Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contre son licenciement pour rendement insatisfaisant en 2009 – la Commission, qui avait reporté l’audience à un certain nombre de reprises à la demande du fonctionnaire s’estimant lésé, a refusé sa quatrième demande de report en 2016 – il n’a pas demandé à faire changer le lieu de l’audience, ce à quoi l’employeur était ouvert – le fonctionnaire s’estimant lésé a informé la Commission qu’il n’assisterait pas à l’audience et lui a demandé d’accepter ses arguments écrits – la Commission a refusé sa demande et l’a informé qu’elle pouvait trancher la question sans autre avis à son égard s’il ne se présentait pas à l’audience – le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté à l’audience – au début de l’audience, l’employeur a demandé que le grief soit refusé pour cause d’abandon – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait manifestement abandonné la poursuite de l’arbitrage de son grief à la lumière de l’information qui lui a été présentée et du défaut du fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter à l’audience – la Commission a conclu que, même si elle fait preuve d’empathie à l’égard de la situation personnelle du fonctionnaire s’estimant lésé, la finalité des affaires présente un intérêt public et la capacité de l’employeur à présenter sa preuve sera grandement touchée par un retard de sept ans depuis le moment où les événements qui ont donné lieu au licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé ont eu lieu. Requête accueillie. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur les relations
de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20161019
  • Dossier:  566-02-06947
  • Référence:  2016 CRTEFP 104

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

RONALD BRENNAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Statistique Canada)

défendeur

Répertorié
Brennan c. Administrateur général (Statistique Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Personne
Pour le défendeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 4 juillet 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1         Le 4 juin 2009, Ronald Brennan, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été licencié de son emploi d’analyste-programmeur au groupe et au niveau CS-02 à la Division du développement des systèmes de la Direction de l’informatique de Statistique Canada à Ottawa (l’« employeur ») pour rendement insatisfaisant. Le 9 juin 2009, il a déposé un grief contestant son licenciement. Il a demandé à faire annuler le licenciement et à être réintégré immédiatement à son poste, à la date du congédiement. Il a demandé à l’employeur de lui verser des dommages compensatoires et punitifs. Il a demandé à être remis dans la position antérieure sous tous les aspects.

2        Le grief a été refusé au dernier palier de la procédure applicable aux griefs le 29 mars 2012. Le 1er mai 2012, le grief a été renvoyé à l’arbitrage de grief par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). L’employeur a refusé la médiation le 24 mai 2012.

3        Le grief a été déposé devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») le 22 mars 2013. Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace l’ancienne Commission. Ce grief est entendu par la Commission en vertu des dispositions législatives de mise en œuvre connexes.

4        À la demande du fonctionnaire, l’audience de son grief, qui devait avoir lieu à Ottawa, a été reportée à trois reprises en raison de circonstances personnelles liées au fait qui suit : il avait déménagé à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) afin d’être l’unique fournisseur de soins de ses parents âgés et malades et il avait subi un incident lié à sa santé en juin 2015.

5        L’employeur s’est toujours opposé au report de l’audience au motif d’un préjudice, notamment que les souvenirs de ses témoins en subiraient des répercussions négatives. En dépit de sa position, l’employeur était ouvert à des suggestions en vue de faciliter la présence du fonctionnaire à l’audience, y compris le changement possible du lieu de l’audience.

6        Les parties ont été informées le 31 mai 2016 que l’audience aurait lieu du 4 au 7 juillet, à 9 h 30, dans la salle d’audience 712 au 7e étage de la tour Ouest de l’Immeuble C.D. Howe, au 240, rue Sparks, à Ottawa.

7        Le fonctionnaire n’a pas demandé à faire changer le lieu de l’audience. Lorsque sa quatrième demande de report supplémentaire de l’audience au mois de juillet 2017 a été refusée, il a indiqué qu’il ne prendrait pas part à l’audience pour son grief, mais qu’il présenterait des arguments écrits.

8        Au début de l’audience, l’employeur a demandé que le grief soit rejeté pour cause d’abandon, à partir des renseignements au dossier présenté à la Commission et en raison du fait que le fonctionnaire n’avait pas assisté à l’audience. Pour les motifs qui suivent, la requête de l’employeur est accueillie.

II. Contexte

9        Le 25 mai 2012, l’agent négociateur a indiqué qu’il ne pouvait pas participer à l’audience aux dates proposées du 7 au 11 janvier 2013. Pour des motifs inconnus, l’agent négociateur a retiré sa représentation le 21 août 2012. Il a indiqué que le fonctionnaire avait déménagé à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) et qu’il se représenterait lui-même. Le 29 août 2012, le fonctionnaire a confirmé l’information fournie par son agent négociateur.

10        Le 16 novembre 2012, il a été informé que l’audience de son grief était prévue du 6 au 10 mai et du 13 au 15 mai 2013 à Ottawa (Ontario). On lui a demandé d’informer la Commission de son indisponibilité au plus tard le 30 novembre 2012. Le fonctionnaire n’a pas indiqué qu’il était indisponible.

11        Le 17 décembre 2012, on a informé le fonctionnaire que les dates prévues de l’audience en mai 2013 étaient considérées comme définitives. Le 15 janvier 2013, le fonctionnaire a écrit à la Commission afin de lui indiquer qu’il était enfant unique et le seul fournisseur de soins de ses parents, âgés de 92 et de 95 ans, qui habitaient encore dans leur maison. Il a indiqué que ses deux parents souffraient de graves troubles de santé, ce qui l’empêchait de participer à l’audience de son grief. Il a demandé à ce que l’audience soit reportée indéfiniment.

12        L’employeur a accepté le report des dates de l’audience de mai 2013, mais il a refusé le report indéfini. L’employeur a demandé que l’audience soit reportée en octobre ou en novembre 2013.

13        Le fonctionnaire a répondu que l’employeur n’avait présenté aucun motif de bonne foi dans son opposition au report indéfini de l’audience de son grief et qu’il tentait de lui causer un préjudice indu. Il a demandé que l’audience de son grief soit maintenue en suspens jusqu’en mai 2014.

14        Le 12 février 2013, la Commission a informé le fonctionnaire que sa demande de report de l’audience de mai 2013 était acceptée. Sa demande de maintenir en suspens le grief jusqu’en mai 2014 a toutefois été rejetée. La Commission a indiqué que le grief serait prévu selon ses pratiques habituelles.

15        Le 25 mai 2015, la Commission a prévu l’audience de son grief du 28 septembre au 2 octobre 2015, à Ottawa. Le 11 juin 2015, le fonctionnaire a écrit à la Commission afin de lui demander une fois de plus de reporter l’audience d’au moins un an à partir de la date de l’audience. Il a invoqué les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment, en indiquant qu’il était l’unique fournisseur de soins de ses parents âgés et malades. Il a aussi indiqué qu’il avait été hospitalisé récemment pendant une journée en raison de troubles de santé.

16        Dans sa réponse, l’employeur a indiqué qu’il continue d’accumuler une responsabilité éventuelle dans cette affaire, puisque les souvenirs de ses témoins pourraient être touchés par un autre report injustifié. Étant donné l’état de santé du fonctionnaire, l’employeur a consenti à un bref report pour lui donner le temps de se rétablir et de prendre les dispositions requises pour assurer le bien-être de ses parents pendant qu’il assiste à l’audience. L’employeur a indiqué qu’il serait d’accord pour étudier d’autres dates d’audience possibles en janvier 2016, si l’état de santé du fonctionnaire permettait de le faire.

17        Le 24 juin 2015, la demande de report des dates de l’audience de septembre et d’octobre 2015 présentée par le fonctionnaire a été accordée en raison de son état de santé et l’audience a été reportée du 4 au 8 janvier 2016, à Ottawa (Ontario).

18        Le 4 septembre 2015, le fonctionnaire a écrit à la Commission afin de l’informer qu’il ne serait pas disponible aux dates de l’audience provisoires de janvier 2016. Il a encore indiqué qu’il était l’unique fournisseur de soins de ses parents âgés et malades et qu’il ignorait encore la cause de la maladie ayant mené à son hospitalisation huit mois plus tôt.

19        La Commission a reporté provisoirement l’audience du 4 au 8 juillet 2016 à Ottawa (Ontario). Le 18 mars 2016, l’employeur a souligné la souplesse sans précédent de la Commission, qui avait accepté à répétition les demandes de report de M. Brennan. Il a affirmé que, même s’il continuait de faire preuve d’empathie à l’égard de la situation du fonctionnaire, il continuait aussi à accumuler une responsabilité potentielle dans cette affaire. La capacité des témoins à livrer leur témoignage serait touchée, ce qui causerait un préjudice à l’employeur. Pour ces motifs, l’employeur s’est opposé au fait que l’audience soit reportée encore.

20        Dans ce même courriel, l’employeur a indiqué qu’il était ouvert à l’idée de faciliter la présence du fonctionnaire à l’audience, y compris un changement possible du lieu de l’audience. Il a affirmé qu’en l’absence d’indication par le fonctionnaire selon laquelle l’audience pouvait être reportée dans un avenir prévisible et à la lumière de la tendance répétée des demandes de reports indéfinis, le grief devrait être considéré comme abandonné.

21        En réponse au courriel envoyé par l’employeur, le fonctionnaire a demandé à la Commission de refuser sommairement la demande de l’employeur et de reporter de nouveau l’audience prévue en juillet 2016 pour les mêmes motifs que ceux qu’il avait présentés par le passé, notamment qu’il était l’unique fournisseur de soins de ses parents âgés et malades et en raison du trouble de santé dont il avait souffert en juin 2015.

22        Le 5 avril 2016, le fonctionnaire a présenté une autre demande de report de l’audience prévue en juillet 2016 d’une année supplémentaire. Le 14 avril 2016, la Commission a refusé la demande de report supplémentaire présentée par le fonctionnaire et a informé les parties que les dates prévues de l’audience, du 4 au 8 juillet 2016, à Ottawa, étaient définitives. Le fonctionnaire n’a pas répondu à la suggestion de l’employeur de modifier le lieu de l’audience.

23        Le 27 juin 2016, le fonctionnaire a informé la Commission qu’il n’assisterait pas à l’audience prévue du 4 au 8 juillet 2016 et lui demandait d’accepter plutôt ses arguments écrits. Le 27 juin 2016, la Commission a refusé la demande du fonctionnaire et l’a informé qu’elle tiendrait une audience orale sur le bien-fondé de son grief. On lui a rappelé que, s’il n’assistait pas à l’audience ou à toute continuation de cette dernière, la Commission pouvait régler la question selon la preuve et les observations faites à l’audience, sans autre avis à son égard. Le même jour, le fonctionnaire a accusé réception de la décision de la Commission.

III. Question

24        La question à trancher consiste à déterminer si, à la lumière de l’information présentée à la Commission et de la conduite du fonctionnaire, le grief a été abandonné.

IV. Résumé de l’argumentation

25        Au début de l’audience, le 4 juillet 2016 à 9 h 30, l’employeur a demandé à ce que le grief soit rejeté pour cause d’abandon. L’employeur a affirmé que le grief remontait à 2009 et qu’il avait été reporté un certain nombre de fois à la demande du fonctionnaire. Le fonctionnaire n’a présenté aucune nouvelle preuve relativement à son état de santé. Même si l’employeur a fait preuve d’empathie à l’égard de la situation personnelle du fonctionnaire, il ne pouvait plus attendre pour faire entendre le grief.

26        La capacité de l’employeur à présenter sa preuve a été grandement touchée, puisque bon nombre de ses témoins avaient pris leur retraite et qu’un délai important, soit sept années, s’était écoulé depuis le moment où les événements ayant donné lieu au licenciement du fonctionnaire étaient survenus. Qui plus est, le fonctionnaire n’a pas demandé à modifier le lieu de l’audience, même si l’employeur l’avait proposé. L’employeur était prêt à engager des dépenses pour que ses témoins se rendent à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) afin de s’adapter à la situation personnelle du fonctionnaire. Le fonctionnaire n’a pas fait preuve d’initiative ou n’a pas tenté d’obtenir de l’aide pour que ses parents soient pris en charge de façon temporaire afin de lui permettre d’assister à l’audience de son grief.

27        Le fonctionnaire connaissait entièrement les conséquences liées au fait de ne pas se présenter à l’audience. Il a été informé par des courriels envoyés par la Commission et dans l’avis d’audience. Étant donné ces circonstances, la position de l’employeur est que le fonctionnaire a abandonné son grief.

V. Motifs de décision

28        À la lumière des renseignements indiqués dans le dossier de la Commission et de la conduite du fonctionnaire, le grief devrait être rejeté pour cause d’abandon. L’employeur m’a renvoyée à Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119; Synowski c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 63; Dupont c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales), 2012 CRTFP 82; Howitt c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 75.

29        Dans Cooper, l’ancienne Commission a conclu qu’il y a un intérêt public général qu’une administration efficace de la justice favorise le règlement de différends, évite des retards inutiles et soit respectée par les parties. Ces principes s’appliquent également au présent cas.

30        Le fonctionnaire n’a pas comparu et personne n’a comparu en son nom, même s’il avait reçu l’avis de l’audience et qu’il connaissait très bien les répercussions de cette décision : s’il n’assistait pas à l’audience ou à toute continuation de cette dernière, la Commission pourrait régler la question selon la preuve et les observations faites à l’audience, sans autre avis à son égard.

31        Plutôt que de chercher à faire modifier le lieu de l’audience, comme l’employeur l’avait proposé, et de montrer les mesures qu’il avait prises pour que ses parents soient pris en charge de façon temporaire afin de lui permettre d’assister à l’audience de son grief, le 27 juin 2016, il a présenté au greffe de la Commission une déclaration claire qu’il n’entendait pas se présenter à l’audience.

32        Il a demandé à la Commission de procéder au moyen d’arguments écrits. Même si la Commission détermine parfois que des audiences de griefs peuvent se dérouler par voie d’arguments écrits, la Commission était d’avis que cette pratique ne se prête pas au présent grief relatif à un licenciement, puisque des conclusions sur des faits et la crédibilité sont en jeu. Par conséquent, sa demande a été refusée. Le greffe de la Commission a renvoyé le fonctionnaire à sa note de pratique sur la « Présentation de la preuve et interrogation des témoins », un guide à l’intention des plaideurs qui se représentent eux-mêmes qui comprend de l’information sur la façon dont la Commission mène ses audiences.

33         Depuis le moment du renvoi du grief, en mai 2012, le dossier indique clairement que le fonctionnaire a demandé que son grief soit reporté indéfiniment. À trois reprises par la suite, il a demandé que l’audience soit reportée d’une année à la fois. Ces reports visaient de très longues périodes, la première étant indéfinie et les autres, d’une année au moins chacune. Chaque fois, hormis pour l’audience prévue en juin 2015, le motif de la demande de report était toujours le même : le soin de ses parents âgés et malades.

34        Il n’appartient pas à la Commission de suggérer un changement du lieu de l’audience pour faciliter la présence d’un fonctionnaire s’estimant lésé à sa propre audience de grief ni de mettre en œuvre des mesures d’adaptation lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé ne les demande pas lui-même. Si le fonctionnaire avait un réel intérêt à faire entendre son grief, il aurait présenté une demande en vue de modifier le lieu de l’audience à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) et il aurait demandé à la Commission de prendre des mesures d’adaptation pour faciliter sa présence.

35        Même si la Commission fait preuve d’empathie à l’égard de la situation personnelle du fonctionnaire, la finalité des affaires présente un intérêt public. L’audience a été reportée à la demande du fonctionnaire pendant trois ans depuis le moment où elle a été initialement prévue. Qui plus est, j’accepte la position de l’employeur selon laquelle sa capacité à présenter sa preuve aurait été grandement touchée, puisque sept années se sont écoulées depuis que les événements ayant donné lieu au licenciement de l’employé sont survenus.

36        Par conséquent, en fonction des renseignements qui me sont présentés et du fait que M. Brennan ne s’est pas présenté à l’audience du 4 juillet 2016, je conclus que le fonctionnaire a manifestement abandonné la poursuite de l’arbitrage de son grief. À la lumière de cette conclusion, le grief est rejeté.

37        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

38        Le grief est rejeté et le dossier est fermé.

Le 19 octobre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Chantal Homier-Nehmé,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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