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Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date: 20151124
  • Dossier: 566-02-6752
  • Référence: 2015 CRTEFP 88

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MONICA DHIMAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Dhiman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Personne
Pour l'employeur:
Pierre Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Kamloops (Colombie Britannique),
le 6 octobre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Monica Dhiman, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a allégué avoir été renvoyée en cours de stage en raison d’une incapacité à l’égard de laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») n’a pris aucune mesure d’adaptation.

II.Résumé de la preuve

2 La fonctionnaire travaillait à titre d’agente des services frontaliers (ASF) au port d’Osoyoos, en Colombie-Britannique. Avant de commencer ses fonctions à Osoyoos, elle a suivi une formation de 16 semaines au collège du personnel de l’employeur situé à Rigaud, au Québec. Elle a également suivi une formation supplémentaire au centre d’apprentissage de l’employeur situé à Chilliwack, en Colombie-Britannique. À son entrée en fonction, le 6 avril 2010, elle a fait l’objet d’un mentorat en cours d’emploi par des ASF chevronnés au port d’entrée. Son stage probatoire était d’une durée d’un an et a commencé le 6 avril 2010.

3 Christopher Babakaiff était directeur au port d’Osoyoos alors que la fonctionnaire y travaillait. Dès son arrivée au milieu de 2010, il est devenu le superviseur direct de la fonctionnaire. Selon lui, dans l’ensemble, la fonctionnaire exerçait ses fonctions de façon satisfaisante. Il a toutefois ajouté qu’en plusieurs occasions, elle a eu des comportements qui ont amené l’employeur à se questionner sur son aptitude à occuper un poste d’ASF.

4 M. Babakaiff a souligné qu’en août 2010, la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire après avoir montré à deux de ses collègues, pendant leur quart de travail, une photo des organes génitaux d’un homme sur son téléphone cellulaire. Elle a été suspendue sans traitement pendant une journée. Elle n’a pas contesté sa suspension. Le motif de sa suspension portait non seulement sur le fait qu’elle a montré à ses collègues du matériel inapproprié dans le milieu de travail, mais aussi parce qu’elle a contrevenu à la politique de l’employeur concernant l’utilisation des téléphones cellulaires durant les heures de travail.

5 Le 4 septembre 2010, la fonctionnaire a travaillé le quart de nuit, soit de 21 h 30 à 8 h, le lendemain. Pendant ce quart, deux [traduction] « avis de surveillance » lui ont été remis. En raison des avis, elle devait signaler les voyageurs répondant aux critères d’identité énumérés dans les avis afin qu’ils fassent l’objet d’un examen plus approfondi avant d’avoir la permission d’entrer au Canada. Lorsqu’une des deux personnes identifiées dans les avis de surveillance a tenté d’entrer au Canada, la fonctionnaire l’a adéquatement identifié et l’a renvoyé aux fins d’un examen plus approfondi. La deuxième personne a été autorisée à entrer, malgré le fait qu’il y avait 96 % de chance que la personne interviewée soit la personne identifiée dans l’avis de surveillance. Lorsqu’il y a entre 85 % et 95 % de probabilité que la personne qui tente d’entrer au Canada soit celle visée par l’avis de surveillance, l’ASF devrait renvoyer le voyageur aux fins d’un examen plus approfondi. Lorsque la probabilité s’élève à 96 % ou plus, un renvoi aux fins d’un examen plus approfondi est obligatoire. À l’époque, la fonctionnaire a soutenu qu’elle ne savait qu’elle était tenue de renvoyer le voyageur aux fins d’un examen plus approfondi lorsque la probabilité atteignait 96 %. Elle a également prétendu qu’elle n’était pas responsable de l’entrée de cette personne et qu’une autre personne ayant utilisé son identité en était responsable.

6 L’employeur a enquêté sur cet incident. Dans le cadre de l’enquête, on a découvert que la fonctionnaire n’avait pas fermé sa session dans le Système intégré de gestion de la ligne d’inspection primaire, tel qu’il est exigé dans la « Politique sur les ressources électroniques » de l’employeur. La fonctionnaire a également admis avoir partagé son identité d’utilisateur électronique avec d’autres ASF avec qui elle travaillait. Par la suite, elle a fait l’objet d’une mesure disciplinaire correspondant à une suspension sans traitement de deux jours pour avoir contrevenu à la « Politique sur les ressources électroniques ». Elle n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir autorisé le voyageur à traverser la frontière sans faire l’objet d’un renvoi, car il n’a pas été possible de déterminer si elle en était effectivement responsable ou si un autre ASF l’avait fait au moyen de l’identité de la fonctionnaire.

7 L’une des conditions d’emploi d’un ASF consiste à être titulaire d’un permis de conduire valide. Dans l’exercice de ses fonctions, un ASF peut être envoyé d’une des installations de l’employeur à une autre et être amené à conduire des véhicules de l’employeur. Le 19 janvier 2011, la fonctionnaire a été arrêtée par la Gendarmerie royale du Canada, à Osoyoos, pour une infraction au code de la route. Elle n’était pas en service à ce moment. Il a été déterminé qu’elle avait consommé de l’alcool et elle a été tenue de subir un alcootest routier, qu’elle a échoué. En conséquence, son véhicule a été saisi pour 30 jours et son permis de conduire a été suspendu pour 90 jours.

8 La fonctionnaire a signalé cette suspension à l’employeur 13 jours après l’incident, soit le 1er février 2011, lors d’une réunion avec M. Babakaiff et son représentant syndical. La réunion a été prévue à la demande de la fonctionnaire. Une contravention au Code criminel du Canada (L.R.C. 1985, ch. C-46) (le « Code criminel »), soit la loi que les ASF ont la responsabilité d’appliquer aux postes frontaliers, constitue une contravention au « Code de conduite » de l’employeur (pièce 2). D’autres collègues étaient au courant de la suspension du permis de la fonctionnaire, puisqu’elle leur avait demandé de l’aide pour se rendre au travail et y revenir.

9 Lors de cette réunion, on a demandé à la fonctionnaire pourquoi elle avait attendu jusqu’au 1er février 2011 pour informer son employeur. Selon le « Code de conduite », toute arrestation, détention ou accusation découlant d’une violation au Canada du Code criminel liée à ses fonctions officielles, doit être signalée dans les plus brefs délais. En guise de justification, la fonctionnaire a indiqué qu’elle voulait qu’un représentant syndical en particulier l’accompagne à la réunion. Cette personne était alors en affectation à Ottawa, en Ontario, et n’était pas disponible avant le 1er février 2011. Lorsqu’on lui a rappelé que les services du Programme d’aide aux employés (PAE) étaient disponibles pour l’aider si elle jugeait en avoir besoin, elle a répondu qu’elle avait déjà recours à ces services. Pendant les discussions tenues lors de la réunion, elle n’a demandé aucun autre appui, elle n’a pas prétendu être une alcoolique et n’a pas demandé à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation.

10 D’autres incidents qui se sont déroulés avant l’arrivée de M. Babakaiff à Osoyoos, ont amené l’employeur à se préoccuper de l’aptitude de la fonctionnaire à exercer le travail d’un ASF. Un collègue avait signalé au directeur, Alan Cole, qu’il recevait des messages texte non sollicités de la fonctionnaire. Dans ces messages, la fonctionnaire mentionnait qu’elle souhaitait entretenir une relation de nature sexuelle. Le collègue n’y était pas intéressé. Cet agent a été transféré à une autre équipe pour ne plus avoir à travailler avec la fonctionnaire et cette dernière a été avisée qu’elle devait cesser de le texter. En une autre occasion, la fonctionnaire a communiqué avec le directeur Cole et lui a demandé si elle pouvait effectuer une recherche dans la base de données de l’employeur pour déterminer si son ex-époux était entré au Canada. On lui a indiqué qu’elle ne pouvait pas utiliser la base de données de l’employeur à des fins personnelles. Selon l’employeur, même s’il s’agissait d’une bonne chose qu’elle demande la permission d’utiliser la base de données, le simple fait de le demander témoignait d’un manque de jugement. Le directeur Cole a consigné ces incidents dans le dossier de la fonctionnaire et M. Babakaiff les a passés en revue.

11 En raison de tous ces incidents, et parce que les problèmes de rendement démontrés de la fonctionnaire concernaient le jugement, l’intégrité, le respect des politiques et les relations avec les collègues, M. Babakaiff a conclu qu’aucune formation additionnelle n’améliorerait la probabilité que la fonctionnaire termine son stage probatoire avec succès. Il a rédigé sa recommandation voulant que la fonctionnaire soit renvoyée en cours de stage et il l’a acheminée à la Direction générale des relations de travail de l’employeur aux fins d’examen (pièce 3). Les Relations de travail ont appuyé la recommandation et la question a été soumise à Blake Delgaty, directeur général régional, région du Pacifique, aux fins d’approbation.

12 Pendant une séance d’information menée par Glyn Lee, directeur de district, région de l’Okanagan, M. Delgaty a posé trois questions dans le cadre de son évaluation quant à savoir si la fonctionnaire avait démontré une tendance comportementale incompatible avec son emploi à titre d’ASF. Il a demandé si la recommandation de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage était unanime parmi les membres de l’équipe de direction et il a eu une réponse affirmative. Il a ensuite demandé si la Direction générale des relations de travail de l’employeur était d’accord avec la recommandation et il a eu une réponse affirmative. Enfin, il a demandé si toutes les options avaient été envisagées afin de maintenir en poste une employée en qui l’employeur avait beaucoup investi. Il a demandé si le mentorat, le counseling ou une formation additionnelle améliorerait la probabilité que le fonctionnaire réussisse à achever sa période probatoire.

13 Compte tenu de la formation suivie par la fonctionnaire, de son dossier disciplinaire sur une courte période de temps, et du manque de jugement et du mépris délibéré dont elle a fait preuve à l’égard des politiques de l’employeur, il était manifeste pour M. Delgaty que la fonctionnaire n’avait pas fait preuve de l’intégrité et du professionnalisme exigés d’un ASF. La conformité au « Code de conduite » de l’employeur, y compris la démonstration de ces valeurs, est une des conditions d’emploi d’un ASF. De plus, il s’est demandé comment l’employeur et ses collègues pourraient avoir confiance en la fonctionnaire, compte tenu des échecs et du manque de jugement dont elle a fait preuve.

14 M. Delgaty a admis qu’étant donné les manifestations constantes de conduite non professionnelle de la part de la fonctionnaire, il est peu probable qu’une formation supplémentaire permette de modifier ou d’améliorer sa conduite. Elle avait déjà été jumelée à un ASF chevronné à la frontière et elle avait suivi plusieurs semaines de formation. L’employeur a fait tout ce qu’il pouvait pour l’aider à réussir. La fonctionnaire ne lui a présenté ni demande de mesures d’adaptation ni renseignements justifiant une telle demande. En conséquence, M. Delgaty a approuvé la proposition que la fonctionnaire soit renvoyée en cours de stage.

15 La fonctionnaire a été convoquée à une réunion avec le chef Alan Profili et M. Babakaiff, le 4 mars 2011, où elle a été informée qu’elle avait échoué son stage probatoire et que l’on mettait fin à son emploi, à compter de ce jour. Elle était accompagnée par sa représentante syndicale, Karen MacGillivary. Selon M. Babakaiff, lorsqu’on lui a demandé si elle avait des questions, la fonctionnaire a demandé s’il était possible de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de son [traduction] « problème », sans toutefois donner de précision ou de détail supplémentaires à l’appui de sa demande.

16 Plus tôt ce jour-là, la fonctionnaire a été renvoyée à la maison. Un collègue a signalé qu’elle sentait l’alcool et qu’il était possible que ses facultés soient affaiblies pendant qu’elle était en service. M. Babakaiff l’a convoqué dans son bureau. La fonctionnaire lui a dit qu’elle avait bu du vin la veille et qu’elle n’avait jamais consommé d’alcool avant de se rendre au travail. Selon M. Babakaiff, il s’agissait de la seule occasion où la fonctionnaire sentait l’alcool pendant qu’elle était en service.

17 La fonctionnaire n’a pas comparu à l’audience pour présenter une preuve à l’appui de ses allégations selon lesquelles elle a été licenciée de façon injustifiée et que l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Les allégations sont contenues dans le document de grief, qui a été présenté le 8 mars 2011. L’agent négociateur a retiré son appui au grief après son renvoi à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, le 12 mars 2012. Le 16 octobre 2014, la fonctionnaire a répondu à la demande de précision de l’ancienne Commission en alléguant qu’elle avait été hospitalisée pour une pancréatite due à sa consommation d’alcool. Elle a soutenu qu’elle avait les dossiers de l’hôpital à l’appui et qu’elle avait demandé les services du PAE pour l’aider à composer avec le stress de la rupture de son mariage et de sa réinstallation en Colombie-Britannique.

18 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

19 L’audience de cette affaire était prévue en juin 2015, mais a été reportée à la demande de la fonctionnaire en raison du décès de son père. L’audience devait par la suite avoir lieu du 6 au 9 octobre 2015, à Kamloops, en Colombie-Britannique. On a envoyé à la fonctionnaire un avis d’audience, qui a été retourné à la Commission lorsqu’il n’a pas été recueilli. Le 25 septembre 2015, la Commission a confirmé auprès de la fonctionnaire, au moyen d’un courriel envoyé à 10 h 32, que l’exactitude de l’adresse postale figurant sur l’avis, après quoi on le lui a renvoyé par service de messagerie.

20 Le 6 octobre 2015, un représentant du greffe de la Commission a communiqué avec la fonctionnaire, par téléphone, à la demande de la formation de la Commission. À 10 h, on lui a laissé un message vocal. À 10 h 49, elle a communiqué avec la Commission et a indiqué qu’elle s’était blessée à la cheville et qu’elle avait laissé un message vocal à l’intention de l’agent du greffe désigné. Elle ne pouvait dire avec certitude quand elle avait laissé ce message. Le représentant du greffe a communiqué de nouveau avec elle à 10 h 54 et lui a indiqué que, bien que la Commission n’ait pas consenti au report de l’audience, celle-ci attendrait jusqu’à 13 h ce jour-là pour commencer, de façon à lui donner le temps de comparaître. Elle a indiqué à l’agent du greffe qu’elle se trouvait à Vancouver et qu’elle ne pouvait pas conduire. Lorsqu’on lui a demandé des précisions, elle a indiqué qu’elle s’était blessée à la cheville le 9 septembre 2015. Elle a été hospitalisée du 13 septembre au 5 octobre 2015. Le soir du 5 octobre 2015, après la fermeture du bureau de la Commission, à Ottawa, elle a laissé un message vocal pour en informer l’agent du greffe assigné au dossier.

21 La formation de la Commission a tenu compte de cette information, mais a décidé d’entendre la preuve et les arguments de l’employeur en l’absence de la fonctionnaire, au motif que cette dernière était au courant de ses problèmes de santé le 25 septembre 2015, lors de sa dernière correspondance avec la Commission, et qu’elle avait choisi de ne pas les soulever à ce moment.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

22 Tel qu’il a été soulevé dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, la Commission n’a pas compétence en vertu de l’article 211 de la LRTFP pour trancher des affaires liées à un renvoi en cours de stage, sauf si elles relèvent des paramètres établis à l’article 209. À moins que la fonctionnaire puisse établir que le renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée, du camouflage, un subterfuge ou un acte de mauvaise foi, la Commission n’a pas compétence pour examiner la décision de l’employeur de renvoyer un employé en cours de stage.

23 La lettre de licenciement (pièce 1) indique clairement que le licenciement de la fonctionnaire était de nature administrative, et qu’il faisait suite à un examen de son aptitude à être une ASF. M. Delgaty a témoigné que les comportements inacceptables de la fonctionnaire n’étaient pas conformes au « Code de conduite » de l’employeur et à ses valeurs. Au fil du temps, elle a contrevenu à la politique de l’employeur sur l’usage des téléphones cellulaires dans le lieu de travail et à sa politique sur les ressources électroniques, elle a autorisé d’autres employés à utiliser son identité et elle a fait l’objet de mesures disciplinaires à deux reprises. Elle a partagé du matériel inapproprié avec des collègues, elle a fait des avances inconvenantes et inappropriées à l’égard d’un collègue, entraînant ainsi la réaffectation de ce dernier, elle a demandé si elle pouvait accéder à la base de données de l’employeur à des fins personnelles et elle a contrevenu à une loi qu’elle avait la responsabilité d’appliquer à la frontière. Elle a ensuite aggravé ces inconvenances en attendant plusieurs jours pour signaler la contravention, contrairement au « Code de conduite » de l’employeur. En contrevenant aux dispositions relatives à l’ivresse au volant du Code criminel et en voyant son permis de conduire être suspendu pendant 90 jours, elle n’a pas respecté les conditions de son emploi exigeant qu’elle conserve un permis de conduire valide.

24 Le fait qu’elle ne tienne pas compte de la politique de l’employeur et le manque de jugement et de professionnalisme dont elle a fait preuve rendent la fonctionnaire inapte à occuper son poste. Une formation additionnelle n’aurait pas permis de régler ces questions. Le stage probatoire a pour but d’évaluer, pendant un certain temps, l’aptitude d’un employé à occuper un poste. La fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle y était apte. M. Delgaty n’a pas pris cette décision à la légère. L’employeur a fait beaucoup d’efforts et a fait un investissement important dans la formation de la fonctionnaire et, si une formation additionnelle avait pu régler le problème relatif à l’aptitude, il l’aurait envisagé. Cependant, le jugement et le professionnalisme ne s’acquièrent pas au moyen d’une formation supplémentaire.

25 Il est vrai que l’employeur aurait pu imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pour son infraction relative à l’ivresse au volant, mais il a choisi de ne pas le faire. Cela ne fait pas en sorte que son renvoi en cours de stage constitue une mesure disciplinaire et ne permet pas d’établir que l’employeur a agi de mauvaise foi (Ricard c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRTFP 72).

26 Sauf s’il est démontré au moyen de la preuve que la décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage constituait une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge ou du camouflage, ou un acte de mauvaise foi, la présente Commission n’a pas compétence en l’espèce. Dans la présente affaire, la seule preuve qui devrait être acceptée est la preuve non contredite présentée par l’employeur. Le fait qu’un employé puisse faire l’objet d’une mesure disciplinaire pour un comportement coupable ne signifie pas que l’employeur ne peut choisir de le renvoyer en cours de stage plutôt que d’imposer une mesure disciplinaire.

27 Dans son grief, la fonctionnaire a également allégué que l’employeur avait omis de prendre des mesures d’adaptation relativement à son incapacité. MM. Babakaiff et Delgaty ont témoigné qu’elle n’avait ni demandé ni communiqué un besoin d’accommodement. Elle n’a jamais soulevé un problème quelconque qui aurait nécessité une mesure d’adaptation avant d’être informée qu’elle était renvoyée en cours de stage. Il s’agissait d’une tentative désespérée de sauver son emploi. Plus tôt, elle a nié avoir besoin d’aide pour ses problèmes liés à l’alcool. Elle a prétendu qu’elle n’avait aucun problème lié à l’alcool. Sa consommation d’alcool a fait l’objet de deux discussions dans le cadre de son emploi : une fois lorsqu’elle a signalé la suspension de son permis de conduire et ensuite, le 4 mars 2011, le matin de la réunion où elle a été informée qu’elle était renvoyée en cours de stage.

28 Les deux fois, elle a prétendu avoir bu du vin la veille et ne pas consommer d’alcool avant de se présenter au travail. Son explication était simple. Il n’y a eu aucune divulgation d’une incapacité quelconque. Il faut établir une distinction entre une maladie ou un problème, et une incapacité (Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35). La différence est une question de contrôle. Lorsque la fonctionnaire ne peut pas contrôler sa consommation d’alcool, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est déclenchée. Le simple fait qu’elle consomme de l’alcool et qu’il est possible qu’elle en ait abusé à l’occasion ne crée pas une incapacité exigeant que l’on prenne une mesure d’adaptation.

29 Comment un employeur peut-il prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé en l’absence de renseignement à l’appui de ce besoin? Le fait qu’un employé affirme qu’il a besoin d’une mesure d’adaptation ne suffit pas à établir un besoin légitime. La Commission n’a été saisie d’aucune preuve prima facie de discrimination et il n’y a aucun motif pour qu’elle exerce sa compétence à l’égard des allégations liées au défaut présumé de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire.

30 Il incombe à la fonctionnaire d’établir que son renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée, du camouflage ou un subterfuge, ou un acte de mauvaise foi. En outre, il lui incombe également d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur était au fait de son incapacité et de son besoin d’être accommodée. En ne présentant aucune preuve, la fonctionnaire ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait et la présente Commission n’a pas compétence en vertu de l’article 211 de la Loi.

IV. Motifs

31 L’employeur a démontré que la fonctionnaire a été renvoyée en cours de stage à la suite d’une évaluation de son aptitude à exercer un emploi continu à titre d’ASF. Il a présenté des motifs raisonnables, fondés sur une preuve non contredite, à l’appui de son évaluation selon laquelle, malgré une longue période de formation et de jumelage avec un ASF chevronné, la fonctionnaire a fait preuve d’un manque de professionnalisme et de jugement, ainsi que d’un manque de respect à l’égard des politiques de l’employeur à un point tel qu’elle était inapte à la poursuivre son emploi de façon continue en tant qu’ASF. Le fait qu’elle ait contrevenu à certaines des dispositions législatives qu’elle avait la responsabilité d’appliquer et qu’elle ait omis de signaler cette contravention, constitue un exemple de type de comportement qui témoigne un manque de jugement, lequel, entre autres choses, rend la fonctionnaire inapte à occuper son poste. Ce type de comportement témoigne également de l’honnêteté de la fonctionnaire à l’égard de son emploi et, par conséquent, du fait qu’elle était inapte à occuper un tel poste de confiance, confiance que les Canadiens accordent aux ASF qui protègent la frontière.

32 L’employeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve et, à moins que la fonctionnaire établisse, selon la prépondérance des probabilités, que son renvoi en cours de stage était inapproprié, je n’ai pas compétence en ce qui concerne cette affaire. Il est évident que, tel qu’il est indiqué au paragraphe 127 de Tello, l’argument de l’employeur est exact en ceci qu’il incombe à la fonctionnaire d’établir que son renvoi en cours de stage par l’employeur était une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge ou du camouflage, ou un acte de mauvaise foi :

[127]  Comme le fonctionnaire a été incapable d’établir que la décision de le renvoyer en cours de stage était arbitraire, il lui incombe de prouver que le licenciement est un subterfuge ou du camouflage. Tel qu’il a été mentionné par la Cour d’appel fédérale dans un autre contexte (Dansereau c. Canada (1990), [1991] 1 C.F. 444 (CA), à la page 462, on ne peut présumer de la mauvaise foi et un employé qui tente de fournir une preuve de mauvaise foi « […] a une tâche particulièrement difficile à accomplir. […] ». Dans McMorrow c. Conseil du Trésor (Anciens combattants), dossier de la CRTFP 166–02–23967 (19931119), un arbitre de grief a mentionné, à la page 14, qu’à son avis :

[…]

[…] si on peut démontrer que l’employeur a tiré une conclusion arbitraire sur les faits lorsqu’il a décidé effectivement de renvoyer la personne en cours de stage, alors cette décision est nulle […]

[…] Il est banal d’affirmer que pour établir s’il y a eu ou non bonne foi il faut examiner toutes les circonstances entourant l’affaire. Les faits qui peuvent justifier une conclusion de mauvaise foi peuvent se présenter de multiples façons […] en tenant pour acquis, bien sûr, que l’on doit toujours, en partant, présumer de la bonne foi de l’employeur […]

[…]

33 La fonctionnaire ne l’a pas fait.

34 Quant à savoir si l’employeur a omis de respecter son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’incapacité de la fonctionnaire, il n’y a aucune preuve d’une telle incapacité. La preuve est que l’employeur n’était pas au courant du besoin de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire. Elle a nié avoir un problème d’alcoolisme lorsque la question de sa consommation d’alcool a été soulevée.

35 La fonctionnaire ne s’est pas fiée à la disposition de la convention collective concernant l’élimination de la discrimination. Par conséquent, je suppose qu’elle s’est fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H-6) pour étayer son allégation que l’employeur est tenu de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Comme il est indiqué dans Taticek c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 12 :

[…]

 [102] Selon l’article 7 de la LCDP, le fait de défavoriser un employé en cours d’emploi pour des motifs de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. L’incapacité est un motif de distinction illicite (paragraphe 3(1) de la LCDP). Selon la définition prévue à l’article 25 de la LCDP, une incapacité est une « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ».

[103] Afin d’établir qu’un employeur a fait preuve de discrimination, le fonctionnaire doit d’abord établir une preuve prima facie de l’existence de discrimination. Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire s’estimant lésé en l’absence de réplique du défendeur (O’Malley, paragr. 28). […]

[…]

36 La fonctionnaire ne s’est pas non plus acquittée de son fardeau de la preuve à cet égard. Je ne peux m’appuyer sur sa réponse à la demande de précisions à titre de preuve, car celle-ci fait partie de l’argumentation et ne constitue pas un élément de preuve. En conséquence, en dehors du fait que je n’ai pas compétence pour entendre le grief, la fonctionnaire n’a présenté aucune preuve démontrant qu’elle avait une incapacité qui n’a pas fait l’objet de mesures d’adaptation.

37 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

38 Le grief est rejeté.

Le 24 novembre 2015

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans
la fonction publique

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