pas été demandée par le courtier hypothécaire et parce qu’ils craignaient que l’institution financière présume que leurs emplois prendraient fin le 28 mars 2013. M. Dallaire a rencontré Mme Desgagné afin de lui demander de ne pas inclure les dates de début et de fin des termes dans les lettres puisque, selon lui, l’institution financière pourrait ne pas approuver leur demande de prêt hypothécaire sur la base de cette information. Mme Desgagné a refusé parce que, selon elle, il était important d’indiquer la durée des termes d’emploi des fonctionnaires afin que l’institution financière soit au courant qu’ils n’étaient pas nommés pour une durée indéterminée (permanente), mais bien pour une durée déterminée (temporaire). Mme Desgagné a alors offert à M. Dallaire d’accepter les lettres telles qu’elle les avait rédigées ou de simplement lui remettre les lettres. M. Dallaire a accepté de prendre les lettres incluant la mention des dates de début et de fin des termes d’emploi.

12 Craignant qu’aucune institution financière n’accepte de leur octroyer un prêt hypothécaire sur la base d’une telle information, les fonctionnaires ont photocopié les lettres de confirmation d’emploi en prenant soin de placer une bande blanche sur la mention des dates de début et de fin des termes d’emploi. Ils ont fourni ces versions modifiées à leur courtier hypothécaire qui, à son tour, les a fournies à l’institution financière concernée.

13 Toutefois, à la suite de certains entretiens téléphoniques avec les représentants de l’institution financière et le courtier hypothécaire, Mme Desgagné a appris que les fonctionnaires avaient masqué, sans son consentement, de l’information comprise dans les lettres qu’elle leur avait fournies avant de les remettre au courtier hypothécaire. Mme Desgagné a témoigné avoir alors indiqué à la représentante de l’institution financière qu’elle était d’avis que les fonctionnaires avaient falsifié les lettres qu’elle leur avait fournies. Elle a ajouté que la représentante lui avait répondu qu’elle ne croyait pas que l’institution financière accorderait le prêt hypothécaire aux fonctionnaires étant donné le comportement rapporté. Mme Desgagné a par la suite transmis la même information à la représentante du courtier hypothécaire, laquelle a répondu de manière similaire à la représentante de l’institution financière.

14 Le 1er février 2013, M. Dallaire a de nouveau rencontré Mme Desgagné dans le but d’obtenir la confirmation que son terme d’emploi et celui de sa conjointe seraient renouvelés pour une période d’un an à partir du 29 mars 2013. Cette information leur avait été transmise par Mme Desgagné en décembre 2012 lors d’une rencontre d’équipe. Selon les fonctionnaires, il était important de mentionner ce fait à l’institution financière étant donné que la date de fin des termes d’emploi était mentionnée dans la lettre de Mme Desgagné et que cette date approchait à grands pas. Offusquée par les évènements concernant l’information masquée dans ses lettres de confirmation d’emploi, Mme Desgagné en a profité pour faire part à M. Dallaire de sa grande déception. Elle lui a également indiqué qu’elle avait rapporté ces évènements à la haute gestion de l’ARC et que, compte tenu des circonstances, elle ne lui fournirait pas la lettre de confirmation de renouvellement demandée.

15 À la suite de la dénonciation de Mme Desgagné, l’employeur a tenu une enquête dans le cadre de laquelle il a été conclu que les fonctionnaires avaient falsifié des documents de l’ARC à des fins personnelles. Le 1er mars 2013, l’employeur a imposé à chacun des fonctionnaires une suspension de 20 jours sans solde, soit du 4 mars au 28 mars 2013, inclusivement. De plus, le 12 mars 2013, l’employeur a informé les fonctionnaires que leurs termes d’emploi respectifs au sein de l’ARC ne seraient pas renouvelés et se termineraient, le 28 mars 2013, comme prévu.

16 Lors de son témoignage, la directrice du centre fiscal de Jonquière, Diane Gagnon, a indiqué qu’elle avait consulté la Politique sur la discipline de l’ARC, plus particulièrement le « Tableau de mesures disciplinaires suggérées ». Elle a ajouté que puisque le geste posé représentait une falsification de documents de l’ARC à des fins personnelles et constituait un acte d’inconduite énuméré à la rubrique « gestion financière et fraude » de la Politique et attribué au groupe 5 du tableau, elle devait imposer la mesure disciplinaire associée à ce groupe, c’est-à-dire une sanction variant entre un minimum de 20 jours de suspension sans solde et le licenciement. Mme Gagnon a indiqué qu’elle avait tenu compte du fait que le geste posé par les fonctionnaires avait porté atteinte à l’image de l’ARC, mais qu’elle avait tout de même choisi la suspension plutôt que le licenciement.

17 Il est important de noter que l’employeur n’a pas démontré, au moyen de la preuve présentée, que les fonctionnaires ont, ou auraient pu, tirer un profit quelconque de la situation.

18 Tel qu’indiqué dans les lettres de suspension du 1er mars 2013, les dossiers personnels des fonctionnaires étaient exempts de mesure disciplinaire antérieure; les fonctionnaires ont admis leur inconduite et ont par la suite exprimé des remords.

19 Enfin, les conséquences du geste posé par les fonctionnaires se résument ainsi : l’institution financière a refusé d’accorder le prêt hypothécaire aux fonctionnaires sur la base de l’information relatée par Mme Desgagné; les fonctionnaires n’ont pas été en mesure de procéder à l’achat de la maison qu’ils louaient; ils ont été frappés d’une suspension de 20 jours sans solde chacun; leurs termes d’emploi à l’ARC n’ont pas été renouvelés, bien que la majorité des termes de leurs collègues de travail l’ait été à l’époque en question.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

20 Selon l’employeur, les fonctionnaires ont commis un acte répréhensible justifiant une sanction disciplinaire. L’employeur a ajouté qu’une suspension de 20 jours sans solde représentait une mesure disciplinaire appropriée et raisonnable compte tenu des faits rapportés lors de son enquête, notamment que les fonctionnaires avaient modifié les lettres de Mme Desgagné, et ce, après que celle-ci ait refusé d’accéder à leur demande de modification. À l’appui de cet argument, l’employeur m’a renvoyé à McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, et Morrow c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 43.

21 L’employeur a soutenu que les modifications en question représentaient une falsification de documents officiels de l’ARC à des fins personnelles, dans le but d’obtenir un prêt hypothécaire. Selon l’employeur, il s’agit là d’un acte d’inconduite grave et frauduleux qui justifie l’imposition de mesures disciplinaires sévères. L’employeur a suggéré que le geste posé par les fonctionnaires était plus sérieux qu’un vol perpétré sur les lieux du travail.

22 L’employeur a également soutenu que la nature des postes des fonctionnaires et le fait que l’image de l’ARC avait été ternie par la conduite des fonctionnaires étaient des facteurs aggravants qui devaient être considérés lors de l’imposition des mesures disciplinaires. Selon l’employeur, des suspensions de 20 jours sans solde étaient donc appropriées et raisonnables dans les circonstances.

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

23 Les fonctionnaires m’ont rappelé qu’ils n’avaient jamais nié le geste qu’ils ont posé et ils ont soutenu que les sanctions imposées par l’employeur étaient trop sévères.

24 Les fonctionnaires m’ont également rappelé que l’employeur n’avait jamais précisé, ni dans ses lettres de suspension, ni dans son rapport d’enquête, quelles dispositions du Code de déontologie et de conduite de l’ARC avaient été enfreintes. Ils n’ont pris connaissance de cette précision que lors de l’audience.

25 Selon les fonctionnaires, la description de l’acte d’inconduite qu’a utilisé l’employeur pour justifier les sanctions imposées, à partir de son tableau de mesures disciplinaires suggérées, n’est pas appropriée et ne correspond ni au geste posé ni à ce qui est prévu à la section « Gestion financière et fraude » du Code de déontologie de l’ARC. Cette section du Code vise plutôt des avantages d’ordre financiers, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, selon les fonctionnaires. Ils ont soutenu que leur geste correspondait potentiellement à ce qui est prévu sous la rubrique « Soin et utilisation des renseignements de l’Agence » du Code, qui prévoit spécifiquement qu’un employé ne doit pas enlever ou cacher des renseignements ou encore modifier un document officiel de l’ARC sans l’autorisation expresse de son gestionnaire. Selon les fonctionnaires, si l’acte d’inconduite reproché correspond à la rubrique « Soin et utilisation des renseignements de l’Agence » du Code à laquelle est associé une description d’acte répréhensible, celui-ci justifie plutôt des sanctions du groupe 1 du tableau de mesures disciplinaires suggérées de l’employeur, c’est-à-dire des suspensions d’au plus 5 jours sans solde.

26 De plus, les fonctionnaires ont soutenu qu’un prêt hypothécaire ne représente pas un profit mais plutôt une dette envers une institution financière et que l’employeur n’avait pas établi que la modification des lettres de Mme Desgagné avait été faite à des fins personnelles.

IV. Motifs

27 À l’audience, les fonctionnaires ont abandonné leurs griefs dans les dossiers 566-34-9573, 9575, 9576 et 9578.

28 Les seuls griefs qui demeurent devant moi portent sur les mesures disciplinaires imposées par l’employeur, c’est-à-dire les 20 jours de suspension sans solde imposés à chacun des deux fonctionnaires en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

b)  soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ;

29 Je suis d’avis que la confiance et l’honnêteté sont les pierres angulaires d’une relation employeur-employé solide. Toutefois, je note que dans le présent cas le lien de confiance entre l’employeur et les fonctionnaires n’était pas complètement détruit, puisque des licenciements n’ont pas été jugés être les sanctions appropriées par l’employeur. Au moment où l’employeur a pris la décision de suspendre les fonctionnaires, il n’avait pas encore décidé si leurs termes d’emploi seraient renouvelés. Du moins, aucune preuve du contraire ne m’a été présentée. Ce n’est que 12 jours plus tard que la décision de ne pas renouveler les termes des fonctionnaires leur a été communiquée. Il était donc possible, au moment où l’employeur a décidé de les suspendre plutôt que de les licencier, que les fonctionnaires retournent à leurs postes de travail après les 20 jours de suspension. Je déduis de ces faits que le geste des fonctionnaires, un geste isolé, n’était pas, selon l’employeur, suffisamment grave pour justifier leurs licenciements, mais suffisamment grave pour justifier des suspensions sans solde. Il me reste à déterminer si les mesures disciplinaires étaient, tel que suggéré par les fonctionnaires, excessives.

30 Les décisions invoquées par l’employeur sont peu utiles dans la détermination que je dois faire. Morrow traitait du licenciement d’une fonctionnaire s’estimant lésée qui avait produit de faux documents à 14 occasions distinctes entre 1999 et 2003 pour justifier des congés de maladie, ce qui constituait un avantage financier, et qui avait menti durant son témoignage à l’audience. McKenzie traitait du licenciement d’une fonctionnaire s’estimant lésée qui avait contrefait la signature de son médecin sur neuf certificats médicaux en vue de faire approuver des congés de maladie, ce qui représente également un avantage financier; elle avait déjà reçu une suspension de cinq jours sans solde pour une faute de conduite grave.

31 Contrairement aux décisions invoquées par l’employeur, les dossiers d’emploi personnels des fonctionnaires sont exempts de mesure disciplinaire antérieure. Le geste qu’ils ont posé représente un évènement isolé qui n’a pas détruit le lien de confiance entre eux et l’employeur puisque ce dernier n’a pas cru bon de procéder à leur licenciement. Les fonctionnaires ont immédiatement admis le geste qu’ils ont posé et ont par la suite exprimé des remords. De plus, les fonctionnaires ont témoigné de façon crédible lors de l’audience.

32 En ce qui a trait à l’inquiétude de Mme Desgagné à l’égard du fait que l’institution financière devait être au courant que les fonctionnaires n’étaient pas des employés nommés pour une durée indéterminée mais bien pour une durée déterminée, je note que bien que les fonctionnaires aient masqué la mention des dates de début et de fin de leurs termes d’emploi au deuxième paragraphe des lettres de Mme Desgagné, ils n’ont pas masqué la mention du fait qu’ils étaient des employés nommés pour une durée déterminée au premier paragraphe des lettres. De par ce fait, je déduis qu’ils ne tentaient pas de cacher le fait qu’ils étaient des employés nommés pour une durée déterminée, mais qu’ils visaient plutôt à ne pas alerter l’institution financière que leurs termes d’emploi allaient prendre fin le 28 mars 2013, sachant qu’aucune confirmation de renouvellement ne leur avait été fournie.

33 Quant aux préoccupations de l’employeur à savoir que le geste des fonctionnaires a entaché la réputation de l’ARC auprès de tierces parties (l’institution financière et le courtier hypothécaire), je note que c’est Mme Desgagné qui a volontairement qualifié le geste des fonctionnaires de falsification, ce qu’elle n’était aucunement autorisée à faire. Celle-ci n’avait qu’à obtenir une copie des lettres remises à ces tierces parties, les comparer avec celles qu’elle avait conservées au dossier, fournir les originaux aux tierces parties et relater ses observations à ses supérieurs. La qualification que Mme Desgagné a donnée aux gestes des fonctionnaires était selon moi excessive. Il s’agissait tout au plus d’une forme de caviardage.

34 Finalement, je ne me sens aucunement lié par le tableau de mesures disciplinaires suggérées de l’ARC sur lequel Mme Gagnon s’est basée pour imposer les 20 jours de suspension à chacun des fonctionnaires, un outil conçu par et pour l’ARC. De plus, je ne suis pas convaincu que le geste posé par les fonctionnaires satisfait à la description de l’employeur de l’acte d’inconduite utilisée pour justifier la mesure disciplinaire imposée. Il ne s’agit pas ici d’un abus délibéré ou d’une application fautive délibérée des ressources, recettes, renseignements ou actifs de l’ARC. Il s’agit plutôt du caviardage des renseignements personnels des fonctionnaires. De plus, aucune preuve n’a été présentée quant au profit personnel qu’ont ou qu’auraient pu tirer les fonctionnaires à la suite du geste posé. Je conviens qu’il est d’usage de considérer qu’avoir accès à un prêt peut être au profit d’un emprunteur, mais tel n’est pas toujours le cas. Par exemple, il est possible que les fonctionnaires tentaient d’acheter une propriété surévaluée dans un marché immobilier en baisse. Si tel avait été le cas, il aurait été difficile de conclure que le geste avait été posé aux fins d’un profit personnel. Quoi qu’il en soit, aucune preuve présentée à l’audience n’a établi que le geste des fonctionnaires avait été posé à des fins personnelles. Je ne suis donc pas convaincu que le geste en question représente un acte d’inconduite justifiant des mesures disciplinaires.

35 Je suis d’avis que l’employeur n’avait pas de motif valable d’imposer des mesures disciplinaires et que les suspensions de 20 jours sans solde étaient excessives. À mon avis, un simple avertissement concernant le caviardage aurait suffi dans les circonstances.

36 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

37 Je déclare que les fonctionnaires ont abandonné leurs griefs dans les dossiers 566-34-9573, 9575, 9576 et 9578 et j’ordonne que ces dossiers soient fermés.

38 J’annule les suspensions de 20 jours sans solde.

39 J’ordonne à l’employeur de rembourser 20 jours de salaire et d’avantages sociaux à chacun des fonctionnaires.

40 Je demeure saisi de cette affaire pendent une période de 90 jours à partir de la date de ma décision pour régler les conflits qui pourraient survenir concernant le calcul des montants à rembourser aux fonctionnaires.

Le 6 octobre 2015.

Stephan J. Bertrand,
une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique

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