Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un généraliste en ressources humaines auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (maintenant Emploi et Développement social Canada) – un mois après avoir commencé son emploi, il a demandé et obtenu un congé non payé d’un an pour prendre soin d’un membre malade de sa famille – lorsque le congé du fonctionnaire s’estimant lésé a dépassé un an, l’employeur a pourvu son poste pour une période indéterminée avec un autre employé – le fonctionnaire s’estimant lésé était admissible à un droit de priorité vis-à-vis des postes dans la fonction publique pour une période maximale d’un an suivant la fin de son congé – en conséquence, il s’est inscrit au [traduction] « Programme d’administration des priorités » – comme aucun autre poste ne lui a été offert durant l’année de sa période prioritaire, il a cessé d’être un fonctionnaire fédéral – il a renvoyé son grief à la Commission en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique – il a allégué que la décision de l’employeur de pourvoir son poste alors qu’il était en congé était arbitraire et discriminatoire – l’arbitre de grief a conclu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre l’affaire et rendre une décision parce que le comportement de l’employeur ne correspondait pas à un congédiement déguisé en vertu de la Loi sur la gestion des finances publique – l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé a pris fin par suite de l’application de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, pas en raison d’un acte de l’employeur – l’arbitre de grief a également conclu qu’un grief ne pouvait être déposé parce que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas membre d’une unité de négociation – l’arbitre de grief a en outre conclu que les allégations de discrimination ne pouvaient être traitées puisque la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-01-15
  • Dossiers: 566-02-7092 et 568-02-282
  • Référence: 2016 CRTEFP 2

Catherine Ebbs, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

AMANDEEP MALHI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Emploi et du Développement social)

employeur

Répertorié
Malhi c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Catherine Ebbs, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Khadeeja Ahsan, avocat
Pour l'employeur:
Zorica Guzina, avocat
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 17 au 19 mars 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Introduction

1 En date du 3 juillet 2009, Amandeep Malhi (le « fonctionnaire s’estimant lésé », ci-après le « fonctionnaire ») a occupé un poste pour une durée indéterminée à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (maintenant appelé Emploi et Développement social Canada; l’« employeur ») à titre de généraliste en ressources humaines classifié PE-01. Il n’était pas représenté, c’est-à-dire que son poste était classifié dans un groupe qui n’était pas représenté par un agent négociateur; par conséquent, le fonctionnaire n’était pas membre d’une unité de négociation.

2 En août 2009, le fonctionnaire a commencé un congé non payé pour prendre soin de sa famille. Le congé lui a été accordé par l’employeur.

3 Le congé non payé du fonctionnaire a duré plus d’un an et l’employeur a doté son poste pour une période indéterminée avec un autre employé. Le fonctionnaire a été informé par écrit de cette situation le 2 mars 2011.

4 Puisque son poste a été pourvu, le fonctionnaire était admissible à un droit de priorité vis-à-vis des postes dans la fonction publique pour une période maximale d’un an suivant la fin de son congé non payé. Il s’est inscrit au [traduction] « Programme d’administration des priorités ». Aucun autre poste ne lui a été offert et il a cessé d’être un fonctionnaire fédéral à la fin de sa période prioritaire en août 2012.

5 Le 12 janvier 2012, le fonctionnaire a déposé un grief contre ce qu’il a allégué être [traduction] « […] la décision arbitraire et discriminatoire de l’employeur de pourvoir unilatéralement [son] poste PE-01 pour une durée indéterminée tandis [qu’il] était en congé non payé pour s’occuper de la famille ».

6 Le 17 février 2012, l’employeur a rejeté le grief au premier palier. Il a conclu que le grief avait été présenté hors délai et que, quoi qu’il en soit, il avait agi conformément à la politique du Conseil du Trésor. Le fonctionnaire a présenté le grief au deuxième et au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, mais l’employeur n’a rendu aucune autre décision dans cette affaire avant son renvoi à l’arbitrage. (Remarque : Dans sa réponse au deuxième palier, datée de décembre 2014, ainsi que dans sa réponse au dernier palier, datée de mars 2015, l’employeur a rejeté le grief au motif qu’il était hors délai et sans fondement.)

7 L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») a reçu l’avis de renvoi à l’arbitrage du fonctionnaire le 4 juin 2012. Dans celui-ci, le fonctionnaire a soutenu que la Commission avait compétence pour entendre son grief en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la « LRTFP ») parce qu’il concernait une décision qui portait sur ce qui suit (le fonctionnaire a repris le libellé de ce sous-alinéa de la LRTFP) :

[A] la rétrogradation ou le licenciement d’un fonctionnaire de l’administration publique centrale imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite []

8 Le 26 juin 2012, l’employeur a informé l’ancienne Commission qu’il avait deux objections au grief. Premièrement, il était d’avis que le grief avait été présenté hors délai. Deuxièmement, il a fait valoir que l’objet du grief n’était pas une question qui pouvait être renvoyée à l’ancienne Commission. En raison de l’objection de l’employeur, le fonctionnaire a présenté une demande à l’ancienne Commission afin de prolonger le délai pour déposer un grief.

9 Avant l’audience, le fonctionnaire a présenté une liste de renseignements qu’il souhaitait que l’employeur lui fournisse. Il a été décidé que sa demande serait traitée dès le début de l’audience.

10 L’audience a eu lieu du 17 au 19 mars 2015. 

11 Pour les raisons qui suivent, j’ordonne la fermeture du dossier 566-02-07092. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») n’a pas compétence pour entendre l’affaire et rendre une décision sur le fond pour les raisons suivantes :

  • la version des faits du fonctionnaire, si l’on suppose qu’elle est véridique, ne peut mener à la conclusion que l’acte de l’employeur correspondait à un congédiement déguisé en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C., 1985, ch. F-11) (la « LGFP »);
  • le fonctionnaire ne pouvait déposer un grief concernant l’interprétation d’une convention collective parce qu’il n’est pas membre d’une unité de négociation;
  • la Commission ne peut donner suite à son allégation de discrimination parce qu’elle n’a pas compétence pour examiner son grief.

12 De plus, j’ordonne la fermeture du dossier 568-02-00282 parce que l’employeur a retiré son objection liée au respect des délais à l’audience. Par conséquent, le fonctionnaire a retiré sa demande de prorogation du délai. Je ne traiterai plus ces questions.

13 Le 1er novembre 2014, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 40, art. 365) est entrée en vigueur (SI/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le 3 novembre 2014, le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79) a été modifié de façon à devenir le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »).

II. Portée de l’audience

14 L’audience avait pour but d’entendre les éléments de preuve et les arguments concernant quatre questions préliminaires : les demandes de production de renseignements et de prorogation des délais présentées par le fonctionnaire, et les objections de l’employeur liées au respect des délais et à la compétence. La Commission n’a pas examiné le bien-fondé du grief.

15 Je n’aborderai pas la question des demandes de production, puisque j’ai ordonné la fermeture du dossier 568-02-00282 en raison de l’absence de compétence; les documents demandés portent sur le bien-fondé de l’affaire et non sur la question de la compétence. De plus, tel qu’il a été énoncé ci-dessus, l’objection liée au respect des délais et la demande de prorogation ont été retirées.

16 La dernière question portait sur l’objection de l’employeur relativement à la compétence. Tel qu’il a été soulevé précédemment, le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP.

17 Le fonctionnaire n’a pas allégué que l’employeur l’avait effectivement licencié en vertu de la LGFP. Il a plutôt fait valoir que ses actes correspondaient à un licenciement déguisé en vertu de la LGFP. L’employeur a fait valoir qu’il avait agi sous l’autorité de la politique du Conseil du Trésor et de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) (la « LEFP ») et qu’il n’y a eu aucun licenciement.

18 Pour déterminer si la Commission a compétence pour entendre le bien-fondé de l’affaire, j’ai considéré la question suivante : Si la Commission assume que la version des faits du fonctionnaire est véridique, peut-elle conclure que les actes de l’employeur correspondent à un licenciement déguisé en vertu de la LGFP?

19 Dans l’affirmative, la Commission a compétence et peut recevoir d’autres éléments de preuve et arguments afin de rendre une décision sur le fond de l’affaire.

20 Dans la négative, la question ne peut être renvoyée à la Commission en vertu de l’article 209 de la LRTFP et le dossier doit être fermé.

21 À l’audience, j’ai entendu des éléments de preuve relatifs à la version des faits du fonctionnaire. Les parties ont formulé un certain nombre d’objections quant à la pertinence des éléments de preuve présentés. L’employeur a soutenu que les éléments de preuve du fonctionnaire se rapportaient au bien-fondé de l’affaire et qu’il devait présenter des éléments de preuve pour réfuter les allégations du fonctionnaire. J’ai expliqué aux parties que lorsque la question de la compétence est tranchée indépendamment de tout examen du bien-fondé, je n’ai pas à entendre les éléments de preuve de l’employeur réfutant ceux du fonctionnaire. En effet, à cette étape, je suis tenue d’assumer que tous les éléments de preuve du fonctionnaire sont vrais.

22 Les parties ont également soulevé les trois autres questions suivantes liées à la compétence :

  • Le fonctionnaire peut-il présenter un grief portant sur l’interprétation d’une convention collective même s’il n’est pas membre d’une unité de négociation?
  • Un grief portant sur l’interprétation d’une politique peut-il être renvoyé à la Commission?
  • La Commission peut-elle examiner l’allégation de discrimination du fonctionnaire?

III. La version des faits du fonctionnaire

23 Le fonctionnaire a d’abord travaillé pour l’employeur à titre d’étudiant et a ensuite été engagé comme employé nommé pour une durée déterminée. Par la suite, en juillet 2009, il a commencé à occuper son poste PE-01 pour une durée indéterminée. Il n’était pas membre d’une unité de négociation. Sa superviseure était Nicole Belanger.

24 En juin 2009, la nomination du fonctionnaire pour une durée indéterminée a été retardée, ce qui l’a empêché de poser sa candidature en vue d’une promotion. Par conséquent, il a envoyé une lettre à la directrice générale pour lui demander son aide puisqu’il l’avait déjà rencontrée. La directrice générale était classifiée deux échelons plus haut que Mme Belanger dans la hiérarchie de gestion. Le fonctionnaire a également envoyé une copie de cette lettre à Mme Belanger.

25 Selon le fonctionnaire, Mme Belanger était furieuse qu’il ait communiqué avec sa supérieure. Il a déclaré qu’elle lui avait dit qu’il s’agissait d’un geste qui mettrait un frein à sa carrière. Il a dit qu’elle avait continué d’être dédaigneuse et brusque à son égard, même après qu’il se soit excusé.

26 De plus, le fonctionnaire a déclaré qu’avant d’être engagé pour une durée indéterminée, il a eu une conversation avec Mme Belanger et qu’elle lui a alors dit que son mari avait travaillé avec des gens comme lui. Sa remarque l’a vexé puisqu’il croyait qu’il s’agissait d’une référence discriminatoire à l’égard de sa race et il en a été offensé. Il ne s’est pas plaint parce qu’il avait peur de ne pas être engagé, le cas échéant.

27 En août 2009, le fonctionnaire a demandé à Mme Belanger un congé non payé pour s’occuper de la famille. L’employeur a approuvé sa demande. L’avantage du congé non payé décrit à l’article 41 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2014; la « convention collective ») a été utilisé comme guide.

28 Le congé non payé du fonctionnaire a commencé le 11 septembre 2009 et devait se poursuivre jusqu’au 25 août 2010. Il est déménagé en Angleterre et il est devenu l’unique fournisseur de soins pour un membre malade de sa famille.

29 Quelque temps avant la fin de la première année de congé du fonctionnaire, Mme Belanger a demandé à ce que son poste soit pourvu temporairement; la demande a été refusée. Plus tard, le poste a été transféré à un autre secteur et a ensuite été pourvu temporairement. Le fonctionnaire a alors cru que les critères de mérite avaient été modifiés et qu’il ne satisfaisait plus à certains d’entre eux. La personne qui a pourvu le poste temporairement a finalement été choisie pour occuper le poste pour une période indéterminée.

30 Le 21 juillet 2010, Mme Belanger a envoyé au fonctionnaire un courriel lui demandant s’il planifiait revenir à la fin de son congé, soit le 25 août 2010. Il a répondu qu’il souhaitait prolonger son congé puisque le membre de sa famille avait toujours besoin de ses soins. Mme Belanger l’a aidé à préparer les formulaires nécessaires et l’employeur a ensuite prolongé le congé jusqu’au 26 août 2011.

31 Le 6 août 2010, Mme Belanger s’est renseignée auprès du centre des ressources humaines de l’employeur à savoir s’il était possible de pourvoir le poste du fonctionnaire pour une période indéterminée une fois que celui-ci aurait été en congé depuis un an. Le 9 août 2010, lorsqu’elle a communiqué avec le fonctionnaire au sujet de sa demande, elle ne lui a pas dit qu’elle envisageait trouver un remplaçant pour son poste. De plus, elle ne l’a pas informé des conséquences possibles de prolonger son congé au-delà d’un an.

32 Le 8 octobre 2010, le fonctionnaire a reçu une lettre standard de l’employeur l’informant qu’un employé en congé non payé pouvait être remplacé pour une durée indéterminée si la durée du congé dépassait un an.

33 Le fonctionnaire était au courant de cette disposition, mais il ne croyait pas qu’un employeur irait de l’avant avec cette option sans consulter l’employé en congé.

34 Le 16 février 2011, Mme Belanger a envoyé un courriel au fonctionnaire pour l’informer que son poste était prêt à être pourvu pour une période indéterminée par quelqu’un d’autre. Cette nouvelle a bouleversé le fonctionnaire et il a immédiatement envoyé un courriel à Mme Bélanger pour lui demander pourquoi il n’avait pas été informé plus tôt dans le processus. Mme Belanger ne lui a pas répondu.

35 Selon le fonctionnaire, Mme Belanger l’a dupé afin de le priver de l’option de retourner à son poste et elle [traduction] « […] a abusé des pouvoirs et de l’autorité qui lui sont conférés en [l’exploitant alors qu’il] était à son plus vulnérable ».

36 Le fonctionnaire est devenu très anxieux et dépressif lorsqu’il a appris que son poste avait été pourvu; il était déjà dans un état vulnérable puisqu’il avait la responsabilité de prendre soin d’un membre de la famille atteint d’une maladie grave, et ce, dans un pays étranger. Il n’aurait pas demandé une prolongation de son congé non payé s’il avait su qu’il perdrait son emploi. Il avait besoin d’un emploi parce qu’il avait des prêts et qu’il aidait ses parents à payer leur hypothèque.

37 Dans une lettre datée du 2 mars 2011, Steve Bullock, un conseiller en ressources humaines, a informé le fonctionnaire que son poste avait bel et bien été pourvu pour une période indéterminée.

38 Le 21 mars 2011, le fonctionnaire a parlé au téléphone avec M. Bullock, lequel lui a dit qu’il n’y avait rien que le fonctionnaire pouvait faire au sujet de l’action de l’employeur.

39 Le fonctionnaire était un nouvel employé et il n’était pas membre d’une unité de négociation. Il a essayé d’obtenir des renseignements auprès de son employeur au sujet des prochaines étapes. Au cours des mois qui ont suivi, il a communiqué avec plusieurs fonctionnaires de l’employeur, lesquels ne lui ont pas répondu ou ne lui ont pas fourni les renseignements dont il avait besoin.

40 Après avoir reçu des conseils juridiques pour la première fois, le fonctionnaire a déposé un grief au premier palier le 23 janvier 2012.

41 Le 12 août 2012, aux termes de l’article 42 de la LEFP, le fonctionnaire a cessé d’être un fonctionnaire parce qu’il n’avait pas reçu d’offre d’emploi avant la fin de sa période prioritaire.

IV. Analyse

42 Il ne reste que la question de la compétence à examiner.

43 Je réitère que j’ai considéré la version des faits du fonctionnaire non pour les besoins de déterminer les faits et de rendre une décision sur le fond, mais bien pour déterminer si la Commission a compétence pour entendre le grief et rendre une décision sur le fond. 

44 Le fonctionnaire a renvoyé son grief individuel à la Commission en vertu de l’article 209 de la LRTFP. Cet article « délimite la portée de la compétence des arbitres de griefs » (Spencer c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2007 CRTFP 123). Si l’objet du grief n’est pas énoncé à l’article 209, la Commission n’a pas compétence pour considérer tout aspect du grief que ce soit.

45 L’article 209 de la LRTFP est ainsi rédigé :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

A. Allégation de congédiement déguisé

46 Comme je l’ai dit au début, la question à trancher est la suivante : La version des faits du fonctionnaire, si on suppose qu’elle est véridique, pourrait-elle mener à la conclusion que les actes de l’employeur correspondent à un licenciement déguisé en vertu de la LGFP et, par conséquent, accorder compétence à la Commission pour entendre l’affaire et la trancher sur le fond?

47 Le fonctionnaire a déclaré que la Commission avait compétence parce que les actes de l’employeur constituent un licenciement déguisé en vertu de l’alinéa 12(1)d) ou e) de la LGFP (voir le sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP).

48 Les sous-alinéas 12(1)d) et e) de la LGFP sont ainsi rédigés :

12. (1) […] chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique […]

49 Ni la LRTFP ni la LGFP ne donnent une définition du terme « licenciement ». Selon la 7e édition du Black’s Law Dictionary, « licenciement » signifie [traduction] « la rupture complète de la relation entre un employé et son employeur ».

50 Dans sa version des faits, le fonctionnaire a allégué que l’employeur l’avait licencié et qu’il avait déguisé le licenciement en prenant les mesures suivantes :

‒ Il a remplacé le fonctionnaire pour une durée indéterminée lorsque son congé non payé a dépassé un an;

‒ Il a décidé de remplacer le fonctionnaire sans lui donner l’occasion de retourner à son poste, ce qui était contraire à la pratique antérieure;

‒ Il a transféré son poste alors qu’il n’était pas en congé payé depuis plus d’un an, il a modifié les critères de sélection et pourvu temporairement le poste avec le candidat qui allait éventuellement occuper le poste pour une durée indéterminée;

‒ Il a agi de mauvaise foi et à des fins discriminatoires;

‒ Il a commis des erreurs dans la période d’administration prioritaire.

51 Même si j’assume que la version des faits du fonctionnaire est vraie, je ne peux pas conclure, selon les actes de l’employeur, qu’il s’agit d’un licenciement déguisé.

52 L’employeur a remplacé le fonctionnaire après un an de congé non payé. Il a agi en vertu des pouvoirs que lui sont conférés par l’article 1.4 de l’annexe B de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor, qui se lit partiellement comme suit : « […] la personne nommée à l’administration publique centrale qui est en congé non payé ne peut être remplacée par voie de nomination pour une période indéterminée que si le congé est constitué d’une période […] de plus d’un an ».Même s’il n’occupait plus son poste initial, il était toujours un fonctionnaire. Cette action n’était pas un licenciement, déguisé ou autre.

53 Après avoir été remplacé, le fonctionnaire s’est inscrit au Programme d’administration des priorités, qui est régi par la LEFP et administré par la Commission de la fonction publique, et non l’employeur. Le paragraphe 41(1) de la LEFP prévoit que le fonctionnaire avait jusqu’à la fin de son congé, plus un an, pour se faire offrir un poste dans la fonction publique. Selon l’article 42, « la personne visée au paragraphe 41(1) qui n’est pas nommée à un poste dans le délai applicable aux termes de ce paragraphe perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de ce délai. » Par conséquent, puisque le fonctionnaire n’a pas réussi à obtenir un emploi dans la fonction publique, il a automatiquement cessé d’être un employé de la fonction publique à la fin de cette période, soit le 12 août 2012. Le fait qu’il ait cessé d’être un employé de la fonction publique à cette date n’était pas la décision de l’employeur. Cela a eu lieu par suite de l’application de l’article 42 de la LEFP.

54 L’action de l’employeur a amorcé un processus qui a finalement mené à la perte de l’emploi du fonctionnaire dans la fonction publique. Cependant, cette conclusion est différente de celle voulant que l’employeur ait licencié le fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un licenciement déguisé ou non. En raison de l’action de l’employeur, le fonctionnaire est demeuré un employé de la fonction publique, mais il est devenu un candidat prioritaire pour un nouveau poste. À partir de ce moment, le processus n’était plus dirigé par l’employeur, mais plutôt par la Commission de la fonction publique et la LEFP. Finalement, lorsque le fonctionnaire a cessé d’être un employé de la fonction publique en août 2012, c’était par suite de l’application de la LEFP.  

55 Les actions faisant l’objet d’une plainte sont liées au pouvoir de l’employeur en vertu de la politique du Conseil du Trésor et à l’application de la LEFP. Ni l’une ni l’autre des questions ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage parce que ni l’une ni l’autre des questions n’est énoncée à l’article 209 de la LRTFP.

56 Je note également que l’article 211 de la LRTFP énonce clairement ce qui suit :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

57 Le fonctionnaire a aussi soutenu que l’employeur avait mis fin à son emploi en toute connaissance de cause avant la fin de la première année du congé non payé en transférant son poste et en changeant les critères de sélection de façon à ce qu’il ne puisse plus les satisfaire.

58 Encore une fois, même si l’employeur a apporté des changements au poste du fonctionnaire et qu’il a pourvu le poste temporairement, il n’a pas mis fin à son emploi. Comme l’employeur l’a déclaré, même à la date tardive à laquelle le fonctionnaire a renvoyé la question à l’arbitrage, ce dernier était toujours un employé de la fonction publique. De plus, si une allégation de mauvaise foi est faite, la Commission peut seulement l’examiner si l’objet du grief peut être renvoyé en vertu de l’article 209 de la LRTFP.

B. Autres questions liées à la compétence

1. La convention collective

59 Le fonctionnaire a fait valoir que bien qu’il soit un employé non représenté, il avait le droit de déposer un grief concernant les modalités de la convention collective parce que l’employeur avait appliqué certains de ses articles à sa situation. En particulier, il a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard, allant ainsi à l’encontre de l’article 19 de la convention collective.

60 L’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’était pas un membre d’une unité de négociation et qu’il n’avait pas le soutien d’un agent négociateur, ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas déposer un grief portant sur l’interprétation de la convention collective. Je suis d’accord. Bien qu’il soit possible que l’employeur ait fait référence à certaines de ses dispositions lorsqu’il a établi les conditions de travail du fonctionnaire, cela ne signifie pas qu’il est devenu un membre de l’unité de négociation pertinente et qu’il était protégé par la convention collective (voir Kwong c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2006 CRTFP 116, paragr. 7).

2. Interprétation des politiques

61 L’employeur a noté que la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor lui donne le pouvoir de remplacer un employé en congé non payé après un an. Il a soutenu que, dans la mesure où le présent grief pouvait être caractérisé comme portant sur son application de la directive du Conseil du Trésor, il ne relève pas de la compétence de la Commission. Je suis d’accord. La compétence de la Commission dans cette affaire se limite aux questions désignées à l’article 209 de la LRTFP, lesquelles ne comprennent pas l’interprétation des politiques (par exemple, voir Spencer).

3. Allégation de discrimination

62 Le fonctionnaire a demandé à la Commission de se prononcer sur son allégation que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (la « LCDP »).

63 L’alinéa 226(2)a) de la LRTFP prévoit que la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP relativement à toute question renvoyée à l’arbitrage.

64 Cependant, tel qu’il a été expliqué dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, au paragr. 83, « […] le paragraphe 226(1) de la LRTFP s’applique seulement aux arbitres de grief nommés pour instruire les griefs qui ont été jugés arbitrables en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP ». En d’autres mots, si le grief ne respecte pas le seuil déterminé relevant d’une des catégories énoncées au paragraphe 209(1), l’allégation de discrimination ne peut pas être examinée. Il n’y a aucun grief autonome en matière de droits de la personne.

65 J’ai déterminé qu’il n’y a aucune question dans le grief devant moi qui relève de l’article 209 de la LRTFP. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour examiner l’allégation de discrimination du fonctionnaire.

V. Conclusion

66 Tel qu’il a été mentionné, l’objection de l’employeur liée au respect des délais et la demande de prorogation des délais du fonctionnaire ont été retirées.

67 Je conclus que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief et rendre une décision sur le fond parce que le grief porte sur des questions qui ne peuvent fait l’objet d’un renvoi à l’arbitrage à la Commission.

68 Je souhaite reconnaître la diligence des avocats des parties et les remercier de la manière collégiale avec laquelle ils ont fait face aux défis de l’audience.

69 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

70 J’ordonne la fermeture des dossiers 568-02-00282 et 566-02-07092.

Le 15 janvier 2016.

Traduction de la CRTEFP

Catherine Ebbs,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans
la fonction publique

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